SEANCE DU 17 OCTOBRE 2001


M. le président. Le chapitre Ier B a été supprimé par l'Assemblée nationale.
L'amendement n° 25, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Rétablir cette division dans la rédaction suivante :
« Chapitre Ier B.
« Dispositions relatives à la délinquance des mineurs. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Cet amendement de forme tend à créer un chapitre Ier B afin d'y inclure toutes les dispositions relatives à la délinquance des mineurs.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je vais reprendre la même méthode que celle qui a été utilisée tout à l'heure, mais je suis désolé que M. Marini ne soit plus là. (Protestations sur les travées du RPR.)
Je ferai une intervention globale qui vaudra pour la vingtaine d'amendements qui seront défendus par M. le rapporteur, ce qui m'évitera d'intervenir de nouveau longuement sur chacun d'eux, d'autant que je me suis déjà beaucoup exprimé sur cette question afférente à l'ordonnance de 1945 lors de la première lecture.
L'ordonnance du 2 février 1945 a fixé pour la France, à cette date historique, un idéal fort : l'éducation des mineurs délinquants. Vous le savez, ce texte a été modifié à plusieurs reprises ces dernières années : en 1985, pour introduire une permanence éducative auprès des tribunaux ; en 1987 et 1989, pour modifier les conditions de mise en détention ; en 1993, pour introduire la mesure de réparation ; en 1995 et 1996, pour permettre un jugement plus rapide des mineurs.
Son économie générale est restée inchangée parce qu'il détermine un principe de responsabilité pénale, quel que soit l'âge du mineur. Contrairement, en effet, à de nombreux pays européens - la Grande-Bretagne et l'Allemagne, par exemple - la loi ne fixe pas en France de seuil en dessous duquel un enfant est irresponsable. C'est ainsi que des enfants de neuf à dix ans peuvent être condamnés à des mesures de réparation ou placés en foyer en cas de faits particulièrement graves.
Ce texte prévoit aussi qu'il peut être prononcé à l'égard des mineurs délinquants des condamnations pénales dès l'âge de treize ans. En 2000, 3 996 mineurs ont été détenus. Sur les neuf premiers mois de l'année 2001, ce sont déjà près de 4 000 mineurs qui ont été incarcérés.
J'ai le sentiment qu'il n'existe pas de réponse magique qui serait apportée par la loi à cette question. C'est d'abord une question pour toute la société, qui pose aussi celle de l'effectivité des réponses, notamment éducatives, apportées aux mineurs et à leur premier fait de délinquance.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Il faut davantage y répondre, d'abord par des sanctions prises le plus rapidement possible après les faits infractionnels commis, ensuite par des dispositions adaptées et individualisées. Les tribunaux doivent ainsi rendre plus effectives les mesures de surveillance et d'éducation qu'ils prononcent.
Le Gouvernement a mis en oeuvre le programme de développement des centres de placement immédiat, les CPI, et des centres éducatifs renforcés, les CER, qui ont pour objet de permettre la rupture des mineurs arrêtés avec leur environnement et qui offrent des conditions d'éducation renforcées.
Je continue de penser qu'il ne faut pas toucher à l'équilibre de l'ordonnance de 1945 et que nous devons plutôt nous attacher à porter nos efforts sur la construction de réponses éducatives appropriées, sur la meilleure façon d'aider et de responsabiliser les parents de ces mineurs en leur permettant de faire face à l'éducation de leurs enfants, plutôt que de pénaliser davantage leur inertie ou les graves errements de ces jeunes délinquants.
C'est donc pour moi une question essentielle. Sans doute aurons-nous l'occasion d'y revenir - hier, nous avons déjà eu un échange sur cette question - mais pas au travers de la modification d'un texte, laquelle sera toujours imparfaite et toujours insatisfaisante, on l'a bien vu lors des différentes modifications apportées.
C'est plus de la place de l'enfant dans la société qu'il s'agit - cela a d'ailleurs été rappelé tout à l'heure sur ces travées -, de l'autorité des parents, des règles de la vie en société, de la chaîne éducative où les parents ont leur place. Ce n'est qu'ensuite qu'intervient la chaîne pénale et moins elle sera utilisée, mieux cela vaudra ; chacun en est, je l'espère, convaincu.
Les réponses sont donc à trouver dans la société. La délinquance, je l'ai dit hier, ne naît pas de l'Etat ou de ses rouages, elle naît de la société. Cela repose la question de savoir quel type de société, quel type de communication, quel type de culture, quel type de liberté nous voulons. Vous reconnaîtrez de ce point de vue que, à l'évidence, liberté et libéralisme commandent deux approches totalement différences. Mais ce débat nous entraînerait trop loin. Je souhaite simplement vous démontrer que ce n'est pas au travers de l'ordonnance de 1945 que l'on peut régler l'immensité des problèmes qui nous sont posés lorsqu'il s'agit de mineurs délinquants, ceux qui existent aujourd'hui et ceux qui seront là demain.
Nos préoccupations doivent donc porter sur la chaîne éducative, le rôle des parents, la famille, la société elle-même, l'école, les centres culturels. Demandons-nous quelle ville il faut construire, quelles villes édifiées dans le passé doivent être reconstruites, quel type de réponses économiques et sociales nous pouvons apporter, avec nos philosophies respectives, pour traiter cette question avant que les mineurs ne deviennent des délinquants.
Par conséquent, sans vouloir être désagréable à M. le rapporteur, j'émettrai un avis défavorable, parce que je pense que l'on est hors sujet.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 25.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, je partage votre opinion et je vais donc être brève.
Je déplore d'avoir une fois de plus à regretter que l'on se saisisse de textes tels que celui dont nous discutons aujourd'hui pour tenter de s'attaquer à l'ordonnance de 1945. Certes, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous vous montrez plus subtils que certains de vos collègues de l'Assemblée nationale, qui se sont livrés à des extrémités insupportables. (Exclamations sur les travées du RPR.) Je vous fais là un compliment ! Je note d'ailleurs quelques avancées, puisque les dispositions sanctionnant les parents ont, pour la plupart, été abandonnées. C'est fort heureux, l'article 227-17 du code pénal étant suffisant pour sanctionner les parents véritablement détaillants.
Ce n'est pas en stigmatisant les parents que l'on fera reculer la délinquance des mineurs. Pour obtenir des résultats tangibles, la mobilisation de tous les acteurs est nécessaire. Je partage ce que vous avez dit, monsieur le ministre, qu'il s'agisse de la police, des parents, de l'école, de la justice, de la société.
A l'évidence, nous n'acceptons pas plus qu'en première lecture les amendements prévus dans ce chapitre. Au mieux, ils sont inutiles, car ils n'apportent rien au droit existant.
Je rappelle d'ailleurs que, contrairement à ce qui est fréquemment soutenu, il n'y a pas d'impunité pour les mineurs délinquants. Bien au contraire, le principe de la réponse systématique rend la justice des mineurs plus sévère que celle des majeurs.
Il faut se garder de l'hypocrisie : les problèmes sont réels ! Il est nécessaire de travailler sur les solutions à apporter, sur les punitions, sur la façon de protéger les enfants, comme vous le dites à tout propos. Mais, au fond, que signifie réellement cette volonté de modifier la législation concernant les mineurs ? Cela veut-il dire qu'il faut mettre des enfants en prison ? (Vives protestations sur les travées du RPR.)
Mme Nelly Olin. Personne n'a dit cela !
Mme Nicole Borvo. La législation actuelle permet de résoudre ces problèmes, mais la question des moyens se pose.
Au pire, ces amendements sont symboliquement et pratiquement lourds de conséquences. Il en est ainsi du changement de dénomination du « tribunal pour enfants » en « tribunal des mineurs ». Un tel changement marquerait bien la volonté de revoir le droit pénal des mineurs sous un angle avant tout répressif, en occultant le volet éducatif auquel renvoie le terme d'« enfant ».
Regardons-nous en face ! Souvent, nous protégeons nos propres enfants de plus en plus tard ; mais les enfants défavorisés, ceux qui sont en difficulté, ceux qui vivent dans des familles éclatées, devraient être enfants de moins en moins longtemps. Je trouve cela inacceptable !
M. Robert Bret. Tout à fait !
Mme Nicole Borvo. De la même façon, les procédures de comparution à délai rapproché et de rendez-vous judiciaire finiraient par faire perdre à la justice des mineurs sa spécificité, qui est sa force.
Pour la droite parlementaire, la question des mineurs, on le sent bien, est d'abord une question d'affichage politique. (Protestations sur les travées du RPR.)
Mme Nelly Olin. C'est scandaleux !
M. Robert Bret. C'est la réalité !
Mme Nicole Borvo. La preuve en est que votre propre proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête parlementaire sur l'ordonnance de 1945 a fait long feu, comme cela a été dit hier.
M. Jean-Jacques Hyest. Pour moi, elle n'a pas fait long feu !
Mme Nicole Borvo. Pas pour vous, mais pour certains ici : on n'en parle plus !
M. Bernard Murat. C'est lamentable !
Mme Nicole Borvo. Vous auriez pu proposer de la transformer en mission d'information ! Non, vous préférez l'enterrer purement et simplement, pour afficher qu'il faut modifier la législation dans un sens toujours plus répressif.
M. Jean-Jacques Hyest. Mais non !
Mme Nicole Borvo. Nous ne voulons pas de cela et, il faut le dire encore haut et fort : les textes suffisent !
M. Michel Caldaguès. On a bien entendu !
M. Pierre Hérisson. On s'en souviendra !
M. Bernard Murat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Ce que je viens d'entendre m'apitoie, surtout venant d'une femme. Notre rôle, disiez-vous, est de protéger nos enfants, quelles que soient leurs origines. Il est vrai qu'il s'agit plutôt des enfants de familles défavorisées, mais pas toujours : malheureusement, les familles éclatées existent dans toutes les couches de la société. Et des enfants qui sont soumis à la dictature des baby-sitters, cela existe aussi !
Je serais parfois tenté de vous dire que je suis d'accord avec vous, monsieur le ministre, mais on voit que vous ne pouvez pas aller au bout de votre propos. (M. le ministre s'exclame.)
En effet, quelles que soient les explications que nous pourrions donner s'agissant de la société libérale ou de la société libre - on peut toujours en discuter ! - je suis persuadé que nous tomberions d'accord sur bien des points, monsieur le ministre. Mais un constat a été dressé, et j'en reviens aux maires que nous sommes et aux problèmes d'aujourd'hui : l'intégration est certainement la plus grande lacune de ces vingt dernières années, tous gouvernements confondus. On s'en rend compte à présent. (M. le ministre s'exclame.) Je ne vous attaque pas, monsieur le ministre ! Simplement, les élus de ma génération constatent qu'il s'agit là de l'une des plus grandes lacunes des vingt dernières années. Aujourd'hui, nous regardons au travers du pare-brise, et non pas dans le rétroviseur.
Vous nous dites qu'il faut démolir les barres. Je suis d'accord ! Dans ma ville de Brive-la-Gaillarde, nous avons commencé à le faire, mais cette entreprise prendra dix, quinze, voire vingt ans. Or, si nous n'aidons pas les jeunes qui naissent aujourd'hui, monsieur le ministre, dans quinze ans, ce seront des délinquants.
Par conséquent, au-delà des propos démagogiques et politiques, il faudrait essayer d'apporter des réponses concrètes en sachant que, ni à droite ni à gauche, nous ne détenons la vérité, mais qu'à gauche comme à droite nous sommes tous des parents.
Mme Nelly Olin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin. Si je réagis vivement aux propos de ma collègue, c'est parce que l'enfant ne doit pas servir de chantage.
La réalité est claire : à l'heure actuelle, nous assistons à une dérive de notre société ; je vous en donne acte, monsieur le ministre, et je partage le constat que vous dressez. Toutefois, il est temps de s'interroger réellement sur les raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés là et de dégager les moyens susceptibles de remédier à cette situation. Or, ces moyens, nous ne les avons plus dans nos villes : les éducateurs sociaux, nous en manquons ; les travailleurs sociaux, nous en manquons ; les magistrats, en Val-d'Oise - ce n'est pas à vous que je l'apprendrai, monsieur le ministre, nous n'en avons pas et les policiers, nous en manquons cruellement, même si la police ne peut pas tout régler.
Dans la ville dont je suis l'élue, qui comporte des quartiers difficiles, des gamins de six ans ou huit ans ont, récemment, à vingt-trois heures, pénétré dans une école et cassé toutes les vitres. Vous reconnaîtrez quand même que ces enfants-là sont en danger ! Aujourd'hui, le seul problème important dont nous ne discutons pas, c'est la question des moyens. Tant que nous ne disposerons pas d'éducateurs sociaux, de travailleurs sociaux, de policiers, de magistrats, en nombre suffisant, nous ne ferons pas avancer les choses. Donnons-nous les moyens ! Si la situation ne s'améliore pas, nous verrons alors comment agir. Aujourd'hui, nous n'avons pas les moyens d'agir !
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n'y a pas de problème plus important et plus difficile que celui que pose à notre société la délinquance et, plus généralement, la condition de l'enfance en danger.
Je n'ai pas besoin de reprendre ce qu'a dit M. le ministre de l'intérieur : on ne peut pas dire que le législateur soit resté inactif. Gouvernement après gouvernement, majorité après majorité, le Parlement a été saisi de séries de textes modifiant l'ordonnance de 1945.
Mais on ne peut pas non plus jeter par-dessus bord un des vrais grands textes de notre droit en ce qu'il affirme, et cela n'a pas cessé d'être vrai, que l'on ne doit pas traiter la délinquance des mineurs comme celle des adultes.
Je n'ai pas besoin de rappeler à la Haute Assemblée, chacun d'entre nous le sait, que l'enfant et même l'adolescent, mais plus encore l'enfant - on a beaucoup parlé ici d'enfants de dix à quinze ans - n'est pas un adulte en réduction, c'est un être en devenir. Et c'est à partir de cette vérité, qu'il ne faut jamais perdre de vue, que l'ordonnance de 1945 a pu consacrer le principe, que nous devons conserver, de la primauté des mesures de traitement, d'éducation et de surveillance sur la répression pénale utilisée pour les adultes.
Nous sommes là dans un domaine spécifique : l'enfant est un être en devenir dont il faut prendre en considération l'évolution.
Si je dis cela, c'est parce que, chaque fois que nous nous sommes penchés sur le problème de l'ordonnance de 1945, et particulièrement dans cette maison, comme j'ai eu l'occasion de le constater, nous avons toujours pris soin, avant de venir dans l'hémicycle - le président Larché y veillait tout particulièrement - d'entendre ceux qui, sur le terrain, ont la responsabilité du traitement de la délinquance, c'est-à-dire les magistrats des enfants, les assistantes sociales et les éducateurs, mais aussi les spécialistes de l'enfance et de son évolution. Et la démarche est indispensable, mes chers collègues.
Je suis convaincu que nous sommes amenés à reconsidérer, à repenser le droit de l'éducation surveillée, le droit de l'enfance et de la jeunesse délinquante, mais que nous ne devons pas procéder à coup d'amendements jetés, ainsi, les uns après les autres, sur telle ou telle disposition. S'il est un problème que nous devons examiner profondément, c'est bien celui-là. On ne peut le prendre par petits morceaux, il faut être animé d'une pensée, d'une vision claire de ce qu'il convient de faire. Bref, le bricolage législatif est une méthode détestable.
Je rejoins tout à fait ce qui a été dit, il est de l'intérêt national d'essayer de faire en sorte que se réalise cet aggiornamento que nous souhaitons. Mais, encore une fois, les mesures ponctuelles ici évoquées, loin de nous permettre de répondre au problème, donneront peut-être le sentiment que l'on fait quelque chose, alors qu'en réalité on déséquilibre, on déstabilise la législation existante.
De surcroît, je tiens à l'ajouter, ce serait une très grande erreur et une très grande injustice que de croire que les magistrats qui ont en charge la protection de l'enfance et, malheureusement, la répression de la délinquance des jeunes, ne font rien.
Mme Nelly Olin. Je n'ai rien dit de tel !
M. Bernard Murat. Ils n'ont pas de moyens !
M. Robert Badinter. Il suffit de constater l'immense effort accompli ces dernières années pour s'en convaincre.
Je souligne, s'agissant en particulier d'un tribunal qui est vraiment exposé au problème de la délinquance juvénile et de l'enfance en danger, celui de Bobigny, que le taux de non-récidive des enfants ainsi déférés au juge des enfants est de l'ordre de 87 % : c'est dire l'importance de ce qui est accompli et l'absolue nécessité d'avancer, dans ce domaine, sans a priori ni arrière-pensées politiques. Je ne les prête d'ailleurs à personne ; j'attends simplement de voir ce que sera, à propos de chacun de ces amendements, la position prise.
Mais, je le dis clairement, la méthode adoptée n'est pas la bonne. Nous aurions dû, comme nous l'avions fait en 1995, prendre le temps des auditions, mener des réflexions en commission et ensuite seulement venir en séance publique.
Mais, aujourd'hui, on se dépêche, et il émane de tout cela un parfum d'échéance électorale qui ne coïncide pas avec la qualité requise de bonnes mesures législatives.
M. Bernard Murat. Tout à fait d'accord !
Mme Nelly Olin. Eh bien voilà !
Mme Nicole Borvo. Voilà pourquoi la formule de la mission d'information avait été proposée !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. On ne peut, bien entendu, qu'être d'accord avec toutes les bonnes paroles qui déferlent sur cette assemblée. Mais, comme à l'accoutumée, je constate, dans les propos, une déformation de la réalité de ce qui est proposé.
Personne n'a proposé de mettre à bas l'ordonnance de 1945, véritable tabou, urne magique devant laquelle chacun se prosterne, sans toujours savoir, d'ailleurs, ce qu'elle contient, mais je ne parle pas de M. Badinter qui, lui, le sait, j'imagine.
Nous savons tous que le texte initial a été en effet remanié vingt fois depuis sa conception, ce qui relativise tout de même son côté « tabou ». Et, de toute manière, pas plus que les autres fois, nous n'avons proposé de le mettre à bas. Nous considérons, en effet, que les objectifs de l'époque, qu'a opportunément rappelés M. Robert Badinter, nous animent !
Nous essayons simplement de nous rendre à l'évidence, tout en maintenant absolument les principes fondamentaux de cette ordonnance, c'est-à-dire le caractère éducatif des mesures qui sont indispensables. Mais nous ne pouvons pas ne pas constater que les enfants d'aujourd'hui ne sont, hélas !, pour certains d'entre eux, plus ceux de 1945. Nos banlieues n'en sont plus à Jeux interdits, il faut bien qu'on le comprenne. Nous essayons simplement, confrontés à ce problème, de trouver des solutions qui ne bouleversent pas la philosophie générale du système.
M'inscrivant une fois de plus en faux, je proteste contre l'accusation d'électoralisme qui nous est faite. Ainsi donc, parce que se profilent à l'horizon des échéances électorales, il ne faudrait plus se préoccuper de rien ? Autant nous mettre tous en vacances parlementaires, et nous n'aurons plus qu'à nous préoccuper de la situation des enfants dans nos communes !
M. Bernard Murat. Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Ce sera peut-être aussi bien, d'ailleurs, mais, si l'on ne peut pas légiférer sans se faire taxer d'électoralisme, alors, mes chers collègues, je me demande vraiment quelle est notre justification, sauf, peut-être, durant quelques périodes heureuses de six mois tous les cinq ou six ans...
Mme Nelly Olin et M. Bernard Murat. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Nous avions déjà exprimé, en première lecture, nos réserves sur des modifications partielles et parcellaires de l'ordonnance de 1945, réserves que je confirme aujourd'hui. Cela étant, monsieur le ministre, vous nous avez expliqué un certain nombre de choses, sur lesquelles tous nos collègues sont d'accord. Mais pourquoi, alors, devons-nous constater que, dans un département comme la Seine-et-Marne, qui ne compte tout de même que 1,2 million d'habitants, il n'y a, en permanence, que trois juges des enfants en fonction, que les services de la protection judiciaire de la jeunesse manquent cruellement de moyens et qu'un jeune qui commet un acte grave n'est pas convoqué devant le juge des enfants avant six mois ? (M. Badinter s'étonne.)
Eh oui, mon cher collègue, ce fut le cas pour un enfant de ma commune pris en flagrant délit de cambriolage en plein jour, qui plus est, par le maire. Je me suis dit qu'il fallait peut être faire quelque chose et suis donc allé voir les parents, qui ont eu l'air tout surpris. Et ce n'est qu'au bout de six mois que l'enfant à été convoqué par le juge. Pourquoi un tel délai ? Simplement parce que le juge des enfants est complètement débordé.
Mme Nelly Olin. Tout à fait ! Les magistrats manquent des moyens nécessaires.
M. Jean-Jacques Hyest. Si on l'avait convoqué dans les huit jours en le sermonnant et le sommant de réparer, je pense que nous n'en serions pas là !
C'est sans doute ce qui se fait au tribunal de Bobigny, dont le président est bien connu du public, puisqu'il est autant sur les plateaux de télévision que dans son tribunal. Je ne sais pas comment il fait, d'ailleurs. Il travaille sans doute plus de 35 heures !
Monsieur le ministre, ce que nous demandons au Gouvernement, et cela relève d'ailleurs de sa responsabilité, c'est de proposer des politiques. Faut-il attendre de grands moments historiques - nous parlons d'une ordonnance prise en 1945 - pour modifier des dispositions d'une telle importance ?
La justice des mineurs souffre de graves lacunes et n'apporte pas de réponses adaptées aux problèmes que connaissent de nombreux jeunes. Il ne s'agit pas de promouvoir des réponses répressives. D'ailleurs, lors des travaux de la commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, nous avons constaté que les courtes peines et la détention des mineurs dans les prisons étaient pires que tout. Qu'on ne vienne pas nous dire que nous n'avons pas fait ce constat. Mais il faut trouver des réponses adaptées. Aujourd'hui, il n'y en a pas, du fait du manque de moyens, du fait de l'inefficacité de certaines mesures et aussi du fait de l'absence de structures qui correspondraient aux besoins.
Voilà quelques années déjà, à nous qui prônions le placement en structures spéciales de jeunes qu'il fallait extraire temporairement de leur milieu pour les protéger des risques de délinquance, on répondait : « Vous êtes des sauvages ! » Maintenant, tout le monde l'admet. Je constate donc des évolutions. Nous demandons une vraie politique dans ce domaine.
Je voterai donc les amendements de mes collègues et de notre rapporteur pour lancer un appel au Gouvernement afin qu'il se préoccupe enfin de cette grave question. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Mes chers collègues, deux arguments pèsent indûment sur ce débat, depuis le début, arguments qui sont invoqués à chaque instant tant par le Gouvernement que par ceux qui le soutiennent.
Le premier de ces arguments - M. Badinter l'a développé avec le talent et l'autorité qui lui sont coutumiers - consiste à dire : ne nous précipitons pas, ne prenons pas de mesures ponctuelles, car les mesures ponctuelles sont des mesurettes. N'entrons pas dans la démarche qui consiste à essayer de résoudre le problème, mais préférons développer une conception d'ensemble. En somme, refaisons la société, refaisons le monde. C'est ce que vous avez dit aussi, monsieur le ministre. A quoi nous vous répondons : on ne refait pas le monde chaque matin, et ce n'est déjà pas si mal d'en refaire un petit bout tous les jours !
Monsieur le ministre, laissez-nous avancer d'un pas tous les jours, mais ne nous dites pas à chaque instant qu'il faut refaire la société, qu'il faut refaire le monde, sinon ce que l'on décide ou ce que l'on fait ne sert à rien.
Vous avez ici des élus locaux qui, tous les jours, vivent les problèmes dont nous discutons, qui, tous les jours, s'efforcent d'améliorer la situation. Ils n'attendent pas, eux, que le monde soit refait et que la société soit transformée ; ils développent leurs efforts tous les jours. C'est cela, la bonne démarche, et, refaire le monde, en langage populaire, cela ne veut jamais dire autre chose que noyer le poisson !
J'en viens à votre second argument : l'électoralisme.
Monsieur le ministre, nous discutons des textes quand on nous les présente, et nous les amendons, ce qui est notre droit. Si vous nous aviez présenté ce texte deux, trois ou quatre ans plus tôt, nous aurions formulé les mêmes propositions. Est-ce que nous vous accusons de déposer ce texte dans une période préélectorale ? Allons-nous vous accuser tout à l'heure de déposer un amendement qui permet la fouille des coffres des véhicules privés en période préélectorale, alors qu'un certain nombre de mes collègues et moi-même l'avions déjà proposé il y a plusieurs années et que vous avez toujours été contre ? Allons-nous vous accuser d'électoralisme parce que vous êtes maître du choix du moment pour déposer les projets de loi ?
Nous discutons les projets que vous nous présentez au moment que vous avez choisi. C'est la Constitution qui nous en donne le droit. Ne nous renvoyez pas à la chronologie pour nous taxer d'électoralisme ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 25, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, la division « Chapitre 1er B » et son intitulé sont rétablis dans cette rédaction.

Article 1er M