COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉCÈS D'UN ANCIEN SÉNATEUR

M. le président. J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Léon Eeckhoutte, qui fut sénateur de la Haute-Garonne de 1971 à 1989.

Je salue la mémoire d'un parlementaire qui a joué un rôle important au sein de notre Haute Assemblée, notamment pendant dix ans, de 1977 à 1986, comme président de la commission des affaires culturelles.

Au nom du président du Sénat, j'adresse à sa famille toutes mes condoléances attristées.

3

SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 janvier 2004, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française.

Acte est donné de cette communication.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

4

QUESTIONS ORALES

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

APPLICATION DE LA LOI SUR L'AIR

M. le président. La parole est à M. Philippe François, auteur de la question n° 398, adressée à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.

M. Philippe François. Madame le secrétaire d'Etat, étude après étude, rapport après rapport, les mêmes conclusions demeurent : la qualité de l'air a un réel impact sanitaire et environnemental.

Si, globalement, depuis les années soixante-dix, la qualité de l'air s'est améliorée dans notre pays, les évolutions sont contrastées selon les composants chimiques. Nous avons encore de grandes marges d'amélioration.

L'été dernier a été calamiteux en matière de qualité de l'air et plusieurs grandes agglomérations ont connu des pics de pollution historiques au mois de septembre.

Toute notre attention doit donc se porter sur ce dossier afin d'améliorer les conditions de vie quotidiennes de nos concitoyens, tant à court terme qu'à moyen terme.

C'est d'ailleurs la voie sur laquelle le Gouvernement s'est engagé.

D'une part, il a lancé, en septembre 2003, un programme de recherche Véhicules propres afin de promouvoir des moyens de transports moins polluants.

D'autre part, Mme Bachelot a présenté une communication sur la pollution de l'air au Conseil des ministres du 5 novembre 2003.

Les mesures proposées sont particulièrement intéressantes.

Mais, madame le secrétaire d'Etat, ma question porte sur des dispositions législatives antérieures, issues de la loi sur l'air de 1996, dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteur, au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.

Nous avions alors adopté des dispositions qui avaient pour objet d'améliorer la qualité de l'environnement par le recours à des sources d'énergie propres et qui avaient de fortes implications sur le développement de la filière biocarburants.

Il s'agissait, notamment, des articles 21 et 24 de la loi, qui contenaient les dispositions suivantes : fixation d'un taux minimal d'oxygène dans le fioul domestique, le gazole, l'essence et les supercarburants ; la définition des spécifications de ces carburants ; détermination d'une quantité minimale de matériaux en bois dans certaines constructions nouvelles ; enfin, obligation faite aux autorités publiques disposant d'une flotte de plus de vingt véhicules de transport de voyageurs d'utiliser des véhicules dont le taux d'oxygène dans le carburant a été relevé.

Or nous constatons que ces dispositions, votées par la représentation nationale, sont restées lettre morte en l'absence de la parution des décrets d'application nécessaires.

Je souhaiterais donc savoir, madame le secrétaire d'Etat, quelles sont les raisons de ce retard. Des difficultés techniques en sont-elles l'origine ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour remédier à cette situation ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'Etat au développement durable. Monsieur le sénateur, nous avons pris connaissance avec intérêt de votre question relative à l'application de la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie.

La loi sur l'air constitue le texte fondateur de la politique de l'air en France depuis 1996 et, à ce titre, fait l'objet de la plus grande attention du ministère de l'écologie et du développement durable.

Elle contient des dispositions applicables immédiatement, pour lesquelles n'était prévu aucun texte complémentaire. Il s'agit, notamment, des articles relatifs aux lieux où la qualité de l'air doit être surveillée, à l'information du public, aux mesures d'urgence, aux plans de déplacements urbains, ainsi qu'aux documents d'urbanisme et projets d'infrastructures.

Elle contient également des articles qui, pour entrer en vigueur, doivent être précisés par décret ou par arrêté. La quasi-totalité des textes d'application a maintenant été publiée. Quelques textes sont encore en cours de préparation au sein du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ainsi que du ministère chargé du logement.

Vous attirez plus particulièrement notre attention, monsieur le sénateur, sur l'application des articles 21 et 24 de la loi sur l'air.

L'article 24 fait obligation à l'Etat, aux établissements publics, aux entreprises nationales, ainsi qu'aux collectivités territoriales et à leurs groupements d'acquérir, lors du renouvellement de leur parc de véhicules de moins de 3,5 tonnes, au moins 20 % de véhicules fonctionnant à l'électricité, au gaz naturel ou au gaz de pétrole liquéfié. Les entités soumises à cette obligation sont celles qui gèrent une flotte de plus de vingt véhicules.

Les conditions d'application de ces dispositions sont précisées par le décret du 17 août 1998, qui insère deux nouveaux articles, R. 318-7 et R. 318-8, dans la partie réglementaire du code de la route.

Comme prévu par la loi, l'obligation d'acquisition de véhicules propres lors du renouvellement des flottes est entrée en application au 1er janvier 1999.

Une étude réalisée par sondage en 2001 pour le compte de l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, a permis d'estimer que la part des véhicules alternatifs dans les flottes publiques est de l'ordre de 11 % en moyenne, les meilleurs résultats étant constatés pour les communes de plus de 100 000 habitants et les conseils régionaux. C'est la raison pour laquelle, dans le cadre du programme Véhicules propres présenté par le Premier ministre le 15 septembre 2003, il a été décidé de relancer l'action publique sur ce point. Il s'agit également d'un des axes de la stratégie nationale du développement durable.

L'article 21 de la loi sur l'air prévoit, quant à lui, une redéfinition, avant le 1er janvier 2000, des spécifications des carburants et combustibles, avec l'indication d'un taux minimal d'oxygène. Il est à examiner en liaison avec l'article 24, paragraphe III, qui prévoit qu'à partir du 1er janvier 1999, à l'intérieur des agglomérations de plus de 100 000 habitants, les véhicules de transport public en commun de voyageurs doivent utiliser un carburant dont le taux minimum d'oxygène a été relevé.

En raison de nombreuses incertitudes, tant sur les techniques disponibles que sur les coûts associés à l'utilisation des biocarburants, les travaux pilotés par le ministère chargé de l'industrie afin de préparer les textes correspondants n'ont pas encore pu aboutir, d'autant que, parallèlement, se mettait en place une réglementation à l'échelle européenne, avec laquelle il convenait de coordonner les travaux.

La France a ainsi soutenu la proposition de directive présentée par la Commission en juin 2001 visant à fixer de manière réglementaire la part minimale de biocarburants dans les carburants vendus à partir de 2005. Cette directive a été adoptée le 8 mai 2003.

La directive fixe une valeur de référence d'incorporation non contraignante, de 2 % d'ici au 31 décembre 2005 et de 5,75 % d'ici au 31 décembre 2010. Le taux d'incorporation des biocarburants qui sont mélangés dans les carburants traditionnels disponibles à la pompe est actuellement en France de 1,04 %. Il doit donc encore progresser. Des mesures spécifiques sont actuellement examinées dans le cadre du futur plan climat.

M. Philippe François. Je vous remercie, madame le secrétaire d'Etat.

AMÉLIORATION DE L'HABITAT DANS LA MANCHE

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, auteur de la question n° 366, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai appelé l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer sur la situation de l'activité liée à l'amélioration de l'habitat dans le département de la Manche qui est actuellement très préoccupante.

L'action conjuguée de contraintes extrêmement fortes pesant sur le budget de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'ANAH, et d'un retard d'instruction des dossiers déposés en 2001 aboutit aujourd'hui à une situation de blocage qui se concrétise par un nombre important de dossiers éligibles aux aides de l'ANAH, rejetés faute de crédits suffisants.

Concrètement, à ce jour, 153 dossiers déposés par le CDHAT, le Centre de développement pour l'habitat et l'aménagement du territoire, on été rejetés, correspondant à 166 logements, dont 45 vacants ; 410 000 euros de subventions ont été demandés et non accordés pour la réalisation de 2,5 millions d'euros de travaux pour les entreprises artisanales du bâtiment, et le CDHAT enregistre 28 900 euros de perte nette au titre de la rémunération de ses missions de conseil et d'assistance.

Compte tenu de la situation budgétaire, il ne s'agit probablement que d'un début, car cet organisation compte plus de 250 dossiers en attente à la délégation locale de l'ANAH pour la rénovation de 297 logements.

Dans ces conditions, il me semble intéressant de rappeler l'effet de levier des aides à l'amélioration de l'habitat sur : l'activité économique, en particulier dans le secteur artisanal du bâtiment la valorisation du patrimoine ; l'insertion sociale des personnes en difficulté qui peuvent obtenir des conditions d'accueil favorables dans des logements décents ; la dynamique des bourgs, quartiers, villages grâce au maintien à domicile des personnes âgées dans des logements rénovés ; enfin, l'octroi de conditions d'accueil favorables aux familles, consommateurs de services de proximité.

En conséquence, je vous remercie de bien vouloir m'indiquer quelles solutions concrètes peuvent être envisagées afin d'améliorer cette situation, qui a réellement pris une tournure inquiétante dans mon département.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur Bizet, je vous présente d'abord les excuses de Gilles de Robien, qui était dans l'impossibilité de venir lui-même aujourd'hui et qui m'a chargé de le remplacer.

Au demeurant, cela me permet de répondre à la question que vous m'aviez adressée voilà quelques mois concernant les moutons de pré-salé. Le décret que vous appeliez de vos voeux suit actuellement le dédale des signatures interministérielles, après avoir reçu la mienne, et pourra donc être publié très prochainement, conformément à ce que vous aviez souhaité.

J'en reviens à votre question de ce matin.

Comme vous, Gilles de Robien considère que l'ANAH est un outil indispensable pour améliorer les conditions de logement de nos concitoyens, tout particulièrement en milieu rural.

Dans le contexte budgétaire actuel, le Gouvernement, soucieux d'une bonne maîtrise des dépenses publiques, a demandé à l'ANAH de cibler ses interventions sur les trois domaines qu'il juge prioritaires.

Il s'agit, tout d'abord, de la lutte contre l'insalubrité. Beaucoup d'entre nous ont encore en mémoire les images de l'hiver 1954 et de l'appel de l'abbé Pierre. On ne peut accepter au xxie siècle qu'il existe des logements qui mettent en danger la vie de nos concitoyens.

Il s'agit ensuite du développement d'un parc privé à vocation sociale : nous devons, en effet, savoir mobiliser le parc privé pour loger nos concitoyens les plus modestes.

Il s'agit enfin de la prise en compte du développement durable : c'est un devoir que nous avons envers les générations futures.

Ces trois priorités nationales sont déclinées dans chaque département au travers de programmes d'actions pluriannuels adoptés par les commissions locales d'amélioration de l'habitat.

Dans le département de la Manche, ce programme a été approuvé au mois de mai dernier. Un véritable travail de pédagogie et donc à faire auprès de l'ensemble des partenaires locaux pour expliquer ces nouvelles règles de fonctionnement. Je sais que l'ensemble des partenaires locaux, et notamment les services déconcentrés du ministère, s'y attachent.

Ce travail d'explication permettra aussi d'éviter que des dossiers soient retardés et attendent inutilement une décision de financement.

Parlons « gros sous » puisque tel était, en fin de compte, l'objet de votre question.

Le Gouvernement a particulièrement veillé à maintenir les moyens d'intervention de l'ANAH. Ceux-ci se sont élevés à 413 millions d'euros pour 2003. Le budget du logement prévoit une dotation de 392 millions d'euros, auxquels s'ajouteront les produits de la taxe sur les logements vacants. En 2004, les moyens d'intervention de l'ANAH seront donc équivalents à ceux de 2003.

La dotation du département de la Manche pour l'année 2003 s'est élevée à 3,8 millions d'euros.

Par ailleurs, pour accompagner le développement d'un habitat locatif de qualité dans le milieu rural, le Gouvernement a prévu de bonifier, dans les zones de revitalisation rurale, le nouveau dispositif d'aide à l'investissement locatif. La déduction forfaitaire appliquée aux revenus fonciers sera ainsi de 40 %, au lieu de 6 % dans le régime de droit commun.

Tels sont les éléments d'information que je suis en mesure de vous donner, monsieur Bizet. Si vous étiez conduit à estimer que, dans la Manche, les crédits consacrés à l'amélioration de l'habitat sont insuffisants, je me ferais votre interprète auprès de Gilles de Robien, avec lequel vous pourriez alors réexaminer la situation du département que vous représentez.

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie d'avoir pris une part décisive à l'avancement du dossier de la construction de bergeries en bordure de la baie du Mont-Saint-Michel, qui était bloqué depuis trois ou quatre ans.

En ce qui concerne l'action de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, je note l'accent qui est mis sur les zones de revitalisation rurale ; nous en comptons quelques-unes dans le département de la Manche.

Cela étant, si l'on en reste, pour 2004, aux 3,8 millions d'euros déjà attribués en 2003, il risque fort d'arriver un moment où ces crédits seront insuffisants. Croyez bien que, dans cette hypothèse comme vous m'y avez fort aimablement invité, ce dont je vous remercie, je ne manquerai pas de vous saisir du problème.

POLITIQUE D'INVESTISSEMENT

SUR LES VOIES NAVIGABLES

M. le président. La parole est à M. Francis Grignon, auteur de la question n° 375, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Francis Grignon. Monsieur le secrétaire d'Etat, a été conduite en 2001-2002, sous la présidence de Georges Gruillot, une mission d'information dont j'ai été le rapporteur et qui était chargée d'étudier la pertinence du développement d'un véritable réseau de voies navigables en France.

Sans détailler les conclusions de ce rapport, que vous connaissez fort bien, je résumerai ainsi le fruit de nos observations : les infrastructures routières sur les grands axes européens Paris-Bruxelles, par exemple, ou Marseille-Lyon-Bâle-Strasbourg étant vouées à être rapidement saturées, en particulier dans la vallée du Rhône et dans la vallée du Doubs, la SNCF n'étant pas encore en mesure de répondre, compte tenu de son organisation et de l'état de ses infrastructures, aux formidables besoins en ce domaine, il conviendrait d'envisager la création, à terme, d'un véritable réseau de voies navigables en France. Après tout, c'est ce qui avait été fait du temps de Freycinet.

Soulignons que notre pays dispose, à cet égard, de nombreux atouts, notamment un réseau hydrographique très riche, avec des bassins très intéressants. N'oublions pas qu'il s'agit en outre d'un enjeu économique stratégique puisque nos voisins européens ont développé leurs propres réseaux.

Le dernier comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, le CIADT, a avalisé le projet Seine-Nord, et il faut s'en féliciter. Cependant, de tels projets coûtent cher et mobilisent beaucoup de moyens. Nous avons donc suggéré, dans notre rapport d'information, une solution beaucoup moins onéreuse et qui paraît économiquement viable au regard des besoins des entreprises. Il ne nous semblait pas nécessaire, en effet, de construire sur tout le territoire de grands canaux capables d'accueillir trois barges et un pousseur, par exemple. Ainsi, sur l'actuel canal d'Alsace, 95 % du trafic est réalisé par des automoteurs longs de 100 mètres à 140 mètres.

Il nous avait été indiqué à l'époque que des études plus poussées sur de telles solutions étaient envisagées. Or, vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, entre les études préliminaires et la réalisation d'un projet, ce sont parfois des dizaines d'années qui s'écoulent. J'aimerais donc savoir où l'on en est en ce qui concerne ces études relatives à la réalisation de canaux à la fois moins coûteux, ayant moins d'impact sur l'environnement et économiquement viables.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur Grignon, j'ai d'autant plus de plaisir à vous répondre que vous êtes un spécialiste reconnu et un avocat persuasif du développement du transport fluvial.

Il convient de rappeler à la fois l'importance stratégique du transport fluvial et son renouveau. En effet, voilà quelques années, il était de bon ton d'enterrer, si j'ose dire, le transport fluvial. Or, aujourd'hui, il gagne des parts de marché et a connu une croissance de 22 % au cours des cinq dernières années, ce dont nous sommes tous satisfaits. D'ailleurs, le rapport que vous avez réalisé, dans le cadre de la mission d'information présidée par votre collègue M. Gruillot, a joué un rôle important dans cette prise de conscience du renouveau de la voie fluviale.

Lorsque, au printemps dernier a eu lieu, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'ici même, le débat prospectif sur les infrastructures. Gilles de Robien et moi-même avons été frappés par l'intérêt que suscitait ce mode de transport chez les parlementaires.

Sans ce renouveau, sans cette volonté politique dont vous êtes l'un des acteurs, nous n'aurions pas pu obtenir des décisions importantes en faveur du transport fluvial lors du CIADT du 18 décembre dernier.

La volonté du Gouvernement de s'engager avec détermination dans l'essor du transport fluvial a été très clairement exprimée à cette occasion. Qu'il s'agisse de développement économique, d'attractivité des territoires ou de la préservation de l'environnement, le transport fluvial présente d'incontestables atouts.

Au CIADT, il a notamment été décidé de favoriser le développement des trafics de pré-acheminement et de post-acheminement des ports maritimes et du transport de conteneurs ; le port autonome de Paris occupe une place de plus en plus importante dans ce secteur, en liaison avec les ports du Havre et de Rouen. Le transport fluvial est également très intéressant pour la traversée des zones urbaines dont le réseau routier est saturé : à Lyon, à Paris ou dans d'autres grandes agglomérations.

Tout cela suppose que le réseau magistral, c'est-à-dire le réseau à grand gabarit soit modernisé et aussi que de nouveaux investissements soient réalisés.

Au CIADT, nous avons décidé de mener à bien la liaison Seine-Nord Europe, qui a par ailleurs été incluse par le Conseil des ministres dans le réseau trans-européen de transport, et la réalisation de l'écluse fluviale de Port 2000 qui permettra de relier la Seine au nouveau port du Havre. Nous avons d'ores et déjà donné mission à Voies navigables de France d'engager des études sur ces projets.

Cela étant, comme vous l'aviez expliqué dans votre rapport, on peut aussi envisager une meilleure utilisation des infrastructures existantes, avec des chalands automoteurs plus réduits. On voit bien, d'ailleurs, que, sur le grand gabarit, les péniches classiques du réseau Freycinet conservent une certaine utilité. L'hypothèse d'une interconnexion, qui ne donnerait plus lieu aux travaux pharaoniques imaginés dans le passé, mais qui serait beaucoup plus réaliste, entre le bassin rhodanien et le bassin rhénan est tout à fait intéressante.

Dans le cadre des contrats de plan, une étude a déjà été engagée sur l'intérêt d'une liaison entre la Saône et la Moselle, mais nous allons profiter, monsieur Grignon, de cette volonté politique nouvelle en faveur du transport fluvial et des décisions du CIADT pour examiner avec vous et M. Gruillot comment nous pouvons relancer les études sur ce projet qui vous est cher. Compte tenu du développement du trafic sur le Rhône et sur la Saône, de la capacité de faire du transport fluvio-maritime sur cet axe, et donc de l'intérêt de mieux le relier au bassin rhénan, il est certainement judicieux de relancer les études dans ce domaine. Je m'engage à le faire et à vous y associer.

M. le président. La parole est à M. Francis Grignon.

M. Francis Grignon. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de vos paroles aimables, auxquelles nous sommes très sensibles. Le maire de Marseille sera également très intéressé par ces développements stratégiques. (M. le président sourit.)

M. Gruillot et moi-même, ainsi que tous les collègues qui ont travaillé sur ce sujet, nous sommes à votre disposition pour étudier, avec vous, des solutions alternatives beaucoup plus souples et intégrant mieux les préoccupations environnementales.

DIFFICULTÉS DES BÉNÉFICIAIRES DU LOGEMENT SOCIAL

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, auteur de la question n° 406, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

M. Jean-Marc Todeschini. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, attirer votre attention sur la situation de paupérisation croissante des locataires du logement social et sur les difficultés que vont rencontrer les organismes qui en ont la responsabilité, en particulier l'OPAC, l'office public d'aménagement et de construction, de la Moselle.

Ce département doit faire face, en matière d'occupation du patrimoine locatif social, à une dégradation de la situation économique des nouveaux entrants. Permettez-moi de vous citer ici quelques chiffres. En 1997, la proportion de locataires dont les ressources étaient inférieures à 60 % du plafond pour l'accès au logement social s'élevait à 52,8 %. Cette proportion est passée à 61 % en 2003. Parallèlement et paradoxalement, le nombre de bénéficiaires en 2003 de l'aide personnalisée au logement, l'APL, est en nette diminution. Ils ne représentent plus que 52,2 %, contre 56,6 % en 1997. Cette baisse s'explique par la non-revalorisation des barèmes de l'APL.

Malgré ce triste constat, l'OPAC de la Moselle a su faire preuve de responsabilité et de solidarité. Ainsi, il a pris la décision de limiter la hausse des loyers à 2 % en niveau, ce qui représente 1% en masse. Mais cet organisme ne pourra pas indéfiniment être le seul à fournir des efforts.

La solidarité nationale doit ici jouer pleinement son rôle, notamment par un relèvement significatif des prestations d'APL. Monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement entend-il répondre à cette situation de paupérisation croissante en révisant à la hausse les barèmes de l'APL ?

Par ailleurs, pour faire face à la poursuite de ses réhabilitations et aux grands chantiers de restructurations urbaines, l'OPAC aura besoin d'améliorer ses ressources propres. Or est prévue pour cette année une ponction de 5 euros par logement au profit de l'Agence nationale de rénovation urbaine mise en place par le ministre de la ville.

Je souhaiterais donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous me précisiez les dispositions qui seront prises pour aider les organismes du logement social à assurer les réhabilitations et les restructurations urbaines qu'ils ont à mener.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur le sénateur, je vous prie d'excuser l'absence de M. Gilles de Robien, dont je serai ce matin le porte-parole.

Vous avez posé plusieurs questions.

Tout d'abord, je tiens à rappeler que les aides personnelles au logement seront revalorisées avec effet rétroactif au 1er juillet 2003, dans des conditions très proches de celles de juillet 2002. Les paramètres concernant les ressources des ménages seront ainsi revalorisées de 1,8 %, les plafonds de loyer l'étant de 1,2 %, avec un effort particulier pour les familles à Paris et dans la première couronne qui bénéficieront d'une revalorisation des plafonds de loyers de 2,5 %.

L'ensemble des locataires, notamment ceux de l'office public d'aménagement et de construction de la Moselle, vont donc bénéficier de cette revalorisation.

Vous interrogez par ailleurs M. de Robien sur la contribution supplémentaire que les organismes d'HLM vont verser cette année à la Caisse de garantie du logement locatif social.

Cette contribution permettra d'abord d'abonder les financements de l'agence nationale de rénovation urbaine souhaitée par le ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine, M. Jean-Louis Borloo, agence qui regroupera l'ensemble des moyens financiers de l'Etat, du 1 % logement et des organismes de logement social en faveur des programmes de rénovation urbaine dont notre pays a bien besoin. C'est donc ce guichet unique qui mettra en oeuvre le programme national de rénovation urbaine que le Gouvernement a annoncé l'an dernier. Je rappelle qu'il s'agit d'un programme de grande ampleur puisqu'il comporte la rénovation de 200 000 logements locatifs sociaux, la démolition de 200 000 logements et la reconstruction de 200 000 logements.

Le Gouvernement a mobilisé les partenaires autour de ce grand enjeu et mis les moyens en place pour que ce programme devienne maintenant une réalité.

Monsieur le sénateur, cette contribution permettra de mettre en oeuvre des actions de modernisation des organismes de logement social, de formation de leurs personnels pour qu'ils répondent mieux aux attentes de leurs locataires.

Il s'agit donc d'une véritable mutualisation au profit des organismes qui en ont le plus besoin. Dans cette perspective, nous ne doutons pas - en tout cas, tel est le souhait de M. Gilles de Robien - que l'OPAC de Moselle saura en tirer tout le parti nécessaire et pourra ainsi développer son action.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.

M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne vous étonnerai pas en disant que vous ne m'avez pas rassuré.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat. Je n'avais même pas essayé, monsieur le sénateur !

M. Jean-Marc Todeschini. Vous avez évoqué Paris et la couronne parisienne.

Je vous signalerai simplement que le département de la Moselle est limitrophe du Luxembourg et de la Sarre : les loyers y sont très chers, le prix du terrain augmentant de plus en plus en zone frontalière, ce qui rend la situation des organismes d'HLM très tendue. Vous comprenez donc que les difficultés sont devant nous !

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous n'avez pas voulu vous convaincre, et je ne tenterai pas non plus de le faire. Mais je soulignerai que, à l'heure où l'abbé Pierre renouvelle son discours sur les personnes sans logis et est reçu à l'Elysée, les effets de manche ont fait leur temps ! Et là, je vise le ministre de la ville, bien entendu. Vous avez répondu à ma question portant sur les cinq euros ; il est clair que l'on prend dans la poche des personnes les plus démunies, de celles qui ont déjà des difficultés.

A mes yeux, le logement social se porte mal, et les OPAC rencontrent des problèmes pour renouveler le parc, le moderniser et surtout le développer. L'équilibre des opérations et le financement sont de plus en plus délicats et ne se sont pas améliorés, contrairement à ce qu'avait annoncé le Gouvernement au moment de la baisse du taux du livret A.

Vous avez pris l'exemple de la couronne parisienne ou de Paris, monsieur le secrétaire d'Etat, mais des difficultés spécifiques existent aussi ailleurs. Les revalorisations de barèmes que vous avez annoncées seront largement insuffisantes et la population de nos immeubles sera de plus en plus pauvre. En tout cas, il sera impossible de leur offrir des améliorations au niveau du logement.

péage autoroutier de vieilleville-carquefou

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier, auteur de la question n° 408, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

Mme Gisèle Gautier. L'agglomération nantaise présente la particularité de disposer d'un « périphérique » extrêmement complet, considéré comme l'un des mieux conçus et performants de France, à ceci près qu'il compte une section importante de son itinéraire nord/nord-est à péage.

Cette situation a pour effet non seulement de pénaliser financièrement les usagers locaux qui l'empruntent quotidiennement venant du nord-est de Nantes, du canton de Carquefou ou de l'est de celui de La Chapelle-sur-Erdre, mais aussi d'encourager des recherches d'itinéraires bis gratuits par nombre d'automobilistes, ce qui ne fait qu'encombrer les autres voies et les rendre chaque jour plus dangereuses.

C'est pourquoi, depuis de nombreuses années, riverains et élus locaux dénoncent une situation unique en France pour une agglomération de cette taille.

Les différents ministres de l'équipement ont été successivement interpellés. Début 2003, le préfet de région s'est vu confier la mission d'étudier, en lien avec la société concessionnaire, Cofiroute, la faisabilité du rachat des barrières de péage de Vieilleville-Carquefou. Je souhaiterais donc connaître l'état d'avancement de cette mission, soulignant l'attente légitime des élus à disposer maintenant rapidement des conclusions de cette mission et à avoir ainsi l'occasion d'en débattre.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Madame le sénateur, vous abordez un sujet que j'ai eu l'occasion d'évoquer récemment, à Nantes, avec M. Ayrault, député-maire de la ville, M. Trillard, président du conseil général de Loire-Atlantique, et M. Harousseau, président du conseil régional des Pays de la Loire, et il est vrai que cette problématique du péage urbain de Nantes-Carquefou est assez compliquée.

Par le passé, la question de l'éventuelle suppression des barrières de péage situées au niveau de l'échangeur de Vieilleville-Carquefou a effectivement été évoquée ; c'est donc un dossier ancien !

Comme vous le savez, à l'origine, la décision avait été prise de réaliser sous le régime de la concession ce contournement nord de Nantes en provenance d'Angers en tant que prolongement de l'autouroute A. 11 Paris-Nantes. Depuis, il s'insère dans le périphérique nantais. Pour avoir souvent l'occasion de l'emprunter, j'ai pu observer que la circulation y était plus que dense !

A l'époque, les élus ont considéré que la barrière de péage pleine voie, prévue au niveau de Vieilleville-Carquefou, était trop proche de l'agglomération nantaise et, après négociations, la dernière barrière pleine voie a été reportée plus à l'est, à la hauteur d'Ancenis. Des barrières latérales de péage sur les voies d'accès à l'autoroute ont cependant été maintenues au niveau de l'échangeur de Vieilleville-Carquefou, avec des tarifs réduits.

Il apparaît désormais clairement que la présence d'un péage au niveau de l'échangeur de Vieilleville-Carquefou conduit nombre d'usagers locaux à quitter ou à atteindre l'A. 11 à hauteur de l'échangeur de Boisbonne, ce qui engendre un trafic parasite dans le centre urbain de Carquefou.

C'est pourquoi nous devons, comme vous l'avez indiqué à juste titre, madame le sénateur, rechercher les solutions permettant de supprimer ou, en tout cas, de réduire significativement ce trafic parasite.

C'est dans cet esprit que M. Gilles de Robien a confié à M. le préfet de région la mission d'étudier les solutions propres à atteindre cet objectif, et en particulier d'examiner la faisabilité du rachat des barrières de péage de Vieilleville-Carquefou.

Ce travail a été mené avec l'exploitant, la société Cofiroute, qui, à cette fin, a réalisé une enquête de circulation au printemps 2003, pour disposer d'une analyse précise du trafic et du modèle financier.

Les services de l'Etat ont également été associés.

Madame le sénateur, ces éléments sont aujourd'hui disponibles. C'est pourquoi nous avons demandé au préfet d'organiser dans le courant du mois de février une réunion avec les élus, en présence des représentants de Cofiroute, réunion à laquelle, je l'espère, vous assisterez. Nous aurons alors tous les éléments et nous serons en mesure de prendre enfin les décisions que vous attendez depuis longtemps.

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier.

Mme Gisèle Gautier. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse.

Ce dossier, je le rappelle, est un feuilleton à rebondissements depuis plus de quatorze ans. Le premier épisode a été le déplacement du péage alors que le préfet de l'époque nous répondait que c'était une mission impossible sur le plan juridique. En définitive, nous avons réussi à le déplacer hors du centre-ville de ma commune, ce qui fut une bonne chose.

Le deuxième épisode a été la diminution de la taxe de péage, qui est maintenant d'un montant relativement modeste. Malheureusement, vous l'avez rappelé, nous constatons néanmoins que les usagers empruntent la ville de Carquefou pour éviter de payer cette taxe de péage.

M. le député Edouard Landrain et moi-même avons multiplié les rencontres avec les différents ministres concernés, sans obtenir satisfaction. Deux aberrations perdurent en effet.

La première, c'est l'iniquité totale entre les usagers selon leur trajet. C'est selon moi une question de justice qu'il convient de résoudre.

La seconde observation tient, comme vous l'avez dit très précisément, monsieur le secrétaire d'Etat, à l'engorgement du centre-ville de Carquefou, qui devient intolérable. A cet égard, vous savez que les manifestations se multiplient et prennent de l'ampleur.

Permettez-moi d'insister sur l'engagement que vous avez pris de faire en sorte que M. le préfet réunisse l'ensemble des partenaires que vous avez cités. J'ai en effet reçu voilà un an et demi une promesse analogue qui n'avait pas été suivie d'effet. Je ne voudrais donc pas que, aujourd'hui, on me promette de nouveau la tenue d'une réunion avec le préfet d'ici à la fin du mois de février et que cela ne soit pas suivi d'effet. C'est la raison pour laquelle j'insiste sur ce point.

situation des services de pédiatrie

dans les centres hospitaliers

M. le président. La parole est à M. Louis Souvet, auteur de la question n° 386, adressée à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

M. Louis Souvet. Madame la secrétaire d'Etat, le problème que j'aborde aujourd'hui traduit, comme celui que j'ai développé ici-même voilà quelques jours, une dimension locale. Mais il s'agit aussi d'un problème national auquel tout un chacun, dans cet hémicycle, est confronté à un degré ou à un autre, s'il exerce des responsabilités dans un hôpital de son département : je veux parler de la pénurie de pédiatres et des difficultés à assurer un service d'urgence pédiatrique.

Annoncer la fermeture d'un tel service suscite des craintes légitimes de la part des parents, ainsi que des récupérations politiciennes inévitables. L'exploitation est facile.

Mais que faire, madame la secrétaire d'Etat, quand, comme cela est le cas sur le site de Montbéliard, l'effectif se limite, à la suite de départs pour des motifs divers et variés, à un seul praticien pour quatre postes prévus ?

Heureusement, nous bénéficions d'un positionnement réalisé à titre dérogatoire par l'agence régionale pour l'hospitalisation, qui a fait preuve en l'occurrence de compréhension. Cette dérogation permet l'emploi d'un praticien étranger sous réserve d'une référence médicale que seule peut assurer Mme le chef de service, et ce à titre provisoire.

Cependant, même avec cette dérogation, le service ne peut pas fonctionner dans les conditions de sécurité maximales.

Vous vous rendez donc parfaitement compte, madame la secrétaire d'Etat, de la charge supplémentaire de travail des praticiens en question, de la pression psychologique qu'ils subissent avec, au final, un risque d'erreurs pouvant déboucher sur la mise en cause de leur responsabilité, de leur carrière et de leur situation.

Les parents doivent être conscients de cet état de fait, qui engendre à son tour un contexte relativement pénible et, en tout cas, peu serein pour les équipes médicales et paramédicales.

Il est bien évident, madame la secrétaire d'Etat, que le centre hospitalier a très activement prospecté pour compléter l'équipe médicale et pour éviter la fermeture du service.

Mais c'est à cet égard que l'exemple montbéliardais rejoint la problématique nationale. En tant que responsables du centre hospitalier de Belfort-Montbéliard, nous sommes confrontés à la pénurie généralisée de pédiatres.

La fusion des deux entités de Montbéliard et de Belfort était une décision courageuse qu'il fallait prendre. Nous l'avons fait, Jean-Pierre Chevènement et moi-même. Il s'agissait non pas de deux hôpitaux de campagne, mais de deux centres d'environ huit cent lits chacun, situés à moins de quinze kilomètres l'un de l'autre et rayonnant sur une population de 300 000 à 400 000 personnes, d'où les difficultés que nous avons connues et que nous connaissons encore.

Si nous avons réalisé cette fusion, il nous reste cependant, comme le rappelle M. Schmid, le nouveau directeur, à transformer l'essai. Ce projet médical global qu'il convient de définir et de mener à bien ne doit pas être freiné par l'action de paramètres défavorables tels que la situation du secteur pédiatrique.

Appelons un chat un chat : il y a pénurie sur le site de Montbéliard mais aussi sur celui de Belfort. Nous avons les crédits pour deux postes supplémentaires, mais nous ne trouvons personne et, par ricochet, vous êtes accusée, madame la secrétaire d'Etat, de vouloir réaliser des économies sur la santé des bébés, alors que les postes existent au tableau des effectifs.

M. René-Pierre Signé. C'est vrai !

M. Louis Souvet. Il est indispensable de disposer sur le plan national, notamment dans le domaine de la pédiatrie, de nouvelles compétences médicales, ce qui nous permettrait de pouvoir localement recruter des praticiens. La pénurie nationale engendre d'importantes conséquences sur le plan local. Nous avons dû décider, en raison des impératifs de sécurité, de transférer les prises en charge longues en pédiatrie sur le site de Belfort, ne conservant que les urgences pédiatriques à Montbéliard. Une telle décision a bien évidemment été mal perçue par les parents des jeunes enfants, et cette incompréhension a fait l'objet d'une récupération politicienne, alors que le problème est technique et qu'il y serait mis fin dès l'embauche de spécialistes en question.

« Il faut arrêter de se faire peur » : je souscris à ces propos de M. le directeur de l'hôpital ; en adoptant une telle attitude, nous n'en serons que plus efficaces dans la recherche de solutions, car, quel que soit le problème, il existe toujours des solutions.

Que faire concrètement, madame la secrétaire d'Etat, face à un problème aussi important qui perdure depuis des années ?

M. René-Pierre Signé. Et pas seulement pour les pédiatres !

M. Louis Souvet. Vous aurez noté que la sobriété de mon propos est volontaire afin de mieux mettre en valeur le fond du dossier. Dans l'immédiat, l'urgence commande de nous aider à recruter des pédiatres.

Le Nord-Est comtois, composé, je le répète, de Belfort et de Montbéliard et représentant environ 300 000 à 400 000 personnes, sera bien évidemment attentif à votre réponse, madame la secrétaire d'Etat.

M. René-Pierre Signé. Sochaux a battu l'OM, monsieur le président !

M. Louis Souvet. Mille excuses, monsieur le président ! (Sourires.)

M. le président. Monsieur Signé, j'ai pardonné à M. Souvet ! (Nouveaux sourires.)

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Monsieur le sénateur, vous interrogez M. Mattei sur la situation des services de pédiatrie du centre hospitalier de Belfort-Montbéliard, et plus particulièrement sur celle du site de Montbéliard qui connaît aujourd'hui des difficultés de fonctionnement.

En effet, le contexte démographique particulièrement défavorable des pédiatres affectant toute la France n'épargne pas la région de Franche-Comté. Les difficultés de recrutement de pédiatres sur cet établissement, et sur le site de Montbéliard tout particulièrement, sont observées depuis plusieurs années. Si des solutions provisoires ont pu être trouvées ponctuellement, celles-ci n'ont pas permis une organisation pérenne du service. Actuellement, les effectifs médicaux du service de pédiatrie du site de Montbéliard sont réduits à un praticien hospitalier aidé d'un médecin roumain faisant fonction d'interne, qui exerce sous la responsabilité du chef de service.

Les cinq postes de praticiens hospitaliers en pédiatrie vacants sur le centre hospitalier de Belfort-Montbéliard ont été déclarés à recrutement et à maintien prioritaires et seront prochainement publiés. De nombreuses annonces sont faites par l'établissement dans la presse médicale.

Devant la nécessité de maintenir une offre de soins adaptée aux besoins du bassin de population, en toute sécurité, la direction du centre hospitalier de Belfort-Montbéliard a décidé de transférer une partie de l'activité de l'hospitalisation sur le site de Belfort. Cette nouvelle organisation permet de maintenir une offre de soins diversifiée et de proximité sur Montbéliard, en continuant notamment à satisfaire aux besoins de la maternité et de l'accueil des urgences de ce site.

Cette situation devrait évoluer avec le projet médical lié à la fusion des centres hospitaliers de Belfort et de Montbéliard qui est en cours de négociation. Parmi les pistes de discussion figure la création d'un pôle mère-enfant unique. La réflexion devrait aboutir avant l'été 2004 de façon qu'un contrat d'objectifs et de moyens puisse être signé dès le projet d'établissement finalisé.

La formalisation rapide du projet médical centré sur le regroupement des plateaux techniques et des activités, en particulier la création d'un pôle mère-enfant, devrait permettre à l'établissement de restaurer l'attractivité de son service de pédiatrie et de mieux faire face à ces difficultés.

M. le président. La parole est à M. Louis Souvet.

M. Louis Souvet. Je vous remercie, madame la secrétaire d'Etat, de votre réponse, mais elle m'inquiète plus qu'elle ne me rassure.

Vous dites que la démographie médicale est difficile depuis plusieurs années sur le pôle de Belfort-Montbéliard. Pourtant nous disposons d'installations neuves, qu'il s'agisse de la maternité ou du service pédiatrique, très attractives sur le plan hôtelier.

Nous employons un médecin roumain. Le seul fait de publier des annonces pour cinq postes vacants ne va pas créer des pédiatres.

Je suggère donc que nos règles de fonctionnement soient assouplies afin de faciliter l'arrivée de médecins étrangers qui ne demandent qu'à nous rejoindre. Ailleurs, les bébés naissent dans de bonnes conditions et, parfois, en bien plus grand nombre qu'en France. Peut-être y aurait-il là l'amorce d'une solution.

Je suis d'autant plus informé du transfert effectué sur Belfort et de la pratique des lits « kangourous », que nous les avons mis en place et que j'étais, jusqu'à ces derniers jours, le président du conseil d'administration du centre hospitalier.

Vous dites que le projet médical, notamment le pôle mère-enfant unique, va faire évoluer les choses. Cela m'inquiète, madame le secrétaire d'Etat. Nous ne sommes pas mûrs, pas plus dans notre esprit que sur le plan financier, pour construire, dans un lieu unique, un pôle mère-enfant unique, ce qui conduirait les femmes de Belfort à accoucher à Montbéliard et celles de Montbéliard à accoucher à Belfort. Jamais nous ne l'accepterons.

Nous avons de longues traditions. Nous venons, je l'ai dit, de construire sur les deux sites des maternités. Si nous avons 2 000 naissances à peu près par an à Belfort et 1 500 à Montbéliard, il faut savoir qu'il y a à Montbéliard une clinique privée qui tirera profit de cette situation. Premièrement, je ne vois pas comment nous pourrions trouver l'argent nécessaire pour construire un pôle mère-enfant unique. Deuxièmement, je ne vois pas ce que nous ferions des « friches ».

De nombreux médecins rêvent, non pas de construire seulement un pôle mère-enfant unique, mais un hôpital unique, c'est-à-dire d'abandonner les deux hôpitaux actuels et d'en construire un nouveau situé au milieu des deux autres, ce qui, bien évidemment, est complètement irréaliste.

CONSÉQUENCES DE LA LOI ÉVIN

SUR LA FILIÈRE VITICOLE

M. le président. La parole est à M. Joseph Ostermann, auteur de la question n° 409, adressée à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

M. Joseph Ostermann. Je souhaite attirer votre attention, madame le secrétaire d'Etat, sur les conséquences de la loi Evin sur la filière viticole.

Comme l'explique un récent rapport sénatorial, la viticulture est fragilisée par la diminution de ses exportations, qui ont chuté de 2,8 % en 2001, par l'érosion de ses parts de marché à l'extérieur et par le ralentissement de la consommation domestique. On constate en effet une baisse cumulée de la consommation intérieure taxée de 6 millions d'hectolitres sur les trois dernières campagnes. Ces tendances se traduisent par un gonflement des stocks, par un fléchissement des cours de 8 % à 10 % par an depuis deux ans pour les vins de pays et les vins de table, et par une dégradation du revenu des viticulteurs.

Ainsi, pour faire face à ces difficultés, tous les acteurs s'accordent sur la nécessité de développer, entre autres mesures, une politique de communication efficace.

Or la loi Evin semble freiner toute communication. Elle interdit en effet les opérations de parrainage, télédiffusées ou non. Ainsi, de grandes manifestations sportives internationales retransmises en France sont sponsorisées par des grandes marques de vins étrangers - ce fut le cas pour le vin australien lors de la Coupe du monde de rugby -, dont le pays d'origine ne dispose pas d'une telle loi, ce qui fragilise d'autant plus la filière française.

Par ailleurs, le tribunal de grande instance de Paris vient d'interdire la campagne publicitaire du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne pour atteinte à la loi Evin. C'est la première fois qu'une région viticole d'appellation d'origine est attaquée sur sa communication publicitaire depuis la mise en oeuvre de la loi Evin. Il existe manifestement un vide juridique relatif aux campagnes de communication des interprofessions.

Ne conviendrait-il pas, par conséquent, de réformer ladite loi afin de concilier les légitimes préoccupations de santé publique et la nécessaire promotion d'une filière agricole fragilisée ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Monsieur le sénateur, vous avez interrogé M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées sur la réglementation de la publicité des boissons alcooliques en France.

Je vous le rappelle, l'alcool est responsable de 45 000 décès par an et contribue à 14 % des décès masculins et à 3 % des décès féminins. Il s'agit aussi du premier coût social des comportements addictifs, d'après l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, devant le tabac et loin devant les stupéfiants.

Loin de constituer un vide juridique, la réglementation de la publicité des boissons alcooliques en France est clairement fixée par les articles L. 3323-1 à L. 3323-6 du code de la santé publique. Ces textes s'appliquent non pas uniquement au vin, mais aussi à l'ensemble des alcools.

La propagande et la publicité en faveur des boissons alcooliques sont autorisées selon des conditions destinées à protéger les consommateurs, notamment les plus jeunes d'entre eux. Ainsi, une telle publicité est interdite dans les publications destinées à la jeunesse ou encore à la radio, aux heures d'écoute possible pour les enfants et les adolescents.

Si le parrainage reste interdit, la publicité par voie d'affichage est largement autorisée, et le mécénat est désormais permis sans encadrement réglementaire depuis la loi du 1er août 2003.

Face à ce problème majeur de santé publique, le plan de mobilisation nationale contre le cancer devrait donner une impulsion nouvelle, de même que le plan de lutte contre la toxicomanie et la dépendance en préparation à la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.

Par ailleurs, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l'INPES, diffuse des campagnes sur les risques pour la santé d'une consommation excessive d'alcool.

M. le président. La parole est à M. Joseph Ostermann.

M. Joseph Ostermann. Madame la secrétaire d'Etat, je ne voudrais pas vous faire croire que la préoccupation de la santé publique était absente de mon intervention.

Toutefois, sur le plan européen, nous nous rendons compte que les pays limitrophes n'ont pas du tout les mêmes préoccupations ni ne connaissent les mêmes restrictions. Une bonne publicité sur le vin permettrait donc de mettre en exergue non seulement les dangers mais aussi les qualités de ce noble produit.

RÉGLEMENTATION SUR LE DON D'OVOCYTES

M. le président. La parole est à Mme Michèle André, auteur de la question n° 412, adressée à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

Mme Michèle André. Ma question s'adresse à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées et porte sur la situation ambiguë du don d'ovocytes en France.

Le don d'ovocytes a été reconnu par la loi de bio-éthique du 29 juillet 1994. Gratuit, anonyme, au seul bénéfice des femmes en âge de procréer, il ne peut être pratiqué que dans le secteur public ou privé sans but lucratif, afin d'éviter les dérives mercantiles.

En 1996, un décret a imposé une quarantaine par congélation de six mois des ovocytes pour des raisons techniques et psychologiques.

Ce principe de prudence pose aujourd'hui problème aux centres français, sérieusement concurrencés par des centres belges et espagnols qui, eux, ne pratiquent pas la mise en quarantaine mais transplantent des embryons « frais ». Cette technique garantit un taux de succès quatre fois supérieur à celui des pratiques françaises. Ce constat pousse les femmes françaises dont la fécondité est défaillante vers les centres étrangers.

Il convient de rappeler que, contrairement à la France, où le don est gratuit et anonyme, les centres étrangers rémunèrent les donneuses. Ces dernières sont moins contrôlées qu'en France où la loi oblige à n'accepter que des femmes ayant une vie sociale stable et des enfants.

Le risque sanitaire qui avait poussé à l'instauration du décret de 1996 semble aujourd'hui une mesure de protection exagérée. Au dire du groupe pour l'étude de la fécondation in vitro en France, aucun cas de contamination n'a jamais été rapporté dans le monde, les virus du sida et des hépatites ne sont pas présents dans l'ovocyte, et les risques de contamination suite aux manipulations des différents matériels génétiques sont évalués à un sur un million.

L'Institut de veille sanitaire, la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal, le Comité national d'éthique, les professionnels du secteur demandent aujourd'hui, en conséquence, que la mesure de mise en quarantaine soit arrêtée en abolissant le décret de 1996. Ils souhaitent le rétablissement de l'ancien système avec dépistage, huit jours avant le don. Une information et une acceptation expresse des receveurs sur ce risque purement théorique dont l'éventualité est plus qu'infime pourraient être instaurées.

J'estime que le décret de 1996 pourrait être abrogé, afin que les familles françaises touchées par des problèmes de fécondité ne soient pas contraintes au « tourisme médical ». Je souhaiterais savoir ce que compte faire M. le ministre.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Madame la sénatrice, vous interrogez M. Mattei sur l'état d'avancement de la révision des textes régissant le don d'ovocytes en vue d'une assistance médicale à la procréation, ou AMP.

Ce don d'ovocytes est soumis à des conditions réglementaires de sécurité sanitaire, édictées par un décret en Conseil d'Etat du 12 novembre 1996 ; il s'agit des articles R. 1211-25 et suivants du code de la santé publique. Ces conditions visent à s'assurer que la donneuse d'ovocytes n'est pas porteuse de maladies infectieuses telles que le VIH ou l'hépatite et ne risque pas de les transmettre à l'embryon et à la femme receveuse.

A cette fin, deux tests sont pratiqués à six mois d'intervalle, l'un au moment du don d'ovocytes, l'autre six mois après ce don. La congélation des ovocytes n'étant pas techniquement possible sans dommage pour ces derniers, il est procédé à la fécondation in vitro des ovocytes. Les embryons issus de cette fécondation sont ensuite cryoconservés pendant l'intervalle des six mois, dans l'attente des résultats du second test. Lors de celui-ci, le praticien vérifie que les résultats des analyses sont toujours négatifs en ce qui concerne l'infection au VIH et à l'hépatite.

Les professionnels de l'assistance médicale à la procréation font observer que les chances de grossesse à partir d'ovocytes donnés sont réduites d'au moins 50 % en raison des pertes embryonnaires au moment des cycles de congélation et de décongélation et d'une baisse des taux d'implantation. Ils réclament unanimement un changement de la réglementation qui conduit les femmes à recourir à ce don dans des pays limitrophes. Par ailleurs, ils mettent en avant l'absence observée de cas de contamination par ovocytes dans les pays qui n'appliquent pas la quarantaine indiquée et procèdent à l'implantation d'embryons « frais ».

Madame André, ces constatations ont amené M. le ministre à demander à la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal de se prononcer sur cette question. Son avis conforte l'analyse faite par les professionnels et recommande la révision de la réglementation actuelle.

Comme M. Mattei s'y est engagé lors de l'examen au Parlement du projet de loi relatif à la bioéthique, ses services ont élaboré à sa demande un projet de décret révisant ces dispositions. Le nouveau dispositif proposé supprime la quarantaine de six mois entre les deux tests et préconise la réalisation du deuxième test au début du traitement de la stimulation ovarienne, qui précède elle-même de quinze jours environ le prélèvement ovocytaire.

Ce nouveau dispositif devrait, sans compromettre la sécurité sanitaire, supprimer les pertes embryonnaires dues à la congélation, éviter à la donneuse les contraintes d'une stimulation en cas de tests positifs, et permettre en tout état de cause d'utiliser au mieux les dons d'ovocytes dans la prise en charge des couples infertiles.

Dans le cadre de l'information due aux couples demandant le bénéfice d'une AMP, les couples destinataires du don seront informés, comme c'est le cas actuellement, par l'équipe médicale pluridisciplinaire des conditions du don et des risques inhérents à ce dernier, notamment le risque viral et le risque génétique.

Le projet de décret indiqué, actuellement soumis pour examen au Conseil d'Etat, devrait donc très prochainement paraître et, je l'espère, répondre à vos attentes.

M. le président. La parole est à Mme Michèle André.

Mme Michèle André. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse très complète, qui va dans le sens souhaité par les professionnels et qui pourra peut-être rendre service de façon très significative à des familles en attente de procréation.

M. Georges Mouly. Très bien !

INCIDENCE DE LA SUPPRESSION

DE LA TAXE PROFESSIONNELLE

SUR LES FINANCES DES COLLECTIVITÉS LOCALES

M. le président. La parole est à M. Bernard Murat, auteur de la question n° 401, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Bernard Murat. Monsieur le ministre, c'est plus en tant que maire et président de communauté d'agglomération que je m'adresse à vous ce matin.

Si l'on ne peut que s'accorder pour soutenir toute mesure tendant à conforter la croissance au service de l'emploi en stimulant l'investissement, l'annonce faite dernièrement par le Président de la République de l'exonération temporaire de la taxe professionnelle et de son remplacement ultérieur par un nouveau dispositif inquiète les élus locaux.

Je n'ai pas besoin de rappeler dans cet hémicycle que la taxe professionnelle représente à elle seule près de la moitié du montant total de la fiscalité locale et demeure le principal impôt direct perçu par les collectivités territoriales.

Le Premier ministre a confirmé ici même que l'exonération de taxe professionnelle pour les nouveaux investissements, pendant dix-huit mois, « serait assimilée à un dégrèvement, et donc intégralement compensée sur la base des taux 2003 ». Excluant l'éventualité du remplacement de cette taxe par « une dotation de compensations », il s'est prononcé pour un nouvel « impôt sur l'activité économique » qui soit « de préférence moderne, localisable et équitable ».

Personnellement, monsieur le ministre, il me semble indispensable que les ressources fiscales appelées à remplacer la taxe professionnelle garantissent, d'une part, un lien solide entre les collectivités territoriales et les activités économiques situées sur leur territoire et, d'autre part, ce qui est peut-être le plus important, une certaine marge de manoeuvre sur les taux.

Mais comment inciter les entreprises bénéficiant d'un dégrèvement ou d'une exonération de taxe professionnelle à renforcer leur participation aux investissements locaux ? Voilà bien la question que se posent tous les élus.

La réforme fiscale ne serait-elle pas l'occasion d'une meilleure valorisation des investissements immatériels, comme la recherche, l'innovation et les ressources humaines, par exemple, de manière à positiver le phénomène de désindustrialisation ?

Différents groupes de travail se sont constitués sur la question. Des pistes sont explorées. Quelles sont celles qui pourraient avoir, monsieur le ministre, la faveur du Gouvernement et qui permettraient de garantir le lien entre fiscalité et développement économique local ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le sénateur, nous sommes nombreux à être naturellement très attentifs à cette question de la taxe professionnelle, puisqu'elle est un élément des ressources de nos collectivités locales.

Le remplacement qu'a souhaité M. le Président de la République par un nouveau dispositif qui pénalise moins directement l'investissement et prenne mieux en compte la diversité des activités ne doit pas donner lieu, en effet, à une déstabilisation des finances des collectivités locales.

Aussi, pour préparer cette réforme importante, nous voulons préalablement recueillir l'avis de tous ceux qui sont intéressés par le devenir de cet impôt, notamment les contribuables et les collectivités bénéficiaires.

Nous souhaitons que cette réflexion commune puisse être large. C'est pourquoi un groupe de travail, comprenant notamment des représentants des associations d'élus et de l'ensemble des milieux économiques, sera mis en place dans les prochains jours.

Ce groupe de travail aura pour mission de recueillir les propositions d'évolution de la taxe professionnelle, d'en mesurer les effets économiques et d'apprécier les transferts financiers qu'elle engendre entre secteurs économiques, d'une part, et entre collectivités locales, d'autre part. Sur la base des résultats de ce groupe de travail, nous proposerons au Parlement - vous en serez donc saisi - un dispositif qui remplacera progressivement la taxe professionnelle.

Monsieur le sénateur, vos questions sont précisément celles que ce groupe de travail devra examiner. Mais, d'ores et déjà, je peux vous confirmer les principes qui ont été réaffirmés dans cet hémicycle même par M. le Premier ministre. S'agissant de la période transitoire, vous l'avez dit, il faut agir par dégrèvement afin que ce dispositif soit totalement neutre pour les finances des collectivités locales.

Cette réforme sera engagée dans le respect des dispositions constitutionnelles concernant les collectivités territoriales, ce qui implique nécessairement le maintien de leur autonomie financière.

Nous n'avons pas l'intention, je le rappelle, de remplacer plus de 20 milliards d'euros de fiscalité locale par des dotations budgétaires.

Par ailleurs, le nouveau dispositif doit être lié, conformément à votre attente, monsieur le sénateur - vous avez parlé de « liens solides » -, à l'activité économique des territoires. En effet, c'est la contrepartie logique des efforts réalisés par les collectivités locales pour offrir aux entreprises des infrastructures et des services.

Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est très inquiétant !

M. Alain Lambert, ministre délégué. Enfin, le Gouvernement s'attachera également à ce que cette réforme ne constitue pas un frein pour l'intercommunalité puisque cette dernière s'est souvent construite autour de la taxe professionnelle.

J'ai bien noté également votre souhait de marge de manoeuvre sur les taux de taxe professionnelle.

En conclusion, la réforme de la taxe professionnelle ne conduira pas à supprimer un pan essentiel de la fiscalité locale, mais au contraire à moderniser cet impôt, à le rendre plus efficace et à le faire mieux accepter par les entreprises, dont on attend qu'elles créent des emplois sur nos territoires.

M. le président. Nous vous avons écouté avec attentionn, monsieur le ministre, mais cela fait froid dans le dos !

La parole est à M. Bernard Murat.

M. Bernard Murat. On peut essayer de relever la température ! (Sourires.)

Je souhaite vous remercier, monsieur le ministre, de la clarté de votre réponse. Il est vrai que nous sommes dans l'expectative ; nous allons donc attendre la création de ces groupes de travail. Même au sein de l'UMP, un groupe doit être constitué : personnellement, j'aimerais bien en faire partie ! (M. le ministre sourit.)

Monsieur le ministre, il serait important, dès aujourd'hui, de bien informer les exécutifs, en particulier les présidents des EPCI, en mettant en oeuvre une communication efficace. Car nous devons bâtir l'avenir. Nous venons de faire voter les budgets de nos collectivités ; les investisseurs sont là, l'arme au pied. Une meilleure lisibilité de cette réforme est donc nécessaire, et ce rapidement.

M. Alain Lambert, ministre délégué. Vous pouvez compter sur la vigilance du président de la communauté urbaine d'Alençon ! (Sourires.)

M. Bernard Murat. Sur ce point, je vous verrai en tête-à-tête, monsieur le ministre !

En tant que responsable d'exécutifs locaux, et particulièrement engagé dans le développement économique de la Corrèze et du Limousin, je reprendrai à mon compte les propos récents du président de l'Association des maires de France : « il ne faudrait pas que cette réforme mette en péril l'autonomie financière des collectivités locales. Il serait normal de réunir les collectivités territoriales, le Gouvernement et les responsables économiques, soit ceux qui reçoivent, ceux qui décident et ceux qui paient. »

Les communes et les EPCI sont les premières à être impliquées dans l'accueil des entreprises. Quelles seront réellement les conséquences d'un dégrèvement à la place d'une dotation de l'Etat, sur les créations d'emplois ?

SUPPRESSION DE SERVICES PUBLICS DANS LA NIÈVRE

M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, auteur de la question n° 403, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur les problèmes que pose l'amputation, voire la suppression, des services publics dans la Nièvre, plus particulièrement pour ce qui concerne les trésoreries, puisque, actuellement, six perceptions sont menacées, trois ont déjà été supprimées, et trois autres sont quasiment condamnées pour l'année prochaine. Au total, on prévoit la disparition de douze, voire de treize perceptions, sur trente-deux.

Je n'insisterai ni sur le rôle que jouent les perceptions dans la gestion de l'argent public ni sur le rôle de conseil que les percepteurs remplissent auprès des élus et qui est particulièrement apprécié pour l'élaboration des budgets, le contrôle de légalité et la possibilité d'engager les dépenses.

Malheureusement, monsieur le ministre, ce ne sont pas les seules menaces qui pèsent sur les services publics : bien d'autres secteurs, que je n'énumérerai pas puisque tous les maires les connaissent, sont touchés.

Les maires et les élus nivernais, surpris par l'ampleur des décisions prises, ont manifesté, le 17 janvier dernier, pour demander un gel de toute mesure de fermeture avant qu'une discussion ne s'établisse. Ils ont également rédigé une motion, qui a été transmise au préfet de la Nièvre - ce dernier a d'ailleurs reçu les élus - et qui, je pense, a fini par arriver sur votre bureau, monsieur le ministre, pour confirmer leur souhait de voir toute suppression gelée et réclamer que, dans le cadre du contrat territorial, une définition des services publics permette d'assurer l'organisation sur le territoire de ces services et d'affirmer la solidarité financière de l'Etat.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le sénateur, la modernisation de notre administration a pour objectif principal non pas des économies d'emplois, mais une adaptation de l'organisation et de l'implantation des services aux besoins des usagers et aux évolutions réglementaires et technologiques.

Je comprends, étant moi-même l'élu d'un département de moins de 300 000 habitants, que les fermetures de postes du Trésor public suscitent une certaine émotion dans quelques départements. Pourtant, reconnaissons-le, un réseau qui compte près de 3 800 postes, si nous voulons le maintenir à un haut niveau de modernité, doit évoluer, sauf à perdre son efficacité au regard des usagers.

Le Trésor public compte près de 1 200 postes de trois agents ou moins, qui ne peuvent plus offrir toute la gamme des services qui sont pourtant légitimement attendus par nos concitoyens. Une partie des fermetures ne fait d'ailleurs qu'entériner des situations de fait.

Je vous rappelle que nous mettons à chaque fois en place de nouvelles modalités de présence du service comportant des engagements à l'égard des élus et des usagers, formalisés dans une « charte de service », qui conforte la présence et le rôle du Trésor public dans la vie locale. Ces opérations font par ailleurs toujours l'objet d'une concertation préalable au niveau local.

S'agissant plus particulièrement du département de la Nièvre, le trésorier-payeur général a présenté en septembre dernier les opérations envisagées.

A terme, la suppression de douze postes comptables, dont cinq à compter du 1er janvier 2004 et sept en 2005, était initialement envisagée. Il est apparu toutefois que le maintien du poste de Pouilly-sur-Loire, au vu de son activité actuelle, pouvait se justifier.

Quelles sont les caractéristiques principales de ces postes ? Ils ont un effectif réduit de trois agents ou moins, ce qui pose des problèmes de maintien des connaissances requises, de sécurité et de continuité du service public en cas d'absence, de maladie ou de congés des agents concernés.

Les guichets de ces trésoreries sont par ailleurs peu fréquentés. Les particuliers ont de moins en moins besoin de se rendre dans les trésoreries : il n'y a en effet plus de comptes particuliers ni de placements CNP, et on paye de plus en plus ses impôts par prélèvements... Certaines trésoreries n'enregistrent, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'une à deux opérations par jour !

Le regroupement des activités sur une trésorerie plus importante permet d'optimiser le fonctionnement des services en constituant une entité dotée d'équipes renforcées où le comptable et ses collaborateurs sont plus disponibles pour tous les usagers. C'est cette logique qui a conduit à décider la fermeture de trois trésoreries au 1er janvier 2004 : celles de Saint-Amand-en-Puisaye, Brinon-sur-Beuvron et Fours.

Devant les réactions exprimées localement, il a été convenu de différer la fermeture effective de ces trois postes : ce délai devra être mis à profit pour examiner la meilleure forme de service à mettre en place, en termes de proximité, pour satisfaire les besoins des usagers.

Pour les huit autres postes - Prémery, Saint-Benin-d'Azy, Saint-Saulge, Moulins-Engilbert, Dornes, Varzy, La Machine et Lormes - la concertation doit bien entendu continuer.

M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.

M. René-Pierre Signé. J'accorde volontiers à M. le ministre que moderniser le service public tout en maintenant la vie sur les territoires n'est pas facile. Mais reconnaissez qu'administrer des territoires sans service public, c'est impossible.

Vous me dites qu'il y aura non pas réduction du nombre d'agents mais simplement suppression des perceptions. Je veux bien le croire, mais vous savez bien que si l'on éloigne un service du public auquel il est destiné, on le rend évidemment moins efficace.

Je souhaite insister, monsieur le ministre, sur la motion que le préfet vous a peut-être transmise et qui vise à mettre en place un contrat territorial d'organisation des services publics, de façon que les élus soient associés à la négociation et qu'ils ne soient pas surpris par des décisions brutales et d'autant plus douloureuses.

Les dispositions du projet de loi sur le développement des territoires ruraux qui sera examiné prochainement par l'Assemblée nationale ne m'ont pas tout à fait rassuré, puisqu'il y est question de réduire le service public au service minimum, de refuser les moyens financiers qui auraient pu libérer les collectivités locales de leurs charges et d'ouvrir le service public au secteur privé, par exemple en plaçant les postes dans les commerces, voire dans les grandes surfaces, ce qui n'est bon ni pour La Poste ni pour les commerces. Cela n'est pas la panacée et ne peut nous satisfaire.

Je souhaiterais, monsieur le ministre, que les élus d'un territoire donné soient consultés sur les perspectives envisagées pour les quatre ou cinq ans à venir.

GESTION DU PERSONNEL DE FRANCE TÉLÉCOM

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, auteur de la question n° 404 adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre délégué, en déposant cette question, j'étais encore loin de me douter de l'ampleur et de la gravité de la crise sociale et sanitaire que connaît France Télécom. Depuis sa publication au Journal officiel et sur mon site Internet, ce sont deux cent cinquante-sept pages de témoignages émanant de syndicats, de délégués aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, d'agents de tous grades et de toute la France qui m'ont été adressées. Des personnels désespérés m'appellent pour relater des situations terribles de détresse.

Monsieur le ministre, tout indique que ce qui se passe à France Télécom en matière de gestion, de gâchis des ressources humaines est très grave.

Le degré de souffrance au travail croît dans des proportions inquiétantes depuis plusieurs années. Le malaise au travail se répand ; la consommation de médicaments explose ; la fatigue physique et mentale gagne, tout comme le découragement et la dépression. Le stress est général : c'est d'ailleurs ce que confirment les rapports annuels de la médecine de prévention.

En 2001, une enquête de l'Observatoire de la santé de la région Poitou-Charentes, réalisée à la demande du CHSCT régional, avait déjà révélé des chiffres significatifs : 40 % des agents souffraient d'insomnie, contre 20 % pour l'ensemble des salariés ; 22 % consommaient des somnifères, contre 11 % ; 77 % déclaraient être nerveux ou tendus au travail, contre 36 % ; 23 % indiquaient n'avoir plus goût à rien, contre 5 % ; 20 % signalaient se réveiller déprimés le matin et 10 % disaient avoir des idées noires...

On commence à additionner avec effroi et révolte les cas de suicides : trois en 2002 dans le Grand Lyon, trois depuis trois ans en Corse où un agent s'est ouvert les veines en pleine réunion, deux en Loire-Atlantique. A Paris, un cadre supérieur de l'unité de réseau de supervision s'est donné la mort il y a quinze jours ; peu de temps auparavant, on découvrait le corps d'un agent de la direction de Daumesnil dans la Seine.

Monsieur le ministre, je parle bien de révolte, car il est impossible de ne pas faire le lien entre ce constat et l'évolution des pratiques de gestion du personnel dans l'entreprise, notamment depuis le début de la privatisation en 1997.

La suppression de 20 000 emplois en France depuis cette date, l'accroissement de la charge de travail et la remise en cause de la qualité du service public ont vivement affecté les personnels. Surtout, le mouvement incessant de restructurations ne cesse de bouleverser leur travail et leur vie. Un quart d'entre eux auraient subi une mutation avec changement de résidence.

Parallèlement à cette politique de mobilité quasi contrainte et déstabilisante, les directions ont progressivement développé une gestion personnalisée des carrières. Prétendument fondée sur la recherche du plus fort rendement individuel, elle aboutit à la mise en concurrence des agents, à leur culpabilisation, et souvent à leur démoralisation. Les témoignages que j'ai reçus évoquent la multiplication des entretiens de « coaching », de « recadrage », de « remotivation », destinés à « mettre la pression ». La mise en place de l'indice de « performance individuelle comparée », le PIC, vise maintenant à stigmatiser ceux qui seraient les moins efficaces.

Les personnels sont invités à « se vendre » au sein même de l'entreprise sous peine de risques de sanctions, de se voir proposer des postes sous-qualifiés ou, parfois, un isolement. Un article du Figaro révélait récemment que 800 cadres étaient ainsi « mis au placard ».

Ces méthodes se doublent de dispositifs de contrôle criminalisant les arrêts maladie et donnant systématiquement lieu à des contre-visites médicales ; des « traqueurs d'économie » extérieurs surveillent tout coût de gestion superflu ; et je ne parle pas de la répression des activités syndicales.

Les syndicats viennent d'ailleurs de découvrir et de dénoncer l'existence de deux systèmes de fichage illégaux des personnels, à Nantes et à Toulouse, collectant des informations confidentielles sur la santé, la situation de famille et les sympathies syndicales des agents.

S'agit-il de la pointe émergée de l'iceberg ? La direction de France Télécom a-t-elle entrepris, comme me l'écrit un agent, d'« éliminer les plus faibles » au moment où son PDG se fixe l'objectif de supprimer 23 000 emplois, dont 8 800 en France, en 2004 ?

Monsieur le ministre, face à ce qui constitue plus que des présomptions de pratiques généralisées de management par le « stress », sinon de harcèlement moral, que comptez-vous faire ?

Envisagez-vous de réaliser rapidement une enquête exhaustive sur l'état de santé des 140 000 agents de France Télécom ? Quelles mesures allez-vous prendre à l'égard de la direction de France Télécom ? Vous l'avez compris, monsieur le ministre, c'est une question d'humanité. Mais il s'agit aussi de garantir l'avenir de ce fleuron de l'industrie nationale.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Madame le sénateur, je vous avais parlé de « présomptions ». Il nous faut, en effet, veiller à ne pas imputer aux seules conditions de travail les souffrances nouvelles que les grandes mutations de nos sociétés humaines peuvent engendrer.

Depuis près de quinze ans, France Télécom s'adapte avec succès aux bouleversements technologiques, réglementaires et concurrentiels du monde des télécommunications. Le Gouvernement est particulièrement attentif à ce que ces évolutions soient réalisées dans le plus grand respect des conditions de travail de l'ensemble des agents de France Télécom. C'est ainsi qu'il a veillé, par la loi du 31 décembre 2003, à préserver l'intégralité des garanties fondamentales qui sont attachées au statut des agents fonctionnaires de l'opérateur. Ces garanties resteront régies par les mêmes règles qu'aujourd'hui, quelles que soient les évolutions réglementaires ou capitalistiques de l'entreprise.

En outre, France Télécom continue, comme elle l'a toujours fait, à adapter ses ressources en privilégiant, notamment, la mobilité interne de ses personnels, alors que la plupart des grands opérateurs européens de télécommunications ont réagi à la crise de ce secteur en procédant à des plans massifs de licenciement. Cette politique a d'ailleurs été consolidée par un accord de groupe pour l'emploi et la gestion prévisionnelle des compétences, qui a été signé le 5 juin 2003 avec quatre organisations syndicales.

Ainsi, les 8 000 départs prévus cette année en France, selon les orientations annoncées récemment par l'entreprise, sont consécutifs à des départs en retraite et au dispositif de congé de fin de carrière, auxquels pourraient s'ajouter des départs liés à la mobilité vers les fonctions publiques. Sont prévues en France en 2004 1 400 embauches, ce qui constitue un doublement par rapport à 2003. Elles concernent majoritairement des jeunes.

S'agissant plus précisément des conditions de travail, le Gouvernement attache une importance particulière au respect des droits individuels des salariés. En l'espèce, la découverte en décembre 2003 d'un fichier informatique comportant des données personnelles dans l'un des établissements de France Télécom, celui de Nantes, appelle la plus ferme condamnation. Il m'a été confirmé qu'il s'agit d'un cas isolé, qui a immédiatement entraîné non seulement la destruction du document en cause, mais aussi l'ouverture d'une enquête interne et d'une procédure disciplinaire.

Un cas de suicide au travail a malheureusement été constaté l'année dernière. Je mesure naturellement la souffrance qu'il exprime. Pour autant, ce drame ne saurait être mis en parallèle avec les orientations générales de l'entreprise.

L'Etat, notamment en sa qualité d'actionnaire, restera - soyez-en sûre - particulièrement vigilant à ce que France Télécom poursuive sa politique active de concertation, d'association des représentants du personnel aux échelons local et national, et d'accompagnement de tous les agents dans les évolutions de l'organisation de l'entreprise.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais elle ne peut me satisfaire. En effet, vous n'annoncez aucun audit des pratiques de gestion du personnel à France Télécom ni aucune enquête sanitaire. De plus, vous tentez de justifier la gestion de l'entreprise par des impératifs de rentabilité dans un contexte concurrentiel. Or c'est précisément cette logique de privatisation qui a mis à mal l'entreprise et la menace plus que jamais. La gestion du personnel que j'ai dénoncée lui obéit. Loin de renforcer l'entreprise, et encore moins le service public, elle en sape les fondements.

Voici ce que je lis dans le rapport d'un médecin de prévention de France Télécom : « Le mouvement de mutation a conduit de nombreux agents à la "démotivation" (...). C'est le seul moyen pour eux de ne pas tomber malades (...). La démotivation est une véritable maladie pour l'entreprise, privée de ses compétences individuelles et encore pire des compétences collectives, car la démotivation enferme dans l'individualisme et casse les collectifs de travail. »

Il n'y a pas d'autre moyen pour comprendre, monsieur le ministre, ce véritable gâchis humain et économique, sinon par la marche forcenée vers la privatisation depuis presque dix ans.

Tout d'abord, afin de satisfaire les actionnaires et dégager des marges financières pour la politique de rachats externes, la direction de France Télécom a mis en place une course à la rentabilité à court terme aux dépens des conditions de travail et du service rendu.

Nous ne nions pas la nécessité de procéder à une adaptation, mais celle-ci ne peut avoir lieu au détriment de la santé des agents.

Monsieur le ministre, vous le savez bien, dans le plan TOP de redressement de France Télécom, 15 milliards d'euros d'économie doivent être réalisées par « l'amélioration de sa performance opérationnelle ».

Enfin, pour mener à bien la privatisation totale, le P-DG et le Gouvernement doivent lever l'obstacle que constitue la présence de 106 000 fonctionnaires sur 140 000 salariés en France. C'est pourquoi vous avez fait adopter la loi du 31 décembre dernier perrmettant, en toute inconstitutionnalité, la privatisation, moyennant des dispositions qui menacent, à terme, les garanties fondamentales attachées au statut de fonctionnaire d'Etat des agents.

C'est dans ce cadre qu'il faut replacer les pratiques de gestion des ressources humaines à France Télécom. Les organisations syndicales ont bien l'intention de ne plus laisser faire. Un mouvement de grève à Ajaccio a mis en échec l'établissement d'un système de calcul de la performance individuelle comparée. D'ailleurs, sur le plan national, les organisations syndicales s'efforcent de recenser elles-mêmes les pratiques et les dérives des directions de France Télécom.

Pour ma part, afin de contribuer à atteindre cet objectif, j'ouvrirai, dans les jours qui viennent, un dossier sur mon site Internet pour rendre publics les témoignages qui me seront parvenus.

AFFECTATION DE LA TAXE D'APPRENTISSAGE

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly, auteur de la question n° 392, adressée à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.

M. Georges Mouly. Chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître l'efficacité de la voie de l'apprentissage pour répondre aux besoins des entreprises en rapprochant au plus près la formation de la qualification. C'est évidemment une solution pour de nombreux jeunes qui ne trouvent pas de réponses adaptées dans le système scolaire classique.

Il convient néanmoins de reconnaître qu'il est nécessaire de développer l'apprentissage. Je n'ignore rien du projet du Gouvernement en la matière, mais de nombreuses propositions ont par ailleurs été avancées par les professionnels pour faire évoluer ce dispositif. Et même si le projet du Gouvernement ne couvre pas le champ de la réforme de la taxe d'apprentissage, cet élément ne peut être laissé de côté dans la réflexion en cours.

L'assemblée permanente des chambres de métiers a du reste avancé quelques pistes de réforme, s'appuyant sur le fait que 3 % seulement de la taxe d'apprentissage sont collectés par les chambres de métiers à destination des centre de formation d'apprentis, les CFA, alors que ces derniers assurent la formation de 30 % des apprentis.

L'apprentissage dispose de trois sources de financement : les conseils régionaux, les fonds propres des organismes gestionnaires des centres de formation des apprentis et la taxe d'apprentissage. Cette taxe d'apprentissage, destinée au financement des premières formations technologiques et professionnelles, dont l'apprentissage en tout premier lieu, est constituée de deux éléments : le quota et le barème. Le quota abonde un fonds de péréquation nationale finançant, d'une part, pour partie la politique régionale de formation et, d'autre part, directement les CFA et les sections d'apprentissage. Le barème, quant à lui, sert à financer essentiellement les établissements dispensant des enseignements technologiques à temps complet.

Or le quota, dans ses deux aspects, est fixé à seulement 40 % de la taxe d'apprentissage brute, alors que le barème représente 60 % de cette même taxe. Par ailleurs, l'affectation finale des fonds collectés au titre du fonds national de péréquation de la taxe d'apprentissage n'est pas clairement indiquée dans les budgets régionaux : aucune garantie n'existe quant à leur affectation aux sections d'apprentissage - CFA à recrutement national, CAP ou BEP - auxquelles ils sont pourtant destinés par la loi de modernisation sociale.

Porter la contribution de la taxe d'apprentissage à 50 % du quota au lieu des 40 % actuels serait une mesure de rééquilibrage du dispositif, qui permettrait de recentrer l'objectif initial de la taxe sur la formation des apprentis, relançant par la même occasion cette filière, nécessité que nul ne conteste.

Sous réserve de la nécessaire mise en oeuvre d'une véritable procédure de contrôle de l'affectation finale de ces fonds, ne serait-il pas envisageable d'augmenter la contribution de la taxe à ces fonds de péréquation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le sénateur, vous avez raison d'insister sur l'apprentissage. C'est en effet un moyen décisif pour les jeunes d'accéder aux connaissances et aux pratiques d'un métier qui débouchent sur un véritable emploi.

Vous avez souligné l'opportunité d'augmenter les crédits du fonds national de péréquation de la taxe d'apprentissage et vous avez souhaité faire passer le quota, c'est-à-dire la part de la taxe d'apprentissage réservée aux centres de formation des apprentis, de 40 % à 50 %.

Le Livre blanc que nous avons présenté le 16 octobre 2003 contenait les propositions qui ont été recueillies auprès des différents acteurs de l'apprentissage. Elles portaient, pour ce qui concerne le financement, sur plusieurs points : l'augmentation progressive du quota de la taxe d'apprentissage de 40 % à 50 % ; l'accroissement du fonds de péréquation ; la révision de la formule de répartition entre les régions pour assurer une meilleure péréquation ; l'amélioration de la lisibilité des priorités d'emploi du fonds, sous le contrôle du comité de coordination des programmes régionaux d'apprentissage ; enfin, une augmentation éventuelle du pourcentage de prélèvement de la taxe d'apprentissage, qui est actuellement de 10 %, en faveur du fonds.

Ces propositions font actuellement l'objet d'un examen approfondi, afin d'en mesurer précisément les conséquences.

En outre, grâce au rapport d'enquête sur la taxe d'apprentissage de la mission mandatée par les ministres concernés, des pistes d'amélioration du rendement de cette taxe ont été ouvertes : il s'agit de la simplification de la collecte, de la suppression de certaines exonérations, d'une meilleure transparence des circuits et d'un contrôle plus efficace.

A ce jour, aucune décision n'est arrêtée sur les options à prendre pour renforcer le financement de l'apprentissage. Toutefois, à l'issue des travaux en cours de finalisation - donc, dans quelques semaines -, des mesures ambitieuses devraient être prochainement annoncées en ce sens dans le cadre du plan global de réforme de l'apprentissage, lequel est de la plus haute importance pour l'accès à un réel emploi de ceux de nos compatriotes qui en sont privés.

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. Je remercie M. le ministre des précisions qu'il a apportées. Nul ne conteste l'importance de l'apprentissage, au point que, dans le texte sur la formation professionnelle que nous allons examiner cet après-midi, figurent quatre mesures le concernant.

Par ailleurs, lors de la présentation de ses voeux, M. Dutreil a annoncé la discussion, au cours des semaines à venir - je ne sais pas si notre ordre du jour déjà chargé le permettra -, du projet de loi relatif à la réforme de l'apprentissage.

Le Livre blanc auquel vous avez fait allusion est paru et il a reçu un accueil tout à fait favorable. Je n'en veux pour preuve que la position des présidents de chambres de métiers. Nombre des mesures que je demande y figurent. Je souhaite que, dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions, un résultat positif soit obtenu, en particulier dans l'intérêt des centres de formation d'apprentis.

RÉFORME DU MODE DE FINANCEMENT

DE L'ÉQUARRISSAGE

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la question n° 405, adressée à M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.

M. Jean-Claude Carle. Ma question porte sur la réforme du mode de financement du service public de l'équarrissage.

Afin que notre législation soit en conformité avec le droit communautaire, la taxe sur les achats de viande supportée par la grande distribution a été abrogée par la loi de finances pour 2004. Cette taxe finançait le service public de l'équarrissage, c'est-à-dire l'élimination des cadavres de gros bovins en ferme, le retrait des déchets à haut risque en abattoir et l'élimination des colonnes vertébrales chez les bouchers. Elle a été remplacée par une taxe d'abattage assise sur le poids des viandes et les déchets d'abattoirs. Celle-ci ne sera pas supportée par l'amont de la filière, mais elle sera répercutée en aval sur la distribution. Or la distribution est constituée non seulement de grandes surfaces, mais également d'artisans bouchers, et ces derniers ont déjà à leur charge le test de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, qui n'est plus subventionné aujourd'hui.

Le coût de ce test représente, pour un artisan boucher, 10 centimes d'euro par kilogramme. Le poids moyen d'un boeuf est de quatre cents kilogrammes. L'artisan boucher supporte donc une charge supplémentaire de 40 euros en moyenne par bête.

Par ailleurs, l'obligation d'enlever la colonne vertébrale implique l'investissement dans un matériel spécifique particulièrement onéreux. C'est aussi une opération délicate - elle va du désossement à la désinfection, en passant par le conditionnement - et qui monopolise plusieurs heures de travail.

Ces opérations sont indispensables et comprises par les acteurs concernés au nom de la garantie de la qualité et de la sécurité des consommateurs. Cependant, la perspective de supporter le coût des déchets des autres acteurs de la filière suscite aujourd'hui l'incompréhension.

Si ce dispositif s'inscrit en faveur des éleveurs - et c'est tant mieux, car ces derniers souffrent beaucoup depuis ces dernières années -, prenons garde à ce qu'il ne pénalise pas les autres acteurs de la filière.

Mon propos a pour objet de démontrer que nous risquons de déstabiliser aussi bien l'amont que l'aval de la filière, parce qu'il s'agit d'un secteur dans lequel tous les acteurs sont interdépendants.

Ce nouveau dispositif pourrait avoir des répercussions dramatiques à plusieurs titres. Dans mon département, on dénombre environ deux cents entreprises de boucherie. Elles représentent un réseau de commerces de proximité qui participe à la vie locale. Elles constituent donc un moteur indispensable à l'aménagement harmonieux du territoire. Elles sont créatrices d'emplois, puisque certaines comptent jusqu'à dix salariés. Bien entendu, elles soutiennent la viande française. Les artisans bouchers qui vendent de la viande importée sont encore, fort heureusement, très largement minoritaires.

Les conséquences de ce dispositif sont donc simples et, pour en mesurer l'intensité, il faut en avoir à l'esprit deux aspects. L'artisan boucher sera dans l'incapacité de répercuter la charge supplémentaire qui lui incombera sur le consommateur, ce pour des raisons évidentes de compétitivité par rapport aux grandes surfaces. En raison d'une monoproduction, il n'aura aucune marge de manoeuvre pour compenser cette surcharge.

Par conséquent, fragiliser ce réseau, c'est prendre le risque de fragiliser non seulement la vie de nos villages, l'emploi dans nos territoires, mais aussi le commerce de viande française, donc l'avenir des éleveurs. En effet, le danger est grand de voir les distributeurs développer la distribution de viande importée. Celle-ci arrivant le plus souvent travaillée, elle n'engendre, elle, aucun coût supplémentaire.

Ce nouveau dispositif, qui est censé protéger les éleveurs, risque donc de les desservir et d'être contre-productif à un double titre : il pourrait fragiliser aussi bien l'amont que l'aval de la filière.

Monsieur le ministre, au regard de ces différents aspects, quelles mesures envisagez-vous de prendre en faveur des bouchers, qui se trouvent déjà dans une situation difficile du fait du changement des comportements alimentaires ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le sénateur, il est vrai que nous devons être attentifs à ne pas mettre en danger les artisans bouchers, qui exercent des missions très utiles. Ils favorisent notamment le commerce dans les centres-villes ou dans les bourgs-centres de nos régions. Mais je tiens à insister sur le fait que le nouveau mode de financement du service public de l'équarrissage est plutôt favorable aux bouchers, puisqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe d'abattage, alors que certains d'entre eux, je le rappelle, étaient redevables, jusqu'au 31 décembre 2003, de la taxe sur les achats de viande. J'y insiste, car c'est très important pour l'équilibre économique de leur activité.

Vous avez expliqué les conditions dans lesquelles la nouvelle taxe d'abattage a été instaurée par la loi de finances pour 2004.

La Commission européenne et la Cour de justice des Communautés européennes, dans un arrêt rendu le 20 novembre 2003 dans l'affaire GEMO, interdisent - je souligne ce mot - de continuer à faire supporter aux entreprises de la distribution le coût de l'élimination des déchets relevant du service public de l'équarrissage et imposent que ce coût soit supporté par les opérateurs producteurs de ces déchets, conformément au principe établi par le droit communautaire « pollueur-payeur ».

Pour autant, il n'est pas interdit aux entreprises redevables de cette taxe de chercher à en répercuter l'incidence dans leurs prix de vente.

De plus, le Gouvernement a prévu une disposition imposant à tout abatteur d'informer chacun de ses clients du montant des charges dont il s'acquitte au titre du financement du service public de l'équarrissage, à proportion des viandes ou des prestations d'abattage facturées. Cette somme fera l'objet d'une mention particulière au bas de la facture destinée à chaque client.

Cette disposition, qui est incluse dans un projet de décret d'application, est de nature à favoriser la négociation commerciale pour les opérateurs des filières viandes et les industries de transformation.

S'agissant du mode de financement, je vous confirme que les bouchers ne sont pas assujettis à la taxe d'abattage, alors que certains d'entre eux - je pense à ceux dont le chiffre d'affaires annuel était supérieur à 763 000 euros, montant qui était d'ailleurs assez vite atteint - restaient redevables, jusqu'au 31 décembre 2003, de la taxe sur les achats de viandes.

Au total, on ne peut pas dire que le dispositif proposé par le Gouvernement et adopté par le Parlement défavorise les bouchers - nous avons tout fait pour que ce soit le contraire - face à des dispositions communautaires qui interdisent de financer le service public de l'équarrissage par des crédits budgétaires. Le Gouvernement a pris des mesures qui lui paraissent équilibrées. A défaut, c'est le financement du service public de l'équarrissage, donc la qualité de notre viande et la confiance des consommateurs, qui serait mis en question, ce qui serait préjudiciable à tous les éleveurs de notre pays.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions que vous m'avez apportées et du ton très compréhensif de votre réponse, même si je n'en partage pas tous les points.

Certes, c'est le rôle et même le devoir de l'Etat et du Gouvernement de faire respecter le droit, fût-il européen. Mais l'Etat et le Gouvernement ont également pour mission de faire en sorte qu'une réforme, et en particulier celle-ci, ne pénalise pas trop fortement un maillon de la filière, en l'occurrence les artisans bouchers. En effet, vous l'avez dit, ce sont les abatteurs qui supporteront la taxe et je ne me fais pas beaucoup d'illusions : ils la répercuteront sur l'aval de la filière, en particulier sur les bouchers. Or ceux-ci, contrairement à d'autres, puisque leur activité ne concerne qu'un seul produit, n'ont pas une grande marge de manoeuvre : ils ne peuvent répercuter cette taxe que sur le consommateur, ce qui ne me paraît pas être la bonne décision.

Je souhaite, monsieur le ministre, que le Gouvernement engage une concertation avec l'aval de la filière, c'est-à-dire les grossistes, les distributeurs et les artisans bouchers, car il y va de l'avenir de ces derniers, acteurs de notre économie mais aussi acteurs importants de l'aménagement du territoire, en particulier des territoires ruraux.

SITUATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, auteur de la question n° 410 adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à l'heure où notre région est endeuillée par une épidémie de légionellose dont l'origine est industrielle, alors même qu'elle paie un lourd tribut à l'industrialisation massive qu'elle a connue au xxe siècle et qu'elle en supporte désormais toutes les conséquences négatives en matière de friches industrielles et de dépollution, j'ai souhaité attirer l'attention du Gouvernement sur l'émotion légitime qu'a suscitée auprès des victimes de l'amiante et de leurs familles l'ordonnance de non-lieu rendue par le tribunal de grande instance de Dunkerque à la suite des plaintes déposées en 1997 par des adhérents de l'Association régionale de défense des victimes de l'amiante du fait des conséquences médicales dramatiques d'une exposition professionnelle à l'amiante.

Ces plaintes datent du 26 avril 1997 ; elles ont donné lieu à l'ouverture d'une information, et l'ordonnance de non-lieu a, pour finir, été rendue le 16 février 2003. Qu'il me soit permis de souligner au passage la durée excessivement longue de cette instruction, pendant laquelle un des plaignants est, hélas ! mort des suites de sa maladie.

Les attendus de cette décision reconnaissent que des erreurs ont été commises dans la gestion du problème de l'amiante dans les trois entreprises mises en cause. Ils rappellent que la connaissance scientifique de la dangerosité de l'amiante est ancienne. Il existe, en effet, un premier rapport d'un inspecteur du travail datant de 1906 sur des décès consécutifs à l'inhalation des poussières d'amiante dans une filature. Il y a de nombreuses années que l'Institut national de la consommation, pour ne citer que lui, a alerté sur la dangerosité de l'amiante. Ce problème est donc largement connu et identifié.

Or, dans sa décision de non-lieu, le juge a estimé, sur la base de la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser les délits non intentionnels, que l'information n'avait pas permis d'établir que les personnes poursuivies avaient « soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ».

Je voudrais me faire le porte-parole dans cet hémicycle de l'indignation qu'a soulevée cette interprétation de la loi du 10 juillet 2000 auprès des personnes concernées. L'intention du législateur, lors de l'adoption de ce texte que mon éminent collègue Pierre Fauchon a eu la courtoisie d'expliciter pour la non-spécialiste du droit pénal que je suis, n'était certainement pas de permettre une exonération de responsabilités sur des questions de santé publique aussi graves que celles de l'amiante.

Cette décision étant la première dans la série des poursuites qui ont été engagées, vous comprendrez, madame la secrétaire d'Etat, que les personnes concernées lui donnent un sens tout particulier après l'avoir attendue si longtemps. Je souhaiterais savoir si cette décision qui se réfère à la loi du 10 juillet 2000 ne devrait pas déboucher sur une nouvelle réflexion sur la notion de délits non intentionnels dans le cadre des problèmes sanitaires tels que celui de l'amiante.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat, à qui vous me permettrez, mes chers collègues, d'exprimer ma considération, mon estime et mon amitié, tout en lui souhaitant la bienvenue dans notre Haute Assemblée.

Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice. Je vous remercie, monsieur le président.

Madame le sénateur, je comprends la déception des victimes concernées par ce dossier et de leurs familles ainsi que celle de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante, l'ANDEVA, qui a soutenu leur action.

Comment pourrait-il en être autrement ? Il s'agit, je l'indique pour ceux qui ne connaissent pas cette affaire, d'employés qui ont travaillé pendant plusieurs dizaines d'années sur des chantiers navals, au contact quotidien de fibres d'amiante friable utilisées pour l'isolation et l'étanchéisation de navires en construction. La poussière d'amiante ainsi inhalée a provoqué des affections respiratoires importantes et des cancers pour plusieurs d'entre eux. Deux ouvriers visés par l'instruction sont d'ailleurs décédés des suites d'un mésothéliome pleural, lié à leur longue exposition à l'amiante.

Dans ces conditions, on mesure toute la douleur des familles de ces travailleurs et tout l'espoir qu'elles ont pu mettre dans leur action en justice.

Il ne m'appartient pas de porter d'appréciation sur la motivation juridique de l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction dans ce dossier. Ce sera à la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, saisie de l'appel des parties civiles, d'apprécier s'il a été fait, en l'espèce, une bonne application des dispositions de la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.

Toutefois, pour répondre à votre question je tiens à rappeler la portée exacte de l'évolution législative réalisée par cette loi, afin que ne subsiste à ce sujet aucune ambiguïté.

L'esprit de la proposition de loi adoptée à l'unanimité par le Parlement, nous le savons tous parfaitement, était de limiter la pénalisation excessive et stigmatisante des faits causant un préjudice à autrui, mais dus à une simple maladresse, imprudence, inattention ou négligence.

Avec la « loi Fauchon », deux hypothèses de responsabilité pénale sont désormais clairement distinguées en matière d'infractions non intentionnelles : celle de l'auteur direct de l'infraction qu'une faute simple suffit, comme auparavant, à rendre pénalement condamnable et celle de l'auteur indirect dont seule une faute caractérisée peut entraîner la condamnation.

Dans ce dernier cas, l'article 121-3 du code pénal prévoit que « les personnes physiques (...) qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ».

Appliqué au cas de l'amiante, l'une des difficultés juridiques les plus fréquemment soulevées par cet article tient à l'existence assez tardive de la législation et de la réglementation propres à l'empoussièrement et à l'exposition à l'amiante, qui ne remonte qu'à 1977, alors que de nombreux travailleurs victimes, comme c'est le cas dans le dossier cité, travaillaient au contact de l'amiante depuis plus de vingt ans.

Aussi, au-delà de l'obligation légale et réglementaire, peut-on reprocher à un industriel de n'avoir pas anticipé cette réglementation en prenant conscience plus tôt du danger présenté par l'amiante selon l'état des connaissances disponibles ? Je laisse le soin à chacun d'entre vous de se faire son opinion et, bien entendu, aux juridictions celui de se prononcer sur l'analyse juridique des situations concrètes.

Personnellement, il me semble que l'équilibre trouvé avec la « loi Fauchon » entre le risque de condamnation pénale inadéquate et celui de déresponsabilisation des acteurs sociaux est le bon. Il ne me paraît pas souhaitable de revenir dessus.

Les importants dossiers de santé publique dont la justice pénale est désormais saisie soulèvent des problématiques spécifiques tenant pour l'essentiel au nombre de victimes, à l'ancienneté des faits, à l'évolution de la connaissance scientifique, à l'établissement des liens de causalité et à l'administration de la preuve. En revanche, les règles de responsabilité ne me semblent pas devoir être mises en cause et en aucune manière elles n'engendrent une exonération des responsabilités.

Pour conclure, je souhaite insister sur la gravité que constitue pour tous une sanction pénale quelle qu'elle soit. C'est pourquoi, en matière pénale, les conditions de responsabilité sont généralement plus strictes. C'est particulièrement vrai, vous le savez, dans le cas de l'amiante, où la jurisprudence des juridictions civiles et de sécurité sociale s'est fixée en un sens très favorable aux victimes.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Je vous remercie, madame la secrétaire d'Etat, de la précision de votre réponse. Nous sommes convaincus de l'intérêt que vous portez aux victimes de l'amiante.

Mon intention était d'attirer une fois de plus l'attention du Gouvernement sur la préoccupation des victimes de l'amiante face à une décision de justice qui est tout de même symbolique puisque c'est la première dans la longue série d'actions engagées depuis 1997.

Certes, il ne s'agit pas de stigmatiser telle ou telle entreprise, et loin de moi une telle intention, mais il ne faudrait pas qu'à l'avenir cette décision soit interprétée dans le sens d'une diminution de la responsabilité des uns et des autres.

De chaque côté, celui des salariés comme celui des employeurs, il y a des droits et des devoirs, mais la prévention en matière de santé dans le travail est aussi un aspect suffisamment important, en particulier dans le cas de l'amiante, pour que le Gouvernement lui accorde tout sa vigilance.

Il s'agit en l'occurrence d'une décision de justice et j'ai bien compris, même si je ne suis pas juriste, qu'elle ne saurait être mise en cause. Cependant, lorsque l'on rencontre les victimes, on ne peut qu'être sensible à leur désarroi. Nous devrions un jour être capables de faire la synthèse entre ces deux aspects.

protection de l'épave du léopoldville

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question n° 399, adressée à M. le secrétaire d'Etat aux anciens combattants.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite attirer votre attention sur une question qui, à quelques mois des célébrations du soixantième anniversaire du débarquement allié sur les plages de Normandie, prend un caractère plus que symbolique. Elle concerne en effet l'épave du cargo Léopoldville, coulé au large de Cherbourg dans la nuit de Noël 1944, avec à son bord 763 soldats américains venus renforcer le front allié pour bloquer la contre-offensive allemande.

En juillet 2001, un grave accident de plongée révélait que le site était assidûment fréquenté par les amateurs de plongée et que selon toute vraisemblance, des ossements et des objets avaient été récupérés.

Ces actes de profanation - il n'y a pas d'autre mot - avaient provoqué une énorme émotion aux Etats-Unis et dans notre région, la Normandie.

La plongée sur le site est désormais réglementée par un décret du préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord qui soumet toute plongée à une autorisation préalable et qui interdit de pénétrer dans le bâtiment et de ramasser des ossements.

L'épave est par ailleurs classée bien culturel maritime.

Mais plusieurs associations, notamment d'anciens combattants américains, souhaitent aller au-delà afin que ce « cimetière marin » soit reconnu et protégé plus efficacement.

La notion de cimetière marin n'existe ni en droit français, ni en droit international. Néanmoins, ces associations souhaitent qu'un statut particulier soit donné à ce site pour le rendre plus officiel.

Fin 2001, j'avais adressé plusieurs courriers au précédent gouvernement à ce sujet. Plusieurs pistes avaient alors été mises à l'étude, notamment au sein de la direction des affaires juridiques du secrétariat d'Etat aux anciens combattants et de la direction de l'architecture et du patrimoine du ministère de la culture.

Lors de votre prise de fonctions en juin 2002, je vous ai également adressé un courrier pour vous faire part de ces démarches, monsieur le secrétaire d'Etat.

Je mesure bien les difficultés juridiques, voire diplomatiques, que peut soulever un tel sujet. Mais, en 2004, la France célébrera le soixantième anniversaire du débarquement allié en Normandie et le naufrage du Léopoldville est un des épisodes dramatiques survenus les mois précédant la Libération. A cette occasion, je renouvelle ma demande, monsieur le secrétaire d'Etat : ne pourrait-on pas transformer ce carré de mer en un véritable lieu de souvenir ?

Par ailleurs, ne serait-il pas envisageable d'organiser une manifestation de recueillement et de souvenir sous l'égide de l'Etat et en accord avec l'ambassade des Etats-Unis le jour de Noël 2004, afin d'officialiser ce site comme lieu de mémoire de ce tragique épisode de notre histoire ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Monsieur le sénateur, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1944, alors qu'il faisait route vers Cherbourg, le cargo Léopoldville a été torpillé par un sous-marin allemand : 763 soldats américains ont, vous l'avez dit, péri lors du naufrage. Je salue, bien entendu, avec respect leur mémoire.

L'épave du Léopoldville repose à soixante mètres de fond, dans les eaux territoriales françaises. Son parfait état de conservation explique les visites réitérées de plongeurs dont elle a fait l'objet depuis plusieurs années.

Monsieur le sénateur, je suis évidemment sensible à l'émotion des associations de vétérans. Je souhaite souligner que des mesures - manifestement efficaces, nous nous en sommes assurés - ont déjà été prises.

En application de l'article 1er de la loi du 1er décembre 1989 relative aux biens culturels maritimes, le ministre de la culture a pris, le 8 mars 2001, un arrêté classant l'épave du Léopoldville « bien culturel maritime » pour assurer sa sauvegarde.

Afin de prévenir les vols ou les actes de profanation par des particuliers, le préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord a, quant à lui, pris le 31 juillet 2001 un arrêté contraignant les associations de plongeurs à demander une autorisation préalable avant toute plongée sur le site.

Par ailleurs, monsieur le sénateur, la protection des restes humains est réglementée par l'article 225-17 du code pénal, qui prévoit que « toute atteinte à l'intégrité du cadavre, par n'importe quel moyen que ce soit », sera punie d'une forte amende et d'une peine d'un an d'emprisonnement.

Vous suggérez la création d'un « cimetière marin », monsieur le sénateur, mais cette notion n'existe pas en droit, comme vous le soulignez vous-même, et la création d'un précédent ne manquerait pas de soulever d'insurmontables difficultés en raison de l'importance du nombre de navires jonchant, hélas ! le fond des mers.

Je vous informe cependant que la marine nationale, à laquelle nous avons demandé un rapport sur la situation exacte, déclare que les mesures prises ont eu des effets pour l'instant dissuasifs et qu'aucun incident particulier n'a eu lieu depuis plusieurs mois.

Cette information est, je l'espère, de nature à dissiper les inquiétudes des associations représentatives.

Bien évidemment, nous restons d'une vigilance absolue afin de prévenir tout acte répréhensible.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Je vous remercie de votre réponse, qui me satisfait, et des précisions que vous venez d'apporter.

J'insiste sur le fait qu'une manifestation officielle, à l'occasion de ce soixantième anniversaire, permettrait d'authentifier ce lieu comme « cimetière marin », même si, comme vous l'avez dit, il est délicat d'utiliser ce terme en raison du nombre d'épaves au large des côtes de notre département. Comme il s'agit des eaux territoriales, seul l'Etat pourrait organiser une manifestation commémorative.

CARTE SCOLAIRE ET ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz, auteur de la question n° 400, adressée à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le secrétaire d'Etat, la rentrée scolaire de 2004 s'annonce morose et pire que la précédente, car elle sera marquée par des restrictions budgétaires et par de nouvelles suppressions de postes.

Pour l'académie de Nancy-Metz, ce sont plus de 600 postes d'enseignants et de personnel IATOS - ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers, de services - qui seront supprimés. Cette nouvelle a été très mal accueillie par les syndicats et les parents d'élèves, qui dénoncent une démarche purement comptable et parlent même d'une « hémorragie historique dans les effectifs ».

La diminution du nombre des élèves ne saurait, à elle seule, justifier la baisse de l'effectif enseignant et IATOS. Il est tout à fait indispensable de tenir compte de la réalité du terrain et des particuliarités des bassins de population. La Lorraine, dont je suis élue, est une région en grande difficulté, qui présente un fort taux de ruralité et un taux de chômage nettement au-dessus de la moyenne.

M. Gérard Longuet. C'est inexact, madame ! Le taux est inférieur à la moyenne nationale !

Mme Gisèle Printz. Ce n'est pas mon avis.

M. Gérard Longuet. Ce sont les chiffres !

Mme Gisèle Printz. Cette diminution d'effectif va poser problème dans de nombreux secteurs, et il est légitime de s'interroger sur le rôle social que l'enseignement public peut jouer dans ces conditions.

Cette mauvaise nouvelle intervient en outre au moment où, sur la demande du ministre de l'éducation nationale, le recteur de l'académie de Nancy-Metz a organisé un plan sévère de restructuration des filières de formation professionnelle et technologique. Nous savons que ce projet se traduira par la suppression pure et simple de plusieurs de ces filières dans de nombreux établissements. A moyen terme, certains d'entre eux fermeront.

L'émotion est très vive, car ce démantèlement restreindra considérablement l'offre de formation dans des bassins entiers d'emplois et de population. Seuls quelques lycées émergeront, ce qui contraindra les élèves à des déplacements supplémentaires qui engendreront des frais importants pour les familles, souvent démunies. Notons aussi que les liaisons, ferroviaires ou autres, ne sont pas toujours assurées d'un bassin à l'autre, d'où l'importance des établissements de proximité.

Au moment où le Gouvernement feint de consulter à travers son grand débat sur l'école et où il nous tient de grands discours sur la nécessité d'une formation compétitive à l'heure de la mondialisation, il organise le démantèlement du service public de l'éducation et de la formation professionnelle et technologique. En effet, dans un cas comme dans l'autre, force est de constater que seule une logique purement comptable et financière prédomine. Veut-on une formation à deux vitesses ?

Monsieur le secrétaire d'Etat, nous n'acceptons pas cette logique et nous ne comprenons pas que de telles décisions puissent être prises unilatéralement, sans tenir compte des particularités locales. La Lorraine est touchée de plein fouet par le déclin de la sidérurgie et par les vagues successives de licenciements qui ont suivi. De nombreux efforts de reconversion industrielle y sont entrepris, mais c'est une région encore convalescente, au sein de laquelle l'éducation nationale joue un rôle primordial.

Nous avons besoin de nos enseignants. Nous voulons le maintien de nos filières technologiques et professionnelles si l'on veut que nos jeunes restent compétitifs sur le marché du travail. C'est pourquoi je vous demande, avant d'entériner toute décision concernant la Lorraine, de tenir compte de sa situation particulière.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser mon collègue Luc Ferry, qui répond en ce moment même à des questions à l'Assemblée nationale.

Les suppressions de postes dans l'académie de Nancy-Metz peuvent paraître importantes. Mais il faut les comparer à la baisse du nombre des élèves, qui est considérable en Lorraine.

Ainsi, à la rentrée de 2003, les effectifs avaient diminué de 3 222 élèves dans le second degré, principalement dans les collèges, et de 1 100 élèves dans le premier degré.

A la rentrée de 2004, cette baisse touchera collèges et lycées, avec 4 330 élèves en moins, dont près de 3 000 dans les collèges.

Le département de la Moselle est le plus touché. Les effectifs y sont en baisse de 2,3 %, contre 1,7 % à l'échelon académique.

De plus, madame la sénatrice, nous devons tenir compte de la nécessité de rééquilibrer les dotations entre académies, l'académie de Nancy-Metz bénéficiant de taux d'encadrement très nettement supérieurs à la moyenne nationale.

Nous avons bien sûr tenu compte des difficultés sociales et des contraintes territoriales pour définir le niveau de prélèvements d'emplois. Le taux de chômage en Lorraine est aujourd'hui légèrement inférieur à la moyenne nationale, comme vous le savez.

Par ailleurs, le recteur poursuit le plan de réorganisation de l'offre de formation professionnelle.

Les filières technologiques et professionnelles seront développées et les pôles de spécialités par lycée renforcés.

La Lorraine dispose de soixante-quatre lycées professionnels et de quatorze sections d'enseignement professionnel. Il convient de les faire travailler en complémentarité et non en concurrence. La réorganisation entamée à la rentrée de 2003 se poursuivra jusqu'en 2006.

Madame la sénatrice, je peux donc vous rassurer : l'ajustement de la carte scolaire a pour objectif de conforter le service public en l'adaptant. Sans cette politique, l'avenir serait catastrophique pour nombre de nos établissements fragilisés par des effectifs de plus en plus faibles, en particulier dans les zones rurales.

Telle est, madame la sénatrice, la réponse que je souhaitais apporter à votre question.

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le secrétaire d'Etat, votre réponse ne me rassure pas. Je dispose, quant à moi, d'autres chiffres.

Comme je l'ai souligné au début de mon intervention, la diminution du nombre d'élèves s'explique par des fermetures massives d'établissements. En effet, dans l'académie de Nancy-Metz, on assiste à une hausse des effectifs dans le premier degré. La facture est lourde à payer : nous devons supprimer soixante-seize postes, dont cinquante-six en Moselle. Nos arguments ne sont donc pas les mêmes que ceux du Gouvernement.

En Lorraine et en Moselle, après l'emploi, c'est l'enseignement que l'on s'apprête à casser. L'avenir pour le personnel enseignant, pour les personnels ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service, les IATOS, et pour les élèves, ne se présente pas sous des auspices encourageants, ce que je déplore profondément.

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)