SEANCE DU 10 MAI 2001


M. le président. Je suis maintenant saisi de sept amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 234 est présenté par MM. Hoeffel, Lorrain, Machet et les membres du groupe de l'Union centriste.
L'amendement n° 336 est présenté par M. de Rohan et les membres du groupe du Rassemblement pour la République.
Tous deux tendent à insérer, après l'article 14 ter, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles est ainsi rédigé :
« Art. L. 132-8. - Des recours sont exercés, selon le cas, par l'Etat ou le département :
« 1° Contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune. Le retour à meilleure fortune s'entend de toute augmentation du patrimoine par un apport subit de biens importants et nouveaux qui excède un seuil fixé par decret en Conseil d'Etat. Les biens entrés dans le patrimoine du bénéficiaire de l'aide sociale par suite de la perception d'un héritage ou d'une libéralité provenant du conjoint, d'un ascendant ou descendant direct ne sont pas considérés comme constitutifs de retour à meilleure fortune ;
« 2° Contre la succession du bénéficiaire ;
« 3° Contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d'aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande ;
« 4° Contre le légataire.
« En ce qui concerne les prestations d'aide sociale à domicile, la prestation spécifique dépendance et la prise en charge des frais d'hébergement des personnes handicapées, un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions dans lequelles sont exercés les recours, en prévoyant, le cas échéant, l'existence d'un seuil de dépenses supportées par l'aide sociale en deçà duquel il n'est pas procédé à leur recouvrement.
« Le recouvrement sur la succession du bénéficiaire de l'aide sociale à domicile, de la prestation spécifique dépendance et de la prise en charge des frais d'hébergement des personnes handicapées, s'exerce sur la partie de l'actif net successoral défini par les règles de droit commun qui excéde un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat. »
« II. - La dernière phrase de l'article L. 245-6 du code de l'action sociale et des familles est ainsi rédigée :
« Les sommes versées au titre de l'allocation compensatrice ne font pas l'objet d'un recouvrement sur la succession du bénéficiaire, sur le légataire ou sur le donataire. »
« III. - Après les mots : "de l'intéressé", la fin du troisième alinéa (2°) de l'article L. 344-5 du code de l'action sociale et des familles est ainsi rédigée : "et sans qu'il y ait lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque les donataires ou héritiers du bénéficiaire décédé sont son conjoint, ses enfants, ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé".
« IV. - Les pertes de recettes résultant pour les départements sont compensées à due concurrence par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement. Les pertes de recettes résultant pour l'Etat sont compensées par une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° 357, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 14 ter, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles est ainsi rédigé :
« Art. L. 132-8. - Des recours sont exercés par le département ou par l'Etat si le bénéficiaire de l'aide sociale n'a pas de domicile de secours :
« - contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune. Le retour à meilleure fortune s'entend de toute augmentation du patrimoine par un apport subit de biens importants et nouveaux qui excède un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat. Les biens entrés dans le patrimoine du bénéficiaire de l'aide sociale par suite de la perception d'un héritage ou d'une libéralité provenant du conjoint, d'un ascendant ou descendant direct, ne sont pas considérés comme constitutifs de retour à meilleure fortune ;
« - contre la succession de celui-ci, sous réserve des dispositions des articles 39-2 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées et 168 du code de la famille et de l'aide sociale ;
« - contre le donataire, à l'exclusion des personnes visées aux articles 39-2 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1075 et 168 du code de la famille et de l'aide sociale, lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d'aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande. Le recouvrement à l'encontre du donataire s'exerce sur la partie de la donation qui excède un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat ;
« - contre le légataire.
« En ce qui concerne les prestations d'aide sociale à domicile, l'allocation compensatrice instituée par l'article 39 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975, la prestation spécifique dépendance et la prise en charge des frais d'hébergement des personnes handicapées, un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions dans lesquelles sont exercés les recours, en prévoyant, le cas échéant, l'existence d'un seuil de dépenses supportées par l'aide sociale en deçà duquel il n'est pas procédé à leur recouvrement.
« L'inscription de l'hypothèque légale fixée à l'article 148 est supprimée pour les prestations d'aide sociale à domicile, l'allocation compensatrice instituée par l'article 39 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 et la prestation spécifique dépendance visée à l'alinéa précédent. »
Les trois amendements suivants sont présentés par M. About.
L'amendemnt n° 2 vise à insérer, après l'article 14 ter , un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Les quatres premiers alinéas de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Des recours en récupération peuvent être exercés, selon le cas, par l'Etat ou le département contre la succession du bénéficiaire décédé, dans l'intérêt duquel les prestations d'aide sociale ont été versées. Toutefois, il n'est exercé aucun recours en récupération à l'encontre des héritiers, des donataires ou des légataires, lorsqu'il s'agit du conjoint, des enfants ou de la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du bénéficiaire. »
« II. - Dans le dernier alinéa du même article, après les mots : "le recouvrement sur la succession du bénéficiaire", est inséré le mot : "décédé".
« III. - Les pertes de recettes résultants des I et II pour les départements sont compensées à due concurrence par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement. Les pertes de recettes résultant des I et II pour l'Etat sont compensées par une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code génral des impôts. »
L'amendement n° 3 tend à insérer, après l'article 14 ter , un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le premier alinéa de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles est ainsi rédigé :
« Des recours en récupération peuvent être exercés, selon le cas, par l'Etat ou le département : »
« II. - Après le quatrième alinéa de l'article L. 132-8 précité, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, il n'est excercé aucun recours en récupération à l'encontre du bénéficiaire de l'allocation compensatrice pour tierce personne visée au chapitre V du titre IV du livre II du même code, ni à l'encontre de sa succession, de ses donataires ou de ses légataires. »
« III. - Les pertes de recettes résultant des I et II ci-dessus pour les départements sont compensées à due concurrence par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement. Les pertes de recettes induites pour l'Etat sont compensées par une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
L'amendement n° 1 rectifié a pour objet d'insérer après l'article 14 ter, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - La dernière phrase de l'article L. 245-6 du code de l'action sociale et des familles est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :
« Le recours en récupération de l'allocation compensatrice n'est exercé qu'après le décès du bénéficiaire, au moment de la succession. Il n'est exercé aucun recours en récupération de l'allocation compensatrice sur les donations effectuées par le bénéficiaire de son vivant, ou bien à l'encontre de la succession du bénéficiaire décédé, lorsque les donataires ou bien ses héritiers sont son conjoint, ses enfants ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge de la personne handicapée. »
« II. - Les pertes de recettes résultant pour les départements sont compensées à due concurrence par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement. Les pertes de recettes résultant pour l'Etat sont compensées par une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° 352, M. Chabroux, Mmes Dieulangard, Pourtaud, Printz et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 14 ter , un article additionnel ainsi rédigé :
« La dernière phrase de l'article L. 245-6 du code de l'action sociale et des familles est complétée par les mots : ", ni à l'encontre du bénéficiaire lorsque celui-ci est revenu à meilleure fortune". »
La parole est à M. Nogrix, pour défendre l'amendement n° 234.
M. Philippe Nogrix. Les temps ont changé et il nous faut absolument, par conséquent, adapter la législation à cette nouvelle donne.
Aujourd'hui, contrairement à ce qui se passait auparavant - et c'est heureux - les handicapés peuvent hériter. Ils se retrouvent dans une situation que l'on qualifie de « retour à meilleure fortune ». De par la loi, on leur demande alors, et on leur capte, les biens dont ils viennent d'hériter pour récupérer ce que l'aide sociale leur a versé. Ce sont, je crois, des pratiques d'un autre temps.
Il nous faut absolument trouver de nouvelles règles de récupération de l'aide sociale, notamment dans la situation de retour à meilleure fortune, afin de l'exclure de la récupération immédiate sur héritage. En effet, lorsque des parents ont assumé leurs responsabilités vis-à-vis de leur enfant handicapé et mis de côté petit à petit, tout au long de leur vie, les moyens qui permettront à leur enfant de continuer à vivre dignement, il paraît tout à fait anormal, au moment de l'héritage, de récupérer l'aide sociale, sous prétexte qu'il y a retour à meilleure fortune.
Il est par conséquent nécessaire d'aligner les règles de récupération applicables à l'allocation compensatrice pour tierce personne sur les règles prévues en matière d'allocation personnalisée d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes.
L'objet de cet amendement, qui semble compris puisque d'autres collègues ont déposé des amendements de même nature, est donc de réformer les règles de récupération sur l'aide sociale. J'espère que vous serez, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, sensibles à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Vasselle, pour défendre l'amendement n° 336.
M. Alain Vasselle. Cet amendement, qui est de même inspiration que celui qui vient d'être défendu par notre collègue Philippe Nogrix, est la conséquence d'une initiative de l'Assemblée nationale en matière de recours sur succession. Ne laissons pas penser que c'est le Sénat qui, au travers de ses amendements, a pris la première initiative sur le recours sur succession : c'est la résultante de ce que le Gouvernement, en s'en remettant à la sagesse, a accepté à l'Assemblée nationale à la suite d'un amendement tendant à faire disparaître le recours sur succession en ce qui concerne la prestation spécifique dépendance qui était une initiative du Sénat dans le cadre de la mise en oeuvre de la prestation d'autonomie.
Madame la secrétaire d'Etat, vous connaissez parfaitement bien le sujet puisque vous êtes venue devant la commission des affaires sociales pour présenter le projet de loi relatif à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie, dont nous aurons à débattre la semaine prochaine.
Par conséquent, il ne s'agit ni plus ni moins, comme l'a rappelé très justement notre collègue Philippe Nogrix, que d'aligner en faveur des handicapés le dispositif qui était mis en oeuvre pour les personnes âgées.
Les familles de handicapés ne comprendraient pas qu'il y ait deux poids deux mesures sur le plan législatif et que nous accordions aux personnes âgées en situation de dépendance, donc de handicap, l'absence de recours sur succession, alors qu'elles-mêmes se verraient maintenir le recours sur succession. Elles le comprendraient d'autant moins que, avant la mise en oeuvre de la PSD, les personnes âgées, lorsqu'elles se trouvaient en situation de handicap, ont bénéficié de l'allocation compensatrice pour tierce personne et étaient donc traitées de la même manière que les handicapés.
On a décidé de mettre en place un dispositif qui est spécifique aux personnes âgées, mais qui prend en compte la nature du handicap de celles-ci. Je pense donc qu'à handicap équivalent il est normal que des dispositions législatives comparables soient prises. C'est la raison pour laquelle cet amendement vous est présenté.
Toutefois, cette disposition présente une différence notable avec celle qui a été adoptée par l'Assemblée nationale : nous proposons que les pertes de recettes pour les départements soient compensées par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement et que les pertes de recettes pour l'Etat soient compensées par une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
A ce stade, ce débat est extrêmement important. Certes, il est peut-être regrettable qu'il ait lieu à une heure aussi tardive, mais nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir lors de la discussion du texte relatif à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie. Il est fort probable que la question se posera un jour de savoir si nous devons rester à mi-parcours ou aller plus loin et prendre en compte également, dans le cadre du recours sur succession, le volet de l'aide sociale, notamment la partie du forfait « hébergement » pour les personnes agées, mais également pour les handicapés qui se trouvent en foyers occupationnels.
En effet, la disparition du recours sur succession en ce qui concerne l'allocation compensatrice pour tierce personne n'entraîne pas pour autant la disparition du recours sur succession pour les mêmes handicapés en ce qui concerne la partie hébergement, qui est une prestation d'aide sociale. Nous aurons également un débat pour savoir si nous devons aller plus loin.
Cela représentant pour tous les départements une masse globale de 4 milliards de francs, la question mérite que nous prenions le temps d'y réléchir. Mais ne tardons pas pour prendre la mesure qui s'imposera à nous tous !
M. le président. La parole est à M. Fischer, pour défendre l'amendement n° 357.
M. Guy Fischer. Je vais apporter ma pierre au débat qui vient de s'engager.
Le jour même où s'ouvrait au Sénat le débat relatif au projet de loi de modernisation sociale, des personnes handicapées, des parents d'enfants handicapés, des associations membres du Comité d'entente des personnes handicapées tenaient, devant notre Haute assemblée, un rassemblement destiné à attirer notre attention sur les règles, actuellement en vigueur, régisssant la récupération des prestations d'aide sociale sur le patrimoine des personnes handicapées.
Considérant que le présent texte se devait d'être effectivement porteur de progrès social, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont décidé de soutenir les demandes légitimes de réforme des règles incriminées, l'objectif étant notamment de permettre aux parents de garantir l'avenir de leur enfant handicapé.
Tel est l'objet de notre amendement qui, en réécrivant l'article L. 146 du code de la famille, précise la notion de retour à meilleure fortune et les conditions de récupération sur héritages ou libéralités, voire donations.
Nous tenons beaucoup à l'adoption de cet amendement de nature à mettre un terme à une injustice criante dont les personnes handicapées sont victimes aujourd'hui.
Pourquoi devraient-elles être les seules à restituer et ce, au premier franc, les sommes perçues au titre de l'ACTP notamment ? Cet état de fait est profondément inégalitaire, anormal !
Déjà, en lui-même, le système d'aide et le montant des allocations sont discriminatoires en ce sens que, en fonction des revenus, ils ne reconnaissent et ne compensent pas le handicap en tant que tel.
Madame la secrétaire d'Etat, nous souhaitons vivement que le Gouvernement non seulement entende, mais également prenne en compte la problématique particulière des personnes handicapées.
Ces dernières ne comprendraient pas, en effet, qu'une fin de non-recevoir leur soit opposée alors que les députés, à l'occasion du débat concernant l'allocation personnalisée d'autonomie, ont donné leur accord pour la suppression du principe de recours sur succession.
Nous avons conscience qu'un débat vient de s'engager. Il est vrai que chacun souhaite que les personnes âgées et les personnes handicapées soient traitées selon les mêmes principes d'équité, d'égalité et de justice, et c'est en ce sens que nous proposons cet amendement.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 2 est-il soutenu ?...
L'amendement n° 3 est-il soutenu ?...
L'amendement n° 1 rectifié est-il soutenu ?...
La parole est à M. Chabroux, pour défendre l'amendement n° 352.
M. Gilbert Chabroux. Effectivement, le débat qui s'engage est important et nous sommes tous sensibles aux préoccupations qui ont été exprimées.
La question se pose au sujet de tous les bénéficiaires de l'aide sociale, mais plus particulièrement au sujet des handicapés dans l'hypothèse d'un retour à meilleure fortune. Actuellement, l'Etat ou les départements peuvent exercer un recours.
Nous allons examiner prochainement le projet de loi relatif à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie. Il faut qu'il y ait une cohérence entre les textes et les différents dispositifs, qu'il s'agisse des personnes âgées dépendantes ou des handicapés. D'une façon générale, il faut respecter la dignité des personnes et supprimer ou limiter le plus possible l'aspect d'aide sociale que pourraient comporter ces dispositifs.
Il faut donc insister sur la prise en charge collective de ce risque commun qu'est la dépendance, afin qu'il soit considéré au même titre que la maladie ou l'accident.
Cet amendement a donc pour objet de déroger, pour les bénéficiaires de l'ACTP, aux règles visées à l'article 132-8 du code de l'action sociale et des familles en matière de retour à meilleure fortune et d'harmoniser les dispositifs, comme je l'ai dit, pour les personnes handicapées et pour les personnes âgées futures bénéficiaires de l'APA.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 234, 336, 357 et 352 ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. Avant de donner l'avis de la commission sur l'ensemble de ces amendements en discussion commune, permettez-moi de rappeler brièvement le contexte dans lequel ils interviennent.
Le principe de la récupération sur succession est traditionnellement attaché à l'aide sociale, de même que le principe de l'obligation alimentaire, parce que l'on considère que l'aide sociale intervient à titre subsidiaire pour soutenir la personne dans le besoin lorsqu'elle ne dispose pas de ressources suffisantes provenant soit de son activité, soit de ses biens, soit de la solidarité familiale instituée par le code civil.
Le sujet est important, car il n'est pas négligeable pour les finances des départements investis de la compétence de l'aide sociale par les lois de décentralisation.
Je constate tout d'abord que le principe de la récupération n'est pas intangible. Il a déjà été prévu un certain nombre d'aménagements en matière d'aide ménagère et de prestation spécifique dépendance, notamment pour inciter les personnes âgées à se maintenir à domicile plutôt que de rejoindre une institution.
Pour les personnes handicapées, la lourdeur du handicap et sa durée tout au long de la vie ont conduit à revenir sur le principe de l'obligation alimentaire et à prévoir l'absence de récupération au moment du décès de la personne handicapée elle-même dès lors que les héritiers sont le conjoint, les enfants ou la personne ayant assumé la charge de la personne handicapée.
Ce dispositif, qui représente déjà un progrès par rapport au droit commun de la récupération, apparaît aujourd'hui inadapté, voire incompréhensible en raison de trois phénomènes.
Tout d'abord, l'allongement de l'espérance de vie des personnes handicapées, grâce aux progrès de la médecine et à la mise en oeuvre des grandes lois de 1975, fait qu'elles survivent de plus en plus souvent à leurs parents. Or, lors du décès des parents, il est opéré ce que l'on appelle un recours en cas de retour à meilleure fortune, qui se traduit par une récupération sur l'héritage perçu par la personne handicapée.
Ces recours ne sont pas compris par les personnes handicapées, d'autant que, la réglementation étant peu contraignante, on observe une grande disparité dans la pratique des départements et les jurisprudences des commissions d'aide sociale chargées de donner un avis.
De surcroît, les bénéficiaires de l'allocation compensatrice pour tierce personne ont l'impression que ces recours visent à les maintenir dans le dénuement et à les condamner inéluctablement à vivre de l'aide sociale.
Enfin, ces recours vont à l'encontre de la volonté compréhensible des parents d'assurer, à un niveau même modeste, une certaine sécurité à leur enfant handicapé.
La seconde difficulté tient au développement de divers dispositifs de prestations non contributives créant des minima sociaux qui, eux, ne donnent pas lieu à récupération sur succession et pour lesquels - comme pour le RMI - les décrets d'application n'ont pas été pris.
Dans ces conditions, comment faire admettre au titulaire de l'allocation compensatrice pour tierce personne, qui a dû utiliser au jour le jour son allocation pour faire face à un besoin réel, qu'un recours soit opéré, au premier franc, en cas de retour à meilleure fortune ?
Ce sentiment d'injustice est encore accru quand la personne handicapée a tout fait pour organiser sa vie de manière à être la plus autonome possible, et notamment, au prix d'un effort souvent très important, pour vivre dans un logement individuel.
Enfin, une troisième difficulté tient à la décision prise par l'Assemblée nationale, le 19 avril dernier, de procéder à une rupture forte avec le principe de la récupération, en indiquant que la future APA, l'allocation personnalisée d'autonomie, qui n'est évidemment pas sans lien avec la notion de handicap, ne donnerait lieu à aucun recouvrement sur la succession du bénéficiaire, du légataire ou du donataire.
Les personnes handicapées, qui comprenaient déjà mal la logique du recours sur succession, ont eu un vif sentiment d'injustice ; une manifestation a même eu lieu devant les murs du Palais du Luxembourg, le 24 avril dernier.
Le principe du recours sur succession doit s'adapter à l'évolution des réalités. Nous devons veiller à ce que son application ne finisse pas par être mise au débit de la décentralisation de l'action sociale, qui représente pourtant un réel progrès.
Le texte que nous discutons aujourd'hui doit nous permettre de réaliser, comme nous le ferons effectivement pour les personnes âgées lors de l'examen du texte relatif à l'APA, une meilleure prise en compte des besoins de nos compatriotes handicapés.
Tel est bien l'objet des amendements que nous examinons maintenant et qui émanent de diverses travées de notre assemblée, même si leur contenu n'est pas toujours identique.
La commission a émis un avis favorable sur les deux amendements qui lui ont semblé les plus complets, à savoir les amendements identiques n°s 234 et 336, présentés respectivement par le groupe de l'Union centriste et celui du RPR.
Ces amendements offrent de plus larges bases de dialogue avec l'Assemblée nationale, le Gouvernement ayant levé l'urgence.
Ils permettent de résoudre sans démagogie la question du retour à meilleure fortune puisqu'il est prévu d'instituer un seuil afin d'éviter tout abus.
Ils reprennent, pour l'allocation compensatrice pour tierce personne, exactement les mêmes dispositions que celles qui ont été prévues par l'Assemblée nationale le 19 avril pour la future allocation personnalisée d'autonomie et visent les cas d'héritage, de donation ou de legs.
Enfin, ces amendements améliorent le régime de récupération sur les frais d'hébergement des personnes handicapées. Ils permettent le mécanisme des donations sans recours au profit du conjoint ou des enfants, afin de permettre à la personne handicapée d'organiser sa succession comme peut le faire tout citoyen.
Les amendements n°s 2, 3 et 1 rectifié n'ont pas été défendus mais je souhaite les évoquer afin de rendre hommage à M. About, qui a été l'initiateur de la démarche qui, nous l'espérons, va aboutir aujourd'hui. Il semble que, de toute façon, les amendements n°s 234 et 336 qui sont un peu plus complets et s'alignent sur la future allocation personnalisée d'autonomie, soient susceptibles de donner satisfaction à M. About.
L'amendement n° 352 du groupe socialiste ne traite que la question du recours contre les bénéficiaires de l'allocation compensatrice pour tierce personne revenus à meilleure fortune. Cela dit, si cet amendement devait recueillir un avis favorable du Gouvernement, ce serait un premier pas de la part de celui-ci.
Mais l'essentiel est d'ouvrir, au cours des prochaines lectures, la discussion sur une base aussi large que possible avec nos collègues de l'Assemblée nationale. Peut-être pourra-t-on ultérieurement dégager une solution en améliorant le dispositif relatif au recours en cas de retour à meilleure fortune.
L'amendement n° 357 du groupe communiste républicain et citoyen ne propose pas de mesure réellement nouvelle en ce qui concerne les successions en faveur des bénéficiaires de l'allocation compensatrice pour tierce personne.
En conclusion, dans le souci d'aboutir, à l'issue des différentes lectures, à la solution la plus consensuelle possible, la commission a émis un avis favorable sur les amendements identiques n°s 234 et 336 et un avis défavorable sur les amendements n°s 352 et 357.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt l'ensemble des arguments qui ont été développés.
L'adoption en première lecture par l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à l'allocation personnalisée d'autonomie, qui contient de nouvelles dispositions relatives à la récupération, crée un contexte favorable pour faire évoluer des dispositions de même nature concernant l'allocation compensatrice pour tierce personne. Reconnaissez cependant avec moi que l'ACTP n'est pas actuellement récupérable pour les conjoints, les enfants et les personnes qui se sont occupées du handicapé.
Ceux qui me connaissent savent fort bien que je suis prête à tout faire pour favoriser au maximum la convergence entre les différentes dispositions, à l'exclusion toutefois de celles qui sont relatives à la récupération des dépenses liées à l'hébergement. Il me semble, en effet, qu'il faut traiter de façon différente tout ce qui concerne l'hébergement.
Vous comprendrez sûrement que le Gouvernement veuille attendre l'examen du projet de loi relatif à l'APA par la Haute Assemblée avant d'envisager les ajustements visant à une plus grande cohérence entre les différents dispositifs d'aide sociale.
Les dispositifs d'accompagnement du handicap sont soumis à des règles différentes de récupération, et il me semble important que nous nous donnions les moyens de bien analyser l'ensemble du problème. C'est la raison pour laquelle Elisabeth Guigou, Ségolène Royal et moi-même souhaitons entreprendre très rapidement un travail de fond à ce sujet.
La situation a beaucoup évolué depuis un certain nombre d'années. Je crois qu'il faut mener un débat avec l'ensemble des structures concernées : les associations de personnes handicapées, mais aussi les conseils généraux, etc.
C'est la raison pour laquelle, pour l'heure, le Gouvernement ne peut qu'émettre un avis défavorable sur ces différets amendements, à l'exception de l'amendement n° 352. Mais, je puis vous assurer que Mme Ségolène Royal, Elisabeth Guigou et moi-même souhaitons entreprendre rapidement ce travail de fond qui est indispensable pour pouvoir faire des propositions réellement utiles.
L'amendement n° 352, qui ne préjuge ni les dispositions définitives de la loi relative à l'allocation personnalisée d'autonomie ni les ajustements qu'il conviendra d'envisager, est cependant de nature à répondre à une forte attente des personnes handicapées et de leur famille.
Celles-ci comprennent mal la procédure du recours en cas de retour à de meilleure fortune, d'ailleurs rarement appliquée et qui ne s'appuie pas sur une notion très claire. La suppression de cette procédure serait une mesure de simplification administrative et témoignerait d'une compréhension envers les difficultés des personnes handicapés bénéficiaires de l'ACTP. En effet, l'amélioration de leur situation matérielle par l'apport de biens nouveaux ne doit pas les pénaliser de manière rétroactive.
J'ai bien entendu vos arguments, monsieur le rapporteur, mais je crois que, dans la situation actuelle, s'il est un point à l'égard duquel les associations de personnes handicapées sont vigilantes, c'est bien ce dispositif de recours en cas de retour à meilleure fortune. Or l'amendement n° 352 permet d'avancer réellement sur ce point.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Je tiens à préciser que, s'il y a eu un foisonnement d'amendements vers le 23 ou le 24 avril, notre collègue M. About avait déposé les siens dès le 5 février. Ce n'est donc pas forcément la manifestation qui a eu lieu devant le Sénat qui a déclenché notre réflexion sur le problème de la récupération sur succession : elle était déjà engagée du seul fait du dépôt de ces amendements.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 234 et 336.
M. Philippe Nogrix. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Madame le secrétaire d'Etat, je suis atterré devant votre réponse, qui traduit une méconnaissance totale de ce qui se passe sur le terrain. Vouloir encore prendre le temps de la réflexion, c'est ignorer complètement ce qui s'est passé dans les conseils généraux.
Ce qui vous est proposé par les sénateurs impose déjà aux conseils généraux un gros effort financier, notre collègue M. Vasselle l'a rappelé ; il a d'ailleurs demandé des compensations. Mais, cet effort, les conseils généraux sont prêts à le consentir tout simplement parce que c'est une question de justice sociale !
Dire que vous allez attendre que l'APA soit votée pour prendre en considération les réclamations des handicapés, c'est véritablement les considérer comme des citoyens de seconde zone !
Nous avons aujourd'hui l'occasion d'en discuter. De tous les groupes de notre assemblée, des voix se sont élevées pour vous dire qu'il était temps de réformer, de prendre de nouvelles mesures. Et vous nous répondez que vous allez entamer une réflexion avec Mme Guigou et Mme Royal pour savoir s'il est nécessaire de faire quelque chose ! Mais tout le monde vous dit que c'est nécessaire ! Tous ceux qui sont quotidiennement sur le terrain se font l'écho des injustices faites aux handicapés, relaient leurs revendications, vous expliquent qu'il est grand temps d'agir.
C'est pourquoi je soutiendrai les amendements qui ont été déposés, y compris celui de notre collègue M. Chabroux.
Il est vrai que, aujourd'hui, c'est surtout ce dispositif de recours, en cas de retour à meilleure fortune, qu'il est difficile d'expliquer. En effet, dans le passé, hélas ! les handicapés avaient très peu de chance d'hériter. Or, aujourd'hui, les handicapés héritent ! Et aussitôt on leur capte cet héritage en leur expliquant qu'ils ont bénéficié de l'aide sociale !
Vraiment, madame la secrétaire d'Etat, je ne comprends pas que, avec votre passé, avec votre connaissance du monde du handicap, nous n'ayez pas réussi à convaincre Mme Guigou. Mais il est vrai qu'il est très difficile de faire changer Mme Guigou d'idée ! Quand elle a une idée en tête, elle va jusqu'au bout, sans tenir compte de ce qui se passe sur le terrain. Je trouve cela fort regrettable !
Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat. Il y a des propos que je ne peux pas laisser passer. Monsieur le sénateur, si vous preniez le temps d'examiner l'ensemble des aides, vous ne pourriez pas dire ce que vous venez de dire. Actuellement, aucun dispositif n'est soumis au même appel à récupération, au même appel à la solidarité familiale.
Par ailleurs, je vous assure qu'un travail de fond est indispensable. Ce que j'ai dit tout à l'heure sur l'hébergement par exemple, nous devons en discuter avec les associations. Croyez bien que Mme Guigou est actuellement très vigilante sur ce dossier. Et ce dossier n'est pas simple ! Il fait appel à des notions extrêmement différentes.
Les associations de personnes handicapées sont prêtes à mener ce travail. Il faut y associer les conseils généraux, et il convient que l'ensemble des responsables politiques osent aborder très simplement, très franchement, sans démagogie, la totalité du dossier.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. M. le rapporteur a eu raison d'insister sur l'intérêt que présenterait l'adoption des amendements identiques des groupes de l'Union centriste et du RPR, et je remercie M. le président de la commission des affaires sociales d'avoir rappelé l'antériorité des initiatives qui ont pu être prises par des membres de notre assemblée en la matière.
Madame la secrétaire d'Etat, si nous voulons qu'une réflexion globale prenant en compte tous les aspects s'engage, nos amendements me semblent beaucoup plus complets et moins restrictifs que celui qu'a déposé M. Chabroux.
Certes, l'amendement n° 352 règle, dans un souci d'équité à l'égard des personnes âgées dépendantes, le problème immédiat de l'alignement sur les règles relatives à l'APA, mais les amendements n°s 234 et 336 font aussi référence à la nécessité d'une compensation, au profit des départements, de la perte induite par la suppression du recours sur succession.
C'est un élément essentiel auquel le Sénat est particulièrement attaché, et il me semble que le débat à l'Assemblée nationale sera beaucoup plus riche s'il part des amendements identiques de nos deux groupes plutôt que de l'amendement n° 352.
Ce faisant, je ne nie pas tous les mérites que présente cet amendement, qui va de toute façon dans le sens de ce que nous souhaitons les uns et les autres, du groupe communiste républicain et citoyen à celui des Républicains et Indépendants.
Un quasi-consensus se dessine en effet pour qu'une évolution intervienne en matière de recours sur succession et pour que, dans un second temps, une réflexion plus globale soit menée. Elle pourrait nous conduire, si telle était la volonté du législateur, à prendre des mesures qui aillent encore plus loin, pour répondre à un besoin de la société française à l'aube de ce nouveau millénaire.
M. Philippe Nogrix. Très bien !
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Seillier, rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur. En proposant de privilégier les amendements dont l'objet est plus large, la commission des affaires sociales a voulu ouvrir un champ de travail qui, inconstablement, s'impose aujourd'hui, sur le plan technique. En effet, des dispositions concernant l'APA ont été votées à l'Assemblée nationale, mais un certain nombre de mesures ne sont pas satisfaisantes. Tous les problèmes ne sont pas réglés par l'amendement n° 352, notamment en ce qui concerne les donations. Des questions restent à examiner, vous l'avez reconnu, madame le secrétaire d'Etat.
Cette approche large du problème est un signe fort que la commission des affaires sociales propose au Sénat d'adresser aux personnes handicapées : nous leur montrerons ainsi que le sort qui leur sera réservé en ce qui concerne les donations, le retour à meilleure fortune, les récupérations de toutes sortes, ne dépendra pas de ce qui aura été préalablement décidé à l'égard des personnes âgées. Leur dignité exige qu'elles soient considérées d'abord en tant que personnes handicapées, méritant, en tant que telles, un traitement spécifique, approprié, indépendamment des mesures qui peuvent être prises en faveur d'autres catégories de la population. (MM. Serge Franchis et Philippe Nogrix applaudissent.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 234 et 336, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 14 quater, et les amendements n°s 357 et 352 n'ont plus d'objet.

Article 14 quater