2. L'éventail des propositions de réforme du financement de la protection sociale

2.1. Réduire le coût du travail non qualifié

La proposition faite par le rapport Malinvaud est une nouvelle réduction des cotisations sociales sur les bas salaires. Elle serait financée par une majoration des cotisations sur les hauts salaires. Les cotisations patronales seraient allégées jusqu'à deux fois le SMIC (au lieu de 1,3 fois actuellement) et accrues au-delà. Cette proposition est préférée à une baisse des cotisations, compensée par une hausse de la CSG ou de la TVA.

De nombreux travaux attirent l'attention sur la poursuite d'un tel "basculement" des cotisations sociales vers une CSG augmentée. En effet, une baisse des cotisations, compensée par une augmentation de la CSG alourdirait la charge relative du financement pesant sur les ménages : elle reviendrait à réaliser un transfert des ménages vers les entreprises. Sterdyniak et Villa (1998) soulignent à ce propos que "ce transfert provoquerait à coup sûr une chute de la consommation ; par contre, son impact sur l'investissement n'est pas assuré dans la mesure où les entreprises manquent actuellement plus de demande que de profit. Il provoquerait une baisse des coûts unitaires, donc des gains de compétitivité mais la France n'a guère besoin d'en rechercher alors qu'elle a déjà un excédent commercial important : la généralisation de cette stratégie en Europe enfoncerait encore la zone de stagnation, par manque de demande. La situation financière actuelle des entreprises est telle qu'il n'y a plus besoin d'augmenter la part des profits dans la valeur ajoutée (p. 167).

La proposition Malinvaud s'inscrit pour sa part dans la lignée des mesures d'ordre général visant à réduire le coût du travail pour réduire le taux naturel de chômage mises en oeuvre tout au long de la présente décennie. L'objectif visé est un effet de substitution décrit par la théorie néo-classique de la demande de travail. En considérant que le chômage structurel de masse touche avant tout les travailleurs non-qualifiés, la baisse du coût relatif du travail non-qualifié est censée modifier le comportement des entreprises dont on suppose qu'elles sont identiques (elles sont supposées avoir la même fonction de production et la même demande de travail). Rationnelles, les entreprises modifient alors leur combinaison productive en substituant du travail non-qualifié, dont le coût relatif s'est réduit, au capital et au travail qualifié, dont le coût relatif s'est élevé.

L'ambition du rapport était cependant de s'inscrire dans un cadre théorique plus large que celui des théories orthodoxes du chômage d'équilibre :

" la compétitivité des productions déterminera la profitabilité et les profits des entreprises : la gestion financière et réglementaire du gouvernement favorisera plus ou moins l'adaptation des entreprises et la productivité des salariés ; les marges dégagées sur les ventes pousseront plus ou moins la croissance des capacités de production ; les coûts relatifs influenceront la structure du système productif national et la combinaison agrégée des facteurs ; la conjoncture de la demande globale, tantôt favorable tantôt défavorable, modulera le contexte dans lequel ces divers facteurs opèreront " (Malinvaud. 1998, p. 35).

L'auteur voulait notamment tenir compte à la fois de la structure des coûts de production, objet de prédilection des explications en termes de chômage d'équilibre, et des facteurs influençant la croissance. Parmi ces derniers, on peut regretter que le rapport ne relie la croissance qu'aux perspectives de profit, réputées récompenser le risque d'entreprendre, selon une perspective schumpétérienne assumée (Malinvaud, 1998, ibid.), et délaisse l'analyse keynésienne des causes de l'instabilité de la croissance européenne. L'ensemble des facteurs expliquant la faiblesse structurelle de la croissance européenne, que nous prendrons en compte ultérieurement, n'est en effet pas intégré dans l'analyse.

Le diagnostic économique qu'établit le rapport Malinvaud repose alors sur deux points-clés :

- Dans leur choix de combinaison productive, les entreprises sont sensibles au coût relatif des facteurs, conformément aux hypothèses néo-classiques.

- L'investissement et l'innovation jouent un rôle central dans la croissance. Ils dépendent en grande partie de la récompense du risque que représente le profit

Le coeur de la proposition du rapport Malinvaud consiste par conséquent à réduire le coût du travail non-qualifié sans modifier l'évolution acquise de la répartition salaire-profit dans chaque entreprise pour ne pas détériorer l'investissement.

Il en résulte que toute baisse du coût relatif du travail non-qualifié est censée susciter des créations d'emplois à la mesure des travailleurs non-qualifiés. Tout prélèvement alourdissant le coût du capital et tout prélèvement sur le profit pur jouent à long terme contre l'innovation technologique et l'investissement.

L'état des lieux des études ayant procédé à l'évaluation de ces mesures a été exposé en deuxième partie de ce rapport. Le rapport Malinvaud prévient néanmoins que les effets seront "lents à se manifester" et propose une projection de long terme. Le modèle utilisé par Malinvaud pour aboutir à cette conclusion est controversé (Sterdyniak et Villa, 1998). Il sera discuté ultérieurement. Rappelons ici que les travaux empiriques exposés en deuxième partie ne valident pas de façon formelle les hypothèses permettant de construire une théorie générale du chômage ayant pour cause essentielle l'excès du coût du travail qualifié et non-qualifié.

Nous avons vu que les mesures d'ordre général de réduction du coût du travail (hors mesures ciblées) coûtent quelques quarante milliards au budget de l'Etat, avec des effets controversés sur l'emploi.

Pour être efficace, la mesure Malinvaud suppose deux conditions :

- Qu'il existe un excès de demande de travail qualifié, ce qui n'est pas le cas.

- Que l'élasticité ( i.e . la sensibilité) de la demande de travail à son coût soit forte, ce qui nous l'avons vu au chapitre 3, n'est pas le cas en France, tant pour le travail qualifié que le travail non-qualifié.

Dans la mesure où elles ne distinguent pas la situation des différentes entreprises, mais sont accordées selon le type de main d'oeuvre utilisée, ces dispositifs sont porteurs d'importants effets pervers.

Leur principal inconvénient est d'ignorer la pluralité des logiques d'entreprises. Ces mesures risquent donc d'être accordées sans tenir compte des besoins financiers réels des entreprises et sont susceptibles de provoquer certains effets pervers. En particulier, trois effets pervers (parmi les quarante effets possible des aides à l'emploi exposées en deuxième partie) sont susceptibles de se produire.

Les effets d'aubaine se produisent lorsqu'une entreprise qui bénéficie d'un dispositif aurait de toute façon procédé aux embauches correspondantes. Les flux financiers accordés aboutissent alors à améliorer la situation financière de l'entreprise sans que l'impact sur l'emploi soit évident.

Les effets de substitution se produisent lorsqu'une entreprise substitue le type de main d'oeuvre faisant l'objet du dispositif à un autre type de main d'oeuvre avec un effet neutre sur l'emploi. Seule, la structure de l'emploi se modifie, mais au détriment de l'emploi qualifié, si les dispositifs allègent le coût du travail non-qualifié et alourdissent le coût du travail qualifié.

Enfin les effets de seuil se produisent inévitablement : au-delà du niveau de salaire faisant l'objet de l'exonération, le coût du travail s'alourdit considérablement. Ceci risque d'entretenir une "trappe à bas salaires". Puisque la mesure favorise les embauches à bas salaires (en raison de l'aubaine qu'elle représente et de l'effet de substitution qu'elle engendre), toute embauche (ou toute promotion) supérieure au seuil défini (1,3 fois le SMIC aujourd'hui, deux fois le SMIC chez Malinvaud) devient si coûteuse que l'entreprise a intérêt à ne verser que des salaires inférieurs à ce seuil.

C'est pourquoi une réflexion s'est développée autour de l'élaboration d'une assiette de prélèvements sociaux qui tienne compte à la fois de la situation financière des entreprises et de leur attitude vis-à-vis de l'emploi. Elle a non seulement fait l'objet d'une réflexion de la part des pouvoirs publics, dans le cadre du rapport Chadelat (1997), mais se développe depuis longtemps déjà parmi les acteurs syndicaux, mutualistes et politiques.

2.2 Prendre en compte la stratégie en matière d'emploi et la situation comptable des entreprises

Le débat sur la recherche d'un mode de financement plus favorable à l'emploi que celui reposant sur l'actuelle assiette salaire étendue par la CSG et le RDS a été relancé à l'occasion d'un rapport commandé à Jean-François Chadelat par le premier ministre au lendemain de sa nomination en juin 1997.

L'argument central développé par le rapport Chadelat n'est au fond pas fondamentalement différent de celui du rapport Malinvaud, ni de celui des partisans d'une baisse du coût relatif du travail par rapport au coût du capital, " le système français de sécurité sociale reste aujourd'hui très majoritairement financé par des cotisations assises sur les revenus du travail, et principalement sur les salaires. En conséquence, il pèse sur le coût du travail et pénalise donc l'emploi, particulièrement l'emploi non-qualifié qui est le plus sensible et le plus touché " (Chadelat, 1997. p. 3). Le diagnostic de Sterdyniak et Villa (1998) n'est pas substantiellement différent S'ils reconnaissent, nous l'avons vu ci-dessus (en 2.1 ). que la part des profits dans la valeur ajoutée est sans doute excessive, ils se rallient néanmoins à l'hypothèse selon laquelle il existerait un problème de coût du travail non-qualifié. Ils défendent l'idée qu'une réforme devrait avoir pour objectif de modifier la structure des coûts relatifs en faveur du travail sans modifier le profit pur moyen des entreprises Ils proposent alors une solution intermédiaire, en l'occurrence le remplacement des cotisations employeurs maladie et famille par une contribution sur la valeur ajoutée exonérant la partie des salaires inférieure au SMIC.

Si tel était le diagnostic, somme toute similaire à celui du rapport Malinvaud, Edmond Malinvaud aurait raison de conclure qu'une baisse générale des cotisations sociales sur les bas salaires est plus simple à mettre en place. Elle est plus lisible et ne modifie pas le partage des revenus au détriment des profits.

Si l'on adopte le diagnostic économique que nous avons établi, le motif central justifiant une réforme des cotisations patronales est ailleurs. Certes, globalement, les changements de mode de financement proposés le rapport Chadelat auraient pour effet, selon les cas envisagés, de modifier plus ou moins la structure des coûts relatifs (c'est-à-dire de provoquer une baisse du coût du travail par rapport au coût du capital). Mais le présent rapport a soutenu que la cause essentielle du chômage tenait moins dans des rigidités du marché du travail (désormais estompées), notamment celles pesant sur le coût du travail, que dans une norme de partage des revenus s'effectuant au détriment de la croissance et de l'emploi. Pour y remédier, les pouvoirs publics disposent de plusieurs instruments pour déplacer le curseur du partage des revenus. L'inflexion du partage des revenus est en premier lieu du ressort de la politique salariale (la désindexation des salaires sur les prix a ainsi contribué au rétablissement des taux de marge), voire des mesures instaurant une nouvelle norme de temps de travail, point qui sera traité au chapitre suivant. Enfin, si problème de coût du travail il y a localement ou sectoriellement, il s'agit d'identifier les entreprises qui en sont victimes, ce que ne peut réaliser une mesure d'ordre général d'abaissement du coût du travail.

La fiscalité est alors un moyen, parmi d'autres, dont les pouvoirs publics doivent pouvoir se saisir pour infléchir la norme de répartition des revenus, en tenant compte de l'hétérogénéité des situations des entreprises. Ceci revient à procéder à un transfert visant à subventionner les entreprises dynamiques en matière d'emploi en ponctionnant les entreprises dont la part des profits dans la valeur ajoutée est excessive.

Dans cette perspective, la réforme du financement de la protection sociale doit avant tout viser à moduler la répartition de la charge du financement de la sécurité sociale entre les entreprises selon leur stratégie en matière d'emploi et leur situation comptable plutôt qu'à accroître la part globale du financement par les entreprises. Ce principe n'exclut évidemment pas un débat éventuel sur la part relative de chaque catégorie de revenu dans le financement futur de la protection sociale.

Les propositions du rapport Chadelat méritent alors d'être étudiées à cette aune, si l'on considère que l'effet d'une réflexion en faveur d'une assiette valeur ajoutée est avant tout d'infléchir la répartition des revenus entre salaire et profit autant que de réduire le coût relatif capital-travail selon la politique de l'entreprise. Les avantages et les inconvénients seront présentés, pour chaque type de proposition.

2.2.1. Les assiettes valeur ajoutée et dérivées

L'assiette Valeur Ajoutée

Le premier type de proposition consiste à modifier radicalement l'assiette des cotisations patronales en substituant à l'assiette salaire une assiette reposant sur la valeur ajoutée des entreprises. Le rapport Chadelat (1997) proposait ainsi de retenir la définition fiscale de la valeur ajoutée utilisée pour le plafonnement de la taxe professionnelle (article 1647 B du code général des impôts) : "l'excédent hors taxe de la production sur les consommations de biens et services en provenance de tiers". Il préconisait le transfert progressif des 12,8 points de cotisations patronales d'assurance maladie sur une nouvelle contribution assise sur la valeur ajoutée. Ce transfert se traduit par une taxe de l'ordre de 9,2 %, appliquée à une telle assiette pour chaque entreprise. C'est ce que nécessiterait la suppression de l'ensemble des cotisations employeurs afin de prélever 440 milliards.

Le champ d'application serait, dans un premier temps, limité au secteur marchand 75 ( * ) . Une telle assiette équivaudrait à instaurer une sorte de CSG-entreprise assise sur la valeur ajoutée. Des assiettes dérivées étaient également à l'étude, ayant pour objectif de construire une assiette de prélèvements sociaux en fonction du profit (brut ou net) d'exploitation des entreprises.

L'assiette valeur ajoutée posséderait selon le rapport Chadelat les avantages suivants :

- Elle évolue, selon le rapport Chadelat, au même rythme que le PIB, c'est-à-dire la somme des valeurs ajoutées, alors que l'assiette salaire tend à diminuer à raison de la diminution de la part des salaires dans la valeur ajoutée. L'assiette valeur ajoutée est donc plus appropriée à l'objectif d'une régulation des finances sociales. Le rapport Malinvaud défend au contraire l'hypothèse d'une stabilité à long terme de la part des revenus dans la valeur ajoutée et soutient que la valeur ajoutée subira des fluctuations conjoncturelles plus importantes que celles affectant la masse salariale. Sur la période récente, le rapport Chadelat ne fait qu'établir le constat que ne rejette pas le rapport Malinvaud de l'évolution à la baisse de la part des salaires dans le revenu national durant les quinze dernières années. Ajoutons qu'une telle assiette fournirait une solution de rechange au cas où certains partenaires sociaux renonceraient à la gestion partiaire de la sécurité sociale 76 ( * ) . Il reviendrait alors aux pouvoirs publics de définir une nouvelle assiette fiscale appropriée.

Quant aux effets sur l'emploi :

- A court terme, l'effet baisse du coût relatif du travail joue : en se substituant à l'assiette salaire (complètement ou partiellement lorsqu'une baisse des cotisations sociales est compensée par une contribution sur la valeur ajoutée), l'assiette VA réduit le poids des cotisations sociales dans le coût du travail et ralentit la substitution du capital au travail.

- A moyen-long terme, ce n'est pas tant un effet coût relatif qui joue que la répartition de la charge de financement de la sécurité sociale parmi les entreprises. L'assiette VA répartit en effet la charge de financement de la sécurité sociale sur les deux facteurs de production, travail et capital, en proportion de leur contribution à la formation de la valeur ajoutée. C'est donc la répartition de la charge parmi les entreprises qui est modifiée et non pas la charge globale des entreprises : la réforme provoque un transfert des entreprises fortement capitalistiques vers les entreprises riches en main d'oeuvre. Au plan macro-économique, la rentabilité des entreprises n'est pas touchée. A court terme, la taxation supplémentaire du capital (173 milliards) est compensée par la réduction de la taxation du travail de telle sorte que la charge totale des entreprises n'est pas affectée. A moyen terme, le taux de profit après impôt est inchangé, mais les entreprises utilisent plus de travail que de capital , (Sterdyniak et Villa, 1998. p. 175). Cette hypothèse de neutralité vis-à-vis de la rentabilité des entreprises, défendue par Sterdyniak et Villa (1998. p. 175), est contestée dans le rapport Malinvaud au titre des inconvénients majeurs de l'assiette valeur ajoutée.

Les inconvénients de l'assiette valeur ajoutée et de ses dérivées sont les suivants :

- Le rapport Malinvaud souligne tout d'abord que l'assiette valeur ajoutée aurait en effet l'inconvénient de ne pas distinguer la dépréciation du capital, le coût d'usage du capital proprement dit et le profit pur.

- Cette assiette risque de peser sur l'investissement, ce que souligne surtout le rapport Malinvaud. Dans la mesure où se produit un transfert des entreprises capitalistiques vers les entreprises utilisant beaucoup de travail, un tel transfert est susceptible de freiner l'innovation. Ainsi. " du fait du prélèvement qu'il introduirait sur le profit hors intérêt du capital, le recours à une assiette valeur ajoutée risquerait d'affecter défavorablement le dynamisme des entreprises françaises, surtout celui des plus innovantes "(Malinvaud, 1998, p 52). Ce problème est néanmoins atténué si l'on considère le rétablissement de la situation financière des entreprises, d'autant que le rapport Malinvaud ajoute immédiatement après : " Nous manquons malheureusement de base pour avoir une idée grossière de cet effet" (ibid.).

- L'assiette valeur ajoutée serait pénalisante pour les secteurs soumis à la concurrence internationale et tentés par les "délocalisations". Ce que reconnaît le rapport Chadelat. Au sens strict, les délocalisations, entendues comme investissements directs en direction des Nouveaux Pays Industrialisés, ne représentent néanmoins que 3 % des investissements français à l'étranger.

- Elle ferait l'objet d'un risque d'évasion fiscale plus importante que l'assiette salaire, plus facilement contrôlable. Ce risque est cependant inhérent à tout prélèvement fiscal. Le rapport Chadelat propose que le recouvrement de cet impôt soit confié aux services fiscaux, mieux armés que l'URSSAF pour contrôler la valeur ajoutée des entreprises.

Selon le rapport Chadelat, les inconvénients de l'assiette VA seraient amplifiés pour les assiettes EBE ou bénéfice fiscal (c'est-à-dire l'assiette de l'impôt sur les sociétés).

Les assiettes dérivées de la Valeur Ajoutée

Une assiette de type Excédent Brut d'Exploitation (Chiffre d'Affaire - Masse Salariale) est souvent défendue parce qu'elle reviendrait à taxer directement le montant du profit brut de l'entreprise : les entreprises dont la part de la masse salariale dans le chiffre d'affaire est importante seraient moins mises à contribution (autrement dit celles qui ont utilisé leurs profits pour augmenter les salaires et/ou l'emploi).

Cette assiette possède les mêmes avantages que l'assiette valeur ajoutée.

Elle engendre un effet supérieur sur l'emploi en abaissant de coût relatif du travail pour les entreprises riches en main d'oeuvre. A la différence de l'assiette valeur ajoutée qui est relativement neutre à moyen-long terme quant à la structure des coûts de production, l'assiette EBE alourdirait le coût du capital par rapport au coût du travail, ce qui stimule la demande de travail au détriment de la demande de capital.

Cette réforme aurait pour effet de taxer directement l'une des sources des revenus du capital. en l'occurrence les profits d'exploitation non investis dans la sphère réelle et alimentant l'épargne financière des entreprises. Les revenus financiers à proprement parler ne figurent cependant pas dans le compte de résultat des entreprises. Les intégrer dans l'assiette de financement de la protection sociale supposerait d'élargir l'assiette actuelle à cette catégorie de revenus.

Les inconvénients de cette assiette sont les suivants :

- Sa taille est plus réduite que l'assiette valeur ajoutée. Par conséquent le taux facial de contribution devrait être plus élevé, ce qui accroît le risque d'évasion fiscale. Pour faire apparaître un taux de contribution de 9.2% (celui prévu dans le cas d'une assiette valeur ajoutée), il faudrait maintenir une partie des cotisations employeurs assises sur les salaires : une taxe de 9.2 % sur l'EBE pourrait être mise en place avec une réduction de 18,2 à 11,1 % des cotisations employeurs. Tout comme dans le cas d'une contribution sur la valeur ajoutée, 173 milliards seraient alors prélevés sur le capital au lieu de peser sur le travail.

- Elle taxe indifféremment les entreprises qui, à profit brut équivalent, utilisent leurs surplus à des fins différentes, les unes pour l'investissement réel, les autres pour la croissance financière et la spéculation.

Un indicateur de type Résultat net (tel que le bénéfice fiscal) permettrait de donner une estimation des investissements (immobilisations et amortissement) réalisés au cours de l'exercice. Elle constitue la base de l'impôt sur les sociétés. Sa mise en oeuvre reviendrait à substituer aux cotisations sociales un relèvement de l'IS. Elle n'intègre cependant pas les revenus financiers des entreprises, puisqu'ils ne figurent pas dans le compte de résultat. Une telle assiette, critiquée par Malinvaud, pour les raisons indiquées ci-dessus, est aussi écartée par le rapport Chadelat parce qu'elle amplifie, tout comme l'assiette EBE, les inconvénients de l'assiette valeur ajoutée. Cette assiette subirait, selon l'auteur, les mêmes inconvénients que ceux de l'assiette valeur ajoutée. Elle est beaucoup plus fluctuante et difficile à prévoir. En raison de l'étroitesse d'une telle assiette (assimilable, rappelons-le à l'assiette de l'impôt sur les sociétés), le rapport Malinvaud souligne qu'une seule baisse de 3% des cotisations sociales devra être compensée par un relèvement de 20 points du prélèvement sur l'assiette IS. Malinvaud ajoute qu'en raison du prélèvement introduit sur le profit hors intérêt du capital, le recours à l'assiette valeur ajoutée risquerait d'affecter le dynamisme des entreprises les plus innovantes en alourdissant le coût du capital. D'autre part, l'effet serait lent (tout comme, cependant, dans le cas d'une réduction des cotisations sur les bas salaires) et ne serait bénéfique que pour une partie des entreprises, celles dont les profits ne seraient pas affectés.

Rappelons le néanmoins, au-delà des difficultés techniques inhérentes à tout changement d'assiette, les arguments du rapport Malinvaud tombent si le problème macro-économique fondamental n'est pas une insuffisance de profitabilité des entreprises, mais une norme de répartition des revenus excessivement favorables, dans certains cas, à des profits d'exploitation non nécessairement réinvestis dans la sphère réelle.

2.2.2. Moduler les cotisations patronales assises sur les salaires en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée

Le rapport Chadelat établit une deuxième proposition : conserver une assiette salaire, mais moduler les cotisations patronales en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée de chaque entreprise. Cette proposition revient à taxer les entreprises dont la part des profits est jugée excessive, à l'instar de l'assiette EBE. Elle en contourne toutefois certains inconvénients, techniques et économiques. Parmi les avantages économiques, le principal est que ce n'est pas directement le profit qui est taxé, mais la masse salariale des entreprises profitables qui ne créent pas d'emplois qui sont mis à contribution. La critique portant sur le risque de taxer les entreprises technologiquement innovantes tombe dans ce cas.

Trois modalités sont envisagées dans le rapport Chadelat (ibid.) :

- Une modulation nationale : un plancher de référence serait défini en prenant pour référence un ratio masse salariale/valeur ajoutée dont les valeurs serait comprise dans une fourchette définissant une plage neutre où le taux de cotisations resterait inchangé. En deçà de ce plancher, le taux de cotisation augmenterait progressivement jusqu'à un certain seuil (fixé à - 5% du ration de référence par le rapport Chadelat). Au delà de ce plancher, le taux de cotisation serait dégressif jusqu'à un seuil de + 5% du ratio de référence.

- Une modulation sectorielle : le ratio de référence serait défini par la moyenne du ratio de la part des salaires dans la valeur ajoutée du secteur.

Une modulation intertemporelle : le taux de cotisation augmenterait puis diminuerait selon l'évolution du ratio masse salariale/valeur ajoutée de chaque entreprise dans le temps.

L'inconvénient des deux premières modulation est qu'elles raisonnent en statique, c'est-à-dire un l'instant, sans tenir compte de la politique d'emploi de l'entreprise dans le temps. La deuxième assiette possède l'avantage sur la première de tenir compte des spécificités sectorielles de gestion de la main d'oeuvre. La troisième solution possède l'avantage de tenir compte de l'évolution de la part des salaires dans la valeur ajoutée dans le temps. De la sorte, une entreprise dont la part des profits est importante, mais qui les utilisent à la fois pour l'investissement et pour l'emploi, ne se verrait pas pénalisée.

Le rapport Chadelat privilégie la première solution. Elle ne présente pas de difficultés majeures de mise en pratique ; elle est beaucoup plus simple qu'un changement radical d'assiette. Ses avantages économiques sont de trois ordres :

- Le prélèvement augmente automatiquement pour les entreprises employant peu de main d'oeuvre.

- Le prélèvement est favorable à l'emploi. Les entreprises bénéficient d'une réduction de cotisations au-delà d'un certain niveau d'emploi, à valeur ajoutée constante.

- Les transferts de charges entre les entreprises sont plus limités que dans le cas d'une assiette valeur ajoutée. L'assiette valeur ajoutée modifie les contributions de toutes les entreprises, alors que la modulation ne touche que les entreprises les plus éloignées de la norme de référence.

Cette proposition a par ailleurs l'avantage de veiller à la préservation de la logique assurancielle, associée à l'assiette salaire, à laquelle certains syndicats sont attachés, tout en mettant à contribution les entreprises qui ont ajusté à la baisse la masse salariale sans taxer le profit des entreprises innovantes qui ont créé des emplois. Elle pourrait être assortie d'une extension de l'assiette de financement à d'autres catégories de revenus, tels les revenus financiers des entreprises, qui ne figurent pas dans le compte de résultat des entreprises.

2.2.3. Moduler les contributions sur la base d'une assiette valeur ajoutée ou dérivée

Cela a été souligné, le principal inconvénient économique des assiettes valeur ajoutée et dérivées de la valeur ajoutée est qu'elles ne permettent pas de distinguer les entreprises selon la nature de l'utilisation qu'elles font de leurs profits d'exploitation (par exemple selon qu'elles le convertissent en investissement ou qu'elles s'engagent dans des stratégies de croissance financière). Ces réformes risquent alors de ralentir l'investissement, en taxant involontairement les entreprises qui pourraient avoir l'intention d'utiliser leurs excédents d'exploitation pour l'investissement futur.

Un dernier scénario, inexploré dans le rapport Chadelat, pourrait être celui d'une modulation des contributions assises sur une assiette valeur ajoutée, plus large que l'assiette de l'IS, selon un ratio mesurant la part des salaires dans la valeur ajoutée de chaque entreprise. A côté des propriétés de l'assiette valeur ajoutée, la modulation introduit un élément de progressivité dans le prélèvement en fonction de la politique de l'emploi de la firme et non pas en fonction du montant total du profit brut réalisé. Les entreprises réalisant du profit et l'utilisant pour améliorer la situation de l'emploi bénéficieraient d'un taux de contribution plus faible que les autres. Une modulation des contributions sur la base d'une telle assiette éviterait les effets pervers, soulignés plus haut, quant à la contrainte que ferait peser sur les entreprises profitables innovantes un prélèvement non-modulé sur la base d'une telle assiette.

Le ratio de référence pourrait être le ratio masse salariale sur valeur ajoutée proposé ci-dessus par Chadelat pour le scénario modulation des cotisations patronales assises sur les salaires.

Pour évaluer rigoureusement l'efficacité comparée en termes d'emplois de chaque type de proposition, il faut alors procéder à des simulations tenant compte des effets de court terme et de long terme de chaque mesure.

* 75 En seraient exclus les administrations publiques, les associations, les emplois familiaux, les exploitants agricoles et les entreprises ayant une valeur ajoutée inférieure à 3 millions de francs. La valeur ajoutée des grandes entreprises nationales et les coopératives agricoles seraient incluses dans l'assiette.

* 76 "I.e Medef a ainsi brandi a plusieurs reprises la menace de se retirer du financement de la sécurité sociale.

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