CHAPITRE 6 - LA RÉDUCTION DE LA DURÉE COLLECTIVE DU TRAVAIL A 35 HEURES

L'objectif de ce chapitre est d'évaluer les effets de la loi Aubry sur dialogue social dans les branches et les entreprises en matière de réduction du temps de travail (RTT).

Le succès de la loi est mesuré à l'aune de trois critères : l'effectivité d'une réduction de la durée du travail à 35 heures, les types de réorganisation du travail qui lui sont associés, le nombre de créations d'emplois.

La nécessité de prendre conjointement en compte ces dimensions, vient du fait que cette mesure législative s'inscrit dans une optique bien précise. Elle considère d'une part qu'il faut un mouvement global et massif de RTT pour que cette réduction ait un impact sur l'emploi (ordonnance de 1982). Elle considère d'autre part que, pour atteindre son objectif en matière de création d'emplois, la loi doit s'accompagner d'un processus négocié et décentralisé de la réduction du temps de travail aux niveaux des branches et des entreprises, cette négociation étant nécessaire pour sa mise en oeuvre effective et adaptée.

Les effets en termes de réduction du chômage de la réduction du temps de travail ne peuvent être analysés sans appréhender les différentes approches des entreprises en matière de recherche de compétitivité. En effet, selon les manières dont les entreprises vont se saisir de la loi, ce n'est pas le nombre annoncé d'emplois créés ou maintenus ou la nature offensive ou défensive de l'accord ou encore la fréquence des accords signés, qui apparaissent être les meilleurs indicateurs de l'effet potentiel du choc de la réduction du temps de travail sur l'évolution structurelle de l'emploi. L'essentiel en la matière sera leurs effets potentiels sur la compétitivité et la viabilité de l'entreprise à moyen long terme. C'est pourquoi il est indispensable de réinterpréter ces accords de ce point de vue. Cette viabilité dépend elle-même de l'évolution des exigences productives pour conquérir des nouveaux marchés et des nouveaux des clients, ainsi que des capacités collectives à construire de nouveau processus de production, au niveau de la firme et entre les firmes dans un même secteur ou territoire, notamment en liaison avec des modalités d'action publique territorialisées.

Dans un premier temps, nous dressons un bilan analytique des accords de branche et des accords d'entreprises sur l'application du dispositif de réduction du temps de travail et de création d'emplois. Dans ce cadre, les principales caractéristiques "sociétales" 79 ( * ) de la négociation collective à la Française sont mises en perspectives pour expliciter les facteurs d'impulsion ou de blocage de l'application de la loi Aubry sur la réduction du temps de travail.

Dans un second temps, afin d'appréhender les effets potentiels des accords négociés sur la viabilité des emplois crées ou maintenus selon des stratégies spécifiques d'entreprises, nous présentons une typologie des accords de branche et d'entreprise selon le modèle analytique retenu que nous aurons précisé au préalable.

Dans un troisième temps, sur la base de ces premières évaluations, nous mettons en perspective les opportunités et les effets pervers de ce dispositif d'aide publique, en s'appuyant sur des cas illustratifs d'entreprises qui sont en train ou qui ont déjà signé un accord sur les 35 heures.

Enfin, différentes recommandations sont avancées dans la perspective de la seconde loi qui doit fixer les conditions définitives du passage aux 35 heures.

Après la seconde loi, une aide structurelle d'un montant de 5 000 F serait accordée à toutes tes entreprises qui décident de réduire leur temps de travail à 35 heures.

Modalités d'application de la loi AUBRY du 16 juin 1998 80 ( * )

La loi du 16 juin 1998 prévoit la mise en oeuvre d'un dispositif de réduction du temps de travail en deux étapes, qui joue sur trois registres de l'intervention publique :

- une réduction de la durée légale du travail hebdomadaire à 35 heures au 1 er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 50 salariés (9 millions de salariés) et au 1 er janvier 2002 pour toutes les entreprises (13 millions de salariés). La durée légale s'applique à l'ensemble des entreprises privés industrielles et commerciales, aux entreprises publiques qui ne relèvent pas du secteur des transports, des établissements publics à caractère industriel et commercial, des offices publics et ministériels, les professions libérales, les sociétés civiles, les associations, les établissements privés et les établissements familiaux et coopératifs.

- la possibilité pour les organisations syndicales et patronales de négocier les modalités de la réduction collective du travail, pour proposer les compromis les plus favorables à l'emploi et les plus adaptés aux besoins de réorganisation des entreprises. Cette procédure contractuelle peut s'opérer par la signature d'accords de branche étendus ou d'accords d'entreprise. La loi ouvre aussi la possibilité que les accords d'entreprises soient signés pas seulement par les délégués syndicaux, mais aussi par des salariés mandatés par une organisation syndicale représentative au niveau national.

- la mise en place d'un dispositif d'aide publique pour les entreprises qui s'impliquent avant la seconde loi dans la négociation d'une réduction d'au moins 10 % de la durée collective du travail et dans la réalisation d'embauches d'au moins 6 % des effectifs concernés. Celte incitation financière, sous forme d'abattement forfaitaire dégressif, correspond à un montant d'aide moyen de 7 000 francs sur 5 ans. L'aide financière dont les conditions sont fixées dans une convention entre l'entreprise et l'État (échéances de la RTT. modalités d'organisations et de décompte du temps de travail), est soumis à la signature d'accord d'entreprise.

L'aide pourra être majorée de 4 000 F par an et par salarié lorsque la réduction d'horaire atteint au moins 15 % et que l'entreprise accroît ses effectifs d'au moins 9 %.

Ce dispositif d'incitation financière ne peut être appliqué à certains organismes publics dépendants de l'État, du fait de leur monopole d'activité.

1. Une dynamique contractuelle au milieu du guet

La loi Aubry du 16 juin 1998 invite les partenaires sociaux des branches et des entreprises à s'impliquer dans la négociation d'une réduction de la durée du travail à 35 heures.

Le temps de travail, un objet régulier de la négociation d'entreprise

En matière de réduction et d'aménagement du temps de travail, le niveau organisationnel de l'entreprise et des établissements constitue un lieu central d'élaboration et de négociation de règles de gestion du travail.

A l'inverse, la branche ne représente pas un médiateur privilégié des politiques publiques de réduction du temps de travail, ni un niveau de négociation très innovant sur le temps de travail. Les organisations patronales de branche s'impliquent à minima sur la question de la réduction du temps de travail, préférant impulser des accords dérogatoires sur les procédures d'ATT, en renvoyant l'essentiel de la négociation sur le contenu et les modalités d'organisation du temps de travail au niveau des entreprises (Mirochnitchenko, 1999).

Ainsi, depuis le milieu des années 1980, le temps de travail est un objet régulier de la négociation d'entreprise, précédant celui des salaires 81 ( * ) . Les différentes mesures législatives engagées sur le temps de travail (loi Seguin de 1987, loi quinquennale de 1993, loi Robien de 1996) s'inscrivent essentiellement dans une logique d'aménagement du temps de travail. Elles privilégient le développement d'une contractualisation à l'intérieur de l'entreprise (négociation d'entreprise, mandatement syndical, accords dérogatoires d'entreprise, aménagement du temps de travail par le contrat de travail), et d'une contractualisation directe entre l'entreprise et l'État (aide financière). La multiplication des accords d'entreprise sur le temps de travail participe d'un mouvement plus général de décentralisation de la négociation collective au niveau de l'entreprise.

1.1. Les accords de branche sur les 35 heures

Le CNPF avait dénoncé de façon virulente le projet de réduction de la durée légale du travail. Jean Gandois avait été contraint à démissionner lors de cet épisode. Il fut remplacé par Ernest-Antoine Seillière à la tête du Medef. Par la suite, la stratégie patronale adoptée a été de mobiliser largement les accords de branche pour pousser le gouvernement à prendre en compte les procédures particulières de réduction et d'aménagement du temps de travail des branches et considérer l'objectif de flexibilité du travail.

La convention de branche, un niveau central de la régulation sociale en crise

En France, la branche occupe traditionnellement une place importante dans la régulation du système de relations professionnelles et dans la création de règles conventionnelles (Saglio, 1987). Elle constitue un espace conventionnel d'homogénéisation des conditions de travail des salariés (salaires, classification) et de diffusion d'une norme d'emploi fordienne (Boyer, 1986).

Toutefois, les organisations professionnelles intermédiaires demeurent très hétérogènes et peu structurées, à l'inverse de la situation allemande. Ainsi, les négociations de branche font le plus souvent office de "lois supplémentaires négociées", dans le sens où les dispositions conventionnelles de portée générale sont très proches des règles légales minimales (Bonafé-Schmitt, 1988).

Depuis le début des années 1980, le niveau de la branche constitue plus difficilement un niveau intermédiaire de régulation sociale entre les normes publiques générales et les politiques de gestion de main-d'oeuvre des entreprises (Mirochnitchenko, 1999). D'une part, la dynamique des négociations de branche s'essouffle par rapport aux accords d'entreprise. La décentralisation de la négociation au niveau de l'entreprise s'opère sans une réelle articulation avec le niveau de la branche. D'autre part, la politique contractuelle de branche révèle le déséquilibre du rapport de force entre les partenaires sociaux avec, d'un côté l'offensivité des politiques sociales patronales et de l'autre, la faible construction et homogénéité des revendications syndicales.

1.1.1 Principales caractéristiques des accords de branche de réduction du temps de travail

Plus de 30 % des salariés du privé sont concernés par un accord de branche Aubry

Au milieu du mois de février 1999, près de 40 branches sur 172 concernées s'étaient impliquées dans un accord de mise en oeuvre des 35 h.

Ces accords couvrent près de 5 millions de salariés sur les 13 millions de salariés du secteur privé. L'accord métallurgie signé le 28 juillet 1998, soit 1,8 millions de salariés concernés, qui n'a pas bénéficié de la procédure d'extension du ministère du Travail (cf. encadré) n'a pas été comptabilisé dans ce bilan des accords de branche.

Certaines branches de taille importante ont déjà négocié un accord Aubry. On peut signaler les accords de l'industrie textile (143 000 salariés), des services automobiles (400 000 salariés), du Bâtiment et Travaux Publics (1,1 million de salariés), de la grande distribution (600 000 salariés), de la banque (200 000 salariés), ou encore de la chimie (96 000 salariés).

Par contre, pour l'instant le secteur de l'assurance n'a entamé aucune discussion sur la RTT ; la Fédération patronale (FFSA) refuse de s'impliquer dans des négociations de branche sur les 35 heures, reportant cette dynamique au niveau des entreprises.

Les types d'accords de branche prévus par la loi Aubry

Le dispositif Aubry prévoit deux types d'accords de branche :

- Des "accords-cadres", qui fixent les orientations générales et renvoient les conditions d'application de la RTT au niveau des entreprises

Des "accords d'accès direct", qui sont directement applicables aux entreprises dont les effectifs sont inférieurs à 50 salariés. A ce jour, deux accords de ce type ont été signés : l'accord de la branche du bâtiment artisanal (Capeb) et du secteur de l'agriculture (FNSEA). De la même façon, l'union professionnelle artisanale du Tarn est signataire d'un accord de la RTT qui pourra concerner près de 4 000 salariés des 700 entreprises membres de l'union.

La dynamique contractuelle engagée par la loi Aubry au niveau des branches est d'ampleur moyenne mais non-négligeable en comparaison des précédentes impulsions législatives en matière de temps de travail. Suite à l'ordonnance de janvier 1982 sur les 39 heures relayant elle même l'accord interprofessionnel de juillet 1981, près de 67 accords de branche d'application de cette mesure législative ont été négociés de janvier à mai 1982, couvrant près de 8,3 millions de salariés 82 ( * ) . Toutefois, l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 sur l'annualisation-réduction du temps de travail n'avait alors impulsé que 44 accords de branche sur une période de 18 mois. De la même façon, la loi Robien ne s'était concrétisée que par quelques accords de branche (coopératives laitières, experts comptables).

Une majorité d'accords signés dans les Industries Agro-Alimentaires et dans le secteur des services aux entreprises ou aux personnes

Les accords de branche sont principalement signés dans les Industries Agro-Alimentaires (14 accords/36) et dans les secteurs des services aux entreprises ou aux personnes (6 accords).

Les autres branches concernées sont celles de l'industrie textile (4 accords), du BTP (3 accords), de la métallurgie (3 accords, vérifier pour manutention ferroviaire) ou des industries (chimie, équipements thermiques, carrières et matériaux).

Cette première répartition montre qu'un nombre important d'accords est signé dans des branches à main d'oeuvre féminine. Ces branches sont caractérisées par de fortes fluctuations d'activités, telles que les IAA, les services aux entreprises ou aux personnes, ou encore l'industrie textile. En ce sens, la question du temps de travail et de sa répartition est centrale, notamment avec la durée du travail comme variable d'ajustement aux fluctuations d'activité ou encore la part importante du temps partiel dans ces secteurs.

Tableau 33 - Principaux accords de branche signés depuis la loi du 16 juin 1998

Secteurs

Branches

Date accord

Nombre de salariés

Organisations signataires

Heures supplémentaires

Dispositifs d'ATT

Métallurgie

Métallurgie UIMM

28 juillet

1,8 millions

FO, CGC

Contingent porté de 94 h à 180 h.

Annualisation autour d'une durée de 1645 h. et avec un seuil de 48 h.

Métallurgie

Bijouterie-joaillerie -orfèvrerie (accord étendu)

4 décembre

CFTC, FO, CGC

Annualisation autour de 35 h., avec un seuil de 44 h

Métallurgie

Matériels agricoles et de BTP

22 janvier

60 000

FO, CGT, CFDT, CFTC, CGC

Annualisation, avec un seuil de 44 h. ou 46 h.

Industries

Equipements thermiques

14 janvier

CFDT, CGC, CFTC

Modulation, travail par roulement et cycle

Industries

Imprimerie et communication graphique

30 janvier

96 000

CFDT, CGC, CFTC

Contingent limité à 115 h.

Modulation de type II

Industrie

Industries chimiques

05 février

230 000

CFDT

Contingent porté à 150 h.

Modulation de type III autour de 1645 h., avec un seuil de 48 h. ou 42 h.

Industries Agro-Alimentaires (IAA)

Industrie sucrière (accord étendu)

18 août 1998

8 000

CFDT, CFTC, CGC

Horaires qui varient autour des durées maximales, et de 1586 h./an

IAA

Produit du sol (négoce et industrie)

(accord étendu)

29 juillet 1998

15 000

CFDT, FO

Maintien des HS à 130 h. et 158 h. en période haute

Annualisation

IAA

Coopératives laitières, conserverie de coopérative et Coopératives fleurs, fruits, légumes

secteur coopératif agricole, 70 000 salariés

IAA

Coopératives du secteur céréalier (accord étendu)

1 octobre

Volet offensif et défensif

25 000

CFDT, FO, CGC

Annualisation

IAA

Coopératives bétail et viandes (accord étendu)

19 octobre Volet offensif et défensif

14 000

CFDT, CGC, CFTC, FO

Annualisation autour de 35 h., avec un seuil de 45 h. ou 48 h. ; Travail du

dimanche de 5 h.

IAA

Coopératives de teillage de lin (accord étendu)

28 octobre

CFDT, FO

Annualisation

IAA

Industrie de la viande (accord étendu)

29 octobre

Volet offensif et défensif

65 000

CFDT, CFTC, FO

Maintien des HS à 100 h.

Annualisation autour de 35 h., avec un seuil de 21 h. à 45 h. ; Travail du dimanche de 5 h.

IAA (FIC)

Industries charcutières

18 novembre

33 000

CFDT, FO

Contingent des HS porté de 120 h. à 145, puis ramené à 135 h. (2001) et 120 h.

(2002)

Engagement de recruter 1 500 jeunes de moins de 26 ans en 2 ans

Annualisation

IAA

Industrie de la conserve

2 décembre

38 000

CFDT, FO

HS variant de 30 h. à 70 h.

Annualisation autour de 37 h.et de 1586/an

IAA

Organismes de contrôle laitier

22 décembre

2 000

CFDT, CGC, CFTC, FO

Annualisation avec un seuil de 45 h.

IAA

Industrie avicoles

12 février

FO, CFTC, CGC

Annualisation

IAA

Industrie et commerce de vins, cidres, spiritueux et jus de fruit

05 février

FO, CFTC, CGC

Contingent porté de 100 h. à 130 h.

Travail par cycle Annualisation autour de 35 h.

BTP (Capeb)

Petites entreprises du bâtiment (accord étendu)

9 septembre 1998

Accord d'accès direct, offensif et défensif

450 000

CFDT, CFTC

Maintien des HS à 145 h.

Modulation de type III autour de 35 h., avec un seuil maxima à 42 h.

BTP (FNTP, FFB)

BTP

05 novembre

1,1 millions

FO, CFTC, CGC

Contingent des HS porté à 145 h et 180 h.

Annualisation autour de 1945 h.

BTP

Industrie des tuiles et briques

15 décembre

5 600

CFTC, CGC, FO

Contingent des HS porté de 100 h. à 145 h. (2000) à 130 h. (2003).

Modulation de type II et III autour d'une durée de 1644 h./an, et un seuil de 48 h. ou 44 h.

Industrie

Carrières et matériaux

22 décembre

FO

Contingent des HS porté à 180 h.

Annualisation, avec un seuil de 44 h. ou 48 h.

Textile (UIT)

Industrie textile (accord étendu)

16 octobre

143 000

CGT, CFDT, FO, CGC

Contingent des HS porté de 90 h. à 130 h.

Modulation de type II, avec un seuil à 44 h.

Textile

Industrie de l'habillement

1 décembre

130 000

FO, CGC

Contingent des HS porté à 130 h.

Modulation

Textile

Industrie de la chaussure

21 décembre

CFTC, CGT, CFDT, CGC

Contingent des HS porté à 130 h.

Modulation autour de

35 h., avec un seuil à

42 h.

Textile

Gantene

18 décembre

2 000

CFDT, CGT, CGC

Limitation des HS à 90h.

Durée maximale du travail à 42 h.

Services (FCD)

Grande distribution

21 décembre

600 000

CFTC, FO, CGC

Maintien des HS à 90 h., avec une RTT à 1603 h.

Annualisation, avec un seuil de 42 h.

Services

Service de l'automobile (accord étendu)

20 octobre

400 000

CGC, FO

Contingent d'HS porté à 182 h à partir de la 2ed loi

Annualisation, avec un seuil maxima de 46 h

Services (Fep)

Entreprises de propreté (accord étendu)

10 novembre (RTT à partir de 07/99)

286 000

CFDT, CGC, CFTC, FO

Contingent des HS porté de 130 à 190 h.

Modulation autour de 35 h. , de 00 h à 44 h.

Services

Transports publics urbains

30 décembre

34 000

CFDT, CFTC, CGC

Baisse du contingent des HS à 115 h.

Cycle de 12 sem. ;

Modulation avec un seuil de 42 h. ou 46 h.

Services (AFB)

Banque

4 janvier

200 000 salariés

CGC

Contingent des HS fixé à 120 h. et 110 h. (2002)

Annualisation autour de 1610 h./an

Services

Experts comptables (accord étendu)

13 janvier

120 000

Tous syndicats sauf FO

Contingent HS limité à 90 h., avec une durée de 15996 h. /an

Modulation autour de 35 h., avec un seuil de 48 h. ou 44 h.

Agriculture

Exploitations agricoles

3 février

900 000

FO, CGC

Durée du travail réelle fixée à 1940 h./an

Travail par cycle de 6

semaine, annualisation,

astreintes

Source : Liaisons sociale

FO et la CFDT, principales organisations syndicales signataires des accords de branche

Les principaux signataires des accords de branche sont les syndicats Force-Ouvrière (24 accords/30), la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT) et la Confédération Générale des Cadres (19 accords/30). Viennent ensuite les syndicats de la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (14 accords/29) et la Confédération Générale du Travail (4 accords/29).

D'une façon générale, l'application contractuelle du dispositif des 35 h révèle de fortes contradictions internes au sein des organisations syndicales et patronales.

D'une part, alors que l'organisation patronale interprofessionnelle, le Medef, anciennement CNPF, a exprimé une très forte hostilité vis-à-vis de cette loi de RTT, les fédérations patronales apparaissent à ce jour largement impliquées dans la dynamique des négociations de branche. En effet, le Medef se félicite de l'ensemble des accords de branche déjà signés qui donnent aux entreprises des possibilités d'application de RTT suffisamment larges, et entend que le gouvernement ne revienne pas sur la signature de ces accords. Cette attitude paradoxale signifie-t-elle que le patronat s'est emparé des 35 heures pour négocier des accords de branche à son avantage en matière de flexibilité ? Existe-t-il des contreparties à la flexibilité pour les salariés ?

Bien que la question reste ouverte selon les branches, il semblerait que le patronat mobilise le thème de la RTT pour instrumenter une politique patronale de flexibilité du travail, et ce dans une logique contrainte de la négociation sur la RTT qui laisse une marge de manoeuvre étroite aux organisations syndicales.

En ce sens, les dernières propositions du patronat vis-à-vis de la seconde loi, notamment en vue d'augmenter le contingent annuel d'heures supplémentaires de 130 à 188 heures, illustrent clairement cette logique.

D'autre part, un écart important existe entre les politiques syndicales ou patronales au niveau local par rapport aux positionnements de leurs organisations au niveau national interprofessionnel ou au niveau des branches.

Dans la branche de la métallurgie, alors que le niveau national de l'UIMM a fortement dénoncé cette mesure législative de RTT, certaines chambres syndicales territoriales de la métallurgie entrevoient ce dispositif de RTT comme une opportunité pour les entreprises.

Elles les incitent à faire un état des lieux de leur organisation du travail et du temps de travail (cf. encadré).

Du côté des organisations syndicales, des tensions s'observent aussi entre les différents niveaux de l'action syndicale. Ainsi, alors que la confédération FO s'est clairement prononcée contre la loi Aubry, FO est l'une des premières organisations syndicales signataire des accords de branche.

À l'inverse, alors que la confédération CFDT fait de la RTT un fer de lance de sa politique syndicale, le niveau local de la confédération (unions territoriales, délégués syndicaux) est beaucoup plus sceptique sur le caractère positif de la dynamique des 35 heures.

Ces écarts entre le niveau national et local de l'action syndicale et patronale confirment l'importance des stratégies d'acteurs dans la négociation sociale et la spécificité de ces stratégies aux différents niveaux de la négociation (Sellier, 1986).

1.1.2 Une application hétérogène du dispositif Aubry dans les branches

L'application de la loi Aubry au niveau des branches s'opère selon un mouvement très hétérogène, tant du point de vue des modalités de mises en oeuvre de la RTT que des thèmes abordés.

Philosophie des accords et jeux des acteurs

Malgré la signature de ces différents accords, dans certaines de ces branches, on ne peut pas réellement parler de l'existence d'un compromis entre organisations syndicales et patronales.

En ce sens, l'accord de la banque signé uniquement par la CGC est dénoncé par les autres syndicats qui contestent la représentativité du syndicat catégoriel CGC (30 % des voix aux élections professionnelles et premier syndicat du second collège des agents de maîtrise techniciens). La fédération patronale rétorque que cet accord ne peut être contesté du fait qu'il n'existe plus de convention collective, celle-ci ayant été dénoncée par l'AFB en février 1998. De la même façon, les fédérations syndicales FO, CGT, CFTC et CGC exercent un droit d'opposition sur l'accord chimie signé par la seule fédération CFDT, notamment en raison de leurs désaccords sur l'augmentation du contingent annuel d'heures supplémentaires, l'allongement de la durée maximale de la journée de travail ou encore la réduction des temps de pauses.

La question de la conformité des dispositifs conventionnels négociés au droit du travail

Pour bénéficier d'une application large des dispositifs conventionnels négociés, les accords de branche doivent être étendus par le ministère du Travail.

La procédure d'extension des accords de branche

La procédure d'extension est une décision prise par le ministre du Travail, qui permet aux entreprises de la branche qui ne sont pas adhérentes à la fédération patronale, ainsi qu'à leurs salariés, de bénéficier des dispositifs conventionnels négociés par la branche. Ainsi, l'accord n'est plus seulement applicable aux organisations signataires, mais à tous les employeurs et travailleurs de la branche considérée. Cette procédure d'extension a été instituée par la loi de 1936, qui précisément reconnaît la convention collective de branche comme le principal niveau de négociation collective et de régulation conventionnelle.

Un certain nombre de réserves a été exprimé par le ministère du Travail dans le cadre de la procédure d'extension des accords de branche sur les 35 heures.

À la fin janvier, 17 accords de branche avaient fait l'objet d'une procédure d'extension, soit 2 millions de salariés concernés et 1,4 millions pour le BTP. Pour procéder à cette extension, le ministère du Travail s'est attaché plus particulièrement à observer l'existence d'une corrélation stricte entre le nombre d'heures dégagées par la RTT et le nombre de jours de congés alloués aux salariés.

Tout d'abord, le ministère du Travail a décidé de ne pas appliquer l'accord métallurgie, en raison de clauses contraires au droit du travail (augmentation du contingent des heures supplémentaires, banalisation du travail au forfait, intégration de jours fériés dans te temps de travail), mais aussi pour donner un signal fort par rapport à d'autres accords de branche qui se situeraient dans te même sillage. En ce sens, il s'agira d'observer l'attitude du ministère du Travail par rapport à d'autres accords de branche proches de celui de la métallurgie, tels que ceux signés dans te BTP ou les services de l'automobile, qui augmentent aussi fortement le contingent des heures supplémentaires et prévoient une annualisation directe.

Par ailleurs, hormis l'accord de l'industrie sucrière, tous les accords ont été étendus avec des réserves portant sur certaines dispositions concernant les modalités de décompte de la RTT (intégration des jours de congés, travail du dimanche, repos compensateur, contingent des heures supplémentaires, compte épargne temps...) ou encore l'application des 35 heures aux cadres par l'octroi de jours de repos supplémentaires. D'une façon générale, une série de dispositions semble devoir être réexaminées lors de la seconde loi.

Illustrations de tensions dans les négociations de branche sur la réduction du temps de travail : la métallurgie et de la plasturgie

Concernant plus particulièrement les branches de la métallurgie et de la plasturgie, des logiques de négociation assez similaires sont à l'oeuvre, même si les tensions apparaissent de façon plus exacerbée dans la métallurgie. Dans les deux cas, les organisations patronales craignent d'inciter les responsables d'entreprise à engager des discussions avec les syndicats sur la RTT.

Le "modèle industriel de la métallurgie"

La branche de la métallurgie a joué un rôle moteur dans la construction de la convention de branche comme "charte de la profession". Les accords professionnels de la métallurgie en matière de qualification et de hiérarchie salariale (grilles de classification qui ont perduré de 1936 à 1975) ont pendant longtemps constitué une référence conventionnelle pour les autres branches (Saglio, 1991). De plus, l'Union des Industries Minières et Métallurgiques (UIMM) occupe une place particulière dans le monde patronal, influant très largement la politique sociale du CNPF. La compétence sociale de l'organisation patronale et son ancrage territorial (93 chambres syndicales territoriales) sont autant d'éléments qui placent la métallurgie comme une branche phare dans la négociation sociale et dans la politique contractuelle.

Toutefois, dans une stratégie patronale de flexibilisation des cadres légaux et collectifs de travail et de temps de travail, l'organisation patronale de la métallurgie abandonne de plus en plus nettement une politique sociale de branche, pour se positionner comme un expert juridique auprès des entreprises (Mirochnitchenko, 1999).

L'organisation patronale de la métallurgie est une des premières branches à avoir signé le 28 juillet 1998, avec les syndicats FO et CGC, un accord sur la durée et l'organisation du temps de travail qui contourne plus qu'il n'applique le dispositif Aubry. Le syndicat FO s'est impliqué dans cette négociation, considérant qu'il permettait une réelle RTT par l'octroi d'une sixième semaine de congés payés dans le cadre d'une annualisation du travail, sans porter atteinte au pouvoir d'achat des salariés 83 ( * ) . Plus généralement, la signature de cet accord a fait l'objet d'un un compromis entre FO et la fédération patronale concernant un arbitrage favorable en faveur du salaire et non du temps de travail. De plus, par cet accord, l'UIMM a pu introduire un nouveau dispositif d'annualisation des horaires de travail d'application directe et autour d'une durée annuelle de 1610 h.

En ce sens, cet accord reflète le caractère défensif de la stratégie patronale de l'UIMM en matière de temps de travail. L'UIMM dénonce radicalement de toute mesure collective de RTT et s'empare de la négociation comme un outil pour assurer les possibilités d'aménagement du temps de travail. En effet, depuis le début des années 1980, la fédération patronale s'est impliquée dans la négociation de différents accords dérogatoires sur la modulation et l'annualisation du temps de travail (1982, 1986, 1991, 1996). Dans la continuité de cette stratégie de flexibilité du temps de travail, l'organisation patronale s'est emparée des 35 heures pour mettre en oeuvre ses projets d'annualisation du temps de travail, qui sont largement partagés par les chambres syndicales. Cette réflexion faisait l'objet dès 1995 d'un rapport sur le "Travail différencié" rédigé par P. Guillen, président d'honneur de l'UIMM. Le rapport proposait de supprimer la référence à la durée hebdomadaire du travail et de négocier individuellement le temps de travail des salariés.

Ainsi, le positionnement de l'organisation patronale et la non extension de raccord de branche renforcent l'attentisme des entreprises de la métallurgie en matière de négociations sur la RTT. Bien que certaines chambres syndicales adoptent une attitude plus offensive que le niveau national de l'UIMM sur la loi Aubry, en proposant aux entreprises d'établir un état des lieux de leur temps de travail, la dynamique contractuelle dans les entreprises de la branche semble être de faible ampleur.

La branche de la plasturgie n'a pas encore signé à ce jour un accord d'application de la loi Aubry. La plasturgie, souvent présentée comme un contre modèle de la métallurgie, est plus directement impliquée dans la transformation d'un nouveau modèle de gestion du travail. Il s'agit pour cette branche relativement jeune et composée essentiellement de PME d'affirmer une identité professionnelle propre par rapport aux autres branches (notamment celle de la chimie dont elle est issue et celle de la métallurgie, avec qui elle a des activités connexes). Cependant, en matière de RTT, les négociations de branche en cours semblent ne pas être réellement différentes de la logique de la métallurgie.

Globalement, le point de vue de l'organisation patronale est d'envisager une négociation sur les 35 heures, qui permette d'obtenir des avancées non négligeables en matière d'annualisation du temps de travail et de contreparties pour les PME. De plus, l'objectif est de signer un accord-cadre en retrait qui reste suffisamment large pour laisser des marges de manoeuvre aux employeurs dans les entreprises, considérant que ces dernières ne joueront pas sur la baisse du salaire mais d'avantage sur la rationalisation du temps de travail par une réduction des temps de pauses. Le problème essentiel de ce dispositif législatif pour l'organisation patronale de la plasturgie est de ne pas traiter plus globalement de la formation et de l'utilisation de ressources humaines (employeurs multiples, prêts de personnel). Enfin, le patronat est assez réticent à ce que la mise en oeuvre négociée des 35 heures ne conduise à la présence des délégués syndicaux. Ces derniers sont pour l'heure faiblement présents dans la branche composée essentiellement de PME. Le modèle est donc celui d'une négociation individualisée entre le salarié et l'employeur. La question du mandatement des salariés est alors un élément de débat central dans la discussion avec les syndicats.

Pour l'organisation patronale de la plasturgie, il s'agit de mobiliser la loi Aubry en cherchant à développer les pistes les plus larges de flexibilité du travail et d'emploi.

Ces deux cas illustratifs montrent clairement que les fédérations patronales sont en position forte dans la négociation de branche sur les 35 heures, en opposant le principe de réduction de la durée légale du travail à celui d'une forte contrepartie en termes de flexibilité du temps de travail. Les organisations syndicales sont signataires de ces accords, le plus souvent en déplaçant la recherche de compromis sur d'autres objets que celui du thème strict du temps de travail. On peut par exemple citer le cas du syndicat FO dans les branches de la métallurgie et du BTP qui, en contrepartie de sa signature de l'accord sur la RTT et l'annualisation du temps de travail, a demandé l'ouverture de négociation sur l'extension du dispositif de l'Arpe (cessation progressive d'activité contre embauches).

Modalités de la réduction du temps de travail

En premier lieu, la plupart des accords de branche prévoit différentes possibilités de mise en oeuvre de la RTT : RTT hebdomadaire à 35 h., RTT par l'octroi de jours de repos supplémentaires, RTT par annualisation ou modulation.

Dans la quasi-totalité des cas, les accords de branche négocient une RTT couplée d'une procédure de modulation ou d'annualisation du temps de travail, avec un seuil qui s'échelonne de 42 h. à 48 h. Certains accords prévoient une annualisation directe, c'est-à-dire qui est applicable dans l'entreprise sans nécessiter un accord (BTP, services automobiles).

Nombre de ces accords prolongent en fait des dispositifs de modulation négociés précédemment, le plus souvent suite à l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 sur l'annualisation/réduction du temps de travail. C'est le cas de la métallurgie, des services automobiles, de l'industrie textile, des industries de la viande, des produits du sol. En ce sens, la loi Aubry impulse tant une réduction négociée du temps de travail qu'un renforcement de la flexibilité du temps de travail. La différence entre les branches se situe par rapport à la hauteur de ces contraintes temporelles, en termes d'heures supplémentaires et de compensation salariale.

Dans une proportion non négligeable, les accords de branche envisagent explicitement une RTT sous forme de jours de repos supplémentaires (9 accords/36), dont la hauteur est précisée ou non. Certains de ces accords distinguent les jours de repos individuels, à la disposition des salariés, et les jours de repos collectifs, à la discrétion de l'entreprise, ce qui revient à une quatrième forme de modulation des horaires (exemple de la métallurgie, la grande distribution, la banque, industrie de l'habillement, industrie de la chaussure).

Dans certains cas uniquement, les 35 heures sont explicitement posées comme la nouvelle durée hebdomadaire conventionnelle du travail (industrie sucrière, entreprise de propreté, experts-comptables, produits du sol, carrières et matériaux, équipements thermiques), alors que dans d'autres branches la RTT est calculée sur la base d'une durée annuelle du travail (cas de la métallurgie, du BTP, de la chimie, de la grande distribution, de l'automobile, industrie du sucre, industrie de la conserve).

La plupart des accords de branche évoquent la question des heures supplémentaires et de leur contingent Un accord sur trois environ prévoit une augmentation du contingent annuel des heures supplémentaires et un accord sur 6 fixe un seuil au-delà du contingent annuel légal, qui est de 130 h. (métallurgie, services automobiles, BTP, entreprises de propreté, industries charcutières, industrie des tuiles et briques, industrie chimique). Dans certains accords de branche, la majoration des heures supplémentaires est prévue dès la 36 eme heure, avec un taux minimal de 25 % (textile, habillement, chaussures). Cette question des heures supplémentaires révèle que l'annualisation ou la modulation du temps de travail n'est pas, pour un nombre d'emploi donné, estimée comme une condition suffisante de flexibilité quantitative du temps travaillé. Ainsi, la possibilité d'augmenter les heures supplémentaires, associée dans une moindre mesure à la possibilité de seuil annuel au delà du contingent légal de 130 heures reste, pour une part importante des représentants patronaux, une marge de manoeuvre non négligeable du point de vue de l'utilisation de la main d'oeuvre en place. Nous reviendrons plus loin, dans l'analyse de la RTT en entreprise sur ces aspects.

Dans certains accords de branche, la question de la compensation salariale est plus précisément traitée, notamment par l'attribution d'une indemnité compensatrice. C'est le cas des industries de la viande, de l'industrie du sucre, des exploitations agricoles. Plus précisément, les accords des organismes du contrôle laitier et de l'industrie des vins et spiritueux envisagent de faire bénéficier aux nouveaux embauchés de cette indemnité, pour limiter l'impact de la RTT sur leurs salaires.

Dans le même sens, différents accords abordent la question des salariés à temps partiel, de leur possibilité de bénéficier de la RTT et de la compensation salariale (organismes de contrôle laitier, grande distribution, entreprises de propreté, artisanat et petites entreprises du bâtiment).

Le temps de travail de l'encadrement est abordé par la totalité des accords de branche, soulignant la difficulté de la RTT pour cette catégorie par rapport à la spécificité de leur activité. Le plus souvent, les branches définissent différents types de forfaits selon les catégories de cadres, en distinguant les cadres supérieurs et les dirigeants soumis à un forfait sans référence horaire "forfait tous horaires", des autres cadres soumis à un forfait avec référence horaire. La RTT de l'encadrement s'opère dans la majorité des cas par l'octroi de jours de congés supplémentaires, avec dans certains cas la possibilité de les cumuler dans un compte-épargne-temps. Alors que certaines branches donnent une garantie d'une réduction effective de la durée du travail, en précisant le nombre de jours de repos (entreprises de propreté, coopératives laitières, industrie de la viande, produits du sol), d'autres restent beaucoup plus floues sur la hauteur de la RTT.

En dernier lieu, certaines branches évoquent la question du temps de travail effectif, qu'il s'agisse du temps de formation, avec des formules de co-investissement formation (carrières et matériaux, grande distribution, industrie des vins et spiritueux), ou une définition plus stricte des temps de pauses (chimie).

Les négociations de branche sur la RTT mettent en perspective deux types d'enjeux. D'une part, la question se pose de savoir dans quelle mesure ces accords seront reconnus par la procédure d'extension et par rapport aux éléments de précisions de la seconde loi (heures supplémentaires, RTT des cadres, annualisation des horaires de travail). D'autre part, l'application effective de la loi dépend de la capacité des accords de branche et des acteurs sociaux à impulser une dynamique durable de la négociation au niveau des entreprises.

Bien que l'existence d'un accord de branche puisse orienter les entreprises dans les modalités de réduction et d'organisation du temps de travail, l'application de ce dispositif Aubry demeure très fortement conditionnée par sa mise en oeuvre localisée au niveau des entreprises. En effet, c'est bien au niveau des entreprises qu'il s'agira à la fois d'évaluer l'impact de la RTT en termes de création d'emplois et la capacité des acteurs sociaux à négocier de nouvelles organisations productives et conventions du travail.

1.2. Accords d'entreprise

La loi Aubry avait explicitement pour objectif d'inciter financièrement à la négociation sur le temps de travail les entreprises qui anticipent la deuxième loi (fixant le cadre définitif du passage aux 35 heures) en réalisant des embauches ou en évitant des licenciements.

Volet offensif et défensif de la loi Aubry

La mesure législative Aubry, comme la loi Robien, envisage un volet offensif et défensif dans le dispositif de réduction négociée du temps de travail :

- "Accord offensif" : réduction négociée du temps de travail (10 % ou 15 %). avec une contrepartie en terme de création d'emplois (6 % ou 9 %).

- "Accord défensif" : réduction négociée du temps de travail (10 % ou 15 %) pour préserver des emplois et pour les entreprises qui sont dans le cadre d'une procédure collective de licenciement économique.

- " accord non-aidé" : réduction négociée du temps de travail qui s'opère en dehors du dispositif d'aide publique et de ses conditions en terme de pourcentage de RTT et de création d'emplois.

Les principales caractéristiques des accords signés sont présentées en premier lieu. La diversité des procédures de mise en oeuvre des 35 heures et de la RTT est ensuite mise en perspective.

1.2.1 Caractéristiques générales des accords d'entreprise de RTT

À la mi-février 1999, le ministère du Travail faisait état de 2 200 accords d'entreprises signés , avec 10 % des accords où la RTT est supérieure ou égale à 15%.

Tableau 34 - Principales caractéristiques des accords d'entreprise

Types d'accords

Nombre d'accords

Nombre d'emplois

Effectifs concernés

Offensifs

Défensifs

Non aidés

Total

1885 (86 %)

165 (8 %)

149 (7 %)

2 199

16 123 (63 %)

2615(10 %)

7 004 (27 %)

25 543

191 158 (47 %)

26 849 (7 %)

186 450 (46 %)

404 458

Des accords principalement offensifs...

86 % des accords sont des accords offensifs, au sens défini par la loi.

7 % des accords d'entreprise sont des accords non-aidés, c'est-à-dire signés en dehors du dispositif d'incitations financières à la réduction du temps de travail.

Ce fort pourcentage d'accords offensifs, de RTT avec création d'emplois, dénote cependant de l'existence d'un effet d'aubaine du dispositif, où les entreprises mobilisent l'aide financière pour faciliter des projets de création d'emplois qu'elle devait de toute façon réaliser.

...qui touchent moins de 5 % de salariés du privé

Ces 2 199 accords d'entreprise touchent près de 404 458 salariés, soit 3 % des salariés du secteur privé.

Les salariés d'entreprise se répartissent de façon égale entre ceux concernés par des accords offensifs (47 %) et ceux par des accords non-aidés (46 %).

Le nombre important des salariés concernés par des accords non-aidés s'explique par l'existence d'accords signés dans de grandes entreprises. Une partie de ces grandes entreprises ne sollicitent pas l'aide de l'État, car ayant déjà négocié des réductions de leur temps de travail, il leur est difficile de respecter le seuil fixé par la loi de 10 % de réduction de l'horaire de travail de référence. D'autres entreprises sortent du dispositif d'incitations financières, car elles sont dans une logique de diminution de leur effectif, ne leur permettant pas ainsi de respecter le seuil fixé de 6 % de création d'emplois (Postes). Enfin, pour une large part, il s'agit d'entreprises qui, du fait de leur situation de monopole sur une activité ou un marché, sont exclues du champ d'application de l'aide financière. C'est le cas de l'entreprise publique EDF-GDF, qui compte à elle seule près de 76 % des effectifs concernés par des accords non-aidés.

Un effet sur l'emploi qui reste limité

L'effet annoncé sur l'emploi est de l'ordre d'un accroissement de 6 % de l'effectif concerné, ce qui correspond au seuil fixé par la loi. En ce sens, l'effet direct sur l'emploi reste relativement faible.

La majorité de ces emplois s'inscrit dans une optique d'accord offensifs (63 %) , avec un effet sur l'emploi de 8 % par rapport au nombre d'emplois concernés.

Par ailleurs, près de 27 % des emplois sont inscrits dans le cadre d' accords non-aidés, en majorité dans une logique offensive et avec un effet sur l'emploi de 4 % de l'effectif concerné (98 % des accords non-aidés). L'accord EDF-GDF porte à lui seul sur 70 % des emplois non-aidés, soit 5000 emplois.

Ces chiffres donnent une indication du volume d'emploi impulsé par les accords Aubry de RTT. Toutefois, l'étude plus approfondie des accords d'entreprises doit permettre de préciser le type d'emploi créé. S'agit-il d'emplois en CDD ou CDI, d'emplois à temps plein ou à temps partiel, d'emplois initialement prévus pour couvrir le volume d'activité de l'entreprise, ou de création d'emplois sur de nouveaux postes de travail ?

L'évaluation du dispositif Aubry nécessitera de prendre en considération l'ensemble de ces paramètres pour réellement estimer la dynamique de RTT en termes de création d'emplois.

Une majorité d'accords signés par les PME

La plupart des accords d'entreprises sont signés dans des PME ; 2/3 des accords dans des entreprises de moins de 50 salariés :

- 66 % dans des entreprises de moins de 50 salariés, dont 44 % des accords signés dans des entreprises de moins de 20 salariés,

- 22 % dans des entreprises de 50 à 200 salariés

- 8 % dans des entreprises de 200 à 500 salariés

- 5 % dans des entreprises de plus de 500 salariés

Jusqu'au début de l'année 1999, un nombre limité de grandes entreprises s'étaient lancées dans la négociation des 35 heures. La récente signature d'accords dans de grandes entreprises semble infléchir cette première dynamique. En effet, on peut noter quelques cas illustratifs comme l'accord EDF-GDF avec 111 000 salariés concernés, l'accord signé à Air France qui porte sur 35 000 salariés, l'accord Leroy-Somer qui porte sur 6 000 salariés, l'accord de PSA avec 92 000 salariés, ou encore l'accord signé à la Poste. D'autres grandes entreprises comme la RATP, la SNCF, France Télécom, ou Renault sont aussi en cours négociations. Cette dynamique correspond aussi à une plus grande implication entreprises publiques dans la mise en oeuvre des 35 heures. Toutefois, les logiques de négociation sous-jacentes à ces accords sont très différentes, comme nous le verrons plus loin.

Une majorité d'accords signés dans les activités de services

La majorité des accords d'entreprises sont signés dans le secteur des services aux entreprises et aux particuliers (37 % des accords au total), avec une majorité d'accords offensifs (96 %).

Les différents secteurs de l'industrie représentent ensuite près de 34 % des accordes, avec une majorité d'accords signés dans la métallurgie (26 %). Ce pourcentage doit être rapporté au poids du secteur, notamment pour la métallurgie, qui concentre près de 55 % des salariés de l'industrie. Ceci relativise d'autant plus la place de l'industrie dans la dynamique des négociations d'entreprise sur la RTT par rapport aux activités de services.

Les autres secteurs industriels se répartissent plus particulièrement comme suit :

- 13 % des accords pour les IAA

- 12 % des accords pour le textile-habillement

- 6 % pour la chimie-pharmacie

- 4 % pour le papier-carton

- 40 % pour les autres secteurs industriels, ce qui est une part non négligeable

Une part importante des accords signés dans l'industrie se situe dans une logique défensive (de l'ordre de 12 %). Ce phénomène prévaut dans les secteurs du textile habillement (23 % d'accords défensifs), de la métallurgie (14 %) et des industries agro-alimentaires (14 %).

Cette prédominance d'une logique défensive s'explique par le profil socio-économique de ces branches caractérisées par une activité de main d'oeuvre (dans une moindre mesure pour la métallurgie) et de nombreuses restructuration.

En ce sens, la branche textile avait déjà mené un certain nombre de négociations sur le temps de travail et l'emploi, notamment dans le cadre du plan Borotra de 1996. Pour la métallurgie, le problème est celui de la gestion d'une pyramide des âges vieillissante. Les récentes négociations engagées par les deux grands constructeurs automobiles français, Renault et Peugeot, illustrent précisément ce difficile équilibre entre un plan de préretraite-progressive (visant à faire partir 40 000 salariés de plus de 51 ans pour embaucher 15 000 jeunes) et la mise en place d'une RTT.

Par ailleurs, le secteur du commerce se détache avec près de 17 % des accords signés. Viennent ensuite, le BTP représenté par 8 % des accords et le secteur des transports et de la logistique avec 3 % des accords.

La CFDT, principale organisation syndicale signataire et une présence forte du mandatement

La majorité des accords d'entreprises est signée par le syndicat CFDT, avec un taux de signature de l'ordre de 45 %.

La plupart de ces accords sont signés par des salariés mandatés, à près de 43 % des cas, et ce plus particulièrement pour la CFDT et la CFTC. La CGT et la CGC sont les syndicats les moins impliqués dans cette pratique du mandatement. Le mandatement correspond à la possibilité pour un salarié non syndiqué de signer un accord d'entreprise, en étant mandaté par une organisation syndicale représentative.

La répartition des syndicats signataires est donc de :

- 45 % des accords signés pour la CFDT, dont 47 % par mandatement, avec une proportion à signer de 95 % 84 ( * )

- 21 % des accords signés pour la CGT, dont 34 % par mandatement, avec une proportion à signer de 95 %

- 16 % pour FO, dont 43 % par mandatement, avec une proportion à signer de 89 %

- 15 % pour la CFTC. dont 47 % par mandatement, avec une proportion à signer de 91 %

- 8 % pour la CGC, dont 19 % par mandatement, avec une proportion à signer de 99 %

Cette répartition des organisations syndicales signataires est intéressante à mettre en relation avec le positionnement des confédérations syndicales dans les accords de branche et plus globalement par rapport aux politiques de temps de travail et aux stratégies de négociation des syndicats.

La CGT- FO est en décalage entre une forte propension à négocier au niveau de la branche, et à l'inverse une faible proportion à négocier au niveau des entreprises. Cette tendance s'observe aussi pour le syndicat CGC. Cette tension de la position contractuelle de FO entre le niveau de la branche et le niveau de l'entreprise s'explique largement par son hostilité face à la loi Aubry et par rapport à une intervention législative sur le temps de travail. En ce sens, FO préfère s'impliquer dans une politique contractuelle de branche et à l'inverse rejeter le développement d'une dynamique contractuelle sur la RTT au niveau de l'entreprise. Ceci explique aussi sa faible présence dans la pratique du mandatement.

La CFDT est à la fois très présente dans les négociations de branche sur la RTT et dans les négociations d'entreprises. Cette implication est en cohérence avec une stratégie confédérale privilégiant la négociation sur le temps de travail à tous les niveaux. L'implication de la CFDT dans la pratique du mandatement illustre une stratégie de modernisation de son action syndicale, qui n'est pas totalement nouvelle notamment par rapport à ses anciennes positions motrices sur la création de sections syndicales dans l'entreprise, le droit d'expression des salariés ou encore l'obligation de négocier dans les entreprises.

La CGT se situe dans une position intermédiaire, avec une implication relative tant au niveau des branches qu'au niveau des accords d'entreprise. En effet, bien que l'organisation syndicale soit globalement favorable à la loi Aubry, elle reste plus prudente dans la négociation d'accords de RTT qui entraînent la mise en oeuvre de dispositifs de modulation ou d'annualisation du temps de travail trop larges. Cette attitude dans la négociation correspond à une position confédérale qui s'oppose à l'amendement des principes de flexibilité du temps de travail. Toutefois, cette posture est modulable au cas par cas, selon le rapport de force spécifique au sein des branches et des entreprises et la hauteur des contreparties sociales négociées, ce qui explique sa présence dans les accords de branche et d'entreprises sur la RTT.

La CFTC est dans une situation assez spécifique. En effet, étant un syndicat assez faible, elle se trouve principalement impliquée au niveau des entreprises et dans la pratique du mandatement. Cette nouvelle pratique contractuelle du mandatement représente pour la CFTC une opportunité pour toucher les salariés et éventuellement les amener à s'insérer dans une activité de représentation syndicale.

Une dynamique régionale très diversifiée

La région Ile de France est la plus fortement concernée par le nombre d'accords signés (13 %), suivie des Pays de Loire et de Rhône-Alpes. Toutefois, les salariés plus directement concernés par ces accords par rapport à l'effectif total des salariés de la région se trouvent être non pas dans ces régions, mais dans les régions du Limousin, de l'Alsace ou encore du Nord-Pas de Calais.

Comparaison avec les effets de la loi Robien

La loi Aubry impulse une plus forte dynamique contractuelle, 404 500 salariés concernés contre 154 473 pour Robien (2 % des salariés). Ceci s'explique par la nature même du dispositif.

D'une part, ce dernier engage à plus long terme une action normative sur la durée légale du travail, conduisant une plus large part d'entreprises à être à terme concernées par cette loi (effet cliquet). D'autre part, la loi Aubry prévoit une aide financière plus avantageuse pour les entreprises qui négocieront avant la seconde loi, ce qui renforce le mouvement d'anticipation des entreprises (effet d'aubaine). À l'inverse, la loi Robien n'établissant pas de restriction dans le temps à l'aide financière, ni de norme légale, s'est davantage ciblée sur les entreprises les plus innovantes et déjà inscrites dans une réflexion sur la transformation de leur organisation du temps de travail. Cette plus forte diffusion des accords Aubry se réfère aussi à l'existence d'un important mouvement de négociations de branche, alors que le dispositif Robien s'était essentiellement situé au niveau des entreprises, avec seulement quelques accords de branche (coopératives laitières, experts-comptables).

Ainsi, alors que la loi Robien a pu provoquer des effets d'aubaine, la loi Aubry développe à la fois effets d'aubaine et effets de cliquet.

Une majorité d'accords offensifs

Les deux mesures législatives ont en effet principalement mis en oeuvre des accords offensifs, confirmant le rôle actif des accords d'entreprises dans la négociation sur la RTT. Entre 60 % et 80 % des accords signés sont des accords offensifs.

Toutefois, une nuance peut être entre les deux dispositifs. Alors que dans le dispositif

Robien, les salariés se répartissaient de façon équilibrée entre les accords offensifs (51 %) et défensifs (49 %), dans les accords Aubry, les salariés se répartissent entre les accords offensifs (47 %) et les accords non-aidés (46 %) et une part minime d'accords défensifs (7 %).

Cette importance des accords non-aidés dans le cas Aubry s'explique par la présence de grandes entreprises, qui soit du fait de leur situation de monopole, soit de leur politique de gestion de la main d'oeuvre ne peuvent s'inscrire dans les conditions du dispositif d'incitations financières.

Une majorité de conventions signées dans de petites unités de production et dans le secteur des services aux entreprises et aux commerces.

La loi Aubry est encore davantage concernée par les plus petites entreprises (2/3 des accords dans les entreprises de 50 salariés, contre 50 % pour les conventions Robien). Ceci peut pour une large partie s'expliquer par l'effet cliquet de la loi, tel que nous l'avons décrit ci-dessus. La loi Robien a davantage concerné des entreprises de taille plus moyenne, dotées d'une pratique contractuelle avec les représentants syndicaux.

Une majorité d'accords de RTT dans le cadre de la semaine.

Les deux dispositifs ont opéré une réduction de la durée du travail dans le cadre de la semaine. Toutefois, les modalités associées à la RTT sont d'une nature un peu différente.

En effet, alors que les accords Robien ont principalement impulsé une RTT avec une annualisation des horaires de travail (22 %), dans la loi Aubry, les accords mettent en oeuvre une RTT par des modalités plus diverses et moins concentrées sur l'annualisation : octroi de jours de congés (22 %), horaire hebdomadaire variable d'une semaine sur l'autre, multiplication des horaires de travail.

Le dispositif Aubry a principalement initié une dynamique d'accords offensifs auprès des PME de moins de 50 salariés, situées majoritairement dans le secteur tertiaire des services aux entreprises et aux particuliers. Une large part de la dynamique des 35 heures se situe aussi dans le cadre des accords non-aidés, situés dans une logique offensive et représentés par une majorité de grandes entreprises . Enfin, la dynamique contractuelle engagée par la négociation d'entreprise sur la RTT se caractérise par une forte implication de la CFDT et un développement très marqué de la pratique du mandatement des salariés.

Globalement, la loi Aubry concerne un nombre plus élevé et une palette plus large d'entreprises que la loi Robien. En effet, de nombreuses entreprises qui, jusqu'à lors n'ont jamais réellement engagé de réflexion sur la réduction ou la réorganisation de leur temps de travail, se sentent concernées par ce dispositif. Il s'agit de mesurer le réel "effet cliquet" de cette mesure. En d'autre terme, les entreprises sont-elles poussées, par le dispositif d'incitations financières, à anticiper la négociation d'une réduction de leur horaire de travail, ou à l'inverse attendent-elles les éléments de précision de la seconde loi ?

1.2.2. Une mise en oeuvre diversifiée de la RTT

Différentes études réalisées sur la RTT 85 ( * ) ou d'entretiens effectués avec des acteurs publics ou privés intermédiaires (organisations syndicales et patronales territoriales, services déconcentrés de l'État) nous permettent de mettre en perspective à la fois le caractère actif des accords d'entreprises dans la réduction du temps de travail et la dynamique hétérogène des négociations impulsées par les entreprises sur cette question.

Ampleur de la réduction du temps de travail 86 ( * )

80 % des accords prévoient une RTT à hauteur de 10 % et 70 % une RTT à 35 heures. Ce taux de RTT correspond au seuil minimal prévue par la loi Aubry.

Modalités de la RTT

50 % des accords prévoient une RTT dans le cadre de la semaine de travail, associée dans de nombreux cas à l'octroi de jours de congés supplémentaires (22 %).

Bien qu'un nombre limité d'accords de RTT introduise une modulation des horaires (17 %), telle que définit par le cadre législatif (trois types de modulation), la mise en oeuvre de la RTT développe d'autres formes d'aménagement du temps de travail.

Trois types de modulations

La modulation permet de faire varier l'horaire collectif autour de la durée légale, sur tout ou partie de l'année, ce qui permet de ne pas payer les heures supplémentaires en période haute et d'éviter le recours supplémentaire en période haute.

Modulation de type I

Introduite par l'ordonnance du 16.01.82, elle consiste à faire varier la durée de travail autour d'une moyenne de 39 heures sur l'année et avec un maximum de 48 heures. Les heures effectuées au-delà de 39 heures ne s'imputent pas sur le contingent des heures supplémentaires, mais ouvrent droit à majoration ou repos compensateur.

Modulation de type II

Introduite avec la loi Seguin de 1987, elle permet comme la modulation de type I de faire varier la durée de travail autour d'une moyenne de 39 h. sur l'année et avec un maximum de 44 h ou 48 h. si accord de branche étendu. Les heures effectuées au-delà de 39 h., ni ne s'imputent sur le contingent des heures supplémentaires, ni n'ouvrent droit à majoration ou repos compensateur, mais à une contrepartie négociée.

Annualisation ou modulation de type III

Introduite par la loi quinquennale de 1993, elle consiste à faire varier la durée de travail sous la seule limite des durées maximales légales, hebdomadaire (48 h.) ou quotidienne (10 h.). Les heures effectuées au-delà de 39 h., ni ne s'imputent sur le contingent des heures supplémentaires, ni n'ouvrent droit à majoration ou repos compensateur. Elle a comme contre partie obligatoire une réduction de la durée du travail.

N.B : Dans les trois cas, l'introduction d'une modulation exige un accord d'entreprise ou un accord de branche étendu.

D'une part, la RTT par l'octroi de jours de congés supplémentaires conduit parfois au développement d'une modulation du travail informelle. En effet, dans certains cas. ces jours de repos sont répartis entre, d'un côté des jours individuels à la disposition des salariés, et d'un autre, des jours collectifs soumis aux besoins de l'entreprise (fermeture de l'entreprise calée sur celle des clients, baisse d'activité...). Il s'agit bien d'une forme de modulation des horaires.

Par ailleurs, une part importante des accords prévoit une multiplication des horaires de travail de référence, avec des durées du travail qui peuvent être différentes d'une semaine à l'autre. L'enquête réalisée par la CFDT sur le "Travail en question" montre précisément que pour 64 % des salariés, la durée hebdomadaire du travail varie selon les semaines ou les périodes. On assiste aussi à une forte individualisation des temps de travail des salariés, qui restent malgré tout dans le cadre d'un horaire collectif de travail à l'inverse des horaires individualisés ou du temps partiel. Dans une entreprise, l'accord sur la RTT conduit à la mise en oeuvre de près de 30 horaires de travail différents selon la période et le type d'activité des salariés.

Une des chambres syndicales de la métallurgie interviewée note que de nombreuses entreprises envisagent d'accompagner la RTT par une gestion annuelle du temps de travail.

Il s'agit d'apprécier les contreparties sociales apportées à cette annualisation du temps de travail.

Réorganisations du travail associées à la RTT

- Un nombre important des accords n'envisage pas avec précision une réorganisation du travail et du temps de travail (30 % des cas).

- 60 % des accords ne prévoient aucune disposition particulièrement sur les heures supplémentaires, son volume et le seuil de déclenchement des majorations

- 45 % des accords n'envisagent pas spécifiquement la question des salariés à temps partiel. Toutefois, dans certains accords le choix est laissé aux salariés de bénéficier ou non de la RTT. Dans le cas d'un maintien à temps partiel, l'accord prévoit un réajustement du salaire.

- 2/3 des accords ne fixent aucune mesure particulière pour le temps de travail des cadres. Si une RTT est envisagée pour cette catégorie de salariés, elle se fait majoritairement sous forme de congés supplémentaire, associé au dispositif du compte-épargne-temps, ce qui permet alors d'envisager la RTT dans un cadre pluriannuel.

- 80 % des accords ne traitent pas de la question du temps de formation.

Le compte-épargne-temps

Le compte-épargne-temps (CET) est instauré par la loi du 27 juillet 1994 relative à l'amélioration de la participation des salariés dans l'entreprise, visant à favoriser le développement de l'emploi par la prise d'un congé d'au moins 6 mois et à permettre la distribution de gains de productivité aux salariés sous forme de temps libre indemnisé. Il constitue un dispositif de gestion individualisée du temps de travail, qui permet aux salariés d'accumuler des droits afin de bénéficier d'un congé de longue durée rémunéré. Il peut être alimenté par des congés, du repos et des primes dans un compte, par rapport à des congés rémunérés. Ce dispositif vient fréquemment légaliser la pratique courante et informelle du "débit-crédit d'heures". Le CET ne peut être mis en place que par un accord collectif au niveau de la branche ou de l'entreprise.

Une étude réalisée sur 790 accords d'entreprises (Ministère du Travail, 1998) montre que ce type de congé est très souvent mobilisé dans le cadre de congés particuliers tels que congés sabbatiques, parental, de création d'entreprise, ou encore de fin de carrière tels que la préretraite progressive (3 accords sur 5). Il s'adresse prioritairement aux salariés qui remplissent certaines conditions d'ancienneté et de statut.

Ce dispositif revêt un regain d'intérêt dans le cadre de la loi Aubry, où la RTT s'opère en grande partie par l'octroi de jours de repos supplémentaires. Ainsi, en se réfèrent au bilan des accords Robien (1 accord sur 5 prévoit une RTT par jours de congés), la loi incite les partenaires sociaux à favoriser cette pratique de jours de repos accordés pour la RTT qui alimentent le CET. Les négociations de branche ou d'entreprise d'application de la réduction légale du travail mobilisent largement ce dispositif, notamment pour la catégorie des cadres.

Compensation salariale

Tous les accords négocient une compensation salariale. La compensation est totale dans 90 % des cas . La question de la baisse de la rémunération liée à la RTT est en effet un élément de crainte importante des salariés.

Les entreprises qui s'engagent dans la RTT ne semblent pas jouer sur la diminution des salaires pour réduire le coût de la RTT, mais davantage sur l'augmentation des gains de productivité ou encore une politique de modération salariale à plus long terme.

Ainsi, un nombre important d'accords, 30 % , prévoient un blocage des augmentations collectives.

Créations d'emplois

Les accords de RTT précisent les catégories d'embauches mais ne définissent pas spécifiquement les postes concernés. 78 % des accords envisagent des embauches en CDI.

La question de la dynamique de création d'emplois nécessite d'être envisagée sur le long terme et au-delà du maintien des embauches prévues sur deux ans dans la loi. Il s'agit d'aborder la réalisation d'embauches dans une réflexion plus globale sur le redéploiement des compétences ou des effectifs sur tel ou tel service ou tel ou tel poste de travail. L'enquête CFDT "Le travail en question" montre que lors de création d'emplois, seulement 10 % des salariés répondent qu'il y a eu une répartition de leur charge de travail. Ainsi, l'évaluation de conventions Robien deux ans après leur signature illustre cette nécessaire prudence. L'accord Robien signé en septembre 1996 par l'entreprise organisme de vacances VVF, prévoyant 2 % d'embauches supplémentaires se transforme en novembre 1998 par l'annonce d'un plan social touchant 140 salariés (40 suppressions d'emplois et 100 mutations).

De plus, il ne faut pas oublier que la loi Aubry n'est pas le seul dispositif d'aide publique à la création d'emploi. Les entreprises sont en capacité d'opérer des arbitrages avec les autres dispositifs existants, tels que les exonérations de cotisations sociales pour le travail à temps partiel ou les différents contrats en alternance, de qualification.

Pratique contractuelle

La pratique du mandatement qui se développe fortement dans les accords de RTT est globalement bien acceptée par les syndicats, qui ainsi ont une plus grande maîtrise et connaissance des négociations, notamment grâce aux procédures de suivi des accords. Certains accords prévoient un double mandatement, pour la négociation d'une part, et pour la signature d'autre part. Le mandatement s'accompagne aussi de la pratique du référendum. Cette pratique est mobilisée par la CFDT et la CFTC.

À l'inverse, la pratique du mandatement ne semble pas totalement convenir aux directions d'entreprise. En effet, la plupart du temps, en l'absence de représentants syndicaux, les entreprises souhaitent négocier avec un salarié élu (délégué du personnel, membres du comité d'entreprise), sans qu'un salarié ne soit mandaté par tel ou tel syndicat. La pratique du mandatement est alors ressentie comme une intervention ou une présence indirecte (et indésirée) d'une organisation syndicale.

Possibilités de conflits

Dans certaines entreprises, l'application de la RTT engendre certains conflits au sujet de la compensation salariale, la suppression des horaires de fin de semaine, ou encore la réduction des temps de pause. En effet, la mise en oeuvre de la RTT entraîne dans certaines entreprises une déstabilisation de l'organisation du temps de travail et des compromis entre salariés et direction sur le système horaire existant.

Un modèle de décentralisation négociée incertain

Depuis le milieu des années 1980, relayée par l'obligation annuelle de négocier sur les salaires et le temps de travail des lois Auroux de 1982, la pratique contractuelle au niveau de l'entreprise a connu une forte ampleur, avec l'impulsion d'une logique d'accords "gagnant-gagnant".

Toutefois, la multiplication des accords d'entreprise ne signifie pas nécessairement l'existence d'une "régulation conjointe" des règles de travail entre direction et syndicats (J. D Reynaud, 1979). En effet, l'institution d'une négociation d'entreprise s'est accompagnée d'un rapport de force moins favorable aux syndicats (crise du syndicalisme et plus faible capacité de négociation dans l'entreprise) et d'une prédominance de politiques sociales patronales offensives. Ainsi, la décentralisation de la négociation vers l'entreprise s'est engagée au profit d'une "autoréglementation de l'entreprise", notamment par le renforcement du pouvoir normatif de l'employeur dans la mise en oeuvre d'aménagements du temps de travail (Supiot, 1989). De plus, le développement des accords dérogatoires d'entreprise, nombreux sur la question du temps de travail, conduit à une autonomisation de la négociation d'entreprise par rapport aux autres niveaux de la régulation (Rotschild-Souriac, 1993). Cette multiplicité des accords d'entreprise renforce dans une certaine mesure une plus forte inégalité entre les salariés des différentes entreprises (grandes entreprises/PME ; secteurs exposés/protégés) et à l'intérieur des entreprises entre les différentes catégories de salariés (salariés au forfait, à temps partiel annualisé, cadres).

Ainsi, un cadre de régulation intermédiaire semble nécessaire pour limiter les très grandes disparités de la seule négociation d'entreprise, avec une activité contractuelle plus équilibrée entre le niveau de la branche et de l'entreprise.

* 79 La notion d'effet sociétal se réfère à un programme de recherches mené à la fin des années 1970 par un groupe de chercheurs du LEST (M. Maurice, F. Sellier, J.J Silvestre, 1982) sur une comparaison franco-allemande des systèmes d'éducation et de formation professionnelle, mettant en évidence les spécificités et les cohérences nationales des systèmes de régulation de la relation salariale.

* 80 La loi Aubry propose un dispositif d'aide publique plus direct et plus restrictif que ne le prévoyait la loi Robien : introduction d'un écart entre le pourcentage d'une RTT et le pourcentage de création d'emplois, le principe d'une aide dégressive, qui passe de 7 à 5 ans, le système d'une aide forfaitaire et non plus proportionnelle au nombre de salariés. Cependant, comme la loi Robien, le dispositif Aubry limite à deux ans la période pendant laquelle les effectifs doivent être maintenus et ne précise pas le type d'embauchés à réaliser (CDI ou CDD, temps partiel).

* 81 Le nombre d'accords d'entreprises signés sur le temps de travail a été multiplié par 7 entre 1983 et 1997, passant de 900 accords en 1983 à 6000 accords en 1997. Une très nette progression est à souligner entre 1996 et 1997, de près de 50 %, liée pour une forte proportion à l'augmentation du nombre d'accords sur la réduction du temps de travail, de 500 à 2 000 accords, et à la loi Robien de juin 1996.

* 82 Bilan de la négociation collective. Ministère du Travail. La documentation française.

* 83 La fédération FO Métaux est signataire de tous les accords de branche sur le temps de travail depuis 1982. À l'inverse, les autres fédérations CFDT, CFTC et CGT n'ont pas signé les accords de 1986, 1991 et 1996 sur la modulation des horaires de travail, et de celui de 1982 sur la RTT à 38h30 pour la CGT.

* 84 Fréquence de signature du syndicat, dans le cas où il est représenté dans l'entreprise

* 85 Étude de l'ARACT Haute-Normadie sur l'analyse de 8 cas de pratiques de RTT d'entreprises ; Étude de la DRTEFP réalisée sur 50 accords d'entreprise Aubry ; Étude de la CFDT "Le Travail en questions" par une enquête auprès de 6 000 salariés concernés par la RTT.

* 86 Les pourcentages cités se réfèrent à une étude statistique réalisée par une DRTEFP auprès de 50 accords d'entreprise de RTT dans le cadre de la loi Aubry.

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