2. La politique de l'emploi en France dans la comparaison internationale

2.1. Existe-t-il des modèles nationaux de politique de l'emploi ?

La diversité des pratiques nationales en matière de politiques de l'emploi constitue un résultat "classique" des outils comparatifs mis en place par l'OCDE, et en particulier de la présentation de données financières standardisées. Sur cette base, on peut globalement opposer les États-Unis et le Japon à l'Europe, les deux premiers pays étant caractérisés par des niveaux très faibles de dépense pour l'emploi (respectivement 0,4 et 0.5 % du PIB, contre un minimum européen de 1.5 % pour la Grande-Bretagne 5 ( * ) ). Au sein même de la Communauté Européenne, les écarts demeurent importants, tant en termes de niveau de dépense, que du point de vue de sa structure. D'après la nomenclature de l'OCDE, celle-ci se caractérise par sept catégories regroupées selon des critères fonctionnels ou selon le public visé, et par une dissociation plus synthétique entre les dépenses "actives", et les dépenses "passives" 6 ( * ) .

Le taux d'activité de la dépense varie ainsi de 22 % en Espagne à 55 % en Italie, et au sein de celles-ci, les mesures d'aide à l'embauche représentent une part négligeable 7 ( * ) des dépenses pour l'emploi au Royaume-Uni, contre 31,1 % en Italie. On ne multipliera pas les exemples de cette variabilité structurelle, apparente dans le tableau 2 page suivante, qui renvoie selon Gautié (1997) à trois " modèles " d'intervention publique sur le marché du travail.

Tableau 1 - Dépenses pour l'emploi et taux de chômage dans différents pays de l'OCDE en 1996-1997

Source : OCDE, Perspectives de l'Emploi. 1998 8 ( * )

Premièrement, le modèle anglo-saxon, représenté en Europe par le Royaume-Uni, se caractérise par un effort global relativement faible, une part très importante des dépenses d'indemnisation du chômage (taux d'activité de 29 %), et des dépenses actives concentrées sur l'aide à la recherche d'emploi et la formation.

Deuxièmement, la France et l'Italie peuvent être regroupées sur la base de l'importance des mesures de retraites anticipées et de certaines mesures d'intervention directe en faveur de la création d'emplois.

Enfin, un troisième "modèle" correspondrait aux cas de l'Allemagne et de la Suède, caractérisés par l'importance de l'effort global consacré à la politique de l'emploi, et en particulier aux mesures de formation professionnelle et d'aide à l'embauche (les deux pays ayant une tradition de recours aux emplois publics aidés).

Cette classification ne recoupe que partiellement une appréciation de l'"effort" relatif des différents pays, l'effort étant mesuré par le ratio dépense moyenne par chômeur I PIB par habitant. La moyenne européenne obtenue selon cet indicateur est de 60 %. et on obtient une opposition entre les pays du Sud plus le Royaume-Uni, dans lesquels l'effort de politique de l'emploi est égal ou inférieur à 40 %, et les pays du Nord, où il dépasse 80 % voire 100 % (Pays-Bas, Finlande, Danemark). La France et la Suède se situent à un niveau moyen (60 % pour la Suède, 55 % pour la France) 9 ( * ) . Cette première approche de la politique de l'emploi dans une perspective comparative souligne la difficulté d'établir une hiérarchie stable entre les pays celle-ci varie selon l'indicateur retenu.

10 ( * )

L'approche fonctionnelle et structurelle par les objectifs et les modalités d'intervention apparaît plus enrichissante : elle permet de préciser les composantes de l'hétérogénéité des politiques de l'emploi en Europe. Une seconde approche de cette diversité, moins courante dans les synthèses existantes, peut ainsi être fondée sur une analyse d'ordre organisationnel et institutionnel.

En premier lieu, on peut remarquer que les modes de financement de la dépense pour l'emploi (types de ressources) opposent deux cas polaires, l'Allemagne d'une part, où les dépenses sont quasi intégralement financées par les cotisations sociales, et la Grande-Bretagne d'autre part, où les ressources proviennent de l'impôt (Schmid et al, 1992). On retrouve te contraste classique de l'analyse des politiques sociales entre la logique beveridgienne et bismarckienne de protection sociale, étendue à l'ensemble des dépenses de politique de l'emploi, au-delà de l'indemnisation du chômage.

La France et la Suède constituent i cet égard des systèmes mixtes, où les politiques actives relèvent principalement de l'impôt. Sur le plan institutionnel, les structures de mise en oeuvre de la politique active de l'emploi apparaissent également diversifiées 11 ( * ) . Dans un certain nombre de pays, la politique active de l'emploi relève au niveau central d'une organisation autonome, sous le contrôle du gouvernement : le Conseil National de la Politique de l'Emploi (AMS) en Suède. l'Institut Fédéral du Travail (BAA) en Allemagne par exemple sont des institutions publiques indépendantes dotées à la fois d'un pouvoir décision et compétents à l'égard de la mise en oeuvre des mesures. A contrario , en France et aux Pays-Bas, l'organisation et la coordination de la politique de l'emploi relèvent directement de la responsabilité du Ministère du Travail ; en France, cette responsabilité est doublée d'un pouvoir de décision du Ministère à l'égard des orientations de la politique active de l'emploi.

L'autonomie des structures institutionnelles de la politique de l'emploi à l'égard du Gouvernement semble liée au degré de participation des partenaires sociaux à la politique de l'emploi, de même qu'au niveau de centralisation des relations professionnelles : en effet, les syndicats et organisations patronales participent à l'orientation et à la décision en matière de politique de l'emploi au niveau central en Allemagne et en Suède, l'AMS et le BAA étant des structures tripartites. Cette participation existe également aux Pays-Bas (Comité Central tripartite de la politique de l'emploi, CBA), tandis qu'elle n'apparaît pas dans le cas français 12 ( * ) . Le degré de décentralisation de la mise en oeuvre, y compris l'autonomie des échelons locaux, apparaît également très variable : les pays à haut degré d'autonomie des échelons locaux seraient la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. tandis que la France ou l'Allemagne se caractérisent par le maintien de relations hiérarchiques (entre le Ministère et les Directions Départementales du Travail, de l'Emploi et de la Formation Professionnelle, entre le BAA et les Bureaux locaux du Travail -AA). La Suède se situe de ce point de vue dans une position intermédiaire, le système institutionnel de mise en oeuvre de la politique de l'emploi étant intégré, mais avec des marges d'autonomie importantes sur la base de principes de management par objectifs. Ainsi les disparités de niveaux de dépenses et d'instruments de la politique de l'emploi sont-elles doublées, en Europe, de spécificités institutionnelles nationales fortes.

2.2. L'évolution récente des "modèles nationaux" de politiques de l'emploi.

La fin des années quatre-vingts et les années quatre-vingt-dix apparaissent comme une phase de transformation de ces politiques. Plusieurs orientations de réforme sont à l'oeuvre, en particulier sur le plan institutionnel abordé au paragraphe précédent. Une première tendance consiste en un renforcement de la coopération locale autour de la mise en oeuvre des politiques actives de l'emploi.

En Suède, des projets pilotes destinés à accroître l'implication des acteurs locaux dans la mise en oeuvre et le financement des mesures ont été mis en place en juillet 1996 se traduisant .institutionnellement par la création d'un conseil du service de l'emploi au niveau municipal (Niklasson, 1997).

En France, on constate le développement du "partenariat", c'est-à-dire de la coopération entre différentes catégories d'acteurs (Service Public de l'Emploi, collectivités locales, employeurs), autour de la politique active de l'emploi, en particulier sur la base de mesures reposant sur l'initiative locale, comme le Plan Local d'Insertion par l'Économique (Barbier. 1997).

Une seconde voie de réforme des institutions de la politique de l'emploi consiste en une privatisation de certains services d'aide aux chômeurs. Cette orientation a été développée au Royaume Uni et aux Pays-Bas. Dans ces deux pays, des institutions privées interviennent dans les activités de placement et de formation. Au Royaume-Uni, les Conseils Formation Entreprise (TEC) ont été institués en décembre 1988 sous la forme de sociétés locales dirigées par les employeurs : ils .sont responsables de la mise en oeuvre de la formation et des aides à la création d'entreprises (MISEP, 1996d).

Aux Pays-Bas, le service de l'emploi s'appuie partiellement sur des institutions semi-publiques de placement, comme l'agence d'intérim START, qui a pour objectif prioritaire l'insertion des chômeurs difficiles à placer en tant que salariés intérimaires (MISEP, 1996c). Sous un angle plus général, un des thèmes dominants apparaît également comme celui de l' "activation des dépenses passives", qui induit des modifications importantes dans les relation entre le système d'indemnisation du chômage et les institutions de la politique active de l'emploi (Gazier. 1996).

Enfin, au-delà de ces orientations de réforme, un thème dominant serait celui de la fin des modèles en Europe, suite à l'affaiblissement du modèle suédois dans les années quatre-vingt-dix, et aux tensions créées au sein du système allemand par la réunification. Cette thématique générale de la crise des modèles nationaux (DARES 1996), ou de " l'émergence de nouvelles régulations [...] de l'emploi " (Lallement. 1996) 13 ( * ) , signale la particularité du contexte des années quatre-vingt-dix, et l'enjeu d'une actualisation constante de l'analyse des politiques actives de l'emploi.

* 5 Ces chiffres, ainsi que les suivants en l'absence d'indication contraire, sont ceux de l'année 1996 (source : OCDE. Perspectives de l'emploi, 1998). Voir tableau 1. infra.

* 6 Nous rappelons que les catégories de dépenses distinguées par l'OCDE sont les suivantes :

- dépenses "actives " ; dépenses pour l'administration et le service public de l'emploi : dépenses en faveur de la formation professionnelle des adultes ; mesures en faveur des jeunes ; mesures d'aide à l'embauche (subventions à l'emploi dans le secteur privé, emplois temporaires dans le secteur public ou associatif, aides aux chômeurs créateurs d'entreprises) ;

- dépenses " passives " : indemnisation du chômage, retraites anticipées financées sur fonds publics.

Le " taux d'activité " de la dépense est défini comme le rapport entre la somme des dépenses " actives " et le total de la dépense pour l'emploi.

* 7 Non comptabilisée dans les données OCDE pour 1998.

* 8 Et nos propres calculs.

* 9 Ces calculs de dépense moyenne par chômeur, rapportée au PIB par habitant figurent dans Economi e Européenne, 1996. On doit noter que le fait de rapporter la dépense au nombre de chômeurs présente un caractère problématique. dans la mesure où la composante active de la dépense pour l'emploi est supposée agir sur le nombre de chômeur.

* 10 Structures en pourcentage calculées sur la base des données en pourcentage du PIB. Les totaux sont légèrement différents de 100 en raison des approximations.

* 11 Les caractéristiques présentées dans ce paragraphe sont fondées sur les documents de synthèse publiés par le MISEP pour les pays de la Communauté Européenne. Les éditions consultées sont en général celles de 1996 (MISEP, 1996).

* 12 Nous rappelons que nous nous concentrons ici sur les structures de mise en oeuvre des politiques actives. En France, les partenaires sociaux ont la charge de la gestion de l'indemnisation du chômage.

* 13 Page 11

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