B. LE CAS BRITANNIQUE PRÉFIGURE-T-IL L'ÉVOLUTION EUROPÉENNE ?

Le marché britannique de l'assurance est " déréglementé " (absence de contrôle matériel) dans son fonctionnement depuis 1982, mais il est ouvert depuis toujours aux assureurs étrangers, d'où un profil d'offre très particulier (voir chapitre précédent) : un tiers du volume des affaires non-vie revient aux filiales et succursales étrangères. L'augmentation des implantations de succursales est importante dès 1982, année de l'entrée en vigueur de l'Insurance Company Act évoqué plus haut.

Les effets structurels de cette déréglementation ont été :

- un accroissement de la volatilité des résultats techniques et globaux de l'assurance britannique lié à la liberté budgétaire, qui a déclenché une pression à la baisse sur les tarifs ;

- l'évolution de la concurrence sur l'impulsion de nouveaux entrants et du risque accru de faillite : " dans un climat de déréglementation, la concurrence est arbitrée par les prix, les produits, les critères de souscription (dont l'étendue de la garantie), les formes innovatrices de distribution et la solvabilité " 127( * ) ;

- paradoxalement, la forte concentration sur le marché britannique s'est érodée au détriment des plus grands assureurs et au profit d'assureurs fortement spécialisés (sur un produit, une région ou selon un mode de distribution) ;

- la prise en compte accrue de la valeur actionnariale de l'entreprise, que la réduction des marges pousse vers une gestion nouvelle de ces capitaux et une productivité accrue ;

- la sélection des risques s'accroît sous le poids de la concurrence ;

- l'évolution du rapport qualité-prix et le dynamisme de l'offre se font au profit du consommateur, mais au risque, l'euro aidant ainsi que les comparaisons simplificatrices de la presse financière, d'accélérer le mouvement vers des produits d'assurance standards et bas de gamme en termes de garantie mais bon marché.

A ce stade, les effets de la déréglementation britannique de l'offre et de la liberté d'accès accrue sont encore faibles, comme le fait ressortir l'étude de la Cegos pour la Commission européenne " 128( * ) .

Bien que la liberté d'accès aux marchés nationaux sous forme de Lps ou d'établissement soit acquise pour certains risques depuis 1990 (comme les " grands risques ") et pour tous les risques depuis juillet 1994, sur cent entreprises interrogées par la Cegos :

- quatorze seulement pratiquent la libre prestation des services, qui sont spécialisées soit dans les grands risques, soit dans l'assurance-vie ;

- le flux de succursales (ou établissements) créées en vertu de la liberté d'établissement, a été plutôt négatif car les sociétés d'assurance préfèrent continuer à s'installer sous forme de filiales nationales comme elles le peuvent depuis 1973 et 1979, de sorte que le nombre total de succursales d'assurance de l'échantillon étudié par la Cegos en Europe n'a pas progressé :

Nombre total de filiales

 

Nombre total de succursales

1989

1994

 

1989

1994

210

232

 

162

161

Source : Single Market Review, Insurance.

Il aurait été préférable, évidemment, de bénéficier des chiffres un peu plus récents mais, sur son échantillon de cent entreprises, la Cegos ne pouvait aller plus loin en fonction des réponses fournies.

Les raisons évoquées pour cette faible utilisation des facilités offertes par la troisième génération de directives européennes sont que :

- la Lps ne correspond pas à la stratégie (61 % des réponses),

- des incertitudes légales sont encore associées à la Lps (29 %),

- il y a des problèmes de réglementation ou administratifs avec le pays hôte (25 %),

- des coûts spécifiques sont associés à la Lps : traduction, expertise fiscale.

D'une manière générale, les conséquences de la mise en place du marché européen de l'assurance ont été jusqu'à présent les suivantes :

- un mouvement de consolidation est effectivement observable, sans qu'il se traduise par une concentration accrue des marchés nationaux de l'assurance ;

- une tendance générale à la baisse des coûts d'exploitation est observée de 1989 à 1994 liée à la maturité des marchés 129( * ) ;

- de 1989 à 1995, la hausse médiane de la productivité (primes/employés) a été de 13,5 % en écus constants pour la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ;

- malgré cette hausse moyenne de la productivité, le ratio médian bénéfice net sur capital est passé de 12,06 % en 1979 à 9,5 % en 1995 (mais à partir d'un niveau de rentabilité élevée pour la moitié de l'échantillon en 1989) 130( * ) .

Les variations de tarifs assurantiels ont été jusqu'à présent loin de répondre aux objectifs du rapport Cecchini 131( * ) qui, en 1988, signalait l'importance des dispersions de prix entre pays pour les mêmes produits (voir tableau ci-dessous). Sur ce point, l'euro devrait être le véritable déclencheur du mouvement de convergence en rendant les comparaisons de tarifs plus faciles, sous réserve des différences contractuelles importantes qui demeurent et demeureront longtemps. En 1995, selon la Cegos, seules 5 sociétés (4 en 1989) sur 36 concernées ont choisi de vendre en Europe des produits identiques à des prix identiques.

Tableau 43

Divergence de prix pour un même produit d'assurance en Europe

 

Multiple

Pays les moins chers

Pays les plus chers

Assurance-vie

Multirisque habitation

Automobile

Vol et incendie

Risques industriels

2,45

2,25

2,98

4,06

2,89

Royaume-Uni

Belgique

Royaume-Uni

Luxembourg

Pays-Bas

Belgique-Italie

Royaume-Uni-Italie

Italie-Luxembourg

Italie-France

France-Italie

Source : rapport Cecchini

On est jusqu'à présent, comme le souligne l'étude Cegos, loin de l'effet de big bang auquel on pourrait penser eu égard à la quantité de commentaires sur les effets de la troisième génération de directives européennes.

Cependant, les priorités induites par l'existence du marché européen de l'assurance et la perspective de l'euro ont beaucoup évolué de 1989 à 1994 :

- le " re-engineering " et le raccourcissement des lignes hiérarchiques sont à l'oeuvre dans nombre d'entreprises ;

- le souci de réduction des coûts s'est accru (il concerne 83 % des entreprises en 1995, contre 66 % en 1989) ;

- l'objectif d'innovation et de restructuration de la gamme des produits et des services s'est généralisé (80 % en 1995, contre 61 % en 1989) 132( * ) .

Un certain nombre d'obstacles s'oppose encore à la pleine réalisation d'un marché unique de l'assurance 133( * ) .

- la persistance de différences, éventuellement importantes, au niveau de la fiscalité directe ou indirecte des prestations d'assurance (par exemple, déduction fiscale de primes d'assurances sur la vie réservée aux clients ayant souscrit leurs polices auprès d'assureurs nationaux comme la Belgique, le Danemark, l'Autriche et la Suède) ;

- le manque d'harmonisation des législations en matière de contrats, dont la convergence à ce stade paraît utopique.