SEANCE DU 21 FEVRIER 2002


ACCORD AVEC L'ITALIE
POUR LA RÉALISATION D'UNE NOUVELLE
LIGNE FERROVIAIRE LYON-TURIN

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 234, 2001-2002), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. [Rapport n° 246 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, le Gouvernement a défini une approche globale des flux de transports de marchandises et de voyageurs dans les Alpes.
La semaine dernière, en vous présentant le projet de loi de ratification d'un échange de lettres entre les gouvernements français et italien, destiné à l'élargissement des conditions de verbalisation des contrevenants aux règles de circulation dans les tunnels routiers du Mont-Blanc et du Fréjus, que votre Haute Assemblée a d'ailleurs adopté à l'unanimité, j'ai abordé devant vous le volet routier de cette démarche globale.
Le Gouvernement a décidé de mettre l'accent sur l'organisation de la complémentarité entre les différents modes de transport, sur la sécurité des déplacements et sur la protection de l'environnement dans le massif alpin.
La situation de la vallée de la Maurienne qui, depuis la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, supporte la quasi-totalité du trafic routier à travers les Alpes, montre, s'il en était encore besoin, la nécessité de développer les alternatives ferroviaire et maritime pour assurer dans de bonnes conditions les échanges entre la France et l'Italie.
Cette politique s'inscrit tout à fait dans les orientations définies dans les projets de schémas de services collectifs de transport et reprises dans le Livre blanc des transports publié en septembre dernier et élaboré par la Commission européenne à partir des réflexions conduites depuis plusieurs années au sein du Conseil des ministres des transports, notamment sous la présidence française.
Le Gouvernement vous propose donc aujourd'hui d'adopter le projet de loi de ratification de l'accord franco-italien pour la construction d'un ligne ferroviaire à grande vitesse et d'un tunnel de 52 kilomètres entre Lyon et Turin. C'est un projet qui a été maintes fois évoqué dans cet hémicycle pendant des années et qui doit trouver aujourd'hui une certaine concrétisation puisqu'il vous revient de vous prononcer sur sa réalisation.
La nouvelle liaison ferroviaire transalpine entre Lyon et Turin constitue de toute évidence un élément très important de la politique des transports que je me suis attaché à mettre en oeuvre depuis juin 1997.
La politique de rééquilibrage en faveur du rail doit répondre aux exigences de développement durable et le Gouvernement s'est fixé à cet effet l'objectif de doubler le trafic ferroviaire de fret au cours des dix prochaines années. Mais il s'agira seulement d'une étape, dès lors qu'il s'agit de traverser des zones sensibles comme les massifs alpin et pyrénéen. Pour atteindre cet objectif, il faudra notamment promouvoir l'expérimentation et la mise en oeuvre du ferroutage partout où cette technique est pertinente.
Si ces orientations concernent, bien sûr, l'ensemble du territoire national, elles prennent un relief particulier pour la traversée des massifs sensibles comme ceux des Pyrénées, où la part du rail n'est actuellement que de 4 %, et dans les Alpes, où elle doit être sérieusement augmentée.
L'importance des flux d'échanges, de la concentration des trafics et des nuisances dans les vallées alpines, et les questions de sécurité, notamment dans les tunnels, impliquent un véritable basculement des trafics vers le rail dans ce massif.
Nos voisins suisses ont pris avant nous la mesure des enjeux que représente le franchissement des Alpes pour leurs pays qui, comme la France et l'Autriche, est un des grands pays de transit européen pour les marchandises. En Suisse, la construction de deux nouveaux tunnels ferroviaires a ainsi été décidée. Il s'agit des tunnels du Lötschberg et du Gothard, qui seront respectivement mis en service en 2009 et en 2013.
La France s'est mobilisée sur le projet de ligne à grande vitesse et de tunnel ferroviaire entre Lyon et Turin à partir de 1997. Je me souviendrai toujours du premier sommet franco-italien qui s'est tenu à Chambéry. Je dois dire que l'écho que j'ai trouvé auprès de mes homologues italiens est allé croissant au fur et à mesure de nos nombreuses rencontres.
L'engagement d'un important programme d'études du tunnel ferroviaire de base entre la France et l'Italie, pièce maîtresse de la nouvelle liaison transalpine, date du sommet de Chambéry d'octobre 1997. Ce long tunnel implique la réalisation, du côté français, d'un ensemble d'ouvrages d'accès dont les études sont activement poursuivies par Réseau ferré de France, RFF, avec le concours de la SNCF. Il s'agit bien sûr de la ligne à grande vitesse entre Lyon et le sillon alpin et des tunnels sous les massifs de la Chartreuse et de Belledonne. J'ai souhaité que ce nouvel itinéraire ferroviaire concerne non seulement le transport des voyageurs à grande vitesse, mais aussi et surtout les marchandises.
Bien entendu, il n'était pas question d'attendre sans rien faire la mise en service de ce nouvel axe prévue à l'horizon 2012. Au départ, à la suite des premières rencontres avec les Italiens, cette mise en service avait été fixée à 2015 ; nous avons donc gagné trois ans ! Cela a été confirmé par tous les spécialistes. J'ai donc demandé, dès 1997, à RFF d'engager un programme de modernisation des lignes ferroviaires existantes qui comporte la mise à un gabarit supérieur des tunnels actuels. C'est ce que l'on appelle la « ligne historique » qui passe par Modane.
Cette modernisation est en effet tout à fait nécessaire pour accompagner la croissance du trafic ferroviaire de fret, que nous voulons doubler en dix ans sur l'ensemble du pays, et pour créer, dès 2005-2006, les conditions d'un doublement de la capacité d'acheminement des marchandises vers l'Italie par le rail.
Pour tenir cet objectif dans ces délais, nous comptons beaucoup sur la création d'un service de « ferroutage » ou « d'autoroute ferroviaire », comme je l'ai proposé lors des premiers états généraux du fret ferroviaire en décembre 2000.
Pour y parvenir, l'homologation des premiers wagons Modalhor - c'est une entreprise alsacienne qui propose ces wagons - débutera dès le mois prochain, afin qu'un service d'autoroute ferroviaire comportant quatre allers et retours quotidiens soit mis en oeuvre avant la fin de cette année entre la Maurienne et Turin. Le potentiel initial de la ligne sera de 50 000 poids lourds par an, puis de 300 000 après les travaux de mise au gabarit B +, ce qui permettra de faire passer tous les camions et pas simplement les petits camions ou les camions-citernes. Cela soulagera d'autant les routes alpines d'accès aux tunnels routiers.
Pour revenir au percement du grand tunnel, les études réalisées entre 1998 et 2000 -nous avons d'ailleurs doublé les crédits promis au sommet de Chambéry - ont permis de confirmer la faisabilité technique du tunnel de base et d'en préciser les principales caractéristiques.
Comme vous le savez sans doute, l'accord définitif de l'Italie s'est avéré difficile à obtenir et je peux vous dire que la détermination du Premier ministre Lionel Jospin, lors de sa visite le 19 janvier 2001 à Chambéry, chez mon ami Louis Besson, a été cruciale pour convaincre l'Italie que nos deux pays avaient, avec ce projet, une occasion historique de renforcer leurs liens économiques dans des conditions compatibles avec la préservation de l'environnement dans les Alpes.
Personne n'aurait pu comprendre que l'on puisse se contenter de rouvrir le tunnel du Mont-Blanc et de reprendre comme auparavant la croissance du trafic des poids lourds dans les vallées alpines.
L'engagement irrévocable de réaliser la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin devait être pris, et il l'a été, prouvant ainsi que travailler au développement durable ne pouvait se concevoir sans intégrer la dimension du respect des riverains et de l'environnement.
Notre détermination a porté ses fruits et les gouvernements français et italiens ont pu alors arrêter les caractéristiques du projet et décider sa mise en oeuvre en signant l'accord, lors du sommet de Turin, le 29 janvier 2001.
La première phase de réalisation comprend un programme d'études finalisant le projet, son coût et ses modalités techniques et financières de réalisation, ainsi que la construction d'ouvrages de reconnaissance qui prépareront la réalisation de l'ouvrage proprement dit. En fait, il s'agit des descenderies et des galeries de reconnaissance. Cette première phase, estimée à 371 millions d'euros, est prise en charge, à parts égales, par la France et l'Italie, avec le soutien de l'Union européenne, qui doit accorder un minimum de 100 millions d'euros pour sa réalisation.
L'accord prévoit également de confier, sous l'égide de la commission intergouvernementale Lyon-Turin, coprésidée désormais par Louis Besson, la mise en oeuvre de la première phrase à une structure regroupant les gestionnaires d'infrastructures des réseaux ferrés français et italien.
Cette structure, intitulée « Lyon-Turin-Ferroviaire », a été créée par arrêté du 11 septembre 2001 et les premiers appels d'offre concernant les descenderies, qui mènent aux galeries de reconnaissance, ont été préparés. Des modalités de financement nous seront proposées. J'indique d'ores et déjà que je me battrai pour obtenir une participation européenne de 20 % sur l'ensemble du tracé.
Comme vous pouvez le constater, mesdames, messieurs les sénateurs, les procédures ont bien progressé depuis un an. Le dernier sommet franco-italien, qui s'est tenu à Périgueux le 27 novembre 2001, a permis à la France et à l'Italie de confirmer leur volonté d'accélérer les procédures liées au projet, afin de pouvoir mettre en service la liaison dès 2012.
Sur la section française, j'ai décidé, à Lyon, le 2 octobre dernier, de coordonner les procédures et la réalisation du tunnel de la Chartreuse et de la ligne à grande vitesse Lyon-Sillon alpin. L'avant-projet sommaire du tunnel de la Chartreuse est attendu pour le printemps. Réseau ferré de France m'a transmis celui de la ligne à grande vitesse Lyon-Sillon alpin 2001. Les modalités de son financement font actuellement l'objet de discussions entre les cofinanceurs. Je souhaite les voir aboutir rapidement, compte tenu des enjeux que représente ce projet pour tout le monde, y compris pour les collectivités territoriales.
J'ai pu compter sur leur soutien tout au long de ces quatre années d'effort pour lancer ce grand projet Lyon-Turin, qui sera sans doute l'un des plus grands ouvrages, sinon le plus grand, du xxie siècle pour notre pays.
Le Sénat italien, qui a été saisi comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, de la ratification de l'accord du 29 janvier 2001, devrait l'approuver très prochainement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement sait pouvoir compter sur vous pour que vous adoptiez aujourd'hui définitivement ce projet de loi de ratification, dont la portée est, il faut bien le dire, historique. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Robert Del Picchia, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'accord franco-italien sur la réalisation d'une ligne ferroviaire nouvelle Lyon-Turin signé le 29 janvier 2001 marque une étape décisive dans la réalisation de ce grand projet d'infrastructure.
Certes, ce projet possède déjà une histoire longue de près d'une douzaine d'années,...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Plus !
M. Robert-Denis Del Picchia, rapporteur. ... jalonnée par deux décisions importantes : la création, en 1994, d'un groupement d'intérêt économique entre la SNCF et son homologue italienne, puis, en 1996, la création, par les deux gouvernements, d'une commission intergouvernementale spécialement chargée d'étudier cette nouvelle liaison.
C'est largement grâce au travail effectué dans le cadre de ces deux structures qu'a pu être conclu, il y a un an, l'accord que nous examinons aujourd'hui.
Rappelons que cet accord ne concerne que le tunnel international, maillon central d'une liaison qui comporte d'autres tronçons relevant de chaque pays. Limité à la première phase du projet, il devra être complété ultérieurement par un avenant. Il constitue néanmoins un élément essentiel pour la réalisation de la ligne Lyon- Turin.
D'une part, il officialise l'engagement des deux gouvernements en faveur de ce projet et il en définit les principales caractéristiques, en particulier la construction d'un tunnel à basse altitude, et la vocation de la ligne nouvelle à accueillir le fret ferroviaire comme les trains de voyageurs.
D'autre part, il permet d'avancer dans la première phase de réalisation, qui sera marquée par d'importants travaux préparatoires de reconnaissance et par la définition précise de la mise en oeuvre du projet, en particulier quant à son financement et son exploitation.
Je ne reviendrai pas sur les enjeux de cette liaison ferroviaire nouvelle Lyon-Turin, ils sont développés dans mon rapport écrit.
La problématique des besoins de transport au travers des Alpes est désormais bien connue. Les accidents des tunnels du Mont-Blanc et du Saint-Gothard ont souligné avec plus d'acuité encore la tendance à la saturation des voies routières et ses effets sur la sécurité et l'environnement.
Il s'agit de faire face à l'accroissement des besoins de transport entre l'Italie, la France et, au-delà, le reste de l'Europe, tout en freinant, sinon en stoppant l'augmentation du trafic routier dans un environnement particulièrement sensible.
Il faut également souligner que ce projet a été retenu parmi les priorités de l'Union européenne au Conseil d'Essen, en 1994. Il s'intègre dans un ensemble plus large de décisions allant dans un sens identique, en particulier l'accord de 1999 entre l'Union européenne et la Suisse pour le transit des véhicules lourds et les réalisations, en cours ou envisagées, de tunnels ferroviaires en Suisse et en Autriche.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires étrangères a approuvé l'accord franco-italien qui ouvre, de surcroît, des perspectives extrêmement positives pour nos régions frontalières de l'Italie.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. Robert Del Picchia, rapporteur. Cette approbation s'accompagne cependant d'interrogations qui portent, vous vous en doutez, monsieur le ministre, sur le financement de cette infrastructure.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Normal ! (Sourires.)
M. Robert Del Picchia, rapporteur. L'échéance 2008-2009 est annoncée pour la ligne à grande vitesse Lyon-Chambéry et pour la mise en service du tunnel « fret » sous la Chartreuse. Comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, la date envisagée pour l'ouverture du tunnel international, avancée de trois ans, est prévue en 2012, au lieu de 2015. Lors du dernier sommet franco-italien, la décision a donc été prise. Nous nous réjouissons de ces objectifs, mais pouvez-nous nous dire, monsieur le ministre, où en sont aujourd'hui ces discussions sur le financement ?
La Commission européenne est favorable au relèvement de 10 % à 20 % des subventions communautaires pour ce type de grands projets prioritaires. Cette modification importante des règles communautaires est-elle vraiment et définitivement acquise ?
Dans l'affirmative, pourra-t-on espérer une intervention de l'Union européenne au taux maximum ? Cette subvention portera-t-elle sur l'ensemble du projet ou uniquement sur le tronçon franco-italien ? Nous souhaiterions connaître précisément l'état d'avancement des discussions entre nos deux gouvernements et Bruxelles sur ce point.
Par ailleurs, la plupart des collectivités locales concernées, notamment la région Rhône-Alpes, ne paraissent pas hostiles au principe d'une participation financière, à l'image de la solution retenue pour le TGV Est. Mais elles estiment, à juste titre, que cet investissement présente avant tout un intérêt national, et même européen. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner des précisions sur l'état d'avancement de ces discussions ?
Je dois également vous faire part d'un débat qui s'est instauré, au sein de notre commission, sur la contribution qui pourrait provenir d'une taxation du trafic des poids lourds qui transitent par notre pays. Dans quelle mesure les excédents d'exploitation du réseau autoroutier, que ce soit le réseau alpin ou le réseau national, pourront-ils contribuer aux investissements ferroviaires ? Faut-il aller plus loin en instaurant, comme en Suisse, une redevance de transit pour les poids lourds ?
Enfin, que peut-on attendre pour ce qui est de la participation de fonds privés à la construction du tunnel ?
Ces questions reflètent les interrogations de la commission, au moment où s'engage un très grand chantier d'infrastructure sur lequel reposent beaucoup d'espoirs, espoirs qui, nous le souhaitons, ne seront pas déçus lorsque viendra, demain, le moment de mobiliser les ressources financières nécessaires.
Même si M. le ministre ne peut pas nous apporter aujourd'hui toutes les réponses, la commission des affaires étrangères vous demande, mes chers collègues, d'adopter cet accord qui permet de franchir une étape essentielle dans la réalisation de la liaison ferroviaire nouvelle nécessaire aux échanges entre la France et l'Italie. Cela étant, monsieur le ministre, nous attendons vos réponses s'agissant du financement !
M. le président. La parole est à M. Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui est soumis aujourd'hui au Sénat tend à l'approbation de l'accord entre les gouvernements français et italien pour la réalisation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, conformément aux engagements pris lors du sommet franco-italien du 29 janvier 2001, à Turin.
Le texte vient prolonger les termes de l'accord du 15 janvier 1996, en vertu duquel les gouvernements français et italien s'étaient engagés à mettre en oeuvre les décisions intervenues lors des conseils européens de Corfou, d'Essen et de Cannes, qui avaient retenu le projet de liaison ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin parmi les quatorze projets d'infrastructures prioritaires européens.
Cet accord du 15 janvier 1996 mettait en place une commission intergouvernementale pour la réalisation d'une liaison ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin, qui avait notamment pour objet l'établissement et le contrôle des programmes d'études techniques, y compris les études relatives à la sécurité juridique et financière, ainsi que l'établissement de projets de cahiers des charges relatifs à la conception, au financement, à la construction, à l'exploitation et à l'entretien de la liaison.
Cet engagement allait susciter un certain nombre d'interrogations et de critiques, notamment avec le rapport Brossier, dont les conclusions n'allaient pas manquer d'être réduites à néant par la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, qui posa brutablement la réalité et les enjeux des infrastructures routières, autoroutières et ferroviaires, en particulier leur complémentarité en matière de transport de marchandises.
En six ans, les choses ont évolué et les interrogations qui pouvaient être exprimées hier par certains ont été balayées par les événements et les défis à relever.
Le chef du Gouvernement, à Chambéry, dans son discours du 19 janvier 2001, a rappelé la nécessité « du rééquilibrage entre la route et le rail (...) pour les franchissements alpins (...) lequel rééquilibrage entre la route et le rail passe également par une amélioration significative de l'offre ferroviaire et le choix déterminé du ferroutage ».
Le lancement d'un programme d'études et de travaux sur cinq ans se trouve confirmé avec l'engagement de réaliser le creusement de galeries de reconnaissance.
Force est de constater que cette déclaration ne s'engage, à l'époque, sur aucune décision ferme ni sur aucun calendrier définitif. Nous avons eu l'occasion de nous en entretenir voilà une semaine.
Vous conviendrez, monsieur le ministre, qu'il nous faut attendre le sommet du 29 janvier 2001 pour que le Président de la République affirme clairement : « Les modes de transport doivent être adaptés. Le ferroutage se développe. »
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. C'est moi qui l'ai dit !
M. Jean-Pierre Vial. « Bref, c'est une grande décision et c'est une décision irréversible maitenant. Nous allons construire cette voie nouvelle. Nous nous sommes fixé un objectif qui sera une mise en oeuvre pour 2015. Nous devrons être imaginatifs et ambitieux sur le plan de son financement... »
Monsieur le ministre, j'ai, bien évidemment, depuis la semaine dernière, repris tous les textes pour mettre dans la bouche du Président de la République ce qui lui revient et dans la bouche du Premier ministre ce qui lui revient également. Je cite effectivement le Premier ministre qui, ce même jour, confirme les engagements en ce qui concerne l'échéance et le caractère irréversible de ce projet.
Je dis bien, monsieur le ministre, qu'avant le 29 janvier aucun document ne fait état du caractère irréversible de la décision.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Vous vous trompez !
M. Jean-Pierre Vial. J'ai vérifié les textes, monsieur le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Vial ?
M. Jean-Pierre Vial. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Puisque vous en êtes à la chronologie, vous savez que, le 29 janvier 2001, a eu lieu le sommet franco-italien ; étaient présents le Président de la République et le Premier ministre accompagné de certains ministres, dont j'étais. Quant aux propos du Premier ministre, ils datent du 19 janvier. Par conséquent, vous avez pu confondre le 19 et le 29, mais c'est dix jours auparavant. Je destine cette précision au Journal officiel !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Dans le texte du 19 janvier - je le précise également pour le Journal officiel - on ne trouve aucun engagement sur le caractère irréversible et sur l'échéance. C'est la raison pour laquelle nous avions cru bon, entre cette date et le 29 janvier, de solliciter de M. le Président de la République une précision qui a été apportées effectivement le 29 janvier et confirmée par M. le Premier ministre.
Il s'agit, sur ce dernier point, d'une avancée significative, puisque l'occasion d'une question orale que je vous avais posée au mois de juin 2000, et alors qu'il paraissait évident que devait être réalisée cette liaison sous Chartreuse pour permettre l'acheminement des marchandises au tunnel de base, vous précisiez, monsieur le ministre : « Le nouveau tunnel entre la France et l'Italie parviendrait, avec une mise en service entre 2015 et 2020, à satisfaire les besoins du trafic de marchandises. Une nouvelle ligne dédiée au fret entre Ambérieu et Saint-Jean-de-Maurienne ne deviendrait donc indispensable qu'après la mise en service du tunnel international. »
Dès lors, ce projet de loi est l'occasion d'entériner une nouvelle étape de l'accord entre la France et l'Italie pour la réalisation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, mais également de dresser un état des lieux des interrogations qui peuvent encore demeurer, aussi bien, monsieur le ministre, je veux bien le reconnaître, que des avancées significatives de ces trois dernières années.
Je vous propose donc de faire le point entre ce qui, aujourd'hui, est acquis et ce qui pose encore question.
Est acquis le tunnel sous Chartreuse pour lequel, nous l'avons vu à l'instant, tout est allé très vite puisque, au mois de juin 2000, vous vous interrogiez encore sur la pertinence de cette réalisation. Cette infrastructure, qui sera intégrée à ce projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin, est aujourd'hui une évidence en même temps qu'une priorité.
Vous avez d'ailleurs pu noter, monsieur le ministre, il y a quelques mois, à l'occasion de votre déplacement à Lyon, pour la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, qu'à l'unanimité les élus de la région Rhône-Alpes, toutes tendances confondues, et des socio-professionnels réclamaient que la liaison ferroviaire marchandises soit la priorité des priorités et l'urgence de cette nouvelle liaison.
Est également acquis un tunnel ferroviaire à double tube.
L'article 3 de l'accord vient confirmer le choix souhaité par les élus et la plupart des promoteurs de ce projet de retenir « un tunnel ferroviaire à double tube de cinquante-deux kilomètres environ incluant une gare souterraine de secours à Modane... »
Au-delà de la nécessité de satisfaire les besoins et l'évolution du trafic, la sécurité des ouvrages s'impose comme une évidence.
Mais si, sur ces deux points, le débat est aujourd'hui clarifié s'agissant de l'acquis, il reste ce qui pose question et, en premier lieu, l'échéancier.
Face aux engagements d'une décision irréversible pour une échéance fixée à 2015, l'article 1 se contente de préciser « les gouvernements français et italien s'engagent par le présent accord à construire ou à faire construire (...) une nouvelle liaison ferroviaire mixte marchandises-voyageurs entre Lyon et Turin dont la mise en service devrait intervenir à la date de saturation des ouvrages existants ».
Certes, me direz-vous, concernant l'engagement sur l'échéance 2015, vous avez à plusieurs reprises affirmé votre volonté d'accélérer le calendrier en proposant de ramener la mise en service à 2012. Vous rappeliez encore cetté échéance de 2012 il y a une semaine précisément, dans cet hémicycle.
Monsieur le ministre, nous sommes prêts à relever le défi avec vous, mais force est de constater que le calendrier des études est fixé à 2004, pour une consultation en 2005-2006,...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je serai là !
M. Jean-Pierre Vial. ... ce qui laisserait prévoir, dans le meilleur des cas, un démarrage du chantier pour les années 2006-2007.
Or nous savons que la Suisse réalise actuellement deux tunnels pour le franchissement des Alpes : l'un au Lötschberg, de vingt-cinq kilomètres, commencé en 1999 et dont la livraison est prévue pour 2007, soit une durée de huit ans, et le second, au Saint-Gothard, de cinquante-six kilomètres dont les travaux ont débuté en 2000 et se termineront en 2012, soit une durée de douze années.
Ces quelques éléments de calendrier nous montrent, s'il en était besoin, monsieur le ministre, la nécessité d'imposer à tous vigilance et célérité dans les étapes et les travaux préparatoires nécessaires à l'engagement du chantier.
La deuxième interrogation sur laquelle j'attire votre attention, monsieur le ministre, porte sur la section entre le sillon alpin et Saint-Jean-de-Maurienne, dite « tunnel sous Belledonne ».
L'article 2 de l'accord précise que la section internationale est constituée de trois parties : la partie française entre le sillon alpin et les abords de Saint-Jean-de-Maurienne ; la partie commune franco-italienne entre les raccordements avec les lignes historiques les plus proches de part et d'autre ; enfin, la partie italienne des environs de Bussoleno, au nord de Turin.
Or l'article 4 concernant la mise en oeuvre du projet précise que l'accord définit la première phase de réalisation de la partie commune franco-italienne de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, ce qui est confirmé par l'article 5.
Il apparaît donc que la section entre le sillon alpin et Saint-Jean-de-Maurienne, dont le tunnel sous Belledonne, n'est pas aujourd'hui prise en compte par l'accord qui est soumis au Sénat.
Pourtant, cette section est indispensable à la cohérence du projet de liaison frêt Lyon-Turin : elle doit donc être intégrée à la première phase et, bien évidemment, financée.
C'est, vous vous en doutez, monsieur le ministre, l'objet de la deuxième interrogation.
La troisième interrogation porte enfin sur le financement du projet, plus précisément sur le financement de la section internationale puisque la partie française jusqu'au sillon alpin est exclusivement à la charge de la France et, bien qu'aucun financement ne soit à ce jour mobilisé sur cette partie purement française, il faut reconnaître que les choses avancent.
Vous avez récemment confié une mission à M. Gressier pour interroger les collectivités locales. Sur le principe, la région s'est engagée la première et les autres collectivités devraient l'accompagner dans des proportions à définir, à condition toutefois de connaître le programme complet pour toutes les infrastructures de transport de la région Rhône-Alpes et d'avoir des assurances quant à la réalisation totale de la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin. Il n'est pas question de laisser de côté une partie du trafic et notamment la partie « marchandise », puisque, et vous l'avez noté, monsieur le ministre, c'est la priorité des élus.
En revanche, aucun financement n'est aujourd'hui mobilisé pour la section internationale, c'est-à-dire pour l'essentiel du projet.
Certes, un pôle alpin multimodal regroupant les sociétés autoroutes alpines a été créé, ce qui permettra de mobiliser la contribution des péages routiers, mais, pour intéressante qu'elle soit, il ne s'agit là que d'une contribution marginale.
Depuis 1994, environ 900 millions de francs ont permis le financement des études, assuré, à près de 50 %, par l'Europe. Cela a notamment permis d'assurer le fonctionnement d'Alpetunnel, qui sert à rémunérer les fonctionnaires de la SNCF et de RFF. Sur la partie française, environ 200 millions de francs ont été dépensés, dont près de 90 millions de francs parviennent de l'Europe.
La région a financé, par subvention directe à la SNCF et à RFF, environ 80 millions de francs et assuré le fonctionnement de Transalpes pour environ 20 millions de francs.
L'Etat, la SNCF et RFF, à eux trois, n'ont apporté en réalité qu'une dizaine de millions de francs ! Ce n'est pourtant pas faute d'avoir reconnu qu'il s'agissait d'une priorité, et cela dès l'accord franco-italien du 15 janvier 1996.
L'Europe, qui est disposée à s'engager à hauteur de 20 % du montant des investissements de la partie internationale, n'a pas manqué, elle aussi, de solliciter une mixité des financements, et c'est dans ce sens que, le 29 janvier 2001, le président de la République s'exprimait en exhortant à être « imaginatif et ambitieux sur le plan du financement ».
Nous connaissons, monsieur le ministre, votre position dans ce domaine, vos réserves et les exemples que vous ne manquez pas de rappeler.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Par exemple ?
M. Jean-Pierre Vial. Le tunnel sous la Manche...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Il ne faut pas faire pareil !
M. Jean-Pierre Vial. Nous restons convaincus de la nécessité d'ouvrir le financement à une solution mixte, publique et privée : c'est nécessaire, c'est demandé par l'Europe et c'est possible.
La rencontre organisée à Lyon par Raymond Barre avec des établissements financiers avait confirmé la pertinence de cette solution et les établissements financiers avaient d'ailleurs présenté une étude sur un financement mixte.
Faire preuve d'originalité en matière de financement fait partie des enjeux qu'il est urgent de relever. C'est à la portée de la France et de l'Italie, puisque la Suisse, à elle seule, est en train de réaliser deux ouvrages, dont l'un de la même importance que la liaison Lyon-Turin.
Nous voterons donc ce texte nécessaire à l'aboutissement d'une infrastructure moderne, indispensable à nos deux pays et aux échanges au sein de l'Europe.
Au-delà des enjeux et des inquiétudes déjà évoqués, ce projet doit répondre à deux autres défis.
Le premier défi, c'est bien évidemment d'assurer une complémentarité entre le rail et la route. La révolution à laquelle la SNCF doit s'engager implique que sa responsabilité soit pleine et entière. La SNCF doit prendre sa part dans la progression du trafic de marchandises, qui, en trente ans, aura été multiplié par quatre entre la France et d'Italie et dont 80 % s'effectue aujourd'hui par la route.
Le deuxième défi, c'est d'assurer l'accompagnement économique et social de ce projet qui représentera pour les territoires et vallées concernés un chantier d'une rare importance, avec toutes les conséquences qui en découlent pour les populations.
On ne peut imaginer que le chantier du troisième millénaire ne soit pas exemplaire sur le plan de l'aménagement et du développement durable.
Monsieur le ministre, je sollicite donc de l'Etat la mise en place d'une procédure « grand chantier » sur la totalité des territoires concernés par les grandes infrastructures, c'est-à-dire l'avant-pays savoyard avec le tunnel sous Chartreuse, la Combe de Savoie avec le tunnel sous Belledonnes et bien évidemment la vallée de la Maurienne, que vous connaissez parfaitement.
M. Robert-Denis Del Picchia, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme David.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous discutons aujourd'hui d'un projet de loi permettant de ratifier l'accord conclu entre les gouvernements français et italien le 21 janvier 2001 en vue de la construction d'une nouvelle liaison ferroviaire transalpine entre Lyon et Turin. Cela faisait vingt ans qu'on l'attendait, et j'espère que nous verrons bientôt le « bout du tunnel » !
Nous savons tous que cet accord est fondamental. Autant le préciser tout de suite : le groupe communiste républicain et citoyen votera ce projet de loi, qui jette les bases d'une nouvelle orientation de la politique des transports à l'échelle européenne.
Nous nous félicitons de ce que les gouvernements français et italien aient souhaité réduire de trois ans le délai de réalisation de ce projet. Cela démontre clairement la volonté qui sous-tend cette politique des transports.
L'enjeu est double, puisqu'il concerne à la fois le développement du trafic de voyageurs, grâce à la réalisation d'une ligne à grande vitesse, et le développement du fret ferroviaire.
Ce dernier objectif est au coeur de la nouvelle politique française des transports engagée depuis 1997, laquelle vise, à terme, au doublement du fret ferroviaire. Cette coopération franco-italienne contribue à redonner un élan au rail face à la dérive du tout routier. Côté français, elle témoigne de la ferme volonté du Gouvernement de rééquilibrer le rail par rapport à la route.
Dans son livre blanc sur les transports, la Commission européenne dressait un bilan significatif de la prépondérance de la route. En 1970, le fret ferroviaire atteignait plus de 21 % des parts de marché ; il ne représente plus aujourd'hui que 8,4 %.
Au cours des trente dernières années, cette régression s'est traduite par le démantèlement de 600 kilomètres de rail, alors que, chaque année, 1 200 kilomètres d'autoroutes étaient ouverts.
Dans la région Rhône-Alpes, le développement du trafic de marchandises est devenu un sujet extrêmement sensible. Cette zone de transit, lieu de passage transeuropéen des marchandises, est particulièrement exposée aux dégâts occasionnés par l'hégémonie du transport routier de marchandises, sur le plan tant humain - la tragédie du tunnel du Mont-Blanc nous le rappelle - qu'environnemental. Nous savons que le transport routier génère plus d'un tiers des émissions totales de gaz carboniques. A ce type de pollution s'ajoutent les nuisances sonores et, surtout, une probabilité accrue d'accidents.
Or, depuis les années soixante-dix, l'augmentation des tonnages de marchandises traversant les Alpes du Nord s'est réalisée au profit de la route, qui a vu ses parts de marché passer de 25 % à près de 75 %.
Rééquilibrer le rail par rapport à la route, donner la priorité à l'intermodalité en favorisant la croissance du ferroutage, du transport combiné, des « autoroutes roulantes » constitue, nous le savons, monsieur le ministre, l'un des axes forts de votre politique. Je l'espère, cette politique davantage soucieuse de la sécurité et de l'environnement se concrétisera aujourd'hui par la ratification de cet accord.
La nouvelle ligne Lyon-Turin, d'une capacité de 60 millions de tonnes de marchandises par an, soit une capacité six fois supérieure à celle de l'actuelle ligne, devrait permettre de désengorger les axes autoroutiers transalpins, de réduire les goulets d'étranglement et de mettre un terme à la saturation de cette connexion ferroviaire transalpine. En tant que sénatrice de la région, je puis vous dire que je m'en félicite.
J'ai cependant, monsieur le ministre, une question à vous poser. Elle concerne le sillon alpin Valence-Montmélian. L'électrification de celui-ci participe aussi au désengorgement de la vallée du Grésivaudan et contribue à réduire la probabilité des accidents tout en réduisant considérablement la pollution. Chacun peut donc d'ores et déjà être satisfait par l'acceptation du projet d'électrification de la zone Valence-Grenoble. Mais qu'en est-il de l'électrification de la partie Grenoble-Montmélian, qui était initialement prévue ? Pouvez-vous me donner quelques précisions sur ce point ?
J'en reviens au présent projet de loi.
La nouvelle ligne ferroviaire constitue une étape essentielle dans le rééquilibrage des parts de marché réciproques de la route et du rail.
Toutefois, ne nous leurrons pas. Pour fondamental qu'il soit, le développement de telles infrastructures ne suffira pas à inverser durablement la tendance si les efforts - efforts que vous avez engagés, monsieur le ministre - en vue de promouvoir une concurrence plus loyale entre la route et le rail ne sont pas poursuivis.
C'est, en effet, à ce niveau que réside, aujourd'hui et à moyen terme, l'enjeu d'une politique des transports respectueuse de l'environnement et de la sécurité s'inscrivant délibérément en faveur du développement durable.
L'hégémonie de la route a des causes identifiables.
L'on sait que son avantage concurrentiel réside dans la faiblesse de ses coûts, résultat pour partie de la non-prise en compte des externalités négatives, demeurant à la charge de la collectivité, ainsi que de la multiplication des pratiques de dumping social qui contribuent à la détérioration des conditions de travail et à la pression à la baisse sur les salaires.
L'entreprise de transport routier qui a occupé, le mois dernier, la une de la presse, n'est pas un cas isolé.
L'embauche illégale de dizaines de chauffeurs routiers venus des pays de l'Est, touchant des paies de misère, ne bénéficiant d'aucune protection sociale et soumis à des horaires de travail défiant toute concurrence ne constitue, hélas ! pas une exception qui confirmerait la règle. Et le risque est grand, si l'on n'y prend garde, que l'élargissement européen ne se traduise par le développement de telles pratiques hors la loi.
Certes, des textes européens, encadrant notamment l'emploi de la main-d'oeuvre provenant des pays de l'Est, ont vu le jour. Nous savons, monsieur le ministre, que vous y avez largement contribué. A ces textes s'ajoute une directive adoptée, à la fin du mois de décembre, limitant la durée de travail hebdomadaire d'un routier à quarante-huit heures.
Il n'en demeure pas moins qu'une réelle politique d'harmonisation des normes sociales européennes vers le haut est indispensable. Ces avancées ne suffiront pas si les efforts ne sont pas poursuivis afin de rétablir une concurrence loyale entre les différents modes de transport.
Permettre, par ailleurs, une progression du droit social des pays les moins avancés, c'est aussi donner plus de sens à la construction européenne et répondre aux aspirations légitimes de ces populations.
Dans cette optique, la volonté de Bruxelles de libéraliser le marché du fret ferroviaire avant 2008 est très préoccupante. La Commission européenne souhaite « mener à bien la construction d'un espace ferroviaire et techniquement intégré ». La prise en compte de la seule dimension technique de l'harmonisation fait peser de graves menaces sur les services publics ferroviaires européens si elle ne s'articule pas avec la dimension sociale.
En ce sens, le rééquilibrage entre le rail et la route ne doit pas passer par la libéralisation du secteur public ni par la mise en concurrence des systèmes nationaux de fret, laquelle aboutirait à un alignement vers le bas des prix du fret ferroviaire, préjudiciable au développement des investissements de modernisation et des capacités en infrastructures nouvelles.
Comment ne pas souligner aussi la faiblesse des fonds européens consacrés au développement du fret ferroviaire ?
Nous savons pertinemment que l'extension des réseaux transeuropéens nécessite des financements énormes que les Etats seuls ne peuvent engager qui plus est dans l'actuel contexte d'orthodoxie budgétaire. Ce type de grands travaux exigerait évidemment un volontarisme financier européen.
A cet égard, les gouvernements français et italien ont sollicité avec raison des soutiens européens. Outre qu'elle fait partie des quatorze projets retenus comme prioritaires au sommet d'Essen, la liaison transalpine Lyon-Turin permettrait, en effet, des évolutions positives, comme la réduction de la pollution atmosphérique, le désenclavement routier et la connexion de réseaux transeuropéens favorisant le développement des échanges.
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir pris l'initiative, qu'approuvent les élus communistes, de lancer une mission chargée de consulter les différents acteurs concernés, en vue de mettre en place les cofinancements nécessaires à la réalisation des projets d'infrastructures de la région Rhône-Alpes.
Comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, nous devons exiger une participation financière européenne, que celle-ci soit directe ou relayée par la Banque européenne d'investissement.
En effet, sans un financement à la hauteur des ambitions, la construction d'un espace ferroviaire européen s'inscrivant dans une politique de développement durable n'a aucune chance d'aboutir. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je voudrais tout d'abord remercier M. Del Picchia pour la qualité de son intervention et de son rapport.
Tous les intervenants ont évoqué la question du financement.
A cet égard, il a été rappelé que, l'Union européenne contribue à concurrence de 10 % au financement des quatorze projets retenus comme prioritaires lors du sommet d'Essen.
Cependant, le Livre blanc européen paru en septembre dernier indique qu'il est envisagé de doubler ce pourcentage. Certes, il convient maintenant de traduire dans la réalité une volonté qui a été exprimée dans un texte et de porter effectivement à 20 % la participation financière européenne.
Cela étant, Mme David a suggéré de solliciter, en outre, la Banque européenne d'investissement, la BEI. Cette idée mérite tout à fait d'être étudiée, car la BEI peut accorder des prêts à des conditions intéressantes en termes de taux et de durée de remboursement, notamment aux collectivités territoriales qui peuvent recourir à cette possibilité, laquelle n'est d'ailleurs pas suffisamment exploitée.
J'ajoute que si le Gouvernement est intervenu, en temps utile, pour obtenir qu'une partie de la ressource des livrets A de caisse d'épargne soit affectée au financement du logement social, j'ai également demandé que l'on puisse l'employer pour financer la mise en oeuvre de l'intermodalité. Voilà donc une autre source de financement.
Quoi qu'il en soit, le problème est posé, et soyez convaincus, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement a bien conscience de son importance.
En ce qui concerne la section française de la ligne Lyon-Turin, qui comprend le tronçon à grande vitesse allant de Lyon jusqu'au sillon alpin et le tunnel de la Chartreuse, les discussions avec les collectivités territoriales relatives au financement sont en cours. Comme cela a été souligné, j'ai d'ailleurs confié à M. Claude Gressier la mission de la conduire pour le compte de l'Etat.
Par ailleurs, un « pôle alpin » destiné à mobiliser une partie des bénéfices autoroutiers alpins pour financer le développement de l'intermodalité et du transport ferroviaire a été créé. C'est le législateur qui l'a décidé, et vous êtes donc mieux informés que moi sur ce sujet ! Nous avons entrepris une réforme des concessions autoroutières et nous pouvons utiliser au profit de l'intermodalité, comme le prévoit la loi, les dividendes engendrés par l'allongement de la concession donc de la durée d'amortissement, qui permet aux sociétés d'autoroutes d'accroître leurs ressources. La création de ce fonds de développement de l'intermodalité a également été votée par le Sénat, et ce à l'unanimité, lors de la discussion de la loi relative à la sécurité des infrastructures et systèmes de transport et aux enquêtes techniques après événement de mer, accident ou incident de transport terrestre.
En outre, le promoteur Lyon-Turin-Ferroviaire doit nous proposer, comme le prévoit l'accord franco-italien, des solutions en matière de financement.
A cet égard, M. Vial a affirmé, quelque peu ironiquement, que je ne souhaitais sans doute pas renouveler l'expérience que nous avons connue avec le tunnel sous la Manche ! Certes ! J'ai dû monter à cette tribune pour défendre un projet de loi destiné à sauver les petits actionnaires, qui étaient victimes du dispositif mis en place, et à allonger considérablement la durée de la concession, jusqu'à 2080 si ma mémoire est bonne, ce qui signifie que nous n'en verrons pas le terme, ni les uns ni les autres ! (Sourires.)
Une telle solution n'est pas satisfaisante, et il est donc nécessaire de retenir d'autres possibilités que le recours à des financements privés s'agissant d'infrastructures aussi lourdes, pour lesquelles le retour sur investissement ne peut être immédiat.
L'exemple des chemins de fer anglais est éclairant à cet égard. Le gouvernement de Mme Thatcher et celui qui l'a suivi les ont privatisés après avoir créé plusieurs compagnies distinctes. Par la suite, les actionnaires, désireux de dégager quelques minces dividendes, ont été conduits à ne pas réaliser les investissements nécessaires. De ce fait, les trains n'arrivent jamais à l'heure et ne sont pas sûrs. Les chemins de fer anglais sont aujourd'hui les plus minables des pays développés !
Un financement public est par conséquent indispensable quand il s'agit de réaliser une infrastructure du type de la liaison ferroviaire Lyon-Turin. N'importe quelle personne raisonnable, quelle que soit sa sensibilité politique, le reconnaîtra.
M. Robert Del Picchia, rapporteur. D'accord !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Tel est mon état d'esprit.
Quant aux partenariats, monsieur Del Picchia, ils sont nécessaires pour financer de tels projets. Ils ont d'ailleurs permis la réalisation du TGV Est européen, en provoquant un effet de levier, puisque l'Etat a versé bien davantage que les 3,8 milliards de francs prévus à l'origine et a finalement mobilisé 8 milliards de francs. Les collectivités territoriales ont également apporté leur contribution, et j'ai même pu obtenir le doublement de celle de certains pays étrangers, comme le Luxembourg.
Les partenariats sont donc indispensables, d'autant qu'ils amènent de nombreux bénéfices pour les régions concernées.
Ainsi, la nouvelle ligne à grande vitesse qui reliera Lyon à Chambéry permettra de désengorger la ligne classique actuelle, au profit des voyageurs des trains régionaux et de grandes lignes. En outre, en ce qui concerne le fret, la réalisation du tunnel de la Chartreuse entraînera un délestage de la traversée ferroviaire de Chambéry. Enfin, et surtout, la ligne Lyon-Turin favorisera le développement des échanges entre ces deux villes, ainsi qu'entre la région Rhône-Alpes et le Piémont.
J'indiquerai maintenant à M. Vial que je me réjouis qu'il ait mis l'accent sur le caractère irréversible de l'engagement pris, sur la mobilisation des financements et sur la réduction des délais de réalisation.
En effet, nous allons concrétiser un projet que l'on évoquait depuis plus de vingt ans et qui était devenu une sorte d'« Arlésienne ».
Cela n'avait rien d'évident, car, en 1997, à mon arrivée au ministère, la politique des transports n'était pas du tout orientée vers l'intermodalité. Elle était au contraire axée sur le « tout-routier», et le déclin du rail, le TGV mis à part, était programmé. Mes paroles sont peut-être un peu dures, mais j'ai vécu cette époque en tant que cheminot, avant d'être élu député. Encore faut-il relever que le développement du TGV était financé par l'endettement de la SNCF et par une réduction drastique du nombre des cheminots. En effet, 97 000 postes ont été supprimés entre 1984 et 1997, et la SNCF a failli mourir de ses 208 milliards de francs de dettes ! Telle est la vérité !
Je me réjouis donc que nous ayons aujourd'hui gagné la partie. On ne pouvait pas continuer à sacrifier le rail, alors que la société a besoin qu'un meilleur équilibre s'instaure entre les divers modes de transport. Ainsi, depuis 1997, 40 000 cheminots ont été embauchés.
M. Michel Caldaguès. Le contribuable est taillable et corvéable à merci !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Votre réaction devant ce développement ne m'étonne pas, monsieur le sénateur : chassez le naturel, il revient au galop ! Vous préféreriez sans doute que nous appliquions la même politique qu'avant 1997 !
Cela étant, je reconnais honnêtement que les gouvernements qui se sont succédé entre 1984 et 1997 n'étaient pas tous de la même couleur politique. Il ne s'agit nullement pour moi d'adopter une attitude partisane et politicienne ; je demande simplement que l'on prenne acte d'une réalité : pendant trop longtemps, le rail a été sacrifié, qu'il s'agisse du transport du fret ou de celui des voyageurs par des trains autres que les TGV.
Néanmoins, il a été indiqué que le rapport Brossier sur les transports dans les Alpes n'affirme pas la nécessité de réaliser la liaison Lyon-Turin. Je répondrai que ce document n'a qu'une valeur indicative et que je ne partage pas les conclusions de M. Vial sur ce point, même si ce rapport était globalement très intéressant. Je l'avais souligné d'emblée au nom du Gouvernement, et l'on ne peut donc y revenir aujourd'hui.
J'ajoute que je n'ai pas attendu l'accident du tunnel du Mont-Blanc pour devenir un fervent partisan du rail. Le gouvernement auquel j'appartiens s'est battu pour que la ligne Lyon-Turin soit réalisée et pour qu'un engagement irréversible soit pris à cet égard. Il est important, en politique, que les décisions essentielles ne soient pas remises en cause.
Quoi qu'il en soit, la réalisation du projet exigera beaucoup de vigilance et de dynamisme. Le démarrage des travaux des descenderies menant aux galeries de reconnaissance sera possible dès le mois de mars, si ce projet de loi autorisant la ratification de l'accord est approuvé aujourd'hui. Si on ne veut pas perdre de temps, il faut donc voter ce texte. En effet, sans la ratification de cet accord, je ne peux rien faire. Le démarrage des études sera également possible, certaines ayant été anticipées.
Vous avez cité Belledonne. C'est vrai que j'ai tenu à ce que Belledonne figure dans le cadre général. Mais, là aussi, je ne peux faire que ce qui me paraît réaliste, en respectant les étapes nécessaires. En l'occurrence, la démarche comporte bien deux étapes. A l'horizon 2008, nous devrons avoir bâti un premier ensemble constitué de la ligne à grande vitesse Lyon-Chambéry et du tunnel de la Chartreuse ; je l'ai annoncé à Lyon, le 2 octobre dernier. A l'horizon 2012, nous devrons avoir constitué un second ensemble comprenant la section internationale, mais également le tunnel de Belledonne, financé sur une base nationale. C'est ce que j'ai annoncé et cela va parfaitement dans le sens que vous souhaitez.
M. Jean-Pierre Vial. Non ! Non !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Nous ne reviendrons donc pas sur la nécessité absolue de réaliser à la fois le tunnel de la Chartreuse et le tunnel de Belledonne.
Concernant les modalités de réalisation, j'essaye, effectivement, pour Perpignan-Figueras, d'ailleurs en cours d'appel d'offres, ou pour Lyon-Turin, de faire mieux que pour le tunnel sous la Manche où, comme je vous l'ai dit, les petits actionnaires ont, encore une fois, subi les conséquences d'une mauvaise décision aux termes de laquelle le financement est totalement privé.
Madame David, puisque vous venez de l'Isère (Mme David opine), cela me permet de préciser que le projet ne bénéficiera pas seulement à Lyon et à la Savoie. Si je parle de la ligne à grande vitesse Lyon-sillon alpin, c'est parce qu'une bifurcation à Saint-André-le-Gaz permet de réduire le temps de parcours entre Paris ou Lyon et Grenoble. De même, l'accès à la section internationale par le tunnel de la Chartreuse sera aussi ouvert au trafic venant du Sud, depuis Valence, Grenoble et Montmélian, ligne qui devra être intégralement électrifiée. Une partie est déjà en cours d'électrification dans le cadre du contrat de plan, le reste devra être rapidement réalisé. D'ailleurs, je vous précise, madame la sénatrice, que les études en cours concernent l'ensemble du tracé. Je crois que cela répond également à votre souci.
Vous avez évoqué - et comme vous êtes la seule à l'avoir fait, je veux le souligner aussi parce que je partage ce point de vue - la nécessité de prendre en compte l'aspect social. Vous avez évoqué cette nécessité à propos du transport routier. Depuis une dizaine d'années, les organisations de salariés - les chauffeurs, les conducteurs -, mais également les organisations professionnelles se battent pour qu'il y ait une harmonisation, notamment grâce au projet de directive « Temps de travail », à l'échelon de l'Europe. Sous présidence française, j'ai obtenu, et j'en suis fier, que la majorité des pays acceptent cette directive. A également été acceptée ce que l'on appelle « l'autorisation du conducteur », qui permet de lutter de manière plus efficace contre les comportements de certaines entreprises européennes, que vous avez citées. Il faudra être très vigilant car il est assez rare que l'on prenne en compte l'aspect social dans les décisions européennes. Pourtant, c'est bien un enjeu majeur, comme la défense des services publics et du secteur public ; vous l'avez également dit. Madame la sénatrice, vous pouvez compter sur moi et sur ce Gouvernement pour veiller à ce que cela ne soit pas remis en question. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes. - M. Boyer applaudit également.)
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique . - Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, signé à Turin le 29 janvier 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi. »