SEANCE DU 5 NOVEMBRE 2002


M. le président. L'amendement n° 192, présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article 39 de la Constitution est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« L'initiative des lois appartient concurremment au peuple, à ses représentants, au Premier ministre.
« Lorsqu'une proposition de loi émane d'au moins deux pour cent des électeurs inscrits, elle est inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dans un délai de six mois.
« Toute proposition de loi émanant des membres du Parlement fait l'objet d'un avis de la commission compétente dans un délai de six mois. »
La parole est à Mme Josiane Mathon.
Mme Josiane Mathon. Je voudrais d'abord signaler que, au quatrième alinéa de cet amendement, il convient de lire : « dix pour cent » au lieu de : « deux pour cent ».
M. le président. Il s'agit donc de l'amendement n° 192 rectifié.
Veuillez poursuivre, madame Mathon.
Mme Josiane Mathon. Cet amendement a pour objet de revivifier la démocratie en permettant au peuple de disposer d'un pouvoir d'initiative législative.
Comme nous l'avons constaté lors du débat sur l'article 5 qui vient de se dérouler, le présent projet de loi constitutionnelle vise à développer la démocratie de proximité en prévoyant seulement d'instaurer le principe d'un référendum local organisé sur l'initiative des élus.
Se borner à proposer ce type de mesures ne permettra pas de résoudre le problème de fond de la vie politique française, qui est celui de l'éloignement des citoyens des centres de décision.
La complexité nouvelle introduite par le projet de loi constitutionnelle dans notre architecture institutionnelle n'amendera pas cet état de choses.
M. Raffarin et son gouvernement ont une conception de la démocratie de proximité qui tend beaucoup trop à la répartition suivante : les petits problèmes à la France d'en bas, les grandes questions à la France d'en haut.
Après le scrutin du 21 avril dernier, il apparaît pourtant nécessaire de réformer en profondeur nos institutions afin de rétablir la confiance entre le peuple et ses représentants. L'un des éléments du rétablissement de cette confiance doit être de permettre au peuple, dans des conditions bien définies, de disposer du pouvoir de soumettre des textes de loi aux parlementaires.
L'amendement n° 192 rectifié, qui porte sur l'initiative législative au sens large, prévoit également que toute proposition de loi doit être examinée par la commission compétente.
En considération de ces remarques, je vous propose, chers collègues, de voter notre amendement, qui démontre le caractère limité du projet de loi constitutionnelle et donc son inefficacité, à terme, au regard des objectifs de démocratisation.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Cet amendement est sans rapport avec les dispositions du projet de loi constitutionnelle. La commission y est donc défavorable.
Mme Hélène Luc. C'est dommage !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Comme vient de le dire M. Garrec, cet amendement est sans rapport avec l'objet du projet de loi.
Par ailleurs, l'article 39 de la Constitution prévoit que l'initiative parlementaire appartient concurremment aux parlementaires et au Premier ministre.
Le dispositif que vous avez présenté, madame Mathon, aurait sans doute pour effet, si l'amendement était adopté, de bouleverser l'équilibre de la Constitution de la Ve République, or nous n'envisageons pas de changer de République !
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
Mme Nicole Borvo. Vous dites vouloir changer la République !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 192 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 193, présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, au titre XII de la Constitution, un article 72-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 72-1-1. - Une ou plusieurs collectivités territoriales représentant 10 % du corps électoral national sont habilitées à déposer des propositions de loi relatives à leur domaine de compétence sur le bureau du Sénat. »
La parole est à Mme Josiane Mathon.
Mme Josiane Mathon. Cet amendement a, dans une certaine mesure, le même objet que le précédent : retisser le lien entre l'échelon local et l'échelon national, entre le particulier et le général.
Nous proposons de conférer à un groupe de collectivités territoriales ou à une collectivité territoriale représentant au moins 10 % des électeurs inscrits un pouvoir d'initiative législative.
Cela permettrait, sans nul doute, de faire valoir concrètement des préoccupations locales ou régionales.
Par ailleurs, nous prévoyons que la Haute Assemblée sera saisie de ces textes en premier lieu, dans le cadre d'une modernisation du rôle du Sénat, qui serait institué comme l'interface entre les collectivités territoriales et le Parlement et se consacrerait essentiellement à cette tâche.
Il s'agit d'un amendement utile en vue de rapprocher le processus d'élaboration de la loi des préoccupations quotidiennes des Français. Nous proposons donc au Sénat de l'adopter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. L'initiative législative appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement, aux termes de l'article 39 de la Constitution, mais non aux collectivités territoriales.
Rappelons également que les sénateurs sont les représentants des collectivités territoriales de la République et prennent en compte les intérêts de celles-ci dans leur activité législative, comme en témoignent d'ailleurs les amendements de la commission des lois.
Le dispositif présenté ne me semble donc pas absolument nécessaire. C'est la raison pour laquelle la commission souhaite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, pour les raisons qu'il a exposées au sujet de l'amendement précédent.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. Je voudrais relever la remarquable culture juridique des auteurs des amendements n°s 192 rectifié et 193.
En effet, leurs recherches ont porté à la fois sur les travaux préparatoires à l'élaboration de la Constitution de la IVe République et sur la Constitution de l'an I de la République, plus connue sous le nom de Constitution montagnarde.
De fait, le dispositif présenté par l'amendement n° 193 est directement issu de la constitution montagnarde, qui, malheureusement, n'a jamais été appliquée...
MM. Jean-Jacques Hyest, Michel Mercier et Henri de Raincourt. Heureusement !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. ... et dont la descendance s'est scindée selon deux voies tout à fait différentes : la voie soviétique, d'une part,...
M. Josselin de Rohan. Quelle horreur !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. ... la voie suisse, d'autre part.
M. Henri de Raincourt. Ah !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. Nous n'avons suivi aucune de ces deux voies. C'est la raison pour laquelle j'estime que les deux propositions du groupe CRC ne relèvent pas du tout de notre tradition constitutionnelle.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo. J'apprends avec intérêt que les Suisses sont soviétiques ! Cela étant, l'Union soviétique n'existe plus...
M. Henri de Raincourt. Vous le regrettez ?
Mme Nicole Borvo. Nous savions que la commission était défavorable à nos amendements, mais je trouve que proposer de faire évoluer la République et d'innover en matière de démocratie directe, de participation des citoyens et de pouvoirs des collectivités territoriales tout en balayant d'un revers de main l'idée même que l'on puisse ouvrir à ces dernières la possibilité non pas de faire la loi, mais de suggérer au Parlement d'examiner une proposition d'ordre législatif, cela manque sérieusement d'audace ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 193.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Nous allons maintenant aborder l'article 6.
M. Claude Estier. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Claude Estier.
M. Claude Estier. Monsieur le président, le dépôt, ce matin, par le Gouvernement, de l'amendement n° 248 a complètement modifié les conditions d'examen de cet article important. En effet, si cet amendement était adopté, un certain nombre d'amendements que nous avons présentés n'auraient plus d'objet. Pressés par le temps, nous avons repris à la hâte ces amendements sous la forme de sous-amendements, mais nous devons vérifier leur cohérence. C'est pourquoi je demande, au nom de mon groupe, une suspension de séance de quinze minutes.
M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur Estier.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures quarante-cinq, est reprise à minuit, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)