Séance du 27 octobre 1998






CUMUL DES MANDATS

Discussion d'un projet de loi organique
et d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi organique (n° 463, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice. (Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble.)
- du projet de loi (n° 464, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice. (Rapport n° 29 [1998-1999])
La conférence des présidents a décidé qu'il seraitprocédé à une discussion générale commune de ces deuxtextes.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je viens à l'instant d'aller rendre hommage aux fonctionnaires de la police judiciaire de Paris.
En effet, la brigade des stupéfiants vient de réaliser une prise très importante en matière de trafic de drogue puisque six trafiquants ont été arrêtés, 184 kilos de cocaïne et quantité d'armes saisis. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président. Monsieur le ministre, comme il vient d'en témoigner par ces applaudissements, le Sénat s'associe aux félicitations que vous avez adressées aux forces de police françaises, qui, une fois de plus, ont accompli consciencieusement leur mission.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, le Premier ministre mentionnait la volonté du Gouvernement d'élaborer un nouveau dispositif limitant le cumul de mandats et fonctions. Le projet de loi dont vous êtes saisis aujourd'hui reprend cet objectif.
Nos concitoyens souhaitent en effet que leurs élus se consacrent pleinement à leurs mandats. Deux préoccupations se rejoignent ici : celle d'assurer un meilleur fonctionnement de notre vie publique et celle de favoriser l'émergence de nouvelles générations. L'arrivée aux responsabilités politiques de nouveaux élus - et je pense tout particulièrement aux femmes - doit être encouragée. La limitation du cumul des mandats est un des moyens de cette évolution.
En matière de cumul des mandats, la France, on le sait, fait exception parmi les grandes démocraties européennes. Faut-il y voir un appétit particulier de pouvoir parmi nos élites politiques ? Je ne crois pas que le tempérament français pousse plus qu'un autre à la concentration des pouvoirs. Je crois plutôt que le cumul s'est enraciné, au cours de notre histoire, comme une antidote à la centralisation. La source du pouvoir local est depuis longtemps, dans notre pays jacobin, la capacité d'intervenir auprès des administrations centrales pour décrocher financements et faveurs. C'est le principal argument des maires à la recherche d'un mandat parlementaire.
Il faut prendre acte des changements intervenus depuis la décentralisation. Les pouvoirs locaux y ont gagné une nouvelle légitimité et de plus grandes responsabilités. L'exercice simultané de plusieurs mandats est devenu souvent hors de portée depuis la décentralisation. Il risque, dans les faits, de transférer les pouvoirs effectifs des élus vers des fonctionnaires. Ce n'est pas ce que souhaitent les Français.
Bien entendu, la réforme du cumul doit s'inscrire dans cette réalité historique et administrative. Elle ne doit pas la nier. La manière dont s'est constituée la nation n'est pas sans lien avec le sentiment diffus d'une continuité des mandats, du local au régional et au national, du conseil municipal au conseil général puis au Parlement. Il ne s'agit pas de briser ce lien, mais d'en gommer les tendances les plus excessives à la concentration des pouvoirs.
Je vous rappelle que le Premier ministre a consulté les responsables des principales formations politiques, et a recueilli leur sentiment à propos des limitations de cumuls, et que M. Chevènement s'est également entretenu avec les responsables des associations d'élus, l'association des maires de France, l'association des présidents de conseils généraux, l'association des présidents de conseils régionaux.
Bien entendu, des divergences se sont exprimées, mais je crois que le souhait de rechercher une nouvelle règle est apparu légitime.
La limitation du cumul des mandats que propose le Gouvernement n'est nullement dogmatique. Il s'agit de définir des objectifs qui peuvent être atteints.
La loi de 1985 a déjà limité à deux mandats le cumul possible. C'était une avancée considérable. Mais d'importantes lacunes subsistent. Ainsi, les maires des villes de moins de 20 000 habitants ne sont pas concernés. Les parlementaires peuvent toujours diriger des exécutifs locaux importants. Les fonctions de représentants au Parlement européen ne peuvent se cumuler avec celles de parlementaire français. Il convient donc en premier lieu de traiter ces situations.
Je voudrais vous présenter succinctement les différentes dispositions envisagées.
Le projet de loi organique traite en premier lieu des limitations de cumul applicables aux députés et aux sénateurs.
L'article L.O. 297 du code électoral indique que les incompatibilités opposables aux sénateurs sont celles qui sont opposables aux députés. C'est donc le même régime qui prévaudra.
Une loi organique était doublement nécessaire : parce qu'il s'agit du statut des parlementaires et parce que ce régime vaudra pour les territoires d'outre-mer dont les dispositions institutionnelles revêtent un caractère organique, en vertu de l'article 74 de la Constitution.
Tout d'abord, le mandat de représentant au Parlement européen ne pourra plus être cumulé avec celui de député ou de sénateur. Le régime des sessions du Parlement européen, l'éloignement du siège du Parlement à Strasbourg ou des lieux de travail à Bruxelles rendent particulièrement difficile l'exercice simultané des mandats de parlementaire national et de représentant au Parlement européen. Ce point a fait l'unanimité des personnalités consultées. Je me réjouis de constater l'accord sur ce point de votre rapporteur et de votre commission des lois.
Certes, l'article 5 de l'Acte européen du 20 septembre 1976 organisant les élections au Parlement européen indique que le mandat de représentant au Parlement européen est compatible avec celui de parlementaire national. Toutefois, cette disposition - qui valide un point de vue de l'Union - ne fait pas obstacle à ce que les Etats membres édictent pour leur compte des règles de non-cumul. Cinq pays l'ont fait, postérieurement à l'Acte de 1976, sans que jamais une procédure en manquement ait été introduite. C'est ce qui a conduit le Gouvernement a retenir cette première règle.
Ensuite, le mandat de député ou de sénateur deviendra incompatible avec les fonctions de président d'un conseil régional, de président d'un conseil général, de maire, de président du conseil exécutif de Corse, de président du gouvernement de Polynésie française ou de président d'une assemblée de province du territoire de Nouvelle-Calédonie.
Il s'agit par là d'éviter le cumul avec une fonction exécutive. Le critère retenu est celui de chef d'un exécutif local. Il ne serait pas souhaitable, à mes yeux, d'entrer dans une querelle de seuils autorisant le cumul avec un mandat de maire de petite commune et l'interdisant pour les grandes. A quel niveau fixer la barre ? Le Gouvernement a préféré s'en tenir au principe simple et aisément compréhensible de la responsabilité d'un exécutif local.
Votre commission des lois et votre rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ont émis un avis tout à fait différent, en souhaitant, toutefois, que les parlementaires ne puissent exercer simultanément qu'une seule fonction de responsable d'un exécutif local. Je ne nie pas que ce serait là un progrès, mais le Gouvernement souhaite aller plus loin.
Distinguer clairement entre le mandat de parlementaire, d'une part, celui de maire, de président de conseil général ou de conseil régional, d'autre part, constitue sans nul doute une novation, mais celle-ci correspond au saut qualitatif que nous devons faire.
Les fonctions parlementaires en seraient, à mes yeux, revivifiées et les fonctions de chef d'un exécutif local, cessant d'être tenues parfois, et à tort, pour un marchepied vers de plus hautes destinées, seraient revalorisées.
M. Charles Pasqua. Comment peut-on penser une chose pareille !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. A ces dispositions retenues par le projet de loi initial du Gouvernement, l'Assemblée nationale a ajouté d'autres dispositions tendant à rendre incompatibles avec le mandat de parlementaire la fonction de président d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et différents mandats tels ceux de membre du conseil de la politique monétaire à la Banque de France, de juge des tribunaux de commerce, de membre de la Commission européenne ou du directoire de la Banque centrale européenne, de membre du bureau d'une chambre consulaire ou d'une chambre d'agriculture, de membre du conseil d'administration d'une société faisant publiquement appel à l'épargne.
Beaucoup d'entre vous souhaitent par ailleurs qu'un statut de l'élu accompagne la limitation des cumuls de mandats et de fonctions.
Je n'ignore pas la situation de certains élus, en particulier des maires, qui souhaitent pouvoir exercer à temps plein leur mandat. Le cumul du mandat de maire avec celui de parlementaire n'est pas fondamentalement lié à la question du régime indemnitaire des maires. Il ne concerne d'ailleurs aujourd'hui que 500 cas sur 36 000.
Mais une évolution du régime indemnitaire des maires est souhaitable, car nous savons tous que ces fonctions requièrent plus de temps, de disponibilité et de formation.
Un effort indemnitaire, dans le cas où la réforme serait adoptée, serait de nature à encourager le mouvement que nous appelons de nos voeux afin d'amener aux responsabilités électives de nouvelles générations d'hommes et de femmes qui disposeraient ainsi des moyens de mieux assumer leur mandat.
C'est pourquoi le ministre de l'intérieur a accueilli favorablement un amendement parlementaire, lors de l'examen à l'Assemblée nationale, visant à réévaluer les indemnités des maires et à permettre à un plus grand nombre d'entre eux d'exercer leurs fonctions à temps plein.
D'une manière plus générale, on ne peut que souhaiter une évolution du statut de l'élu, quant aux indemnités, à la formation, à la réinsertion professionnelle à l'issue du mandat.
Mais la sagesse commande de distinguer clairement la limitation des cumuls de cette évolution nécessaire. Ce sont deux questions différentes. Il serait erroné de laisser croire à l'opinion qu'une limitation de l'exercice simultané des mandats serait compensée par un statut de l'élu.
Un statut de l'élu est souhaitable. Mais n'allons pas au-delà de ce qu'a proposé l'Assemblée nationale et ne mêlons pas cette réforme nécessaire à celle du cumul des mandats.
La réforme qui vous est proposée prévoit, par ailleurs, qu'un parlementaire ne pourra détenir plus de deux mandats. C'est dire qu'en plus de son mandat de député ou de sénateur il pourra détenir un mandat de conseiller régional, de conseiller général, de conseiller de Paris, de conseiller à l'Assemblée de Corse ou de conseiller municipal.
Ainsi, le projet de loi répond à l'observation de votre rapporteur, M. Jacques Larché, et de la commission des lois, qui craignent que le dispositif prévu par le Gouvernement ne prive le Parlement de l'expérience acquise dans les assemblées locales.
Il n'en sera rien dès lors que les députés et les sénateurs pourront être conseiller municipal, conseiller général ou régional, vice-président d'un département ou d'une région, adjoint au maire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Ils pourront continuer de participer activement aux assemblées locales, départementales ou régionales, y exercer des responsabilités et demeurer au contact des citoyens.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Il n'y aura de ce point de vue ni rupture, ni césure. La continuité de l'espace politique français sera donc préservée, mais la direction de l'exécutif, qui requiert un engagement constant, ne pourra plus être cumulée avec l'exercice d'un mandat parlementaire, lui-même fort prenant.
La claire opposition de votre commission des lois à l'encontre de l'amendement voté par les députés ramenant à dix-huit ans l'âge d'éligibilité à tous les mandats, y compris à celui de sénateur, ne m'a pas échappé ! Mais, vous le savez, nous sommes dans le domaine d'une loi organique concernant le Sénat, et si l'Assemblée nationale peut légitimement exprimer son point de vue, rien ne peut être modifié sur ce point sans votre accord. Le Gouvernement, croyez-le bien, n'a pas perdu de vue cet aspect des choses.
En ce qui concerne le cumul, un régime transitoire souple est proposé. C'est lors du prochain renouvellement de l'un quelconque des mandats les plaçant en situation de cumul prohibé que les parlementaires concernés auront à se mettre en règle avec le nouveau régime des incompatibilités. Ils seront autorisés à poursuivre leur mandat jusqu'au prochain renouvellement. Et, progressivement, à l'image de ce qui fut la règle en 1985, le nouveau système relatif aux incompatibilités se mettra en place.
Lorsque nous serons en régime de croisière, les modalités selon lesquelles chaque élu devra tirer les conséquences d'une situation d'incompatibilité seront en partie modifiées par rapport à la loi de 1985.
Ainsi, à l'avenir, un parlementaire élu à une formation incompatible disposera de trente jours pour choisir le mandat auquel il renonce. Passé ce délai, c'est le mandat acquis le plus anciennement qui est réputé abandonné. Il s'agit de marquer la volonté de mieux respecter le choix des électeurs. Auparavant, on pouvait constater que souvent les nouveaux élus démissionnaient de leurs nouvelles fonctions aussitôt après le scrutin, ce qui ne nous paraît pas logique.
Mais, bien entendu, cette disposition ne s'applique que dans le seul cas où l'élu concerné n'aurait pas opté pour le mandat de son choix dans le délai imparti de trente jours.
Un projet de loi ordinaire concerne, en second lieu, les représentants au Parlement européen, dont le statut ne relève pas de la loi organique, et les élus non parlementaires.
S'agissant des représentants au Parlement européen, leur statut sera, du point de vue des cumuls de mandats, identique à celui des parlementaires nationaux. J'ai déjà exposé les raisons qui ont conduit le Gouvernement à interpréter en ce sens les dispositions de l'Acte du 20 septembre 1976.
Vous ne serez donc pas surpris de constater que, dans le projet du Gouvernement, les représentants au Parlement européen ne pourront plus exercer simultanément les fonctions de président de conseil régional ou de conseil général, de maire ou de président d'une instance exécutive outre-mer. Ils ne pourront exercer qu'un seul mandat supplémentaire, à choisir parmi ceux de conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller à l'assemblée de Corse ou conseiller municipal.
Le projet de loi ordinaire régit également les incompatibilités visant les élus non parlementaires. La règle retenue fixe à deux mandats le cumul autorisé.
Ainsi, un maire pourra être en même temps soit conseiller général, soit conseiller régional. Il ne pourra cependant pas cumuler sa fonction de maire avec la direction d'un autre exécutif élu au suffrage universel direct ; il ne pourra donc pas présider un conseil régional ou un conseil général.
Les dispositions actuelles, vous le savez, interdisent déjà à un président de conseil régional de présider un conseil général ; elles resteront évidemment en vigueur. De surcroît, un président de conseil régional ne pourra simultanément être maire d'une commune.
La même disposition s'appliquera à un président de conseil général.
Mais, bien entendu, dans l'esprit que j'ai rappelé au début de mon intervention, le chef d'un exécutif local pourra exercer simultanément un mandat de conseiller, d'adjoint ou de vice-président dans une autre assemblée locale.
Là encore, le projet de loi n'a pas voulu entrer dans le mécanisme des seuils. Rien n'est plus difficile à cerner qu'un seuil. C'est une boîte de Pandore. Pourquoi instaurer un régime différent selon que la commune a 3 400 habitants ou 3 600 habitants ? Nous croyons qu'il est plus sage de s'en tenir au principe, c'est-à-dire à la notion de chef d'exécutif local, qui comporte beaucoup moins d'inconvénients que l'instauration de seuils.
Le même système transitoire que celui qui est prévu par la loi organique est adopté pour la loi ordinaire : les élus concernés par une incompatibilité à la date de promulgation de la loi pourront continuer d'exercer leurs mandats jusqu'au prochain renouvellement.
Le régime de croisière sera cependant plus strict : le maire, le président de conseil général ou de conseil régional, ou le représentant au Parlement européen qui, à l'avenir, serait élu à une fonction nouvelle le plaçant en situation d'incompatibilité cesserait d'exercer son premier mandat. C'est la dernière élection, l'expression la plus récente du suffrage universel, qui l'emporterait.
Enfin, le dispositif sera applicable dans les territoires d'outre-mer et les collectivités territoriales d'outre-mer à statut particulier, en assimilant à des mandats et fonctions métropolitains certains des mandats et fonctions, de nature exécutive, propres à ces territoires et collectivités, selon une formule que vous connaissez, qui est celle de la loi organique du 30 décembre 1985.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telle est, rapidement présentée, l'économie des projets de loi portant limitation du cumul des mandats. Ils exposent, de la part du Gouvernement, un point de vue net. Le Premier ministre a lui-même souhaité un débat approfondi au Parlement.
Je suis sûr que le Sénat saura entendre les aspirations de nos concitoyens, qui souhaitent une clarification des règles afin que leurs élus se consacrent pleinement à leur mandat.
Le projet du Gouvernement n'est pas dogmatique. Il définit des règles équilibrées et réalistes. Elles ne sont pas hors d'atteinte, même si elles introduisent une novation dans notre vie politique. Il faut savoir bousculer des habitudes et revenir sur des situations acquises. Ne redoutons pas ce changement : il sera utile à la démocratie représentative.
En apportant ainsi la preuve de sa capacité à réformer la représentation politique, le Parlement, j'en suis sûr, contribuera à rétablir la confiance des citoyens dans leurs institutions. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous indique que le scrutin pour l'élection des juges titulaires et des juges suppléants à la Haute Cour de justice et à la Cour de justice de la République sera clos dans dix minutes. Que chacun prenne ses dispositions pour accomplir son devoir d'électeur !
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Larché, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre Haute Assemblée est saisie de deux textes qui traduisent, avec beaucoup d'exactitude, l'intention exprimée par M. le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale de procéder à ce qu'il appelle une limitation du cumul des mandats.
L'un d'entre eux est un projet de loi organique, puisqu'il concerne les membres du Parlement, députés et sénateurs ; l'autre est applicable aux élus locaux, et uniquement à eux, et relève de l'ordre législatif ordinaire.
J'ai conscience que le rapport que je dois vous présenter au nom de la commission des lois revêt une importance et peut-être une signification particulières, et ce à plus d'un titre.
Nos travaux, nous dit-on, intéressent l'opinion publique, une opinion publique qui, selon certains, attendrait de nous que nous nous rangions à ce que le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale - et pour celle-ci au moins en apparence - souhaiteraient nous voir adopter.
Ne peut-on d'ores et déjà s'interroger sur ce qu'en la matière souhaite réellement l'opinion ?
Ne peut-on penser que ce problème de l'exercice par le même élu de plusieurs mandats peut être réglementé sans pour autant que l'on en vienne à une véritable atomisation de la vie publique, et cela quoi qu'en pensent certains théoriciens de la chose constitutionnelle qui n'auront jamais, je crois, participé effectivement au fonctionnement d'un modeste conseil municipal ? Ne faut-il pas rappeler que l'exercice de plusieurs mandats s'accompagne très normalement d'une réglementation stricte des rémunérations correspondantes, réglementation que nous avons votée et décidée ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Grâce à la gauche !
M. Jacques Larché, rapporteur. Ces projets intéressent aussi, à la condition que l'on veuille bien le reconnaître, notre Haute Assemblée, qui, sur l'un des deux textes qui nous sont soumis, dispose d'un pouvoir de décision égal à celui de l'Assemblée nationale, pouvoir qui lui est reconnu par la Constitution.
J'insiste sur ce point : il s'agit d'un pouvoir de co-décision, et non pas, comme on voudrait le faire croire, d'une sorte de pouvoir de blocage. Car si l'on se sert de ce terme pour qualifier ce que nous décidons, pourquoi ne pas l'utiliser lorsque l'Assemblée nationale s'oppose à ce que nous proposons ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Charles Pasqua. Très bien ! Très logique !
M. Jacques Larché, rapporteur. Je note sur ce point qu'un premier secrétaire de parti qui s'est illustré - ainsi d'ailleurs que l'un de ses collègues président de commission -, et ce récemment, par un absentéisme remarqué a cru bon de faire planer une sorte de menace sur le Sénat.
M. Charles Pasqua. Des noms ! (Rires.)
M. Jacques Larché, rapporteur. Notre président l'a immédiatement relevé. Je n'insisterai pas.
Je poserai simplement cette question : le Sénat est-il encore en droit d'avoir une opinion différente de celle de l'Assemblée, ou bien suffit-il que le représentant d'un parti s'exprime au nom de quelques milliers d'adhérents pour imposer sa volonté à la représentation nationale ? (Très bien ! et vifs applaudissements sur les mêmes travées.)
Ce débat intéresse enfin tous ceux - et nous en sommes - auxquels, dans les divers mandats qu'ils exercent, nos concitoyens ont manifesté leur confiance.
Ces considérations préliminaires suffiront, je l'espère, à vous faire percevoir l'état d'esprit dans lequel votre commission a abordé ces deux textes. Nous en avons conduit l'étude sans aucun préjugé.
M. René-Pierre Signé. Ça !
M. Jacques Larché, rapporteur. Nous avons regretté toutefois que l'Assemblée nationale ait cru devoir surcharger le texte du Gouvernement en s'éloignant de l'objectif initial pour aboutir à un ensemble peu cohérent.
Pour ne pas déborder outre mesure le temps qui m'est imparti, je renverrai à l'examen des amendements l'analyse de bon nombre des dispositions qui nous sont soumises, dont la plupart vous paraîtront certainement d'une pertinence et d'une utilité sujettes à caution.
On y trouve, je le note, une tentative très limitée de création d'un statut de l'élu, pratiquement sous le seul aspect de la rémunération, qui serait bien évidemment laissée à la charge des collectivités intéressées.
On se garde de traiter ce qui est sans doute le problème essentiel : l'inégalité des citoyens. Or nous savons qu'il y a des catégories privilégiées dans l'accès aux mandats électifs.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Très bien !
M. Jacques Larché, rapporteur. Ce problème devra être abordé dans son ensemble, à l'occasion non pas de ce texte, mais de l'étude d'un véritable statut de l'élu. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Nous aurions pu aussi légitimement espérer que la situation des ministres serait réglée par un projet de loi constitutionnelle, qui aurait pu mettre fin, au niveau du Gouvernement, à l'application contestable, mais empreinte d'un certain humour, des directives du Premier ministre. (Sourires.)
Certains de nos collègues, et je les en remercie, ont déposé une proposition de loi constitutionnelle. Nous l'étudierons très rapidement, en examinant la procédure applicable à une telle proposition, qui débouche obligatoirement, vous le savez - c'est la Constitution - sur un référendum.
M. Charles Pasqua. Enfin un référendum ! (Rires.)
M. Jean-Claude Gaudin. Mais pas celui que vous souhaitez !
M. Jacques Larché, rapporteur. J'en viens à l'essentiel : faut-il limiter le cumul des mandats ?
M. René-Pierre Signé. Oui !
M. Jacques Larché, rapporteur. Dans l'affirmative, dans quelle proportion ?
En 1985, un pas important avait été fait en ce sens. Tout le problème est de savoir si nous devons aller au-delà.
La commission a estimé que oui. Elle vous propose donc de limiter à deux le nombre de mandats susceptibles d'être exercés, et de rendre incompatibles, entre autres, un mandat national et un mandat européen.
Notons au passage - et cela, dans mon esprit, a une valeur symbolique - que je vous proposerai d'éliminer de notre vocabulaire le terme de « cumul », qui comporte une certaine charge péjorative, pour vous demander d'examiner le problème de la compatibilité ou de l'incompatibilité des mandats (Très bien ! sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Nous sommes d'accord pour établir un système qui repose sur un principe simple : aucun élu ne peut, en principe, détenir plus de deux mandats, et la détention d'un mandat implique la possibilité d'exercer une fonction exécutive. Tel n'est pas l'avis du Gouvernement et tel n'est pas le texte voté par l'Assemblée nationale.
M. le ministre nous a dit les motifs de son avis, que je reprendrai en substance. Ce faisant, je voudrais vous indiquer, mes chers collègues, pourquoi la commission n'a pas été convaincue et pourquoi elle a pensé que, en éliminant de notre paysage politique le député-maire et le sénateur-maire, on porterait atteinte à un équilibre qui nous paraît devoir être maintenu.
Quels sont, en substance, les motifs de la proposition du Gouvernement, acceptée par l'Assemblée nationale ?
Tout d'abord - et je reprends les termes qui ont été employés par M. le ministre - le système français constituerait une exception. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait exact, car les pays latins offrent des possibilités identiques. Cependant, dans une certaine mesure, c'est vrai, il y a exception. Mais c'est notre système tout entier qui est exceptionnel : des collectivités territoriales, peut-être trop nombreuses, mais enracinées dans notre culture et dans notre tradition, une décentralisation amorcée, mais sans cesse, nous le savons, battue en brèche par le jeu combiné de la représentation du pouvoir central et de l'accumulation de règlements nationaux, qui freine les initiatives locales.
Croit-on sincèrement que l'on ferait progresser l'équilibre nécessaire de notre territoire et le développement économique local si on laissait sans contrepoids le responsable de la collectivité territoriale aux prises avec cette tentation renouvelée du pouvoir central de récupérer en tout ou en partie ce dont la loi a entendu le déposséder ?
Par ailleurs, l'exercice de plusieurs mandats serait une des causes, et même la cause principale, de l'absentéisme parlementaire.
C'est là une idée fausse, complaisamment entretenue.
M. Alain Fournac. Oh oui !
M. Jacques Larché, rapporteur. L'absentéisme en séance publique tient, nous le savons, à l'exigence d'un débat parlementaire requérant, en principe, la présence en séance de tous les députés et de tous les sénateurs sur n'importe quel problème, à n'importe quel moment et dans le cadre d'une inflation législative que nul n'a jamais pu ou n'a jamais voulu maîtriser.
Paradoxalement, cet absentéisme que l'on prétend combattre, ne va-t-on pas l'accroître ? Ne va-t-on pas inciter le parlementaire qui, à tort ou à raison, se sentirait menacer par un maire ou pas un président de conseil général à une présence accrue sur le terrain ? (Marques d'approbation sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Le système proposé aboutirait enfin, nous dit-on, à une plus grande « circulation » des citoyens investis de fonctions électives.
Nous retrouvons là l'expression bien connue de ceux qui pensent que toute vie, qu'elle soit professionnelle, politique ou sociale, doit être soumise à une réglementation plus contraignante pour parvenir à un résultat souhaitable, au détriment des espaces de liberté auxquels aspirent nos concitoyens.
Il existe, dans le domaine qui nous préoccupe, un maître que nous respectons tous : le suffrage universel, un maître qui n'hésite pas, lorsqu'il l'estime souhaitable, à nous faire connaître sa volonté.
Sait-on qu'en 1995 il y a eu 38 % de maires nouveaux et, en 1997, 49,8 % de nouveaux députés - ce qui est peu d'ailleurs par rapport au séisme de 1993 !
Et dans ce Sénat qui, selon certains, ne change jamais, on a compté 50 % de sénateurs nouveaux lors du dernier renouvellement triennal !
M. Claude Estier. Peut-être, mais il ne change pas de majorité !
M. Jacques Larché, rapporteur. Mais, cher ami, cher président Estier, si la majorité ne vous convient pas, essayez de la changer !
M. Claude Estier. C'est ce qu'on va s'efforcer de faire !
M. Jacques Larché, rapporteur. Jusqu'à présent, vous n'y avez pas réussi !
Mme Hélène Luc. Il faut changer le mode de scrutin ! Cela aurait même dû être fait depuis longtemps !
M. René-Pierre Signé. Vous n'osez pas changer le mode d'élection !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie ! Seul M. le rapporteur a la parole.
M. Jacques Larché, rapporteur. J'en arrive, enfin, à ce qui me paraît essentiel : les sénateurs ou les députés maires ou présidents d'une institution locale sont des éléments fondamentaux de notre vie politique.
Par leur existence même, ils servent, et ils servent tous utilement, aussi bien les régions, les communes, les départements que la nation, qui leur ont accordé leur confiance.
A qui fera-t-on croire que Lille et le Sénat, que Lyon et l'Assemblée nationale se porteraient mieux si Pierre Mauroy ou Raymond Barre n'étaient pas présents parmi nous ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. S'ils étaient présents !
M. Jacques Larché, rapporteur. En réalité, la proposition qui nous est faite aboutit à un bouleversement profond des assises de notre vie publique. Tout système politique doit connaître un certain mécanisme de recrutement de son personnel politique.
Nous en avons un, fondé sur l'expérience. Nos concitoyens ont une totale liberté de choix et fondent leur décision sur l'enracinement et la connaissance personnelle de ceux auxquels ils accordent leur confiance.
Si nous mettons fin à ce qui existe, nous verrons se profiler un autre système et peut-être, en réalité, une autre République, dominée par l'omniprésence des états-majors des partis, qui, dans notre pays, n'ont jamais bénéficié d'une représentativité réelle, et, dans le droit-fil de cette omniprésence, s'ensuivra l'adoption inéluctable d'une représentation proportionnelle généralisée.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quelle erreur !
M. Jacques Larché, rapporteur. Mais nous devons, en cet instant, mener notre réflexion jusqu'à son terme.
Ceux que nous n'aurons pas convaincus ne manqueront pas de nous taxer de corporatisme, de conservatisme systématique,...
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Jacques Larché, rapporteur. ... voire de « ringardise ».
M. René-Pierre Signé. C'est malheureux, mais c'est ainsi !
M. Jacques Larché, rapporteur. Et nous savons bien pourtant que si, en d'autres temps, nous n'avions pas su nous opposer à ce que l'on nous disait déjà être la volonté nationale, les nationalisations auraient tourné à la spoliation, la liberté de l'enseignement ne serait plus qu'un souvenir (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants)...
M. René-Pierre Signé. Et la loi Falloux !
M. Jacques Larché, rapporteur. ... la Nouvelle-Calédonie...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il ne faut pas exagérer !
M. Jacques Larché, rapporteur. ... n'aurait pu se voir offrir la chance que nous venons de lui donner de demeurer dans l'ensemble français.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et Ouvéa ? C'est grâce à vous ?
M. Jacques Larché, rapporteur. La position que nous vous proposons de prendre est simple et claire. Nous avons examiné l'essentiel du texte du Gouvernement en éliminant des propositions intéressantes mais qui n'avaient pas de rapport direct avec lui.
C'est, en définitive, un équilibre français que votre commission vous propose de maintenir. Pour ce faire, je vous demanderai de bien vouloir accepter les amendements que je défendrai en son nom. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Mes chers collègues, dix-sept orateurs étant inscrits dans la discussion générale, je suis conduit à vous inviter à la concision, tout devant être dit, bien entendu.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le tome V de ses mémoires, Michel Debré a intitulé l'un de ses chapitres : « Un cumul d'un quart de siècle ». Il a donc été pendant vingt-cinq ans député de la Réunion, conseiller général et maire d'Amboise. Il parle longuement des avantages qu'il a tirés de ce cumul et des effets réciproques, dans l'exercice de sa fonction, du mandat de député et de ses deux mandats locaux dans la métropole.
La situation qu'il décrit était loin d'être exceptionnelle. Surtout depuis la IIIe République, la possession d'un mandat électif national se cumulait traditionnellement avec plusieurs mandats locaux, soit qu'il s'agisse de l'aboutissement d'un cursus , soit, au contraire, que la qualité de député ou de sénateur entraîne l'attribution d'autres mandats électifs.
L'Histoire nous apprend que, tant pour les mandats nationaux que pour les mandats locaux, le droit électoral français a longtemps témoigné d'une très nette indifférence à l'égard des questions d'incompatibilité.
Je rappellerai d'ailleurs que, déjà sous la Révolution, Mirabeau et Boissy d'Anglas souhaitaient, par exemple, que nul n'accédât à une place dans l'organisation politique sans avoir précédemment exercé une fonction d'un ordre inférieur.
Même à l'époque du suffrage censitaire, l'élection semblait avoir une portée telle que l'exercice par un élu d'autres fonctions, électives ou non, ne semblaient pas devoir être pris en considération. Cette attitude n'a pu qu'être amplifiée à partir de 1848, c'est-à-dire que l'institution du suffrage universel a renforcé la valeur quasi mythique de l'élection.
Pour les mandats nationaux et locaux, les cas d'inéligibilité et surtout d'incompatibilité étaient réduits au minimum. La pratique des candidatures multiples à la députation avait encore, dans les premières années de la IIIe République, une valeur de symbole même si, dans ce cas, le cumul de plusieurs mandats dans les assemblées législatives était impossible.
Le cumul du mandat de député ou de sénateur avec des fonctions publiques non électives a encore été possible, pour certaines d'entre elles, jusque vers les années vingt.
En revanche, en ce qui concerne les fonctions électives, si l'on excepte l'interdiction de cumul des mandats de députés et de sénateurs, aucune interdiction n'était formulée.
Le cumul fut donc licite, et à tous les degrés, jusque dans les années quatre-vingt.
Je mentionnerai toutefois que, le 28 novembre 1902, la Chambre des députés adopta une proposition de loi interdisant le cumul du mandat de député ou de sénateur avec celui de conseiller de Paris, proposition que le Sénat, dans sa sagesse, ne vota pas, ce dont je lui suis reconnaissant car il me permet aujourd'hui de m'exprimer.
Cela étant, la situation a profondément changé avec les deux lois du 30 décembre 1985, l'une organique et l'autre ordinaire, qui réglementent le cumul des mandats.
Et voilà que, fidèle à ses engagements électoraux du printemps de 1997, le Gouvernement ouvre de nouveau le débat sur la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions par les deux textes dont nous entamons la discussion.
Monsieur le ministre, la présentation de ces deux projets de loi a le mérite de poursuivre au Parlement un débat récurrent dans l'opinion. Ces textes comportent toutefois des solutions fort discutables et, plus encore, occultent l'essentiel.
Mais je voudrais faire observer que, dans ce débat récurrent, le Gouvernement cède aussi, pardonnez-moi, monsieur le ministre, à la démagogie.
Faut-il limiter les cumuls des mandats en allant plus loin que la loi actuelle ? Oui. La commission des lois nous propose de ramener la limite actuelle de trois mandats à deux seulement, mais deux mandats exercés dans leur plénitude, c'est-à-dire comportant éventuellement une fonction exécutive.
Faut-il aller dans le sens d'une certaine tendance antiparlementariste, hostile aux cumulards, au point de risquer d'altérer l'efficacité de la démocratie ?
Le vocabulaire n'est jamais innocent et l'utilisation du mot « cumulard », comme on dirait « chauffard », vise à discréditer par la consonnance désobligeante du mot. Il suggère le cumul de prébendes ou d'avantages divers. Je crois que le Gouvernement aurait été mieux inspiré en expliquant aux Français que le cumul, c'est avant tout l'addition de tâches souvent ingrates et souvent indispensables au bon service du citoyen.
Aura-t-on satisfait les Français, aura-t-on fait oeuvre utile lorsqu'on aura réservé la fonction parlementaire à des spécialistes, belles têtes bien pleines qui savent tout de la théorie, mais souvent rien de la pratique ?
Par ces deux textes, monsieur le ministre, vous ouvrez le débat, comme d'ailleurs l'avaient fait vos prédécesseurs, et nous nous en félicitons.
Mais il y a débat et débat.
Vous avez choisi la voie du débat parlementaire, et nous nous en félicitons également.
M. René-Pierre Signé. On ne peut pas faire autrement.
M. Bernard Plasait. Permettez-moi alors de m'étonner de découvrir, en lisant la presse du soir, que le Gouvernement brandit la menace du recours au référendum.
M. René-Pierre Signé. C'est le Président de la République qui décide.
M. Bernard Plasait. Le Gouvernement aurait-il peur de sa propre majorité ? Il est vrai, ce n'est un secret pour personne, que les députés socialistes n'ont approuvé le texte que du bout des lèvres - du bout des doigts - avec sans doute le secret espoir de voir le Sénat réintroduire plus de mesure et plus de sagesse.
M. Claude Estier. C'est vous qui le dites !
M. Alain Gournac. Et il le dit !
M. Bernard Plasait. A n'en pas douter, le plus grand nombre se serait bien volontiers contenté de quelques aménagements, dont nul d'ailleurs ne conteste la légitimité, à la législation actuelle.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il fallait le faire !
M. Bernard Plasait. Il faut d'abord constater que le législateur est appelé à intervenir dans un domaine où une législation existe déjà, législation qui est issue de la même majorité gouvernementale, certes singulière à l'époque car les communistes avait déjà quitté l'exécutif.
Ces lois de 1985 ont fait l'objet d'un consensus assez général. Il est assez vraisemblable que l'adoption de la loi du 2 mars 1982 sur la décentralisation augmentant les compétences des autorités locales et principalement des exécutifs locaux, le renforcement des structures des régions, notamment l'élection des conseillers régionaux au suffrage universel depuis la loi du 10 juillet 1985 auront été des facteurs déterminants d'une nouvelle conception de l'élu local par rapport à l'élu national.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas ce que vous disiez à l'époque !
M. Bernard Plasait. Il est tout aussi indéniable que la situation de certains élus - celle, par exemple, de tel sénateur-maire d'une grande ville qui était, avant la loi, président de conseil général, conseiller régional et, de surcroît, parlementaire européen - plaidait pour une limitation plus stricte du cumul des mandats et des fonctions.
La loi organique du 30 décembre 1985 a donc établi un article L.O. 141 du code électoral par lequel « le mandat de député est incompatible avec l'exercice de plus d'un des mandats électoraux ou fonctions électives énumérés ci-après : représentant à l'Assemblée des communautés européennes, conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, maire d'une commune de 20 000 habitants ou plus, autre que Paris, adjoint au maire d'une commune de 100 000 habitants ou plus, autre que Paris ». Conformément à l'article L.O. 297, la même règle concerne les sénateurs.
En conséquence, à partir de la fin de la période transitoire, un député ou un sénateur ne peut cumuler son mandat avec plus d'un des mandats ou d'une des fonctions énumérées dans l'article L.O. 141.
Cela veut dire aussi qu'il peut encore cumuler ces deux mandats ou fonctions avec celui ou celle de conseiller municipal quelle que soit l'importance de la commune, de maire d'une commune de moins de 20 000 habitants ou d'adjoint au maire d'une commune de moins de 100 000 habitants.
La loi ordinaire du 30 décembre 1985 est, quant à elle, venue compléter les dispositions de la loi organique dans un domaine où le cumul faisait l'objet de moins de critiques, celui des mandats locaux.
Bien entendu, le cumul avec une troisième fonction est possible dans les mêmes conditions que pour les parlementaires. Ainsi, un député au Parlement européen peut cumuler sa fonction avec celle de conseiller régional et celle de maire d'une commune de moins de 20 000 habitants.
Dans le même esprit, un parlementaire national peut être président d'un conseil régional ou général et maire d'une commune de moins de 20 000 habitants.
Etant donné certaines situations particulières et, plus encore, compte tenu de ce qui constitue l'exception française au regard des Etats de l'Union européenne et des Etats-Unis - où le cumul est soit interdit, soit très peu pratiqué - le président de l'Assemblée nationale avait constitué en 1994 un groupe de travail intitulé « Politique et argent ».
Ce groupe a abordé le problème du cumul des mandats et ses réflexions ont abouti à l'élaboration de deux avants-projets de propositions de loi. Ces textes correspondaient déjà à une aggravation du système, conduisant à une interdiction du cumul du mandat parlementaire avec la fonction d'exécutif local : président de conseil régional, président de conseil général, maire d'une ville de 100 000 habitants et plus.
Bien que refusant la solution extrême qui consisterait à interdire purement et simplement le cumul d'un mandat national avec un mandat local, le Gouvernement va encore au-delà des propositions de 1994.
Il envisage en effet - c'est l'objet de l'article 2 du projet de loi organique - de rendre incompatible l'exercice d'un mandat parlementaire avec une fonction exécutive dans une collectivité territoriale, quelle qu'en soit la taille, ou avec plus d'un mandat local. Suivant ce schéma, il serait, en particulier, mis fin à la figure classique du sénateur-maire ou du député-maire. Sans reprendre les arguments pertinents développés par notre éminent collègue le président Jacques Larché dans son excellent rapport, je ferai trois observations à l'encontre de cette disposition.
J'observerai, en premier lieu, que les Français, lorsqu'on les interroge, désapprouvent certes, dans leur très grande majorité, le principe du cumul des mandats ; en 1985, déjà, trois Français sur quatre s'y déclaraient hostiles. Cependant, les électeurs favorisent, par leur vote, la pratique du cumul. Comme l'écrivait, en 1991, le professeur Albert Mabileau : « c'est en fin de compte l'électeur qui, pour une grande part, est responsable du cumul, lui qui, par son comportement, affirme la légitimité démocratique d'un mécanisme de capitalisation des mandats qui participe effectivement très largement à la structuration du système politique ».
En deuxième lieu, on ne saurait passer sous silence les sérieux avantages fonctionnels que présente le cumul, celui-ci conférant à l'exercice des mandats un maximum d'efficacité. Il offre d'abord aux élus nationaux la possibilité de garder le contact avec les réalités quotidiennes auxquelles sont confrontés les citoyens, en même temps que ces élus traitent des grands problèmes du pays au nom de l'intérêt général.
L'intérêt porté à la gestion de proximité n'a sans doute jamais été aussi prononcé que dans la société actuelle. C'est exactement le sens des propos du président de la République, qui déclarait le 20 novembre 1997, devant l'association des maires de France, qu'« il est essentiel que celles et ceux qui ont la lourde responsabilité d'élaborer la loi ne soient pas coupés des réalités du terrain, et que nos députés et nos sénateurs restent à l'écoute de la France ».
M. Jean-Guy Branger. Très bien !
M. Bernard Plasait. Par ailleurs, leur position ambivalente permet aux élus en situation de cumul d'être à la fois les interlocuteurs privilégiés des administrations locales et nationales et d'assurer entre ces deux échelons une communication directe, sans devoir recourir à des relais politiques ou à des intermédiaires administratifs.
Enfin, en troisième lieu, à l'encontre de ces avantages, les opposants au cumul n'ont de cesse d'en souligner les inconvénients fonctionnels : manque de disponibilité de l'élu cumulant, incapable, malgré son professionnalisme, de faire face à la totalité de ses innombrables obligations, désertant, s'il est parlementaire, les bancs du Palais du Luxembourg ou du Palais-Bourbon pour jouer, selon l'expression désormais consacrée de Pierre Mazeaud, les « assistantes sociales » dans sa circonscription.
Il néglige ainsi sa fonction essentielle de représentant de la nation pour tenir son rôle local de médiateur entre ses électeurs et les institutions ou bien il compromet, au contraire, sa réélection, s'il se consacre à sa fonction parlementaire en délaissant le terrain local. Cruel dilemme que d'éminents sénateurs, certes bien organisés, législateurs à Paris, présidents dans leur département, ont depuis longtemps dépassé.
Concernant l'absentéisme des parlementaires, on a dit tout et son contraire, ou presque. Imaginons simplement ce que seraient les débats d'une assemblée législative dont tous les membres seraient en permanence présents ! La technicité de nos travaux et la complexité des textes rendent indispensable la spécialisation dans tel ou tel domaine. Je crois que, sur ce point, un effort de pédagogie envers nos concitoyens s'impose.
Cela étant, entre le statu quo qui consisterait à ne rien changer et les solutions extrêmes qui tendraient soit à consacrer le principe « un homme, un mandat », soit, comme le font les projets du Gouvernement, à établir des incompatibilités excessives, le groupe des Républicains et Indépendants soutiendra sans réserve les propositions équilibrées de la commission des lois.
Cependant, je regrette vivement que ces deux projets, qui vont trop loin dans les incompatibilités, occultent l'essentiel. En un mot, le Gouvernement « met la charrue avant les boeufs ».
Oui, monsieur le ministre, quid des membres du Gouvernement ? Et plus encore, qu'en est-il du statut de l'élu ?
En ce qui concerne les ministres, bien sûr, nous connaissons la réponse. Voici celle de M. Chevènement, rapportée le 23 avril dernier par Paris Match : « La jurisprudence instaurée par le gouvernement Jospin suffit. » Ah bon ? Nouvelle source du droit, sans doute...
La Constitution de la Ve République a introduit en France l'incompatibilité entre les fonctions ministérielles et le mandat parlementaire.
Le premier alinéa de l'article 23 de la Constitution dispose ainsi que « les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute autre activité professionnelle ». Selon le deuxième alinéa du même article, « une loi organique fixe les conditions dans lesquelles il est pourvu au remplacement des titulaires de tels mandats, fonctions ou emplois ».
Comme l'indique le doyen Georges Vedel dans le rapport du comité consultatif pour la révision de la Constitution du 15 février 1993, ce système a, de l'avis général, mal fonctionné : d'abord, parce qu'un ministre qui quitte le Gouvernement peut très légitimement vouloir retrouver un rôle politique ; ensuite, parce que le cumul avec les mandats locaux n'est en aucune façon réglementé.
En effet, comme l'a très justement souligné, lors des débats de la commission des lois, notre excellent collègue Daniel Hoeffel, se pose le problème des relations entre le ministre et son suppléant. La situation actuelle, marquée notamment par l'organisation d'élections partielles lorsque les ministres quittent le Gouvernement, n'est pas satisfaisante.
A cet égard, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir quelles solutions le Gouvernement envisage pour remédier à cette situation, source de confusion pour les électeurs, onéreuse pour les finances publiques.
Quant aux autres mandats électifs, ils sont, à l'exception de celui de député européen, compatibles en France avec l'exercice d'une fonction ministérielle, alors que, dans la plupart des autres pays européens - Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Italie, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni - la situation inverse prévaut.
Avec la France, l'Irlande est le seul pays à ne pas restreindre l'exercice, par un ministre, d'un mandat électif local, ce qui a conduit le rapport Vedel à suggérer de modifier la Constitution pour y inscrire de nouvelles incompatibilités.
C'est la raison pour laquelle, dans le souci de respecter la hiérarchie des normes et de ne pas transformer la loi fondamentale en un inventaire à la Prévert, j'ai déposé, avec plusieurs de nos collègues, deux propositions de loi.
L'une, de nature constitutionnelle, tend à compléter le premier alinéa de l'article 23 de la Constitution en inscrivant que « les autres incompatibilités seront fixées par une loi organique ».
L'autre, de nature organique, vise à renforcer la limitation du cumul des fonctions exécutives locales et nationales, étant entendu qu'un ministre, comme du reste un parlementaire, doit pouvoir, me semble-t-il, conserver un lien avec les réalités quotidiennes à travers l'exercice d'un mandat local.
En outre, le fait de ne prévoir aucune disposition particulière concernant les ministres accrédite l'idée selon laquelle la pratique suffit à régler le problème. Dès lors, le même raisonnement peut s'appliquer à tous les élus visés par les deux présents projets de loi et rendre ainsi ces derniers sans objet.
Une conclusion s'impose : la meilleure garantie contre le cumul excessif des mandats reste encore le suffrage universel. A l'électeur de décider.
Dans le même esprit, le Gouvernement propose de renforcer la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives avant même d'avoir établi un véritable statut de l'élu. C'est aller, je crois, bien vite en besogne.
Nos collègues députés ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, qui ont profité de l'occasion de ces deux textes pour ouvrir cinq autres débats, certes très importants, mais périphériques par rapport aux projets initiaux : incompatibilités avec diverses activités, âge d'éligibilité, statut de l'élu local, fonctionnement des assemblées parlementaires et même participation des parlementaires à la vie administrative de leur département.
Il va sans dire que ces sujets de première importance, qui dépassent les simples considérations matérielles et financières, nécessitent une longue et profonde réflexion que, je n'en doute pas, le Sénat aura à coeur de conduire.
Enfin, je regrette que, en présentant ces textes, le Gouvernement n'ait pas évité deux écueils.
Le premier écueil consiste à estimer que le cumul des mandats est un problème que l'on peut traiter en soi, de manière isolée, sans considérer qu'il s'insère dans un ensemble comprenant tout à la fois le monde politique, l'appareil administratif et la société civile.
On ne peut, en cette matière, copier telle ou telle législation étrangère, car mentalités et comportements diffèrent d'un pays à l'autre.
Pour répondre à la question : « Quelle est la meilleure législation relative au cumul des mandats ? », on serait tenté de faire appel à l'autorité du sage Solon, qui aurait certainement répondu : « Dites-moi d'abord pour quel peuple, et à quelle époque. »
Le second écueil consiste à estimer qu'en France les moeurs politiques seraient fondamentalement modifiées par la législation et qu'une bonne loi, c'est-à-dire une loi sévère, suffirait à régler définitivement l'ensemble du problème.
L'exemple le plus frappant est celui de l'incompatibilité entre mandat parlementaire et fonction ministérielle, que j'ai déjà évoquée. Nous savons que, de jure, la loi est respectée. Mais nous savons aussi que, de facto, cette espèce de cumul existe toujours. Ce rappel incite donc à la prudence.
En conclusion, un cumul réglementé des mandats électifs, national et local, pragmatique et non dogmatique, comme nous le propose, dans sa sagesse, notre commission des lois, permet de suivre l'excellent conseil de Clausewitz selon lequel « l'investigation et l'observation, la philosophie et l'expérience ne doivent jamais se mépriser ni s'exclure mutuellement : elles sont garantes l'une de l'autre ». (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Un ancien président de conseil général !
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'un d'entre nous vient de me saluer du titre d'ancien président de conseil général. Eh bien, c'est un titre que je revendique !
Je le revendique parce qu'il me renvoie à une période de ma vie pendant laquelle j'ai été amené à me dévouer, autant que je l'ai pu, au service de mes concitoyens. Même si le corps électoral, à sept voix près, ne m'a pas reconduit lors du dernier renouvellement, j'ai la faiblesse de croire que mon action dans ces fonctions n'a pas été totalement inefficace.
Monsieur le ministre, les propos que je vais tenir ne vous plairont sans doute guère, mais je crois qu'il est de mon devoir de les énoncer à cette tribune.
Il y a, dans ce débat, une part de non-dit qui me gêne beaucoup, car elle consiste à opposer insidieusement l'élu au peuple. Or, à mes yeux, dans une démocratie, c'est quelque chose que l'on n'a absolument pas le droit de faire. D'ailleurs, la Constitution de 1958 indique expressément que « la souveraineté appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants. »
Dès lors, il ne me paraît pas de bonne manière pour un gouvernement, pour un parti ou pour quiconque d'essayer de détacher les seconds du premier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Dans cette affaire, j'ai un peu peur qu'on ne tombe, pour des raisons de facilité tactique ou de mode, dans ce piège.
M. René-Pierre Signé. Pas du tout !
M. Paul Girod. Il ne me semble pas qu'en la matière, on doive légiférer au niveau de ce que j'appellerai le résumé, pour ne pas dire le slogan. Si certains problèmes sont réels, je ne suis toutefois pas sûr qu'ils soient appréhendés au bon endroit.
Le vrai problème, je l'ai vécu à un échelon extrêmement modeste, lorsque j'étais vice-président d'une région, chargé des affaires économiques, tout en étant président du comité d'expansion de mon propre département, chargé des mêmes sujets, pour une fraction de cette région donc.
Lorsque je voyais arriver un dossier à l'origine parfois incertaine, je me trouvais au fond de moi-même déchiré, faute de savoir dans quelle direction il était de mon devoir d'orienter le dossier ; j'étais partagé entre une double tentation : celle de l'objectivité régionale et celle de la responsabilité départementale.
Ce n'est pas au niveau de la fonction exécutive de président de conseil général que j'ai occupée par la suite à l'exclusion de toute autre - que ce problème s'est trouvé posé, mais dans la confusion dans la même personne de deux devoirs contradictoires.
Je pense donc qu'il aurait été plus judicieux de soumettre à nos concitoyens le problème différemment. En effet, de deux choses l'une : ou bien l'élu qui vit ce genre de situation est une personne scrupuleuse et honnête - et c'est ce qui arrive dans 99,9 % des cas - et elle connaît alors un déchirement qui la gêne dans ses prises de décision ; ou bien - et c'est le cas du 0,1 % restant - elle l'est moins et elle est tentée de privilégier sa carrière.
A mon sens, il aurait été plus honnête de dire que c'est à ce niveau-là - celui des confusions ou des conflits de devoirs vécus par une même personne - que se situe le problème.
Etre législateur, cela signifie concourir, pour un huit-centième de l'expression législative - et seulement législative - à la vie nationale, à une oeuvre collective, par des avis et des votes.
Etre responsable d'un exécutif, c'est prendre des décisions, que ce soit au niveau ministériel, régional, départemental ou municipal.
Et je crois que nous aurions tout intérêt à nous efforcer de mettre un terme à cette confusion-là. Trop pratiquée dans le passé, sous tous les gouvernements, par trop de responsables, elle est encore aujourd'hui trop pratiquée dans nos régions par ceux qui sont à la fois président d'un exécutif régional ou départemental et maire d'une ville importante de leur aire d'action. Il y a là, me semble-t-il, un vrai problème.
Quant au mandat, c'est autre chose.
Le mandat, c'est l'apport à une réflexion collective. Or pourquoi priver cette réflexion collective de l'expérience de ceux qui, sur place, dans le détail et dans la totalité, savent ce qu'est la vie de nos collectivités territoriales ?
Je perçois là une erreur de méthode, et je déplore que l'ambiance médiatique qui entoure ce débat amène à déplacer le problème, sapant ainsi, sans même en avoir conscience, une partie de la solidarité élémentaire nécessaire entre les élus et notre peuple. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE
DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Monsieur le ministre, poursuivant la logique du propos de mon ami Paul Girod, je tiens à attirer votre attention sur un point auquel je sais que le républicain que vous êtes est sensible, de même d'ailleurs que Jean-Pierre Chevènement, avec lequel nous nous en étions entretenus : les futures échéances municipales de 2001 n'échapperont pas aux risques de démagogie, de populisme et d'extrémisme. Aussi, je crois qu'il est aujourd'hui de notre intérêt, aux uns et aux autres, de réfléchir sur ce qui nous permettrait de répondre à une attente de nos concitoyens en restaurant la crédibilité du politique.
Or je ne crois pas que nous atteindrons cet objectif en méprisant nos institutions et en les divisant en deux catégories : les bonnes, celles qui votent dans le sens souhaité ; les mauvaises, celles qui s'opposent. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Il convient au contraire de redonner tout son lustre au débat politique, qui fait défaut à notre pays au moment même où la population française s'interroge sur son devenir. Je ne crois pas qu'il faille accentuer cette dérive de notre démocratie en s'appuyant sur les médias plus que sur les convictions, sur les émotions plus que sur les idées.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Jean-Paul Delevoye. Par ailleurs, comme vous l'avez souvent indiqué, et je suis tout à fait de cet avis, on ne peut pas à la fois afficher des principes et refuser de se les appliquer à soi-même, car le peuple a ce bon sens qui lui permet de détecter immédiatement les attitudes hypocrites.
Comment qualifier l'attitude qui consiste, après avoir affirmé qu'un ministre doit être ministre à plein temps et, donc, ne plus exercer de mandat local - et je soutenais cette position - à oser mettre en place un maire potiche, tandis que le ministre, dorénavant adjoint, conserve en réalité les pleins pouvoirs municipaux ?
MM. Alain Gournac et Paul Masson. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. L'association des maires de France, qui s'est interrogée sur ce sujet avec une liberté d'appréciation d'autant plus grande que les lectures des uns et des autres étaient très différentes, a dégagé quelques points de convergence forts.
C'est ainsi que la fonction ministérielle doit être strictement incompatible avec tout autre mandat. Je pense qu'il aurait d'ailleurs fallu aller plus loin, en indiquant que le ministre doit être seulement et entièrement ministre.
M. Jacques Peyrat. Absolument !
M. Jean-Paul Delevoye. En revanche, il serait bon d'envisager une révision constitutionnelle pour permettre à l'ancien ministre de revenir enrichir le Parlement de son expérience ministérielle, ce qui n'est pas prévu aujourd'hui.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Paul Masson. Absolument !
M. Jean-Paul Delevoye. En outre, l'examen d'une loi doit être effectué dans un esprit prospectif. A cet égard, nous sommes convaincus que ces textes sont sous-tendus par toute une série d'arguments destinés à promouvoir le slogan : « Un homme, un mandat ». Je partage totalement à l'analyse de M. le président Jacques Larché : « Un homme, un mandat », tel est bien l'objectif sous-jacent au débat : l'Assemblée nationale n'a-t-elle pas voté toute une série d'incompatibilités avec l'exercice d'activités privées ou consulaires ? Il est clair qu'il s'agissait de mettre en évidence le conflit d'intérêts personnels, pour éviter qu'un parlementaire ne soit porteur d'intérêts catégoriels.
« Un homme, un mandat », non seulement cela signifie un seul mandat, mais cela anticipe la modification du mode de scrutin. Avec l'application de ce slogan, c'est évidemment l'émergence de la logique des partis, au prix de la déstructuration de notre esprit national.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Jean-Paul Delevoye. Cette évolution serait, à mon sens, préjudiciable à notre nation.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. Vous avez évoqué, monsieur le ministre, trois arguments : une exception française, un risque de transfert de pouvoirs sur les fonctionnaires et la volonté d'éviter la concentration des pouvoirs. Si je partage votre analyse, j'arrive toutefois à des conclusions diamètralement opposées.
Il y a effectivement une exception française. Pourquoi ?
D'abord parce que je crois que, contrairement à ce qui se passe dans la majorité des pays européens, l'origine de la pratique du cumul est à rechercher en France plus dans le mode de fonctionnement des partis politiques que dans la loi.
Ensuite, parce que nous ne sommes pas dans un Etat fédéral. Si nous étions en Allemagne, par exemple, on pourrait parfaitement concevoir qu'une autonomie fiscale, une autonomie de pouvoirs et une autonomie de compétences entraînent de facto une césure entre un pouvoir local et un pouvoir national. Mais nous sommes dans un Etat contractuel, et la décentralisation, que voulait Gaston Defferre, consistait à promouvoir un partenariat effectif entre l'Etat et les collectivités locales. A l'évidence, ce partenariat renforce le fait que quelqu'un puisse à la fois siéger au Parlement et assumer des responsabilités locales. A moins - mais loin de moi l'idée de vous prêter une telle arrière-pensée ! - que vous ne cherchiez actuellement à revenir à la centralisation...
M. Paul Masson. Tiens, tiens !
M. Jean-Paul Delevoye. Un certain nombre de convergences autorisent cette interrogation.
Devant le congrès de l'APCG, vous vous êtes défendu d'avoir, en plaçant, dans la loi de finances, une grande partie de la taxe professionnelle sous dotation à échéance de cinq ans, procédé à une quelconque recentralisation des moyens. Je persiste pourtant à y voir le retour d'une tutelle financière de l'Etat sur les collectivités locales.
M. Alain Gournac. Nous aussi !
M. Paul Masson. C'est évident !
M. Jean-Paul Delevoye. Non content de nous faire subir actuellement une tutelle normative, veut-on inventer demain une tutelle politique et essayer de casser la représentation de tout ce qui comporte un caractère local ici, au sein des assemblées ?
En outre, je relève une contradiction entre les propos du rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Bernard Roman, et votre analyse.
A en croire M. Roman, le cumul serait à la fois la conséquence de la décentralisation et un obstacle à l'approfondissement de cette dernière, alors que vous voyez dans le cumul l'antidote à la centralisation.
Quel est notre objectif ? Je suis persuadé qu'aujourd'hui il eût fallu - et cette assemblée est tout à fait bien placée pour le faire - s'interroger sur le recul dorénavant pris par nos concitoyens par rapport à la chose politique.
Ils mesurent aujourd'hui l'impuissance de la classe politique à tenir ses promesses. Semblant pressée de démontrer son inutilité, elle est en train de se laisser aller soit à l'absentéisme, soit aux discours les plus populistes, les plus extrêmes, les plus démagogiques.
Notre démocratie ne souffre pas aujourd'hui d'un quelconque cumul de fonctions, mais d'une sorte de zapping émotionnel, qui perturbe profondément notre électorat, le rendant de plus en plus sceptique à l'égard de la chose publique, voire de l'Etat, tant il est convaincu que le vice est davantage récompensé que la vertu, tandis que la loi de la rue remplace la loi républicaine et que le débat sur les médias vaut débat dans l'hémicycle. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Le dérapage de nos sociétés avancées constitue un véritable problème, qui aurait mérité, me semble-t-il, de faire l'objet d'une réflexion entre les instances gouvernementales et les parlementaires que nous sommes. L'ensemble des pays sont confrontés à cette difficulté au moment où la montée de la précarisation, de la pauvreté et de la délinquance condamne la vie politique à se radicaliser.
Soulignés par M. le rapporteur, des problèmes de fond, qui me semblent mériter un autre débat, restent posés. Je pense à l'inégalité des citoyens devant l'exercice du mandat. Je pense - vous y faisiez vous-même allusion, monsieur le ministre - au décrochage du politique par rapport à l'extraordinaire avancée technologique et, donc, à sa dépendance intellectuelle par rapport à ceux que vous appelez les technocrates, ou les fonctionnaires.
Je pense également à l'extraordinaire dépendance du pouvoir des parlementaires ou des hommes politiques de terrain par rapport aux partis politiques, au sein desquels il arrive que l'on taise ses convictions par esprit de discipline. Est-ce cela le libre exercice de la démocratie ?
M. Emmanuel Hamel. Non !
M. Jean-Paul Delevoye. Je crois que, contrairement à ce que vous dites, c'est en renforçant l'assise locale d'un élu qu'on lui permet de conforter son indépendance et son objectivité. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Il peut alors les cultiver, comme cela a été fort justement dit lors d'un débat en 1968.
J'observais alors l'émergence des conseils régionaux. A l'époque, les parlementaires, toutes tendances confondues, soulignaient l'intérêt pour les députés de pouvoir siéger au sein des conseils régionaux. En effet, loin de se contenter d'y représenter les populations qui les auraient élus, ils y feraient aussi entrer la notion de grandeur nationale, propice à la conciliation des intérêts locaux.
Sur un problème qui n'est absolument pas du même niveau, celui de l'absentéisme, permettez-moi d'exprimer une crainte née d'un constat : l'homme qui s'engage en politique a envie d'être élu par affection, par ambition ou pour remplir une mission. A suivre votre proposition, le risque est grand de voir le parlementaire, dorénavant exclu de l'exercice d'un exécutif local dans une circonscription de 100 000 habitants, percevoir immédiatement le maire d'une commune de 60 000 habitants, par exemple, comme son futur concurrent. Le risque est grand de le voir s'empresser - pardonnez-moi l'expression - de le « marquer à la culotte », provoquant alors la réaction du maire, qui marginaliserait le parlementaire ! (Approbations sur les travées du RPR.)
Mme Hélène Luc. Que signifie ce calcul politique ?
M. Jean-Paul Delevoye. Le système produirait donc, non pas la formidable convergence de talents souhaitable, mais une neutralisation de compétences.
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Jean-Paul Delevoye. Et, sur le terrain, les ambitions contrariées feraient le lit de l'immobilisme. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Ce qui me paraît important, c'est ce que démontre une étude américaine consacrée, depuis vingt-cinq ans, à l'évolution des territoires dans le monde : il apparaît que les facteurs dominants ont cessé d'être le travail et le capital pour devenir la capacité des hommes à se réunir sur un territoire, donc la puissance du politique.
Lorsque les électeurs portent aujourd'hui leur choix sur des « cumulards », pour reprendre un terme employé dans la presse, ce n'est pas pour le seul plaisir d'apporter une prime au cumul, c'est parce que celui-ci leur paraît garant d'un pouvoir assez fort pour être en mesure d'apaiser leurs inquiétudes locales. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Aussi, dans un Etat qui aujourd'hui fonctionne mal, au point de transférer ses faiblesses sur les épaules du pouvoir local, dans un Etat qui laisse se développer un sentiment antiparlementariste sur lequel il convient de porter attention et qui rappelle la situation de la noblesse de l'Ancien Régime, laquelle était trop privilégiée mais n'avait pas assez de résultats, nous devons veiller à restaurer le politique, à restaurer la démocratie locale et, pour ce faire, nous devons suivre les propositions de la commission des lois.
C'est la raison pour laquelle nous soutenons, monsieur le rapporteur, toutes vos propositions, au premier rang desquelles : un mandat national et un exécutif local.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Obligatoire ?
M. Jean-Paul Delevoye. Les choses sont ainsi claires, cohérentes et efficaces.
Je rends hommage au Sénat, qui a su faire preuve d'anticipation et d'esprit moderne. Je rend aussi hommage à la volonté que vous avez exprimée, monsieur le rapporteur, en accord avec le président du Sénat, M. Poncelet, de faire suivre cette loi d'une mission qui, au sein du Sénat, devra réfléchir au statut de l'élu, à la nature des indemnités, à différents problèmes qui se posent à la fonction publique territoriale, afin de combler le vide juridique actuel, car, aujourd'hui, la jurisprudence met quelquefois en porte-à-faux l'efficacité de nos collectivités territoriales.
Devant nous s'ouvre un grand chantier, qui sera véritablement centré sur ce qui nous préoccupe : l'efficacité de l'action publique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Un président de conseil général !
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le dispositif qui nous est soumis aujourd'hui a une grande importance pour l'avenir de notre démocratie, car il conditionne la qualité de notre action de parlementaire ou d'élu local.
Sur le plan national, nous devons affirmer avec force notre volonté de maintenir une représentation riche de sa diversité de par les origines sociologiques et professionnelles de ses membres, mais également en raison du contenu de nos expériences respectives.
Soyons clairs : le fait d'exercer plusieurs mandats ne rend pas meilleur parlementaire - ce serait d'ailleurs une analyse désobligeante - mais il garantit une représentation plus équilibrée, car le mandat local est le seul passeport pour ceux qui n'ont pas suivi le parcours initiatique de l'ENA.
De la même façon, le fait d'exercer un mandat unique n'est pas le gage de davantage de présence ou d'activité. A ceux qui en douteraient, je recommande de consulter l'étude conduite sur ce sujet à l'Assemblée nationale.
L'aspect le plus négatif d'un texte par trop restrictif concerne, à l'évidence, la qualité potentielle de l'action de l'élu local.
En effet, cette dernière dépend non pas du temps qu'on lui consacre, mais de la capacité dont on dispose pour intégrer les réseaux qui, aujourd'hui, sont les relais essentiels d'une information de qualité nécessaire à une bonne prise de décision.
Que souhaitons-nous ?
Des élus locaux, le nez dans le guidon, loin des centres de décision et d'information, démunis face à leur propre technostructure ou face à celle de l'Etat ?
Ou bien des élus ouverts sur le monde et sur les autres, qui apportent le fruit de leur expérience mais qui sont aussi susceptibles de profiter, en retour, des bienfaits de l'échange ?
A cet égard, n'est-il pas curieux que ceux qui, dans d'autres domaines, comme l'économie, la culture ou l'éducation, prônent la rencontre et l'ouverture soient prêts à en fermer la porte aux seuls élus locaux ?
On voit bien quels seraient les véritables vainqueurs de cette opération : ceux qui sont géographiquement proches des lieux de décisions nationaux - l'Ile-de-France, par exemple - ou régionaux ; ceux qui, ayant « fait l'ENA », auraient toujours la possibilité d'en appeler à leur réseau personnel représenté par tel ministre, tel directeur de cabinet ou tel responsable de parti.
A ce stade, je souhaiterais évoquer mon expérience personnelle. J'ai été élu président du conseil général après avoir été élu sénateur. Je puis l'affirmer aujourd'hui : nous avons mené à terme, dans l'Aube, un certain nombre de dossiers déterminants qui n'auraient jamais vu le jour si je n'avais eu la chance de vous côtoyer, de bénéficier de vos expériences, de rencontrer, grâce au Sénat, des chefs d'entreprise, des intellectuels, des décideurs au sens large et noble du terme.
L'avenir de nos territoires dépend de la capacité de leurs élus à s'ouvrir sur le monde et sur les autres. Par une loi absurde, ne nous en privez pas ! Et si d'aventure l'un ou l'autre d'entre nous est véritablement persuadé que les élus seront meilleurs s'ils ont un seul mandat, eh bien, que diable ! pourquoi faudrait-il une loi ? Que ne mettent-ils en pratique, volontairement et immédiatement, leurs convictions ? Nous serons admiratifs devant leurs forces et leurs qualités décuplées. Mais peut-être ce résultat n'est-il pas certain... Mes chers collègues, on nous rebat les oreilles d'une « exigence de l'opinion », mais de quelle opinion ?
Je viens, dans le cadre d'une campagne sénatoriale particulièrement intéressante, au cours de 431 réunions, de rencontrer les maires et les conseillers municipaux de toutes opinions et de toutes origines de mon département. Aucun d'entre eux n'a mis ce sujet au centre de ses préoccupations.
M. Hilaire Flandre. C'est vrai !
M. Philippe Adnot. Certains se sont simplement inquiétés des conséquences négatives de cette réforme.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Adnot. Sur ce texte, les gens du peuple, les électeurs, sont avec nous. Parce que le texte proposé par la commission des lois du Sénat est bon, ouvert et modéré, je le soutiendrai en conscience. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen partage pleinement le sens de la démarche du projet gouvernemental.
Nous pensons, comme M. le Premier ministre, qu'il est souhaitable de s'attaquer au cumul des mandats.
Qui pourrait nier, dans cette assemblée, que nous assistons aujourd'hui à une crise de la représentation politique ?
Mais cela ne justifie pas pour autant une désaffection de nos concitoyens pour la chose publique, bien au contraire.
Les études d'opinions le démontrent clairement. Le développement, depuis quelques années déjà, de ce qu'il est convenu d'appeler le mouvement social souligne que nombre de ceux qui souhaitent faire de la politique se détachent des créneaux habituels pour tenter d'inventer de nouvelles formes d'intervention.
Il faudrait être aveugle pour ne pas percevoir dans la multiplication des mouvements de contestation des jeunes ou dans les luttes pour le logement, ou pour l'égalité des droits l'émergence d'un nouveau type d'intervention des citoyens.
Les partis politiques et leurs élus se trouvent donc confrontés à un défi : combler le fossé qui s'est creusé entre le représenté et le représentant au fil des désillusions et des promesses électorales non tenues.
C'est dans cet environnement que le concept de modernisation de la vie politique est apparu.
Je préfère d'ailleurs le terme de démocratisation à celui de modernisation.
C'est bien par la réappropriation du fait politique par le citoyen que nos institutions se renouvelleront.
Ces projets de loi, qui ont pour objet de restreindre le cumul des mandats, s'inscrivent dans cette stratégie.
Comme je l'ai indiqué d'emblée, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont favorables aux principes affichés et s'opposent en cela à l'attitude de la majorité du Sénat.
Nous sommes favorables au non-cumul des mandats pour trois raisons essentielles.
Premièrement, limiter le cumul des mandats aboutira à resserrer les liens entre l'élu et le citoyen, en permettant au premier de se consacrer pleinement à sa fonction élective.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Robert Bret. Certains affirment que c'est en conservant au parlementaire son mandat local de maire qu'on lui permet de garder un contact avec le terrain. Je ferai simplement remarquer qu'il n'est pas question, dans le projet de loi, d'instaurer un non-cumul absolu, loin s'en faut.
Le député ou le sénateur peut demeurer élu local et il peut même être membre d'un exécutif municipal, départemental ou régional. L'argument essentiel qui est souvent avancé, celui du danger d'une coupure entre l'échelon local et l'échelon national, tombe du même coup. Le non-cumul des mandats est une aspiration forte des Françaises et des Français.
M. Hilaire Flandre. C'est vous qui le dites !
M. Robert Bret. Ce sont les Français qui le disent ! Allez voir à l'extérieur, sortez de l'hémicycle et vous verrez ! (Exclamations sur les travées du RPR.) Il ne s'agit aucunement de tomber dans la démagogie, mais force est de constater que la concentration de nombreux pouvoirs entre les mains des mêmes représentants symbolise, aux yeux de l'opinion publique, la captation des leviers de commande par une caste, même si le terme est excessif. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. Démagogie !
M. Robert Bret. Je reconnais d'ailleurs qu'il existe un risque, avec ces projets de loi, d'une dérive vers un débat « anti-élus ». C'est pourquoi j'insisterai dans un instant sur la nécessité d'une globalisation de la réflexion sur les institutions.
Deuxièmement, nous estimons que réduire le cumul permettra d'éviter les conflits d'intérêts entre le local et le national. Il nous semble important, dans le cadre du développement de la décentralisation, de bien associer la responsabilité politique nationale à celle qui est exercée à l'échelon local.
Le directeur de la revue Commentaire, Jean-Claude Casanova, appelait, dans un article du Figaro, à se placer dans la perspective de la décentralisation : « Le cumul pouvait se justifier dans une France centralisée, où tout s'obtenait à Paris, pas dans un pays qui aspire à une véritable décentralisation. Que les maires des petites communes restent députés peut se concevoir, c'est le problème des seuils, mais non les grands responsables locaux, maires des grandes villes et présidents des conseils généraux et régionaux. »
Troisièmement, et je m'arrêterai plus longuement sur ce point, restreindre le cumul peut donner un coup de fouet au rajeunissement et à la féminisation de la fonction élective.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Robert Bret. Il n'est pas suffisant de l'affirmer, il faut créer les conditions pour que de nouvelles générations, et plus particulièrement des femmes, puissent prendre des responsabilités de premier plan. La démocratie est gagnante si le cercle des décideurs se féminise, se diversifie et s'élargit.
Il est indéniable que le développement du cumul lié au maintien du scrutin majoritaire uninominal bloque l'évolution nécessaire.
Aussi, je souhaite insister sur la question de la place des femmes dans la vie politique. Il n'est plus possible de laisser perdurer une situation que, pour notre part, nous déplorons.
Nous savons que tous les groupes ne réagissent pas ainsi dans notre hémicycle.
Lors de la préparation du débat avorté sur la réforme régionale, certains collègues de droite se sont élevés en commission contre l'instauration de la parité dans la constitution des listes, car la mesure anticipait sur une éventuelle réforme constitutionnelle ! Nous pensons pourtant qu'il faut hâter le pas.
Lors du dernier renouvellement sénatorial, sur les 102 sièges à pourvoir, seule une femme a été élue.
M. Claude Estier. Une socialiste !
M. Robert Bret. En effet, monsieur Estier !
Les femmes ne représentent que 10,9 % des députés, 24 % des conseillers régionaux - grâce à la proportionnelle - et 7,4 % des conseillers généraux.
Quant au Sénat, il amplifie naturellement le phénomène, puisqu'il comprend à peine plus de 5 % de femmes - mais elles composent plus de 30 % de notre groupe, monsieur Estier.
Alors que la parité s'impose aujourd'hui, il est d'une logique implacable de créer les conditions de sa mise en oeuvre en libérant des places électives.
La réduction du cumul le permettra, car revivifier la démocratie nécessite des mesures porteuses de nouveauté radicale.
Dans Le Monde, M. Guy Carcassonne a écrit : « Le cumul a une perversité ultime : aussi longtemps qu'il n'est pas juridiquement interdit, il est politiquement obligatoire. L'élu est amené à se tailler son fief, par crainte des mauvais jours, par crainte de la concurrence au sein de son propre camp... »
J'ai bien parlé de mesures au pluriel car là est notre seule interrogation sur la démarche qui accompagne ces projets de loi. Leur portée sera limitée, voire nulle, si une réforme profonde de nos institutions n'est pas engagée simultanément.
Tout d'abord, la mise en cause du cumul va de pair, selon nous, avec l'instauration totale ou modulée, selon les scrutins, de la proportionnelle. (Ah ! sur le banc des commissions.)
C'est, selon nous, indispensable pour les élections législatives. Ce n'est pas une question technique. Les solutions ne manquent pas. Nos voisins d'Outre-Rhin ont un mode de scrutin qui présente de très grands avantages, ils ne sont pas atteints par l'instabilité ou l'inefficacité.
Mon propos réjouit peut-être les adversaires les plus acharnés de la proportionnelle, puisqu'ils trouvent là un élément dans leur détermination à ne rien changer.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois du Sénat, estimait en commission que « de tels projets, ceux relatifs au non-cumul, préludaient, comme celui sur la parité, à la généralisation du mode de scrutin à la proportionnelle ».
M. Christian Bonnet, quant à lui, indiquait que cela « induirait la mise en oeuvre généralisée du mode de scrutin proportionnel ».
J'en conclus que nous convergeons, monsieur le rapporteur, sur la logique que porte le projet. Mais votre approche est à l'opposé de la nôtre ! Ce que vous diabolisez nous semble, au contraire, une mesure de sagesse.
M. Alain Juppé a écrit sans sourciller, le 26 mars dernier : « La proportionnelle pourrit la démocratie ». Le député-maire de Bordeaux ne manque pas d'aplomb, alors que chacun sait à quel point le scrutin majoritaire déforme la réalité électorale ! La droite ne dirigeait-elle pas le pays, voilà deux ans, en détenant 84 % des sièges avec 44 % des voix ? Et n'oublions pas que, par exemple, la dixième circonscription des Bouches-du-Rhône réunit 102 000 électeurs inscrits, alors que la deuxième circonscription de Lozère en compte 26 000 ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Joyandet. Et les territoires ?
M. Guy Fischer. C'est la vérité !
M. Robert Bret. C'est une réalité ! Et elle mine la démocratie, avec l'absence de prise en compte de la diversité des opinions, la mise en cause du pluralisme, même.
Il est certain que, avec le scrutin majoritaire, le passage obligé, pour les organisations politiques, est de présenter une personne déjà implantée pour assurer l'élection.
Pourquoi rajeunir, féminiser - renouveler, en un mot - dans ces conditions ?
Il n'y aura de parité, de pluralisme, et donc de retour à la confiance entre élus et électeurs, sans proportionnelle.
M. Hubert Falco. Ce n'est pas vrai !
M. Robert Bret. C'est notre conviction !
Après ce rappel, vous ne serez pas étonné, monsieur le ministre, que je souhaite connaître l'état d'avancement de la réflexion gouvernementale sur ce point.
Ensuite, une seconde raison souvent avancée pour défendre le projet de loi est l'absentéisme parlementaire. Or, si je n'ai pas repris cet argument précédemment, c'est parce qu'il me semble illusoire. En effet, la cause profonde d'un certain absentéisme parlementaire est non pas une présence excessive dans une circonscription - car on peut espérer que, demain, les parlementaires seront toujours présents parmi la population et le seront même plus encore - mais bien l'affaiblissement du rôle même du Parlement. Ce dernier est, en effet, enserré dans une tenaille : d'une part, la Constitution de 1958, qui organise la relation entre l'exécutif et le législatif dans le cadre d'un système semi-présidentiel ;...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Robert Bret. ... d'autre part, le cadre de plus en plus contraignant des autorités européennes.
La Constitution de 1958, en restreignant le domaine de la loi face à celui du règlement, en instaurant des procédures telles que l'article 49-3 ou l'article 40, interdit, de fait, les initiatives budgétaires ou la maîtrise de l'ordre du jour, qui demeurent compétence exclusive du Gouvernement.
La Constitution a transformé progressivement les assemblées en chambres d'enregistrement. Et ce n'est pas la session unique, instaurée depuis 1995, qui aura arrangé les choses, comme le notent avec clairvoyance de nombreux parlementaires, même si leurs remèdes ne sont pas les nôtres.
La réduction des pouvoirs du Parlement, c'est aussi la mise en oeuvre concrète d'institutions européennes qui imposent à notre pays l'application de leurs directives.
L'Assemblée nationale et le Sénat doivent absolument revendiquer un pouvoir de contrôle réel, en amont, sur les propositions de directive. Il faut pour cela réformer rapidement l'article 88-4 de la Constitution.
Limiter le cumul des mandats ne sera efficace que si la citoyenneté est à l'ordre du jour là où l'individu est confronté aux rapports sociaux, à l'autorité.
C'est vrai pour les quartiers comme pour les entreprises, c'est vrai pour les établissements scolaires, le mouvement lycéen le démontre.
Ces projets de loi n'assureront donc pas à eux seuls une réelle démocratisation des institutions. Mais ils marquent un premier pas, que nous approuvons et que nous soutenons, monsieur le ministre.
Nous partageons aussi l'idée de l'extension des incompatibilités aux domaines professionnel et économique, même si, sur ce dernier point, le texte issu de l'Assemblée nationale nous paraît timide. Nous proposerons donc quelques amendements en ce sens.
Nous partageons également l'idée de l'élaboration d'un statut de l'élu. Cet aspect apparaît indissociable de l'idée même du non-cumul et du renouvellement des élus.
Nous avions, à l'Assemblée nationale, regretté que le seul aspect des indemnités complète le projet de loi dit ordinaire.
Il y avait, de toute évidence, un risque d'incompréhension dans l'opinion publique et, par ailleurs, une insuffisance, car, même si les crédits d'heures sont accrus, il faut aller plus loin sur le plan des autorisations d'absence et de la sécurité de l'emploi.
Ce dernier point est important, car il garantit également le renouvellement et la diversité des élus au sein même de notre assemblée.
Nous aurons, sur cette question du statut de l'élu, à vous proposer également des amendements.
Au moment où la question du statut de l'élu se pose avec force, je me félicite, monsieur le rapporteur, que la commission des lois ait rejeté, ce matin, l'amendement présenté par MM. de Rohan, Arthuis et de Raincourt, amendement qui n'avait pour objet que de désigner les fonctionnaires comme boucs émissaires, au nom d'un prétendu objectif d'équité devant contribuer à instaurer une égalité devant le risque électoral. Ainsi, l'exposé des motifs de cet amendement prévoyait notamment que, « tout fonctionnaire ayant déjà accompli un mandat parlementaire et qui se trouve réélu perd son droit à réintégration au sein de la fonction publique ».
M. Hilaire Flandre. Très bien !
M. Pierre Mauroy. C'est scandaleux ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Hélène Luc. C'est très bien d'avoir rejeté cet amendement !
M. Guy Fischer. Oui, il était scandaleux !
M. Robert Bret. Pour résumer mon propos, la majorité sénatoriale de droite s'oppose aux projets de loi restreignant le cumul des mandats. Par les amendements qu'elle propose, elle dénature les textes originels.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont en désaccord total avec cette attitude conservatrice.
Ils craignent même que l'image du Sénat - et nous en avons débattu en commission des lois - ne souffre gravement si la majorité persiste dans son refus. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, sous réserve des interrogations que j'ai rappelées, soutiennent les deux projets de loi et s'opposeront à tout texte dénaturé. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)

M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, permettez-moi de m'adresser d'abord à vous pour vous dire à quel point je me réjouis d'intervenir en ce jour où vous présidez pour la première fois nos travaux.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans ce mille-feuille administratif et politique qu'est devenue la France, le système de pouvoir est désormais inextricable. Les élus de la nation, qui devraient être des exemples, sont jour après jour mis en cause par un discours antipolitique et antiparlementaire qu'alimente la déprime économique et sociale.
Les ministres et les parlementaires s'efforcent d'agir, c'est-à-dire de réformer, mais ils exigent des Français une somme d'efforts qu'ils ne s'imposent jamais à eux-mêmes. Leur crédibilité n'en est que plus ébranlée.
Il est devenu urgent d'envoyer un signe fort de notre volonté de clarifier nos structures politiques. La démocratisation et la modernisation de notre vie politique sont désormais des enjeux majeurs.
M. Hilaire Flandre. Jusqu'à présent, c'est bien !
M. Guy Allouche. L'interdiction de cette grande spécialité hexagonale qu'est le cumul des mandats et des fonctions exécutives fait partie des décisions susceptibles de désamorcer la crise du politique.
M. Hilaire Flandre. Et voilà !
M. Guy Allouche. Ce défi de démocratisation et de modernisation est multiforme, puisqu'il s'agit tout à la fois de rendre à la politique le lustre qui fait sa noblesse, la place qui doit être la sienne au coeur de la démocratie, de réhabiliter, de renouveler l'action politique afin de réinventer les pratiques quotidiennes des élus.
Le Parlement a besoin de retrouver son rang et son rôle. Il ne dépend que des parlementaires - et d'eux seuls - d'être à la pointe de cette reconquête. Le débat sur la limitation du cumul des mandats marquera notre fin de siècle, parce qu'il est, à sa manière, emblématique d'une nouvelle approche du politique et d'une volonté de transformer le paysage politique.
La conviction d'un éloignement des élus vis-à-vis des citoyens ne doit pas être prise à la légère. La critique dénonçant l'immobilisme et l'archaïsme du monde politique est-elle réellement sans fondement ?
La limitation du cumul est l'une des réformes majeures à entreprendre pour réconcilier les Français avec leurs élus. Elle est l'une des plus symboliques pour la simple raison qu'elle est directement compréhensible par l'opinion. C'est vers un changement de culture politique que nous devons nous acheminer, et il nous faut opérer un retournement de perspective, malgré de nombreuses résistances. Le temps est venu d'abandonner l'actuelle culture oligarchique pour nous ouvrir aux vertus de la démocratie pluraliste.
Cet appel à la modernisation et à la rénovation ne saurait nous conduire à instruire le procès des adeptes du cumul. C'est un phénomène ancien. Demeuré restreint sous la IIIe République et sous la IVe République, il s'est fortement aggravé sous la Ve République, au point qu'en changeant de dimensions les conséquences négatives sont apparues avec plus d'évidence.
Les causes de ce phénomène sont la résultante de notre système institutionnel découlant de la Constitution de 1958.
C'est la centralisation politique et administrative du pays. Déjà, en 1955, Michel Debré disait : « Le cumul des mandats est l'un des procédés de la centralisation politique et administrative du pays. » En fait, le cumul fait figure de rouage central.
C'est aussi la faiblesse des partis politiques. Celle-ci a plus facilité l'accès au pouvoir de quelques-uns que la participation des citoyens à la vie publique.
Enfin, c'est l'affaiblissement et la dévalorisation du Parlement. Conçue pour permettre à l'exécutif d'être tout puissant, la Ve République ne laisse aux assemblées qu'un statut mineur.
Face à cela, les parlementaires semblent se désintéresser du travail législatif. (Protestations sur les travées du RPR.)
N'ayant pas la possibilité d'agir sur les événements et parce que l'exercice de leurs mandats locaux leur procure davantage de satisfactions, leur présence au Parlement ne se révèle pas indispensable.
Le cursus de l'homme politique passe aujourd'hui par le cumul des mandats. Même les hauts fonctionnaires qui accèdent directement et rapidement au mandat parlementaire s'efforcent de vite se constituer une assise électorale en sollicitant le suffrage des électeurs aux élections locales.
M. Hilaire Flandre. A Cintegabelle ?
M. Guy Allouche. Il n'y a pas lieu de jeter l'opprobre sur les praticiens du cumul car, comme le dit le professeur Guy Carcassonne : « Aussi longtemps qu'il n'est pas juridiquement interdit, le cumul est politiquement obligatoire. » C'est donc bien au cumul qu'il faut s'attaquer sans faiblesse.
Il est temps de moderniser la vie politique. La fin du cumul des mandats répond à une attente de nos concitoyens. En 1995, Lionel Jospin en avait fait l'un des axes de sa campagne présidentielle, et il s'y est de nouveau engagé en 1997.
Le résultat des urnes laisse penser que les Français sont attachés à cet objectif. Ce mouvement d'opinion est porté par une puissante aspiration à la transparence de la vie politique, à l'égalité et à l'ouverture du monde politique à la société civile.
Nous disons moderniser et non moraliser, car le cumul des mandats est trop souvent diabolisé. Il serait la source de tous nos maux, notamment la corruption généralisée de la classe politique.
Ces critiques n'arrangent et ne servent que ceux qui les formulent à dessein. Et, si ce projet de loi prévoit l'interdiction du cumul du mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale, c'est aussi pour protéger la fonction parlementaire contre elle-même, tant il est incontestable que c'est toujours au titre de leur fonction exécutive locale que les parlementaires ont eu des comptes à rendre à la justice.
M. Jean-Jacques Hyest. Ceux qui ne sont pas parlementaires aussi !
M. Guy Allouche. La limitation du cumul des mandats relève du respect des électeurs et des fonctions exercées. Croit-on vraiment que les Français sont dupes d'une telle situation ? Peut-on dire que chaque mandat est essentiel et ne pas se consacrer pleinement à la tâche pour laquelle on a été élu ?
Cette limitation apportera par ailleurs l'oxygène nécessaire à une vie politique française bouffie de conflits d'intérêts et une meilleure identification des pouvoirs.
M. Hilaire Flandre. Tous élus !
M. Guy Allouche. La réalité du cumul, c'est l'entrave à la concurrence, c'est-à-dire à l'égalité d'accès aux mandats et à l'égalité de représentation des électeurs. Limiter le cumul provoquera une dynamique de renouvellement, un rajeunissement et une féminisation qui ont déjà trop tardé parce que les praticiens du cumul ont toujours cru que leurs pouvoirs seraient amoindris s'ils étaient partagés.
De fait, ces derniers ne se sont pas encore aperçu qu'ils en perdaient chaque jour davantage et ils continuent de se crisper sur l'accumulation de mandats et fonctions au lieu de se battre pour la redéfinition et le renforcement de chacun d'eux par un exercice plein et entier.
La limitation du cumul permettra un plus grand partage des responsabilités électives, concourant par là même à une plus grande efficacité, une plus grande disponibilité. De nouveaux élus apparaîtront, passionnés de démocratie ; ils s'affirmeront davantage comme des citoyens actifs et non plus comme des consommateurs civiques.
M. Jean-Pierre Fourcade. Oh !
M. Guy Allouche. La décentralisation impose de séparer plus nettement les responsabilités nationales et locales, devenues particulièrement importantes.
N'est-il pas anormal, au regard du principe d'égalité, qu'un président de conseil général ou régional s'accorde une subvention qu'il se réclame à lui-même comme maire d'une commune de son département ? C'est un exemple parmi bien d'autres !
Dès lors que l'on considère que les parlementaires doivent être plus disponibles pour exercer leur mandat, on ne peut manquer de s'interroger sur le véritable contenu de leur pouvoir, donc sur le rôle du Parlement. Il n'est pas de démocratie sans débat, et donc sans Parlement. Le Parlement ressemble parfois à un théâtre d'ombres, alors qu'il constitue la tribune de notre démocratie, le coeur de notre système représentatif et délibératif.
Le Parlement incarne les vertus du suffrage universel ; il est le lieu de l'élaboration collective de la loi et du contrôle de l'exercice du pouvoir.
Il faut sans cesse rappeler que ce qui manque au Parlement, mes chers collègues, ce ne sont pas tant des pouvoirs - et à quoi bon en demander davantage ? - que des parlementaires pour les exercer. Peu présents, les parlementaires sont faibles. Alors, faibles, ils sont de moins en moins présents et finissent par se laisser convaincre, voire impressionner, par les membres des cabinets ministériels et la haute administration.
M. Jean Chérioux. Voilà un bel exemple d'autoflagellation !
M. Guy Allouche. « L'absentéisme des parlementaires en séance publique est favorisé par l'archaïsme des techniques du débat parlementaire et n'est pas lié au nombre des mandats et fonctions exercés », écrivez-vous, monsieur le rapporteur. Ce n'est que très partiellement vrai.
Et, si le Parlement travaille mal, mes chers collègues, qui en porte la responsabilité ? N'est-ce-pas vous, monsieur le rapporteur, qui avez coutume de dire - je reprends votre formule parce que je la trouve belle - qu'avec « la session unique version Juppé-Séguin » on fait plus mal en 120 jours ce que l'on ne faisait déjà pas bien en 170 jours et deux sessions ?
M. Jacques Larché, rapporteur. Eh oui ! Cette formule n'est pas mauvaise !
M. Guy Allouche. Et qui a défendu la session unique en tant que rapporteur ?
M. Jacques Larché, rapporteur. C'est moi !
M. Guy Allouche. Oui, c'est vous ! Et, aujourd'hui, vous la critiquez, alors que déjà, à l'époque, nous faisions les reproches que vous faites aujourd'hui.
Et qui a limité à seulement trois jours par semaine le travail parlementaire afin d'en accorder tout autant à l'exercice d'une fonction exécutive local ?
M. Jacques Larché, rapporteur. C'est encore moi ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. Oui, c'est encore vous, monsieur le rapporteur !
En cela, vous n'avez fait que justifier la remarque de ceux qui disent que la fonction parlementaire est simplement l'appoint de la fonction exécutive locale.
M. Jacques Larché, rapporteur. Cela, ce n'est pas de moi !
M. Guy Allouche. Non, cette formule, je l'emprunte à Philippe Séguin.
Quant à l'inflation législative et à la maîtrise de l'ordre du jour par le Gouvernement, tout comme vous je ne les apprécie pas ; mais ce qui nous différencie, monsieur le rapporteur, c'est que, moi, je n'ai pas fait campagne pour l'adoption de la Constitution de 1958.
M. Jacques Larché, rapporteur. Moi non plus !
M. André Diligent. Vous n'étiez pas né, monsieur Allouche ! (Rires.)
M. Guy Allouche. Oh si, cher ami, vous me rajeunisser un peu trop !
Vous affirmez, monsieur le rapporteur, que l'on n'a jamais démontré le lien entre l'absentéisme parlementaire et le nombre de mandats exercés. On ne démontre pas des évidences ; le mandat parlementaire n'offre pas le don d'ubiquité. Quant aux présidents d'assemblées locales, ils sont très présents parce qu'ils bénéficient de structures administratives et de facilités matérielles.
De deux choses l'une : soit l'on néglige une partie des devoirs que confère l'élection ; soit l'on délègue à des fonctionnaires des prérogatives que les citoyens croient avoir confiées à des élus qui leur rendront compte.
Quelle argumentation développent les opposants à cette réforme ? Le cumul conforte le nécessaire enracinement local et l'approche de la réalité, ainsi que la parfaite connaissance des problèmes des Français. Quelle outrecuidance de prétendre cela, mes chers collègues !
Les dernières élections législatives, en 1997, ont démontré avec éclat comment des notables bien établis peuvent être battus par de jeunes candidates et candidats sans autre mandat local, moins bien implantés que les députés sortants et souvent peu connus du grand public.
M. Jean Chérioux. Alors, il n'y a pas inégalité !
M. Guy Allouche. Pour ce qui est du Sénat, je ne m'étendrai pas non plus sur le cas de nouveaux collègues, élus le 27 septembre dernier au scrutin majoritaire et qui, sans être titulaires d'un mandat local, ont battu des présidents de conseils généraux en exercice.
M. Jacques Peyrat. Oh ! Les vilains !
M. Guy Allouche. A contrario, ceux qui ont été battus en 1997 et en 1998 ont-ils pour autant déclaré qu'ils allaient démissionner de leurs mandats locaux au motif qu'ils n'auraient plus les moyens de les remplir correctement faute de cumuler ? On ne les a pas entendus !
M. Jean Chérioux. C'est un pur sophisme !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, je vous invite à réfléchir !
Quand des électeurs ne réélisent plus leur maire à l'Assemblée nationale ou au Sénat, sont-ils à ce point masochistes pour se priver de la prétendue efficacité particulière de leur ex-parlementaire ? On prête souvent aux électeurs des intentions ou des désirs qui n'existent, en fait, que dans la tête de ceux qui veulent cumuler.
Le système français est sans équivalent. Dans le reste de l'Europe, le cumul est très peu pratiqué. Qui pourrait croire pour autant que les citoyens de ces pays sont moins bien représentés et moins bien défendus que les Français ?
Ces députés européens qui ne cumulent pas, qui ne seraient donc pas experts de la chose locale,...
M. Hilaire Flandre. Cela explique bien des choses !
M. Guy Allouche. ... comment se fait-il qu'ils aient été reconduits pendant plusieurs législatures, alors que, chez nous, cette fameuse connaissance du terrain, de la réalité locale et des attentes des Français n'a pas empêché les défaites cuisantes et alternées de toutes les majorités depuis près de vingt ans ? Comment expliquez-vous cela, mes chers collègues ?
M. Jean Chérioux. Par le scrutin proportionnel !
M. Jacques Peyrat. C'est Satanas !
M. Hilaire Flandre. Ce sont les partis qui désignent !
M. Guy Allouche. Dans le système qui nous est proposé par les deux projets de loi, un parlementaire pourra toujours rester conseiller municipal, conseiller général ou conseiller régional. Nous n'allons pas vers le mandat unique !
L'argument de la connaissance du terrain est d'autant moins recevable qu'en ce qui concerne le député le scrutin majoritaire uninominal suppose l'établissement de liens directs entre l'élu d'une circonscription et des électeurs, et exige donc la présence sur le terrain. Simplement, les élus le seront dans de meilleures conditions, des conditions leur permettant d'être réellement présents à l'Assemblée nationale trois ou quatre jours par semaine, et le reste du temps au contact permanent de leurs électeurs.
Un parlementaire qui reçoit dans ses permanences ou qui sillonne sa circonscription a toutes les occasions d'être confronté aux problèmes et aux attentes de son électorat, sans qu'il ait besoin pour autant de gérer une commune un département ou une région.
Quant au sénateur, que l'on ne me dise pas qu'il lui faut détenir une fonction exécutive locale pour bien faire son travail ! J'ai même la faiblesse de penser que cette fonction, dévoreuse de temps tant elle est prenante, nuit au contact que nous devons avoir aussi fréquemment que possible avec nos grands électeurs.
Au regard de l'article 24 de la Constitution, le cumul n'est pas obligatoire pour un sénateur. Nous représentons les collectivités territoriales par notre collège électoral. Un tiers de nos collègues n'ont aucun mandat local...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Ils aimeraient bien en avoir !
M. Guy Allouche. ... et leur élection n'est entachée d'aucune irrégularité. Leur présence parmi nous n'appauvrit pas le Parlement, bien au contraire. Je serais même tenté de dire que cela leur permet peut-être d'appréhender les débats de société avec plus de facilité et surtout avec le recul nécessaire à l'intérêt général, à l'attente de la population.
Le parlementaire élu local aura toujours tendance à voter la loi en pensant d'abord aux intérêts de la collectivité qu'il représente. Nous appelons tous de nos voeux une réforme de la fiscalité locale tant les dispositions actuelles nous paraissent parfois absurdes et injustes. Certes, la présence de très nombreux élus locaux devrait donner à penser que cette réforme serait débattue par des praticiens et des experts. Qui ne voit cependant que la discussion d'une telle réforme sera toujours abordée sous l'angle restreint des intérêts de chacun ? L'addition des intérêts particuliers n'a jamais représenté l'intérêt général.
Le Parlement est l'incarnation d'un des plus puissants lobbies de France : le lobby des exécutifs locaux, qui empêche ou atténue toute réforme.
Il en est de même avec la réforme des structures locales, la réduction du nombre des communes, sans parler du devenir des départements. Tant que le cumul des mandats, et surtout celui des fonctions exécutives, persisteront, il sera difficile d'affirmer que les parlementaires ont réellement en charge les intérêts de la nation.
Il est de bon ton de tempêter contre l'emprise technocratique. Mais en cumulant, mes chers collègues, vous rendez-vous compte que nous favorisons en quelque sorte et que nous développons cette technostructure ? Nous savons tous que celui qui conçoit, applique et administre une décision est toujours plus puissant que celui qui la prend. La réalité du pouvoir passe par ceux qui sont présents et qui suivent les dossiers. Nous connaissons des exécutifs territoriaux qui préfèrent déléguer à une technocratie puissante plutôt qu'à des vice-présidents qui travaillent avec eux.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Ils ne vont pas déléguer à leurs adversaires !
M. Guy Allouche. Aucun mandat politique ne peut s'exercer par délégation à des collaborateurs. Le pouvoir existe toujours ; la question est de savoir s'il est exercé par celui qui est élu à cette fin ou par ceux que l'élu a choisis.
M. Jean Chérioux. Dites cela aux ministres !
M. Guy Allouche. La responsabilité de l'élu devant les citoyens s'accommode mal de ces hommes de l'ombre qui font le travail à la place des « cumulants », souvent absents et dont l'agenda est surchargé.
Alors, mes chers collègues, pas de boucs émissaires ! Ayons l'honnêteté de reconnaître qu'à force de ne pas exercer pleinement fonctions et mandats nous avons laissé le champ libre à l'administration. Le cumul, c'est, en fait, l'impotence parlementaire face à l'administration, sauf dans les domaines où les élus nationaux défendent ce à quoi ils tiennent le plus.
La critique du technocrate est toujours un paravent. En effet, comment le praticien du cumul pourrait-il se passer de l'énarque ou du haut fonctionnaire qu'il est content de trouver près de lui - ou à sa place, lorsqu'il est absent - pour étudier et traiter les dossiers que lui-même n'a plus le temps de regarder ?
M. Jean Chérioux. Supprimez les administrateurs !
M. Guy Allouche. En commission des lois, la semaine dernière, l'un de nos collègues, maire d'une ville importante, nous disait : « Moi, je peux être au Sénat. Pourquoi ? Parce que j'ai deux secrétaires généraux, quatre directeurs, deux inspecteurs généraux d'administration et nombre d'autres directeurs qui font le travail quand je suis absent. »
M. Jacques Peyrat. « Et un premier adjoint », ai-je ajouté ! Vous ne citez que ce qui vous arrange, vous, les socialistes !
M. Guy Allouche. Voilà l'exemple même du renforcement de la technostructure !
Comme le soulignait le professeur Hubrecht : « Quand la technocratie se trouve au centre et à la périphérie de la politique, on peut se demander où est l'élu. »
Alors, oui, il faut renforcer la décentralisation. « Oui, mais... » dirai-je.
En 1976, dans un rapport, M. Olivier Guichard soulevait la question des inconvénients du cumul des mandats en cas de modification de l'équilibre des pouvoirs entre l'Etat et les collectivités locales.
Le principe de l'interdiction entre un mandat national et une fonction exécutive locale s'inscrit bien dans la logique de la décentralisation mise en oeuvre depuis 1982, dans la mesure où toutes les justifications du cumul datent d'avant la réforme Mauroy - Defferre et où il apparaît que le maintien des choses en l'état constitue un obstacle dirimant à la poursuite de la décentralisation.
Le cumul des mandats visait à pallier la faiblesse des élus locaux et leur dépendance par rapport à l'Etat central. Or, la décentralisation a donné aux élus locaux une capacité d'intervention accrue qui fait qu'ils sont maintenant écoutés par les administrations de l'Etat. L'accès aux services de l'Etat est bien plus facile. Justement, les services de l'Etat sont demandeurs de contacts directs avec les élus locaux, et nous le constatons avec les signatures de nombreux contrats : contrat de plan Etat-régions, contrats locaux de sécurité, contrats de ville et de développement des quartiers, contrats d'agglomération, etc.
En matière de gestion du territoire, le contenu de ces actions est construit au plus près du terrain. Cette proximité du terrain est bien ce qui fonde aujourd'hui la légitimité des élus locaux.
Alors, oui ! il faut aller encore plus loin dans la décentralisation et la déconcentration. Mais nous pensons que le cumul des mandats constitue un obstacle essentiel à la poursuite de cette logique décentralisatrice mise en place en 1982.
Gaston Defferre...
M. Jean Chérioux. Maire de Marseille !
M. Guy Allouche. Absolument !
M. Michel Charasse. Un cumulard !
M. Guy Allouche. ... éminent homme politique et éminent homme d'Etat..
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Eminent cumulard, oui !
M. Dominique Braye. Faites ce que je dis, pas ce que je fais !
M. Guy Allouche. Gaston Defferre ne disait-il pas que la décentralisation mise en oeuvre conduirait vite à la limitation du cumul des mandats ?
Et que disait l'éminent professeur Georges Vedel, que vous citez souvent, monsieur le rapporteur ? Je note d'ailleurs que M. Vedel n'a jamais été conseiller régional... Tout à l'heure, vous vitupériez contre les professeurs de droit et les opportunistes qui n'ont jamais exercé ; or M. Vedel, que je respecte profondément, n'a jamais exercé de fonction locale.
M. Jean Chérioux. Est-ce pour cela que vous le respectez ?
M. Guy Allouche. Dans le rapport qu'il a remis au Président de la République le 15 février 1993, le doyen Vedel n'écrivait-il pas : « La décentralisation et les nouveaux équilibres qu'elles a créés ou renforcés ne justifient plus l'addition de pouvoirs de nature locale et nationale, dont les premiers sont souvent considérables » ? Nous y sommes ! Et il serait vain de vouloir aller encore plus loin, tant que la limitation du cumul ne sera pas effective.
La capacité régulatrice de l'Etat a du mal à se développer dans un pays où les électeurs ont l'impression que les parlementaires défendent plus leurs intérêts locaux que l'intérêt général. On ne peut être juge et partie !
Les exemples sont nombreux, mais je n'en prendrai que deux tant ils sont révélateurs.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Un à Lille, un à Marseille ! (Rires.)
M. Guy Allouche. Premier exemple : lors du débat sur la défense nationale et la suppression du service national, bien des parlementaires se sont peut-être davantage souciés du sort des casernes que de la défense du pays.
M. Jacques Peyrat. Les casernes, c'est le pays !
M. Guy Allouche. Les deux termes de ce débat sont importants et doivent être traités au regard l'un de l'autre.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Nul besoin d'être maire pour cela !
M. Guy Allouche. Or, nombreux furent ceux qui mirent l'accent sur le devenir des casernes plutôt que sur la défense du pays !
Second exemple : à propos des emplois-jeunes, nombre de collègues de l'opposition nationale ont combattu avec force cette mesure nouvelle au Parlement ; mais, sitôt rentrés dans leurs collectivités locales,...
M. Jean-Jacques Hyest. Parce qu'ils sont légalistes !
M. Guy Allouche. ... c'est au nom du développement local et en réponse à une forte demande des jeunes et des parents qu'ils ont mis en place ces emplois.
M. Pierre Fauchon. Cela ne prouve rien !
Mme Nelly Rodi. Il y avait les emplois-ville !
M. Guy Allouche. Lorsque le Gouvernement propose des mesures, vous les combattez, mais, de retour sur vos terres, vous reprenez ses arguments !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Je n'ai pas recruté un seul emploi-jeune, moi !
M. Guy Allouche. Ce n'est pas à votre honneur, monsieur Ceccaldi-Raynaud !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais si !
M. le président. Veuillez poursuivre, je vous prie, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Un tel comportement ne peut perdurer sans mettre en cause l'avenir de la décentralisation tant il est vrai que la décision nationale n'est pas la résultante ni l'addition des préférences de chacun. Il est temps de séparer l'élu qui dit la loi de celui qui l'applique en tant qu'exécutif local.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Jamais de la vie !
M. Guy Allouche. La réforme du cumul des mandats et des fonctions ne constitue pas une fin en elle-même. Elle doit s'inscrire dans la perspective plus large d'une modernisation de la vie politique.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. La proportionnelle !
M. Guy Allouche. La redéfinition du statut de l'élu s'impose et va de pair avec le non-cumul.
M. Dominique Braye. Il faut commencer par le commencement !
M. Guy Allouche. Je dirai même que, dans l'ordre des priorités, le statut de l'élu passe bien avant l'approfondissement de la décentralisation.
Ouvrir le chantier de l'exercice des mandats locaux impose, dans le même temps, de s'interroger sur les moyens de l'élu. S'il faut des élus plus disponibles au Parlement comme dans les collectivités locales, il faut aussi des élus mieux indemnisés et mieux formés. Si l'on veut que les citoyens postulent, il est vital que le retour à la vie civile des élus soit préparé.
Un sénateur du RPR. Et voilà !
M. Guy Allouche. Nous savons que si la démocratie n'a pas de prix, elle a un coût.
Dès 1982, voilà seize ans, parallèlement à la mise en place de la décentralisation - cela n'a rien de fortuit - Marcel Debarge, notre excellent collègue, avait rédigé, à la demande du gouvernement de Pierre Mauroy, un rapport sur ce thème, dont il n'y a rien à retrancher...
M. Dominique Braye. Il est absent !
M. Guy Allouche. ... et qu'il nous suffirait d'appliquer.
Marcel Debarge avait vu juste et loin. Je le cite : « Le problème de la limitation du cumul des fonctions et des mandats électifs doit être également appréhendé...
M. Dominique Braye. Il cumule : il n'est pas là !
M. Guy Allouche. ... « dans cette même perspective de la décentralisation et des changements de comportement qu'elle implique. La limitation du cumul constitue un des volets mêmes de la décentralisation, cette extension des compétences des collectivités territoriales ne sera effective et significative que s'il se trouve des élus disponibles capables d'assurer leurs responsabilités nouvelles et accrues ». Voilà ce qui a été écrit déjà en 1982 !
Ce statut de l'élu doit notamment permettre l'accès du plus grand nombre aux fonctions électives, permettre aux salariés du secteur privé de bénéficier d'un « congé de l'élu » qui leur offre la possibilité de retrouver leur activité à la fin de leur mandat.
Mes chers collègues, plus rapidement, je souhaite répondre à un certain nombre d'arguments.
Le cumul serait un choix de l'électeur et il faudrait le laisser décider... Mais, au-delà, les électeurs ont-ils vraiment le choix ? Demandera-t-on à un électeur socialiste - je prends cet exemple à dessein - de voter pour un candidat de droite au motif que le candidat de gauche cumule ? Va-t-il trahir ses convictions ?
M. Hilaire Flandre. Quelle bonne idée !
M. Guy Allouche. C'est valable pour vous également !
M. Jean Chérioux. Et les candidats dissidents ?
M. Guy Allouche. Le choix de l'électeur est donc contraint et forcé. Ne dites pas que c'est le choix de l'électeur !
« Le cumul des mandats permet de ne pas confier l'action politique à des professionnels », écrit, dans son rapport, M. Jacques Larché.
Si on ne confie pas cela à des professionnels, dois-je comprendre que le contraire de « professionnel » ce serait « amateur » ? Faire la loi serait donc un hobby, un passe-temps ? Le contrôle de l'action du Gouvernement se ferait-il en dilettante ?
Non, la confection de la loi demande du temps, et si les parlementaires veulent lutter à armes égales contre l'emprise des cabinets ministériels, il leur faut des moyens. Le temps est l'un de ceux-là.
L'activité législative serait, selon certains, très difficile si tous les parlementaires étaient en séance. Cette crainte, parfaitement injustifiée, ne sert qu'à conforter le cumul. Sans attendre la limitation du cumul, notre arsenal réglementaire - relisez le règlement du Sénat ! - a prévu ce cas de figure. Si, sur un sujet précis, il y avait de nombreuses interventions, ce serait une marque d'intérêt, cela dynamiserait le débat parlementaire, et la réflexion collective n'en serait que meilleure.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il faut siéger pendant douze mois !
M. Guy Allouche. Je conclurai...
M. Hilaire Flandre. C'est pas vrai !
M. Guy Allouche. ... en empruntant une partie de ma conclusion à une réflexion de notre excellent collègue Hubert Haenel,...
M. Dominique Braye. Il est là !
M. Serge Vinçon. Il est toujours là !
M. Guy Allouche. ... qui, dans un article publié le 25 octobre 1997 dans Les Dernières Nouvelles d'Alsace, écrivait : « La pratique du cumul installée dans les moeurs politiques françaises ruine la vie politique, mine l'équilibre déjà fragile entre les rôles et missions respectifs du Parlement, du Gouvernement et de la justice...
M. Dominique Braye. Sauf si les mandats sont compatibles !
M. Guy Allouche. « Elle contribue à l'installation d'une technocratie, brouille la répartition des responsabilités...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'était écrit en alsacien !
M. Guy Allouche. ... « interdit les contrôles, favorise la corruption, nourrit l'antiparlementarisme...
M. Jacques Peyrat. On vous a mal traduit !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Cela devait être écrit en alsacien !
M. Guy Allouche. ... « et, en fin de compte, constitue le terreau favorable à l'éclosion et au développement des extrémistes de droite et de gauche. »
Voilà ce que disait M. Haenel.
M. Dominique Braye. Sauf si les mandats sont compatibles, a-t-il ajouté !
M. Guy Allouche. La démocratie a besoin d'un Parlement puissant, influant sur les grands choix collectifs, capable de contrôler l'action du Gouvernement. L'interdiction du cumul des mandats et des fonctions exécutives n'est pas qu'une simple affaire d'emploi du temps. Trop de parlementaires qui cumulent sont plus attachés à leur terre d'élection qu'à leur fonction première de législateur. On ne réveillera pas le civisme si cet esprit demeure, si les parlementaires ne prennent pas la mesure de leur fonction, qui est de faire d'abord la loi, de veiller essentiellement aux intérêts de la nation et de contrôler l'action du Gouvernement.
Ce projet du Gouvernement, que nous approuvons...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il ne manquait plus que cela !
M. Guy Allouche. ... est l'un des projets les plus attendus, quoi qu'en pense la majorité sénatoriale, qui n'est pas décidée à l'adopter.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Non !
M. Guy Allouche. L'image de la Haute Assemblée n'en sera que plus brouillée !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais non !
M. Guy Allouche. Il est des réformes qui sont inéluctables, parce qu'elles s'inscrivent dans l'évolution naturelle de toute société civilisée et démocratique. Il faut savoir changer les règles institutionnelles lorsque leur obsolescence fait courir le risque qu'elles ne signifient plus rien. Le cours de la modernisation des institutions de notre pays ne pourra pas être endigué, comme certains le croient ici. Je livre à leur méditation le propos tenu publiquement et récemment par le Premier ministre devant une chaîne de télévision : « Nous avancerons, et si l'on doit s'arrêter à un stade, on trouvera d'autres façons de dépasser ce stade ultérieurement. » (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nelly Olin. Est-ce une menace !

8