CHAPITRE VI

DES EVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES
QUI S'ACCENTUENT ET SE COMPLEXIFIENT

Dans le chapitre II de cet ouvrage, consacré à l'histoire des TIC, du télégramme à Internet, les évolutions correspondantes ont été résumées en trois mots : diversification, performance, convergence.

Pour s'en tenir aux données les plus récentes, afin de ne pas reprendre les développements déjà exposés à ce chapitre, il semble que ces trois tendances se confirment mais qu'en ce qui concerne la dernière d'entre elles, le maintien, indispensable, d'une interopérabilité entre les différents systèmes est parfois de plus en plus difficile à assurer.

I. L'ACCÉLÉRATION DE LA DIVERSIFICATION
DE L'OFFRE DE TECHNOLOGIES

S'agissant, tout d'abord, de la diversification de l'offre de technologies, la concurrence entre les solutions avec ou sans fil est avivée, avec, semble-t-il, dans le premier cas, une préférence immédiate pour l'utilisation des infrastructures existantes : réseaux câblés ou réseau téléphonique commuté (sur les terminaisons duquel l'ADSL permet d'obtenir des débits relativement élevés).

A) LES SOLUTIONS FILAIRES
1. Les réseaux câblés audiovisuels

Concernant, en premier lieu, les réseaux câblés audiovisuels, l'évolution technique récente leur ouvre trois nouvelles possibilités : l'accès à Internet, la téléphonie et la multiplication du nombre de canaux de diffusion.

Le métier de câblo-opérateurs est incontestablement difficile : investissements lourds, niveau d'endettement, en conséquence, souvent élevé, croissance, dans l'ensemble, modérée (+ 6,8 % dans le monde) du nombre d'abonnés, concurrence de la télédiffusion directe par satellite.

En revanche, les réseaux câblés offrent l'opportunité de pouvoir faire entrer dans les foyers équipés, sans antenne, un flux de données numériques supérieur à celui susceptible de s'écouler par le réseau téléphonique commuté.

Ces potentialités ont donné l'espoir aux opérateurs intéressés de profiter de l'engouement pour Internet et de l'ouverture à la concurrence des services de téléphonie vocale fixe pour améliorer leurs recettes, échapper à la saturation de leur marché (dans les pays déjà très câblés), mieux amortir leurs investissements et relever les défis du satellite.

Des différences de contexte importantes existent toutefois entre des pays comme :

n les Etats-Unis, où près des deux tiers des foyers possédant un téléviseur sont abonnés mais où le développement de services interactifs nécessiterait des dépenses importantes de modernisation des réseaux (31( * )) ;

n la Grande-Bretagne, équipée plus tardivement et à un moindre niveau (11 % des foyers) mais qui ont construit dès le départ deux réseaux parallèles dont l'un réservé au téléphone ;

n enfin, la France, qui affiche des résultats très médiocres mais possède des infrastructures modernes, facilitant l'installation d'une voie de retour.
coller ici le tableau

La vétusté des réseaux américains n'empêche ni les Etats-Unis de dominer l'offre de modems câble (avec Intel, associé à Hewlett-Packard, Motorola et Zénith), ni Bill Gates, Président de Microsoft, de s'intéresser à ce type de distribution.

En prenant, en juin dernier, une participation de un milliard de dollars au capital du quatrième câblodistributeur américain Comcast, la firme de Seattle a poursuivi sa stratégie, à laquelle obéissait également l'achat de Web TV, tendant à exploiter les synergies possibles entre les marchés de l'audiovisuel et de l'électronique grand public, et ceux de l'informatique et des télécommunications (des accords dans le domaine des futurs réseaux intelligents ont, en effet, en outre, été signés avec Siemens).

Microsoft espère ainsi pouvoir concevoir un produit unique, intégrant les fonctions d'un décodeur numérique et d'un modem et utilisant son futur logiciel d'exploitation multimédia Windows CE (destiné aux applications grand public).

Bill Gates joue ainsi à fond la carte des convergences qui doivent caractériser les mutations de la société de l'information (voir plus loin).

Les câblo-opérateurs britanniques ont pu, grâce aux spécificités architecturales de leurs réseaux, prendre environ 30 % du marché de la téléphonie en Grande-Bretagne. Mais le stade des expérimentations n'a, semble-t-il, pas été dépassé partout ailleurs.

Suez-Lyonnaise des Eaux a testé la technologie du "câblophone" d'Alcatel à Annecy, devenu ainsi, avec une cité australienne, la seule ville au monde à disposer d'une plate-forme numérique complète sur le câble (téléphone + télévision +accès Internet).

La tarification proposée est inférieure à celle pratiquée par France Télécom mais le nombre d'abonnés ne dépasse pas, pour l'instant, quelques centaines, le problème de la portabilité des numéros n'étant pas encore résolu.

Avec le recours aux techniques sans fil de radiocommunication (voir plus loin), la possibilité d'atteindre les abonnés des réseaux câblés constitue un moyen intéressant de concurrencer les opérateurs traditionnels de téléphone fixe sur la boucle locale (32( * )) où leurs positions sont très fortes.

Mais l'accès à Internet par le câble apparaît actuellement comme à la fois plus développé et plus attractif pour le grand public.

Des expériences sont menées :
n au Mans, à Strasbourg ou à Annecy, par Suez-Lyonnaise des Eaux ;

n à Nice par la NC- Numericâble, rachetée par Canal +, filiale de la Générale des Eaux ;

n à Saint-Quentin-en-Yvelines, par France Télécom ;

n enfin, à Metz, où il est déjà possible d'aller sur le Web à partir de son téléviseur, moyennant un boîtier spécial.
Les avantages du câble paraissent très attrayants, aussi bien du point de vue de la vitesse, localement quatre fois plus rapide (de l'ordre de 250 kilobit/s au lieu de 56 kilobit/s sur une ligne téléphonique) que du coût (forfaitaire, donc indépendant de la durée de la connexion).

Pour offrir ce service, les câblo-opérateurs doivent installer des routeurs dans leurs réseaux et des modems spéciaux chez leurs abonnés (qui se branchent sur leur ordinateur). La fabrication de ce dernier type de matériel, destiné au grand public, apparaît comme particulièrement stratégique. Or, selon un article paru dans " Usine Nouvelle " du 30 octobre 1997, les Américains n'en détiendraient plus le monopole, Alcatel en étant cité parmi les fournisseurs, au côté de Motorola et de bien d'autres.

La technique de modulation utilisée (QPSK) est bien connue des opérateurs de réseaux câblés.

L'offre d'accès à Internet sur les sites du Plan câble, propriété de France Télécom, a provoqué un différend entre l'opérateur public et les deux câblo-opérateurs concernés, Suez-Lyonnaise des Eaux et la Générale des Eaux, auxquels l'ART a donné raison.

Lyonnaise-câble devrait généraliser ce service sur tous ses réseaux, y compris Paris. Outre la téléphonie et l'accès à Internet, les réseaux câblés sont susceptibles de proposer, dans les années qui viennent, une multiplication de chaînes, grâce aux techniques de compression numériques, avec un certain nombre d'avantages par rapport aux solutions hertziennes terrestres ou satellitaires (le téléspectateur n'a pas besoin d'acquérir d'antennes ; un panachage entre les programmes des différents bouquets satellitaires peut être effectué ; la transition avec l'analogique est moins délicate : elle peut s'étendre progressivement et pose moins de problèmes de réserves de capacités de diffusion disponibles).

Il reste le problème des coûts, évalués, par exemple, à 2 milliards de francs, sur les cinq prochaines années, par Suez-Lyonnaise, s'il veut devenir le leader de l'offre numérique multiservices en France. Time Warner, pour sa part, a déjà dépensé 2 milliards de dollars, à des fins analogues, aux Etats-Unis (sur un investissement total évalué à 5milliards de dollars en 1993).

Le coût de l'adaptation des réseaux est, en France, relativement négligeable (moins de 10 millions de francs pour NC-Numericâble) sauf pour les réseaux de la génération IG de France Télécom. Il est, en revanche, élevé aux Etats-Unis. Pour la téléphonie sur le câble, l'expérience d'Annecy a montré qu'il fallait compter de 3.000 à 4.000 F par abonné (10.000 câblophones ont été commandés à Alcatel). Notons que la technologie actuelle des modems téléphoniques adaptés au câble (cablo-phone) requiert une architecture de réseau bien spécifique HFC (Hybride Fibre Coaxial) qui n'est pas disponible sur le plan câble. Ce problème risque d'augmenter les coûts. Mais c'est l'achat de décodeurs numériques, proposés ensuite à la location (pour moins de 50 F par mois) qui devrait grever le plus lourdement les budgets : Time Warner en a commandé 1 million, pour environ 500 millions de dollars, à Scientific Atlanta (fournisseur principal), Toshiba et Pioneer (sous licence), ainsi qu'à General Instrument.

Pour sa part, Lyonnaise-câble en a demandé 15.000 à la SAGEM (on voit la différence d'échelle !) à environ 2.500 F pièce.

Concernant l'accès à Internet, la Lyonnaise a rencontré des problèmes d'approvisionnement en modems, pour son expérience multicâble dans le 7 e arrondissement de Paris, par suite de la défection d'Intel.

Les investissements nécessaires ne sont ainsi pas négligeables pour une société comme la CGV, encore déficitaire de 300 millions de francs en 1996, mais dont 80 % des prises sont numérisées ou comme Lyonnaise câble, qui gère un parc de 135.000 décodeurs analogiques.

Toutefois, les 2 milliards de dépenses programmées par la Lyonnaise, forte de ses 500.000 abonnés, sont à comparer avec les 2,5 milliards du coût du programme de TPS qui compte à ce jour 390.000 abonnés alors qu'il lui en faudrait 700.000 pour rentrer dans ses frais. Lyonnaise câble, à peu près à l'équilibre en 1997, attend une rentabilité supérieure à 20 % de ses investissements.

Dans l'ensemble, les résultats du câble sont en progression en France, même s'ils restent modestes (2,2 millions d'abonnés à la fin du mois de juin 1997, soit + 10,76% en un an, mais ce qui correspond, seulement, à un tiers des foyers raccordés).