SEANCE DU 25 OCTOBRE 2001


RENFORCEMENT DES MESURES DE SÉCURITÉ
AUTOUR DES SITES SEVESO

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 37 de M. Yves Coquelle à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, sur le renforcement des mesures de sécurité autour des sites Seveso.
Cette question est ainsi libellée :
M. Yves Coquelle interroge M. le secrétaire d'Etat à l'industrie sur la volonté du Gouvernement de réexaminer les conditions de localisation de ces industries, les conditions de production, de sécurité, d'urbanisation et de réexaminer le statut des emplois concernés.
Ce débat est nécessaire pour rendre compatible l'idée de sécurité avec celle de production, d'emploi et d'urbanisation.
A Toulouse, des milliers d'entreprises, des dizaines de milliers d'habitants ont été touchés. D'importants moyens ont déjà été débloqués grâce à la solidarité nationale et à l'intervention des services publics.
Cependant, beaucoup reste à faire. Quelles dispositions M. le secrétaire d'Etat à l'industrie entend-il mettre en oeuvre pour prolonger cette mobilisation nationale pour reconstruire Toulouse ?
Comment le Gouvernement compte-t-il assurer la juste participation du groupe TotalFinaElf à cet effort gigantesque ?
La parole est à M. Coquelle, auteur de la question.
M. Yves Coquelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la déflagration meurtrière, le 21 septembre dernier, de l'unité chimique appartenant à TotalFinaElf, qui a coûté la vie à 30 personnes, en a blessé 2 500 autres, dont certaines si grièvement qu'elles resteront handicapées toute leur vie, laissera des traces indélébiles dans la mémoire collective.
Ce drame humain, qui vient s'ajouter à ceux de Seveso en 1976 - 200 personnes gravement atteintes -, Mexico en 1984 - 500 morts et 7 000 blessés -, Bhopal en 1984 - 7 000 morts - et Houston en 1990 - 40 morts -, pour ne citer que les plus importants, représente aussi un énorme coût pour la collectivité en raison de ses conséquences sur les plans économique, social et écologique.
La terrible explosion de l'usine chimique AZF, comparable à un séisme de 3,4 degrés sur l'échelle de Richter, a balayé toute une zone à la périphérie de la ville rose.
Quelque 25 000 appartements et maisons ont été dévastés, 70 écoles et une dizaine de lycées sinistrés, plusieurs hôpitaux endommagés, des bus et des voitures éventrés, des milliers de fenêtres soufflées et, sur le site industriel presque entièrement rasé, des tonnes de gravats roussis s'accumulent entre les poutres métalliques calcinées, tandis que la Garonne digère des tonnes d'hydroxyde d'amonium déversées à la hâte pour éviter, a-t-on dit, la pollution atmosphérique.
Située en pleine campagne au moment de l'implantation de l'usine au début des années vingt, cette zone de séparation entre le centre-ville et le site industriel a été progressivement appropriée, par couches successives, par les quartiers populaires : ceux de la cité d'Empalot d'abord, puis ceux des cités Papus et Bordelongue, enfin ceux des cités de Bagatelle, La Farouette, Bellefontaine et du Mirail. Sur les 25 000 appartements détruits, près de 18 000 appartiennent au parc des logements sociaux.
Face à une telle catastrophe, faut-il fermer définitivement le site AZF et délocaliser ces productions à risque, comme certains le préconisent ? Je crois qu'il nous faut aussi mesurer les conséquences que de telles délocalisations impliqueraient sur le plan économique et social. Est-ce réalisable ?
En France, sur les 1 250 sites classés Seveso, c'est-à-dire présentant un risque élevé pour la population et l'environnement en cas d'accident, plus de la moitié sont situés en zone urbanisée.
Dans ma propre région, le Nord - Pas-de-Calais, on recense 55 sites classés Seveso, mais, si l'on tient compte des estimations de la DRIRE, la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, le nombre de sites présentant de réels risques s'élève à 2 700. Ces firmes, elles aussi, sont implantées dans des zones fortement urbanisées, le long du littoral dunkerquois et calaisien ou dans l'ancien bassin minier autour de Valenciennes et de Douai.
Certes, la question du périmètre de sécurité entourant ces entreprises dangereuses est primordiale et nous devons sans doute la repenser, mais ne négligeons pas le fait que tout site industriel, par l'activité économique qu'il génère, participe au développement de l'urbanisation en attirant de la main-d'oeuvre.
Certains urbanistes nous mettent en garde en soulignant que le développement à l'américaine du type Los Angeles, où l'on sépare les activités, quartiers résidentiels avec les commerces d'un côté, parcs d'usines isolés de l'autre, crée des problèmes de ségrégation sans pouvoir forcément parer aux catastrophes.
En effet, n'oublions pas, monsieur le ministre, que lorsqu'un accident se produit sur un site industriel, ce sont les salariés qui sont les premiers concernés : sur les trente personnes qui ont perdu la vie ce 21 septembre, vingt-deux étaient des salariés d'AZF.
Les normes de sécurité de l'usine AZF étaient-elles bien respectées ? Vous avez pu comme moi, mes chers collègues, lire dans la presse les témoignages de nombreux salariés et syndicalistes d'AZF tendant à prouver le contraire.
Pour cette raison fondamentale, nous devons donc d'abord vérifier que sur tous les sites dangereux, qu'ils entrent ou non dans la classification Seveso, les normes de sécurité soient bien respectées et qu'elles évoluent en fonction des nouveaux risques technologiques et industriels.
Car, monsieur le ministre, c'est bien là que le bât blesse.
Dans de nombreuses régions, les inspecteurs de la DRIRE ont constaté la non-conformité de certains sites aux règles minimales de sécurité. L'année dernière, ces mêmes inspecteurs ont dénombré 258 infractions justifiant des sanctions administratives, tandis qu'ils dressaient 52 procès-verbaux pour des infractions devant se traduire par des condamnations pénales. Dans ma propre région, ils viennent de constater qu'aucun des trois sites de stockage d'ammonitrates classés Seveso ne respectait les normes de sécurité en vigueur.
Nous savons, par ailleurs, que les inspecteurs des DRIRE sont en sous-effectif et que, faute de moyens, leur contrôle est effectué souvent dans l'urgence et ne consiste, la plupart du temps, qu'à superviser l'ensemble des installations pour privilégier l'inspection plus minutieuse des zones les plus sensibles des sites à risques.
A titre d'exemple, à la DRIRE de Midi-Pyrénées, seuls 16,5 postes d'inspecteur sont affectés à l'examen des 2 000 entreprises soumises à autorisation, parmi lesquelles 29 sont classées Seveso. En Rhône-Alpes, ils ne sont que 60 pour plus de 3 600 établissements classés, dont 190 de type Seveso. Il devient urgent, monsieur le ministre, d'augmenter sensiblement les effectifs des DRIRE.
Mais, pour nécessaires qu'elles soient, les procédures de contrôle du type de celles qu'effectuent les DRIRE ne suffiront sans doute pas, malgré les sanctions que ces dernières peuvent infliger, à inciter les entreprises à rendre les questions de sécurité de nouveau prioritaires.
Elles ne gagneront pas non plus en efficacité si elles continuent à court-circuiter les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, en privilégiant presque systématiquement les représentants des directions d'entreprise comme interlocuteurs. L'accroissement du degré de sécurité sur les sites à risque suppose qu'une relation régulière et privilégiée s'installe entre le CHSCT et les DRIRE.
Il est bon de rappeler que les CHSCT ont été créés en 1982 par les lois Auroux. Il s'agissait, à l'époque, d'associer plus directement les salariés à la vie de leur entreprise. Ne parlait-on pas d'accroître l'exercice de la démocratie et de la citoyenneté au sein de l'entreprise et d'associer plus directement les salariés aux questions de leurs conditions de travail, questions qui concernent évidemment la sécurité ?
Or, dans les faits, les CHSCT, quand ils existent - seulement trois quarts des entreprises pouvant bénéficier de telles structures en sont réellement dotés - sont marginalisés, et leurs délégués subissent souvent des pressions de la part des directions d'entreprise : ainsi, leurs études et recommandations sont souvent négligées, et leur droit de faire procéder à une expertise face à tout situation qu'ils jugent dangereuse est souvent contesté.
Signalons à ce propos que, à la demande du CHSCT de la raffinerie de Grandpuits, dont le propriétaire n'est autre que TotalFinaElf, une expertise sur la sécurité de cette raffinerie a pu être menée. Le rapport rédigé en mars 2000 dénonce « une réelle situation dangereuse sur la raffinerie en cas d'incident majeur ».
La sous-traitance à moindre coût du système de surveillance, le mauvait état du réseau de circulation de l'eau dans les canalisations anti-incendies, la vétusté et le manque d'entretien de certains appareils sont autant de facteurs créant « une réelle situation de danger ». Selon l'expertise, cette situation est le résultat de la mise en application au début des années quatre-vingt-dix du « plan de performance et développement » de TotalFinaElf visant à accroître fortement sa marge brute d'autofinancement.
Sur le site de Grandpuits, ce plan s'est traduit par la réduction de 70 postes sur un effectif de 358 personnes, notamment des postes de pompiers, jugés insuffisamment rentables. Notons que, sur le site toulousain, l'effectif de ces derniers était passé de 25 à 3. A travers le plan de performance et développement, la sécurité et la prévention représentent des coûts qu'il faut réduire.
Dans de nombreux cas, les CHSCT ont une connaissance précise des risques et ils doivent être reconnus dans le rôle préventif qu'ils jouent. Il est nécessaire, monsieur le ministre, que leur rôle en matière de procédure d'alerte soit renforcé.
De même, il est nécessaire, face au développement de la sous-traitance, que le seuil minimal de 50 salariés soit abaissé afin que de petites sociétés, face au morcellement actuel des sites de production, puissent être dotées de CHSCT. Dans l'absolu, les inspecteurs du travail devraient exiger la création des CHSCT dans les entreprises dont l'effectif est supérieur à 50 personnes, comme ils devraient pouvoir exiger la présence d'un CHSCT sur tous les sites présentant un risque industriel majeur. Cela participerait d'une politique globale de prévention des risques d'accidents.
La politique engagée par TotalFinaElf, qui vise avant tout la réduction des coûts et qui se traduit par des réductions d'emploi, le développement de la sous-traitance et des formes précaires d'emplois, remet directement en cause la sécurité sur ses sites de production et contribue à accroître, à terme, la probabilité d'occurrence des accidents graves en raison de la dangerosité des produits manipulés dans le secteur de la pétrochimie.
Je citerai, à titre d'exemple, quelques chiffres significatifs. A la fin des années soixante-dix, le site toulousain employait près de 3 000 salariés ; ils ne sont plus, aujourd'hui, que 480 travaillant par équipes de 150 personnes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En 1999, un tiers des heures travaillées a été sous-traité. Selon la CGT, la direction du groupe aurait envisagé, en juin dernier, de réduire, pour 2002, de un million d'euros ses dépenses d'entretien et d'investissement sur le site. Cette décision aurait été jugée inacceptable par la direction locale.
Cette situation n'est pas propre au groupe TotalFinaElf. Elle est à l'image de l'évolution de tout le secteur de la chimie, secteur qui a connu, sur les vingt dernières années, des pertes d'emplois considérables au gré de la multiplication des plans sociaux. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la saignée opérée se poursuit. Ainsi, 1,5 % des emplois disparaissent chaque année.
A cela s'ajoutent toutes les pratiques d'un capitalisme sous la coupe des marchés financiers qui exigent, sur le très court terme - pour ne pas dire au jour le jour, compte tenu de l'évolution quotidienne de la valeur boursière - des taux de rendement du capital physique exorbitants.
A n'en pas douter, monsieur le ministre, exiger de la production un taux de retour sur investissement égal ou supérieur à 17 % constitue une aberration que d'aucuns devraient méditer. Asseoir le rendement réel du capital sur un rendement financier instable, car fruit de sociétés d'investissement spécialisées - les fonds de pensions, notamment - le plus souvent déconnectées des conditions réelles de production consiste à renouer avec les pratiques d'un capitalisme sans règles.
Dans les faits, cela ne peut se traduire que par une accentuation des pressions sur les coûts et l'emploi avec, comme réponse, une externalisation des coûts qui prend des formes que l'on connaît : recours à la sous-traitance, développement des formes précaires d'emploi, accroissement de la flexibilité de l'outil de production, réduction des dépenses consacrées à la formation du personnel et, plus globalement, réduction de l'ensemble des coûts fixes ; voilà autant de pratiques qui déstabilisent et fragilisent les collectifs de travail, accroissent l'intensité du travail, déstructurent la cohérence et les synergies qui pouvaient exister dans les ateliers sur un même site de production, autant de pratiques qui mettent en danger l'ensemble des sites. A cela s'ajoute la faiblesse des investissements consacrés à la politique interne de prévention et de sécurisation des installations et des équipements.
Monsieur le ministre, on ne peut nier que la politique de réduction drastique des coûts peu soucieuse des hommes et de l'environnement à laquelle se livrent depuis plus d'une vingtaine d'années les firmes industrielles contribue à accroître la probabilité des accidents. De même, on ne peut nier que le développement, à l'orée des années quatre-vingt-dix, d'un capitalisme actionnarial fasse passer au second rang les questions de sécurité.
La domination des marchés financiers et l'augmentation du pouvoir des investisseurs privés conduisent à une détérioration sensible de la sécurité sur les sites de production présentant des risques industriels et technologiques majeurs. Elle met en danger les salariés et, plus globalement, l'ensemble des populations, avec des conséquences néfastes sur le plan tant humain qu'environnemental.
Comment ne pas être d'accord avec ceux qui, ici ou là, réclament que l'on fixe des limites à la toute-puissance des marchés financiers plutôt qu'à la démocratie ? Les salariés, qui sont les premiers concernés par les questions de sécurité, doivent pouvoir intervenir de manière plus directe lorsqu'ils suspectent un risque d'accident. J'insiste sur le fait qu'il faut renforcer le rôle des CHSCT.
Permettez-moi enfin, monsieur le ministre, de soulever un point que je n'ai pas encore abordé mais qui trouve pleinement sa place dans le débat de cet après-midi : l'intermodalité des transports.
Il devient urgent de développer le fret ferroviaire et de renforcer le fret fluvial. Ce serait là l'un des plus sûrs moyens pour éviter que ce que l'on appelle communément des « Seveso roulants » ne traversent à longueur de journée des zones urbanisées.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il n'existe pas de solution unique pour renforcer la sécurité sur les sites à risque. Nous avons ainsi repéré plusieurs moyens d'y parvenir : l'amélioration des conditions de travail, qui contribue fondamentalement au renforcement de la sécurité ; l'augmentation sensible des effectifs des DRIRE - le Gouvernement, nous le savons, a décidé de faire des efforts en ce domaine - et le renforcement de leurs attributions, les DRIRE devant disposer d'un véritable contre-pouvoir ; le renforcement du rôle des CHSCT, qui est une nécessité ; une réflexion réelle sur le développement de l'intermodalité des transports assortie d'études prospectives sur les conséquences en termes d'accroissement des trafics routiers de marchandises dangereuses ; l'interdiction du stockage en grosses quantités de matières dangereuses et de produits à risque.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la catastrophe de Toulouse a été au centre de nos préoccupations ces dernières semaines : mes camarades Guy Fisher et Claude Billard se sont rendus quelques jours après le drame sur le lieu du sinistre, et nous avons rédigé une proposition de résolution - elle porte le numéro 38 - visant à la création d'une commission d'enquête sur les circonstances ayant présidé à cette catastrophe. Nous avons tenté de réfléchir objectivement à l'origine des causes de cette dernière et de suggérer certaines propositions.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour que de telles catastrophes qui mettent en danger la vie de nos concitoyens ne puissent plus jamais se reproduire ? Certes, le risque « zéro » n'existe pas, mais nous pourrions nous en rapprocher. Quelles mesures préconisez-vous pour que de tels drames humains puissent à l'avenir être évités ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 30 minutes ;
Groupe socialiste, 21 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 16 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Gélard. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Patrice Gélard. Avant de commencer mon propos, permettez-moi, monsieur le président, monsieur le ministre, de remercier mon collègue M. Thierry Foucaud, qui représente d'ailleurs le même département que moi, d'avoir accepté que nous intervertissions l'ordre de nos prises de parole.
Monsieur le ministre, je vous prie également de m'excuser de quitter l'hémicycle sans doute avant votre réponse, mais je dois rencontrer à dix-huit heures trente en Seine-Maritime une vingtaine de maires afin de débattre du problème fort important des marnières.
Mon département détient le record de la plus forte concentration en France d'entreprises à risques classées « Seveso ». Un sixième, en effet, des entreprises françaises de ce type sont implantées. Ainsi, en Haute-Normandie, 49 entreprises sont classées « Seveso », et 9 autres sont assimilées ; 57 ont été portées à la connaissance des maires et 38 ont nécessité une modification des plans d'occupation des sols. Autant vous dire que, quelques jours après les événements de Toulouse, la Seine-Maritime a été fortement secouée et s'est interrogée sur les entreprises à risques classées « Seveso ».
Le préfet de région a immédiatement pris des mesures. Les communes se sont senties tout de suite concernées, et de nombreuses réunions se sont tenues dernièrement pour faire face aux risques éventuels. Je n'insisterai pas sur le fait que, quelques jours après l'explosion intervenue à Toulouse, un grave incident s'est produit dans la région de Rouen, car je laisse à M. Foucaud le soin d'intervenir sur ce point.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de formuler quelques remarques qui me paraissent très importantes en matière d'entreprises classées « Seveso ». La première est d'ordre général : quand allons-nous transposer dans notre législation française la directive Seveso 2, puisque seule la première directive Seveso l'a été pour l'instant ?
Permettez-moi, ensuite, d'insister sur les lacunes de notre dispositif législatif actuel.
Tout d'abord, nous notons que l'information du public est insuffisante à la fois en amont des risques éventuels et en cas de déclenchement du risque.
Je regrette que très peu de communes aient profité du cadre scolaire pour informer les élèves des dangers qu'ils peuvent encourir et des réflexes qu'il faut avoir dans ces cas-là. Je citerai cependant un cas assez exceptionnel - là encore, je suis obligé de rendre hommage à votre groupe, monsieur Coquelle -, celui de la commune de Harfleur, qui a organisé une telle initiation des enfants scolarisés ; mais il est vrai que cette commune est directement menacée par ce genre de risques.
M. Jean-Pierre Raffarin. Cela fait quand même beaucoup d'hommages ! (Rires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Patrice Gélard. Je suis obligé de reconnaître ce qui est bien !
Mme Nicole Borvo. Comment faut-il le prendre ? (Sourires.)
M. Patrice Gélard. Monsieur le ministre, nous constatons que, en cas de déclenchement de risque, les méthodes d'information rapides sont inexistantes.
Ainsi, le système des sirènes est devenu si banal en France que plus personne n'attache d'attention à leur déclenchement le premier mercredi de chaque mois ! Et, si une sirène se déclenche à un autre moment, personne ne sait à quoi cela correspond et ce qu'il faut faire ! Par conséquent, peut-être faudrait-il apporter une information à cet égard et revaloriser l'usage des sirènes.
Peut-être faudrait-il aussi savoir utiliser, dans cette hypothèse, les radios locales et exiger qu'elles annoncent des informations destinées au grand public.
De même, nous ne disposons pas d'une signalétique rapide qui permettrait aux utilisateurs de la voirie publique, en cas de déclenchement d'un risque majeur, de prendre très rapidement des déviations afin de ne pas créer d'embouteillages là où les différents véhicules de sécurité - véhicules de secours et de santé publique - doivent intervenir le plus vite possible.
Le deuxième élément qui me préoccupe tient à l'insuffisance des études préalables sur les conséquences d'un risque industriel majeur.
Trop de sites industriels sont desservis par des voiries médiocres qui, en cas de catastrophe, ne permettraient pas des dégagements rapides, aboutiraient à l'embouteillage de certaines cités, rendraient extrêmement difficile l'accès des secours et risqueraient d'entraîner des contaminations d'un site à l'autre.
Prenons l'exemple de ma commune, la ville du Havre. Si un accident écologique majeur se déclenchait dans la zone industrielle, la totalité de la ville serait bloquée : on ne pourrait plus circuler. Les véhicules de secours, les pompiers, les ambulances ne pourraient plus accéder à la zone sinistrée du fait d'un embouteillage considérable, une seule voie d'accès menant du Havre à la zone industrielle.
Il me semble donc nécessaire de mettre à l'étude la réalisation d'une voirie de dégagement, ce qui pour l'essentiel, jusqu'à maintenant, n'a pas été fait.
Autre élément devant faire l'objet d'études préalables : la dispersion sur le territoire national des hélicoptères de la sécurité civile.
Un seul hélicoptère dessert la Haute-Normandie, la Basse-Normandie et la Picardie. Pour une zone à risques industriels comme la Seine-Maritime, c'est très insuffisant. Trois hélicoptères au moins devraient être disponibles en permanence.
On pourrait faire appel aux hélicoptères de la gendarmerie ou à ceux des douanes, me direz-vous. Mais, mes chers collègues, les lenteurs administratives sont telles qu'une intervention rapide, dans ce cas, serait exclue.
Devrait également faire l'objet d'une réflexion l'absence d'exercices de sécurité.
Certes, des exercices grandeur nature ne sont pas forcément à promouvoir. J'imagine la panique de la population en cas de simulation d'une catastrophe naturelle sur un site industriel. Mais les exercices d'état-major devraient se multiplier, exercices auxquels seraient associés non seulement les communes, les préfectures, mais aussi les pompiers, les gendarmes, les hôpitaux. De telles manoeuvres d'état-major, à l'instar de celles qui ont lieu dans l'armée, pourraient se révéler extrêmement utiles et permettraient d'améliorer les plans d'intervention.
Il faudra aussi reconsidérer le problème du relogement, problème auquel est confrontée Toulouse actuellement.
En fait, toute une série de petits plans devraient permettre de prévoir les conséquences des risques inhérents aux différentes entreprises. Ces plans devraient être diversifiés, dans la mesure où la nature des risques est variable. A Toulouse, ce fut l'effet de souffle qui causa les plus grands dommages ; ailleurs, ce sera un incendie ou une intoxication massive. Il faut pour chaque cas - effet de souffle, incendie, intoxication, explosion - prévoir des modalités d'intervention spécifiques.
Cette nécessité de mieux informer le public et de prévoir des plans opérationnels d'intervention rapide en amont étant posée, je vais essayer de formuler quelques propositions susceptibles d'y répondre.
Comme M. Coquelle, je pense que la délocalisation est extrêmement difficile à mettre en oeuvre. Elle ne pourra aboutir qu'après un processus très long et très coûteux. La moindre délocalisation exigera une dizaine d'années au moins.
Il faut donc travailler pour l'immédiat et trouver les moyens de faire face aux risques permanents.
Tout d'abord, évitons de multiplier les difficultés. Ainsi, en éloignant par trop les sites industriels des zones urbanisées, on risque de rendre plus difficile l'intervention des secours. Il faut également tenir compte des préoccupations des personnels desdites entreprises. Ils ne verraient peut-être pas d'un oeil très favorable l'éloignement de leur lieu de travail.
Pour ma part, je pense qu'il faut faire confiance aux personnels des entreprises à risque. Je rejoins, là encore, l'auteur de la question, qui a relevé l'erreur consistant à sous-traiter la sécurité à des entreprises extérieures. Je connais bien les personnels des entreprises à risques de ma région. Ils sont, les premiers, attachés au respect de la sécurité. Je ne suis pas persuadé que les personnels extérieurs, qui arrivent à six heures du soir et repartent à six heures du matin, aient le même sens de la sécurité que les personnels permanents, d'autant que, dans les entreprises sous-traitantes, souvent, la rotation des personnels est trop grande et leur formation insuffisante.
J'en viens, monsieur le ministre, à un point qui me paraît tout à fait important.
Contrairement à ce qui se passe en Allemagne, où toute entreprise à risques dispose d'une cellule de sécurité, nous n'avons pas en France de véritable culture industrielle de la sécurité et des risques majeurs. Sur ce point également, j'aurai quelques propositions à faire.
Il n'existe pas en France de filière de formation à la sécurité allant du lycée professionnel au niveau d'ingénieur ou du doctorat. Nous n'avons que des petits morceaux épars de formation.
Je connais certains baccalauréats professionnels qui sont tout à fait intéressants mais qui ne touchent qu'au niveau le plus élémentaire de la sécurité. Nous avons aussi des diplômes universitaires de technologie « hygiène et sécurité », auxquels je rends hommage car ils ont permis de former un grand nombre de nos officiers du corps des sapeurs-pompiers. Mais il nous manque des échelons de formation.
Nous n'avons pas une seule école d'ingénieurs spécialisée en sécurité industrielle. Nous n'avons pas un seul DESS en sécurité industrielle. Et pourtant, toute entreprise à risques devrait impérativement avoir en son sein un ingénieur de très haut niveau spécialisé en matière de sécurité industrielle et de risques majeurs. Cette formation est spéciale car elle doit englober un volet scientifique important mais aussi un volet juridique, de manière à donner à l'intéressé une connaissance parfaite des règles applicables en matière de sécurité.
L'ingénieur en question doit être l'empêcheur de tourner en rond, il doit en permanence tirer les sonnettes d'alarme, intervenir auprès de la direction générale chaque fois que la réglementation risque d'être violée, que des vies humaines sont en danger. Ces ingénieurs doivent être les mouches du coche indispensables à toutes ces entreprises.
Bref, monsieur le ministre, il serait nécessaire que soient mises en place rapidement, en liaison avec le ministère de l'éducation nationale, des formations de spécialistes en hygiène et sécurité dans les entreprises à hauts risques. Ces formations devraient s'étendre sur un cycle complet d'études, depuis le lycée professionnel jusqu'au niveau bac + 5.
Je souhaite également que soit imposé à toute entreprise le recrutement d'un ingénieur de sécurité, placé à la tête d'une équipe comprenant des pompiers propres à l'entreprise.
Je souhaite encore que soit instauré rapidement un réseau permanent reliant les entreprises à risques entre elles et celles-ci à l'administration. La plupart des préfets de région sont en train de l'ébaucher. Mais il faut aller plus loin et institutionnaliser ce réseau.
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques remarques que je voulais faire.
J'ajouterai que les populations des régions où sont implantées des usines Seveso sont des populations conscientes, responsables. Même si, bien sûr, le risque zéro est une utopie, elles souhaitent que l'Etat intervienne en amont de telle sorte que toutes les précautions soient prises et que le sentiment de responsabilité collective soit partagé par tous. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean-Pierre Raffarin. M. Gélard a raison. Il y a d'ailleurs une très bonne école de sécurité à Châtellerault !
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'aborderai un point particulier, celui de la responsabilité citoyenne.
Les directives Seveso imposent notamment aux Etats membres de prendre, autour des sites, des mesures visant à ce que la population et les travailleurs soient informés sur les risques et sur la conduite à tenir en cas d'accidents.
Cette obligation qui semble aller de soi n'est, dans la pratique, ni toujours effective ni toujours efficace.
S'agissant de l'information sur les risques, si des efforts ont été faits via divers supports - plaquettes, réunions, cédéroms, cassettes audio ou vidéo... -, il n'en demeure pas moins que ces opérations ne sont ni d'une qualité ni d'une régularité uniformes sur tous les territoires environnant les sites à risques.
Rien ne garantit d'ailleurs que, sur une même zone, l'ensemble de la population concernée ait été informé de manière uniforme ; la raison peut être imputée non seulement à l'insuffisance des moyens mis en oeuvre, mais aussi à la désinvolture de certains habitants qui ne font ni l'effort de lire un document d'information ni la démarche de se rendre à une réunion publique, pensant que les risques sont pour les autres.
Quant à la conduite à tenir, l'information et les simulations sont, là encore, déficientes autour de nombreux sites.
A la suite de l'explosion survenue à Toulouse par exemple, un nuage de gaz s'est formé au-dessus du site ; le préfet, en application des consignes des plans d'urgence, a alors demandé à la population de se cloisonner à son domicile.
Qui connaissait parfaitement les notions élémentaires d'aménagement d'un cloisonnement efficace ? D'ailleurs, pour effectuer un tel aménagement, combien d'habitations disposaient encore de vitres ? Dans l'urgence et la peur peut-on suivre à la lettre des consignes techniques données à la radio, surtout si l'on n'a jamais participé auparavant à une simulation ?
Il est primordial que la population habitant ou travaillant autour des sites dangereux soit particulièrement bien informée et entraînée aux dispositifs d'alerte.
Les campagnes d'information et les exercices de simulation doivent être fréquents, réguliers et s'effectuer avec tout le sérieux nécessaire. Est-ce le cas par exemple de l'application des plans de mise à l'abri appelés plans SESAM ou plans de secours dans un établissement scolaire face à l'accident majeur ? De tels plans existent-ils au sein des entreprises ? Et font-ils, là encore, l'objet d'exercices réguliers donnant lieu à des conclusions, tant pour améliorer les procédures que pour analyser les réactions psychologiques ? Je pense que ce n'est malheureusement pas le cas.
Combien de groupes scolaires pratiquent-ils les trois exercices d'évacuation réglementaires par an ? Combien d'immeubles de grande hauteur recevant du public procèdent-ils à un exercice d'évacuation complète une fois par an ?
S'agissant des risques liés au terrorisme ou à l'étendue que peuvent prendre certains accidents chimiques ou nucléaires, en raison notamment de la concentration des usines ou de leur proximité des villes, il me semble que, dans le cadre de l'étude des dangers mise en oeuvre en application des directives et réalisée conjointement par les exploitants de sites et les services de l'Etat, les vérifications régulières sont loin d'être faites de façon approfondie et que la formation des personnels de sécurité, surtout des remplaçants, est loin d'être contrôlée.
Au-delà du problème des sites, si l'on veut être efficace, une culture de la prévention des risques, une formation à l'acquisition de réflexes adaptés doivent être développées sur l'ensemble de notre territoire. Chaque citoyen doit être impliqué, responsabilisé et, par voie de conséquence, se sentir solidaire.
Cela suppose, compte tenu de la diversité des connaissances à acquérir et des évolutions technologiques, une formation développée tout au long de la vie. Cette formation devrait être mise en oeuvre dès l'école par l'intermédiaire d'intervenants extérieurs et par les enseignants qui auraient reçu une formation spécifique, validée dans leur cursus et régulièrement mise à jour.
Ne serait-il pas nécessaire de doubler la journée d'appel et de préparation à la défense afin de vérifier le niveau des connaissances en matière de protection civile et de sensibiliser les jeunes à la nécessité d'entretenir régulièrmeent leurs acquis ? Ne pourrait-on créer, à côté des forces armées professionnelles, une force de protection civile, également professionnalisée, qui viendrait relayer les services de premiers secours des pompiers, cette fonction étant précédemment affectée à l'armée ?
Cette formation ferait enfin, à l'âge adulte, l'objet de recyclages réguliers et concernerait tant le lieu d'habitation, où un minimum de matériel devrait être disponible pour lutter ou participer à la lutte contre un sinistre, que le lieu de travail.
Sur ce dernier point, la situation dans de nombreux établissements publics comme privés est inquiétante : insuffisance des exercices et, lorsqu'ils existent, manque de sérieux ou de régularité ; manque d'organisation et de définition des rôles en cas d'alerte, développement du laisser-aller, y compris au sein de sites à risques. Combien d'exemples pourrions-nous citer qui montrent la nécessité absolue de mobiliser et de responsabiliser les citoyens ? La préparation du diplôme de secourisme devrait aller de pair avec l'apprentissage de la conduite. Ce serait un minimum.
Dans un climat géopolitique qui oblige à orienter la réflexion vers une projection à l'extérieur de nos forces de défense et dans lequel on ne mesurait pas l'ampleur du risque terroriste dans nos pays, n'a-t-on pas négligé la sécurité intérieure ? C'est pourquoi, à l'occasion de la réorganisation de la sécurité civile, il est indispensable que chaque citoyen soit mis en capacité de réagir au mieux et dans la solidarité à tout accident ou acte de terrorisme perpétré sur notre territoire, ce qui éviterait souvent les mouvements de panique.
Cette action, l'Etat doit en prendre l'initiative et en assumer la charge.
Pourquoi ne pas créer une autorité des risques qui, d'une part, garantirait l'information et la transparence avant l'installation d'un site à risque et, d'autre part, accomplirait cette mission d'intérêt général, d'information et de coordination s'agissant de toutes les conduites à tenir en cas d'accident ? En effet, nous en sommes malheureusement restés bien souvent à la simple pancarte : « Attention danger ! »
Plus largement, une dynamique doit être engagée à l'échelon européen, en ce qui concerne tant la prévention des risques que les dispositifs de secours et de formation. En outre, la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc nous a montré combien est indispensable le renforcement de la coordination des secours de part et d'autre d'une frontière. La proximité de certains sites Seveso avec une frontière oblige à une solidarité transnationale et à des réflexes communs, que seule une formation harmonisée de l'ensemble des citoyens européens à la notion de risques ainsi qu'une réglementation européenne unifiée rendront possibles.
Monsieur le ministre, la tâche est certes vaste. Néanmoins, l'actualité et l'évolution de nos sociétés font que, pour contrer les risques industriels majeurs et réagir au mieux aux accidents graves comme aux actes de terrorisme, la responsabilisation et la formation citoyennes sont parmi les meilleurs atouts dont la France et, plus largement, l'Europe doivent se doter. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes premières paroles seront des paroles de compassion, que j'adresse, au nom de mon groupe, aux proches des victimes de la tragique catastrophe survenue à Toulouse le 21 septembre dernier, à la suite de l'explosion d'un stock de nitrate d'ammonium dans l'entrepôt de l'usine AZF. Notre sympathie va également à tous ceux de nos concitoyens qui ont été ou sont encore affectés par cet accident.
Le bilan est terrible : trente personnes décédées, plus de 2 200 blessés. Quant aux dégâts matériels, ils se chiffrent à une dizaine de milliards de francs, qu'il s'agisse de logements, d'établissements scolaires, de commerces ou de bâtiments publics.
C'est, en fait, l'accident industriel le plus grave que notre pays ait connu depuis quinze ans. Après Seveso, Bhopal, Mexico, Feyzin, Blaye - quelle énumération ! -, il nous rappelle les risques inhérents à certaines activités industrielles. Surtout, il nous impose une réflexion sur les moyens de garantir à nos concitoyens une sécurité maximale.
Dans cette perspective, notre assemblée a inscrit à l'ordre du jour de nos travaux la présente question orale. Parallèlement, l'Assemblée nationale a approuvé, à l'unanimité, le 17 octobre dernier, la création d'une commission d'enquête sur la sûreté des installations industrielles.
La représentation nationale entend donc participer pleinement au débat qui s'ouvre dans notre pays sur les risques industriels, leur encadrement législatif, les moyens de les prévenir et de les maîtriser.
Il me semble utile, pour commencer, de rappeler brièvement certaines circonstances historiques ainsi que la législation en vigueur.
La prévention des risques industriels et des pollutions est du ressort de l'Etat, qui élabore la politique de l'environnement et la met en oeuvre. Les textes en vigueur sont anciens, mais ils ne sont pas obsolètes : ils trouvent leur fondement dans la loi de 1976 sur les installations classées, dont les modalités ont d'ailleurs, ultérieurement, inspiré le droit communautaire.
Cette législation repose sur un principe simple mais drastique : les activités qui en relèvent sont énumérées dans une nomenclature les soumettant soit à un régime d'autorisation soit à un régime de déclaration. Cela signifie que le représentant de l'Etat, en l'occurrence le préfet, a connaissance des installations ainsi que des mesures de sécurité y afférentes.
L'accident survenu en 1976 à Seveso, en Italie, a entraîné une prise de conscience des autorités de tous les pays industrialisés sur ce qu'il est convenu d'appeler les « risques industriels majeurs ». Elle a incité les Etats européens à se doter d'une politique commune en matière de prévention de ces risques.
Telle est l'origine des deux directives dites « Seveso », qui fixent des seuils de risque et obligent l'exploitant à mettre en oeuvre un système de gestion ainsi qu'une organisation proportionnés aux risques de l'installation. Il doit notamment réaliser une étude de danger, présentant une analyse fine des risques et des moyens de les maîtriser lorsqu'ils surviennent.
Figurent également des mesures sur l'utilisation des sols, l'élaboration de plans de secours, le renforcement de l'information du public, l'amélioration de l'efficacité des contrôles et la prise en considération des conséquences d'un accident sur les installations voisines.
La France a transposé dans son droit interne la plus grande partie des obligations instaurées par les directives Seveso.
Le problème auquel nous sommes aujourd'hui confrontés est complexe.
Des règles de sécurité précises existent : elles sont établies en amont du processus de production ; elles visent à la responsabilisation de l'exploitant ; elles doivent être strictement contrôlées. Nous n'intervenons donc pas en terrain inconnu.
Par conséquent, il nous revient de juger de la pertinence et de l'efficacité de notre législation, et d'y apporter les modifications nécessaires afin d'assurer pleinement la sécurité de nos concitoyens.
Au-delà du choc émotionnel qu'a provoqué la catastrophe de Toulouse, le drame doit servir de révélateur.
Les résultats des enquêtes administrative et judiciaire qui sont en cours vont nous apporter des éclaircissements sur l'origine de l'explosion de Toulouse. En particulier, il nous faut comprendre pourquoi l'entrepôt de stockage de nitrate d'ammonium n'a pas été vérifié par les inspecteurs de la DRIRE, la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, et pourquoi la chaleur s'y est subitement élevée.
Au-delà, ces enquêtes soulèvent la question de l'avenir des établissements à risque. Il s'agit de « concilier la poursuite des développements économiques avec les impératifs légitimes de la sécurité des Français », comme l'a dit, à Toulouse même, le Président de la République.
A ce stade, je me permettrai seulement de suggérer quelques pistes de réflexion.
Dans l'immédiat, on pourrait engager l'inspection des sites fabriquant ou utilisant du nitrate d'ammonium et, plus généralement, renforcer les contrôles et les inspections approfondies.
Le Gouvernement a annoncé la création de 100 postes d'inspecteur des installations classées. Nous ne pouvons que soutenir cette initiative. Pour autant, nous nous posons deux questions.
D'une part, en mai 1999, Mme Voynet a présenté un plan triennal d'actions sur l'organisation et le fonctionnement de l'inspection des installations classées. Monsieur le ministre, où en est-on aujourd'hui dans la réalisation de ce plan ?
D'autre part, nombre de procès-verbaux transmis par les DRIRE à la justice seraient, nous dit-on, classés sans suite. Pourquoi ? Est-ce normal ?
Nous aurons aussi à nous interroger sur les conditions du renforcement de la prévention des risques industriels.
Comme je le disais précédemment, si la France a introduit dans le droit national la majeure partie des dispositions de la directive Seveso 2, elle ne l'a pas fait entièrement, notamment en matière de stockage souterrain de gaz et d'hydrocarbures liquides. Cette transposition nous est annoncée depuis longtemps, monsieur le ministre, puisqu'elle devait être intégrée dans le projet de loi sur le gaz. Mais nous savons tous que ce texte est devenu un véritable serpent de mer...
Voici pourtant ce que déclarait M. le secrétaire d'Etat à l'industrie en novembre 1999 : « Je proposerai au Parlement d'examiner le projet de loi de transposition avant la date limite du 10 août 2000. J'ai d'ailleurs pour cela une motivation supplémentaire : la France qui prend la présidence de l'Union européenne en juillet 2000 se doit d'être exemplaire pour le gaz. »
L'initiative, présentée hier soir, qui visait à transposer par amendement, sans débat approfondi, ces dernières dispositions de la directive ne répond pas parfaitement à nos attentes. Ce que nous souhaitons, c'est discuter globalement du texte relatif au secteur du gaz. Quand le Gouvernement l'inscrira-t-il à l'ordre du jour de nos travaux ?
Parallèlement, toujours dans le domaine de la prévention des risques, il serait possible d'améliorer la sécurité sur les sites eux-mêmes. Rappelons que la majorité des victimes de l'explosion de Toulouse, vingt-deux sur trente, se trouvaient sur le site industriel.
Cependant, on en a bien conscience, le problème majeur qu'a révélé l'accident de Toulouse, c'est la présence d'une usine dangereuse à proximité d'une agglomération. Certes, l'usine AZF, en son temps, a été construite à la campagne ; mais elle a été progressivement rattrapée par l'urbanisation. Doit-on, dès lors, déménager les sites industriels hors des villes, ce qui ne va pas non plus sans difficulté, en particulier pour le transport des matières dangereuses ? Ou bien doit-on élargir les périmètres de sécurité ?
De toute façon, il est évident que le public doit être pleinement informé et faire des exercices d'alerte réguliers, même si cela suscite toujours un sentimentd'angoisse.
Enfin, il va sans dire que le réflexion doit être menée au niveau européen : il convient de multiplier les échanges d'expériences entre les Etats membres et de s'interroger sur les améliorations à apporter à la directive Seveso.
Je dirai en conclusion que, en gardant en mémoire la douleur de la catastrophe de Toulouse, nous devons en tirer tous les enseignements, et cela le plus rapidement possible.
Plus particulièrement, il nous faut : dresser un bilan exhaustif de la politique des risques industriels telle qu'elle est mise en oeuvre depuis quinze ans ; vérifier qu'elle est correctement appliquée et contrôlée, car il ne sert à rien de renforcer les mesures de sécurité si celles qui existent ne sont pas respectées ; juger enfin si cette politique est aujourd'hui suffisante dans tous les cas.
Ce n'est qu'au terme de cette réflexion et de cet audit des textes en vigueur que nous pourrons améliorer notre législation et notre réglementation. Notre approche doit dépasser la seule « gestion du risque » pour être globale - c'est-à-dire concerner tant l'aménagement du territoire que la politique d'urbanisme ou la politique fiscale, ainsi que la formation des salariés de ces sites industriels -, afin de concilier durablement environnement et développement et de garantir la plus grande sécurité à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'il me soit permis tout d'abord de remercier notre collègue Yves Coquelle d'avoir, par sa question, suscité ce débat, mais aussi notre collègue Patrice Gélard, qui a tenu, voilà quelques instants, des propos fort aimables à l'égard du groupe communiste républicain et citoyen.
En vérité, j'aimerais que puisse se dégager un consensus sur les problèmes de sécurité dans les entreprises. Force m'est malheureusement de constater, sans insinuer que certains voudraient l'insécurité et d'autres la sécurité, que des divergences se font jour dans l'analyse des situations comme sur les solutions à définir pour que la sécurité soit assurée dans l'ensemble de l'industrie chimique française.
Je note également que certains ont, à mon avis, abordé le problème à l'envers, même s'ils sont animés des meilleures intentions.
Ainsi, l'information auprès des populations est souvent présentée comme devant constituer une préoccupation prioritaire ; j'ai pu, notamment, le constater à l'occasion de diverses réunions organisées dans mon département. Bien sûr, l'information des populations est fondamentale mais, à mes yeux, le point crucial, le problème à régler au premier chef, c'est la protection collective et la mise en sécurité des entreprises.
Et qu'on ne nous oppose pas les impératifs de production, les coûts, les bénéfices ! La vie d'un salarié, comme celle de tout être humain, vaut bien plus que tout l'or du monde !
Bien entendu, ce qui est vrai pour l'ensemble du monde du travail l'est a fortiori dans l'industrie chimique, où le risque revêt une dimension majeure.
A la suite d'une de ces réunions qui se sont tenues dans mon département, j'ai demandé à un des chefs d'entreprises présents de m'en adresser un compte rendu. Il m'a ainsi expliqué par écrit que, s'agissant de telle usine, il ne pouvait y avoir de problème pour la population, en cas d'explosion ou d'émanation de gaz toxique dans la mesure où il n'y a aucune habitation dans un large périmètre autour de l'usine. Autrement dit, dans son esprit, le risque à proscrire ne concernait que la population avoisinante, et l'exigence de sécurité collective n'englobait pas les salariés de l'entreprise. C'est dire si lui aussi prenait le problème à l'envers !
Des organisations syndicales m'ont aussi adressé des courriers. L'un, émanant de la CGT, constate des problèmes dus à un appareillage vétuste, une insuffisance, voire l'absence d'investissements tendant à améliorer la sécurité, des fermetures de bâtiments, des lincenciements, des polyvalences accrues, etc.
Dans un autre courrier, je lis ceci : « Dans un souci d'optimisation de la sécurité dans l'enceinte et vers la périphérie du site, le syndicat CFE-CGC préconise la valorisation de cette compétence sur les actions suivantes : augmenter le niveau de qualification des salariés à leur poste de travail par une formation continue et adaptée ; diminuer le recours à une polyvalence extrême, facteur de démotivation et de dysfonctionnements ; augmenter les actions de maintenance des installations existantes en se donnant les moyens humains et des moyens financiers. »
Comme notre collègue Yves Coquelle, je considère qu'il faut réexaminer la question des charges de travail et des polyvalences, surtout lorsqu'on fait appel à des personnels extérieurs temporaires qui sont moins formés que les salariés de l'entreprise, voire qui ne sont pas formés du tout.
Ne pas traiter correctement ces questions, c'est s'exposer à des dysfonctionnements et multiplier les risques.
Il me paraît aussi nécessaire d'assurer de véritables formations aux métiers de la chimie, aux métiers à risques. Les salariés concernés seront ainsi mieux armés pour participer, dans leur entreprise, au dialogue sur les situations à risques ou sur les sujets liés à l'environnement, tous sujets auxquels, je le sais, monsieur le ministre, vous êtes attaché comme nous tous, mais également comme toutes les Françaises et tous les Français.
Vous l'aurez compris, des moyens humains et financiers supplémentaires sont nécessaires pour améliorer la sécurité. Je suis de ceux qui pensent, à cet égard, que nous pouvons véritablement parvenir au « risque zéro » dans la fabrication des produits chimiques en France. Nous n'en sommes plus aux thèses patronales des années soixante-dix, lorsque les dirigeants d'entreprise jugeaient trop onéreuses les recherches menées sur les process de fabrication : de telles thèses ont conduit les industriels à importer des produits d'Asie ou de Corée, d'une manière qui semble douteuse quand on sait comment sont fabriqués ces produits et dans quelles conditions les salariés de ces pays, qui ne sont quasiment pas payés, travaillent.
Si, pour les entreprises, la question de la sécurité est uniquement envisagée en termes de coûts, nous n'y arriverons pas ! Les dépenses d'investissement pour la sécurité et l'environnement sont réelles, mais elles demeurent insignifiantes pour un secteur industriel qui dispose de moyens importants et qui a un retard certain à rattraper en matière de risques.
J'ai récemment eu l'occasion de l'expliquer à un chef d'entreprise : dans ma ville, deux réservoirs sphériques faisaient peur à toute la population, bien qu'ils soient vides depuis dix ans, parce qu'ils avaient contenu de l'ammoniaque. Ce dirigeant m'a alors répondu : « Monsieur le maire, vous le savez, pour enlever chaque réservoir, cela va coûter un million de francs. » Cette usine appartenant au groupe Elf Atochem, je me suis interrogé : ce groupe doit bien pouvoir consacrer deux millions de francs pour supprimer ces réservoirs qui dénaturent le paysage, qui font peur à la population !
Mais je tiens également à vous sensibiliser, monsieur le ministre, à la problématique de la formation. Ainsi, notre collègue M. Gélard a rappelé tout à l'heure que nous étions la première des régions de France à être classée « Seveso 2 ». Or, dans notre département, il n'y a aucune école digne de ce nom pour former des jeunes aux métiers de l'environnement, aux métiers du risque. Il me paraît donc nécessaire de développer de telles formations.
De plus, on ne peut que s'interroger lorsqu'on sait que, en 2001, certaines usines de stockage ne possèdent pas le moindre capteur ou la moindre sonde. C'est inacceptable, c'est intolérable, c'est inexplicable. En effet, vous le savez, si vous voulez monter la température de votre four à 200 degrés, vous réglez votre capteur à ce niveau et votre sécurité est assurée. En revanche, sans capteur, la température peut monter à 250 degrés !
Cela étant, se pose également la question de l'implantation des casernes de pompiers. Je tiens, à cet égard, à rendre hommage aux pompiers et à toutes celles et à tous ceux qui, à Toulouse, ont aidé les populations à faire face à la situation. Mais il me semble nécessaire de multiplier les casernes de pompiers spécialisés dans les secteurs à risques. Ainsi, j'habite la rive sud de l'agglomération de Rouen - que vous avez visitée récemment, monsieur le ministre, lorsque vous vous êtes rendu à l'usine AZF de Grand-Quevilly - zone où sont regroupés 100 000 habitants. Or, aux alentours de la forêt du Rouvray, où des installations chimiques sont implantées, aucune caserne n'existe. Les pompiers seraient pourtant à trois minutes du site AZF de Grand-Quevilly, à quatre minutes de Petit-Couronne et de Grand-Couronne, où sont implantées des usines à risques, et à quelques minutes d'Oissel ou de Petit-Quevilly.
Avant de chercher à atteindre le risque zéro, il me paraît nécessaire de mettre en place de telles structures, car ce ne sont pas les pompiers de Rouen ou d'Elbeuf qui pourront faire face - même si l'on satisfait leurs demandes en matière d'augmentation d'effectifs - à tous les problèmes de l'agglomération rouennaise.
Je pense également aux hôpitaux et au secteur de la santé : là aussi, nous avons souvent l'occasion de dénoncer la faiblesse des crédits et le manque de personnel. Ainsi, il n'y a pas de service de grands brûlés digne de ce nom à Rouen, alors que la Seine-Maritime est le premier département en matière de sites « Seveso 2 » en France, et nous devons envoyer les grands brûlés à Paris par hélicoptère.
Se pose également la problématique de l'information en direction des populations : jusqu'alors des brochures étaient distribuées dans les boîtes aux lettres ; mais ce n'est pas suffisant, on l'a bien vu avec l'exemple de Toulouse ! Ainsi, alors que tout est axé sur le confinement, en cas d'explosion, on ne peut rien faire parce que les fenêtres ont volé en éclats.
Il faut mener, à cet égard, un véritable débat démocratique, un peu comme ceux que nous animons au cours de nos campagnes électorales, quand nous allons chez les gens pour expliquer notre façon de voir les choses.
Se pose aussi la question de l'urbanisation dans des villes qui, après la catastrophe de Toulouse, vont être confrontées à un certain nombre de problématiques de type économique et social : devra-t-on geler certaines zones industrielles ? Je suis maire d'une ville où une telle situation se présente, mais je parle aussi ici au nom de toutes les municipalités où le développement économique et social risque d'être stoppé. Quels moyens seront attribués à ces villes qui sont aujourd'hui fortement pénalisées ?
Permettez-moi, enfin, un dernier mot concernant le plan Vigipirate. Peut-être faudra-t-il le renforcer sur les sites à risques ? En effet, dans le département de la Seine-Maritime, les infrastructures ne sont pas adaptées, ce qui peut poser des problèmes en cas de crise.
Telles sont les quelques propositions que je voulais présenter dans ce débat, au nom du groupe communiste républicain et citoyen (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus d'un mois après l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, le 21 septembre dernier, chacun a encore à l'esprit les images de désolation qu'elle a suscitées.
Les conséquences de cet accident ont été terribles : trente morts, 25 000 logements endommagés, de nombreuses familles sans toit, des établissements scolaires et un hôpital détruits, des entreprises sinistrées, des salariés, notamment ceux de la plate-forme chimique, inquiets pour leur avenir professionnel, des dégâts chiffrés à 8 milliards de francs ; bref, une ville - Toulouse - et toute son agglomération profondément meurtries, et pour cause : l'explosion, ressentie jusqu'à trente kilomètres à la ronde, a été équivalente à un tremblement de terre de magnitude 3,2 sur l'échelle de Richter.
Fort heureusement, le Gouvernement et l'Etat ont réagi très vite : dès le 28 septembre, le Gouvernement a mobilisé 1,5 milliard de francs. La solidarité nationale a pleinement joué.
Toutefois, au-delà de cette nécessaire réaction pour répondre à l'urgence de la situation et aider les Toulousains à panser leurs plaies, il faut maintenant tirer les conséquences de cette catastrophe.
L'histoire nous montre, malheureusement, qu'il a toujours fallu que surviennent des catastrophes industrielles pour, d'une part, prendre conscience des limites et des défaillances de notre système de protection et de prévention du risque industriel, et, d'autre part, procéder à son renforcement et à son extension. On se souvient que c'est bien le traumatisme causé par un rejet de dioxine sur la commune italienne de Seveso, en juillet 1976, qui a conduit à l'adoption de la directive « Seveso 1 ».
Je souhaiterais donc que, à l'avenir, on n'attende pas une catastrophe pour agir : nous aurions tout intérêt à mieux intégrer dans notre politique de gestion des risques industriels la culture du retour d'expérience et de la veille systématique.
Cela suppose de traiter la question de l'expertise, de la contre-expertise, du contrôle, de la constitution des bases de données, du traitement de ces informations ainsi que de leur diffusion.
Une réflexion s'impose donc. Le Premier ministre l'a souhaitée, et c'est une bonne chose.
Cette réflexion doit prendre la forme d'un débat national et régional, et je souhaite qu'il soit mené sans tabou, qu'il associe bien tous les acteurs concernés : élus, industriels, experts, organisations syndicales, scientifiques, associations, services de l'Etat.
Pour ma part, je souhaite insister sur un certain nombre de points.
Tout d'abord, pour prévenir de nouvelles catastrophes, un réexamen site par site des dispositifs de sécurité actuellement en vigueur s'impose, en liaison avec les comités d'hygiène et de sécurité. Je rappelle ainsi que, sur les trente personnes tuées à Toulouse, vingt-deux étaient présentes sur le site. Les salariés de ces entreprises doivent être mieux associés au processus de prévention.
Il est également important que des exercices de protection grandeur nature soient mis en oeuvre, afin de garantir la bonne application des règles en cas d'accidents graves.
Il faut par ailleurs renforcer les règles de sécurité et leurs contrôles, mener des inspections plus approfondies en y consacrant davantage de moyens.
Le système de contrôle des installations dangereuses n'est pas à la hauteur de la gravité des pollutions et des risques, a déclaré le directeur de la prévention des pollutions et des risques du ministère de l'environnement. Le contrôle de la réglementation des installations classées est de la compétence de ce ministère.
Les inspecteurs des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, les DRIRE, sont chargés de ce contrôle. Ils sont actuellement 869 pour quelque 65 000 installations soumises à autorisation. C'est peu.
Je connais les importants efforts de recrutement consentis ces dernières années par le Gouvernement pour remédier à cette situation.
Le projet de budget pour 2002 prévoit de créer soixante-trois emplois pour l'inspection des installations classées, et M. le Premier ministre a annoncé la création de cent postes supplémentaires. Il faut poursuivre dans cette voie.
Il me paraît nécessaire également de revoir la législation sur l'urbanisation autour des sites à risques, des sites existants et en projet. Il faut traiter la question des implantations situées en zone urbaine.
M. le Premier ministre a annoncé la création d'un nouveau document, le plan de prévention des risques technologiques, pour mieux maîtriser l'urbanisation autour des sites industriels sensibles. J'aimerais avoir de plus amples informations à ce sujet.
La question de la définition des périmètres de sécurité autour des installations existantes se pose avec acuité.
Doit-on aller jusqu'à imposer la fermeture ou la délocalisation des sites dangereux ? Cette décision soulèverait d'autres difficultés : le déplacement créerait de nouveaux risques, liés au transport de matières dangereuses, et les industriels pourraient être tentés d'exporter ces usines à risques vers les pays du tiers monde, ce qui serait inacceptable.
La question se révèle complexe aussi, pour l'implantation des sites à venir.
On ne peut renoncer à certaines activités, l'industrie chimique par exemple, qui sont nécessaires à notre développement économique et pourvoyeuses d'emplois. Parallèlement, nous avons l'obligation d'assurer un niveau de sécurité maximale. Désormais, nous devons penser l'implantation de tels sites au regard du principe du développement durable qui est au coeur de notre politique d'aménagement du territoire.
S'agissant des règles d'urbanisme, je fais un aparté sur ce qui s'est passé dans l'hémicycle lors de l'examen du projet de loi relatif à la sécurité dans les transports. Hier, la droite sénatoriale a refusé l'amendement du Gouvernement visant à transposer dans notre droit les dispositions législatives de la directive « Seveso 2 » permettant d'imposer des servitudes d'urbanisation aux abords de sites souterrains de stockage de pétrole et de gaz. Je ne comprends pas ce refus. Cette disposition concerne pourtant la sécurité de la population.
Dans un autre domaine, il est nécessaire de renforcer les dispositifs d'information et d'association des salariés et de la population en général.
C'est un point important. Le Premier ministre l'a affirmé : « L'information sur les risques est un droit que nous devons garantir. » Mon collègue Serge Lagauche a tracé tout à l'heure quelques perspectives à cet égard.
Enfin, j'insisterai sur la nécessité de traiter la question des risques industriels majeurs pas uniquement dans le cadre franco-français. Une approche au moins à l'échelon européen s'impose. Les accidents industriels majeurs peuvent avoir des conséquences au-delà des frontières nationales, l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl est là pour nous le rappeler.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous avons aujourd'hui montre la complexité de la question de la prévention des risques industriels majeurs. Il est impératif d'y apporter des réponses. Notre objectif est non pas le risque zéro - il n'existe pas - mais d'y tendre.
La prévention, le contrôle, la transparence, l'information et le dialogue sont, à mes yeux, les principes directeurs des réformes qui seront initiées dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, les installations Seveso, ce ne sont pas seulement des usines qui explosent, qui fuient ou dont les matières se répandent par accident dans les transports associés. Il faudrait d'ailleurs un plan Seveso-mobile pour les transports à risques.
Les accidents Seveso, ce ne sont pas seulement des morts brutales, des chairs déchirées ou des quartiers détruits, c'est aussi la mort lente, comme dans certains quartiers du Nord-Pas-de-Calais, qui compte cinquante-cinq sites Seveso. C'est encore une contamination toxique, quotidienne depuis des décennies, de l'air, de l'eau, des sols, autour des sites classés.
Comme à Toulouse, les premières victimes sont les plus modestes : ceux dont les bronches s'encrassent de poussières toxiques, ceux qui ont un petit jardin sous les cheminées, ceux dont les enfants ont de graves plombémies.
Chez nous, les sels de métaux lourds et les radicaux cycliques des sites Seveso, on en respire, on en mange, on en meurt doucement. Chez nous, l'espérance de vie des hommes est inférieure de trois ans à la moyenne française.
Par ailleurs, le dragage traditionnel des canaux, afin de faciliter la navigation des péniches, se heurte aujourd'hui à l'impossibilité d'épandre les boues, tant elles sont toxiques.
Autour de Métaleurop, un périmètre d'intérêt général délimite la zone de trois communes où il y a plus de 500 parties par million de plomb assimilable, soit cinq fois plus que la norme admise ! Les installations Seveso, c'est aussi l'empoisonnement à doses quotidiennes.
Monsieur le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, c'est un plaisir de vous voir, mais j'aurais aussi aimé parler à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, notament des DRIRE.
Les DRIRE n'ont ni les moyens, ni l'indépendance, ni la volonté de savoir l'inacceptable, de dire ce qu'elles savent et d'en tirer les conclusions.
Les effectifs sont ridicules. La formation comme les missions mélangent les genres. Assis sur les bancs des mêmes promotions, nourris aux mêmes enseignements productivistes, dépendant du même ministère de l'industrie, pollueurs et contrôleurs ont, hélas ! la même culture.
Savez-vous que, en 1993, la DRIRE de la région Nord - Pas-de-Calais, sur fonds publics, éditait un lourd fascicule bien documenté destiné aux entreprises et dont le thème était : « Comment se prémunir des contestations écologistes ? » Le contenu indécent de ce dossier relevait non pas du principe de précaution, mais de l'initiation à la manipulation !
Savez-vous que, chez nous, les nouvelles routes servent parfois autant à la circulation qu'à l'enfouissement illégal des déchets chimiques de classe 1 ? Alors, bien sûr, les arbres paysagers ne poussent plus sur les talus et les fossés deviennent étrangement jaune de chrome !
Dans une école publique d'ingénieurs de travaux publics, un intervenant zélé enseignait même les clefs de l'économie d'un chantier : au lieu d'acheter des gravières coûteuses et protégées, il vaut mieux avoir un accord tacite avec une décharge privée de classe 1, pour l'alléger de ces dépôts encombrants et alimenter gratuitement les remblais des infrastructures !
Cela suffit ! Nous voulons des DRIRE efficaces, des contrôles indépendants, transparents, des sanctions et des mises aux normes incontournables.
L'unanimité s'est dégagée sur ces travées au sujet du renforcement des effectifs des DRIRE ; j'espère que nous retrouverons cette même unanimité lors de la discussion budgétaire !
Ne nous voilons pas la face, la proximité des sites à risques et des habitations à Toulouse, à Dunkerque ou dans le couloir rhodanien repose sur un consensus de fait entre le monde industriel et les décideurs publics, économiques comme politiques, entre les employeurs, les employés et les résidents, contraints et forcés, les uns, par le chantage au chômage, les autres, par l'obligation de loyers modestes. C'est d'ailleurs eux qui, aujourd'hui, souffrent le plus, puisqu'ils n'ont pas un sou pour colmater une fenêtre, se reloger, déménager le peu qui reste.
Si ce consensus de fait n'avait pas existé à Toulouse, les écologistes auraient été un peu moins seuls il y a quelques années !
Ils auraient été moins seuls, voilà trois ans, pour refuser le schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme, un SDAU qui faisait la part belle à l'extension du pôle chimique in situ , pour dénoncer le survol d'AZF par tous les avions à l'atterrissage, pour initier l'opposition à un nouveau lycée hôtelier sur le coteau qui surplombe le site, pour manifester contre la présence voisine de poudres, de phosgène, d'hydrogène qui, heureusement, n'ont pas explosé.
La brutalité et la violence du drame de Toulouse ont fait voler en éclats ce consensus. Tant mieux ! Mais poser le problème en termes de sécurité accrue ou de délocalisation ne suffit pas, et les campagnes ne sont pas les poubelles des urbains.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour dire à vos collègues qu'il n'est plus possible de poursuivre dans cette voie où, d'une main, on pollue, on prend des risques graves et, de l'autre, on répare, on réfléchit quand vient l'accident. Il faut, ensemble, remettre à plat les logiques d'implantation de ces rives à risques.
Hier, trois questions suffisaient pour cautionner une installation : est-ce qu'on sait techniquement le faire ? Est-ce qu'on a l'argent pour lancer l'opération ? Est-ce que ça se vend avec profit ?
Demain, d'autres questions s'imposeront : à quoi cela sert-il ? A qui cela sert-il ? Est-il de l'intérêt général de le faire ?
Vous n'ignorez pas, par exemple, que les unités de nitrates d'ammonium, productrices aujourd'hui d'engrais, n'étaient destinées, au départ, après 1945, qu'à conserver à la France sa capacité de production d'explosifs ! Dans le même ordre d'idée, les pesticides peuvent se muter en quelques semaines en ingrédients de base d'une guerre chimique.
Pour l'instant, c'est l'agriculture de basse qualité qui consomme ces produits, aux dépens de ce que nous trouvons dans nos assiettes, de notre eau potable et de l'emploi des vrais paysans.
Poser les vraies questions, ce n'est pas seulement chercher où déplacer ces unités dangereuses, c'est se demander si elles sont utiles.
Ce problème dépasse nos frontières, car il est hors de question de faire produire au Sud ce qui nous effraierait ici.
Souvenons-nous des ouvriers brûlés, aveuglés de Bhopal, qui produisaient simplement notre temik, le pesticide des betteraves.
A Doha, veillons que la France ait une parole de développement durable, par exemple sur la libéralisation du volet textile. Je n'imagine pas que l'on permette l'importation de tissus teints au benzidine, substance hautement cancérigène. Ce procédé est en effet interdit en France, même en site Seveso.
L'attente citoyenne est très forte. C'est le rôle du politique de lui apporter de grandes réponses et non des aménagements « cosmétiques ». (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Monsieur le ministre, je voudrais saluer votre première intervention devant le Sénat et vous souhaiter, en notre nom à tous, une cordiale bienvenue.
Dans l'exercice de vos fonctions, vous saurez, je l'espère, apprécier les vertus du bicamérisme. Pour l'heure, je puis vous assurer de notre tradition de dialogue républicain avec le Gouvernement.
Je vous donne la parole, monsieur le ministre.
M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie beaucoup pour votre accueil. C'est en effet la première fois que j'ai le plaisir et l'honneur de participer à l'un de vos débats. J'espère, bien entendu, que ce ne sera pas la dernière.
Dans vos interventions, vous avez évoqué de nombreuses questions et suggéré de nombreuses solutions.
Nombre de vos remarques ont concerné non seulement l'explosion de Toulouse et ses conséquences, mais aussi le risque industriel de manière générale. Je vais essayer de vous apporter quelques éléments de réponse.
Le drame survenu à Toulouse, survenu le 21 septembre 2001, est la plus grave catastrophe industrielle sur le sol européen depuis cinquante ans. Comme vous, mes premières pensées vont aux victimes de l'explosion et à leurs familles.
Permettez-moi de rappeler le chaleureux soutien du Gouvernement à nos concitoyens qui ont connu, ou qui connaissent encore aujourd'hui, des situations de détresse. Devant un tel drame, l'Etat n'a pas ménagé ses efforts, que ce soit en mobilisant ses personnels sur le terrain ou en prenant rapidement les décisions nécessaires à l'indemnisation des victimes et à la réparation des dommages. Dès le 28 septembre, soit une semaine après la catastrophe, M. le Premier ministre annonçait à la préfecture de Toulouse un plan d'actions - appelons-le le plan Jospin -, dont le volet financier est estimé à 230 millions d'euros, et qui constitue un signe extrêmement fort de l'engagement de l'Etat en faveur des victimes de l'explosion. Je ne reviendrai pas sur les détails de ce plan, vous les connaissez, qui a évidemment pour objet de gérer, dans l'urgence, une situation de crise qui n'est pas finie : reloger, soigner les personnes, rouvrir les groupes scolaires, réparer les habitations, etc.
J'attends du groupe TotalFinaElf qu'il assume pleinement ses responsabilités dans la gestion des conséquences de l'explosion, aussi bien en dégageant les moyens nécessaires à la mise en sécurité définitive du site qu'en indemnisant rapidement les victimes de l'explosion, car, jusqu'à plus amples informations, la responsabilité civile de ce groupe, en tant qu'exploitant et propriétaire du site, est complète.
Aujourd'hui, les circonstances exactes de la catastrophe ne sont pas encore connues. L'enquête judiciaire se poursuit. Le procureur de la République a mobilisé des moyens importants pour arriver à un résultat que nous espérons rapide, mais une enquête judiciaire dure toujours plusieurs mois.
L'inspection générale de l'environnement, l'IGE - c'est-à-dire nos services -, qui est également sur place depuis le début, va me remettre le rapport de la mission que j'ai diligentée dès le lendemain de l'explosion, et ce dans les premiers jours de la semaine prochaine. Ce rapport établira un bilan précis des conditions administratives de fonctionnement de l'usine AZF, des contrôles qui ont été effectués par l'inspection des installations classées et des conditions d'urbanisation autour du site ; il fera également le ainsi qu'un point sur les connaissances, assez bonnes d'ailleurs, que nous avons sur le nitrate d'ammonium. Reste à déterminer la cause de l'explosion, le processus physico-chimique exact qui en est à l'origine. Pour l'instant, que ce soit du côté de TotalFinaElf, de l'institution judiciaire ou de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'INERIS, qui est notre « bras » d'évaluation, d'expertise, de recherche et de contrôle, on se pose toujours des questions. En effet, si plusieurs hypothèses sont encore valides, aucune ne peut être actuellement validée définitivement. Nous attendons par conséquent de tous ces travaux des conclusions plus éclairantes. Dès les prochains jours, je proposerai des investigations complémentaires à mener à l'IGE et des expertises complémentaires à engager par l'INERIS. Je réponds là à une question posée, entre autres, par M. Coquelle.
Je dirai quelques mots sur le devenir de la plate-forme chimique de Toulouse. Dès que je me suis rendu sur place, le 21 septembre, comme l'ont fait d'ailleurs le Président de la République, le Premier ministre et d'autres ministres, j'ai pensé qu'il n'était pas raisonnable d'envisager la reconstruction de l'usine AZF sur le lieu même de l'explosion, et je n'ai pas changé d'avis aujourd'hui.
Evidemment, la situation est beaucoup plus complexe pour les sites voisins - notamment ceux de la Société nationale des poudres et explosifs, la SNPE, qui compte trois usines, et de Tolochimie rachetée par la SNPE - dont l'activité est bien sûr actuellement suspendue. Les produits les plus dangereux sont en cours d'évacuation.
Si un redémarrage de l'ensemble ou de certaines des installations devait être envisagé, il ne pourrait se faire, en toute hypothèse, qu'après les conclusions des différentes enquêtes et un examen très précis et détaillé des conséquences de l'énorme souffle de l'explosion sur la sécurité des installations. Nous avons chargé non seulement l'exploitant lui-même, la SNPE, entreprise sous tutelle de l'Etat, mais aussi le laboratoire TNO, l'équivalent néerlandais de l'INERIS en France, de faire une expertise complémentaire en toute indépendance, sur ces questions de sécurisation de l'ensemble des usines du site.
Aucune décision définitive ne sera prise sans que l'ensemble des parties intéressées aient été consultées, ce que nous n'avons pas encore pu faire à ce jour.
Les populations riveraines ont aussi leur mot à dire sur cette question. Des manifestations ont eu lieu, des propositions ont été formulées aussi bien par ces populations que par les associations, ainsi que par les conseillers municipaux, le maire de Toulouse lui-même et les plus hautes instances de l'Etat. Toutes ces réflexions doivent être prises en compte et croyez bien que le Premier ministre est tout à fait conscient de la nécessité de trancher dans un sens ou dans l'autre.
Les populations les plus directement touchées sont avant tout, comme l'ont souligné les deux représentants du groupe communiste républicain et citoyen, les personnels de ces établissements, concernés au premier chef par les conditions de sécurité. N'oublions pas qu'ils ont été les premières victimes et qu'ils ont payé le plus lourd tribut lors de l'explosion du 21 septembre dernier.
De même qu'il y a eu un « après Feyzin » en 1966, il y aura un « après Toulouse ». Ceux de nos concitoyens qui vivaient jusqu'à maintenant sans trop le savoir, pourrait-on dire, à proximité de substances dangereuses susceptibles, en quelques secondes, de provoquer des dizaines de morts et des milliers de blessés, ont pris conscience du problème et s'interrogent désormais, quand ils ne ressentent pas cette présence comme étant insupportable, sentiments qui sont tout à fait légitimes.
Se pose inévitablement la question des actions menées tant par les entreprises que par les pouvoirs publics pour maîtriser le risque industriel et augmenter la sécurité. Comment en établir le bilan ?
Les activités humaines créent des risques technologiques industriels, nucléaires, biologiques, des risques de rupture de barrage et de transport de matières dangereuses. Plusieurs d'entre vous, dont Mme Blandin, les ont évoqués. Selon la nature de l'activité et des produits utilisés, les principaux risques industriels sont l'explosion, l'incendie et la dissémination de produits toxiques dans l'environnement. Selon qu'ils engendrent de simples dégâts matériels ou qu'ils provoquent des blessures plus ou moins graves, voire la mort de personnes, qu'ils ne touchent que les salariés de l'entreprise concernée ou les riverains du site - ce qui a été le cas de l'usine Grande Paroisse à Toulouse, ces risques industriels ont des conséquences plus ou moins dramatiques.
On s'est ainsi interrogé, pendant les premières heures qui ont suivi l'explosion, sur la toxicité du nuage qui s'est élevé au-dessus du site, les silos de nitrate d'ammonium dégageant forcément des oxydes d'azote, un peu comme les véhicules à moteur thermique engendrent une pollution atmosphérique quand la circulation est trop importante ! Ce nuage avait d'ailleurs cette couleur légèrement orangée qui flotte en pareil cas au-dessus de l'agglomération parisienne.
Le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement est responsable de la mise en oeuvre des politiques de l'Etat dans l'un de ses plus anciens domaines ; la prévention des risques industriels. On croit que l'environnement ou l'aménagement du territoire, c'est uniquement la nature, le cadre biophysique ; non, nous sommes responsables en matière de risques industriels. Nous travaillons, bien sûr, en concertation avec Mme Lienemann, M. Pierret et l'ensemble des membres du Gouvernement, mais cette responsabilité est la nôtre.
Le code de l'environnement, au travers de la législation sur les installations classées, est la base juridique de la politique de l'environnement industriel en France. Comme vous le savez, cette législation soumet, selon une approche intégrée, soit à autorisation préfectorale les activités qui présentent des risques importants pour l'environnement, la sécurité et la santé des personnes, soit à déclaration les activités qui présentent des risques moindres. La réglementation des installations classées concerne aujourd'hui 500 000 installations soumises à déclaration et 65 000 installations soumises à autorisation.
Madame Blandin, ce contrôle du respect des règles incombe à l'inspection des installations classées. Actuellement, en équivalents temps plein, 869 inspecteurs travaillant dans les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, les DRIRE, assurent la mise en oeuvre de cette législation ; 230 autres inspecteurs font le même travail dans les services vétérinaires. L'annonce, le 28 septembre dernier par le Premier ministre de la création de cent postes supplémentaires d'inspecteurs en 2002 venant s'ajouter aux cinquante postes déjà décidés antérieurement me semble constituer un premier pas vers le doublement nécessaire de ces effectifs. Mais vous connaissez les difficultés budgétaires et, dans une certaine mesure, économiques de notre pays ; les conditions ne sont pas celles qui prévalaient voilà encore deux ans. L'effort consenti est donc tout à fait remarquable, et je remercie le Premier ministre de cet arbitrage.
Selon vous, madame Blandin, on constate parfois des connivences, notamment sur le plan de la formation, et ce sont un peu les mêmes personnes qui travaillent dans l'industrie et dans les DRIRE en tant qu'inspecteurs. La formation est bonne, en effet : il s'agit parfois d'ingénieurs des mines, que vous connaissez particulièrement bien dans ce Pas-de-Calais cher à votre coeur. Cependant, contrairement à vous, je crois qu'il ne faut pas généraliser. Votre propos était peut-être ponctuel ; il est possible aussi qu'il existe des exemples allant dans votre sens, je veux bien le croire, mais je défends nos inspecteurs, qui font un travail difficile.
Savez-vous à cet égard que, à Toulouse, eux-mêmes ont subi un traumatisme à la suite de l'explosion ? En effet, la DRIRE a été soufflée par celle-ci, et certains inspecteurs ont été touchés et même blessés. De plus, ils se sont demandés s'ils avaient bien fait leur travail et s'ils avaient été suffisamment rigoureux dans leur mission, puisque, le 17 mai 2001, une inspection avait été effectuée sur le site de l'usine AZF.
A la suite de cette inspection, on a eu le compte rendu de l'inspecteur, on a mis en demeure AZF de régulariser une partie de ces études de danger qui n'étaient pas finies. Ces gens-là font un excellent travail. Que, de temps en temps, un perfectionnement soit nécessaire, je veux bien l'admettre, mais il ne faut pas généraliser et montrer du doigt les inspecteurs des DRIRE qui actuellement souffrent et se rendent bien compte des responsabilités qui sont les leurs.
L'accident de Seveso en Italie, le 10 juillet 1976, a entraîné une première prise de conscience des autorités des pays industrialisés sur le risque technologique majeur. Le 24 juin 1982 était ainsi adoptée une directive européenne plus connue sous le nom de directive Seveso. Elle est transposée en droit français au travers de la législation sur les installations classées.
Depuis le 3 février 1999, elle est remplacée par la directive du 9 décembre 1996, dite Seveso 2, avec un champ d'application simplifié et étendu. Elle reprend les exigences de sécurité de la directive de 1982 et renforce les dispositions relatives à la prévention des accidents majeurs. Elle met en particulier l'accent sur les dispositions de nature organisationnelle que doivent prendre les exploitants en matière de prévention des accidents majeurs. Je réponds là à M. Gélard, que je remercie de sa question.
Il se trouve que, par une sorte d'ironie de l'histoire, le 20 septembre, soit la veille du jour où s'est produit l'accident, M. Vaillant, qui avait réuni place Beauvau tous les préfets pour leur parler du plan Vigipirate renforcé, m'avait invité à intervenir sur la directive Seveso 2. Je leur avais tenu un discours extrêmement ferme, leur imposant d'exiger des exploitants, avant la fin de l'année 2001, la remise de leur étude complète de danger. Mon discours était d'autant plus ferme que nous avions été montrés du doigt par la Commission européenne de Bruxelles du fait du retard que nous avions pris dans la transposition de la directive Seveso 2.
L'étude de danger d'AZF, comme je le disais tout à l'heure, n'était pas complète le jour de l'explosion.
En France, 1 249 établissements sont actuellement visés par la directive Seveso 2, dont 670 dépassent le seuil haut de la directive. Les quatre régions concentrant le plus d'établissements à risques sont Rhône-Alpes, Nord - Pas-de-Calais, Haute-Normandie, Provence-Alpes-Côte d'Azur. Il existe également quelques usines Seveso en Ile-de-France.
Parmi l'ensemble des obligations réglementaires qui résultent du code de l'environnement et des directives Seveso, je voudrais m'attarder un instant sur les études de danger, c'est-à-dire les plans internes d'organisation et de surveillance permettant de déterminer les accidents susceptibles de se produire dans l'installation, d'en évaluer les conséquences, pour ensuite proposer des dispositions afin de prévenir ou de maîtriser les accidents potentiels.
Cette étude de danger réalisée par l'industriel est parfois complétée, à la demande du préfet, par une analyse critique effectuée par un organisme tiers, qui peut être l'INERIS ou l'IPSN, qui va d'ailleurs bientôt se transformer en IRSN.
Plus d'une centaine d'analyses critiques sont ainsi réalisées chaque année. Vous voyez, madame Blandin, que la DRIRE, l'IPSN ou l'INERIS peuvent formuler des analyses critiques sur ce que font les industriels.
Dans la directive Seveso 2, notamment, il était question d'observer ce que l'on pourrait appeller l'effet domino : lorsqu'une installation explose, n'y a-t-il pas, par effet de souffle, comme cela s'est produit à Toulouse, autre chose qui puisse être menacé par l'explosion elle-même ? Fort heureusement, cela n'a pas été le cas à Toulouse ; la catastrophe qui a eu lieu aurait pu être beaucoup plus grave si les usines du groupe SNPE situées de l'autre côté de la Garonne avaient été touchées. Sur le site d'AZF lui-même étaient présents un dépôt de rebuts de nitrate d'ammonium, ainsi que des sphères d'ammoniaque qui, pendant quelques heures, n'ont pas été réfrigérées en raison d'un défaut de fourniture d'électricité. Donc, la première chose que l'on a faite - nous étions sur place dès le début de l'après midi - fut d'amener un groupe électrogène pour faire baisser à moins 33 degrés la sphère d'ammoniaque, car si la température augmentait, la situation était alors plus incertaine. Il y avait également du phosgène, qui est acheminé à travers la Garonne pour alimenter l'usine Tolochimie qui est située à proximité, ainsi que du chlore. Tout cela a tenu !
On est en train d'évacuer les produits et de vérifier la sécurité. Mais que se serait il passé si tout cela avait été touché par l'explosion ?
J'ai donc dit au préfet qu'il fallait absolument que les exploitants nous remettent les études de danger très détaillées avant la fin de l'année. Ils ont maintenant intérêt à le faire. Sinon, nous suspendrons l'activité, je pense ici à l'usine AZF du Grand-Quevilly. Nous nous sommes d'ailleurs rendus dans cette usine, qui est la grande soeur de celle qui a explosé à Toulouse, et nous avons examiné le site. Si l'étude de danger n'est pas réalisée pour la fin du mois d'octobre, nous suspendrons l'activité, je le répète.
Je ne tiens pas du tout à faire preuve de laxisme, pas plus en matière agricole pour certaines pollutions qu'en matière de risques industriels. Il s'agit simplement de l'application de la loi ou des règlements !
Qu'en est-il de ces études de danger ? Eh bien ! elles reposent essentiellement sur deux bases : d'une part, le plan d'opération interne, le POI, qui organise les secours à l'intérieur de l'établissement et dans son environnement immédiat et, d'autre part, le plan particulier d'intervention, le PPI, qui est réalisé avec l'exploitant et qui organise les secours lorsque les conséquences d'un accident sortent des limites de l'établissement, comme ce fut le cas à Toulouse.
Nous sommes également allés à Saint-Fons visiter une usine Rhodia où existait un PPI, au termes de ce plan, il faut informer la population et les maires, ces derniers distribuant alors un petit livret dans les boîtes aux lettres, etc. Or cette procédure est peu appliquée et je dois dire que, dans ce domaine, nous somme très en retard. Il en va de notre responsabilité, de votre responsabilité, car les élus locaux répugnent à avertir régulièrement la population qu'il y a un risque et qu'elle vit dangereusement. C'est donc difficile à appliquer.
J'ai regardé le PPI de la « vallée de la chimie » au sud de Lyon. Il faut que le message soit clair et uniforme. Or il y était indiqué ceci : premièrement, confinez-vous ; deuxièmement, n'allez pas chercher vos enfants à l'école ; troisièmement, ne téléphonez pas. Mesdames, messieurs les sénateurs, croyez-vous qu'un être humain qui apprend qu'une explosion vient de se produire, donnant naissance à un nuage toxique, va rester où il se trouve sans rien faire ? Le message était clair, mais il est quasiment impossible de respecter les instructions données.
On voit donc bien qu'il faut rouvrir le débat avec l'ensemble de la population, les associations, les riverains, les élus, la DRIRE, les exploitants, les syndicats, les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, pour qu'un autre message soit adressé à la population. On ne peut pas rester sans rien faire ! D'ailleurs, nous avons essayé nous-mêmes de téléphoner à Toulouse vers midi ce vendredi 21 septembre, mais les communications ne passaient pas !
Mesdames, messieurs les sénateurs, une véritable politique de maîtrise des risques industriels a déjà été un peu construite en France ces trente derniéres années, précisément depuis Feyzin. Toutefois, le choc de Toulouse nous contraint à jeter un nouveau regard sur nos choix collectifs - Mme Blandin l'a fort bien expliqué - et sur les responsabilités de chacun quant à la maîtrise du risque industriel : responsabilité des entreprises, bien sûr, mais aussi responsabilité du législateur, donc de vous-mêmes, de l'exécutif et des collectivités territoriales.
A ce propos, au-delà de la gestion de la crise, le Premier ministre a souhaité qu'un véritable débat, sans tabou - tout le monde pourra s'exprimer ! - s'ouvre en France à l'échelon à la fois régional et national, dans les tout prochains jours.
Bien sûr, il faut apporter une aide immédiate par le biais du plan doté de 1,5 milliard de francs, mais il faut aussi instaurer une nouvelle culture de la sécurité industrielle en France, en termes tant quantitatifs que qualitatifs.
J'ai reçu hier, de la part de Mme Dominique Méda, directrice de collection dans une maison d'édition dont je ne citerai pas le nom, la traduction d'un ouvrage écrit en 1986 par un sociologue allemand, Ulrich Beck : la Société du risque . Je vous recommande la lecture de ce livre qui donne une vision prémonitoire de ce qu'il faudrait faire. Je vous livre l'essentiel de son message, si je puis résumer un livre de 450 pages : on diminue le risque par l'accroissement du taux d'adhésion à la démocratie ; autrement dit, plus il y a de démocratie, moins il y a de risques industriels.
Lorsque les citoyens sont informés et conscients, lorsque les syndicats maîtrisent eux-mêmes la formation et l'information, lorsque les CHSCT travaillent en liaison avec la DRIRE, ce qui n'est pas vraiment le cas, alors qu'ils s'occupent des mêmes choses, lorsqu'on élève le niveau de qualification et de conscience de nos concitoyens, le risque diminue.
Le Premier ministre a donc souhaité que, pendant tout le mois de novembre, un véritable débat ait lieu dans les vingt-deux régions de France, et pas seulement dans celles qui comptent des sites Seveso. Nous avons adressé des lettres de cadrage à tous les préfets. Ces derniers réuniront l'ensemble des acteurs concernés, c'est-à-dire toute le monde, car il faut réhausser la démocratie industrielle, et ils organiseront des débats. Puis, en décembre prochain, se tiendra un débat national avec les associations, les industriels, les syndicats, les élus et même la presse, qui a une responsabilité en tant qu'acteur. L'Etat sera également présent, au travers des DRIRE. Mais, dans ce débat, il ne veut être qu'un acteur parmi d'autres. Ce n'est pas l'Etat qui répondra à tout le monde ou qui, ayant déjà les réponses, organiserait un débat de plus, qui serait un débat truqué. Pas du tout !
Le Premier ministre souhaite que ces discussions se traduisent éventuellement par des dispositions législatives : instauration de comités locaux sur les risques technologiques, à l'instar des comités locaux d'information et de suivi qui concernent les centrales nucléaires, et de plans de prévention des risques technologiques, comme il y a des plans de prévention des risques naturels contre les inondations et les avalanches ; il en existe déjà plus de 2 000 et 5 000 seront mis en oeuvre d'ici à 2005 afin de protéger les populations des inondations.
Le Premier ministre a souhaité que des moyens soient mis en place, y compris des moyens de contre-expertise, pour que chacun participe à cette démocratie s'agissant de la sécurité industrielle. D'ailleurs, c'est M. Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, et Mme Lienemann, secrétaire d'Etat au logement, qui organiseront ce débat, car ils sont évidemment concernés par ce problème de la proximité, que vous avez très bien évoqué les uns et les autres, de l'urbanisation et des usines Seveso. Il se trouve qu'à Toulouse c'est plutôt la ville qui a rattrapé le site chimique, alors qu'à Dunkerque, où je me suis rendu et que Mme Blandin connaît bien, ce sont plutôt les usines qui ont rattrapé la ville : Mardyck, petit village bien tranquille installé dans une zone un peu lagunaire, s'est vu entouré, en trente ans, par un complexe pétrochimique qui est l'un des plus grands d'Europe, sans parler de la centrale de Gravelines qui n'est pas très loin. Mais j'ai vu aussi quelques éoliennes.
Par conséquent, Mme Lienemann et M. Pierret organiseront ce débat avec nous, et Philippe Essig, ancien PDG de la SNCF, assurera la coordination de toutes ces actions. Il remettra ensuite un rapport au Gouvernement, lequel prendra des dispositions législatives au début de l'année 2002.
Bien entendu, le Premier ministre a également souhaité renforcer les moyens de l'INERIS, en lui attribuant une dotation de plusieurs millions de francs supplémentaires - je ne peux pas vous donner le chiffre exact, car nous sommes en discussion avec Bercy pour fixer le montant des crédits qui figureront au collectif budgétaire de fin d'année : il s'agira d'environ quinze millions de francs - et vingt ou vingt-cinq postes nouveaux.
Le 17 octobre dernier, vos collègues de l'Assemblée nationale ont voté la création d'une commission d'enquête sur le risque industriel. Cette commission émettra, j'en suis sûr, des propositions suceptibles d'éclairer le Gouvernement sur des actions complémentaires qui pourraient être menées. Ces propositions viendront nourrir le débat citoyen qui s'ouvrira en novembre et décembre prochains. Bien entendu, j'ai pris bonne note de vos suggestions.
J'ajouterai une dernière précision sur un sujet que vous avez été plusieurs à évoquer, notamment Mme Printz : lundi prochain se tiendra un Conseil « environnement » à l'échelon européen. J'ai proposé à la présidence belge ainsi qu'à la commissaire Margot Wallström que soit rajouté à l'ordre du jour de ce conseil le risque industriel en Europe.
Je vous remercie toutes et tous de vos diverses propositions : nous en tiendrons compte pour la suite de notre travail. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

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