PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS

vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 98 minutes ;

Groupe socialiste, 52 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 20 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 18 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social, européen : 14 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Robert Bret. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. Robert Bret. Je voudrais d'emblée dénoncer la méthode employée par le Gouvernement, monsieur le ministre, pour faire adopter aux forceps - car c'est bien de cela qu'il s'agit - une réforme électorale qui concerne deux territoires, la région et l'Europe, qui vont être amenés à occuper un rang clé dans la construction d'une Europe ultra-libérale qui vous est chère.

Ainsi, à l'Assemblée nationale, en prétextant le grand nombre d'amendements déposés par l'opposition parlementaire, vous avez sorti l'arme constitutionnelle du 49-3.

Mais que craignez-vous donc, vous qui disposez d'une majorité très confortable dans les deux chambres ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Il y avait 13 000 amendements !

M. Robert Bret. En réalité, vous voulez aller vite, car vous craignez un débat non seulement avec l'ensemble des forces politiques, mais aussi et surtout avec les Françaises et les Français. Vous savez pertinemment que vos arguments ne résisteraient pas à un débat démocratique dans le pays !

La procédure du 49-3 vous a permis non seulement de faire adopter le projet de loi à l'Assemblée nationale sans qu'il y ait eu débat général ni discussion sur les articles, mais également d'y intégrer vos propres amendements. Quel déni de la démocratie ! Quel déni du rôle du Parlement !

M. Nicolas Sarkozy, ministre. Les leçons de démocratie, venant du Parti communiste !...

M. Robert Bret. Vous ne vous en sortirez pas, monsieur le ministre, avec vos arguments anti-communistes éculés...

M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est certain !

M. Robert Bret. ... d'autant que c'est la première fois, sous la Ve République, que l'article 49-3 est utilisé pour faire adopter un projet de loi de réforme électorale.

En outre, vous rompez la tradition républicaine qui veut que l'on ne modifie pas le mode de scrutin d'une élection dans l'année qui précède son échéance. (MM. Dominique Braye et Hilaire Flandre s'exclament.)

Vous prétendez vouloir rapprocher les élus et les électeurs. Commencez donc par restaurer le rôle et les pouvoirs du Parlement national, qui se trouvent très largement remis en cause depuis votre arrivée au pouvoir. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

En effet, depuis le mois de juillet dernier, l'urgence a été déclarée sur tous vos textes, monsieur le ministre, restreignant ainsi le nombre des navettes et le travail parlementaire.

M. Dominique Braye. Ce sont eux qui disent cela !

M. Robert Bret. Chaque fois que vous le pouvez - et c'est le cas pour ce texte, comme M. le rapporteur vient de le rappeler - vous préconisez un vote conforme pour mettre un terme au débat parlementaire et imposer ainsi vos réformes.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Et les quelque 13 000 amendements !

M. Robert Bret. Non contents d'avoir muselé la représentation nationale à l'Assemblée nationale, vous vous apprêtez au Sénat - sous couvert d'un apparent débat puisque a priori plusieurs séances publiques ont été prévues pour examiner ce projet de loi - à user en réalité du vote bloqué.

Mesdames, messieurs les sénateurs de l'UMP, pour limiter le débat à sa plus simple expression, vous auriez pu, ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, déposer une motion tendant à opposer la question préalable ; mais, comme mon groupe l'a fait, vous avez été pris de vitesse (Rires sur les travées de l'UMP) et il vous sera difficile de la voter, étant donné les motifs que nous allons invoquer tout à l'heure.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Nous pouvons la voter !

M. Robert Bret. J'en viens à présent au fond du projet de loi qui nous intéresse aujourd'hui alors même que - je tiens à le préciser - il n'était initialement inscrit à l'ordre du jour de nos travaux que pour la semaine prochaine. Mais le Gouvernement n'est-il pas maître de l'ordre du jour, au grand dam, là encore, des parlementaires ?

S'agissant tout d'abord du scrutin régional, vous nous dites, monsieur le ministre, vouloir rapprocher les électeurs de leurs élus - bien ! -, favoriser l'ancrage territorial des élus régionaux et l'émergence de majorités stables et claires pour la gestion des régions - très bien ! Qui pourrait être contre ? Certainement pas nous ! Seulement, vos solutions pour y parvenir vont à l'opposé des buts fixés.

Avec votre texte, vous prétendez répondre aux situations que nous avons connues après les élections régionales de 1998 dans trois régions de France : le Languedoc-Roussillon, la Picardie et la Bourgogne.

Vous agissez comme si, depuis ces sombres moments qui ont vu se concrétiser des alliances entre la droite et l'extrême droite dans la course à l'élection des présidents de ces trois régions, rien n'avait été fait.

Or je vous rappelle que, depuis, une nouvelle loi a été votée, celle du 19 janvier 1999, précisément pour permettre le dégagement de majorités et la « gouvernabilité » des régions.

Cette loi a établi un mode de scrutin de liste à deux tours combinant représentation proportionnelle à la plus forte moyenne et prime majoritaire.

Je rappelle que les parlementaires communistes n'avaient approuvé ce texte qu'au stade de la seconde lecture, après avoir obtenu un abaissement des seuils pour le maintien au deuxième tour pour la répartition des sièges et la fusion à 5 % et à 3 %.

Mme Hélène Luc. Exactement !

M. Robert Bret. A ce propos, je souligne que la position des parlementaires communistes sur le dispositif du scrutin régional est constante.

En revanche, on ne peut pas en dire autant de « M. Raffarin, Premier ministre » qui soutient aujourd'hui l'inverse de ce que déclarait « M. Raffarin, sénateur » lors des débats parlementaires de 1998 présidant à l'élaboration de la loi de 1999. En effet, ne qualifiait-il pas le second tour d'« arme malicieuse », de « déstabilisation » ? Ne défendait-il pas le seuil de 5 %? Mais il est vrai que c'était au siècle dernier !

Concernant l'argument avancé selon lequel il s'agirait d'atténuer le poids du Front national lors des scrutins régionaux, je tiens à préciser que l'extrême droite se combat non à coups de réforme électorale mais par l'action et sur le terrain du débat d'idées. L'exemple du charcutage électoral et le retour au scrutin majoritaire de M. Pasqua en 1986 pour marginaliser le Front national illustre mon propos.

En effet, si le Front national a disparu de l'hémicycle de l'Assemblée nationale, cela ne l'a pas pour autant empêché d'augmenter son score depuis.

Le cataclysme qui s'est produit le 21 avril dernier est malheureusement là pour nous le rappeler.

M. Dominique Braye. Vous devriez en tirer les conséquences !

M. Robert Bret. J'y insiste : la question de la « gouvernabilité » des régions ne saurait servir de prétexte à une quelconque réduction de l'expression du pluralisme qui s'attache à la démocratie, encore moins permettre à une quelconque formation d'avoir une position hégémonique.

Alors que la loi de 1999 permet d'assurer la présence dans toutes les régions d'une majorité quelles que soient les formations majoritaires, ainsi que la présence de listes minoritaires, et répond donc à votre souci, alors que cette loi n'a jamais été appliquée - et pour cause, puisqu'il n'y a pas eu, entre-temps, d'élections régionales -, vous décidez, à un an des futures élections régionales, de réformer cette loi sans même avoir testé l'efficacité de son mécanisme.

M. Patrice Gélard, rapporteur. C'était une mauvaise loi !

M. Robert Bret. Vous instaurez des seuils « couperet » qui sonnent le glas du pluralisme dans notre pays.

Le seuil pour fusionner est porté de 3 % à 5 % des suffrages exprimés et le seuil pour se maintenir au deuxième tour est fixé à 10 % des inscrits, au lieu de 5 % des suffrages exprimés, ce qui équivaut en réalité à 20 % des suffrages exprimés !

Ce seuil de 10 % a connu un parcours particulier : il a été annoncé par le président de l'UMP en lieu et place du Gouvernement et de son chef, mais - je crois utile de le rappeler - ce n'est pas ce seuil-là qui a été soumis à l'avis du Conseil d'Etat !

Si le véritable objectif que vous cherchiez à atteindre était l'émergence d'une majorité claire et stable, si vous estimiez que la loi de 1999 précitée était insuffisante pour y parvenir, pourquoi n'avoir pas simplement relevé le pourcentage de la prime ? Car c'est la prime, monsieur le rapporteur, qui donne la stabilité, et non les seuils !

Mais vous ne l'avez pas fait, car tel n'est pas votre véritable souci. La rumeur veut en effet qu'il soit question de réduire l'influence de l'extrême droite et sa présence dans un certain nombre de régions, comme la région Provence - Alpes - Côte d'Azur prisée par notre collègue Jean-Claude Gaudin, vice-président de l'UMP, qui a aussi obtenu, on le sait, le redécoupage cantonal à Marseille, dans les Bouches-du-Rhône, avant la refonte globale des cantons !

Par ailleurs, contrairement à ce que vous venez de déclarer, monsieur le rapporteur, votre réforme rendra plus difficile encore la mise en oeuvre de la parité, notamment en cas de fusion de listes, en vue du second tour. Nous aurons l'occasion d'y revenir dans le détail lors de l'examen de nos amendements.

Pour résumer, les seuils que vous instaurez vont aboutir à l'émergence de deux grands partis, l'UMP d'un côté et le PS de l'autre, à l'exclusion des petites formations politiques.

Il est intéressant de rappeler que M. Raffarin, en 1998, lorsqu'il était encore sénateur, dénonçait à cette tribune « l'excès de politisation dans les régions ». « Que cette assemblée régionale veuille jouer à la petite Assemblée nationale, voire au Sénat, comporte des dangers. Il est très préoccupant de voir s'y installer l'esprit partisan. On ne peut ramener la vie d'une région au seul clivage entre appareils politiques extérieurs à la région », affirmait-il.

S'agissant, en second lieu, des élections européennes, le mode de scrutin établi en 1977 et appliqué depuis 1979 est celui de la proportionnelle intégrale dans une circonscription nationale unique. La répartition des sièges s'opère à la plus forte moyenne entre les listes qui ont obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés.

Je tiens à souligner que ce système, simple au demeurant, donne entière satisfaction.

L'avantage de la proportionnelle est double : d'abord, la voix de chaque citoyen compte pour un ; ensuite, toutes les sensibilités politiques nationales sont représentées au Parlement européen.

La vocation première de cette assemblée n'est-elle pas de représenter chaque peuple dans toute sa diversité ?

La critique si souvent employée contre la proportionnelle, à savoir qu'elle ne permet pas de faire ressortir des majorités claires et stables, ne peut s'appliquer au Parlement européen.

Comme vous le savez, dans cette assemblée, les groupes se forment non pas en fonction d'une base nationale, mais sur des bases politiques. Aussi ne comprend-on pas la présente réforme qui aboutira à sacrifier cette diversité.

En décidant de découper le territoire national en huit « super-régions » - véritable tremplin vers une Europe fédérale - vous allez privilégier, monsieur le ministre, les formations dominantes et réduire, voire éliminer, la représentation des autres formations politiques !

Pour amplifier cet effet majoritaire, vous allez jusqu'à prévoir qu'au cas où plusieurs listes auraient la même moyenne pour l'attribution du dernier siège celui-ci reviendrait à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages.

Quant à l'argument d'une plus grande proximité entre les élus et les électeurs, permettez-nous d'en douter. S'il est vrai que l'électeur ne s'intéresse pas aux élections européennes - le fort taux d'abstention lors de ce scrutin en atteste - je crains fort qu'il n'atteigne des sommets avec votre système de super-région qui entraîne la bipolarisation de la vie politique française où les voix, par exemple à gauche, des communistes, des verts, de l'extrême gauche, des radicaux de gauche ne compteraient plus pour rien.

On peut alors légitimement s'interroger : pourquoi l'électeur irait-il désormais voter s'il a le sentiment que son acte est inutile, qu'il ne compte pour rien ?

Une telle réorganisation du scrutin risque d'entraîner la dénationalisation et la dépolitisation du débat européen et des enjeux de la construction européenne.

Le citoyen est déjà mal informé de ces enjeux qu'en sera-t-il avec votre réforme ?

Une grande partie des décisions européennes qui touchent au quotidien de la population sont prises, comme on le sait, par les technocrates de la Commission européenne. Ces décisions vont trop souvent à l'encontre des intérêts des peuples, par exemple sur le plan économique avec les privatisations, la mise en cause des services publics, la réduction des budgets sociaux au nom du sacro-saint respect du déficit public.

Dans un contexte marqué à la fois par les incertitudes qui entourent l'élargissement de l'Union européenne, une conjoncture économique difficile aggravée par les orientations de la Banque centrale européenne et les craintes du pacte de stabilité, l'implication des citoyens et des acteurs sociaux dans la construction européenne est plus que jamais indispensable.

Au moment où les questions essentielles se posent avec force avec la convention européenne présidée par Valéry Giscard d'Estaing, il est fort regrettable de constater qu'elles restent l'affaire d'un petit nombre.

Dès lors, à qui ferez-vous croire que la création de huit super-régions, avec un ou deux députés par région, permettra le rapprochement entre électeurs et élus ?

Cet argument - peu convaincant au demeurant - prête à sourire et est de surcroît, me semble-t-il, anticonstitutionnel : les députés européens français représentent la France et non pas leurs régions au Parlement européen.

En réalité, vous savez que, pour obtenir la majorité nécessaire pour la mise en oeuvre de votre projet de société ultra-libérale - caractérisée depuis votre arrivée aux affaires du pays par le démantèlement des 35 heures, la suppression des mesures antilicenciements, l'abrogation de la loi Hue -, vous avez besoin d'éloigner le citoyen des lieux de décision, d'accroître sa désaffection à l'égard de la politique au niveau tant européen que régional.

C'est précisément ce que fait votre projet de loi. Votre texte vise expressément la domination sans partage sur la représentation politique de deux catégories de territoire : les régions et l'Europe.

D'ailleurs, la loi de décentralisation - que vous refusez de soumettre au référendum - ne fait pas autre chose : mise en cause du caractère unitaire et solidaire de la République ; affaiblissement de l'Etat dans ses fonctions de solidarité, de régulation ; transfert de compétences aux collectivités territoriales ; casse de la cohérence nationale.

Ce que vous souhaitez, c'est casser le cadre national de notre pays afin de l'intégrer à marche forcée dans une construction européenne ultra-libérale supranationale, par le biais de ces huit régions.

Ce n'est pas un secret : on sait bien que cette Europe des régions est voulue par les partisans d'une Europe fédérale parce qu'elle permet de contourner l'Etat pour mettre en place cette politique ultra-libérale.

J'ajoute que les arrière-pensées politiques de votre projet de loi sont à peine voilées s'agissant de mettre en place un Etat UMP et de placer vos copains à des postes clés. (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Alain Dufaut. Arrêtez !

M. Robert Bret. Il en est ainsi, par exemple, des dispositions tendant à aligner le régime du cumul des mandats des députés nationaux sur celui des députés européens, permettant à M. Pasqua de retrouver la présidence du département des Hauts-de-Seine, et ce avant même le vote final et l'entrée en vigueur de la présente loi !

Ainsi, et alors que d'autres réformes sont indispensables et permettraient plus de démocratie, plus de pluralisme, plus de proximité avec les électeurs, plus de parité, vous nous imposez tout le contraire. La bipolarisation de la vie française induite par votre texte fait fi de la spécificité démocratique et pluraliste de notre pays.

Votre texte ne manquera pas d'approfondir la crise aiguë de notre vie politique et de nos institutions. Plus on ferme l'offre du champ politique, plus l'abstention, la contestation, voire le refuge dans des votes populistes seront forts. Et j'ai bien peur de connaître encore d'autres « 21 avril »

C'est en démocratisant en profondeur le système de représentation de notre pays, en liaison avec un véritable statut de l'élu, et en rééquilibrant les pouvoirs institutionnels en faveur du Parlement que nous réussirons à sortir de cette crise politique.

Telles sont les propositions - essentielles à nos yeux - que nous reprenons sous forme d'amendements. Il s'agit pour nous de poser ici et maintenant les questions de fond, une véritable réforme si nécessaire. Mais vous n'en voulez pas, monsieur le ministre, et le Gouvernement n'en veut pas plus que vous, mes chers collègues de l'UMP. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt. Applaudissements sur les travées de l'UMP.

M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vrai débat s'engage sur ce projet de loi devant la Haute Assemblée qui est la maison des collectivités territoriales. C'est tout un symbole.

Ce projet de loi a déjà fait couler pas mal d'encre avant même que la représentation nationale n'ait eu l'occasion de l'examiner sur le fond. Très récemment, la mascarade a même tourné à la pantalonnade pour ceux qui ont voulu escamoter le débat en préférant la guerre des procédures à la batailles des idées.

A ce point de mon propos, j'avait prévu de remercier l'ensemble des groupes du Sénat d'avoir adopté une position extrêmement responsable par rapport aux enjeux. Mais j'ai craint il y a quelques minutes que certains d'entre nous ne soient saisis par une petite rechute et ne se comportent comme leurs collègues à l'Assemblée nationale.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'avez rien compris !

M. Henri de Raincourt. Fort heureusement, la sagesse sénatoriale me semble avoir fait son oeuvre et je me réjouis que les groupes du Sénat aient choisi de discuter ce texte au fond.

On nous a présenté, au tout début de la discussion, une motion référendaire. Ce n'est pas fréquent ! Il a été rappelé en effet qu'une telle disposition avait été adoptée au Sénat par la majorité de droite seulement à trois reprises est refusée trois fois à l'Assemblée nationale par la majorité de gauche.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'était pour vous faire plaisir !

M. Henri de Raincourt. D'ailleurs, monsieur le président Dreyfus-Schmidt, lorsque, en 1998, le gouvernement de M. Jospin a présenté le projet visant à réformer le mode de scrutin des élections régionales - mais ma mémoire me fait peut-être défaut -, il ne me revient pas qu'à ce moment-là vous ayez jugé que l'importance de ce texte justifiait d'avoir recours au peuple pour son adoption ; la procédure parlementaire semblait vous suffire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Beaucoup de choses ont été dites sur le mode de scrutin régional proposé par le Gouvernement, au nombre desquelles les accusations de tripatouillage, d'atteinte au pluralisme, voire à la démocratie, de non-respect du choix des électeurs ou encore de passage en force.

Il nous semble que tout cela est infondé et, au cours du débat, nous allons aisément faire la démonstration du caractère à la fois excessif et mensonger de ces affirmations.

« Lorsque tout le monde pense la même chose, personne ne pense plus à rien » avait dit, il n'y a pas si longtemps, notre ami François Bayrou. En la matière, je ne suis pas loin de penser comme lui.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh bien dites donc !

M. Henri de Raincourt. Oui, lorsque tout le monde s'accorde à vouer aux gémonies une réforme, je ne peux m'empêcher de me demander si celle-ci n'est pas finalement fondée. Lorsque tout le monde porte le discrédit sur un texte, je me pose véritablement la question de savoir si les motivations qui l'inspirent ne sont pas ailleurs. La plus récurrente de toutes ces attaques a été l'accusation de « tripatouillage » du mode de scrutin régional. C'est une accusation qui est grave !

Lorsque l'on touche aux modes de scrutin, on est toujours suspecté de vouloir le faire pour son propre compte. (Oh oui ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Or l'accusation de « tripatouillage » vient justement du côté de ceux qui avaient concocté la réforme du scrutin législatif de 1986, afin, cher monsieur Bret, de faire entrer le Front national à l'Assemblée nationale. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

M. Robert Bret. Nous n'étions pas au gouvernement !

M. Henri de Raincourt. Plus récemment, les mêmes ont recommencé en faisant une nouvelle tentative pour le mode de scrutin sénatorial !

Tripatouille, bidouille, magouille, les accusations ne tiennent d'ailleurs pas à l'épreuve des faits.

Monsieur le ministre, le Gouvernement aurait inventé un nouveau mode de scrutin taillé sur mesure pour nous et pour les élections régionales. Comment un tel argument peut-il être sérieusement avancé ?

M. Guy Fischer. En Bourgogne !

M. Henri de Raincourt. En 1992 ou en 1998 ?

M. Josselin de Rohan. Très bien !

M. Henri de Raincourt. Je rappelle qu'en 1992 la majorité en Bourgogne a été constituée par l'addition des voies de gauche et de celles du Front national. Si, en 1998, cela s'est fait dans l'autre sens, vous me permettrez de vous le dire : à chacun ses difficultés... Alors, on renvoie la balle au centre et on n'en parle plus ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Guy Fischer. C'est facile !

M. Henri de Raincourt. Peut-être, mais c'est la réalité des faits !

Le mode de scrutin proposé n'est ni plus ni moins que la transposition adaptée du mode de scrutin municipal à la région. Il s'agit d'un scrutin proportionnel à deux tours avec prime majoritaire. Il est proportionnel pour garantir la représentation des courants d'opinion. Il est à deux tours pour favoriser les regroupements naturels. Il est à prime majoritaire pour dégager des majorités cohérentes.

Seules deux exceptions sont opérées par rapport au scrutin municipal pour tenir compte de la nature de l'instance régionale. Comme M. le ministre l'a rappelé, la prime majoritaire est baissée de moitié, de 50 % à 25 %. Cela permet d'augmenter arithmétiquement le nombre de sièges à pourvoir entre les listes. En contrepartie, l'élévation du seuil de maintien d'une liste est portée de 10 % des suffrages exprimés à 10 % des inscrits. D'ailleurs, le seuil de 10 % des inscrits existe déjà pour les élections cantonales.

M. Michel Mercier. Mais le scrutin est uninominal !

M. Henri de Raincourt. Ce seuil est même de 12,5 % pour les élections législatives.

Comment accuser le mode de scrutin proposé d'être contraire à l'esprit de nos institutions alors qu'il est calqué sur le mode de scrutin municipal ?

Ces précisions étant apportées, les attaques contre le projet de loi deviennent illisibles dans la mesure où aucune voix ne prétend qu'il briserait l'équilibre entre la représentativité et la capacité d'agir.

Le mode de scrutin municipal avait été mis en place pour les élections de 1983...

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Contre vous !

M. Henri de Raincourt. ... par Gaston Deferre, ministre de l'intérieur du gouvernement de M. Pierre Mauroy, sans que la majorité de l'époque s'offusque alors d'une quelconque atteinte à la démocratie représentative.

Pourquoi le mode de scrutin qui serait un modèle d'excellence démocratique quand il est mis en place par les socialistes pour les communes deviendrait-il un scandale liberticide lorqu'il est proposé par nous pour les régions ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

La démarche était simple et logique : un exécutif municipal renforcé pour des compétences renforcées, tout en garantissant le respect de la représentation de l'opposition.

C'est précisément cette démarche qui a présidé au choix de la transposition du mode de scrutin municipal à l'élection régionale.

M. Jean-Claude Carle. Eh oui !

M. Henri de Raincourt. Nous allons nous réunir en congrès dans quelques jours pour adopter le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République. Nous allons inscrire dans le marbre de la Constitution l'existence de la région en tant que collectivité territoriale à part entière. Au cours de l'année, nous allons être amenés à examiner des projets de lois ordinaires et organiques permettant le transfert de compétence de l'Etat vers les régions.

Au même titre que le mode de scrutin proportionnel à deux tours avec prime majoritaire a permis de respecter le pluralisme dans les assemblées municipales, tout en garantissant le dégagement de majorités stables au moment où leurs compétences ont été accrues, l'instauration de ce même mode de scrutin pour les élections régionales aura les mêmes effets à l'heure où les régions verront leurs compétences renforcées.

L'autre accusation majeure porte sur la prétendue atteinte à la représentation des formations minoritaires au sein des assemblées régionales. Depuis le début de la polémique, le Gouvernement et nous-mêmes sommes sommés de nous justifier sur ce projet de loi, comme si nous avions fait quelque chose de grave ! Mais nous n'avons pas à nous défendre de porter atteinte à la démocratie puisque, tout au contraire, nous la renforçons.

L'instauration de deux tours de scrutin n'empêche nullement les formations politiques d'obtenir des sièges.

En effet, dans le système en vigueur lors des dernières élections régionales, où il n'y avait qu'un tour, une liste devait obtenir 5 % au moins des suffrages exprimés pour prétendre à la répartition des sièges. Dorénavant, parce qu'il y a deux tours, ces listes ayant obtenu 5 % des suffrages exprimés pourront prétendre à la fusion pour le second tour. Leurs chances d'obtenir des sièges, loin d'être entamées, seront - nous le verrons l'année prochaine - renforcées. La seule différence réside dans le fait que ces listes devront maintenant fusionner avec d'autres pour obtenir des sièges au conseil régional.

Cela ne porte pas atteine à la démocratie, mais permet de renforcer le contrôle des électeurs sur les majorités qui se dégageront au sein du conseil régional.

Jusqu'à présent, certaines formations politiques pouvaient peser au sein des assemblées régionales au-delà de leur valeur électorale réelle par le biais d'alliances et de tractations post-électorales lorsque aucune liste n'avait obtenu la majorité absolue à l'issue du seul tour de scrutin. Et cela, parfois, au détriment du choix des électeurs qui subissaient ces alliances et les considéraient souvent comme contraires à leur volonté. Les exemples ne manquent pas !

Je pourrais citer celui de la région Nord - Pas-de-Calais.

M. Josselin de Rohan. Au hasard ! (Bien sûr ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Henri de Raincourt. En 1992, le parti socialiste obtint vingt-sept sièges, le parti communiste quinze et les Verts huit avec à peine plus de 6 % des suffrages exprimés. Parvenant difficilement à trouver un candidat issu de leurs rangs pour la présidence de la région, nos collègues socialistes et communistes de la région Nord - Pas-de-Calais se sont mis d'accord pour porter à la tête de l'exécutif régional une candidate écologiste ici présente et que je salue, qui est devenue depuis notre collègue mais qui n'avait pourtant recueilli qu'environ 6 % des suffrages. (Applaudissement sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Où est la clarté du système ?

Mme Hélène Luc. C'est une expérience comme une autre !

M. Henri de Raincourt. Avec le système que certains défendent encore, c'est le choix des électeurs qui est remis en cause ; avec celui que le Gouvernement propose, ces mêmes électeurs retrouveront toute leur capacité de contrôle et de choix de leurs dirigeants.

En instaurant un relèvement des seuils, le projet de loi permet donc de déplacer le temps des tractations et des alliances politiques entre les deux tours de scrutin. Ainsi l'électeur pourra-t-il se prononcer au second tour, en toute connaissance de cause, pour une liste de fusion et de rassemblement susceptible de diriger l'instance régionale sans avoir à monnayer son soutien à tel ou tel candidat.

La démocratie ne pourra que sortir renforcée puisque, au soir du deuxième tour, les électeurs sauront quelle liste l'a emporté, quelle majorité gouvernera pendant six ans, et ils ne seront plus ainsi dépossédés de leur vote par d'éventuelles tractations ultérieures d'arrière-boutique.

Les seuls perdants seront finalement ceux qui profitaient de l'ancienne opacité pour négocier dans de bonnes conditions leur ralliement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Notre ancien collègue Guy Allouche ne s'y était d'ailleurs pas trompé. Il avait été lui-même conseiller régional de Nord - Pas-de-Calais pendant quinze ans. Devant notre assemblée, à l'occasion de la dernière réforme du mode de scrutin régional présenté par le gouvernement précédent, il déclarait ici-même : « Les Français comprennent les alliances. Ils les admettent et les approuvent au premier tour ou en vue du second tour. En revanche, ce qu'ils condamnent avec force - et qui oserait le leur reprocher ? -, ce sont les alliances honteuses au troisième tour passées dans leur dos, à l'occasion de transactions occultes, après qu'ils se sont exprimés. » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Daniel Raoul. Où est donc M. Jacques Blanc ?

M. Henri de Raincourt. Je suis absolument d'accord avec notre collègue Guy Allouche. (Exclamations sur les mêmes travées.) Cela vous ennuie-t-il que je le dise ?

Pour ma part, au nom de l'UMP, je plaiderai toujours pour la composition de listes de très large union dès le premier tour.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Henri de Raincourt. Ce sera la meilleure réponse que nous apporterons à ceux qui, aujourd'hui, dénoncent ce texte, parce que nous avons tout naturellement vocation à agir de concert avec l'ensemble de nos partenaires de la majorité, ainsi que nous le faisons depuis longtemps au sein de cette assemblée, comme au sein des départements et des régions, où nous sommes unis autour d'une seule et même cause : le service de l'intérêt régional ou départemental.

Enfin, je ne peux pas laisser dire que le Gouvernement porte atteinte au droit d'expression des formations politiques minoritaires, alors même qu'il fait un geste envers celles-ci.

En effet, en réduisant le seuil de remboursement des frais de campagne de 5 % à 3 %, il a fait le choix de libérer les petites formations de leur bâillon financier. Il est en effet facile de prétendre vouloir la libre expression de toutes les formations tout en refermant le cordon de la bourse !

La démocratie a un coût, nous le savons, et la liberté d'expression également. En maintenant à 5 % le seuil pour prétendre au remboursement des frais de campagne engagés, les listes les plus petites sont obligées de limiter le plus possible leurs dépenses dans la crainte de ne pouvoir être remboursées. Par conséquent, en abaissant ce seuil, le Gouvernement les libère de ce couperet et favorise leur liberté d'expression.

Malheureusement, la polémique sur le mode de scrutin régional a pollué le débat. J'aimerais donc évoquer deux autres mesures essentielles de cette réforme.

Tout d'abord, la parité va trouver sa pleine mesure. La majorité, pour sa part, a fait le choix délibéré de pousser sa réalisation le plus loin possible.

Mme Danièle Pourtaud. C'est faux !

Mme Hélène Luc. Vous ferez comme pour les sénatoriales ?

M. Henri de Raincourt. Vous verrez !

Par ailleurs, le retour à un mandat de six ans est salutaire. Tous les mandats locaux ont cette durée. Elle nous semble équilibrée. Il était donc illogique de raccourcir le mandat des conseillers régionaux alors qu'ils travaillent en liaison étroite avec les départements, les communes et les agglomérations dans le cadre de la décentralisation.

Le mode de scrutin européen soulève moins de débat. Ce projet reprend ce qui a été proposé dans le passé par des personnalités venant d'horizons politiques différents. Nous devrions donc nous mettre assez facilement d'accord.

Les évolutions qui sont proposées sont tout à fait essentielles et de nature à revaloriser le travail des parlementaires européens.

Le taux de participation aux élections européennes - cela a d'ailleurs été dit par M. le ministre et par M. le rapporteur - est faible, mais plus faible encore en France que dans bon nombre des autres Etats membres de l'Union.

Ce faible intérêt pour les élections européennes n'est pas tant lié à un problème d'image du Parlement européen ou à son défaut de légitimité qu'à son mode de désignation de la représentation française, qui présente en effet des inconvénients.

La circonscription unique à l'échelle du territoire national pose à cet égard de nombreuses difficultés. Tout d'abord, elle éloigne les députés européens des électeurs. Ceux-ci ont beaucoup de mal à défendre leur bilan devant nos concitoyens et, réciproquement, nos concitoyens exercent difficilement un contrôle sur leur action.

De plus, et cela ne peut que sensibiliser les représentants des collectivités territoriales que nous sommes, les territoires sont représentés de manière inéquitable, même si les candidats sont soigneusement répartis sur les listes en fonction de leur origine géographique.

Le nouveau mode de scrutin qui est proposé dans le présent projet de loi aura donc pour effet de rapprocher le parlementaire européen des citoyens, grâce à la territorialisation de l'élection européenne. Le choix de la création de ces huit grandes régions est en ce sens un bon compromis entre la nécessité d'ancrer territorialement les élus européens et le respect du pluralisme de la représentation française au sein du Parlement européen.

En effet, si la circonscription unique péchait en raison de l'éloignement qu'elle créait entre le citoyen et l'élu, un scrutin européen sur une base exclusivement régionale aurait péché dans l'autre sens, par un appauvrissement des divers courants d'opinion.

On sait que plus le nombre de sièges à pourvoir au sein d'une même circonscription électorale est faible, plus le nombre de listes pouvant prétendre à la répartition des sièges diminue. Dans le cadre d'un scrutin de vingt-six régions, où chacune d'entre elles n'aurait eu à élire en moyenne que trois représentants peut-être à Strasbourg, puisque nous aurons, comme M. le ministre l'a dit tout à l'heure, soixante-dix-huit députés européens, seules les formations les plus importantes auraient pu obtenir des sièges.

Cela aurait nuit à l'expression du pluralisme politique. C'est la raison pour laquelle le choix qui a été fait est satisfaisant. Cela prouve que le Gouvernement et la majorité qui le soutient se sont souciés du respect de la représentation de toutes les sensibilités.

Je terminerai mon propos en évoquant la nécessaire réforme de l'aide publique aux partis politiques eu égard aux effets pervers de la législation actuelle. Comme le soulignait M. le ministre, alors que l'on comptait moins de trois mille candidats présents au premier tour des élections législatives en 1988, ce chiffre s'est élevé à près de neuf mille en 2002, soit un quasi-triplement en moins de quinze ans.

Cette inflation des candidatures s'explique avant tout par les modalités d'attribution de la première fraction de l'aide publique aux partis politiques, qui encouragent certains à présenter des candidats dans le seul but d'obtenir une part de ce financement.

A la suite des dernières élections législatives - sauf erreur de ma part -, soixante-neuf formations politiques peuvent prétendre bénéficier de la première partie de l'aide publique. Or il paraît improbable que l'ensemble de ces partis et groupements exercent une réelle activité politique au niveau national.

Il était donc utile d'agir et de trouver un juste équilibre entre la lutte contre les abus et la garantie du pluralisme, ainsi que l'impose à juste titre le Conseil constitutionnel. De ce point de vue, le projet de loi répond à cette attente.

En réservant l'attribution de la première partie de l'aide publique aux formations politiques présentes dans au moins cinquante circonscriptions et dont les candidats ont obtenu dans chacune de ces circonscriptions au moins 1 % des suffrages exprimés - on peut difficilement descendre plus bas -, étant entendu que ces dispositions n'entreront en vigueur qu'à l'occasion du prochain renouvellement de l'Assemblée nationale, le Gouvernement a fait le choix du respect de la plus large expression.

Le texte que vous nous soumettez aujourd'hui, monsieur le ministre, répond donc à nos attentes. C'est la raison pour laquelle le groupe de l'UMP, qui apprécie le travail réalisé par la commission des lois, exprime sa gratitude à son président, notre ami René Garrec, ainsi qu'à son rapporteur, notre ami Patrice Gélard ; il suivra les conclusions de la commission qui nous propose d'adopter conforme le présent projet de loi. Ce n'est pas pour nous un sacrifice : nous le faisons conscients de répondre à un impératif né de l'intérêt général.

Cela dit, nous ne nous priverons pas d'un débat de fond avec nos partenaires de la majorité sénatoriale et de l'opposition. Avec mes collègues du groupe de l'UMP, nous entendons démontrer, au fil de l'examen des amendements, le bien-fondé de notre position.

Devant le Sénat, nous engagerons avec sérénité ce débat dont l'Assemblée nationale et nos concitoyens ont été jusqu'alors privés.

Monsieur le ministre, votre projet de loi est équilibré. Il s'agit d'un texte de salubrité démocratique. Loin de promouvoir l'hégémonie des uns au détriment des autres, il permettra, dès son application, de clarifier la vie politique non par un bipartisme imposé, mais par une incitation des formations qui le désirent à se réunir, tout en conservant leurs spécificités et leur indépendance.

Il convient donc de l'adopter rapidement, afin de permettre son application dès 2004. Dans un contexte de difficultés économiques évidentes et d'une grave incertitude internationale, chaque chose doit trouver sa mesure. Après cette discussion, il sera largement temps de laisser la place aux réformes qui touchent la vie quotidienne des Français et qui engagent l'avenir de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, je demande la parole pour un rappel au règlement, car j'ai été mise en cause personnellement.

M. Josselin de Rohan. C'est un fait personnel, et la parole ne peut donc vous être accordée qu'en fin de séance !

M. Guy Fischer. Est-ce vous qui présidez, monsieur de Rohan ?

M. le président. Effectivement, madame Blandin, s'agissant d'un fait personnel, je ne peux vous donner la parole qu'en fin de séance.

La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le ministre, en commençant mon intervention, j'ai envie de vous dire ceci : enfin, le débat va avoir lieu ; enfin, nous allons pouvoir discuter de ce projet de loi après que le débat a été contourné devant le Conseil d'Etat et tronqué devant l'Assemblée nationale.

Dans cette affaire, le rôle du Sénat est grand et sa responsabilité importante. Comme le rappelait notre collègue M. de Raincourt, le Sénat étant le lieu de représentation des collectivités locales, il est normal et nécessaire que le débat puisse aller à son terme s'agissant de l'élection des conseillers régionaux : ce sont eux qui devront gérer les collectivités, dont l'importance s'est accrue depuis la semaine dernière compte tenu des compétences qui leur seront accordées.

Le groupe de l'Union centriste, qui soutient le Gouvernement, s'engage dans ce débat avec sérénité et détermination pour défendre l'efficacité de gestion des régions et pour assurer le respect du pluralisme.

Le projet de loi qui nous est soumis aborde de nombreuses questions. Sur un grand nombre d'entre elles, nous sommes en accord avec le texte. Je pense, notamment, à tout ce qui a trait au financement des partis politiques.

Par conséquent, je ne reviendrai pas sur ces points dans les quelques minutes qui me sont imparties.

Mon collègue Yves Détraigne relèvera quelques points obscurs, que nous nous efforcerons d'éclaircir, si nécessaire, afin de rendre le texte intelligible à nos concitoyens. Mme Gisèle Gautier, quant à elle, approfondira les aspects relatifs à la parité.

Avant d'aborder l'essentiel des problèmes qui se posent du point de vue des principes, je dirai quelques mots du mode de scrutin européen.

Le débat européen concerne des questions d'intérêt non pas local, mais national, qu'il s'agisse de l'élargissement de l'Europe, de la politique agricole commune, ou des compétences que l'Etat a transférées ou devrait transférer à l'Union européenne. Il faut donc que le débat soit organisé de telle façon qu'il porte sur ces grandes questions nationales, et non pas sur la défense d'intérêts locaux. La proposition que nous fait aujourd'hui le Gouvernement peut répondre à cet objectif. Par conséquent, nous l'acceptons.

Les circonscriptions interrégionales, dont vous suggérez la création, monsieur le ministre, ont un avantage considérable : elles ne correspondent à aucune réalité humaine, géographique, historique ou économique ; ce sont uniquement des découpages électoraux. Comme la solidarité ne joue pas dans ces circonscriptions, on ne pourra débattre que de questions nation-Europe et non pas région-Europe.

Nous ne sommes pas dupes, cependant, des motifs qui vous conduisent à remplacer la circonscription nationale unique par huit circonscriptions interrégionales. L'argument sur le rapprochement de l'élu et des électeurs nous semble quelque peu surfait en la matière, puisque, dès aujourd'hui, dans une circonscription nationale unique, rien n'empêche les candidats qui le souhaitent d'habiter près de leurs électeurs.

S'agissant des élections régionales, il convient de porter un jugement serein sur la question et de faire des propositions susceptibles de recevoir l'assentiment de tout le monde.

En effet, à entendre M. le rapporteur et M. de Raincourt, il faudrait que des coalitions à vocation majoritaire se forment avant le premier tour des élections plutôt qu'après. Dès lors, pourquoi voter une loi ? Nous sommes nombreux, j'en suis sûr, à nous poser cette question, et il faudra bien y répondre !

Selon l'exposé des motifs du projet de loi, « le but poursuivi par le Gouvernement est (...) de redonner, autant que faire se peut, de la clarté à l'expression du suffrage en améliorant les conditions dans lesquelles celui-ci permet la représentation équitable des sensibilités politiques et des territoires mais aussi la constitution sans ambiguïté de majorités capables d'assumer la responsabilité des décisions publiques. »

Eh bien ! monsieur le ministre, mes chers collègues, nous adhérons totalement à ce but. Toutefois, le texte qui nous est présenté dans sa version postérieure au 28 janvier dernier ne permet pas de l'atteindre. Le projet de loi qui a été soumis au Conseil d'Etat recueille notre entier soutien et, tout au long du débat, nous proposerons au Sénat d'y revenir. Ainsi notre assemblée sera-t-elle fidèle - je parle sous le contrôle du rapporteur de l'époque Paul Girod - à la position équitable et équilibrée qu'elle avait prise en 1998.

Le texte qui nous est présenté ne constitue pas, monsieur Gélard - je regrette de devoir vous le dire -, en dépit du titre II de votre rapport, « une réforme équilibrée ». Il organise, au contraire, un véritable verrouillage de l'expression des sensibilités politiques. (Applaudissements sur certaines travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Danièle Pourtaud. Bravo !

M. Michel Mercier. Nous disons clairement « oui » à une majorité cohérente et stable pour les régions. Quel est le moyen de parvenir à cette majorité cohérente et stable ? C'est la prime majoritaire attribuée à la liste arrivée en tête. En effet - et cette raison devrait s'imposer à tous -, ce sont les électrices et les électeurs qui, par leur vote, choisissent la liste dont les membres gouverneront la région. C'est donc ce choix qui conduit à attribuer la prime majoritaire. Le seuil de 10 % des inscrits est déterminé, quant à lui, non pas par les votants, mais par les abstentionnistes. Ce serait la première fois que, dans un scrutin de liste, les abstentionnistes décideraient de ceux qui doivent diriger une grande collectivité comme une région !

La comparaison avec les scrutins majoritaires uninominaux n'est pas de mise dans cette affaire. Chacun le sait bien, on peut invoquer un scrutin uninominal pour justifier une mesure sur un scrutin de liste. Cela peut faire l'objet d'un débat, mais ce n'est pas un argument de fond. Par conséquent, je ne m'attarderai pas sur ce point. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)

Vouloir constituer une majorité en excluant des petits partis avec la fixation d'un seuil plutôt qu'en les rassemblant avec l'attribution d'une prime majoritaire nous semble aller à l'encontre même des intentions affichées par le Gouvernement.

Pourquoi écarter le pluralisme d'expression au sein des conseils régionaux dès lors qu'une majorité stable et cohérente est constituée grâce au jeu de la prime majoritaire ?

Nous le savons bien, le véritable objet de cette disposition est de parvenir à tout prix au bipartisme. Pour notre part, nous sommes opposés au bipartisme et nous sommes favorables aux coalitions qui se constituent librement, dans le respect de chacun, et qui ont une vocation majoritaire. Nous acceptons tout à fait cette rationalisation de l'expression politique. Se soumettre ou disparaître : c'est le choix qui nous est offert. Mais, dans les deux cas, nous disparaissons !

Je veux revenir sur un argument qui est souvent avancé, à savoir que la fusion est possible dès lors que l'on obtient 5 % des suffrages exprimés. Cependant, des questions se posent à cet égard. Tout d'abord, la fusion est-elle obligatoire ? Rien n'a été dit à ce sujet, mais nous savons qu'elle ne l'est pas. Ensuite, qui décide de la fusion ou de la non-fusion ? En outre, avec ce dispositif, une liste qui aurait obtenu 15 % des suffrages exprimés pourrait ne pas avoir d'élus, alors que celle qui aurait obtenu 5 % des suffrages exprimés pourrait en avoir. Un vrai problème se pose s'agissant de l'égalité des suffrages, et il faudra bien le résoudre.

Prises isolément, toutes les dispositions du projet de loi peuvent être justifiées. Mais, globalement, elles constituent un verrouillage excessif de l'expression de la démocratie.

On nous dit qu'il ne s'agit pas d'un texte dirigé contre l'UDF. Je l'entends bien ainsi ! Je n'imagine pas un gouvernement instaurant une loi contre sa propre majorité ! Nous avons tous en mémoire ce qui est arrivé la dernière fois qu'un chef de gouvernement a estimé que sa majorité était trop large. Nous ne sommes pas obligés de recommencer ! (Rires sur les travées de l'union centriste, - Très bien ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mais le projet de loi qui nous est soumis confortera l'extrême droite là où elle est forte et lui garantira une triangulaire organisée. Il compliquera son expression là où elle est faible. Comprenne qui pourra !

En réalité, l'extrême droite se combat non pas par une loi électorale, mais par une politique et par des convictions : une politique comme celle que vous menez, monsieur le ministre, et qui montre aux Français que la fatalité en matière de sécurité n'existe pas dès lors qu'il y a une volonté ; des convictions qui doivent être affirmées clairement et assumées totalement par des coalitions à vocation majoritaire constituées librement et dans le respect du pluralisme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)

Monsieur le ministre, mes chers collègues, telles sont les positions qui sont les nôtres. Le groupe de l'Union centriste n'a déposé qu'un petit nombre d'amendements. Tous portent sur des questions de fond qui méritent débat.

Une fois garantie la majorité de gouvernement dont les régions ont besoin, le pluralisme vivra ou sera muselé.

Nous souhaitons que le débat au Sénat soit ouvert - nous le mènerons avec responsabilité et détermination - qu'il conduise à une réelle amélioration du texte qui nous est soumis et que la qualification de « réforme équilibrée », utilisée tant par M. le rapporteur que par M. de Raincourt, puisse être partagée par tous. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le ministre, comme l'ensemble des responsables des partis politiques, vous m'avez invité, et je vous en remercie, à donner mon avis sur les projets de réforme des modes de scrutin relatifs aux élections régionales et européennes.

Même si j'étais sans illusion quant à la prise en compte de positions venant de formations « hors UMP », je m'étais réjouis, à l'époque, de cet appel au dialogue. Aujourd'hui, je suis profondément déçu et choqué, tant par le contenu du texte - en tous cas, de certaines de ses dispositions - que par les conditions de son examen. Nous sommes vraiment bien loin de la volonté de concertation initialement affichée !

Sur la méthode, tout d'abord, l'opposition - c'est bien normal - aurait souhaité débattre de ce texte qui, avec le fameux seuil des 10 %, conduit à une bipolarisation renforcée de la vie politique française. Hélas ! le Premier ministre a refusé tout débat à l'Assemblée nationale.

M. Jean-Jacques Hyest. Non !

Une politique comme celle que vous menez, monsieur le ministre, et qui montre aux Français que la fatalité en matière de sécurité n'existe pas dès lors qu'il y a une volonté ; des convictions qui doivent être affirmées clairement et assumées totalement par des coalitions à vocation majoritaire constituées librement et dans le respect du pluralisme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)

Monsieur le ministre, mes chers collègues, telles sont les positions qui sont les nôtres. Le groupe de l'Union centriste n'a déposé qu'un petit nombre d'amendements. Tous portent sur des questions de fond qui méritent débat.

Une fois garantie la majorité de gouvernement dont les régions ont besoin, le pluralisme vivra ou sera muselé.

Nous souhaitons que le débat au Sénat soit ouvert - nous le mènerons avec responsabilité et détermination - qu'il conduise à une réelle amélioration du texte qui nous est soumis et que la qualification de « réforme équilibrée », utilisée tant par M. le rapporteur que par M. de Raincourt, puisse être partagée par tous. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le ministre, comme l'ensemble des responsables des partis politiques, vous m'avez invité, et je vous en remercie, à donner mon avis sur les projets de réforme des modes de scrutin relatifs aux élections régionales et européennes.

Même si j'étais sans illusion quant à la prise en compte de positions venant de formations « hors UMP », je m'étais réjouis, à l'époque, de cet appel au dialogue. Aujourd'hui, je suis profondément déçu et choqué, tant par le contenu du texte - en tous cas, de certaines de ses dispositions - que par les conditions de son examen. Nous sommes vraiment bien loin de la volonté de concertation initialement affichée !

Sur la méthode, tout d'abord, l'opposition - c'est bien normal - aurait souhaité débattre de ce texte qui, avec le fameux seuil des 10 %, conduit à une bipolarisation renforcée de la vie politique française. Hélas ! le Premier ministre a refusé tout débat à l'Assemblée nationale.

M. Jean-Jacques Hyest. Non !

M. Jean-Michel Baylet. Je le répète, le Premier ministre a refusé tout débat à l'Assemblée nationale !

Plusieurs sénateurs de l'UMP. Non ! Non !

M. Jean-Michel Baylet. Il n'y a pas eu de débat ! Ou plutôt, constatons ensemble, si vous préférez, qu'il n'y a pas eu de débat à l'Assemblée nationale sur l'initiative du Premier ministre pour des raisons dont nous pouvons parler ! (Protestations sur les travées de l'UMP. - Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Robert Bret applaudit également.) A la suite de quoi, on a entendu parler de-ci et de-là, surtout sur les bancs de l'UMP, mes chers collègues, de déshonneur pour le Parlement. Mais déshonneur pour qui ?

En tout cas, pas pour ceux qui n'ont pas hésité, le 5 mai 2002, à voter pour le candidat de la droite pour défendre les libertés et honorer la démocratie, alors que leurs convictions sont ailleurs.

Le recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, lorsque l'on a la majorité absolue à l'Assemblée nationale, est d'ailleurs une première dans l'histoire de la Ve République.

M. Jean-Jacques Hyest. Non !

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le ministre, vous le savez bien, le multipartisme est une tradition qui plonge ses racines dans l'histoire de notre pays.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Personne ne dit le contraire !

M. Jean-Michel Baylet. C'est l'un des piliers de la démocratie, en ce qu'il donne aux électeurs la possibilité de voter pour la sensibilité politique qui correspond le mieux à leurs convictions.

M. Hilaire Flandre. Y compris pour les radicaux ?

M. Jean-Michel Baylet. Oui, y compris pour les radicaux !

Les Français tiennent à cette diversité et ils l'expriment à l'occasion de chaque scrutin.

Les petits partis politiques, puisqu'on les qualifie désormais comme tels, ne sont pas des refuges ou des défouloirs. Ils représentent des courants d'idées à l'ancrage parfois ancien mais aux valeurs toujours d'actualité.

Certes, monsieur le ministre, comme je vous l'ai dit, d'ailleurs, j'approuve votre choix tendant à instaurer, comme c'est déjà le cas pour le scrutin municipal, une prime à la liste arrivée en tête. C'était en effet nécessaire afin d'assurer des majorités stables et donc de donner aux exécutifs la possibilité de mettre en place des politiques efficaces.

En revanche, votre proposition tendant à rendre nécessaire d'obtenir 10 % des électeurs inscrits pour figurer au second tour va créer les conditions suffisantes, comme je le regrettais il y a un instant, pour que seuls les représentants des grandes formations politiques puissent figurer au second tour.

Et que dire du relèvement du seuil en deçà duquel on ne peut fusionner les listes, qui passe de 3 % à 5 % ?

Vous avez tenté une comparaison avec les élections cantonales, pour lesquelles il faut également obtenir 10 % des inscrits pour figurer au second tour. Cependant, comme M. Michel Mercier l'a souligné à l'instant, on ne peut comparer des élections au scrutin de liste proportionnel avec des élections au scrutin uninominal.

M. Hilaire Flandre. Je ne vois pas pourquoi !

M. Jean-Michel Baylet. Tout simplement parce que ce n'est ni la même logique ni la même vocation, cher collègue. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Alors, tant qu'à vouloir empêcher la diversité de s'exprimer, pourquoi avoir maintenu un scrutin à deux tours ? Quitte à remettre en cause la loi de 1999, vous auriez pu aller jusqu'au bout de votre logique en proposant un scrutin proportionnel à un tour qui oblige les partis à se fédérer dès le premier tour.

C'est d'ailleurs le souhait émis d'abord par M. le rapporteur puis par M. de Raincourt. En vérité, la vocation fondamentale de ce texte est bien de créer les conditions du rassemblement dès le premier tour.

Par ailleurs, concernant le Front national, qui a été souvent évoqué et qui, en effet, a été source de difficultés dans plusieurs régions, je ne suis pas certain que nous réglerons quoi que ce soit avec le présent projet de loi. D'ailleurs, je vous en donne acte, monsieur le ministre, vous n'avez jamais rien dit de tel.

Si l'on songe cependant au résultat obtenu par M. Le Pen à la dernière élection présidentielle, si aucune liste n'atteint les 10 % des inscrits au premier tour, l'extrême droite sera en situation d'arbitre dans un certain nombre de régions - Provence - Alpes-Côte d'Azur, par exemple -, voire en situation de disputer en duel le second tour - en Alsace, si l'on se réfère aux élections passées.

Enfin, il faut bien le reconnaître, les dispositions relatives aux élections régionales sont d'une complexité qui ne va pas rencontrer l'assentiment des électeurs.

On peut même craindre, comme l'a souligné M. le rapporteur à juste titre, que le système de répartition des sièges ne donne à certaines sections départementales, pour des raisons de démographie ou de taux de participation, un nombre de sièges supérieur au nombre de candidats. Les électeurs apprécieront peu, sans doute, cette absence de logique qui complique un scrutin censé rapprocher les citoyens de leurs élus et qui va finalement, une fois encore, accentuer l'abstention.

La réforme du mode de scrutin des élections européennes, qui constitue le second grand volet du projet de loi, ne me semble pas non plus de nature à mobiliser fortement les électeurs.

Certes, monsieur le ministre, je vous ai bien entendu quand vous avez rappelé que l'ancien Premier ministre avait déjà formulé cette proposition : vous comprendrez que les radicaux, s'y étant déjà opposés à l'époque, ne changent pas aujourd'hui de position parce que c'est vous et M. Raffarin qui la présentez de nouveau ! (M. le ministre fait un signe d'assentiment.) Je vous ai d'ailleurs expliqué en détail les raisons qui nous amenaient à nous opposer à ce texte. Mais reconnaissons tout de même à Lionel Jospin le mérite d'avoir tenu compte, lui, du pluralisme et d'avoir entendu sa majorité en retirant un texte qui ne faisait pas consensus dans l'ensemble des formations de sa majorité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

En tout état de cause, dans la perspective de l'élargissement, il serait souhaitable de renforcer l'esprit européen. La création de « super-conseillers régionaux » ne me semble pas aller dans ce sens. Les élus européens, je le rappelle, siègent au sein de groupes politiques transnationaux ; ils ont donc vocation à représenter des sensibilités qui forgent leurs convictions sur des préoccupations d'ordre national et non régional.

Enfin, je veux vous dire, monsieur le ministre, que je soutiens, avec mes amis radicaux, votre volonté de moraliser le financement de la vie politique en proposant des mesures qui me semblent adaptées.

Mes chers collègues, sur la scène internationale, le Président de la République essaie, par la voie diplomatique, de faire prévaloir le droit sur la force et de démontrer qu'une vision unilatérale ne saurait prévaloir sans discussion et concertation. Sur ce point, et sur ce point seulement, rassurez-vous, nous le soutenons.

En revanche, et nous pouvons le regretter, dans l'Hexagone, on nous impose par la force un texte qui consacre les monopoles politiques et qui porte en germe la disparition de plusieurs courants de pensée, de droite comme de gauche.

Dans de telles conditions, vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que les radicaux de gauche ne puissent suivre le Gouvernement dans cette voie, sur un texte dont j'ai tenu à relever, avec objectivité, les quelques aspects positifs. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur les travées du groupe socialiste. - M. François Autain applaudit également.)

M. Hilaire Flandre. On lui donne des sous, on lui donne la possibilité de fusionner, et ce n'est pas encore cela !

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après des auditions effectuées en dehors de la commission des lois, notre rapporteur, le sénateur Gélard - à moins qu'il ne faille dire, si j'en crois la couverture de son rapport et le pluriel de majesté utilisé, « les sénateurs » Gélard -, nous a dit mercredi, lors de l'unique réunion consacrée à son examen par la commission des lois, que ce projet de loi avait reçu un avis favorable de toutes les formations politiques, sauf une ; mais, sans doute pour tester notre perspicacité, M. Gélard ne nous a pas précisé laquelle !

Je pensais que la lecture des annexes du rapport allait permettre de mettre fin à un suspense quasi insupportable. (Sourires.) Hélas ! il n'en est rien. L'annexe 1 présente la liste des personnes auditionnées et ne nous dit rien de leurs opinions, même celles de l'UMP.

Au demeurant, quelle importance ? Nous avons aujourd'hui à débattre, certes, d'un projet de loi au sens formel de l'expression, mais ce projet n'est pas celui de la majorité - n'est-ce pas, cher collègue Michel Mercier ? C'est un projet exclusivement UMP.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Non !

M. Bernard Frimat. C'est d'ailleurs sous les pressions insistantes des dirigeants de l'UMP que se sont effectués les arbitrages décisifs.

Pour être légitime, une réforme électorale ne peut être conçue dans le but exclusif d'avantager une seule formation politique ; il est nécessaire qu'elle bénéficie d'un relatif consensus. Les modes de scrutin doivent rechercher l'intérêt général, tenir compte des difficultés rencontrées pour dégager des majorités stables, mais aussi, et peut-être principalement, répondre aux préoccupations des électeurs, à la diversité des opinions, qu'il faut, en démocratie, respecter.

Avant d'en venir au fond, permettez-moi, monsieur le ministre, de m'arrêter sur la méthode et les conditions dans lesquelles la représentation nationale est invitée à délibérer sur votre texte.

D'abord, le projet de loi a été déclaré d'urgence, première limite au débat parlementaire.

Ensuite, les travaux des commissions des lois, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, n'ont donné lieu à aucune audition et n'ont donc permis aux parlementaires d'écouter et d'interroger ni les représentants des formations politiques, ni les spécialistes des questions électorales, ni vous-même, monsieur le ministre. De plus, au Sénat, n'ont été consultées ni la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes ni la délégation pour l'Union européenne.

A l'Assemblée nationale, et avant même que commencent la discussion des motions de procédure et la discussion générale, le Premier ministre a engagé la responsabilité du Gouvernement au titre de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, privant ainsi les députés de l'opposition, mais aussi certains députés de sa propre majorité, d'un véritable débat.

Bien que disposant de la majorité absolue à l'Assemblée nationale avec le seul groupe UMP, le Gouvernement a préféré passer en force, montrant ainsi le peu de cas qu'il fait des travaux des élus de la nation.

Votre projet de loi, monsieur le ministre, bénéficie aujourd'hui de sa première et dernière discussion parlementaire. Encore celle-ci n'intervient-elle qu'après que le rapporteur a longuement hésité sur le recours à la question préalable.

Si tel avait été son choix, nous aurions vu se rééditer la séquence que le Président de la République, alors Premier ministre, avait utilisée en 1986 : 49-3 à l'Assemblée nationale, question préalable au Sénat, et 49-3 sur les conclusions d'une éventuelle commission mixte paritaire.

Nous allons donc pouvoir débattre de votre projet de loi, déposer et défendre nos motions de procédure et nos amendements, en disposant, pour tout cela, du temps nécessaire. Nous aurons ainsi le droit de fonctionner normalement. Je salue ce progrès pour un parlement d'une démocratie !

Mais la majorité sénatoriale a déjà exprimé sa volonté de voter conforme, donc de n'accepter aucun amendement, même de forme, et de ne rien changer au texte soumis à notre délibération.

En effet, il ne faut absolument pas que ce texte puisse revenir devant l'Assemblée nationale, même sous la forme, non susceptible d'amendements d'origine parlementaire, de conclusions d'une commission mixte paritaire. Il faut épargner au Premier ministre une nouvelle épreuve, car son image dans les sondages pourrait souffrir.

M. Jean-Pierre Masseret. Elle souffre déjà !

M. Bernard Frimat. Une nouvelle fois, l'UMP remplacera la CMP ! Peut-être faudrait-il envisager sur ce point aussi, monsieur le ministre, une réforme de la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Robert Bret applaudit également.)

L'essentiel du débat - les premières interventions n'ont fait que le confirmer - porte sur le mode de scrutin régional. C'est à ce problème que je souhaite consacrer l'essentiel de mon propos.

Votre projet de loi, monsieur le ministre, tend à modifier le mode de scrutin issu de la loi du 19 janvier 1999 qui devait s'appliquer pour la première fois en 2004, et que M. de Raincourt semble ne pas connaître. Arrêtons-nous un instant, monsieur le ministre, sur le contexte politique de l'élaboration de cette loi.

Les élections de mars 1998 ont donné lieu, dans plusieurs régions, à des accords hétéroclites qui ont permis à l'extrême droite de s'imposer, avec la complicité de certains élus de droite, en tant qu'arbitre des élections des présidents des conseils régionaux. Si la situation fut immédiatement corrigée en Franche-Comté et dans la région Centre, elle perdura un certain temps dans la région Rhône-Alpes et existe toujours en Bourgogne, en Picardie et en Languedoc-Roussillon. Il faut dire que, dans cette dernière région, c'est presque une habitude !

Certes, la très grande majorité des élus régionaux ont adopté une attitude républicaine et refusé toute compromission avec l'extrême droite. Je leurs rends justice de cette attitude. La gauche a plus récemment montré qu'elle savait aussi se mobiliser quand les valeurs de la République étaient menacées.

M. Daniel Reiner. Eh oui !

M. Bernard Frimat. Presque tous les membres de notre assemblée sont d'accord pour refuser les accords d'arrière-boutique, « la semaine de toutes les magouilles », qui bafouent l'expression démocratique des citoyens. C'est à l'électeur, et à lui seul, qu'il revient de choisir, dans la clarté, à quelle équipe il souhaite confier la responsabilité de diriger sa région.

Le dispositif issu de la loi du 19 janvier 1999 a clairement tiré les conséquences politiques du scrutin de 1998. Il a instauré un mode de scrutin inspiré de celui qui prévaut pour les élections municipales, qui permet à la fois de dégager des majorités de gestion stables dans les assemblées régionales tout en respectant le pluralisme démocratique, condition de la représentation de l'opposition. En outre, il assure une véritable lisibilité pour le citoyen qui s'exprimera dans le cadre d'une circonscription régionale, contribuant ainsi à renforcer l'appartenance de chacun à sa région.

Le projet de loi que vous nous présentez n'améliore en rien la loi de 1999 sur cet élément essentiel que constitue l'exigence d'une majorité stable. Ce point est aujourd'hui acquis. En effet, la liste qui, au second tour, arrive en tête et obtient au moins 33 % des suffrages exprimés détient, grâce à la prime, la majorité absolue des sièges : cette disposition est conservée telle quelle dans le projet de loi.

Rien dans votre argumentation sur la nécessité que les régions soient gouvernées par des majorités claires et stables ne nous pose problème, monsieur le ministre, et nous pouvons d'autant plus facilement y souscrire que, sur ce point, vous ne modifiez pas la loi de 1999.

En revanche, comme toutes les autres formations politiques - sauf une -, nous sommes en total désaccord avec les modifications que vous proposez d'apporter aux différents seuils, notamment à celui de la qualification pour le second tour tel qu'il est prévu à l'article 4.

A nos yeux, le relèvement à 10 % des électeurs inscrits du seuil de qualification pour le second tour porte atteinte au pluralisme des courants d'idées et d'opinions, qui constitue le fondement de la démocratie. Niant cette exigence constitutionnelle, il rompt par là même l'égalité des citoyens devant le suffrage universel.

Pour défendre ce choix discutable, monsieur le rapporteur, vous étudiez cette proposition « à l'aune de l'ensemble des règles applicables aux élections », comme on peut le lire à la page 62 de votre rapport.

Il est certes indiscutable que le seuil des inscrits est, comme vous l'indiquez dans le même rapport, un élément de référence de notre droit électoral pour les élections législatives, cantonales et municipales dans les communes de moins de 3 500 habitants. Vous signalez même que ce seuil joue pour l'élection présidentielle : je ne vois pas comment, mais sans doute nous l'expliquerez-vous au cours du débat.

Quoi qu'il en soit, il n'échappe à personne que nous sommes en présence d'un scrutin majoritaire soit uninominal, et la question de la représentation de l'opposition ne se pose pas, soit plurinominal, auquel cas la représentation de l'opposition n'est pas garantie. En revanche, dans notre droit électoral, jamais il n'est fait référence aux inscrits pour un scrutin comportant une part de proportionnelle. C'est donc une innovation sur laquelle le Conseil constitutionnel aura à se prononcer.

Dans le scrutin municipal des communes de plus de 3 500 habitants, qui, vous en conviendrez, est le type de scrutin le plus proche de celui qui est ici proposé, les seuils de qualification sont calculés par rapport aux suffrages exprimés. Le débat sur le niveau adéquat à retenir pour la qualification au deuxième tour peut exister - il est même légitime -, mais la réflexion doit se situer dans le cadre des suffrages exprimés.

M. Gélard a tenté d'expliquer à la commmission, puis, à l'instant, à l'ensemble de la Haute Assemblée que, compte tenu du taux élevé de la participation aux municipales, qui s'établit à 80 %, le seuil proposé pour les régionales était d'un ordre de grandeur comparable. Je salue l'ingéniosité de l'argument, mais il ne résiste pas à l'analyse.

Si nous supposons, par référence aux consultations précédentes, que le taux d'abstention se situe entre 40 % et 50 % des inscrits, une liste doit obtenir entre 16,67 % et 20 % des suffrages exprimés pour être automatiquement qualifiée pour le second tour. Compte tenu de la réalité politique française, c'est un indiscutable procédé d'élimination de nombreuses formations politiques que vous voulez mettre en place !

Quand le seuil de qualification - il faudrait peut-être mieux l'appeler « seuil d'élimination » - est déterminé par rapport aux suffrages exprimés, monsieur le ministre, c'est l'expression du suffrage universel qui disqualifie ou qualifie telle ou telle formation politique. Le niveau d'absention est neutre et l'on ne prête pas à ceux qui se sont abstenus, ont voté nul ou ont voté blanc une préférence politique.

En revanche, dans le système que vous voulez instaurer, l'abstention devient la variable politique essentielle de la qualification. Une liste qui aura recueilli, dans deux régions différentes, le même pourcentage de suffrages exprimés et qui aura donc reçu du suffrage universel la même sanction pourra être qualifiée dans un cas, éliminée dans l'autre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - MM. Robert Bret et Guy Fischer applaudissent également.) C'est à nos yeux une rupture de l'égalité des citoyens devant le suffrage universel. Quel curieux paradoxe pour les chantres de la proximité que de faire dépendre la représentation régionale du niveau d'incivisme, de rendre les abstentionnistes arbitres du scrutin à la place des électeurs ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du CRC, du RDSE et de l'Union centriste. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)

Pourquoi, monsieur le ministre, une telle frénésie de l'élimination ?

M. Bernard Piras. C'est mathématique !

M. Bernard Frimat. Je ne prendrai qu'un exemple. Lors des dernières élections régionales en Alsace, la liste de la gauche plurielle a recueilli 16,5 % des suffrages exprimés, c'est-à-dire, compte tenu du taux d'abstention, 8,4 % des inscrits. Elle aurait donc, bien qu'ayant fusionné avant le premier tour, disparu de l'assemblée régionale pour laisser face à face droite et extrême droite. Pouvez-vous, monsieur le rapporteur, nous expliquer en quoi une telle situation constitue un progrès pour la démocratie, fût-elle de proximité ? (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)

Les dernières consultations électorales se sont caractérisées par l'augmentation de l'abstention et par la montée des extrémismes. C'est un constat que nous faisons tous.

Il faut, au nom de la démocratie, combattre les extrémistes et leurs thèses, souvent aussi simplistes que détestables. Ce combat est celui de toutes les formations démocratiques...

M. Hilaire Flandre. Il aurait fallu éviter de les créer !

M. Bernard Frimat. ... et personne n'a sur ce point le droit de donner de leçons aux autres. Mais à partir du moment où ces formations extrémistes existent, où elles ne sont pas interdites et où elles ont donc le droit de recueillir les suffrages de nos concitoyens, au nom de quel principe peut-on leur refuser d'être représentées dans les assemblées régionales ? Sans reprendre le débat sur le pays légal et le pays réel, je dirai seulement que l'élimination n'est pas une solution acceptable.

La loi de 1999 conciliait majorité stable et pluralisme politique. Votre projet, notamment par l'instauration d'un seuil de 10 % des inscrits, détruit irrémédiablement cet équilibre.

Il remet même en cause l'idée de proportionnelle, puisque de nombreux électeurs du premier tour peuvent se trouver sans candidat au second tour, sans possibilité d'obtenir des élus représentant leur opinion politique. Votre ambition est d'obliger vos alliés, notamment, à passer, dès le premier tour, sous les fourches caudines de l'UMP. Votre objectif est strictement partisan : il est de verrouiller la vie politique et de réduire vos alliés. Si l'on va jusqu'au bout du raisonnement - vous me démentirez si je me trompe -, vous espérez secrètement que l'élimination de l'extrême droite au premier tour vous rapporte automatiquement au second tour des électeurs en rupture de candidats.

En réduisant l'offre politique, et donc en favorisant la bipolarisation de la vie politique, il n'est pas certain que votre projet réponde aux préoccupations des électeurs et qu'il contribue à résoudre le problème de la croissance continue du vote contestataire - quelle qu'en soit l'expression - et à diminuer l'abstention.

Votre projet de loi marque un véritable recul pour le pluralisme et la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, loin de favoriser l'émergence de nouveaux courants de pensée indispensables à la richesse de notre démocratie, votre projet de loi va concourir à figer la représentation aux forces politiques existantes, au détriment de notre tradition, qui cultive la diversité. La démocratie implique le respect de l'adversaire et de la règle du jeu. Ce n'est manifestement pas votre choix.

Le second point de désaccord tient à la redépartementalisation du scrutin régional.

La loi de 1999 prévoit un dispositif simple, transparent, avec l'instauration d'une liste régionale. Par assimilation aux élections municipales, même si rien n'y oblige formellement, celui qui conduit la liste régionale est de fait le candidat à la présidence du conseil régional.

Dans votre projet, derrière l'affichage d'une liste régionale, c'est en réalité la mise en place de la départementalisation du scrutin régional que vous opérez.

Au moment où votre réforme vise à inscrire la région parmi les collectivités territoriales dans la Constitution, au moment où le Premier ministre affirme vouloir faire jouer aux régions un rôle moteur et leur conférer des missions essentielles, dans le cadre de la décentralisation, vous jugez opportun de revenir à la départementalisation. Cette démarche est en contradiction avec le souci de définir la région comme une collectivité majeure.

A un système simple, vous substituez un système compliqué. Mon collègue Robert Badinter a souligné, monsieur le rapporteur, l'intérêt de disposer de simulations qui permettraient d'apprécier, à partir des dernières élections régionales, avec toute la prudence nécessaire compte tenu du changement de mode de scrutin envisagé, les conséquences de votre projet de loi. Je n'ai rien trouvé dans votre rapport, en dehors de l'annexe 2 qui présente un exemple théorique d'application à une région du nouveau mode de scrutin. Cette annexe 2 est d'ailleurs strictement identique à celle qui figurait dans le rapport du député Jérôme Bignon.

Outre le fait qu'elle cultive doublement l'humour - et je vous en rends justice - en envisageant un second tour où cinq listes sont candidates - cela apparaît audacieux compte tenu du seuil de 10 % des inscrits - et en attribuant des voix à quatre d'entre elles, cette annexe ne répond pas à la demande formulée en commission des lois. J'ai peine à croire, monsieur le ministre, que de telles projections n'aient pas été effectuées. Serait-il possible, à moins qu'elles ne soient « secret-défense »,...

M. Jean-Pierre Masseret. « Secret-UMP » !

M. Roger Karoutchi. Lisez les journaux !

M. Bernard Frimat. ... que vous nous les fassiez parvenir dans les meilleurs délais ?

Au-delà de l'affadissement de l'idée de région, votre mécanisme d'attribution des sièges, en vertu de ce que M. le rapporteur appelle « le principe de la double proportionelle », présente une innovation importante, puisque c'est la première fois qu'en votant le citoyen ignorera le nombre de sièges à pourvoir dans son département. Le nombre de sièges attribués à chaque conseil régional est connu, et c'est bien le moins que l'on puisse espérer, mais, pour les sections départementales, le projet de loi n'évoque que le nombre de candidats. A l'évidence, seuls les électeurs des régions monodépartementales connaîtront avec précision, au moment du vote, le nombre de sièges à pouvoir.

Pour toutes les autres régions, y compris l'Ile-de-France, le nombre de conseillers régionaux variera en fonction de deux paramètres : la démographie et l'abstention. Puisque le système de répartition choisi est la proportionnelle à la plus forte moyenne, les départements les plus peuplés seront démographiquement avantagés, le taux d'abstention venant amplifier ou réduire cet avantage initial. Dans la mesure où il est habituel d'admettre que les élus représentent les habitants et non les seuls électeurs, il semble difficile d'accepter - et il reviendra au Conseil constitutionnel de trancher ce point - que le taux d'abstention puisse déterminer le nombre de sièges pourvus dans chaque département.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui !

M. Daniel Raoul. C'est bien vrai !

M. Bernard Frimat. Ce caractère aléatoire affecte aussi, en conséquence, même si c'est marginalement, je vous le concède, la détermination des électeurs sénatoriaux. Ce n'est plus la loi qui déterminera avec précision le collège électoral des sénateurs, celui-ci dépendra aussi du taux d'abstention constaté dans chaque département lors des élections régionales.

Nous sommes en droit de nous interroger sur la conformité à la Constitution d'un projet de loi qui engendre de telles situations. J'ai, à titre personnel, beaucoup de mal à comprendre les raisons qui conduisent le Gouvernement à privilégier ainsi l'abstention comme déterminant de l'élection.

Je vous concède, monsieur le minsitre, qu'il est parfois difficile en matière électorale d'échapper à la complexité mais, en l'occurrence, en modifiant la loi de 1999, vous compliquez à loisir un système simple.

Je souhaite évoquer encore deux points avant d'en venir au scrutin européen : celui de la tête de liste et celui de l'ancrage territorial.

Votre projet de loi permet que le candidat tête de liste régionale, ou, plus précisément, pour reprendre les termes qui figurent dans le texte, « le candidat désigné tête de liste régionale » ne soit pas placé à la tête d'une section départementale.

Votre projet permet même, si l'on pousse le raisonnement à l'absurde, que le candidat « désigné tête de liste régionale » puisse être la locomotive médiatique d'une liste tout en étant situé dans les profondeurs d'une section départementale.

Pensez-vous sincèrement qu'une telle facilité puisse contribuer à la clarté, à la transparence du scrutin ? Il serait pour le moins souhaitable que la loi soit modifiée pour empêcher toute manipulation.

M. Hilaire Flandre. Quand on ne veut pas comprendre, on ne comprend pas !

M. Bernard Frimat. L'ancrage territorial, la proximité reviennent régulièrement dans ce projet de loi pour justifier les sections départementales aux élections régionales. Ils étaient aussi invoqués et évoqués avec la même insistance dans le projet initial de sectionnement du scrutin européen, projet auquel le Gouvernement a judicieusement renoncé. C'est ainsi, si nous nous référons à votre projet de loi, monsieur le ministre, que l'Ile-de-France, qui est une circonscription trop grande pour les élections régionales et ses 209 conseillers régionaux, deviendrait, pour les élections européennes, pertinente et permettrait, si j'en crois M. le rapporteur, « aux membres du Parlement européen de mieux saisir les préoccupations des citoyens en constatant sur le terrain les conséquences locales des décisions communautaires ».

N'y a-t-il pas là une certaine contradiction et une proximité à géométrie variable selon vos besoins ?

Au demeurant, ne court-on pas le risque, avec votre proposition, d'assister à une atomisation du débat européen, à la substitution d'enjeux régionaux aux enjeux européens ? Est-on assuré que le principe d'indivisibilité de la République sera respecté ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Bien sûr !

M. Bernard Frimat. En tout état de cause, cette segmentation d'une élection nationale évitera aux leaders nationaux des formations politiques de s'exposer dans une élection traditionnellement difficile pour le parti au pouvoir et de manière générale pour les grands partis. J'ose espérer que ce n'est pas la vraie raison motivant le changement de mode de scrutin (si ! sur certaines travées du groupe socialiste), qu'il ne s'agit pas d'un arrangement pour éviter à certains un combat difficile que d'autres ont mené en leur temps.

M. Jean-Pierre Masseret. L'Aquitaine ? (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Frimat. Notre principal point de désaccord porte sur l'interdiction de cumuler un mandat de député européen avec une fonction exécutive locale.

Outre le fait qu'il est choquant que certains jugent légal de s'affranchir de la loi actuelle et appliquent déjà une loi qui n'est pas encore définitivement adoptée, la récente élection d'un président de conseil général vient confirmer les soupçons, s'agissant d'une loi faite sur mesure sous couvert de l'affirmation de principes généraux.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est odieux ! C'est illégal !

M. Bernard Piras. On est en dictature !

M. Bernard Frimat. L'argument avancé par M. le rapporteur d'un alignement de la situation du parlementaire européen sur celle du parlementaire national nous apparaît discutable. Le Conseil constitutionnel avait présenté sur ce point les considérants nécessaires.

Les représentants français au Parlement européen sont tristement célèbres pour leur absentéisme.

M. Roger Karoutchi. Ce n'est pas vrai !

M. Bernard Frimat. Croyez-vous vraiment que permettre à un maire, à un président de conseil général, à un président de conseil régional de siéger en même temps comme député européen à Bruxelles et à Strasbourg soit de nature à renforcer la présence effective et le rôle de nos représentants dans les instances du Parlement européen ?

Votre projet de loi tourne le dos, sur ce point comme sur d'autres, au débat relatif à la rénovation de la vie politique qui avait été engagé. Il ne marque un progrès que sur la parité, avec toutefois un oubli pour la Corse, que nous vous proposerons de réparer. Je ne vois aucune raison de contester ce progrès. L'avenir nous montrera, probablement en mai prochain, si ces bonnes intentions rencontreront l'appui de la majorité sénatoriale quand il s'agira du mode d'élection des sénateurs.

L'ensemble des autres dispositions de votre texte, monsieur le ministre, sont connexes et seront abordées lors de l'examen des amendements.

Pour conclure, je veux réaffirmer très sereinement la complète opposition du groupe socialiste à votre projet de loi. Ce n'est pas en réduisant le pluralisme, en favorisant le cumul des mandats, en allongeant la durée de ces derniers que vous allez rapprocher les citoyens de leurs élus, contrairement à l'objectif de proximité que vous affichez. La domination sans partage d'un seul parti ne peut constituer le modèle démocratique dans lequel nous nous reconnaissons. Vous pouvez compter sur notre détermination, monsieur le ministre, pour nous y opposer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)