PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, de réglementation des télécommunications.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de réglementation que nous avons à examiner aujourd'hui est un texte d'équilibre. Je dirai même, après vous avoir entendu, monsieur le ministre, que c'est un texte sage : il répond en effet aux orientations souhaitées par le Sénat à travers le rapport d'information sur l'avenir de France Télécom qui a été présenté par sa commission des affaires économiques ; or, la sagesse ne compte-t-elle pas au nombre des qualités que l'on prête traditionnellement au Sénat ?
Ce projet de loi de réglementation est aussi un texte d'équilibre et un texte sage car il assure la réponse aux défis de la modernité et aux mutations du secteur des télécommunications tout en préservant des valeurs collectives de solidarité auxquelles les Français sont très attachés.
En effet, les années à venir vont être décisives pour le secteur des télécommunications. Peu de secteurs de l'activité humaine ont connu - chacun en est bien conscient, je crois - une évolution technologique aussi accélérée que celui-ci. Songeons seulement au poste de téléphone que nous utilisions lorsque nous étions enfants - pour moi, dans le département de l'Orne, c'était encore l'automatique rural ! - et aux moyens en téléphonie dont disposent aujourd'hui les entreprises et les ménages dans notre pays. Ce n'est pas une évolution ; c'est réellement un bouleversement ; c'est un monde nouveau qui s'ouvre rapidement devant nous.
Pourrions-nous conquérir ce monde nouveau avec nos outils institutionnels et juridiques forgés pour l'essentiel à la fin du siècle dernier ? C'est la question à laquelle nous sommes aujourd'hui conviés à répondre. C'est aussi la question que nous serons conduits à trancher la semaine prochaine, lorsque viendra en examen au Sénat, en première lecture, le projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom.
L'entreprise est hardie, l'entreprise est difficile. La commission des affaires économiques l'avait appelée de ses voeux dans son rapport intitulé L'avenir de France Télécom : un défi national. Elle est résolue à contribuer à l'élaboration d'un bon projet de loi, c'est-à-dire d'un texte clair et facilement applicable.
Les enjeux de la mutation que vont connaître les télécommunications sont considérables.
Ils sont d'abord politiques, puisque le texte qui est soumis à notre vote est le fruit d'une constance politique depuis la signature du traité de Rome. Tous les gouvernements quels qu'ils soient - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - ont en effet travaillé à la mise en oeuvre progressive des orientations ainsi tracées depuis 1957. Dans le domaine des télécommunications, aujourd'hui, leur aboutissement est clair : fin des monopoles, ouverture à la concurrence.
Cette mutation est aussi lourde d'enjeux économiques, puisqu'un marché des télécommunications ouvert à la concurrence sera amené à se développer, favorisant ainsi la croissance, donc l'emploi.
En effet, la part du secteur des télécommunications dans le produit intérieur brut n'est aujourd'hui que de 1,6 p. 100 en France, alors que ce chiffre dépasse 2 p. 100 dans les principaux pays ayant déjà mis fin au monopole. Cela laisse donc espérer une croissance réelle de l'activité dans notre pays.
Le secteur de la radiotéléphonie est d'ailleurs, me semble-t-il, un exemple du phénomène de rattrapage dont notre pays pourrait bénéficier : depuis l'annonce de l'arrivée sur le marché d'un troisième opérateur, Bouygues Télécom, qui a présenté le 29 mai dernier sa première offre de services, on constate une très forte croissance du marché et du nombre d'abonnés, ainsi qu'une diminution très nette des tarifs.
Le monopole public, inefficace dans les années cinquante et de 1960 à 1967, a permis à notre pays, après 1967, de bénéficier progressivement d'un service téléphonique de grande qualité. Mais il est temps, aujourd'hui, de passer, si j'ose dire, à la vitesse supérieure, celle de la concurrence régulée. C'est ce que nous proposent les auteurs du projet de loi de réglementation des télécommunications.
Les enjeux de la mutation que nous nous apprêtons à opérer sont enfin - j'allais dire « surtout » - des enjeux de techniques qui vont modifier notre vie quotidienne. Il serait faux, en effet, de penser que l'ouverture à la concurrence n'est que le fruit d'une volonté politique. Elle est au contraire inéluctable, et c'est pourquoi il est nécessaire de l'accompagner et de la maîtriser.
Face aux évolutions technologiques actuelles, le monopole ne serait, dans quelques années, qu'un bouclier de carton. Je ne prendrai qu'un seul exemple, celui du call back , que vous avez d'ailleurs cité, monsieur le ministre : ce système permet déjà, de manière simple - ce sera, demain, de plus en plus simple, dans le cadre de l'adaptation des terminaux - de contourner le monopole en passant par des opérateurs implantés à l'étranger. On obtient ainsi, pour des communications internationales vers New York ou Londres, un tarif inférieur de 30 à 45 p. 100, voire parfois plus, par rapport aux tarifs français. Je pourrais aussi citer les nouvelles possibilités offertes par le réseau Internet ou par les réseaux de communication par satellite.
Mais cette mutation nécessaire que nous nous apprêtons à accomplir doit, à mon avis, être maîtrisée.
L'ouverture à la concurrence de la téléphonie entre points fixes doit s'effectuer non pas dans l'anarchie, mais, au contraire, dans un cadre clair qui fixe des règles du jeu non seulement précises, mais aussi loyales et équilibrées. C'est pourquoi la commission des affaires économiques se félicite des dispositions du projet de loi qui organisent une concurrence soigneusement régulée par le ministre chargé des télécommunications et l'autorité de régulation des télécommunications.
La création d'une autorité administrative indépendante - ce n'est pas chose nouvelle dans notre pays - est un gage pour les nouveaux entrants sur le marché, même si son instauration ne signifie en aucun cas, à mes yeux, que l'impartialité de l'Etat puisse être mise en cause. C'est d'ailleurs le ministre chargé des télécommunications qui délivrera les autorisations les plus importantes et fixera les règles générales dans le cadre du pouvoir réglementaire dévolu au pouvoir exécutif. Cela devrait rassurer ceux qui craignent le trop grand pouvoir d'une autorité de régulation.
Cette évolution, que nous voulons maîtrisée et équilibrée, doit aussi nous permettre de consolider des acquis essentiels et d'ouvrir de nouveaux droits. La commission des affaires économiques a été particulièrement attentive à poursuivre dans cette voie dans trois domaines : le service public, l'aménagement du territoire, les droits des consommateurs.
Le service public est une option politique majeure du texte qui nous est soumis. En effet, celui-ci précise le contenu du service public, qui repose sur trois piliers auxquels s'appliquent les principes fondamentaux d'égalité, de continuité et d'adaptabilité.
Le premier pilier est le service universel, qui englobe le service téléphonique tel qu'on le connaît aujourd'hui, c'est-à-dire le téléphone pour tous, à un prix abordable qui soit le même quel que soit l'endroit où l'on se trouve sur le territoire, des cabines téléphoniques et un service d'annuaire et de renseignements.
Il s'agit d'autant moins d'un service « minimum », comme ont pu le dire certains, que la loi prévoit une clause de « rendez-vous » entre le Parlement et le Gouvernement, dont la commission des affaires économiques vous proposera, mes chers collègues, de rapprocher l'échéance pour mettre en oeuvre plus rapidement l'enrichissement à terme du contenu du service universel qu'elle vous présentera par ailleurs.
En outre, le service universel ne sera pas régionalisé, à la différence de ce qui est prévu en Allemagne : il devra être fourni sur l'ensemble du territoire. France Télécom sera chargé par la loi de fournir le service universel.
La loi prévoira un financement par tous les opérateurs des obligations du service universel. Des tarifs adaptés devront être proposés aux personnes souffrant d'un handicap ou de revenus insuffisants.
Les services obligatoires de télécommunications sont le deuxième pilier du service public. Ils comprennent l'accès au réseau numérique à intégration de services, les liaisons louées et la transmission de données. Ces services seront offerts sur tout le territoire, dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité.
Les missions d'intérêt général dans le domaine des télécommunications représentent la troisième composante du service public : elles concernent la défense, l'enseignement supérieur, la recherche, et seront prises en charge par l'Etat.
La commission des affaires économiques approuve pleinement le choix qu'opère le texte d'une définition ambitieuse - c'est la plus ambitieuse au sein de l'Union européenne - du service public.
Il ne fait nul doute que la position française a conduit d'autres pays de l'Union européenne à élargir leurs conceptions mêmes du service universel et du service public. C'est en effet la conception française qui, sous l'impulsion du Gouvernement, s'est peu à peu imposée à l'échelon européen. Il me paraît opportun de le rappeler ici ce soir.
La commission des affaires économiques vous proposera des amendements tendant à consolider ce service public, mes chers collègues : ces amendements viseront tout d'abord à permettre de rendre insaisissable la ligne téléphonique d'un abonné en situation financière difficile, lui conservant ainsi pendant un certain temps ce fil de vie, avec la possibilité à la fois de recevoir des appels et de joindre les services d'urgence ; ils tendront également à rapprocher de cinq à quatre ans, je l'ai déjà dit, la périodicité de la clause de « rendez-vous » permettant d'élargir le service universel et à inclure toutes les cabines situées sur le domaine public dans le champ du service universel.
Après le service public, la deuxième préoccupation de la commission des affaires économiques et du Plan a concerné l'aménagement du territoire. Cela n'étonnera personne !
Le texte pose déjà nombre de garanties, puisqu'il préserve le principe de la péréquation, dont il assure le financement par l'ensemble des opérateurs, et qu'il inscrit l'aménagement du territoire au titre des « exigences essentielles ».
La commission vous proposera malgré tout d'aller plus loin, en permettant notamment un accès à des tarifs préférentiels aux services les plus avancés de télécommunications - on pense aujourd'hui à Internet mais, demain, ce peut être un autre service - pour les établissements d'enseignement situés en zones de redynamisation rurale et en zones de revitalisation urbaine. Cet accès privilégié, notamment pour les écoles, existe dans la loi américaine du 8 février 1996 et n'a pas aujourd'hui d'équivalent en Europe.
Il importe, me semble-t-il, d'appliquer cette discrimination positive pour les territoires en difficulté : elle favorise leur développement, leur attractivité et les met en même temps au contact des technologies et des moyens de communication de demain.
La commission vous suggérera, par ailleurs un dispositif propre à accélérer la couverture par la radiotéléphonie numérique des zones faiblement peuplées du territoire, pour lesquelles le téléphone mobile représente un outil majeur de désenclavement et de redynamisation.
Je crois, à titre personnel, que les technologies hertziennes numériques, terrestres ou satellitaires, constituent l'une des clés de l'avenir de l'espace rural français. Il sera nécessaire que cette ressource rare soit préservée prioritairement pour l'espace rural.
Au cours des débats, nous devrions avoir l'occasion de revenir sur cette priorité essentielle qu'est l'aménagement du territoire.
Le troisième axe majeur de réflexion de la commission concerne les droits du consommateur.
L'utilisateur, qu'il soit particulier ou entreprise, est l'horizon et la justification de la mutation qui nous est aujourd'hui proposée. Le projet de loi précise déjà que les baisses des tarifs à venir devront bénéficier à l'ensemble des utilisateurs. Les utilisateurs profiteront également de l'accroissement de la diversité des offres qui seront proposées en univers concurrentiel, sans parler des possibilités nouvelles comme la portabilité des numéros de téléphone.
La commission a souhaité approfondir certains droits des utilisateurs. Il s'agit, dans le domaine social, de l'insaisissabilité de la ligne téléphonique, que j'ai déjà évoquée, mais aussi, sur des points touchant à la vie quotidienne, de la garantie d'un accès simple au service téléphonique ou de la possibilité de ne pas faire figurer dans l'annuaire son adresse complète.
En définitive, au vu de l'oeuvre - on peut employer ce terme - accomplie sur cette question complexe de la nouvelle réglementation des télécommunications par le Gouvernement et par nos collègues de l'Assemblée nationale, et compte tenu des amendements que nous avons prévu de vous soumettre, nous formulerons ce soir, non pas un seul regret, mais un seul souhait : nous désirons aboutir, au cours du débat, à la mise au point d'un dispositif faisant l'objet d'un accord complet sur deux points qui nous semblent importants.
Le premier point a trait à la délimitation du champ de la responsabilité des prestataires d'accès à des réseaux informatiques ou télématiques. En effet, ces prestataires se trouvent parfois, en l'état actuel du droit, sanctionnés - on l'a vu il y a bientôt trois semaines pour les prestataires reliés à Internet - en raison du comportement de l'utilisateur de ces réseaux, alors même qu'ils n'ont aucune influence sur lesdits utilisateurs.
Si cette situation gênante n'est pas dissipée, on risque d'aboutir à une entrave du développement des nouveaux moyens de communication que nous offrent les progrès techniques. Il me paraît important de relever cette préoccupation de modernité exprimée constamment par notre Haute Assemblée, donc de résoudre ce problème.
Le second point sur lequel nous souhaitons apporter une réponse avant la fin de ce débat est lié au précédent : il s'agit de l'absence d'un organisme compétent pour contrôler le contenu des services proposés sur les réseaux précités et pour recommander aux autorités de régulation la prise de sanctions adaptées si lesdits services portent atteinte à la dignité de la personne humaine.
La commission supérieure de la télématique, actuellement instituée par décret et qui tend à jouer ce rôle, a en effet désormais un champ trop restreint au regard de la multiplication des réseaux et des services qui résulteront de l'application de la loi. C'est pourquoi l'instauration d'une nouvelle instance ayant vocation à couvrir tout le champ des réseaux et des services et pouvant, éventuellement, être placée sous l'autorité du Conseil supérieur de l'audiovisuel m'apparaît indispensable.
Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez ces deux soucis. Vous l'avez dit en fin d'après-midi à la tribune, comme vous l'aviez indiqué à la commission des affaires économiques lorsqu'elle vous a interrogé à ce propos au cours de votre audition sur le projet de loi.
Je sais également que vous avez engagé votre réflexion sur ces questions depuis longtemps.
Je vous exprime donc très sincèrement mon espoir que, dans les deux jours à venir, nous puissions, ensemble, avec nos collègues qui sont intéressés par ces sujets, aboutir à un texte qui réponde à la fois aux ambitions du Gouvernement et à l'attente du Sénat.
Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire ce soir sur le projet de loi de réglementation des télécommunications.
Comme vous ne l'ignorez pas, mes chers collègues, la commission des affaires économiques avait déjà eu l'occasion, dans le rapport d'information qu'elle a publié, d'appeler de ses voeux une loi de « démonopolisation » qui soit également une loi de consolidation du service public.
Le texte qui nous est proposé répond aux grands enjeux du monde contemporain tout en respectant les priorités essentielles qui sont les nôtres.
Ne pas l'adopter serait faire courir à notre système de télécommunications le risque d'un repli frileux sur des acquis brillants, certes, mais qui, face aux possibilités de contournement qu'offre désormais la technologie, serait bientôt synonyme d'obsolescence et de décadence.
En outre, ce serait ne pas tenir parole à l'égard de nos engagements européens. Ce serait nous mettre à l'écart. Voulons-nous être la Grèce, l'Irlande ou le Portugal en demandant des délais ?
L'heure est au risque, sans doute, mais au risque calculé. Le Sénat va, dans les jours à venir, contribuer à une autre grande réforme de la législation française sur les télécommunications. Nous devons en avoir bien conscience : ce sont des décisions fondamentales, et pas seulement des décisions à caractère technique, que nous aurons à prendre dans les prochains jours.
Sur tous les continents - en Europe, bien sûr, mais aussi en Amérique, en Asie, dans des pays comme le Japon, l'Inde, l'Australie, la Nouvelle-Zélande - on assiste à un vaste mouvement de décloisonnement des marchés des télécommunications. Notre pays dispose de nombreux atouts, avec France Télécom, quatrième opérateur mondial, pour tirer un large profit de cette ouverture.
Il importe aujourd'hui de n'être ni apeuré ni naïf. La concurrence sera rude, mais, je le répète, nous avons des atouts, et le plus beau d'entre eux est indéniablement France Télécom. En effet, comme beaucoup d'entre vous, j'ai confiance en France Télécom, en ses capacités, en sa compétence, en son sens de l'avenir.
L'application du projet de loi d'équilibre qui est soumis à notre examen sera, je vous le dis comme je le pense, un instrument essentiel de confortation de ces atouts et de succès pour les entreprises de notre pays.
Aujourd'hui, nous examinons un projet de loi de réglementation des télécommunications ; demain, nous discuterons d'un texte portant sur l'évolution du statut de l'opérateur public France Télécom, qui doit devenir société nationale. Au cours de ces journées où nous débattrons des télécommunications, les enjeux concerneront non pas des problèmes techniques, mais la préparation de notre pays aux défis de l'avenir : les télécommunications joueront demain, dans la dimension sociale, dans la dimension du développement économique et de l'emploi, un rôle essentiel.
Ces deux réformes figurent, me semble-t-il, parmi les réformes majeures conduites depuis maintenant plus d'un an. Elles méritent que notre Haute Assemblée, qui a apporté sa contribution, et qui l'enrichira au cours du débat, ressente bien qu'il s'agit d'un choix primordial pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. François Fillon, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à rendre hommage à la qualité du travail effectué par votre rapporteur, M. Gérard Larcher, qui a fait preuve à la fois d'une très grande sagesse, du sens du service public que nous lui connaissions déjà, d'une forte capacité d'écoute des différents acteurs de ce monde des télécommunications et d'une vive imagination.
Que ce soit dans son rapport sur le projet de loi de réglementation des télécommunications ou dans son rapport d'information sur l'avenir de France Télécom, il a contribué à éclairer le débat. Le Gouvernement s'est d'ailleurs très largement inspiré des solutions qu'il a préconisées dans son second rapport, après avoir notamment entendu l'ensemble des intervenants, qu'il s'agisse des représentants des organisations syndicales, des dirigeants de l'entreprise ou des autres acteurs de ce monde des télécommunications.
M. Gérard Larcher a évoqué, à la fin de son intervention, une question d'actualité très importante : le cadre juridique qui régit l'activité des sociétés qui offrent des accès au réseau Internet.
Nous savons tous que, ces dernières semaines, plusieurs affaires ont défrayé la chronique. Certaines des entreprises qui offrent ces accès ont ainsi fait l'objet de poursuites judiciaires. J'ai eu l'occasion de dire que ces poursuites me paraissaient résulter d'une sorte de contresens sur le rôle des entreprises concernées.
En réponse à la question que vient de poser M. Gérard Larcher, je peux indiquer au Sénat que le Gouvernement, s'inspirant pour une part des propositions votre rapporteur et des réflexions que je mène sur ce sujet, déposera un amendement qui permettra d'adapter la législation française à ces nouvelles technologies, à ces nouveaux services que sont les services en ligne.
Loin de vouloir censurer un réseau de nature internationale, par cet amendement, le Gouvernement proposera, d'abord, des outils permettant à la responsabilité individuelle de chacun de s'exercer : les parents notamment pourront décider des accès qui peuvent être laissés ouverts aux mineurs.
Ensuite, il suggérera d'instituer auprès du CSA un Conseil supérieur de la télématique. Ce dernier pourra faire des recommandations dans le domaine de la déontologie et pourra aussi, saisi par les usagers, donner un avis sur le contenu d'un certain nombre de serveurs qui pourraient être en contradiction avec les principes fondamentaux de la législation française ; je pense, en particulier, à ces serveurs qui mettent en cause l'intégrité de la personne humaine ou à ceux qui constituent des incitations à la haine raciale ou encore qui font oeuvre de révisionnisme.
Enfin, il proposera que les pourvoyeurs d'accès, ceux qui, techniquement, offrent des accès sur le réseau Internet, soient exonérés de responsabilité pénale sous deux conditions : d'une part, ils devront respecter les règles que je viens d'évoquer, c'est-à-dire la mise à disposition d'outils de responsabilité individuelle, de logiciels permettant le filtrage des accès ; d'autre part, ils devront fermer les accès aux serveurs que le Conseil supérieur de la télématique, placé au sein du CSA, aura désignés comme contrevenant à la législation française.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Très bien !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 61 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 52 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 28 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'a excellemment dit M. le rapporteur, les télécommunications joueront dans l'avenir pour l'aménagement du territoire un rôle aussi important que les infrastructures de transport. Elles sont en effet devenues le système nerveux d'un pays ; sa sécurité et son économie en dépendent.
Je rappellerai quelques faits.
Premièrement, si depuis plus de dix ans, près de quarante accords de prises de participations et d'alliances sont intervenus entre les grands opérateurs de télécommunications mondiaux, France Télécom n'a été présent que dans deux d'entre eux : la privatisation du réseau mexicain et celle des télécommunications d'Argentine.
Deuxièmement, à partir du 1er janvier 1998, il ne devra plus y avoir de monopoles sur les services de télécommunications européens.
Troisièmement enfin, et cela sera souvent dit dans les prochains jours, la mondialisation des marchés fait exploser tous les cadres de l'activité. Partout, les monopoles et les situations acquises sont battus en brèche, et la concurrence s'annonce totale. Pour nous Français, entrer dans la concurrence - M. le ministre l'a clairement énoncé - c'est accepter la loi du marché, tout en restant attachés à une tradition qui impose l'accès de tous aux communications et sur tout le territoire. La réforme du statut de France Télécom est dès lors inévitable. L'enjeu est de taille : permettre à l'opérateur national de jouer gagnant sur un marché en pleine expansion.
Dans la suite de mon propos, je m'attacherai à développer les termes de l'équilibre entre l'ouverture à la concurrence et le maintien des obligations de service public, tandis que mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants aborderont sans doute davantage de leur côté le contexte international qui rend cette réforme impérative.
Il convient de souligner que l'objet de ce projet de loi est de garantir un service public du téléphone de qualité tout en permettant la construction progressive et équilibrée du marché français des télécommunications dans le marché européen.
Notons au passage, monsieur le ministre, que vous avez déjà réussi à convaincre Bruxelles de respecter les exigences de l'offre d'un service universel et de services obligatoires de télécommunications. C'est sans doute une contribution française qui n'est pas négligeable.
Notons aussi que de bons travaux préparatoires à l'élaboration du projet de loi ont été conduits.
Je citerai le rapport d'étape du groupe d'expertise présidé par M. l'inspecteur général Champsaur, qui a montré l'importance de l'interconnexion des opérateurs privés au réseau de France Télécom. Celle-ci devra être soumise à une régulation forte, précise le rapport, et selon des modalités révisables périodiquement. En contrepartie, une plus grande liberté tarifaire devra être laissée à France Télécom dans le cadre de contrats de plans successifs.
Ainsi, les conditions techniques et financières de l'inteconnexion évolueront vers le droit commun de la concurrence. Cette démarche refuse donc une régulation asymétrique et émet des réserves sur les possibilités de compensation tarifaire du déficit d'accès résiduel après le 1er janvier 1998.
De même, l'étude d'impact accompagnant ce projet de loi a présenté un certain intérêt. On peut toutefois regretter qu'elle soit empreinte à nos yeux d'un trop bel optimisme. Elle ne laisse que peu de place aux interrogations que l'on peut se poser dans le domaine des emplois industriels, ou du développement réel du trafic en Europe. Toutes les mesures proposées dans le texte y sont justifiées sans réserve aucune.
Aussi, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser la valeur juridique réelle de ce document ? Doit-il être considéré comme formant un tout avec l'exposé des motifs ?
En effet, ce dernier est d'autant plus important que le projet de loi modifie une partie essentielle du code des télécommunications, sans rappeler les articles laissés en l'état. Une fois n'est pas coutume, il est complet et précis ; il exprime la volonté du Gouvernement de mettre en place des règles équitables tant pour France Télécom que pour ses concurrents, qui déboucheront sur un traitement symétrique des différents acteurs du marché. Dans ces conditions, la simplification et l'allégement des différentes procédures d'autorisations permettant aux nouveaux entrepreneurs d'entrer sur le marché ne peut être que bénéfique.
Venons-en maintenant, monsieur le ministre, à votre projet de loi.
Je ne peux qu'approuver la démarche du Gouvernement visant à introduire dans la loi une définition claire et lisible du service public selon la conception française. Cette définition recouvre ainsi le service universel destiné à l'ensemble des usagers, l'offre de services obligatoires pour les entreprises et des missions d'intérêt général.
Ce texte a le grand mérite de garantir l'offre du service universel et des services obligatoires, de désigner l'opérateur public, France Télécom, pour la fourniture de services qu'il rend actuellement, tout en ouvrant la possibilité à d'autres acteurs de se porter candidats.
Toutefois - c'est une marque de regret - les dispositions visant le partage des prestations autres que le service universel du téléphone, par découpage géographique ou par catégories de prestations proposées, conduiront, à coup sûr, à des difficultés d'interprétation et à de nombreux conflits.
Il faudra donc laisser ouvert le débat parlementaire sur cette question : quelle sera l'avenir de ces dispositions ? Ne vont-elles pas affaiblir l'opérateur du service universel ? La loi ne devrait-elle pas préciser plus clairement, sans renvoi aux décrets d'application, les méthodes qui seront retenues ?
En effet, l'intérêt premier doit être celui de l'usager, mais n'oublions pas que seul l'équilibre économique global du service universel permettra d'en pérenniser l'offre sur l'ensemble du territoire.
Il est affirmé dans le projet de loi que ce service public sera de qualité. Bien ! Cependant, il faudra veiller à ce que toutes les dispositions soient prises dans le cahier des charges des opérateurs pour la mesurer selon des critères précis et indiscutables.
Face aux exigences de cohésion sociale et d'aménagement du territoire, qui, tout spécialement ici, au Sénat, préoccupent les élus que nous sommes, le projet de loi garantit l'offre d'un service universel du téléphone partout à un prix abordable.
L'Etat s'engage donc à définir clairement et à imposer, après consultation de la commission supérieure du service public des postes et télécommunications, deux types de prix : un prix plafond, qui assurera dans les meilleurs délais l'équilibre économique du service universel du téléphone, et des tarifs spécifiques destinés à des catégories sociales dites défavorisées, dont la liste sera précisée par décret.
Aussi permettez-nous, monsieur le ministre, de nous interroger sur les critères de définition de ces catégories et sur ceux d'attribution de ces tarifs spécifiques.
Par ailleurs, l'Etat se doit de garantir l'offre sur tout le territoire des services obligatoires plus particulièrement destinés aux entreprises. Pour ce faire, il faudra, à mon sens, veiller tout particulièrement à ce que le contrat de plan ne comporte pas de dispositions créant une dissymétrie entre l'opérateur public et les opérateurs privés.
Le texte dispose que l'Etat est responsable des missions d'intérêt général et qu'il les prend à sa charge. Concernant la défense et la sécurité, les dispositions déjà contenues dans la loi de 1990 sont étendues à tous les opérateurs autorisés. Sur ce point, il semble donc qu'il y ait bien symétrie complète entre les opérateurs.
La recherche publique est également expressément mentionnée. Puisqu'elle est publique, elle est à la charge de l'Etat. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous vous demandons, à l'occasion de ce débat parlementaire, de continuer à rassurer les personnels du Centre national d'étude des télécommunications, le CNET, et de leur confirmer encore que le CNET reste le laboratoire de l'entreprise France Télécom.
De même, pour l'enseignement supérieur, pouvez-vous monsieur le ministre, indiquer au Parlement quelles sont les mesures prises pour permettre, en 1997 et au-delà, le maintien et le développement d'un enseignement de très haute qualité ? Vous savez l'importance des garanties que vous apportez.
Le projet de loi prévoit également des mesures propres à assurer la pérennité d'un service de qualité.
Nous le savons bien, ce service universel se doit d'être viable dans le cadre d'un marché concurrentiel. Il en va donc de l'intérêt public de préparer l'économie française aux conditions nouvelles du marché.
Un des éléments majeurs de ce rééquilibrage sera l'évolution de la tarification du service téléphonique. Or, s'il s'avère que l'équilibre économique du service universel ne pourra être atteint au 1er janvier 1998, tout le monde le sait, il fallait trouver un terme raisonnable à la participation des opérateurs dans le rééquilibrage des tarifs de France Télécom. La date du 31 décembre 2000, qui figure dans le projet de loi, nous paraît raisonnable.
La pérennité de la qualité du service exige un contrôle de sa mise en oeuvre. La loi de 1990 avait confié cette tâche à la commission supérieure du service public des postes et télécommunications, à laquelle, monsieur le ministre, vous rendez souvent hommage. Sa mission est maintenue dans un marché ouvert ; le service universel, partie du service public, entre donc dans la compétence de cette commission. Il est vrai qu'elle est un lieu de dialogue entre les acteurs du secteur et des parlementaires de sensibilités politiques différentes ; son rôle d'observateur et de « conscience du service public » s'exprime par des avis et des rapports rendus au Gouvernement. Envisagez-vous, monsieur le ministre, d'ouvrir, au vu des travaux de la commission et chaque fois qu'il sera nécessaire, un débat public au Parlement ?
Si l'on peut se réjouir de la volonté que traduit le projet de loi d'instaurer un droit commun applicable à l'ensemble des opérateurs de télécommuncations dans des domaines ou France Télécom disposait jusqu'alors de droits réservés ou exclusifs, qu'en est-il de son application indifférenciée aux réseaux câblés ?
Sur ce point, une disposition législative pourrait-elle réserver les droits spécifiques des opérateurs sur les réseaux dont ils sont propriétaires mais qui sont exploités par d'autres opérateurs ?
Sensible au principe de transparence des futures règles du jeu, le groupe des Républicains et Indépendants soutient les principes du texte en matière de tarification.
Le principe d'autorisation accordant des droits équivalents pour des obligations équivalentes devra être clairement réaffirmé. Il est donc souhaitable que les positions du conseil de la concurrence soient étendues au secteur des télécommuncations et qu'elles servent de référence permanente tant à l'autorité de régulation des télécommunications qu'à vous-même, monsieur le ministre.
Concernant la réglementation de l'interconnexion, qui sera l'élément clé de la rentabilité pour la plupart des nouveaux opérateurs, l'obligation faite à France Télécom d'ouvrir son réseau, suivant les conditions de la loi, est logique.
Je me félicite que le projet de loi prévoie pour la tarification d'interconnexion une distinction entre les exploitants de réseaux et les fournisseurs de services.
Nous le savons, la recherche d'un nouvel équilibre des pouvoirs sera certainement difficile. La création de l'autorité de régulation des télécommunications fera respecter cette répartition conforme à l'esprit du droit français entre le pouvoir réglementaire réservé au Gouvernement et le pouvoir de régulation attribué à une instance indépendante. Elle n'aura cependant de réalité que s'il existe une indépendance effective. Dans cet esprit, le mode de désignation qui prévoit la nomination de deux membres par les assemblées parlementaires nous semble de nature à renforcer l'indépendance de cette autorité.
Monsieur le ministre, le groupe des Républicains et Indépendants vous apportera son soutien car ce projet de loi traduit également la volonté du Gouvernement de faciliter l'activité de l'ensemble des acteurs du secteur en matière de numérotation, de gestion des fréquences et d'adaptation des réglementations des droits de passage et du cryptage.
Toutefois, de nombreuses dispositions feront l'objet de décrets. Ne conduiront-elles pas, monsieur le ministre, à soustraire au contrôle du Parlement certaines évolutions importantes du droit français ?
Vous connaissez les réticences habituelles du Sénat dans ce domaine.
Monsieur le ministre, vous avez le courage politique de procéder à une grande réforme ; vous ne trompez personne. L'examen de ce projet de loi vous conduira sans doute vers deux autres chantiers, l'un concernant la réécriture complète du code des télécommunications, l'autre la formulation des règles relatives aux nouveaux services ouverts au public sous une forme multimédia comme les réseaux de type Internet.
Soyez assuré, monsieur le ministre, que notre groupe soutiendra votre action politique, considérant que l'essentiel des règles du jeu proposées est propre à garantir un service public du téléphone de qualité et permet la construction progressive et équilibrée du marché français des télécommunications, dans le cadre du marché européen.
Relever aussi le défi de la réforme de France Télécom dans le projet de loi que nous examinerons la semaine prochaine, c'est donner à cette société, au moment où il le faut et comme il faut, les moyens de figurer parmi les grands dans la compétition mondiale d'aujourd'hui et donc de pouvoir, demain, créer de nouveaux emplois. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le ministre, notre groupe approuve les orientations du projet de loi que vous avez défendues avec conviction, et que notre excellent collègue, M. Gérard Larcher, a présenté avec talent en laissant d'ailleurs prévoir au cours du débat des avancées nouvelles que nous approuvons également.
Les Etats membres de l'Union européenne ont décidé à l'unanimité l'ouverture à la concurrence de l'ensemble du secteur des télécommunications.
C'est le résultat d'un long processus lié à l'évolution rapide des technologies, et non le fruit d'une idéologie. Ce processus est mondial : le Japon, les Etats-Unis viennent de déréglementer. En tout état de cause, l'Europe ne pouvait échapper à cette évolution.
M. Michel Pelchat. Tout à fait !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Acceptation non pas résignée mais résolue de la concurrence et recherche de coopération avec des partenaires sont dès lors indispensables pour s'imposer. C'est dans ce contexte qu'il convient de placer l'alliance entre France Télécom et Deutsche Telekom, qui est un exemple concret de ce que doit être la coopération franco-allemande.
Pour élargir l'assise territoriale de leur alliance, les deux sociétés ont d'ailleurs signé un accord avec le troisième opérateur américain afin de constituer ensemble une filiale présente sur tous les continents.
En effet, dans un contexte de globalisation des échanges, où il s'agit de répondre au mieux aux besoins des clients ayant des activités dans plusieurs pays et à la restructuration internationale du secteur, on reconnaît l'importance stratégique d'alliances avec de grands opérateurs étrangers afin de couvrir l'ensemble de la planète.
Ce processus est donc mondial. Rien ne sert de s'opposer à ce mouvement général de libéralisation. En l'acceptant, nous devons rendre hommage à l'effort de modernisation exceptionnel que les télécommunications françaises ont réalisé au cours des vingt dernières années et exprimer nos sentiments de reconnaissance à celui et à ceux qui en ont été les chevilles ouvrières et qui ont été parfois des visionnaires. J'en ai été le témoin à l'automne 1980. Il faut aujourd'hui faire en sorte que cette libéralisation s'opère dans le sens de l'intérêt général et produise des avantages pour tous, y compris pour les usagers et les personnels oeuvrant dans ce secteur.
Le projet de loi qui nous est présenté répond à cet objectif en s'efforçant de concilier trois exigences : d'abord, l'affirmation des principes du service public et du service universel ; ensuite, l'organisation d'une concurrence réelle et efficace ; enfin, l'utilisation des télécommunications comme une opportunité dans l'aménagement du territoire. Monsieur le rapporteur, il y a quelques années, nous avons eu l'occasion d'en débattre âprement.
La première exigence est l'affirmation des principes du service public à la française et du service universel.
Quel est le contenu du service public ?
Il s'agit de défendre une spécificité française, sans pour autant mal interpréter ce vocable qui peut se révéler ambigu et susciter des illusions.
Fondé sur le respect des trois principes fondamentaux du service public - égalité, continuité et adaptabilité - le projet de loi fixe le contenu du service public des télécommunications. Il s'agit, tout d'abord, du service universel du téléphone, c'est-à-dire du service public du téléphone tel qu'il est fourni aujourd'hui en France, ensuite, des services obligatoires de télécommunications, qui doivent être fournis sur tout le territoire et dont les tarifs sont libres, et, enfin, des missions d'intérêt général dans le domaine des télécommunications assurées par ou pour le compte de l'Etat et prises en charge par l'Etat, à savoir la défense et la sécurité, la recherche publique et l'enseignement supérieur, dont le Sénat a largement débattu cet après-midi.
Le projet de loi garantit qu'il y aura bien, au 1er janvier 1998, un opérateur en charge du service universel - France Télécom - seul capable de l'assurer dans sa totalité. Son rôle d'opérateur de service public national est ainsi confirmé.
France Télécom assurera la fourniture sur l'ensemble du territoire des services obligatoires.
L'Etat, lui, aura des missions propres d'intérêt général dans le secteur des télécommunications qu'il assurera ou confiera à des opérateurs qu'il rémunérera.
Quant au financement de ce service, vous l'avez rappelé, le projet prévoit deux modalités : une redevance versée à l'occasion de l'interconnexion et une contribution au fonds de service universel.
Il apparaît nécessaire d'affirmer clairement la notion de service universel, notion qui n'est pas inconnue du droit communautaire, où l'on parle de service public universel. A titre d'exemple, les rapports Théry et Bangemann prévoient un service universel dans le domaine des autoroutes de l'information visant à raccorder la majeure partie de la population, sans aucune discrimination géographique.
Nous devons être heureux que les quinze membres de l'Union européenne aient pris une résolution affirmant - et je vous remercie, monsieur le ministre, de l'influence que vous avez exercée dans ce sens - le maintien du développement d'un service universel.
Le corollaire du service public est l'organisation d'une concurrence effective et efficace.
Il n'y a pas incompatibilité, quoi qu'on dise, entre les deux notions. Le projet de loi vise à instaurer une concurrence loyale, effective, favorable aux utilisateurs, et s'exerçant selon des règles de jeu claires et prévisibles, ce qui est fondamental.
La concurrence ne peut, ne doit pas être une simple façade pour satisfaire à une décision politique ou à un engagement international. Elle ne peut pas non plus pénaliser France Télécom.
La libéralisation ne doit pas conduire à l'abandon de tout contrôle collectif sur le fonctionnement du marché des télécommunications. L'irruption de la concurrence dans un secteur antérieurement sous monopole ne signifie en aucune façon l'avènement de la « loi de la jungle ». Bien au contraire, puisque ce secteur a une forte résonance sociale et fait l'objet de l'organisation d'un service public. Tel est le cas pour la réglementation des télécommunications.
Il appartient au cadre législatif de concilier le maintien du service public avec le développement de la concurrence et de servir de référence visible à tous les acteurs. Il se doit d'établir les fondations d'une compétition loyale et contrôlée. D'où aussi l'importance de l'autorité de régulation des télécommunications.
Cette concurrence doit être réelle et soigneusement organisée.
Elle doit éliminer les barrières qui pourraient s'opposer aux nouveaux entrants. Elle doit également être maîtrisée, et le texte de loi prévoit les conditions d'interconnexion, c'est-à-dire de liaison des réseaux de télécommunications des différents opérateurs.
La réalité de la concurrence passe également par une vraie « portabilité » des numéros. Comment voyez-vous, monsieur le ministre - vous y avez fait une allusion dans votre présentation tout à l'heure - la mise en oeuvre de cette mesure encore mal définie bien que déterminante pour réunir les conditions d'une véritable concurrence ?
Cette concurrence, j'en suis persuadé, ne peut être que favorable à l'utilisateur, que ce soit l'individu ou l'entreprise. Elle sera en effet profitable à l'éclosion de nouveaux services de meilleure qualité à des tarifs plus intéressants. Elle provoquera une demande accrue et une multiplication des services, je pense notamment à Internet.
Cette concurrence ne peut être que favorable à l'économie. Elle va en effet provoquer d'importants investissements, tant chez les prestataires de services que chez les équipementiers et leurs sous-traitants.
Ce marché en fort développement, qui exigera d'importants investissements, devrait donc être - je crois qu'il faut souligner ce fait - favorable au développement de l'emploi. En effet, l'apparition de nouveaux services, le développement des infrastructures susciteront de nouvelles activités et amèneront la création d'emplois.
Enfin, les télécommunications sont aussi un outil puissant en matière d'aménagement du territoire.
Le rapporteur du projet de loi, notre collègue M. Gérard Larcher, insiste à juste titre - et cela ne date pas d'aujourd'hui - sur cet aspect. Il faut rendre hommage au Sénat d'avoir su, très tôt, mettre l'accent sur le rôle fondamental qui incombe aux télécommunications dans la mise en oeuvre d'une politique volontariste d'aménagement du territoire.
Le rapport de la mission d'information présidée par M. Jean François-Poncet affirmait déjà très clairement, voilà quelques années, que les télécommunications joueront dans l'avenir, pour l'aménagement du territoire, un rôle aussi important que les infrastructures de transport.
La suite logique de ce constat a été, sur l'initiative du Sénat - et vous y avez pris une large part, monsieur le rapporteur - l'établissement du schéma des télécommunications prévu par l'article 20 de la loi du 4 février 1995. Celui-ci fixe l'objectif suivant : à l'horizon 2015, les réseaux de télécommunications, notamment les réseaux interactifs à haut débit couvrant la totalité du territoire, devront être accessibles à l'ensemble de la population, des entreprises et des collectivités territoriales et offrir des services équitablement répartis sur l'ensemble du territoire et disponible dans les zones rurales notamment.
Plus que jamais, l'exigence d'aménagement du territoire doit rester une priorité dans notre pays. Les télécommunications en sont un vecteur essentiel. Le projet qui nous est soumis peut et doit en être un facteur de concrétisation. L'égalité territoriale par la péréquation géographique, la baisse des communications à longue distance, la prise en compte de l'aménagement du territoire par les opérateurs de réseaux et les fournisseurs de services, les redevances d'occupation du domaine public pour les collectivités locales sont autant d'avancées positives qu'avec M. le rapporteur nous devons saluer.
En conclusion, le groupe de l'Union centriste approuve le projet de loi qui nous est soumis. Il nous est présenté à un moment où l'évolution européenne et mondiale le rend inéluctable. Il s'agit, en l'occurrence, non pas de se conformer à une quelconque mode doctrinale, mais de tenir compte des réalités auxquelles nous sommes confrontés et auxquelles la France ne peut échapper.
Dans ce contexte, il s'agit donc de veiller à ce que le service public des télécommunications s'adapte dans les meilleures conditions possible au contexte concurrentiel qui s'impose à lui. Il s'agit d'organiser une concurrence qui soit à la fois utile et efficace. Il s'agit de faire des télécommunications un vecteur concret d'une politique d'aménagement du territoire qui doit représenter une chance pour chacun de nos territoires.
La réforme qui nous est proposée entraîne des transformations profondes, qui sont inévitables lorsque l'on passe d'un monopole à la concurrence. Elle suppose des adaptations à la fois des structures et des mentalités. Aucune réforme d'ailleurs ne peut réussir si structures et mentalités n'évoluent pas parallèlement.
La réforme des télécommunications doit non pas générer l'inquiétude, source de paralysie, mais constituer un nouveau départ, une nouvelle chance. Les télécommunications françaises ont été, au cours des dernières décennies, un des facteurs de la modernisation de notre pays. Elles l'ont été grâce à la capacité d'innovation, à la compétence, au sens de l'intérêt général, des personnels qui, du sommet à la base, en ont fait un instrument efficace au service d'une France tournée vers l'avenir. Je suis certain que ces mêmes qualités permettront à France Télécom et à ses personnels ainsi qu'à toutes les entreprises qui oeuvrent dans ce secteur de s'engager avec confiance et résolution vers l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de réglementation des télécommunications vise à ouvrir les réseaux et les services de télécommunication de cet important secteur d'activité à la concurrence et organise la suppression du monopole de France Télécom sur l'établissement des infrastructures filaires publiques et la fourniture au public du service de téléphone fixe.
Ce texte prétend apporter la réponse adaptée à l'évolution extrêmement rapide des technologies. Je voudrais d'emblée affirmer que cet argument est un fallacieux prétexte. A son origine, il y a tout simplement une décision du Conseil des ministres européens de déréglementer pour organiser la concurrence.
Monsieur le ministre, il est abusif de justifier la déréglementation et la concurrence par les évolutions technologiques et le besoin d'interconnexion des réseaux. Le service public et l'entreprise publique sous monopole ont pourtant largement montré leur capacité et leur efficacité à coopérer au niveau international. On doit même noter leur supériorité en ce qui concerne les compatibilités techniques - et donc les réseaux - la recherche et les programmes de développement communs qui font progresser les technologies et l'industrie.
Dans les pays développés, les réseaux sont maîtrisés par des entreprises publiques qui, comme France Télécom, marchent fort bien. Pourquoi changer ? En réalité, la technologie et ses évolutions ont bon dos.
Non, le vrai motif qui explique la déréglementation à laquelle vous voulez vous livrer, monsieur le ministre, est ailleurs : c'est l'entrée des télécommunications dans le marché mondial et le souhait pour un certain nombre de grandes entreprises de pénétrer sur ce marché. Ce sont les multinationales privées qui frappent à la porte d'un marché d'équipements et de services en pleine expansion, qui progresse de 4 p. 100 en moyenne chaque année.
Dans notre pays, ce sont notamment la Générale des eaux et Bouygues qui sont sur les rangs et piaffent d'impatience et qui, je le note au passage, seraient déjà, avec les autres opérateurs privés, favorisés puisqu'ils ont obtenu une réduction de leur participation au financement de ce qu'il est convenu d'appeler le « service universel ».
Dans ce secteur, les services publics sont les empêcheurs de tourner en rond, car les critères sociaux et d'intérêt national sur lesquels ils se fondent doivent, coûte que coûte, être destructurés au profit de la rentabilité financière.
Les besoins d'emplois qualifiés, l'accès pour tous aux multimédias, l'aménagement équilibré du territoire, les coopérations entre entreprises publiques et privées pour économiser les financements publics et lutter contre les gâchis financiers représentent des enjeux décisifs que ne satisferont jamais quelques multinationales privées se livrant une guerre destructrice.
Au prix d'alliances internationales, de rachats, de regroupements au détriment de l'emploi - comme, par exemple, la récente fusion des deux plus grandes compagnies régionales américaines de téléphone, qui se traduira par la suppression de quelque 3 000 emplois - on assiste à la concentration rapide autour de quelques mastodontes ; les experts prévoient que cinq grands groupes seront ainsi en concurrence au plan mondial.
Faire à terme place nette à ces groupes, voilà beaucoup plus prosaïquement la raison fondamentale de la déréglementation de ce secteur. Elle permettrait à quelques sociétés multinationales privées d'accaparer le fruit de quelque vingt-cinq ans d'investissements publics pour réaliser de gigantesques profits au détriment des usagers du téléphone et des services qui lui sont attachés, au détriment du développement économique et social et d'un aménagement équilibré du territoire.
Loin d'être une conséquence fatale de la mondialisation et de l'évolution des technologies, la libéralisation et la déréglementation des services de télécommunications répondent donc, avant tout, aux seules exigences de groupes industriels et financiers qui cherchent à s'approprier les parts les plus rentables de ces services et à s'assurer la domination des marchés.
Avec votre projet de loi, il est évident que le service public perdra en importance et en qualité sur l'ensemble du territoire, que les usagers domestiques seront mis à contribution, pour le plus grand profit des entreprises et des marchés financiers, et que les agents subiront des pressions renforcées sur leurs emplois, leurs rémunérations, leurs conditions de travail et leurs garanties statutaires.
Je voudrais d'ailleurs relever que ce sont ces craintes, ces inquiétudes, mais aussi le refus de cette évolution néfaste qu'ont exprimés ce matin les personnels de France Télécom dans l'unité de leurs syndicats. Ils ont bien perçu tous les dangers que recèlent vos projets, et le groupe communiste républicain et citoyen, qui était présent à leurs côtés ce matin, salue leur lutte et les soutient pleinement.
La déréglementation et l'ouverture à la concurrence que vous voulez introduire seraient particulièrement lourdes de conséquences négatives dans deux domaines : les tarifs et l'emploi.
A vous en croire, monsieur le ministre, les ménages français ne pourraient être que les heureux bénéficiaires de la mise en concurrence acharnée du marché des télécommunications puisque leur facture devrait baisser. Vous avez assuré que la hausse de l'abonnement serait accompagnée d'une baisse des communications locales.
L'expérience dans les pays où la déréglementation est déjà mise en oeuvre démontre en fait tout le contraire.
M. François Fillon, ministre délégué. C'est faux !
M. Claude Billard. En Belgique, le tarif des appels internationaux a certes baissé de 15 p. 100 mais celui des abonnements a été relevé du même taux. Le Canada, pays le moins cher pour ses appels urbains et internationaux, est, en revanche, en tête du hit-parade pour le coût de l'abonnement. La restructuration tarifaire en vigueur rendrait payants les appels urbains actuellement gratuits. En Allemagne, la baisse est de 30 p. 100 à l'international, mais l'augmentation est de 5 p. 100 sur les appels interurbains. Que ce soit en Italie ou bien encore aux Pays-Bas, la tendance est la même puisque si, dans ce dernier pays, les appels interurbains ont baissé de 10 p. 100, ils sont en tête du classement mondial pour le prix des appels urbains à la suite d'une hausse de près de 90 p. 100.
En France, les tarifs des communications ont baissé pour les communications internationales et les longues distances nationales. Il n'en est pas de même pour la taxe de raccordement, l'abonnement et les communications locales, qui ont augmenté, après avoir déjà connu une hausse en 1994. L'ouverture à la concurrence implique obligatoirement le rééquilibrage des tarifs, par une augmentation importante de l'abonnement et des liaisons locales afin de rapprocher ceux-ci des coûts réels.
M. François Fillon, ministre délégué. C'est faux !
M. Claude Billard. La première conséquence de l'ouverture à la concurrence sera donc, inéluctablement, l'augmentation de la facture téléphonique de la plus grande partie des usagers.
M. François Fillon, ministre délégué. C'est faux !
M. Claude Billard. Il faudra bien que quelqu'un paie le « dumping » qui va s'opérer entre les grands groupes sur les liaisons longues distances ; ce n'est pas à l'usager de base d'en supporter le coût.
En entérinant la fin du monopole de France Télécom, vous remettez en fait en cause les notions fondamentales et républicaines de péréquation sociale et géographique. Reprenant le vocabulaire bruxellois...
M. Michel Pelchat. C'est le nouveau vocabulaire !
M. Claude Billard. ... votre loi parle d'un « prix abordable » ; c'est une notion pour le moins floue. En fait, par le biais de la hausse des abonnements, vous allez accélérer le transfert de la charge financière des entreprises vers les particuliers, au détriment des usagers les plus modestes.
Votre projet de loi reste aussi volontairement très vague sur la notion de péréquation géographique, importante non seulement pour les particuliers, mais aussi pour l'aménagement du territoire. Les entreprises par exemple, à coup sûr, ne voudront plus s'installer dans les zones où le prix des communications sera plus élevé qu'ailleurs.
M. Gérard Delfau. C'est évident !
M. Claude Billard. Ce processus est inévitable dans une situation de concurrence.
Ce que vous nommez « le déséquilibre tarifaire historique de la tarification française » constitue en fait ce que vous voulez remettre en cause avec l'égalité tarifaire assurée par le service public entre tous les usagers, quelle que soit leur position géographique ou économique. Les appels longues distances permettaient de compenser le coût des communications locales et des missions de service public, les gros consommateurs payaient pour les petits. La perte du monopole ne permettra donc plus d'assurer une réelle péréquation tarifaire.
M. François Fillon, ministre délégué. C'est faux !
M. Claude Billard. C'est bien l'inverse que vous voulez programmer avec la destruction du mode de financement du service public.
La logique veut donc que, sur un marché ouvert à la concurrence, France Télécom, avec ses obligations de service universel, véritable RMI du service public, reste seul à garantir un droit minimum à toutes les catégories de la population en tout lieu du territoire, aussi longtemps que cela ne sera pas jugé suffisamment rentable par ses concurrents.
Mais, placé en compétition avec le secteur privé sur les services à haute valeur ajoutée destinés essentiellement aux entreprises et aux professionnels, l'opérateur public sera inéluctablement contraint de trouver ses équilibres financiers dans la hausse des facturations aux usagers domestiques. C'est cette évolution qui est engagée avec le rééquilibrage entre l'urbain, l'interurbain et l'international, rendue possible par la hausse de l'abonnement, qui a été décidée.
C'est une logique imparable, qui avait d'ailleurs été dénoncée en 1995, dans un rapport bien connu de notre assemblée, et je ne résiste pas au plaisir d'en citer un passage : « Il ne sert à rien de garantir une desserte universelle s'il y a éviction des usagers par les prix. Or la Commission européenne entend manifestement remettre rapidement et totalement en cause la péréquation implicite entre les tarifs locaux et les tarifs longues distances.
« En d'autres termes, la Commission souhaite notamment une augmentation rapide et très forte du coût des communications locales afin d'accroître la concurrence au détriment notamment des consommateurs de base, qui ne passent pas majoritairement des appels internationaux. La totale égalité entre la tarification et les coûts serait socialement encore plus douloureuse puisque environ 60 p. 100 des ménages font perdre de l'argent à France Télécom... ». Ces propos sont tirés du rapport sur les services publics et l'Europe de M. le ministre Franck Borotra.
Autre grave conséquence de la mise en concurrence de l'opérateur public avec des groupes privés : les suppressions d'emplois. La concurrence entre les opérateurs amènera les entreprises à privilégier dans leurs critères de gestion la rentabilité financière maximale et, à court terme, la recherche d'une productivité accrue par la pression sur la masse salariale et l'emploi. Cela sera également valable pour France Télécom soumis aux mêmes règles et qui n'aura plus les moyens d'équilibrer les coûts engendrés par ses obligations de service universel. Vous avez beau prétendre, monsieur le ministre, comme vous l'avez fait sur une station de radio périphérique, que 70 000 emplois pourraient être créés en cinq ans, là encore, les expériences étrangères démentent vos prévisions optimistes.
M. François Fillon, ministre délégué. C'est faux !
M. Claude Billard. En Grande-Bretagne, la déréglementation et l'éclatement de British Telecom ont conduit à la suppression de 100 000 emplois. Le seul concurrent notable, Mercury, a lui aussi licencié.
Deutsche Telekom envisage, pour sa part, plusieurs dizaines de suppressions d'emplois. Aux Etats-Unis, American Telecom en prévoit 40 000.
M. François Fillon, ministre délégué. Puis-je vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. Claude Billard. Certainement, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. François Fillon, ministre délégué. Je voudrais simplement demander à M. Billard combien d'emplois ont été créés aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne chez les nouveaux opérateurs. Quand il connaîtra ces chiffres, il constatera que le solde est positif.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Billard.
M. Claude Billard. Le solde n'est pas positif et ne le sera pas compte tenu des suppressions d'emplois qui sont déjà programmées.
M. François Fillon, ministre délégué. Mais si, il est positif !
M. Claude Billard. Non, je ne partage pas votre point de vue. Les mêmes causes auront les mêmes effets, et on voit mal comment notre pays échapperait à cette logique. Vous avez vous-même avancé, devant le secrétaire général de Force ouvrière, le chiffre de 30 000 postes excédentaires.
Un autre aspect du caractère nocif de votre projet de loi est d'imposer des obligations à France Télécom qui désavantageraient l'opérateur public par rapport à ses futurs concurrents, eux-mêmes nettement favorisés dans la compétition acharnée qui s'instaure.
Je ne prendrais que quelques exemples.
Ainsi, en ce qui concerne la possibilité de proposer sur le câble des services de télécommunications, France Télécom serait très désavantagé puisqu'il a réalisé 25 milliards de francs pour l'établissement du réseau câblé et qu'elle ne recevrait que 350 millions de francs des câblo-opérateurs pour la location des réseaux câblés à des fins audiovisuelles. Voilà un bel exemple d'investissements très lourds supportés par une entreprise publique et qui bénéficieraient à peu de frais à des intérêts privés.
L'ouverture desdits réseaux aux services téléphoniques risque d'entraîner une véritable captation des investissements réalisés par l'Etat au profit d'un écrémage par d'autres opérateurs du marché des abonnés au câble.
Autre exemple : à l'Assemblée nationale, vous avez accepté un amendement qui, en substituant à la notion de domaine public celle de voie publique, conduit à exclure les publiphones les plus rentables, comme ceux des gares et des aéroports, du champ du service public. C'est encore là une façon d'avantager des intérêts privés en leur réservant des créneaux rentables.
Il en va de même pour cet autre amendement qui exonère les opérateurs de radiocommunication mobile - il s'agit notamment de la SFR et du groupe Bouygues - d'une partie du financement du service universel et de la contribution additionnelle liée à la résorption du déséquilibre tarifaire. Comme vous l'aviez crûment déclaré dans une interview à un grand quotidien économique, il s'agissait, selon votre propre expression de « donner un coup de pouce supplémentaire » à ces groupes privés.
En ce qui concerne l'autorité de régulation, qui aura pouvoir sur les tarifs d'interconnexion et en matière d'arbitrage, on peut penser que, là aussi, le projet de loi met en place un dispositif de nature à rassurer les nombreux opérateurs privés.
L'instauration de cette autorité, en apparence indépendante, s'inspire des modèles anglo-saxons ultralibéraux et s'appuie, en France, sur un courant de pensée selon lequel l'Etat doit abandonner certains de ses pouvoirs de préservation de l'intérêt général.
Ainsi, la compétence de fixer les tarifs d'interconnexion, qui ont une importance stratégique, serait confiée à une autorité qui serait en fait jugée sur sa capacité à établir la concurrence et dont la vocation serait, au bout du compte, de faire baisser les parts de marché de France Télécom.
J'ajoute que le fait de voir des personnalités inamovibles et n'ayant de comptes à rendre à personne réglementer et contrôler le secteur des télécommunications est profondément antidémocratique.
Au demeurant en créant cette autorité qui fixerait les règles du jeu tout en étant arbitre, votre texte va encore plus loin que ne l'exigent les directives européennes en matière de compétences des autorités de régulation.
Cela est révélateur de votre démarche générale : dans ce domaine, vous avez choisi non seulement de ne pas résister mais encore de surenchérir sur les exigences de la Commission européenne.
Invoquer les engagements européens de la France pour justifier que nous soyons contraints de déréglementer le secteur des télécommunications n'est donc pas un argument recevable.
En effet, les traités fondant l'Union européenne n'impliquent pas obligatoirement la libéralisation du marché des télécommunications. Même si le traité de Rome, confirmé en la matière par celui de Maastricht, ne reprend qu'incidemment, en son article 77, le terme de « service public », il faut se rappeler que l'article 90 du traité de Rome utilise notamment la notion de « service économique d'intérêt général » qui en recouvre pratiquement le contenu. Il existe donc dans les textes européens des moyens juridiques de lutter contre la mise en cause de nos services publics par la concurrence.
Je relève que le Gouvernement a, sur ce sujet, capitulé en rase campagne, car, contrairement à l'engagement pris au mois de décembre par le Premier ministre, il a renoncé à inscrire dans la Constitution la notion de service public qui les protégerait et n'a entrepris aucune démarche, dans le cadre de la conférence intergouvernementale, pour faire inscrire dans les traités une définition des services publics conforme à l'acceptation française de cette notion.
L'obligation d'ouvrir à la concurrence l'ensemble des activités économiques de la Communauté n'est fondée que sur la volonté politique de la Commission et des gouvernements, qui interprètent de manière très restrictive l'article 90, voulant sacrifier à tout prix les monopoles publics sur l'autel de l'argent-roi et des intérêts privés.
Non, les enjeux contemporains du développement des télécommunications ne nécessitent aucunement le démantèlement du service public. Ces enjeux ne sont pas qualitativement différents de ceux qui avaient conduit à confier ce secteur à une entité de service public bénéficiant d'un monopole.
Il s'agit aujourd'hui, après que le téléphone a été developpé, avec la qualité que l'on sait, à l'échelle du pays, d'aménager le territoire en réseaux donnant accès aux nouveaux services de transmission des données, d'images et de sons.
Il est impératif, étant donné l'importance économique et sociale de ce secteur, de le faire suivant les principes mêmes de défense de l'intérêt général dont est porteur le service public : en assurant, en particulier, une égalité d'accès aux services en tout lieu du territoire, pour toutes les catégories d'usagers, ce qui constitue un facteur de lutte contre les inégalités de toutes sortes, qu'elles soient sociales, économiques ou encore régionales.
C'est dans cette optique que se situe le groupe communiste républicain et citoyen. C'est cette conception de l'activité des télécommunications au service du développement de la société et des hommes qui fonde notre conviction selon laquelle il faut aujourd'hui préserver l'existence d'un monopole public sur les infrastructures et équipements de réseaux.
Cette conviction ne nous amène nullement à nier la nécessité d'établir de nouveaux rapports entre le pôle organisateur que doit être l'opérateur public et ceux qui fournissent les services et informations circulant sur les réseaux.
Nous ne sommes pas pour le statu quo. Au contraire, nous sommes pour un service public sachant se rénover et évoluer à la fois vers la décentralisation et la démocratisation pour répondre au mieux aux besoins des populations, un service public également capable de véritables coopérations à l'échelle de l'Europe.
Ce sont là les réponses qu'il est nécessaire et possible d'apporter aux défis auxquels est confronté aujourd'hui le secteur des télécommunications. Elles sont incompatibles avec votre projet de loi, monsieur le ministre, et c'est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'histoire de l'humanité nous enseigne que le développement de la civilisation et le progrès économique ont toujours été étroitement liés au développement des moyens de communication.
Ce n'est pas être grand prophète que d'affirmer que la prochaine décennie et, sans doute, tout le début du XXIe siècle seront marqués par l'explosion des télécommunications.
La progression prévisible pourrait être symbolisée par celle qu'évoquait récemment M. John Patrick, vice-président d'IBM, concernant le nombre d'utilisateurs d'Internet qui, de 30 millions aujourd'hui, pourrait, dans les cinq ans à venir, atteindre 500 millions. Le secteur des télécommunications représentera, selon certaines estimations, 10 p. 100 du PIB mondial en l'an 2 000.
M. Michel Pelchat. C'est faux !
Mme Danièle Pourtaud. La France a su, grâce à la forte implication de l'Etat et en s'appuyant sur la doctrine des services publics, développer de puissants réseaux d'infrastructures. Qu'il s'agisse des routes et des autoroutes, des chemins de fer, de l'énergie ou du téléphone, ces réseaux d'infrastructures ont puissamment contribué au développement économique de notre pays en y associant l'ensemble du territoire et l'ensemble des citoyens.
Depuis 1993, j'insiste sur cette date, les gouvernements de droite ont entrepris de casser, secteur après secteur, ce modèle, que je qualifierai, en paraphrasant le Président de la République, de « modèle social français ». Vous avez entrepris de le casser au nom, il faut le dire, de l'idéologie libérale et de son credo unique : la libre concurrence, censée satisfaire les besoins de tous, mais qui, les Français le savent bien, ne profite qu'à quelques grands groupes.
En fait, vous nous proposez un véritable changement de société pour faire entrer la France dans un monde fondé sur la libre concurrence et des services publics réduits au minimum ; certains ont parlé de « voiture-balai ». L'Europe n'est utilisée ici que comme prétexte.
Sinon, pourquoi tant de précipitation, alors que, parallèlement, vous prétendez négocier dans le cadre de la conférence intergouvernementale la reconnaissance des services publics au niveau européen ?
J'ajoute que le rapport de M. Renaud Denoix de Saint-Marc sur le service public, qui a visiblement fortement inspiré votre projet de loi, prévoit « la nécessité d'inscrire » les fondements du service public dans le traité d'Union européenne. Il deviendrait ainsi plus clair que la construction européenne se fonde sur les deux piliers du « marché et de la cohésion ».
Si, comme vous le prétendez, votre objectif est de préserver le service public, pourquoi ne pas faire porter tous les efforts du Gouvernement sur cette négociation européenne et vous en prévaloir pour garder en France nos services publics structurants et garants à la fois du progrès économique et de la cohésion sociale ?
Face aux enjeux économiques mais aussi sociaux de la civilisation de l'information, vous l'aurez compris, monsieur le ministre, votre texte ne nous paraît pas accepttable.
Ce projet de loi ne nous semble pas, en effet, garantir la pérennité du service public : il amorce le désengagement de l'Etat, dont vous nous proposerez l'étape suivante dès la semaine prochaine, avec le projet de loi sur le changement de statut de France Télécom, et il porte en germe le risque de voir casser l'opérateur France Télécom, qui se situe aujourd'hui au quatrième rang mondial.
Il s'agit donc d'un texte qui non seulement ne garantit pas la pérennité du service public mais risque en outre d'instaurer le « téléphone à deux vitesses ».
Il est proclamé, à l'article 2, que « les activités de télécommunications s'exercent librement ». Le secteur sera donc, au 1er janvier 1998, ouvert totalement à la concurrence, et vous nous avez dit, monsieur le ministre, que votre texte visait à protéger le service public au sein de ce secteur dérégulé. Malheureusement, cette pétition de principe ne résiste guère à l'examen.
Il n'est pas inutile de rappeler, d'abord, que 90 p. 100 des Français sont aujourd'hui contents du téléphone.
Le service public, est caractérisé en France par quelques grands principes : j'en citerai quatre.
Premier principe : l'égalité d'accès pour tous, c'est-à-dire la péréquation sociale et la péréquation géographique, autrement dit le droit d'être raccordé au téléphone au même prix, que l'on habite au centre de Paris ou à... Sablé-sur-Sarthe. (Sourires.)
M. Michel Pelchat. Au hasard !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Ou à Rambouillet !
Mme Danièle Pourtaud. Deuxième principe : un prix abordable.
Troisième principe : l'adaptabilité, ce qui signifie la constante modernisation, non pas au service de quelques-uns mais au service de tous.
Quatrième principe : la prise en compte de l'intérêt général.
Or votre texte, en saucissonnant la notion de service public entre service universel, services obligatoires et missions d'intérêt général, la dénature totalement pour cacher la réalité : un service public réduit à sa portion congrue, le service universel, qu'en d'autres temps, pas si éloignés, comme cela vient d'être rappelé, votre collègue M. Borotra qualifiait lui-même de conception « misérabiliste » du service public.
On peut légitimement craindre l'instauration à terme d'un téléphone à deux vitesses, le service public n'étant, en réalité, plus constitué que par le téléphone de base entre points fixes.
En effet, seuls les prix du service universel devront rester abordables et seront surveillés par l'Etat. Les services obligatoires seront certes fournis sur l'ensemble du territoire mais leurs prix seront libres.
Ainsi, qu'il s'agisse de téléphone mobile ou de l'accès aux réseaux à forte capacité qui donneront accès aux autoroutes de la communication ou, plus généralement, à la société de l'information, il n'est plus question d'en rendre l'accès possible à tous les citoyens.
Pis, on peut craindre que, contrairement à ce qu'annonce le Gouvernement, la grande majorité des petits consommateurs ne voient leur facture augmenter, tandis que les gros utilisateurs, c'est-à-dire principalement les entreprises, bénéficieront de la concurrence.
En effet, afin de permettre l'entrée de nouveaux opérateurs, le projet de loi prévoit l'augmentation des tarifs de l'abonnement pour résorber ce que l'on nomme pudiquement les « déséquilibres de la structure tarifaire ». Je vous rappelle qu'aujourd'hui encore la France a l'abonnement le moins cher de toute l'Europe.
Le mouvement est d'ailleurs déjà entamé puisqu'on est passé de 35 francs hors taxes par mois en 1994 à 53 francs et qu'il est prévu de passer à 70 francs, voire à 90 francs hors taxes, c'est-à-dire à 110 francs toutes taxes comprises, avant l'an 2000, selon le souhait des députés. Ce mouvement a été en outre accompagné du raccourcissement de la durée de la communication de base.
Le Gouvernement parle de baisse du coût du panier moyen des communications et focalise l'attention des consommateurs sur la baisse des communications internationales. Mais, là encore, qui en bénéficie ? Avant tout, les entreprises.
La hausse sera en revanche importante pour les 10 millions d'abonnés faibles consommateurs, dont on sait qu'il s'agit de personnes âgées ou à ressources modestes, pour lesquelles l'abonnement représente aujourd'hui au moins 50 p. 100 de la facture.
C'en est donc fini de l'égalité d'accès, de la péréquation géographique et de l'adaptabilité.
Enfin, la pérennité du service universel n'est pas assurée. On peut en effet craindre que l'affaiblissement de l'opérateur France Télécom qui doit résulter de ce texteou sa soumission aux règles du marché financier après sa privatisation partielle ne l'obligent à renoncer à fournir ledit service universel.
Enfin, on peut légitimement éprouver quelques inquiétudes quant au devenir de ce que le projet de loi appelle « les missions d'intérêt général », en particulier l'enseignement supérieur et la recherche, à la lumière du désengagement actuel de l'Etat du secteur de la recherche.
Par ailleurs, ce projet de loi marque, avec la création de l'ART, la première étape du désengagement de l'Etat, qui se poursuivra par la privatisation partielle de France Télécom.
Votre philosophie politique amène votre majorité à rechercher systématiquement l'amoindrissement du rôle de l'Etat, que ce soit par la réduction des moyens budgétaires d'intervention ou par le dessaisissement de ses missions. La création de l'ART en est une illustration.
Vous nous proposez la création d'une nouvelle autorité, dotée du pouvoir de sanction, indépendante de l'Etat puisque ses membres sont inamovibles, nommés pour six ans et non renouvelables.
Cette autorité est surprenante et contestable, tant dans son principe que dans sa composition et ses missions.
Les seuls exemples en droit français d'autorités de régulation sont, me semble-t-il, la Commission des opérations de bourse, la COB, et le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA. L'ART semble plus s'inspirer du CSA, mais on peut se demander pourquoi.
Créer une autorité pour affirmer l'indépendance des médias audiovisuels par rapport à l'Etat et couper le fameux cordon ombilical avait avant tout une valeur symbolique. Je dirai que, avant d'être le gendarme du secteur, le CSA a eu pour principale fonction, aux yeux de l'opinion, de nommer le président de France Télévision.
Plus fondamentalement, les trois attributs les plus usuels de ce genre d'autorité sont : l'attribution des licences, la régulation du marché entre secteur public et secteur privé, la surveillance du respect de leur cahier des charges par les opérateurs publics et privés, avec le pouvoir de sanctionner les manquements.
En revanche, il ne semble pas légitime de transférer sur une autorité indépendante une partie du pouvoir réglementaire, l'Etat étant, en particulier, le garant de l'intérêt général à travers le principe d'égalité et le principe de neutralité, qui sont des principes fondamentaux du service public et du pacte républicain.
Or cette nouvelle autorité de régulation n'attribue pas les licences. En revanche, elle est investie d'une partie du pouvoir réglementaire ; en particulier associée à la définition du service public, elle propose les modalités de son financement, que le Gouvernement ne fait que constater. Montesquieu, avec sa théorie de la séparation des pouvoirs, y perdrait son latin !
Par ailleurs, sa composition - cinq membres, dont trois nommés par décret par le Gouvernement - rend le dessaisissement de l'Etat encore moins justifié. Elle ne garantit pas la prise en compte de l'intérêt général, notamment celui des consommateurs. On peut aussi s'étonner que, pourvue d'un pouvoir de sanction, elle ne comprenne aucun magistrat. Nous y reviendrons lors de l'examen de nos amendements.
Le désengagement de l'Etat aboutira inéluctablement à la prédominance des intérêts privés sur l'intérêt général dans le secteur des télécommunications.
Or la France est le seul pays à avoir pu mettre gratuitement à la disposition de la population le minitel, ancêtre d'Internet. Croyez-vous que cela aurait pu être possible avec une entreprise dont 49 p. 100 du capita aurait été détenu par le privé ?
Nos concitoyens savent bien que nos intérêts privés ne s'investissent pas au nom de l'intérêt général. Ils savent aussi que, derrière l'ouverture des télécommunications à la concurrence, se cache la guerre de grands groupes privés dont ils seront eux-mêmes les victimes.
Et que dire de l'emploi, qui, selon le Gouvernement, est une « priorité » ? On connaît les effets bénéfiques qu'ont eus les situations de concurrence pour les salariés dans la plupart des pays. British Telecom a supprimé 100 000 emplois en dix ans, Deutsche Telekom va an supprimer 60 000 en cinq ans, et ne parlons pas des Etats-Unis, où les suppressions d'emplois se comptait par centaines de milliers. France Télécom prévoyait depuis quelque temps 2 000 à 3 000 suppressions de postes d'ici à l'an 2000, mais, le 29 mai, monsieur le ministre, vous avez annoncé 20 000 départs anticipés sur dix ans en plus des quelque 35 000 agents qui prendront normalement leur retraite.
Ces emplois seront effectivement supprimés si vous menez à bien votre projet de privatisation de France Télécom. En revanche, les 70 000 emplois dont vous prévoyez la création dans le secteur privé ne sont même pas des promesses puisqu'ils ne dépendent pas de vous, mais sont simplement des supputations.
Par ailleurs, de l'avis même du Conseil de la concurrence, les frontières de compétences mal définies entre ce conseil et l'autorité de régulation des télécommunications, l'ART, risquent de provoquer une insécurité juridique pour les opérateurs.
Laissez-moi enfin vous exprimer une dernière inquiétude concernant les pouvoirs de l'autorité de régulation.
Elle sera aussi associée aux négociations internationales. Là encore, on peut s'étonner, tant il est vrai que c'est à l'Etat de défendre les intérêts de la France dans les négociations internationales, je pense en particulier aux difficiles négociations engagées dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, qui devraient aboutir à une dérégulation mondiale des télécommunications.
Enfin, et ce sera mon troisième et dernier point, au nom de la concurrence à tout prix, le projet de loi prend le risque d'affaiblir ou de casser le plus grand opérateur français : France Télécom.
Permettez-moi, là encore, monsieur le ministre, de citer Renaud Denoix de Saint-Marc : « La concurrence est un moyen et non une fin. L'exemple britannique souvent cité ne saurait tenir lieu de référence car il repose sur l'idée que la concurrence doit être introduite dans la plus grande mesure possible. »
A la lecture du projet de loi, et en écoutant la présentation que vous en avez faite tout à l'heure, on a malheureusement l'impression que vous n'avez pas suivi ce conseil et que vous avez effectivement cherché à suivre l'exemple britannique et à introduire la concurrence « dans la plus grande mesure possible », sans que rien ne l'impose.
Nous avons, avec France Télécom, opérateur public, une société que tout le monde nous envie. France Télécom est aujourd'hui le quatrième opérateur mondial ; sa technologie, son efficacité ne sont plus à prouver. L'absence de liens capitalistiques n'a pas empêché la conclusion d'accords internationaux avec Deutsche Telekom et Sprint.
Depuis la réforme de 1990, France Télécom a accru son chiffre d'affaires de 1,5 million de francs par an en moyenne. Globalement, le désendettement a été massif, de 25 milliards de francs. France Télécom a connu une baisse de ses tarifs de 3 p. 100 par an en francs constants, cela en accroissant sa productivité. Tout en maintenant l'ensemble de son personnel, France Télécom dispose d'une productivité supérieure à celle de British Telecom, qui annonce encore la suppression de 50 000 emplois. Cette situation a permis à l'opérateur public de réaliser les investissements nécessaires à son développement, qui s'élèvent à 30 milliards de francs par an.
Par ailleurs, la possibilité d'effectuer des investissements à long terme a permis à France Télécom de se doter d'un pôle de recherche extrêmement important, le Centre national d'études, le CNET. Aujourd'hui, la France dispose ainsi du plus grand réseau numérique du monde et d'une position mondiale au travers des différentes coopérations nationales.
Or, dans le projet de loi, loin de chercher à renforcer cette réussite, vous semblez considérer que France Télécom est en « abus de situation dominante » et que l'urgent, et l'essentiel, est de l'affaiblir.
Nous sommes, vous l'avez dit, monsieur le ministre, dans une bataille mondiale de parts de marché. Jugez-en plutôt. Il y a quinze jours, lors de la conférence de Midrand, en Afrique du Sud, sur la société de l'information, le vice-président américain, Al Gore, a annoncé que les Etats-Unis allaient consacré 15 millions de dollars au développement de l'accès à Internet dans une vingtaine de pays africains, de manière à « accélérer la participation de l'Afrique à la société de l'information globale ». Comme on ne peut guère soupçonner M. Al Gore d'être uniquement animé par la philantropie, il semble évident qu'il s'agit là d'investissements destinés à réserver des parts de marchés.
Les télécommunications sont certainement le secteur économique amené à connaître le plus gros développement dans les années à venir. Pourtant, les risques d'affaiblissement de France Télécom, sous-jacents dans le texte que vous nous proposez, sont importants sans que, malgré tous vos efforts, l'on soit certain de voir apparaître d'autres opérateurs français de taille mondiale. Je citerai quelques exemples.
Tout d'abord, en laissant les segments du marché les plus porteurs à la concurrence, vous allez affaiblir France Télécom et l'inciter à procéder à des restructurations qui réduiront, à terme, sa capacité d'innovation et d'investissement.
Par ailleur, le projet de loi, dans le calcul des charges d'interconnexion, ne prévoit pas explicitement la prise en compte de l'amortissement des investissements réalisés par France Télécom dans les réseaux. C'est un appauvrissement considérable pour France Télécom et cela risque fort de décourager, également à terme, ses investissements dans la modernisation du réseau.
M. Roland du Luart. Il y en a qui ont la mémoire courte !
Mme Danièle Pourtaud. Autre exemple, des charges particulières sont imposées à France Télécom, en particulier la publication de ses offres tarifaires et techniques d'interconnexion.
En fait, en étudiant toutes les dispositions contenues dans le projet de loi pour lutter contre la position dominante de France Télécom et permettre une entrée plus facile sur le marché à ses concurrents, j'ai irrésistiblement pensé à ce qui s'est passé il y a quelques années dans le secteur de l'audiovisuel et qui a abouti à la faillite de la société française de production, la SFP.
En effet, afin de faire émerger un secteur de production indépendant, on a contraint les chaînes de télévision à acheter au moins 10 p. 100 de leur programmation à la production indépendante pour lutter contre la position dominante de la SFP. Or, quelques années plus tard, la SFP n'avait même plus 10 p. 100 des commandes des chaînes, et l'on connaît le résultat. Je trouve dommage que l'on prenne, toutes proportions gardées bien entendu, le même risque pour France Télécom.
La France doit donc se préparer, nous en sommes d'accord, monsieur le ministre, à prendre sa place dans le développement international des télécommunications. Mais là s'arrête notre accord : sur les moyens, nous ne pouvons en aucun cas vous suivre.
En effet, face aux défis que je viens d'évoquer, votre projet de loi nous propose comme une baguette magique qui tout à la fois permettra, selon vous, à la France de se renforcer dans la compétition internationale et d'accroître la satisfaction des usagers, j'ai nommé la libre concurrence, qui jouera au détriment du service public, réduit au service universel.
Nous pensons exactement l'inverse. Nous pensons que c'est le service public qui, parce qu'il est un facteur de cohésion économique et sociale, parce qu'il est un puissant moteur d'aménagement du territoire, permet le progrès économique et la compétitivité de l'ensemble de l'économie nationale.
Par ailleurs, nous estimons qu'avec ce texte votre gouvernement prend le risque - à moins que ce ne soit un souhait - de casser la plus grande entreprise française dans le secteur, au profit d'autres groupes désireux d'entrer sur le marché et, éventuellement, de sociétés étrangères, alors que la conférence intergouvernementale n'a pas encore abouti à l'inscription des « fondements du service public » dans le traité sur l'Union européenne, ce que bien entendu nous souhaitons.
Notre crainte, si ce garde-fou n'est pas établi, c'est qu'effectivement la concurrence se développe au détriment de la satisfaction des missions de service public, et pas seulement au détriment de l'opérateur, et que le tristement célèbre « 22 à Asnières » de Fernand Reynaud ne redevienne une réalité, certes pas à Asnières, mais à... Sablé, par exemple. (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
M. Roland du Luart. Ne vous inquiétez pas pour Sablé !
Mme Danièle Pourtaud. Dans ces conditions, vous le comprendrez, monsieur le ministre, le groupe socialiste votera contre ce projet de loi. Nous vous proposerons néanmoins des amendements tendant à modifier l'esprit de ce texte en renforçant le service public. Parmi ces amendements, je tiens à le préciser, certains ont déjà été défendus à l'Assemblée nationale par le groupe socialiste mais aussi par certains membres de la majorité.
Avec Jaurès, nous pensons que « les sociétés humaines doivent trouver leur équilibre par le haut », ce qui n'est malheureusement pas le sens de votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Monsieur le ministre, il me semble que vous êtes maintenant dans l'obligation d'inviter Mme Pourtaud à Sablé, car ce n'est que sur place qu'elle pourra constater les efforts qui auront été faits ! (Sourires.)
M. Roland du Luart. M. le ministre l'invitera certainement !
M. Michel Pelchat. Avec Jaurès !
M. le président. La parole est à M. Trégouët.
M. René Trégouët. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la voie est étroite. D'une part, nous voulons préserver la prééminence de notre opérateur public sur notre marché national, ce qui est non seulement naturel mais aussi primordial pour la place de notre pays dans l'Europe du xxie siècle. D'autre part, les règles du marché s'imposant de plus en plus rapidement et avec de plus en plus de force, il nous faut définir une réglementation qui, à la fois, permette à France Télécom, comme ce fut le cas avec d'autres opérateurs nationaux d'Europe, de conserver sa première place dans son pays d'origine, et respecte les règles d'une saine concurrence afin que notre droit, au travers de recours contentieux, ne nous soit pas dicté peu à peu par la Cour européenne de justice ou par la Commission de Bruxelles.
La voie à suivre est d'autant plus mal aisée à tracer que les balises qui devraient la border changent continuellement de place. En effet, les technologies qui entourent non seulement les télécommunications mais aussi l'informatique et l'image, étroitement imbriquées dans les changements qui feront notre monde de demain, évoluent si rapidement, les capitaux mis en jeu sont d'une telle importance - une importance sans précédent dans une économie moderne en temps de paix - et les stratégies planétaires sont encore si mal définies que nous nous trouvons dans l'impossibilité de dessiner avec précision ce que sera le paysage des télécommunications d'ici seulement quatre ans, quand nous entrerons dans le xxie siècle.
Pour ce qui est de la concurence mondiale, nous sommes un peu dans la situation du pilote d'un avion long-courrier qui, en décollant, ne saurait pas sur quel aéroport il devra se poser au bout de son voyage, et pire encore, ne saurait même pas si cet aéroport est déjà construit et si les installations d'approche seront compatibles avec ses appareils de bord afin de lui permettre une approche par tout temps. Car, de toute façon, il ne sait qu'une seule chose : un vrai temps de chien l'attend à destination ! (Sourires.)
Par ce projet de loi sur la réglementation des télécommunications, nous allons essayer de définir le cap que vont devoir suivre les pilotes de ce secteur stratégique des télécommunications. Nous allons aussi essayer d'allumer le plus grand nombre de balises ; mais, il faut avoir l'humilité de le reconnaître, nous n'avons pas encore pu définir les protocoles mondiaux qui permettraient à l'ensemble du secteur des télécommunications de se poser sans dommage à la fin du long et périlleux voyage qu'il entreprend aujourd'hui.
En effet, la montée en puissance des réseaux Internet et Intranet à l'échelle mondiale, la capacité que pourrait acquérir l'informatique à capter les trafics vocaux dans ces prochaines années, le développement ou non des network computers , qui décideront de l'endroit où se placera l'intelligence demain, soit dans les terminaux, soit dans les réseaux, mais aussi le lancement de très nombreux satellites de communication sont autant de paramètres, parmi beaucoup d'autres, qui auront une influence considérable sur l'avenir de l'ensemble du secteur des télécommunications, selon les options qui auront été finalement retenues.
Il faut comprendre la crainte de ceux qui sont dans l'obligation aujourd'hui de s'embarquer pour un tel voyage. Depuis de nombreuses décennies, respectant des règles internes très précises, nous connaissions toutes les conditions du vol avant même notre départ et, ainsi, il n'y avait pour ainsi dire aucune place à l'incertitude. A tous ceux qui s'embarquent aujourd'hui pour ce voyage, il nous faut dire avec force que, tous ensemble, nous allons nous mobiliser jour après jour, pendant toutes ces prochaines années, pour que ce voyage, qui les fera entrer dans un monde nouveau, se déroule sans heurts et qu'ils puissent arriver à bon port, c'est-à-dire entrer dans le troisième millénaire dans les meilleures conditions.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. René Trégouët. Dans ce débat sur la réglementation des télécommunications, j'interviendrai successivement sur quatre points. En premier lieu, je traiterai de la définition du service universel et, en deuxième lieu, du nécessaire défi qui doit être lancé pour accélérer l'implantation du téléphone mobile sur l'ensemble de notre pays, afin que nous réussissions l'aménagement du territoire du xxie siècle.
En troisième lieu, je vous ferai part de quelques réflexions sur la responsabilité concernant les contenus portés par les réseaux de télécommunication.
Enfin, en quatrième lieu, je conclurai sur la manière dont il faut préparer les Français à exercer les métiers de demain par l'acquisition de savoirs nouveaux grâce aux outils modernes de télécommunication.
Parlons tout d'abord du service universel. Le texte qui nous est soumis limite le service universel à la fourniture d'un service téléphonique de base, d'un annuaire et de cabines téléphoniques publiques. Il en exclut clairement Numeris, puisqu'il place l'accès au réseau numérique à intégration de services, le RNIS, dans les services obligatoires.
Bien que je comprenne la position des autres pays européens qui, ne disposant pas encore de cette technologie, ne peuvent l'intégrer dans leur propre définition du service universel, je pense qu'il est dommageable, pour la réussite de l'aménagement du territoire de notre pays et pour l'avenir de France Télécom, que nous n'ayons pas la volonté d'intégrer dès maintenant le RNIS dans le service universel.
M. Gérard Delfau. Evidemment !
M. René Trégouët. Pourquoi est-ce dommageable pour l'aménagement du territoire ? Pour des raisons évidentes d'équité.
M. Gérard Delfau. Bien sûr !
M. René Trégouët. Les entreprises doivent pouvoir accéder, à même coût - ce qui ne sera pas le cas dans le service obligatoire - à des lignes numériques, quel que soit leur lieu d'implantation. Ces lignes RNIS sont devenues ou vont devenir très prochainement le service de base de très nombreuses entreprises, même parmi les plus petites. Comment expliquerons-nous qu'une entreprise installée à Aurillac ou à Barcelonnette doive payer beaucoup plus cher qu'une entreprise de Paris ou de Lyon pour disposer d'une ligne Numéris,...
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. René Trégouët. ... alors que très bientôt ces lignes leur seront aussi indispensables que l'est l'électricité aujourd'hui ?
Par ailleurs, il est grand temps pour France Télécom d'amortir très rapidement le RNIS, qui a été inventé il y a quinze ans déjà et pour lequel notre opérateur public a réalisé d'importants investissements au cours des dernières années.
Si nous attendons le rendez-vous dans trois ou quatre ans pour placer le RNIS dans le service universel, il est alors à craindre que ce ne soit trop tard. En effet, en intégrant Numéris immédiatement dans le service universel, nous aiderions France Télécom à amortir beaucoup plus rapidement tous les investissements déjà réalisés dans cette technologie, et nous l'inciterions à entrer dès maintenant sur le champ où se déroulera la véritable bataille de demain : celui des larges débits. En effet, l'explosion d'Intranet, qui est maintenant une certitude, la montée en puissance prévisible de l'approche « Network computer » et l'exigence de plus en plus forte des usagers de pouvoir télécharger des images animées de haute définition sans temps d'attente vont faire que les débits de 155 mégabits - il faut rappeler que le débit de Numéris n'est que de 64 K - vont très vite devenir des débits standards.
En intégrant Numéris dans le service universel, nous enverrions un message très fort à l'ensemble des équipes de France Télécom, non seulement en leur permettant de garder la première place en France en nombre d'abonnés, mais aussi en les incitant à rester au niveau technologique l'un des meilleurs spécialistes mondiaux, ce qui sera très précieux demain pour France Télécom afin de conquérir de nombreuses parts de marché au niveau international.
Abordons maintenant le second point : pourquoi est-il nécessaire d'accélérer l'implantation du téléphone mobile sur l'ensemble de notre territoire ?
Au cours des dernières semaines, en ma qualité de rapporteur spécial des budgets des télécommunications, de l'espace mais aussi de la recherche, j'ai rencontré plusieurs grands acteurs qui préparent le futur paysage des télécommunications non seulement au niveau national, mais aussi au niveau mondial.
Ainsi, malgré l'échec aujourd'hui du lancement de notre première fusée Ariane 5, échec qui sera vite effacé, j'en suis convaincu, tant les hommes qui animent ce programme sont compétents et passionnés, oui, malgré cet échec, de très nombreux satellites de télécommunications seront lancés, soit en orbite géostationnaire, soit en orbite basse, dans les prochaines années. Un très grand nombre d'entre eux seront des satellites de télécommunications directes, ce qui veut dire qu'avec un portable et à des coûts qui baisseront très rapidement chacun d'entre nous, quel que soit l'endroit où il se trouvera, pourra communiquer avec le reste du monde.
Aussi, en raison de l'urgence, il est important que nous prenions conscience qu'il n'est plus possible de conserver le même rythme, donc les mêmes règles, pour finir la converture de l'ensemble de notre territoire national par un réseau de téléphonie mobile numérique.
Il faut que, au nom du Gouvernement, monsieur le ministre, vous lanciez un défi pour que, avant l'an 2001, l'ensemble de notre territoire soit couvert par un réseau de téléphonie mobile numérique. Si nous ne lançons pas ce défi, nous laisserons alors largement ouverte la porte à la concurrence venant sinon des cieux, du moins des satellites.
En effet, les réseaux satellitaires permettront des échanges internationaux sans passer par les réseaux filaires terrestres : c'est une part non négligeable des trafics à longue distance qui pourrait ainsi échapper aux opérateurs couvrant le territoire français.
Je sais qu'il nous est encore difficile d'intégrer dans nos réflexions ce réseau planétaire qui, dans quelques années, couvrira l'ensemble de la surface de notre globe. Il nous faut pourtant bien comprendre en ce jour, alors que nous définissons les règles qui dessineront le paysage national de nos télécommunications, que l'avenir de nos réseaux nationaux filaires et celui de nos réseaux téléphoniques portables sont intimement liés et totalement complémentaires en vue de résister à l'assaut qui viendra très bientôt des satellites.
Si la couverture de notre territoire national en ce qui concerne les appareils portables est mitée, cela voudra dire, dans le raisonnement planétaire de demain, qu'il sera plus facile de téléphoner à un Touareg dans le Sahara qu'à un Basque dans les Pyrénées avec nos réseaux filaire et portable nationaux. Si notre téléphone portable terrestre nous permet d'appeler demain à la fois le Touareg et le Basque, alors, nous aurons gagné. Mais si, demain, seul le portable satellitaire nous donne cette possibilité, alors oui, c'est le téléphone satellitaire qui l'emportera.
Oui, il y a là un véritable défi, et c'est pourquoi je vous demande de prévoir, pour le 1er octobre 1997, un grand rendez-vous, dont vous auriez la responsabilité, monsieur le ministre, et qui permettrait à la France d'arrêter solennellement un programme en vue de rattraper, avant le 1er janvier 2001, le retard qu'elle a pris par rapport à la plupart de ses concurrents anglo-saxons dans le domaine de la téléphonie mobile.
Ce défi pourrait être relevé en changeant les règles qui ont prévalu jusqu'à ce jour. Pour couvrir les régions les moins peuplées, les opérateurs nationaux de téléphonie portable pourraient être incités à unir leurs efforts pour investir dans un seul réseau numérique, et non dans trois comme actuellement. En contrepartie, les zones couvertes par ce réseau numérique unique seraient ouvertes à l'itinérance, c'est-à-dire que, quel que soit l'opérateur choisi par l'abonné, celui-ci pourrait accéder au réseau du téléphone mobile. Bien entendu, pour ne pas fausser, au niveau national, les règles de concurrence, cette itinérance ne serait possible que dans ces régions peu peuplées où les opérateurs auraient cofinancé le réseau numérique unique.
Pour inciter les opérateurs nationaux de téléphonie mobile à couvrir l'ensemble du territoire avant le 1er janvier 2001, les décisions prises lors de ce grand rendez-vous d'octobre 1997 pourraient permettre à ces compagnies d'être exonérées de certaines charges prévues par le texte dont nous commençons l'examen aujourd'hui au sein de notre assemblée.
Je vous demande instamment, monsieur le ministre, d'accepter ce rendez-vous d'octobre 1997 sur l'avenir du radiotéléphone mobile dans notre pays.
Ce rendez-vous aura l'avantage de ne rien coûter aux finances publiques et il montrera au monde que la France a la volonté, sans tarder, de relever les défis essentiels qui lui permettront d'entrer la tête haute dans le XXIe siècle.
Vous pourriez me répondre que nous pourrions attendre le rendez-vous déjà prévu dans le texte, c'est-à-dire 1999 ou l'an 2000, pour analyser cette situation. Je le dis avec toute ma détermination, monsieur le ministre : cette réponse ne serait pas acceptable. En effet, il serait alors trop tard pour définir une stratégie face aux satellites qui, en l'an 2000, seront déjà nombreux à faire concurrence à nos opérateurs nationaux.
Nous aurions alors manqué un rendez-vous, ce qui pourrait durablement pénaliser l'avenir de la France. Connaissant votre volonté, monsieur le ministre, de relever les défis pour que notre pays connaisse un meilleur avenir, je suis convaincu que vous comprendrez la volonté qui m'anime.
Pour les deux derniers que j'aborderai, je serai beaucoup plus concis.
D'abord, qui est responsable des contenus portés par les réseaux de télécommunications ? M. le rapporteur et vous-même, monsieur le ministre, en avez parlé voilà quelques instants, mais je voudrais ajouter quelques réflexions complémentaires.
Quand nous savons qu'avec les moteurs de recherche de plus en plus rapides il est possible à tout abonné à Internet d'accéder chaque jour à des millions d'informations, nous avons bien conscience que notre droit actuel ne répond plus à la problématique posée par le transport automatique au niveau mondial d'un nombre sans fin de messages.
Notre réaction ne doit certainement pas être du type « dissuasion nucléaire », comme a essayé de le faire le président Clinton il y a quelques mois. En effet, de nouvelles passerelles ont été immédiatement créées, qui permettent avec autant de facilité de diffuser des messages incitant à la violence, au racisme, à la drogue, à la pédophilie et à bien d'autres barbaries encore. Seul le pays de résidence du serveur a changé, mais les « Cybernautes » mondiaux ont toujours les mêmes facilités d'accès.
Par ailleurs, des logiciels ont été créés pour interdire, par exemple, toute diffusion de messages pornographiques. Mais nous arrivons alors à l'excès inverse dont les seuls juges sont les ordinateurs : les congrès de médecins ne peuvent plus parler de cancer du sein sur le réseau mondial car, bêtement - oui, il faut bien le savoir, les ordinateurs sont des machines bêtes - car bêtement, disais-je, l'ordinateur classe ce congrès comme étant une démarche pornographique. La réponse ne peut être que de bon sens.
Il faut profiter de la prochaine réunion du G 7, qui doit avoir lieu à Lyon dans quelques jours, pour que les chefs d'Etat décident la mise en place d'une autorité morale planétaire qui, dans ce domaine des réseaux, pourrait interdire telle ou telle source d'information.
Je pense que c'est à ce niveau qu'il faut placer la réflexion. Il faudrait qu'une synergie se place entre le niveau mondial et le niveau national, comme vous l'avez proposé tout à l'heure. Je pense qu'il faut établir des synergies entre ces deux niveaux parce que c'est important pour l'avenir.
Enfin, dernier point : comment préparer les Français à exercer les métiers de demain par l'acquisition de savoirs nouveaux grâce aux outils modernes de télécommunication ?
J'ai déjà eu l'occasion, à plusieurs reprises, de définir de façon générique ce que seront les métiers de demain : le métier de demain sera d'ajouter du savoir à un signal.
Depuis le début de ce débat nous parlons de signal de qualité auquel devrait avoir accès tout Français quel que soit son lieu de résidence.
Mais, pour exercer ce métier de demain, il faudra aussi détenir les savoirs qui permettront d'enrichir ce signal qui parcourra le monde à la vitesse de la lumière.
Or la plus grande des injustices de demain serait de ne pas permettre un accès au savoir de même qualité quel que soit le lieu de résidence de nos enfants sur le territoire national. A ce jour, un enfant du monde rural profond a, selon des études sérieuses, cent fois moins de chance qu'un élève résidant à moins de 500 mètres d'une classe de taupe célèbre de devenir un jour ingénieur ou docteur - je ne parle pas d'énarque.
La matière première de demain, certains disent le pétrole de demain, sera le savoir. Aussi, il est nécessaire que les moyens d'accès au savoir grâce aux nouvelles technologies de télécommunications soient diffusés sur l'ensemble de notre territoire.
C'est pourquoi je soutiens totalement l'initiative prise par la commission des affaires économiques et son excellent rapporteur M. Gérard Larcher, et tendant à favoriser la connection des écoles, des collèges, des régions rurales et urbaines les plus défavorisées aux réseaux modernes de télécommunications. La semaine prochaine, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'évolution du statut de France Télécom, je ferai une proposition en ce sens. En effet, je pense que France Télécom peut devenir un acteur privilégié pour mettre en oeuvre sur le plan technologique cette priorité d'accès au savoir à l'échelon national.
Avant de conclure, je voudrais me tourner vers deux hommes qui sont présents dans cet hémicycle et qui ont joué un rôle tout à fait singulier dans la compréhension et la conduite du texte que nous examinons aujourd'hui et du projet de loi que nous étudierons la semaine prochaine.
Je voudrais tout d'abord m'adresser à vous, monsieur Gérard Larcher, vous qui êtes aujourd'hui le rapporteur du présent projet de loi. Le rapport que vous avez publié en mars dernier fait honneur à notre assemblée. Il dresse un constat pertinent de la situation des télécommunications dans le monde et propose une démarche cohérente et pragmatique pour mieux préparer l'avenir de notre opérateur national.
Enfin, pour conclure, permettez-moi de m'adresser à vous, monsieur le ministre. Voilà quelques mois seulement, nombreux étaient ceux qui considéraient que la France ne trouverait pas la voie pour être prête en temps utile pour affronter, le 1er janvier 1998, la libéralisation des télécommunications.
Sous l'autorité du Premier ministre, vous avez su, dans la transparence, mais aussi avec détermination, éclairer le chemin qui doit mener jusqu'au nouveau statut de France Télécom. Vous avez agi avec un grand savoir-faire. Vous avez défini une méthode et, sans jamais faillir, vous avez suivi le cap que vous vous étiez fixé. Cette démarche vous fait honneur et je suis convaincu que tous - même si, aujourd'hui, certains disent encore le contraire - vous sont reconnaissants d'avoir tenu à définir les règles du jeu, ce que nous allons faire avec ce texte avant que notre grande équipe nationale entre sur un terrain où, malheureusement, trop souvent, tous les coups sont permis.
C'est à l'honneur du Gouvernement. Aussi, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, je suis heureux de vous dire que nous vous apporterons notre total soutien. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, d'ici au 1er janvier 1998, tous les Etats membres de l'Union européenne devront ouvrir à la concurrence le secteur des télécommunications. La France doit respecter ses engagements européens pris par les gouvernements successifs, quelle que soit leur sensibilité. Je pense en particulier à la loi de 1990. Cependant, justifier ce projet de loi uniquement par cette nécessité juridique est réducteur de l'enjeu réel. En effet, cette libéralisation des télécommunications est le résultat d'un long processus lié à l'évolution des technologies, processus qui est d'ailleurs non seulement européen mais mondial.
Dans le passé, l'exploitation des télécommunications était soit un monopole d'Etat, soit, comme aux Etats-Unis, un monopole d'industrie. Plusieurs causes expliquaient leur existence. Entre autres éléments, figuraient l'importance des transmissions militaires et l'investissement très lourd des infrastructures.
Depuis, l'évolution des techniques et la mondialisation de l'économie ont engendré une situation d'abondance de services et une demande croissante, notamment de la part des entreprises. Désormais, le marché des télécommunications est porteur. Il repose sur des investissements importants. Les entreprises privées ont la volonté de financer le développement de ce secteur d'avenir. Encore faut-il que le cadre réglementaire s'y prête.
C'est ainsi que, depuis les années quatre-vingt, les monopoles sont bousculés par la déréglementation. Cette dernière expression désigne non pas la suppression de toute réglementation, comme certains tentent de le faire croire, mais la mise en place de nouvelles règles.
C'est dans ce contexte international et européen que s'inscrit ce projet de loi qui met fin au monopole de France Télécom, propulsant ainsi au premier plan le problème de l'équilibre à trouver entre le secteur public et le secteur privé.
Ce monopole, conforme à l'environnement international de l'époque, a permis à France Télécom de se développer et de devenir le quatrième opérateur de téléphonie du monde. La mise en concurrence ne sanctionne donc nullement un échec.
Le projet de loi n'a pas pour objectif de faire régresser France Télécom. Au contraire, la préservation de son futur nécessite de l'adapter à un environnement qui a changé. Les nouvelles technologies, comme les satellites, se jouent désormais des frontières et des monopoles nationaux. Les nouvelles techniques permettent aux opérateurs étrangers de concurrencer France Télécom sur les communications internationales. Les tarifs qu'ils proposent sont d'autant plus avantageux que le coût de la transmission satellitaire dépend peu de la distance.
En conséquence, la vérité des prix affecte France Télécom, qui devra baisser ses tarifs internationaux. Or, le fondement même de sa rentabilité financière repose sur des tarifs internationaux anormalement élevés actuellement pour compenser des prix d'abonnement historiquement bas.
Cette réalité incontournable des nouvelles technologies s'impose à France Télécom, et ce quel que soit le gouvernement au pouvoir.
M. Michel Pelchat. Très bien !
M. Roland du Luart. Quelle position adopter face à cette réalité ? Certains proposent le statu quo. Outre le fait que ce serait contraire à notre engagement européen, nous n'aurions rien à gagner au fait que notre cadre réglementaire empêche l'implantation de nouveaux opérateurs sur notre territoire : ces derniers n'investiraient pas chez nous et concurrenceraient France Télécom de l'extérieur, ce qui serait sans doute encore plus redoutable.
Nous devons accepter la réalité de cette concurrence et faire en sorte qu'elle s'opère dans le sens de l'intérêt général. Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui répond à cet objectif.
La nouvelle réglementation anticipe sur le problème du déséquilibre des tarifs de France Télécom. Le milieu concurrentiel lui impose une adaptation. Afin de rendre acceptables les hausses du prix de l'abonnement à nos concitoyens, le projet de loi prévoit un rééquilibrage progressif qui sera cofinancé par les concurrents de France Télécom.
Il était nécessaire, comme l'ont fait les députés, de déterminer la date à laquelle cette contribution additionnelle cessera, car les règles qui s'imposeront aux nouveaux entrants doivent être précises.
Cette loyauté vis-à-vis des nouveaux opérateurs nécessite aussi de leur donner des garanties pour que le monopole de droit ne soit pas remplacé par un monopole de fait leur interdisant l'accès aux réseaux par des barrières techniques ou tarifaires. Une directive européenne exige que le système de régulation soit indépendant vis-à-vis des opérateurs.
Le Gouvernement a fait le choix politique que l'Etat demeure l'actionnaire majoritaire de France Télécom. Par conséquent, l'Etat ne pourrait pas être le régulateur sans faire courir un risque certain de suspicion, et ce d'autant que France Télécom sera en position dominante.
Nous soutenons donc la création de l'autorité de régulation des télécommunications, qui pourra de façon indépendante régler les litiges d'accès aux réseaux.
La volonté de promouvoir la concurrence a pourtant une limite : celle de maintenir notre tradition du service public.
Si le projet de loi tient compte de la réalité internationale, l'aménagement de notre territoire n'est pas pour autant oublié.
Le Gouvernement a pris la précaution nécessaire d'inscrire dans le texte la définition du service public et son financement, préservant ainsi les acquis d'aujourd'hui.
Le service universel du téléphone n'est pas un service minimum. Il correspond au monopole actuel de France Télécom, ni plus ni moins. Demain comme aujourd'hui, c'est l'Etat qui fixera les tarifs et France Télécom qui assurera le service. L'originalité est de demander une contribution financière à tous les opérateurs pour couvrir les coûts de ce service universel.
Peut-être aurait-on pu être plus ambitieux encore, en ajoutant dès à présent des applications comme la télé-éducation ou la télé-santé.
L'essentiel est que le contenu du service universel n'est pas figé dans le temps : sa révision est prévue tous les cinq ans, ce qui permettra de procéder aux ajouts nécessaires pour tenir compte des changements technologiques et des besoins. Vu la rapidité de ces évolutions, il me semble plus judicieux de retenir une durée de révision plus courte, comme le suggère le rapporteur de la commission des affaires économiques, notre ami M. Gérard Larcher.
Monsieur le ministre, vous avez trouvé, dans ce projet de loi, un bon équilibre entre la concurrence internationale qui s'impose et la volonté de maintenir notre service public.
Je me réjouis par ailleurs de l'examen par le Sénat, la semaine prochaine, du projet de loi relatif au statut de France Télécom. Nous ne pouvons plus retarder davantage cette réforme sans lui porter préjudice face à ses concurrents internationaux.
Le groupe des Républicains et Indépendants votera ces textes qui nous paraissent, dans les circonstances actuelles, indispensables pour la nation. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Cluzel.
M. Jean Cluzel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mettre fin au monopole public sur la téléphonie entre points fixes et mettre en place une régulation indépendante du Gouvernement constituent les deux axes de ce projet de loi. Ce texte va donc dans le bon sens pour renforcer l'économie de l'audiovisuel.
L'autorisation donnée au service des télécommunications d'emprunter les réseaux câblés permettra d'éviter un gaspillage des ressources d'investissement dont disposent les acteurs économiques. La rémunération versée par le fournisseur de service aux câblo-opérateurs devra couvrir les prestations fournies autres qu'audiovisuelles. Il s'agit là d'une excellente formule de notre rapporteur M. Gérard Larcher, dont il faut souligner la qualité et la minutie du travail dans un domaine qu'il connaît parfaitement bien.
L'agence nationale des fréquences radio-électriques pourra percevoir des redevances d'usage définies par les lois de finances successives. En décembre 1995, je m'étais prononcé en faveur d'une telle mesure, qui va constituer une véritable révolution dans le domaine audiovisuel. Elle était, hélas ! monsieur le ministre - et vous le savez mieux que quiconque - passée pratiquement inaperçue. Cette mesure devra cependant respecter l'égalité entre opérateurs publics et opérateurs privés.
La libéralisation du secteur des télécommunications s'inscrit - nous le savons les uns et les autres, et certains, ce soir, l'ont regretté - dans un mouvement international de déréglementation qui favorise la dérégulation. Si ce concept, d'origine anglo-saxonne, a bénéficié d'un terreau juridique favorable en Grande-Bretagne, il a aussi touché la France avec, dans les années 1985-1986, le passage du monopole d'Etat à l'économie de marché dans le secteur de la radio-télévision.
L'une des principales différences entre la régulation nord-américaine et la régulation européenne tient à la séparation organique et fonctionnelle qui existe en Europe entre la régulation du secteur des télécommunications et celle de l'audivisuel.
La tentation pourrait être grande de créer chez nous une instance de régulation unique ; d'ailleurs, pour tout vous avouer, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été un peu tenté par cette formule. Mais il est trop tard pour mettre en place dans notre pays une autorité comparable à l'autorité américaine. Notre histoire juridique du droit des télécommunications et de l'audiovisuel s'y oppose.
Par conséquent, l'examen de ce projet de loi doit être l'occasion - tous les orateurs, me semble-t-il, se sont heureusement livrés à cet exercice - de mieux préciser la frontière entre audiovisuel et télécommunications et, partant, entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et les nouvelles instances de régulation qui vont être créées.
Je voudrais essayer de mieux préciser la frontière existant entre audiovisuel et télécommunications.
Services et supports de communication audiovisuelle, d'une part, et de télécommunications, d'autre part, sont aujourd'hui soumis à deux régimes juridiques fondamentalement différents, sous l'égide d'une instance indépendante, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, d'un côté, et d'un service ministériel, la direction générale des postes et télécommunications de l'autre. Cet après-midi, monsieur le ministre, dans votre excellent propos, vous avez d'ailleurs énoncé toutes les autorités indépendantes qui ont été créées depuis un certain nombre d'années.
Le fondement de l'action du Conseil supérieur de l'audiovisuel réside dans la mise en oeuvre et la sauvegarde de tels principes. Certains - sachons-le bien, mes chers collègues - sont de valeur constitutionnelle, tel le pluralisme des courants d'expression socio-culturels ou politiques. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel est indépendant du pouvoir politique, alors que le juge administratif le contrôle. Cette logique s'oppose à celle de la direction générale des postes et télécommunications, c'est-à-dire à un mode de fonctionnement lié au Gouvernement.
Mais la déréglementation des supports de télécommunications, postérieure à celle des supports de communication audiovisuelle, se caractérise par sa très grande rapidité autant que par son ampleur.
La différence est tout aussi remarquable pour les services. En effet, les services de communication audiovisuelle restent fortement réglementés, cependant que les services de télécommunications ne sont soumis à aucune règle de contenu, ainsi que notre ami M. Trégouët y faisait allusion à l'instant même.
Dès lors, on comprend qu'il est primordial de définir avec précision les critères permettant de rattacher un service donné soit à la communication audiovisuelle, soit aux télécommunications.
A cet égard, les réglementations relatives à la communication audiovisuelle et aux télécommunications reposent traditionnellement, d'une part, sur le caractère de la correspondance privée ou non, et, d'autre part, sur la communication vers le public de l'émission.
Au surplus, en droit français, le support de diffusion utilisé ne présuppose pas le régime applicable au service diffusé. En revanche, la nature audiovisuelle du service entraîne l'application de la loi du 30 septembre 1986. Celle-ci légitime l'intervention du Conseil supérieur de l'audiovisuel, alors que le caractère de correspondance privée du service le soumet à la compétence de la direction générale des postes et télécommunications.
Partout dans le monde, cette frontière s'estompe sous l'effet conjugué d'une double évolution : l'apparition de services d'une nature nouvelle et l'utilisation indifférenciée de l'ensemble des supports de communication existants.
Ces nouveaux services - tout le monde en parle et ils ont longuement été évoqués cet après-midi et ce soir - sont le paiement à la séance, la vidéo à la demande, les services interactifs sur sites ou sur réseaux.
Ils entrent difficilement dans seulement l'un ou l'autre de ces deux régimes. En bref, ils jouissent d'une double nature : ils ont un aspect de correspondance privée indéniable en ce qui concerne l'échange de données personnalisées, tel que l'acte d'achat ; en revanche, dans la plupart des cas, la présentation des produits est bien destinée à un large public, ce qui les fait ainsi relever de la communication audiovisuelle.
En matière de support, la compression numérique fait progressivement disparaître la logique législative, qui nous est chère et sur laquelle nous avons fondé toute notre action pendant des décennies, de gestion de la rareté des ressources sur tous les supports. Or l'architecture de la loi du 30 septembre 1986 est fondée sur le triptyque « un programme - une fréquence - un service ». Elle devra donc être révisée aussitôt que possible, afin de mettre en place un régime où la régulation des services primera sur la gestion des supports. Il s'agit là, me semble-t-il, d'un point essentiel de notre débat.
On doit également s'attendre, sous l'effet de la compression numérique, à une utilisation de plus en plus indifférenciée des supports de diffusion.
Si, depuis longtemps, les satellites de télécommunications sont utilisés à des fins de communication audiovisuelle, on va bientôt assister à une montée en puissance des services de télécommunications sur les réseaux câblés autorisés par le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Il en sera ainsi de la téléphonie vocale entre points fixes qui pourra être offerte par les câblo-opérateurs en Europe après 1998. Il en sera de même de l'utilisation des réseaux de télécommunications par des services de communication audiovisuelle, comme la vidéo à la demande, et, cette fois-ci, sur les réseaux autorisés par la Direction générale des postes et télécommunications.
Ce rapprochement indéniable des services et des supports, prévisibles à court terme, plaide incontestablement en faveur d'une actualisation des pouvoirs du CSA ; il s'agira du deuxième point de mon intervention.
A moyen terme, certaines des compétences actuelles du CSA vont se trouver atténuées par l'évolution de la technologie.
Premièrement, les quotas de diffusion et obligations de production semblent menacés, en particulier dans leur application aux nouveaux services.
Deuxièmement, le régime d'autorisation devra prendre en compte la multiplication des capacités de diffusion.
Nous en avons eu l'exemple ces temps-ci, mes chers collègues, avec le premier bouquet numérique de Canalsatellite, qui sera suivi dans quelques mois par le deuxième bouquet de France-Télévision et de TF 1, puis peut-être par un troisième bouquet d'ici à la fin de l'année, celui d'AB Productions.
Enfin, plus généralement, la logique de la loi, pour l'action même du CSA, fondée sur la gestion de la rareté des ressources de diffusion s'en trouvera nécessairement modifiée.
Une classification opératoire entre services de communication audiovisuelle et services de télécommunications doit donc être affirmée.
Pourtant, aucune classification opératoire n'a été à ce jour définie et cette question semble abordée sans cohérence apparente à l'échelon international. Je pense, non pas à vous, monsieur le ministre, mais à l'ensemble des services de notre pays. C'est la raison pour laquelle la réflexion ne me paraît pas suffisamment approfondie.
Pour ne prendre qu'un exemple, le téléachat est soumis aux dispositions de la directive « télécommunications » du 28 juin 1990. Or la législation française, comme les autres législations européennes, régit l'activité du téléachat comme dépendant de la communication audiovisuelle, tout en y appliquant des règles particulières relatives à la protection du consommateur.
Quelle approche alors envisager ?
Tout d'abord, il faut savoir que certains de ces « nouveaux services » nécessiteront un micro-ordinateur, tels les services accessibles sur Internet, d'autres un simple téléviseur, comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, notamment cet après-midi dans votre exposé.
La nature du terminal de réception n'influe donc pas sur la nature du service véhiculé ou sur la nature du contrôle auquel le service est soumis, autre idée sur laquelle il me semble nécessaire d'insister. Ainsi, le programme de TF 1 devenant accessible sur micro-ordinateur demeure un programme de communication audiovisuelle et, à ce titre, continue à relever de la compétence du CSA.
Deux critères primordiaux pourraient être retenus pour définir clairement la frontière entre les services qui devront relever du régime de la communication audiovisuelle et ceux qui ne seront soumis qu'aux règles relatives aux télécommunications : d'une part, le caractère de destination du message au public en général ou à une catégorie de public ; d'autre part, le contenu des messages transmis, qui ne doit pas revêtir le caractère de correspondance privée.
Une approche à partir du seul contenu du programme ne peut donc être retenue dans la mesure où elle permet toutes les interprétations possibles.
Cette approche semble être la seule opératoire, les critères objectifs ainsi posés permettant de couvrir l'ensemble des cas de figure.
Les compétences du CSA ne doivent pas seulement être actualisées, monsieur le ministre, elles doivent avant tout être préservées.
J'en arrive au dernier point de mon intervention : préserver les compétences du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
L'autorité du CSA pourrait se voir affaiblie par les deux instances que le projet de loi se propose de créer. Pour éviter toute tutelle technique, l'agence nationale des fréquences devra donc respecter les attributions du CSA.
Quant aux compétences de l'autorité de régulation des télécommunications, l'ART, elles ne devront pas chevaucher celles du CSA.
C'est pourquoi, monsieur le rapporteur, je me réjouis de l'amendement tendant à supprimer l'article 11 bis introduit par l'Assemblée nationale et qui entendait confier à l'ART l'attribution de certaines fréquences de transmission actuellement gérées par le CSA.
Je sais, monsieur le ministre, qu'il s'agit d'un problème important, et, sur ce point précis, nous devrions aboutir à un bon accord entre le Gouvernement et les deux assemblées pour que les choses soient parfaitement claires et qu'aucune obscurité ne subsiste dans ce domaine.
Mais, au-delà, en raison des évolutions que j'évoquais à l'instant, ne risque-t-on pas de s'orienter vers une cohabitation difficile entre les deux instances - l'une pour la régulation a posteriori des contenus, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, l'autre pour la réglementation des infrastructures, cette fameuse autorité de régulation des télécommunications - ce qui serait en contradiction avec l'esprit de la loi de 1986 ?
Ce problème risque de se poser même si l'on tient compte - et l'on doit en tenir compte - de l'évolution technologique, caractérisée par un mouvement de convergence des télécommunications et de la communication audiovisuelle !
Or la philosophie de ces deux instances est fort différente.
L'autorité de régulation des télécommunications serait principalement chargée de déréglementer ce secteur, en application des directives communautaires qui prévoient une libre concurrence à compter du 1er janvier 1998.
Mais le CSA, lui, a pour fonction de réguler le contenu des services audiovisuels. On peut donc naturellement imaginer que, grâce aux progrès de la technologie numérique, le rôle du CSA se concentrera sur la seule régulation du contenu et la sauvegarde indispensable du pluralisme.
La réglementation audiovisuelle devrait donc conserver un caractère universel pour être appliquée à l'ensemble des services de communication audiovisuelle, quel que soit le support concerné.
De toute façon, monsieur le ministre, mes chers collègues, les lacunes et les imperfections, bien normales dix ans après la loi de 1986, doivent, à très court terme - j'insiste sur l'échéance - conduire le législateur à procéder à d'indispensables retouches dans le sens de l'actualisation.
En conclusion, sachez, monsieur le ministre, que, compte tenu du contexte de crise de l'audiovisuel public que nous vivons depuis quelques semaines et des nécessaires réformes, tant pour son organisation que pour son financement, le Sénat souhaite de telles modifications.
En définitive, c'est à une réflexion d'ensemble et à des décisions cohérentes que ce texte nous appelle les uns et les autres. Le Sénat et le Gouvernement sauront répondre à cet appel. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons au Parlement du devenir de France Télécom, mais, dans le pays, l'heure est aussi à la réflexion et à l'action pour la défense de cet opérateur public : des dizaines de milliers de salariés sont mobilisés pour la défense de leur entreprise et pour la sauvegarde et le développement du service public des télécommunications et nous voulons, ce soir, saluer leur lutte.
Ouviers, employés, cadres, techniciens, chercheurs en télécommunication, c'est à eux, à leur intelligence, à leur travail, que nous devons les performances techniques remarquables qui ont permis de faire fructifier les investissements publics et de doter notre pays de l'un des meilleurs réseaux de télécommunications au monde.
Ils ont construit la réussite économique et financière de l'opérateur public. Il s'agit d'une corporation de haute conscience professionnelle au service d'une grande technicité.
Ce sont eux les modernes et c'est en comptant sur eux, sur leurs compétences et sur leur dévouement au service du public que l'on peut imaginer et bâtir les réseaux de télécommunications du futur.
Nous serons plus sévères pour les serviteurs de la haute finance internationale qui cherchent à s'accaparer les créneaux les plus rentables du secteur des télécommunications.
Monsieur le ministre, vous prétendez que la remise en cause du service public serait techniquement et politiquement inéluctable. Vous prétendez également qu'elle aurait fait l'objet d'une vaste concertation.
En réalité, nous savons bien, et avec nous tous les agents de France Télécom, qu'il n'en est rien.
Vous me permettrez de vous rappeler, monsieur le ministre, que l'expression « se concerter » a un sens très précis : elle signifie s'entendre pour agir de concert.
Vous noterez, mes chers collègues, que les grèves et manifestations qui se sont déroulées aujourd'hui dans tout le pays ne résultent pas d'une quelconque entente pour agir de concert avec les salariés.
Vous vous êtes refusé, monsieur le ministre, à retenir les points de vue exprimés par la CGT, SUD-PTT, FO ou la CFDT, ainsi que celui de la CFTC, organisations qui représentent la quasi-totalité des agents de l'entreprise publique et qui appelaient aujourd'hui à l'action contre vos deux projets de loi.
Le seul point de vue retenu est celui du CNPF qui, soit dit en passant, joue ainsi un bien mauvais tour aux entreprises, notamment aux PME, qui ne sont pas actuellement situées à proximité immédiate des grands réseaux de télécommunications.
La concertation avec les parlementaires que nous sommes a, elle aussi, été réduite au minimum puisque la commission des finances, dont je suis membre, ne s'est même pas saisie de votre projet de loi.
Avec ses 150 000 agents et le monopole qui est le sien, France Télécom rapporte annuellement un bénéfice de près de 10 milliards de francs et assure 35,8 milliards de francs d'investissements.
Le devenir d'un tel secteur financier ne valait-il pas un débat et un avis de la commission des finances ?
Monsieur le ministre, vos deux textes préparent et organisent la privatisation des principales activités et de la moitié du capital de l'opérateur public. Ils ne répondent en fait - vous le savez bien - qu'à des considérations purement idéologiques qui vous conduisent à livrer l'activité des télécommunications aux intérêts privés et de le faire au plus vite pour tenter d'éviter les difficultés que le marché boursier a connu pour absorber les précédentes privatisations.
On dirait que vous craignez de voir cette privatisation rendue impossible du fait de l'occupation du marché boursier par Deutsche Telekom, qui sera privatisée à l'automne. Ne voulez-vous pas ainsi profiter des vacances estivales pour démanteler le service public des télécommunications et en privatiser les activités les plus rentables ?
Il semble déjà bien loin le temps où M. Juppé affirmait son intention de faire inscrire une définition d'un service public dans la Constitution, voire au frontispice du traité de Maastricht à l'occasion de la conférence intergouvernementale qui, je le rappelle, se tient actuellement.
Qu'il semble loin le temps où M. le député Borotra prétendait vouloir défendre le service public et nous gratifiait d'un rapport parlementaire dans lequel il parlait « des méfaits du credo libre-échangiste de la Commission » et où il affirmait que « les propositions de la Commission européenne en matière de télécommunications menaçaient l'accès de tous au téléphone », ajoutant que ce « projet fondé sur l'article 90-3 du traité était inacceptable tant pour des raisons de principe, de base juridique, que pour des raisons de fond ».
M. le député Borotra s'exprimait ainsi le 6 octobre 1995, à peine quelques semaines avant qu'il ne devienne M. le ministre Borotra. Aujourd'hui, on comprend ses réticences à venir s'expliquer. Les conclusions que tirait alors M. le député ne seraient-elles plus valables aujourd'hui ?
Certes, les traités européens successifs privilégient les notions de marché et de liberté de la concurrence et n'accordent qu'un statut d'exception aux services publics ; c'est même l'un de leur principal défaut. Il convient cependant de considérer que la notion de service économique d'intérêt général, qui recouvre l'essentiel de la conception française des services publics, figure à l'article 90 du traité de Rome toujours en vigueur.
Je vous ferai également observer que la notion de service public apparaît textuellement à l'article 77 du traité précité qui dispose que « les aides correspondant au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public sont compatibles avec le traité ».
Même modifiés par celui de Maastricht, les articles 2 et 3 de ce traité indiquent que la construction européenne doit se faire notamment par un progrès économique et social équilibré, durable, et par l'approfondissement de la cohésion économique et sociale, de la citoyenneté européenne, de la solidarité, de la réalisation de réseaux transeuropéens, de la protection des consommateurs.
C'est en tenant compte de cela, et aussi sur la base de l'article 90-2, que la Cour européenne de justice a reconnu en 1992 et 1993 dans ses arrêts Corbeau, concernant l'acheminement du courrier, et commune d'Almelot, concernant la distribution d'énergie électrique, que des entreprises chargées de missions particulières de type service public pouvaient déroger aux règles de la concurrence : cela implique que le maintien des monopoles publics n'est pas contradictoire avec les traités européens en vigueur.
Nous affirmons que la Commission, avec des directives outrancières, outrepasse ses droits. La référence à l'article 85 et aux suivants est abusive en la matière et ne peut pas s'appliquer systématiquement.
J'ajouterai même que la Commission le fait, hélas, d'autant plus facilement que le conseil des ministres européen n'a cessé de l'encourager dans cette voie qui creuse jour après jour le fossé qui existe entre la construction européenne et les Européens eux-mêmes.
Les gouvernements français qui se sont succédé depuis dix ans aux affaires portent assurément la lourde responsabilité d'avoir laissé passer ou impulser les situations pour parvenir à la plus insupportable qui aboutit aujourd'hui à la remise en cause des entreprises publiques et des conditions de réalisation du service public et à sacrifier l'emploi et le développement économique aux appétits de quelques grands groupes économiques et financiers internationaux.
Nous considérons, pour notre part, que les activités qui concourent à l'intérêt général et qui, par conséquent, sont décisives pour le développement économique et social, doivent être prioritairement exercées par des entreprises dont la recherche du profit ne doit pas être le moteur.
Nous ne pouvons en aucune manière accepter l'évolution dangereuse que nous propose le Gouvernement en matière de télécommunications et nous nous opposerons donc résolument à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur le stravées socialistes.)
M. le président. La suite de la discussion du projet de loi de réglementation des télécommunications est renvoyée à la prochaine séance.

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