PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

vice-président

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « Les hommes naissent et demeurent égaux en droits », est-il affirmé dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il est ajouté, dans la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies de 1948 : « Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir dans un esprit de fraternité. »

Si nous sommes réunis aujourd'hui, bien que la loi de 1975 reste, à mes yeux, un texte fondateur, c'est parce que trop de personnes handicapées et trop de familles voient encore leurs droits bafoués et ne ressentent que peu cet esprit de fraternité.

Permettez-moi de saluer toutes les personnes handicapées, leurs familles et leurs amis qui suivent nos débats dans le salon Victor-Hugo sur écran - nos tribunes n'étant malheureusement pas encore adaptées - ainsi que celles et ceux qui attendent et manifestent silencieusement l'intérêt qu'ils portent à nos travaux à l'extérieur du Palais.

Madame la secrétaire d'Etat, je veux vous remercier de porter devant nous ce texte. Cette réforme, vos prédécesseurs nous l'avaient promise.

M. Paul Blanc, rapporteur. Oui !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous avons attendu en vain.

Compléter, adapter, faire évoluer cette fameuse loi de 1975 est un défi comparable à celui de la réforme des retraites ou de la sécurité sociale. C'est l'honneur de ce gouvernement d'y faire face et je remercie le Président de la République d'avoir consacré ce dossier comme l'un des grands chantiers de son mandat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

L'annonce faite par Jacques Chirac le 14 juillet 2002 a suscité un immense espoir qu'il ne s'agit pas aujourd'hui de décevoir.

Oui, ceux qui manifestent et qui écoutent sont les enfants de la génération de 1975. Avec leurs parents, leurs conjoints ou leurs enfants, ils sont là pour que certaines des promesses de 1975 soient enfin tenues et que les imperfections ou les inadaptations au monde de 2004 soient corrigées.

Avant 1975, les « incapables » étaient entièrement laissés à la charge des familles et, plus généralement, placés sans distinction dans des institutions fermées, inadaptées, et parfois dans des asiles psychiatriques d'où ils n'avaient aucun espoir de sortir.

Par conséquent, 1975 restera l'année des premiers pas d'une longue marche désormais irréversible, grâce à une série de mesures : l'instauration d'un revenu minimum d'existence, l'AAH ; l'affirmation des droits fondamentaux tels que l'éducation, le travail ou l'accessibilité des lieux publics ; la mise en place d'une couverture partielle des frais pour les parents gardant leurs enfants à domicile, puis l'ACTP pour les personnes dépendantes devenues adultes.

La loi de 1975 n'a pourtant pas tout réglé.

Aujourd'hui, les enfants d'alors ont grandi. Certains, après avoir été scolarisés en milieu ordinaire ou adapté, ayant vécu au domicile de leurs parents, loin des institutions, disposant d'un travail, ou étant parfaitement en mesure d'en exercer un, vivant parfois en couple, ayant des enfants, souhaitent désormais vivre décemment et de façon indépendante à leur domicile, sans devoir, à tout moment, compter sur leur famille ou leur conjoint. Ils veulent aussi exercer leurs droits de citoyens.

Cette grande conquête de l'autonomie, qu'ils abordent individuellement avec volonté et courage, est un mouvement collectif inéluctable, qui résulte directement des avancées faites par le législateur il y a trente ans.

Nous ne pouvons pas les abandonner à mi-parcours.

Alors que leurs parents vieillissent, deviennent eux-mêmes dépendants, nous ne pouvons pas décemment les laisser retourner dans les institutions quand ils ne le veulent pas. Ce serait là une terrible régression sociale.

« Plutôt mourir que d'en arriver là », nous disent-ils.

Certains l'ont manifesté avec toute la force de leur désespoir, en se lançant dans des grèves de la faim. Quand, dans un pays, des personnes tétraplégiques ou myopathes décident de mettre en péril leur vie pour réclamer des soins infirmiers à domicile ou des aides humaines afin d'effectuer des actes essentiels de la vie quotidienne, comme boire, manger, se laver, aller aux toilettes ou s'habiller, on se dit qu'il y a forcément là une terrible carence de la société à leur égard.

Or le handicap résulte, en grande partie, des carences de notre société.

Tout enfant vient au monde avec un patrimoine génétique imparfait, support de déficiences plus ou moins lourdes et qui ne s'exprimeront que plus ou moins tardivement, voire jamais, au cours de la vie, et, donc, seront ou ne seront pas, face à un environnement inadapté, source de handicap.

Pour d'autres, les déficiences découlent d'accidents ou de maladies. Certaines seront heureusement facilement compensées par une réponse sociale, un appareillage, un traitement médical ou une intervention chirurgicale, d'autres pas. Ces déficiences peuvent être d'ordre psychique, physique, mental, sensoriel. En fonction de la réponse adaptée de la société à ces déficiences, ces personnes seront ou ne seront pas des personnes dites handicapées.

Si le handicap apparaît, il doit alors faire l'objet d'une compensation pour permettre à chaque personne de vivre sa vie dans le respect de ses droits.

En suivant ce raisonnement, on comprend mieux l'ordre que certains réclamaient et que l'on aurait pu suivre dans le texte, à savoir : déficience, environnement sociétal, handicap, compensation.

Le mieux semble d'adopter deux démarches conjointement : adapter l'environnement, d'une part, afin de rendre le plus accessible possible l'ensemble des lieux pour permettre à tous ceux qui présentent une déficience de réduire leur situation de handicap ; compenser le handicap, d'autre part, et c'est le rôle de la solidarité nationale.

Notons que, même lorsqu'un environnement est adapté, la déficience est trop lourde pour permettre à toute personne handicapée d'exercer pleinement ses droits et d'accéder à la vie sociale, comme tout citoyen.

Notre pays ne peut se priver du potentiel humain que représentent 5 millions de nos concitoyens, soit près de 10 % de notre population ! Ce serait une grave erreur, une attitude même antiéconomique, car le domaine de la compensation représente un potentiel immense en termes de création d'emplois, de proximité notamment.

Cet effort qui doit être le nôtre est aussi une chance pour notre développement et notre recherche. Les personnes handicapées sont souvent des pionnières dans le domaine des nouvelles technologies. Elles nous incitent à trouver des solutions innovantes en matière, par exemple, de domotique ou de robotique.

Enfin, face à la concurrence internationale, il est vital pour notre pays de tirer parti de l'ensemble des ressources humaines et économiques prises dans toute leur diversité.

Nous ne pouvons continuer à exclure une partie aussi importante de notre population, dont les talents et la créativité, rappelés tout à l'heure par Jean-François Mattei et Marie-Thérèse Boisseau, ne demandent souvent qu'à s'exprimer, pour peu qu'on lui en donne les moyens. Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, félicitant à nouveau notre rapporteur pour son travail très complet, je ne souhaite pas revenir sur tout ce qu'il a si bien dit. J'insisterai seulement sur quelques points, me réservant d'intervenir sur les autres aspects de ce texte au cours de la discussion des articles.

A propos des aides humaines, vous avez fixé, madame la secrétaire d'Etat, le plafond de l'aide humaine versée par l'Etat à 80 % du prix moyen d'une place annuelle en maison d'accueil spécialisée, ou MAS. Vous avez estimé devant la commission que ce prix moyen annuel est de 64 000 euros, soit un montant maximum d'aide de 51 200 euros par personne correspondant à seize heures théoriques d'aide humaine par jour.

Or ce calcul ne tient pas forcément compte de la hausse régulière du SMIC. Il n'y a pas d'indexation, ce qui va conduire les personnes handicapées employeurs à augmenter leurs assistants, sans bénéficier corrélativement d'une hausse du montant de leur aide. Cet effet « ciseau » aboutira en définitive à une baisse du nombre d'heures dont elles bénéficiaient au départ.

Ce calcul ne tient pas compte non plus des majorations de nuits, de week-ends et de jours fériés, ni des coûts générés par les remplacements des assistants pour congés payés, arrêts maladie ou droit à la formation.

Ce calcul ne tient pas davantage compte des éventuels arrêts maladie des personnes handicapées si elles travaillent, car elles ont alors besoin d'être assistées à leur domicile durant la période de l'arrêt maladie.

Enfin, ce calcul ne tient pas compte des surcoûts indirects liés à l'hébergement, aux frais de déplacement et d'alimentation des assistants, forcément assumés en double par la personne handicapée qui se fait aider, sans parler des frais doubles engendrés lorsqu'elle effectue une sortie culturelle comme le cinéma, le musée, le théâtre, ou lorsqu'elle part en vacances, accompagnée bien sûr.

Et je ne parle pas des besoins complémentaires en aides humaines lorsque cette personne élève un enfant seule, ou quand son conjoint travaille.

Les personnes lourdement handicapées ont impérativement besoin pour vivre à domicile d'une assistance vingt-quatre heures sur vingt-quatre, payée aux tarifs « auxiliaires de vie » tels que pratiqués dans les associations mandataires et non, malheureusement, aux tarifs « tierce personne ».

Elles ont besoin de pouvoir choisir librement leurs assistants personnels en raison du lien d'intimité extraordinaire et incomparable qui peut exister entre la personne handicapée et celle qui l'aide.

Elles ont besoin de pouvoir en être l'employeur direct, tout en déléguant éventuellement la gestion strictement administrative à une structure dédiée à cet effet, mais totalement indépendante des financeurs.

Elles ont besoin de ne pas se voir imposer d'horaires, un planning ou une organisation de soins qui soient contraires à leurs choix de vie, qui les contraignent à ne se lever que vers onze heures du matin et à se coucher tous les soirs avant vingt heures.

C'est cela, le respect du choix de vie.

Aujourd'hui, à l'évidence, ce sont aux personnes handicapées de s'adapter aux organismes à domicile, et non l'inverse, avec toutes les dérives que cela peut entraîner au quotidien : non-respect des horaires, travail à la chaîne, modifications brutales et sans préavis des déroulements de soins, changements permanents de personnels particulièrement déstabilisants pour la personne handicapée qui doit sans arrêt réexpliquer les gestes, former les équipes, accepter de nouvelles têtes, inconnues, au coeur de son intimité, y compris corporelle.

Une personne handicapée m'écrivait il y a quelques jours : « En raison de l'insuffisance des aides, j'ai dû recourir à des aidants extérieurs au service d'auxiliaires de vie et du SSIAD. Si je tiens compte des remplacements et des renouvellements, plus de quarante personnes différentes se sont occupées de moi en dix-huit mois. J'ai été nourrie en dix-huit mois par quarante personnes différentes, habillée et déshabillée par quarante personnes différentes, mise aux toilettes » - et je ne vous parlerai pas de la suite - « par quarante personnes différentes, installée à mon bureau, au centimètre près, par quarante personnes différentes, pour pouvoir enfin utiliser la licorne sur mon front, seul moyen de communication pour moi, ou bien encore être connue pour mes gestes incontrôlés aussi par quarante personnes que je ne connais pas. C'est en soi une brutalité ».

Cette personne ajoutait : « Concrètement, j'en suis arrivée à ne plus supporter personne, à faire un effort pour ne pas mettre à la porte les gens arrivant pour m'aider, et, pour y parvenir maintenant, à éviter les contacts, surtout des mains sur moi, renonçant même à une partie de ma toilette, moi qui appréciais tant la propreté !

« Cet état de fait a des implications fortes » - écrivait-elle - « et inadmissibles sur ma personnalité, mon intimité, mes réactions, mon organisation, bref, ma vie, mon intégrité, ma substance même ; quiconque tentera de le nier s'enfermera dans l'ignorance. »

Elle concluait sa lettre ainsi : « C'est de l'autonomie de l'individu en tant que sujet, être sensible, citoyen et responsable qu'il est question pour les intéressés : bien trop souvent, ce n'est pas un paramètre étudié ni une notion envisagée comme existante. Accompagner une personne dépendante, ce n'est pas seulement lui fournir l'ensemble des aides humaines et techniques dont elle a besoin, mais c'est aussi lui offrir la possibilité de s'épanouir sur le plan privé, social et professionnel, dans le respect de ses aspirations et de ses possibilités. »

Voilà pourquoi, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il nous faut accorder les moyens nécessaires et suffisants aux personnes les plus gravement handicapées et à leurs aidants.

Je dirai également un mot sur les aides techniques.

L'assurance maladie doit prendre en charge la totalité des aides techniques pour lesquelles elle accorde aujourd'hui un remboursement partiel et doit ainsi mettre fin à des situations absurdes.

Par exemple, la caisse primaire d'assurance maladie rembourse intégralement la location journalière d'un soulève-malade pour se coucher, ce qui coûte très cher à l'année, et ce pendant toute la durée de vie d'une personne handicapée prise en charge à 100 %. Toutefois, si la personne handicapée souhaite acheter directement ce matériel, ce qui serait, reconnaissons-le, une source d'économie non négligeable pour la sécurité sociale, elle n'a droit à aucun remboursement !

De même, comment se fait-il qu'un siège élévateur de bain, pour une personne totalement dépendante, ne soit absolument pas pris en charge par la sécurité sociale ? Est-ce un luxe de prendre un bain pour une personne handicapée auquel elle doit renoncer ?

Enfin, pourquoi une personne handicapée qui souhaite se rendre à une visite médicale ou à l'hôpital avec son véhicule personnel rencontre-t-elle autant de difficultés à se faire rembourser ses trajets, alors que, si elle fait appel à une ambulance, autrement plus coûteuse, elle sera prise intégralement en charge, et ce très facilement ?

Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je veux aborder en cet instant un sujet plus délicat encore : la sexualité des personnes handicapées. « Est-ce qu'on peut bouder l'amour ?

Aimer, c'est naître », affirmait Victor Hugo. Il poursuivait :

« Aimer, c'est savourer, au bras d'un être cher,

« La quantité de ciel que Dieu mit dans la chair ;

« C'est être un ange avec la gloire d'être un homme. »

Victor Hugo oubliait une seule chose : aimer, avoir une sexualité, c'est aussi un droit !

Il s'agit là sans doute du domaine dans lequel les personnes handicapées ressentent le plus cruellement leur différence, où le rejet social s'exprime, pour elles, avec le plus de violence.

C'est particulièrement vrai dans les établissements où le sujet est tabou, en particulier pour les personnes présentant un handicap mental.

Comment continuer à fermer les yeux sur le fait, d'une part, que ces personnes, en raison de leur extrême vulnérabilité, sont parfois victimes d'abus sexuels commis par des personnels ou des résidents incontrôlés et, d'autre part, que la seule réponse apportée face aux désirs, au demeurant bien naturels, qu'elles expriment, d'une sexualité, voire d'une maternité, encadrée, soit une stérilisation non désirée, brutale et définitive ?

Comment continuer d'interdire, comme c'est encore trop souvent le cas aujourd'hui, l'entrée à des adultes handicapés - je dis bien des adultes -, qui vivent dans des instituts spécialisés ou des foyers d'hébergement, de sortir le soir, d'avoir des relations sexuelles, même à l'intérieur de l'établissement, ou tout simplement de mener une vie de couple ? On finit bien par l'autoriser dans d'autres lieux où les contraintes sont pourtant plus lourdes...

Notre pays doit enfin mener une réflexion là où d'autres pays comme la Suisse, le Danemark et l'Allemagne l'ont précédé, notamment sur la mise en place, bien entendu contrôlée, de services d'assistance sexuelle à domicile pour les personnes handicapées les plus sévèrement touchées. Il faut lutter contre la misère affective, relationnelle et sexuelle dans laquelle un trop grand nombre d'entre elles sont plongées.

J'en viens aux services de soins infirmiers à domicile.

Depuis plusieurs années, les personnes handicapées sont les premières victimes des dysfonctionnements constatés du système infirmier libéral.

Nécessitant des soins fréquents, souvent lourds et compliqués, elles se heurtent aujourd'hui au refus systématique des infirmiers exerçant en libéral de venir faire des soins à domicile.

Pour le même prix, ces infirmiers préfèrent en effet effectuer des soins plus techniques auprès de patients qui leur prendront trois fois moins de temps.

Pour résoudre ce problème, vous avez, madame la secrétaire d'Etat, débloqué, à titre dérogatoire, deux cents places en SSIAD réservées jusque-là aux seules personnes âgées de plus de soixante ans. C'est bien. Malheureusement, pour les personnes lourdement handicapées, cette dérogation n'a pas suffi.

Le coût de la prise en charge en SSIAD s'élève en effet à trente-cinq euros par jour et par personne. Il est le même pour n'importe quel type de patient, quels que soient ses besoins, son âge et sa pathologie.

La personne handicapée qui nécessite une heure trente de soins le matin et une heure trente de soins le soir mobilise quatre personnes par jour. Elle devrait donc bénéficier d'un coût de prise en charge quatre fois supérieur à celui qui est actuellement pratiqué.

Cette non-prise en compte de la spécificité des soins des personnes lourdement handicapées a pour conséquence le refus opposé à leur prise en charge par les SSIAD. C'est précisément ce qui vient de se passer dans mon département.

Il reste la possibilité pour les personnes lourdement handicapées de bénéficier des services de l'hospitalisation à domicile.

Ce système est intéressant dans la mesure où il assure une prise en charge plus médicalisée du patient. Le prix de journée qui leur est attribué est d'ailleurs bien plus élevé qu'en SSIAD, puisqu'il est de 145 euros. Outre le passage quotidien des personnels soignants et de membres de professions paramédicales, il couvre également les frais médicaux annexes, qui reviennent cher aux personnes handicapées : achat de matériels, notamment gants plastiques, pansements, protections.

Or, depuis quelques années, ces services sont en nombre insuffisant sur notre territoire et se trouvent, par conséquent, en situation monopolistique sur le marché du soin à domicile : ils font le « tri » parmi leurs patients. Ceux qui exigent des soins lourds, une attention particulière, de nombreuses manipulations et un temps de soin jugé trop long, donc moins rentable, sont sortis du système et priés d'aller voir ailleurs. Motif invoqué : ils ne relèvent pas de l'hospitalisation à domicile, qui n'assure en général que des séjours courts, essentiellement palliatifs.

Bref, on leur fait comprendre que, même s'ils souffrent d'une sclérose en plaques ou d'une myopathie sévère, leur pathologie n'évolue pas assez vite.

Ce « tri » de patients est choquant, mais bien réel. Les conséquences en sont terribles. Pour ceux qui sont évincés du système, l'issue est simple : faute de services de soins à domicile alternatifs, c'est l'institution. En général, cette éviction a lieu lorsque l'entourage familial de la personne handicapée vieillit, fatigue et n'est plus en mesure de pallier les insuffisances chroniques de personnels et de soins qui se manifestent au sein de ces services, qui sont finalement peu contrôlés par les organismes de tutelle et où règne la loi du silence, chaque patient préférant se taire plutôt que de perdre « sa place ».

Rejetées par le système infirmier libéral, insuffisamment prises en charge pour être acceptées par les SSIAD, évincées des services de l'hospitalisation à domicile, les personnes lourdement handicapées se retrouvent sans solution pour assurer leurs soins, parfois vitaux.

Cet abandon, qui résulte de la non-prise en compte de leur spécificité et de leur pathologie par notre système de protection sociale, est un scandale que je souhaite dénoncer ici.

Une réflexion doit être engagée au plus vite dans le cadre du futur projet de réforme de l'assurance maladie. A quoi bon réformer si notre pays n'est même pas en mesure d'assurer les soins vitaux aux plus fragiles d'entre nous ?

Plusieurs pistes pourraient être étudiées : premièrement, l'extension des places disponibles en SSIAD et la revalorisation corrélative du prix de journée en fonction de la pathologie et des temps de soins ; deuxièmement, l'ouverture obligatoire des services d'hospitalisation à domicile aux handicaps lourds et un contrôle renforcé de la qualité des soins dispensés au sein de ces services ; troisièmement, l'autorisation donnée, à titre exceptionnel, aux aides-soignants d'exercer leur métier en libéral auprès de ces personnes ; enfin, quatrièmement, la mise en place d'un service d'urgence pour les soins à domicile, une sorte de SAMU sanitaire, afin d'assurer une permanence de soins en cas de défaillance de personnel non prévue.

S'agissant de l'emploi, la fin de la comptabilisation des bénéficiaires de l'obligation d'emploi par « unité bénéficiaire » ne doit pas conduire à l'éviction, à compétences égales, du travailleur le plus lourdement handicapé, lors de sa candidature.

Il ne faut pas aboutir à ce que les employeurs privilégient l'embauche des candidats atteints de handicaps légers, comme une allergie, au détriment de ceux qui sont atteints de handicaps lourds, pas exemple d'une maladie psychique, de cécité ou de myopathie.

Il nous faut donc accorder une valeur supérieure aux travailleurs lourdement handicapés pour compenser la perte de chances qu'ils peuvent rencontrer face à un employeur au moment de leur candidature.

Il faut vaincre les réticences des employeurs à embaucher une personne handicapée, lever les préjugés.

Je veux rappeler très solennellement à notre assemblée que près de 85 % des employeurs qui ont embauché un salarié handicapé ont été satisfaits de leur choix.

Permettez-moi d'insister sur la nécessité de permettre aux personnes handicapées d'être représentées par des associations représentatives, et non par des associations ou des représentants choisis par les préfets. C'est indispensable, car ces associations seront amenées à siéger dans les instances qui décident de l'orientation des enfants, des adolescents, des adultes ou des travailleurs handicapés au sein de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées.

Ces associations seront également membres des commissions communales pour l'accessibilité, qui dresseront chaque année le constat d'accessibilité du cadre bâti existant, de la voirie, des espaces publics et des transports urbains. Ces nouvelles responsabilités impliquent de leur donner une vraie légitimité.

Un dernier mot sur l'évolution, selon l'âge, du droit à compensation. La compensation concerne non seulement les actes essentiels de la vie, mais aussi l'ensemble du projet de vie - vous l'avez rappelé, madame la secrétaire d'Etat -, y compris les loisirs.

Il me paraît indispensable d'inscrire dans le temps l'accès de tous à la compensation. Certains pays n'ont pas fixé d'âge pour prétendre à la juste compensation du handicap, comme la Suède, où cette compensation commence avec l'apparition du handicap.

La compensation du handicap chez les personnes âgées de moins de vingt ans n'est aujourd'hui réglée que très partiellement par l'attribution d'une allocation versée aux parents. Il convient donc de prévoir un accès progressif de tous à la compensation.

Je propose que, dès l'âge de dix-huit ans, les majeurs accèdent, s'ils le souhaitent, à la compensation, selon leur projet de vie, et ce dès l'entrée en vigueur de la loi. Un délai de cinq ans devrait permettre d'intégrer dans ce processus les jeunes âgés de plus de seize ans. Dix ans seraient en outre accordés pour étendre cette compensation aux mineurs âgés de plus de treize ans. Il s'agirait non pas simplement d'une sorte de quatrième niveau d'accès à l'AES, mais bien d'un véritable droit à la même compensation que les adultes handicapés.

Une telle perspective est porteuse d'espoir de voir un jour la compensation étendue au plus grand nombre sans la condamner par une précipitation excessive.

Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tels sont les quelques thèmes que je souhaitais aborder à cette tribune. Le texte qui nous est soumis est attendu depuis longtemps. C'est un texte généreux, qui ne demande qu'à être conforté. Faisons-le grandir, amendons-le !

M. Daniel Raoul. Dommage ! Jusque-là, c'était bien !

M. Gilbert Chabroux. Jusqu'à présent, c'était pas mal !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oublions, mes chers collègues, nos discordes partisanes. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Je comprends que cela vous gêne !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Au contraire !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Méfiez-vous, l'humour peut être une preuve de déficience !

Oublions, dis-je, nos discordes partisanes, nos responsabilités passées, nos erreurs pour parvenir à faire considérer notre pays comme l'une des références dans le combat pour la dignité des personnes handicapées en leur accordant enfin la possibilité de vivre et non plus seulement de survivre.

« Pour faire un monde, il faut du bonheur et rien d'autre », affirmait Paul Eluard. Construisons ensemble une part de ce bonheur ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire : 112 minutes ;

Groupe socialiste : 60 minutes ;

Groupe de l'Union centriste : 24 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen : 20 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 16 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 8 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole et à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous aurions pu applaudir les propos que vient de tenir le président Nicolas About. Dommage que la fin de son intervention nous en ait empêchés ! En effet, nous abordons ce texte sans aucune volonté de récupération politique, sous quelque forme que ce soit. C'était peut-être anticiper nos discours. Car si nous souscrivons pleinement à l'essentiel de vos propos, monsieur About, nous avons beaucoup de mal à les retrouver dans le texte qui nous est proposé. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous avez tort ! Vous verrez !

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous verrons, en effet ! Nous avons un peu de temps pour cela, mais pas beaucoup !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Toute la semaine !

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous abordons donc l'examen d'un texte attendu par les millions de personnes en situation de handicap et leurs familles vivant dans notre pays, qui espèrent des solutions concrètes à leurs difficultés quotidiennes.

La loi du 30 juin 1975 fut une loi fondatrice - si mes souvenirs sont exacts, les conclusions de la commission mixte paritaire auxquelles elle a donné lieu ont été votées à l'unanimité - qui a permis de modifier en profondeur le regard de notre société sur le handicap. Mais trente ans plus tard, elle a vécu et il nous faut l'adapter aux évolutions qui marquent la situation des personnes en situation de handicap et leur environnement.

Nul doute que l'émergence forte de l'aspiration des personnes concernées et de leurs familles à l'autonomie, à la liberté de choix de leur mode de vie, à une pleine participation, c'est-à-dire en fait à l'exercice d'une vraie citoyenneté, a contribué au vieillissement de la loi du 30 juin 1975. Cette loi apportait, pour l'essentiel, des réponses institutionnelles et médicosociales à la question du handicap, des réponses dont on sait bien aujourd'hui les limites et l'inadaptation pour une population qui aspire largement, à juste titre, à vivre comme les autres.

Ce texte est important parce qu'il a suscité une attente particulière née, d'une part, de l'annonce du 14 juillet 2002 par laquelle le Président de la République inscrivait le handicap parmi les grands chantiers de son quinquennat et, d'autre part, de la reconnaissance par la loi du 4 mars 2002 d'un droit à la compensation des conséquences du handicap par la solidarité nationale tout au long de la vie.

Ce projet de loi était annoncé depuis des mois. Mais alors que les associations et les différents organismes consultatifs étaient en train de débattre des orientations de cette réforme, le Gouvernement a brutalement accéléré le calendrier. (Mme la secrétaire d'Etat fait un signe de dénégation.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non !

M. Jean-Pierre Godefroy. Examiné en conseil des ministres le mercredi 28 janvier au matin, le texte a été déposé immédiatement sur le bureau du Sénat et vous avez été auditionnée l'après-midi même, madame la secrétaire d'Etat, pour un examen qui commence aujourd'hui, soit moins de trois semaines plus tard.

M. Alain Gournac. Quelle efficacité !

M. Jean-Pierre Godefroy. La commission a dû travailler dans des conditions que le rapporteur a lui-même qualifées d'inhumaines ; ce n'est pas moi qui le dis !

Pourquoi une telle accélération alors que la concertation était engagée ? Vous avez dit, madame la secrétaire d'Etat, que la cause des personnes handicapées dépassait les clivages politiques. Certainement, mais ne devrait-elle pas également échapper au calendrier électoral ?

M. Daniel Raoul. Eh oui !

M. Jean-Pierre Godefroy. Cette réforme était attendue depuis des années et je ne crois pas que quelques semaines supplémentaires d'attente auraient été de trop.

M. Paul Blanc, rapporteur. Pourquoi ne l'avez-vous pas faite ?

M. Jean-Pierre Godefroy. Elles auraient au moins laissé le temps aux associations représentatives des personnes hadicapées et de leurs familles de pouvoir étudier plus sereinement le projet de loi que vous nous soumettez, madame la secrétaire d'Etat, et de poursuivre le dialogue indispensable pour parvenir au consensus que vous appelez de vos voeux, si j'en crois vos déclarations dans cet hémicycle en date du 18 février.

Mon collègue Gilbert Chabroux proposera donc au Sénat une motion tendant au renvoi en commission.

Attendu, retardé, puis enfin dans la bousculade, avec notamment l'irruption du plan « solidarité pour les personnes dépendantes », le projet de loi dont nous allons débattre ces prochains jours n'arrive pourtant pas à convaincre, je suis désolé de vous le dire.

Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous ne pouvons pas ignorer les réactions plus que tièdes des associations représentatives des personnes handicapées et de leurs familles ; les auditions auxquelles a procédé notre commission l'ont bien montré. Je ne ferai pas la liste exhaustive de leurs déclarations, parfois sévères, mais, de manière générale, elles regrettent toutes « un texte en retrait par rapport aux attentes qu'il avait suscitées », notamment l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapés mentales, l'UNAPEI.

M. Alain Gournac. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

M. Jean-Pierre Godefroy. Si les principes affirmés recueillent l'approbation générale, l'ambition de certaines dispositions demeure bien trop faible, selon le Conseil national consultatif de personnes handicapées, le CNCPH.

L'Association française contre les myopathies, l'AFM, par exemple, a regretté qu'un fossé se soit creusé « entre l'affirmation d'un droit à compensation universel et la réalité d'une prestation forfaitaire et discriminante ». Pour l'Association des paralysés de France, l'AFP, il s'agit même d'une fausse reconnaissance dans la mesure où la compensation est conçue non pas comme un droit, mais comme une aide.

Je ne les cite pas toutes, mais, finalement, les associations considèrent, dans leur ensemble, que le texte du projet de loi est insuffisant au regard du défi posé par la question de l'intégration des personnes en situation de handicap, qui nécessite un véritable changement de mentalité.

Je rappelle que l'enjeu est aujourd'hui de construire une politique pour les personnes en situation de handicap en France pour les prochaines décennies.

Interrogations, déception et amertume, donc, en dépit de quelques avancées de principe, face à un projet de loi qui doit avoir pour ambition, selon M. Mattei, « d'apporter une réponse globale aux difficultés rencontrées dans notre société par les personnes handicapées ».

Certes, parmi ces avancées, on compte la reconnaissance de la déficience psychique au même titre que les autres déficiences, la suppression de la liste des emplois exigeant des conditions particulières dans un délai de cinq ans, ou encore l'inscription et la formation de l'enfant à l'école du quartier mieux assurées. Ces dispositions restent cependant amendables et nous nous y attacherons.

Le premier problème qui se pose aux associations réside dans les fondations du texte, notamment la définition de la notion de handicap. La loi du 30 juin 1975 consacrait un terme apparu dans les années cinquante, mais elle ne donnait ni définition du handicap ni définition de la personne handicapée, laissant ainsi le soin aux COTOREP et aux CDES de définir ceux qui pouvaient avoir accès aux hébergements, aux services et aux prestations en nature. La définition du terme « handicap » est vite devenue plus ou moins différente selon les interlocuteurs concernés, chacun insistant sur une caractéristique particulière - chronicité, incapacité, atteinte organique ou psychique, etc. - et les contours, tant du concept que du public concerné, sont devenus flous. Aujourd'hui encore, c'est au nombre de dossiers déposés auprès des CDES ou des COTOREP que l'on évalue le nombre de personnes handicapées.

Ainsi, tout en saluant l'effort de définition, on ne peut que regretter que le projet de loi s'appuie trop sur une conception médicale du handicap et ne prenne pas en compte les nouvelles références et les nouveaux concepts européens. D'ailleurs, après avoir entendu M. Mattei, j'ai un peu le sentiment que cette conception médicale du handicap perdure dans son esprit. Malgré les propos que vous avez tenus tout à l'heure, madame la secrétaire d'Etat, la définition proposée dans le projet de loi ne nous semble conforme ni aux règles standard des Nations unies ni à la classification internationale du handicap adoptée par l'OMS en 1980 et encore moins - pourtant, vous y avez fait référence - à la classification internationale du fonctionnement adoptée par la France,...

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. C'est la définition de l'OMS !

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous en reparlerons !

... qui stipule que « l'état de fonctionnement et de handicap d'une personne est le résultat de l'interaction dynamique entre son problème de santé et les facteurs contextuels qui comprennent à la fois des facteurs environnementaux et personnels. »

Dans le projet de loi, le handicap est trop défini comme une situation individuelle et non comme l'interaction entre des limites propres à l'individu appelant une compensation et des facteurs environnementaux, impliquant la mise en oeuvre d'un principe d'accès à tout pour tous. Nous proposerons plusieurs amendements sur ce point.

Il convient de noter que l'inversion du plan de la loi réclamée par certaines associations - elle n'aurait rien changé au texte ! - aurait sans doute été plus conforme à cette définition. (Mme la secrétaire d'Etat fait un signe de dénégation.)

Le texte démontre, en fait, une définition quelque peu figée du handicap et apporte des réponses insatisfaisantes, très en deçà des espoirs suscités.

J'en arrive à la compensation et aux ressources, thèmes sur lesquels reviendra ma collègue Michèle San Vincente.

Selon l'exposé des motifs du texte, la compensation doit permettre à chaque personne handicapée d'obtenir la réponse appropriée à ses besoins et de disposer des moyens nécessaires pour faire face aux charges spécifiques liées à sa situation de handicap. C'est une très belle affirmation de principe, mais immédiatement mise en doute tant le nouveau dispositif prévu est limité par des critères qui viennent en réduire la portée : conditions d'âge ; critères de ressources, qui subsistent, quoi que vous disiez, madame la secrétaire d'Etat, et M. le rapporteur l'a clairement démontré ; enfin, taux d'incapacité. Les associations dénoncent ainsi une conception étroite et rigoureuse de la compensation.

En fait, le projet de loi ne rompt pas avec la logique d'assitance, et notamment d'aide sociale : la prestation de compensation reste attribuée sous conditions de ressources, tandis que l'AAH demeure un minimum social très insuffisant.

Le revenu d'existence favorisant une vie autonome digne, que vous évoquez, madame la secrétaire d'Etat, a un goût amer : il consiste simplement en un maintien de l'AAH à son faible niveau. Comme vous le dites dans votre interview à l'Hémicycle du 18 février, « l'AAH, qui s'élève aujourd'hui à 587 euros nets, ne sera pas revalorisée ». Vous ajoutez que « la personne handicapée pourra bénéficier en plus de la prestation de compensation, ce qui améliorera notablement son confort financier ».

Cette affirmation est contraire à la philosophie même que nous souhaitons voir portée par ce texte : prestation de compensation et AAH sont deux choses conçues différemment, qui ne doivent donc pas être mises en rapport l'une avec l'autre.

Nous demandons la mise en place d'un revenu de remplacement égal - ou approximativement égal - au SMIC pour les personnes reconnues incapables de travailler, indépendamment des ressources du conjoint. Nous demandons aussi l'amélioration des possibilités de cumul entre le salaire et une AAH nouvelle, conçue comme une allocation d'intégration sociale durable pour les personnes reconnues incapables de travailler. Sur ce second point, le texte semble aller dans le bon sens ; je dis « semble » parce qu'il renvoie la définition de ses modalités exactes à un futur décret.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ne soyez pas méfiant ! Faites confiance !

M. Jean-Pierre Godefroy. C'est l'habitude qui me fait parler ainsi !

Permettez-moi donc d'ouvrir une parenthèse concernant les renvois à décrets et autres mesures réglementaires : ce projet de loi soumet les aspects pratiques, donc essentiels, de nombreuses mesures à des décrets. Nous en avons relevé plus d'une cinquantaine, ce qui n'est de nature à favoriser ni leur visibilité ni le travail parlementaire, même si vous vous en défendez par avance dans votre lettre d'information n° 1 de février 2004, madame la secrétaire d'Etat.

Je pourrais malicieusement suggérer qu'il s'agit là d'une loi d'habilitation qui n'ose pas dire son nom. D'autant que les décrets mettent souvent très longtemps à être publiés et sont même parfois oubliés. Ainsi, lors de la discussion des articles, nous attirerons votre attention sur la publication toujours attendue des décrets d'application des articles 84 et 85 de la loi relative à la démocratie de proximité concernant les élus en situation de handicap.

M. Paul Blanc, rapporteur. N'accusez pas les autres de ce que vous faisiez si bien vous-mêmes !

M. Jean-Pierre Godefroy. Si le texte est donc avare de détails en ce qui concerne les mesures positives renvoyées à la publication ultérieure de décrets, il l'est beaucoup moins en ce qui concerne les dérogations aux principes posés.

Il y a d'ailleurs un problème philosophique dans la démarche : à quoi bon clamer l'égalité des droits et le principe de non-discrimination ou d'accès à tout pour tous et « dérouler » ensuite des dérogations toujours plus nombreuses ?

Cette ambiguïté est parfaitement illustrée par le volet accessibilité du projet de loi, qui, tout en réaffirmant des idées généreuses, s'empresse de les réduire en prévoyant une série d'exceptions.

Mes collègues André Vantomme et Yves Dauge y reviendront en détail, mais permettez-moi néanmoins quelques remarques préliminaires.

Ainsi, pour l'éducation, c'est le principe même qui manque de force. Bien qu'il affirme que la scolarité des enfants handicapés incombera désormais à l'éducation nationale, en supprimant, et c'est heureux, à cette occasion le terme d'« éducation spéciale », le projet de loi ne va pas jusqu'à prévoir l'inscription obligatoire des élèves handicapés dans l'école de leur lieu de résidence, et les passerelles entre éducation en milieu ordinaire et éducation en établissement spécialisé ne sont pas assez précises.

Sur ce sujet, nous proposerons plusieurs amendements tout en soutenant activement ceux qui nous paraissent particulièrement pertinents - il y en a, et même beaucoup - de M. le rapporteur.

Concernant l'emploi, le texte ne va pas non plus assez loin.

La transcription de la directive européenne sur la notion d'aménagements raisonnables du poste de travail demeure incomplète.

Les passerelles entre milieu ordinaire et milieu protégé ne sont pas suffisamment précises.

Aucun lien n'apparaît entre le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et ce texte sur les travailleurs en situation de handicap : le droit à la formation professionnelle et l'évolution dans l'emploi des travailleurs en situation de handicap sont en fait quasi oubliés.

Quant à l'obligation d'emploi, là encore, il faut choisir. Sur le fond, le principe du « un pour un », ne nous semble pas une mauvaise chose, mais nous partageons les inquiétudes de M. le président de la commission concernant les personnes ayant un handicap lourd, à qui l'on pourrait porter préjudice si l'on n'y prend pas garde.

Pour que ce principe soit bien appliqué, il faut aussi que les sanctions soient adaptées. Or nous estimons que la sanction prévue, consistant à faire passer de 500 à 600 fois le SMIC horaire la contribution à l'AGEFIPH, n'est pas suffisamment dissuasive.

Nous souscrivions à la proposition de loi de MM. About et Blanc, laquelle visait à porter cette sanction à 1 500 fois le SMIC, mais nous sommes raisonnables et, après avoir entendu les propos tant de Mme la secrétaire d'Etat que de M. le rapporteur et de M. le président de la commission, nous convenons qu'il faut faire attention aussi à ne pas bloquer le système et à ne pas prendre des mesures trop draconiennes qui ne seraient pas efficaces immédiatement.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est pourquoi nous sommes là !

M. Paul Blanc, rapporteur. Même constat que le MEDEF ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous vous proposerons donc un amendement qui tendra à appliquer ce taux de 1 500 fois aux seules entreprises qui, pendant trois années consécutives, n'auront fait aucun effort, d'autant que le texte élargit encore plus les possibilités d'exonération en contrepartie de la contribution.

En ce qui concerne la création d'un fonds commun aux trois fonctions publiques, si nous approuvons bien évidemment le principe, nous nous interrogeons sur la réalité de sa mise en oeuvre : on voit rarement l'Etat se sanctionner lui-même, mais tant mieux s'il y vient...

Quant aux conditions de déduction des contributions qu'auront à verser les employeurs qui ne satisfont pas au quota de 6 %, elles sont telles que, comme pour les entreprises privées, il est à craindre que les sommes versées ne soient très faibles.

Par ailleurs, je rappelle qu'un protocole d'accord avait été signé en 2001 avec les syndicats de la fonction publique de l'Etat contraignant les administrations devant embaucher à recruter d'abord des travailleurs handicapés. Que devient ce protocole ? Quel en est le bilan à ce jour ? J'indique que, dans le rapport 2002 de l'Observatoire de l'emploi public, la CFTC fait remarquer que, contrairement au contenu de ce protocole, aucune étude ou action n'a été engagée sur cette question.

Concernant le fonds « collectivités territoriales », j'exprimerai une crainte, celle de l'efficacité d'une sanction qui pourrait devenir une simple taxe libératoire exonérant du but fondamental qui est l'emploi effectif de personnes en situation de handicap. Ce fonds permettra, certes, des opérations ciblées intéressantes, mais il risque de ne pas répondre à l'objectif d'emploi sur l'ensemble du territoire de ces personnes et donc de conduire à une réduction géographique de l'offre d'emploi contraire au but recherché, à savoir un emploi au plus proche du lieu de vie.

J'en viens à l'accessibilité de la ville. Là encore, il y a un fossé entre l'affirmation du principe de l'accès à tout pour tous et la réalité puisque le projet de loi prévoit des dérogations « pour des raisons techniques, architecturales ou économiques ». Bref, tout est possible ! Nous souhaitons pour notre part que les dérogations soient ramenées au plus strict minimum.

De plus, contrairement à ce que vous affirmez, il ne s'agit pas de l'accès à tout puisque les établissements recevant du public, les ERP, de cinquième catégorie, c'est-à-dire les commerces - les boutiques et non les grands magasins - ne sont pas concernés, et le logement privé ne l'est pas davantage. Certes, ce n'est pas simple, mais il n'en faut pas moins le signaler.

En ce qui concerne le volet institutionnel, le dispositif mis en place avec les maisons départementales des personnes handicapées et les commissions des droits et de l'autonomie n'en finit pas de soulever des interrogations. Pour éviter l'aspect quelque peu stigmatisant de l'appellation « maison départementale des personnes handicapées » et au lieu de parler de « guichet unique », je préfère viser un lieu unique de proximité au service des personnes en situation de handicap et de leurs familles.

« Proximité », cela signifie qu'il faut prévoir la possibilité de créer des antennes locales - nous vous proposerons un amendement en ce sens -, notamment au sein des CCAS ou des CIAS. Mais, sur ce point comme sur d'autres, subsistent de nombreuses incertitudes et inquiétudes.

M. le rapporteur a tenté de répondre à la question du statut des maisons départementales - nous verrons quelle suite donnera le Gouvernement à ses propositions - mais de quels moyens financiers disposeront-elles ?

Les mêmes questions se posent pour les futures commissions de l'autonomie et des droits issues de la fusion des CDES, des COTOREP et des sites pour la vie autonome, les SVA.

Tous les rapports rendus sur les CDES et sur les COTOREP ont conclu à la même nécessité de renforcer les moyens en termes de personnel sur le plan technique et donc en termes financiers. Nous sommes en droit d'être inquiets puisque le budget de 2003 a supprimé l'ensemble des crédits prévus par le gouvernement précédent. Vous renvoyez les réponses à ces questions, pourtant essentielles, au futur projet de loi sur l'autonomie des personnes dépendantes et à la création d'une caisse nationale de solidarité à l'autonomie, la CNSA, dont les contours doivent être esquissés par la mission de MM. Briet et Jamet.

Pour l'instant, nous sommes dans le plus grand flou, ce qui m'amène à la question du financement de ces nouvelles dispositions.

En prévoyant 850 millions d'euros supplémentaires par an pour financer les nouveaux droits, vous affirmez, madame la secrétaire d'Etat, présenter un projet assorti de son financement. Peut-être, mais faut-il rappeler que les dépenses sociales globales concernant le handicap sont actuellement de l'ordre de 26,2 milliards d'euros et que le présent texte les portera à 27 milliards d'euros ?

Nous regrettons par ailleurs que le financement de ces 850 millions d'euros ne soit pas un financement universel appelant la contribution de chaque citoyen. La suppression d'un jour férié pour apporter 850 millions est-elle un bon moyen d'intégrer pleinement les personnes en situation de handicap dans notre vie collective ? Cette forme de financement n'est-elle pas en quelque sorte un renvoi à une forme de marginalisation, d'autant - je le dis quitte à froisser certains - que le Gouvernement est capable de trouver 1,5 milliard d'euros d'exonérations de charges pour la restauration allégrement pris sur le budget de l'Etat.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Temporairement !

M. Jean-Pierre Godefroy. Peut-être, monsieur le président, mais bel et bien pris sur le budget de l'Etat,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Une seule fois !

M. Jean-Pierre Godefroy. ... et c'est cela que nous contestons. Il y a deux poids, deux mesures : une promesse doit être tenue sans attendre alors que nous avons l'accord de l'Union européenne pour 2006 ; une priorité nationale, le handicap, ne pourra pas être effectivement mise en oeuvre du fait de la source de son financement avant le troisième trimestre de 2005, sauf information contraire de votre part, madame la secrétaire d'Etat.

M. Gilbert Chabroux. Très juste !

M. Jean-Pierre Godefroy. On ne voit pas, en effet, comment, avec la suppression du jour férié, cela pourrait être possible plus tôt, mais, si c'est le cas, nous nous en réjouirons.

Pour que ce texte ne soit pas une occasion manquée, il reste beaucoup de travail.

Nous espérons, madame la secrétaire d'Etat, que le Gouvernement saura faire preuve d'écoute et que nos amendements ne seront pas systématiquement rejetées, comme c'est le cas depuis deux ans. Au cours de votre interview dans l'Hémicycle, vous avez déclaré que les parlementaires avaient « les coudées franches » - bravo ! - et que vous attendiez d'eux qu'ils enrichissent le projet de loi. Vous souhaitez que, « après un travail en commun et des discussions critiques, tout le monde le vote ». Pour l'instant, permettez-moi de vous dire que les conditions ne sont pas réunies.

En plein accord avec vous, nous estimons que l'intégration des personnes en situation de handicap est une cause qui doit dépasser les clivages politiques.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Jean-Pierre Godefroy. Si nous avons à cet instant une approche plutôt négative de votre projet de loi,...

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Vous avez tort !

M. Jean-Pierre Godefroy. ... c'est en fonction du degré d'écoute et du sort qui sera fait à nos propositions - et à celles de M. le rapporteur - que nous déterminerons notre vote global sur ce texte à l'issue de ce premier examen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - Mme Michelle Demessine applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous entrons, avec ce projet de loi, dans un cycle de textes qui doivent changer la vision qu'a notre pays de la personne handicapée, de sa place et de son rôle dans la vie sociale. C'est en effet le premier texte d'une série qui nous est soumis aujourd'hui, et ce texte lui-même va voir sa vie parlementaire se développer dans les mois qui viennent. La date est mal choisie, nous dites-vous,...

M. Gilbert Chabroux. C'est vrai !

M. Michel Mercier. ... mais c'est probablement parce que l'on n'avait jamais pu jusqu'à maintenant nous proposer un tel texte...

Ce n'est ni demain ni le 21 mars que le présent projet de loi viendra à la vie juridique, c'est beaucoup plus tard, et ce n'est que lorsque l'ensemble des textes relatifs au handicap seront entrés en application que l'on pourra juger de la façon dont notre pays est capable, après la loi de 1975, d'appréhender et le handicap et la situation des personnes handicapées. La querelle sur le calendrier est donc une mauvaise querelle.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Michel Mercier. Madame la secrétaire d'Etat, si vous avez voulu que la discussion s'engage le plus vite possible, c'est tout simplement parce qu'il y a trop longtemps qu'un tel texte était promis. C'est donc une bonne chose que ce projet de loi nous soit aujourd'hui soumis, même si, sur tel ou tel point, il est imparfait et mérite d'être amélioré.

Le rapporteur et le président de la commission, qui ont excellement présenté ce texte, proposent d'ailleurs de nombreux amendements - certains sont excellents, d'autres le sont moins (M. le président de la commission des affaires sociales sourit) - et cette liberté qui leur est reconnue d'améliorer les choses nous nous la reconnaissons à nous-mêmes. Le groupe auquel j'appartiens entend bien jouer activement son rôle parlementaire : nous aimerions que ce que notre pays a su faire en 1975 il sache le faire à nouveau aujourd'hui.

C'est en effet une nécessité, car la situation des personnes handicapées s'est profondément modifiée au cours de ces trente dernières années.

En 1975, il fallait agir rapidement, car la situation des personnes handicapées était dramatique. Toutes les institutions qui existent aujourd'hui n'existaient pas alors, et il fallait en quelque sorte résoudre un problème de masse.

Je crois que cela a été fait. La situation des personnes handicapées a changé. D'immenses progrès ont été accomplis, même s'il reste beaucoup à faire.

Je crois que nos compatriotes se sont habitués, et c'est un véritable progrès, à voir vivre avec eux des personnes handicapées. Je n'ai pas dans ce domaine les connaissances de M. le rapporteur et de M. le président de la commission, et je me contenterai de vous dire comment ma commune de 3 000 habitants a pris conscience de la réalité de la vie des personnes handicapées et les a accueillies.

Dans cette petite commune, tous les types de prise en charge des handicapés sont représentés, du foyer de vie au foyer occupationnel, du CAT au cas des personnes atteintes d'un handicap léger et qui vivent de façon autonome. Les handicapés se sont parfaitement intégrés dans la vie de notre cité. Ceux qui peuvent sortir sortent et parlent aux gens. Si un matin on ne voit pas tel ou tel - que ce soit d'ailleurs un handicapé ou quelqu'un qui ne l'est pas -, on s'en inquiète. Des mariages ont été célébrés. Bref, les gens, et c'est tant mieux, ont pris conscience que le handicap existait et que des améliorations pouvaient d'ores et déjà être apportées à la vie en société.

Les raisons de cette prise de conscience sont multiples.

Cela tient, exemple, au fait qu'un homme ou une femme handicapé vit en face de nous, mais aussi au fait que la personne handicapée joue un rôle économique, et cela il faut le dire très clairement.

M. Paul Blanc, rapporteur. Tout à fait !

Dans ma commune, les meilleurs emplois sont ceux qui sont liés à la prise en charge des personnes handicapées. Quand les maires de mon département demandent la construction d'établissements pour accueillir les personnes handicapées, c'est certes parce qu'ils ont conscience du problème, mais c'est aussi parce que ces établissements créeront des emplois.

Il faut vivre ensemble et chacun avec ce qu'il a ou ce qui lui manque apportera quelque chose aux autres.

Les personnes handicapées ne réclament pas seulement des prestations et des allocations, elles apportent également beaucoup à ceux qui participent à leur prise en charge.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Tout à fait !

M. Michel Mercier. C'est cette prise de conscience qui est importante et c'est, je crois, ce qui vous a conduit, madame la secrétaire d'Etat, à nous présenter ce projet de loi aujourd'hui.

Ce dernier repose sur un principe simple : la personne handicapée doit pouvoir construire son propre projet de vie. C'est à mon sens la principale innovation et c'est en cela que nous allons bien au-delà de la loi de 1975.

Pour vivre son projet de vie, il faut pouvoir d'abord le monter, ensuite le mettre en oeuvre.

Pouvoir monter son projet de vie, c'est naturellement pouvoir le penser soi-même. C'est aussi trouver des interlocuteurs qui vont aider à le monter, interlocuteurs que, naturellement, l'on trouvera dans sa famille, dans son propre environnement et auprès des associations qui oeuvrent dans ce domaine, mais aussi auprès des professionnels.

Permettre la rencontre avec des professionnels doit à mes yeux être le rôle premier de la maison départementale des personnes handicapées, où sera présente une équipe médico-sociale - et sociale autant que « médico » - pluridisciplinaire. C'est une dimension essentielle, et les associations y trouvent toute leur place. Il n'y a aucune raison de se limiter à des fonctionnaires, représentants de l'Etat ou des collectivités locales, dans l'équipe pluridisciplinaire. On a vu le succès d'un tel système avec les personnes âgées. Il ne s'agira pas de la même équipe, mais c'est le même esprit qui doit l'animer.

Cette personnalisation de la prise en charge est, pour nous tous, je crois, le signe vrai du respect que nous portons à nos compatriotes handicapés.

Une fois le projet monté, il faut le mettre en oeuvre. C'est essentiel, parce qu'il est inutile de faire des projets si on ne les tient pas. Vous avez rappelé, madame la secrétaire d'Etat, comme M. le rapporteur et M. le président de la commission, tout ce que recouvrait cette mise en oeuvre.

Il s'agit bien sûr de la prestation de compensation, mais je suis tenté de dire qu'elle vient en dernier, car, dans mon esprit, ce qui vient en premier est de permettre à la personne handicapée d'être parmi les autres chaque fois que cela est possible. La compensation ne doit intervenir que lorsque l'école du quartier ou de la commune ne peut pas accueillir l'élève handicapé et que celui-ci doit se rendre dans l'école de la commune voisine. C'est lorsqu'il n'y a pas accessibilité qu'il faut compenser le recours obligé à un autre système.

A ce propos, je souhaite souligner que le projet de vie doit être fondé sur le décloisonnement entre le domicile et l'établissement. Il faut sortir de l'idée selon laquelle on devrait obligatoirement passer toute sa vie ou à son domicile ou en établissement. Il peut arriver que l'on soit obligé de vivre en établissement, mais ce doit être la conséquence d'un raisonnement ou d'une volonté.

Ensuite, il faut, autant que faire se peut, permettre aux personnes handicapées de travailler. Je suis très sensible, madame la secrétaire d'Etat, à la revalorisation du travail que le projet de loi vise à favoriser. En travaillant, la personne handicapée ne perdra pas tout le bénéfice de l'AAH. Il me paraît en effet essentiel de pouvoir cumuler les revenus du travail et ceux de l'AAH.

Par ailleurs, les personnes handicapées doivent pouvoir se former et, à cet égard, il est vraiment nécessaire que l'éducation nationale modifie son comportement et contribue à leur insertion.

Dans cet esprit, vous prévoyez, madame la secrétaire d'Etat, et j'en suis d'accord, que les personnes handicapées puissent s'inscrire normalement dans les écoles, les collèges et les lycées qui relèvent de la carte scolaire. L'école doit devenir accessible à tous, non seulement physiquement, au sein des bâtiments, mais également par la présence d'auxiliaires scolaires.

Sur ce point, je prendrai une fois de plus l'exemple de mon département. Nous consacrons environ 4,5 millions d'euros par an au transport des élèves handicapés qui parcourt des kilomètres parce qu'ils ne peuvent pas fréquenter l'école voisine. Je préférerais de loin consacrer la plus grande partie de cette somme à financer l'emploi d'auxiliaires scolaires pour que les jeunes handicapés restent dans leur quartier. De plus, ces jeunes qui sont scolarisés non pas dans l'école la plus proche, mais à trente kilomètres de leur domicile, loin des copains avec lesquels ils jouent pendant les vacances ou de leurs voisins, vivent leur premier déracinement.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !

M. Michel Mercier. Il faut donc que l'éducation nationale se décide une bonne fois pour toutes à les accueillir au sein de l'école la plus proche.

Pour ma part, je suis d'accord pour consacrer une part des 4,5 milliards d'euros au financement des emplois des auxiliaires scolaires, car il est excessif de n'utiliser cette somme que pour le transport. C'est un réel problème sur lequel je voulais attirer votre attention, mes chers collègues.

En outre, la personne handicapée doit avoir un revenu suffisant pour vivre. A cet égard, l'allocation aux adultes handicapés, débarrassée de son image de revenu de compensation, doit permettre à la personne handicapée de mener à bien son projet de vie. Et la création de la prestation de compensation est essentielle.

Qui en sera responsable ? Qui la mettra en oeuvre ? Comment son financement sera-t-il assuré ? Toutes ces questions devront être abordées au cours de l'examen de ce texte, même si elles n'en sont pas le sujet principal.

La création de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie doit certes nous aider à assurer ce financement, mais il est essentiel de savoir quelle part de ses revenus pourra être consacrée à la prise en charge de la prestation de compensation pour les personnes handicapées. Il faut que nos débats, qui se dérouleront sur plusieurs semaines, voire sur plusieurs mois, nous éclairent afin que l'on connaisse vraiment le fonctionnement de cette caisse lors du vote définitif de ce projet de loi.

Qui mettra en oeuvre les mesures qui seront adoptées ? L'Etat ? Les collectivités locales ? Vous le savez, madame la secrétaire d'Etat, je ne revendique pas, en tant que président de conseil général, telle ou telle compétence,...

Mme Marie-Claude Beaudeau et M. Roland Muzeau. Si peu !

M. Michel Mercier. ... mais je dis simplement que le département est capable de le faire.

M. Paul Blanc, rapporteur. Tout à fait !

M. Michel Mercier. En effet, depuis 1986, il a appris à travailler et à dialoguer avec toutes les associations qui s'occupent des personnes handicapées.

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Michel Mercier. Les départements sont prêts à mettre à disposition leur savoir-faire. On ne peut pas avoir un projet personnalisé et le gérer uniquement de Paris : il faut être au plus près.

Le département ne veut pas agir seul : il sait bien qu'il aura besoin des communes. Il ne veut pas faire seul en tant que « morceau » de la puissance publique, il veut agir notamment avec toutes les associations qui s'occupent des handicapés comme avec les handicapés eux-mêmes. Beaucoup sont, en effet, capables de s'exprimer et de faire connaître leurs souhaits. Les départements sont prêts à travailler en ce sens.

M. le ministre de la santé a employé tout à l'heure une expression avec laquelle je ne peux pas être d'accord. Il a dit que le Gouvernement devait imposer aux collectivités locales de faire telle ou telle chose.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela lui aura échappé !

M. Michel Mercier. Le jour où est examiné le projet de loi relatif aux responsabilités locales, ce n'est peut-être pas très heureux, mais ses propos ne sont probablement pas arrivés jusqu'au Palais-Bourbon ! (Sourires.)

Je voudrais donner mon sentiment sur ce point. Il est tout à fait normal et nécessaire que le Parlement fixe les droits des personnes handicapées. En tant qu'acteur local, j'y suis attaché et je le demande. C'est au Parlement de déterminer les droits que la nation reconnaît aux personnes handicapées.

Les relations entre l'Etat, le Gouvernement et les collectivités locales doivent être fondées sur la confiance. Si des mesures doivent être imposées, il revient peut-être aussi au législateur d'imposer au Gouvernement certaines choses, puisque ce dernier a prévu de prendre de nombreux décrets d'application. Ceux-ci devront être encadrés. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il conviendrait d'imposer au Gouvernement le contenu des décrets, mais le Parlement, pleinement conscient du devoir de la nation à l'égard des personnes handicapées, doit, à mon sens, encadrer l'action du Gouvernement ainsi que celle des collectivités locales.

C'est en tout cas ce à quoi les membres du groupe de l'Union centriste travailleront tout au long de ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est très juste et nécessaire !

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. « Une société, je crois, se juge notamment à l'attention qu'elle porte aux plus fragiles et à la place qu'elle réserve par conséquent aux personnes qui souffrent d'un handicap. [...]

« Ce qui est en jeu, en effet, c'est en réalité le principe même de l'égalité des chances. Les personnes handicapées y aspirent, naturellement et elles y ont droit au regard de l'idée que nous nous faisons de la société et des droits de l'homme. Il faut donc créer les conditions pour qu'elles puissent s'accomplir, pour qu'elles puissent vivre leur vie et la réussir. » C'est en ces termes que s'exprimait le Président de la République.

Ainsi est fixé l'objectif qui ne saurait, en son principe, me semble-t-il, que recueillir l'unanimité. Depuis lors - cette déclaration a été faite en décembre 2002 -, chacun a sans doute pu le constater, ce fut et c'est toujours une forte mobilisation de tous : des associations qui, elles, n'ont certes pas attendu cette date pour essayer de faire entendre leur voix, des associations qui sont nombreuses, comme sont nombreuses les formes de handicap, mais aussi des élus politiques au contact du terrain et des parents de handicapés soucieux de l'avenir de leurs enfants.

Je veux en cet instant, madame la secrétaire d'Etat, saluer le travail que vous avez effectué, souligner l'implication particulière de notre assemblée, comme vous l'avez fait, et, plus précisément, celle de la commission des affaires sociales, qui a oeuvré sous l'impulsion de son président, avec une mention spéciale à l'adresse de M. le rapporteur Paul Blanc.

Fruit d'un travail de longue haleine, une proposition de loi dont le contenu restera une singulière référence fut déposée. Elle a suscité une formidable mobilisation... et un tout aussi formidable espoir. Dans ces conditions, l'entreprise du Gouvernement est difficile et, par conséquent, méritoire. La barre est haut placée.

L'année 2003 fut l'année des handicapés, l'un des chantiers du Président de la République : un grand espoir est né. Or la grande diversité des handicapés et des handicaps, je l'ai dit, rend évidemment impossible l'apport de « la » solution.

« Accès de tous à tout » : noble objectif, belle formule, diraient certains. Voilà en tout cas qui nous impose le devoir de tout mettre en oeuvre - c'est la tâche du Gouvernement - pour tous, autant que faire se pourra, sans prétendre toutefois répondre aujourd'hui à toutes les attentes de toutes les parties concernées. C'est une gageure, car il suffit de lire et d'écouter les très nombreuses réactions de celles et de ceux dont le quotidien est de porter et de défendre les intérêts des personnes handicapées. « Projet de loi : avis défavorable », pouvait-on lire récemment dans un hebdomadaire relatant la position de plusieurs caisses nationales. A cet égard, il convient de souligner la présence aujourd'hui de membres de l'Association des paralysés de France.

Ce contexte est pour moi a contrario et pour partie l'occasion de saluer le mérite qui s'attache à la présentation même du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Nous voici conduits, quant au fond, à repenser notre vision du handicap : principe de non-discrimination, libre choix du projet de vie avec, au coeur du projet de loi, enfin, la compensation.

Ce texte est ambitieux. Mon intention n'est pas de me livrer à une analyse, pour légitime et intéressante à mes yeux qu'elle pourrait être. J'ai bien lu et entendu les propos du rapporteur qui me donnent, à quelques exceptions près et sur lesquelles je vais revenir ultérieurement, pleine satisfaction.

Comme cela a déjà été dit, on ne saurait qu'être frappé par le grand nombre de décrets que vous voulez prendre, madame la secrétaire d'Etat, mais j'ai bien entendu que nous allions y collaborer et qu'ils seraient pris rapidement, ce qui est de première importance.

Je ferai une autre réflexion, qui n'est pas plus originale, mais qui porte elle aussi sur le fond. Elle concerne les moyens mis en oeuvre pour répondre à l'ambition affichée. « Un monument », a-t-on pu dire de ce texte. C'est vrai. Au-delà des moyens inscrits dans la loi de finances ou dans la loi de financement de la sécurité sociale, la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie apparaît enfin comme un élément sérieux, concret, important du financement.

Toutefois, on peut se démander qui pilote et je rejoins à cet égard une réflexion qui vient d'être formulée par M. Mercier : la recherche de l'égalité des droits et des chances impose à l'Etat de garantir l'équité entre les individus et les différentes structures et collectivités. Il faut, selon moi, se garder de toute centralisation inutile tant les collectivités, les communes et les départements surtout, sont parfois les mieux à même de piloter les opérations.

Je citerai, à cet égard, quelques exemples du beau travail qui a été réalisé au plus près du terrain, il est vrai : par le biais du schéma départemental des personnes handicapées, a été élaboré le guide de la personne handicapée, document pratique et quasiment exhaustif élaboré avec les services de l'Etat. Ont été mis en place des centres d'information et de documentation sur les aides techniques ; des équipes spécialisées pour la vie autonome à domicile ; des réseaux d'accompagnement à la vie sociale et des services de transports adaptés. Il reste à souhaiter, madame la secrétaire d'Etat, que se mette en place pour le moins une heureuse et nécessaire articulation entre les différentes instances de responsabilités, l'Etat et les collectivités. Il faut absolument que les personnes handicapées sachent qui fait quoi et y voient clair dans le dispositif qui sera instauré.

Au début de mon intervention, j'ai dit combien ce projet de loi a suscité et sucite toujours un grand intérêt. Chacun a pu le constater à travers de nombreuses réactions, suggestions, ou encore demandes de parole aujourd'hui, au point que l'on aimerait aborder, pour les commenter, ces différents éléments. Je vous renvoie au rapport de M. Paul Blanc avec qui j'ai cependant quelques points de divergence.

Je formulerai tout d'abord quelques réflexions sur les travailleurs handicapés.

Voilà près de deux ans - première réflexion -, j'ai présenté, avec de nombreux collègues, une proposition de loi relative à la réforme de l'atelier protégé et créant le statut de l'entreprise adaptée. Ce sera chose faite avec l'adoption de ce texte et je m'en réjouis.

Ma deuxième réflexion concerne les associations qui ont adossé un atelier protégé à un centre d'aide par le travail, un CAT, sans créer une nouvelle entité.

Il me semble souhaitable qu'une telle situation puisse perdurer. En général, les ateliers protégés ainsi adossés sont de petites unités, et leur conférer une personnalité morale engendrerait une lourdeur administrative inutile. Le maintien de cette coexistence au sein d'une même association me semble donc être une bonne idée, exception pouvant être faite en cas de création de sociétés commerciales.

Par ailleurs, et ma troisième réflexion peut paraître paradoxale, l'entreprise adaptée est assimilée dans le texte - et j'allais dire théoriquement, c'est en tout cas mon sentiment - au milieu ordinaire du travail. Outre le nécessaire assouplissement des conditions d'octroi du contingent annuel d'aide au poste dont il sera question, il est nécessaire de maintenir l'agrément délivré aux associations d'aide à domicile pour personnes âgées parce qu'il identifierait les spécificités qui distinguent bien dans les faits, me semble-t-il, - je dis bien dans les faits - l'entreprise adaptée de la parfaite entreprise ordinaire. C'est un principe de réalité : chaque unité d'entreprise adaptée connaît, en fait, une situation particulière.

Certes, les entreprises adaptées et leurs salariés bénéficient des aides du milieu ordinaire, mais ne serait-il pas fondé d'envisager le maintien, pour peu que l'on veuille bien coller à la réalité, du principe de compensation à la structure et à l'employé, une aide spécifique destinée à faire face en somme au surcoût engendré par l'emploi de personnes à efficacité plus ou moins réduite ? Telle est, à mon sens, la réalité.

Ma quatrième réflexion, qui est toujours à contre-courant, concerne l'abattement de salaire dont je regrette la suppression, madame la secrétaire d'Etat.

C'était une mesure très efficace dans la mise en place du dispositif de passerelle entre le milieu protégé et le milieu ordinaire. L'abattement de salaire n'offre-t-il pas aux personnes handicapées le bénéfice d'une rémunération conventionnelle, un véritable statut de salarié avec un contrat de travail relevant du droit commun ? Il contribue, par ailleurs, à lever les réticences des employeurs.

J'avais posé une question orale à ce sujet dans laquelle je reconnaissais que la complexité et la lourdeur de la mise en place de ce dispositif, associées à un manque de promotion et d'information, avaient contribué à un développement marginal, il est vrai, du nombre des emplois protégés en milieu ordinaire. Mais il me semble qu'on aurait pu s'efforcer d'y remédier plutôt que de le supprimer.

Ma cinquième réflexion porte sur l'accueil temporaire. Nombreuses sont les personnes handicapées qui, par choix ou par défaut, vivent à domicile. Pour les familles, le développement de solutions d'accueil temporaire souples, réactives, diversifiées serait une reconnaissance de leur rôle d'aidant. Celles-ci leur ouvriraient la possibilité de bénéficier d'un légitime droit au répit.

Vous m'avez annoncé en décembre 2003, madame le secrétaire d'Etat, votre intention d'encourager les formules d'accueil temporaire, en les inscrivant dans la loi comme étant des éléments importants dans le soutien aux personnes handicapées et à leur famille.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

M. Georges Mouly. Cette solution complémentaire apporterait un légitime répit aux aidants familiaux. Ce serait une mesure cohérente dans une politique d'intégration et de vie à domicile des personnes handicapées.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !

M. Georges Mouly. Madame le secrétaire d'Etat, ne pourrait-on pas y parvenir ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Oh oui !

M. Georges Mouly. Sixième réflexion : la scolarisation. Je puis témoigner des avancées sur le terrain et de l'évolution des mentalités en la matière. Je ne détaillerai pas les mesures prises ou proposées ; j'indiquerai simplement que certaines associations ont mis en place l'accompagnement individuel ou collectif à l'intégration scolaire : je le souligne, il s'agit d'associations ! Leur action précieuse doit être intégrée et non marginalisée.

Certes, le chantier est vaste. Convenons cependant que, depuis l'adoption de la loi de 1975 - étape importante, voire essentielle en faveur des personnes handicapées et de leurs familles -, la situation n'est nullement restée figée. Les gouvernements successifs ont peu ou prou apporté leur contribution, j'y reviendrai, et l'actuel gouvernement, avant même le dépôt de ce projet de loi, s'est montré particulièrement actif. Ainsi, des mesures proposées par divers ministères et ayant pour objet d'améliorer la vie sociale des personnes handicapées sont entrées en vigueur dès 2002 ou 2003. D'autres concernent le monde scolaire et s'appliqueront dès la rentrée de 2004. On peut également citer les programmes de création de places en établissements et services, la résorption des listes d'attente, la possibilité de faire un choix de vie, la place accordée, enfin, aux handicapés psychiques... La liste serait longue, et je m'arrêterai là. Mais je veux souligner les efforts constants que d'ores et déjà, avant même que nous discutions ce projet de loi, le Gouvernement a engagés.

Pourtant, compte tenu de l'importance de ce texte, dont l'enjeu est la place de la personne handicapée dans notre société, compte tenu de toutes les réactions qu'il suscite et des souhaits, nombreux et divers, qui s'expriment de le compléter et de l'amender, compte tenu enfin des critiques émanant d'une partie des responsables d'associations, des chefs d'établissements, des parents, qui savent mieux que quiconque ce dont il est et ce dont il peut être question, on a pu parler, comme tout à l'heure notre collègue socialiste, de « précipitation ». Il est vrai que, dans ce domaine, il y aura toujours matière à réflexion.

Mais, madame la secrétaire d'Etat, vous avez préféré vous presser lentement, ce que j'approuve. Je salue le sens des responsabilités, dont, avec le Gouvernement, vous faites preuve, et je salue le respect de l'engagement pris.

En mai 2000, il m'était indiqué que la mise en place des emplois protégés en milieu ordinaire devait constituer un élément de première importance. Cette même année, c'est accompagné de plusieurs ministres que M. Lionel Jospin annonçait au Conseil national consultatif des personnes handicapées un plan d'accès au milieu dit ordinaire pour les handicapés comportant des mesures relatives à l'intégration scolaire, aux travailleurs handicapés, aux adultes, à l'autonomie, à l'accessibilité, à l'emploi, au logement...

En février 2001, à une question que je posais au gouvernement d'alors, Mme Guigou répondait au sujet des personnes handicapées : « Parce que [leur situation] constitue [...] un problème général, j'ai l'intention de revenir bientôt avec vous sur ces questions puisque le Gouvernement a décidé d'ouvrir le chantier de la réforme de la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées. »

Qu'on ne s'y trompe pas ! Ces rappels n'ont pas pour seul objet de critiquer des engagements non remplis ou des espoirs vainement entretenus. Ils sont pour moi, bien plutôt, l'occasion de mettre l'accent sur l'intérêt que je veux croire constamment et sincèrement porté au sort des handicapés tout autant que sur l'immense difficulté de mettre en place les éléments, divers et nombreux, d'une politique qui soit porteuse d'autant d'espoirs qu'il y a de besoins.

Mais, c'est nouveau, nous sommes aujourd'hui invités au rendez-vous fixé par le Gouvernement, et je veux en cet instant dire toute ma satisfaction et remercier celles et ceux qui, à l'échelon tant national que départemental ou communal, furent et demeurent nos interlocuteurs.

« Chaque année », disait le Président de la République, « une conférence des handicaps sera réunie afin d'évaluer tous les effets de la politique pour les personnes handicapées, notamment du point de vue de leur intégration dans la société. » C'est dire que rien n'est figé !

« Se mobiliser [...] et prendre des initiatives nouvelles afin de répondre aux besoins et aux aspirations légitimes des personnes handicapées et de leur famille », c'est encore l'espoir et le souhait du Président de la République, qui poursuivait : « Notre société en sortira sans doute grandie, plus humaine et plus démocratique. »

Après l'examen et l'adoption de ce texte, qui, selon les représentants des associations de handicapés, tranchera non pas pour trente ans, mais pour cinq ans, l'oeuvre restera certes à parfaire. Pour autant, mes chers collègues, c'est une heureuse étape qu'il nous est aujourd'hui proposé de franchir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà bientôt trente ans, la loi de 1975 consacrait pour la première fois le droit pour les personnes handicapées d'exister à part entière dans la société. Cette loi fondatrice a constitué le fil rouge permanent du regard de la société sur le handicap, sur le droit à la différence.

Est-ce à dire que toutes les conséquences de cet acte fondateur ont été tirées, que tous les moyens ont été mis en place au fil du temps pour que nous soyons à la hauteur de cette ambition ? Nous le savons, beaucoup trop nombreux sont ceux qui sont restés sur le bord du chemin.

Une nouvelle génération de personnes en situation de handicap arrive aujourd'hui à l'âge adulte : ce sont les enfants de la loi de 1975. Ceux-là, mais les autres aussi, ont aujourd'hui de nouvelles exigences, qui s'expriment de plus en plus fort. C'est dire si des milliers de regards sont braqués en ce moment sur notre hémicycle ! Il serait grave de décevoir ces personnes, alors que les obstacles demeurent : l'égalité des droits imprescriptibles reste encore trop formelle, tandis que les discriminations, elles, sont bien réelles !

Les causes de ces blocages, de cette « inaccessibilité au quotidien », ont pourtant été identifiées. D'ailleurs, l'un des derniers rapports du Conseil économique et social, intitulé Situation de handicap et cadre de vie, pointait les évidentes « causes sociétales », mais aussi la « volonté politique globale insuffisamment inscrite dans la réalité ». Il y était notamment indiqué que le système d'orientation et d'allocations était peu favorable à l'autonomie, que la répartition des compétences conduisait à une dilution des responsabilités, mais aussi, et surtout, que les financements ne permettaient pas les adaptations nécessaires pour remédier à la particularité de chacune des situations.

Les personnes handicapées et le monde associatif qui les représente dans leur diversité expriment légitimement, depuis de longues années déjà, cette exigence de concrétisation du « vouloir vivre ensemble ». Avec eux, nous pensons qu'il est devenu inéluctable de répondre aux aspirations profondes de ceux qui souffrent trop de n'être que des « citoyens de seconde zone », qu'il nous faut répondre aux attentes des proches et des professionnels qui oeuvrent au quotidien par une prise en compte sociétale innovante et moderne du handicap qui conjugue les particularités des personnes en situation de handicap avec l'impératif d'universalisme républicain.

La loi d'orientation de 1975, en affirmant le devoir de solidarité de la nation envers les personnes handicapées, devait permettre de sortir de la logique d'assistance et du champ de la réadaptation pour aller vers l'intégration. Sa révision aurait dû être l'occasion de franchir une étape supplémentaire : rendre enfin effectif l'accès de tous à une citoyenneté ordinaire. Le projet de loi qui nous est soumis est-il ce texte tant attendu, refondateur, permettant d'appréhender le champ du handicap dans sa globalité, la personne dans son intégrité et sa diversité ?

Nous ne le pensons pas. Nous ne sommes pas les seuls, d'ailleurs : en témoigne le sentiment général de forte déception exprimé par les associations, par les instances consultatives et par les organismes de protection sociale, et, ici-même, jusque sur les travées de la majorité sénatoriale. J'ai d'ailleurs été sensible à la sincérité des propos qu'a tenus M. le président de la commission, et je voudrais dire : « Hauts les coeurs, et pourvu que cet élan ne retombe pas ! »

La déception est d'autant plus grande que les besoins de compensation sont indéniables et les relégations dont sont victimes les personnes en situation de handicap insupportables. Elle est d'autant plus légitime que les promesses et les déclarations du Président Jacques Chirac en faveur d'une société sans discrimination annonçaient une « mini-révolution ».

Réagissant immédiatement après la présentation en conseil des ministres de ce projet de loi, j'émettais la crainte que la montagne n'accouche une fois de plus d'une souris, que tout cela ne « débouche sur une nouvelle loi a minima, un simple toilettage se limitant à aménager les dispositifs existants et apportant ponctuellement certaines améliorations ».

Aujourd'hui, les auditions conduites ont malheureusement confirmé mes craintes initiales. Les échanges avec les associations et avec les organisations syndicales confortent, hélas, mon appréciation : décidément, le présent texte n'est pas à la hauteur du troisième chantier présidentiel annoncé comme historique trente ans après la loi de 1975.

A n'en pas douter, notre débat mettra en évidence, si besoin en était encore, le décalage patent dont souffre le projet de loi, madame la secrétaire d'Etat, entre un exposé des motifs ambitieux que nous avons envie d'approuver tout de suite et la réalité du dispositif.

Il sera également l'occasion de constater que, en fait, le texte risque de n'être qu'illusion, car il est subordonné à la question centrale des moyens financiers et humains qui l'accompagneront. C'est là un autre grief majeur que nous émettons, mes chers collègues : nous ne pouvons pas accepter un projet de loi qui comporte autant d'incertitudes et d'imprécisions et dont le contenu, pour l'essentiel, est renvoyé à pas moins de cinquante-deux décrets.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Non !

Mme Michelle Demessine. Vous pourrez nous préciser ce point, madame la secrétaire d'Etat !

Aux yeux des parlementaires communistes, l'essentiel manque à votre texte, madame, à savoir l'ambition budgétaire, la garantie d'un financement pérenne permettant de réaliser les objectifs que vous affichez : la non-discrimination, le droit véritable à la compensation, enfin, l'accès de tous à tout.

Tout d'abord, et cela n'aura échappé à personne, vous n'avez pas fait le choix d'une véritable loi de programmation pluriannuelle. La force de la future loi n'en sera que moindre. Mais, surtout, en refusant de s'engager financièrement dans le long terme, le Gouvernement échappe au contrôle régulier de la réalisation effective des décisions prises. Il lui est dès lors facile d'afficher des programmes d'action spécifiques complétant le présent texte qui apparaissent seulement en annexe du dossier de presse et sont dépourvus d'affectation budgétaire.

Ensuite, madame la secrétaire d'Etat, vous n'avez pas jugé bon de suivre la recommandation contenue dans le rapport de notre collègue Paul Blanc invitant le Gouvernement à considérer que la nation devait se fixer un objectif de rattrapage immédiat correspondant à la diminution de l'effort budgétaire consacré au handicap enregistrée entre 1985 et 2001. Alors qu'il était de 2,1 % du produit intérieur brut en 1985, cet effort ne représentait plus que 1,7 % en 2001.

M. Jacques Blanc. C'était sous le gouvernement Jospin !

M. Paul Blanc, rapporteur. C'était entre 1982 et 1992 !

Mme Michelle Demessine. Nous en discuterons, mes chers collègues !

Selon le Conseil économique et social, 6 milliards d'euros supplémentaires seraient nécessaires en année pleine.

A l'inverse, le projet de loi s'enferme, me semble-t-il, dans les limites de son financement - 850 millions d'euros -, tournant ainsi le dos, notamment, à la mise en place d'un véritable droit individualisé à compensation quelle que soit la nature, l'origine ou l'importance du handicap, compensation pourtant indispensable à l'autonomie.

Que représentent pourtant ces 850 millions d'euros, que doit financer la fameuse suppression du lundi de Pentecôte comme jour férié, mesure tant décriée, comparés aux 1,5 milliard d'euros débloqués en quelques jours pour le secteur de la restauration même si je pense qu'il faut agir en faveur de ce secteur -...

M. Jacques Blanc. Ah, tout de même !

Mme Michelle Demessine. ... ou aux 2,5 milliards d'euros consacrés à l'exonération de la taxe professionnelle ? On peut légitimement s'interroger sur cette façon d'avoir deux poids deux mesures !

Mme Hélène Luc. Très bien !

Mme Michelle Demessine. Comme la CNAV et la CNAF, qui ont émis un avis défavorable sur ce projet de loi, nous déplorons l'insuffisance des moyens au regard des mesures annoncées. Les administrateurs de ces caisses ont tenu à insister sur « l'absence totale de visibilité sur le financement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie », la CNSA, « et en sa gouvernance ».

J'entends ici, madame la secrétaire d'Etat, vous reprocher votre démarche, ou plutôt, devrais-je dire, la stratégie de morcellement que met en place à cette occasion le Gouvernement et qui consiste à nous demander de légiférer à l'aveugle, d'intervenir par le biais de textes législatifs indépendants, dans le but, peut-être, de masquer une cohérence inavouable.

M. Jacques Blanc. Oh !

Mme Michelle Demessine. Comment peut-on discuter aujourd'hui de l'instauration d'une prestation de compensation et renvoyer à demain, à l'examen d'un autre projet de loi - déposé, qui plus est, sur le bureau de l'Assemblée nationale ! -, la création de la CNSA ?

De même, alors que l'assurance maladie assure les deux tiers du financement du handicap, quid de sa réforme annoncée - réforme par ordonnances ! - et de ses implications sur le handicap ?

Sur la méthode, par souci de cohérence et de lisibilité du travail parlementaire, nous ne pouvons accepter de telles pratiques. Sur de nombreux points, et non des moindres, elles ont pour conséquence de nous priver aujourd'hui de la possibilité d'apprécier sérieusement la portée du texte.

Il faudrait vous faire confiance, voter un dispositif « dont le pilotage reste à préciser », selon vos propres termes, madame la secrétaire d'Etat ! Je fais là référence, notamment, à la forme juridique des futures maisons départementales des personnes handicapées et à leur mode d'administration : ces questions font encore l'objet d'une réflexion dans le cadre de la mise en place de la CNSA !

Sur le fond, je tiens à vous faire part de notre profond désaccord concernant la CNSA, dispositif imaginé par le Gouvernement à la suite de la catastrophe sanitaire de cet été et, je le rappelle, unanimement rejeté par les organismes de sécurité sociale.

Surfant, d'ailleurs très habilement, sur le concept de cinquième risque - concept à l'origine duquel nous avons la fierté d'être et qui, de notre point de vue, est le seul qui permettrait d'apporter à la question du handicap une réponse humaine et digne de notre temps, une réponse de caractère universel, qui serait un vrai signe de progrès de civilisation - ; le plan dépendance, concocté sans grande concertation, n'est pas destiné à étendre le champ des risques couverts collectivement dans le cadre de notre système de protection sociale solidaire. Nous craignons fortement que le Gouvernement - ce serait habile - ne le mette au service de son entreprise de démantèlement de notre dispositif historique de sécurité sociale.

Vous l'avez compris, nous rejetons la logique d'un tel projet, le type d'organisation proposé, les sources et les modalités de financement de la future caisse autonome.

L'exposé des motifs du projet de loi est au demeurant assez pauvre et peu explicite sur l'instauration de cette caisse. Il renvoie, là encore, à un autre projet de loi ; le projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, la fixation des contours définitifs de la CNSA. De plus, et cela renforce nos doutes sur ce montage, il est précisé dans l'exposé des motifs de ce dernier que cette « caisse aura, dans un premier temps, pour seul rôle de contribuer au financement de la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées ». C'est inquiétant ! Est-ce à dire, madame la secrétaire d'Etat, qu'elle pourrait, demain, servir par exemple à prendre en charge les actes relevant du soin pour les personnes âgées et les personnes handicapées ?

Dans le contexte actuel de réforme en profondeur de l'assurance maladie, n'est-ce pas là anticiper sur les intentions du Gouvernement, qui souhaite dès maintenant ouvrir des fenêtres de partition dans la prise en charge des soins ? Non seulement vous n'ambitionnez absolument pas d'asseoir ni d'élargir les missions de la sécurité sociale, mais, à n'en pas douter, vous cherchez à encourager nos concitoyens à se prémunir individuellement, par l'assurance privée, contre le risque de leur propre dépendance. D'ailleurs, mes chers collègues de l'UMP, n'avez-vous pas déposé tout récemment sur le bureau du Sénat une proposition de loi en ce sens ?

Comment ne pas citer également l'important chantier de la décentralisation ? Sur ce point aussi, l'absence de mise en perspective du texte que nous examinons avec la réforme dont débat aujourd'hui l'Assemblée nationale nous inquiète fortement. J'évoquerai, à titre d'exemple, le domaine très particulier de la politique en faveur de l'insertion professionnelle des personnes handicapées, qui nécessite, vous le savez, l'intervention de nombreux acteurs : pouvoirs publics, partenaires sociaux, associations.

Nous sommes tous conscients du travail qui reste à réaliser pour donner une plus grande cohérence aux interventions et ainsi optimiser l'insertion et le maintien dans l'emploi des personnes en situation de handicap. Pourtant, madame la secrétaire d'Etat, votre projet de loi n'apporte aucune réponse, en particulier, sur les rôles et sur les missions qui reviennent respectivement à l'Etat et à l'AGEFIPH.

Vous vous accommodez des glissements passés, de l'effacement du rôle de l'Etat et des transferts de charges sur l'AGEFIPH. En témoigne le financement par cette dernière des associations de placement au service de l'emploi des personnes handicapées, du réseau Cap Emploi. En témoigne aussi la volonté du Gouvernement, transcrite dans le projet de loi relatif aux responsabilités locales, de délester l'Etat de sa responsabilité en matière de formation professionnelle.

La formation professionnelle conditionne pour beaucoup l'insertion professionnelle durable. Les personnes en situation de handicap bénéficieront-elles encore de programmes spécifiques dans le cadre de la politique de l'emploi ?

Allez-vous conforter les programmes départementaux d'insertion des travailleurs handicapés ?

Vous l'aurez compris, vos choix, ces imprécisions, ces incertitudes quant au financement, ces questions non résolues s'agissant de la répartition des compétences entre les acteurs nourrissent un sentiment bien légitime de perplexité à l'égard de la réalisation des intentions affichées.

Concernant les mesures déclinées dans les différents titres du projet de loi, là encore, je suis contrainte de dire que beaucoup d'entre elles sont en trompe-l'oeil.

Je ne m'attarderai pas sur l'économie générale du projet de loi, les grands principes qui le sous-tendent, la non-discrimination, l'accès systématique des personnes en situation de handicap au droit commun, le droit à compensation étant largement consensuel.

En revanche, il convient, à partir d'exemples, de s'interroger sur la portée des dispositions clés.

Observant la discordance, pour ne pas dire le fossé, entre un exposé des motifs généreux et le contenu du projet de loi, tous s'accordent pour reprocher à cette réforme son manque d'ambition.

Nous partageons cette analyse, car nous sommes inquiets, à l'instar de la commission nationale consultative des droits de l'homme, en ce qui concerne « les modalités concrètes selon lesquelles les personnes en situation de handicap pourront être remplies de leurs droits ».

S'agissant, tout d'abord, du droit à compensation, permettez-moi, madame la secrétaire d'Etat, de contester son caractère universel. En effet, l'accès à cette prestation sera limité selon les ressources, l'âge et le taux d'incapacité. On est loin de la définition qui a prévalu lors de l'apparition de cette revendication.

Même en détaillant soigneusement sa composition, cette prestation reste hybride et illisible. Les aides humaines paraissent en constituer la portion congrue. Quant aux aides techniques, évidemment très attendues, n'aurait-il pas fallu régler définitivement ce problème par une meilleure prise en charge par l'assurance maladie, au lieu d'entériner finalement un dispositif qui malgré tous les efforts restera financièrement morcelé et dont la pérennité sera aléatoire ?

En agissant ainsi, malgré les apparences, le Gouvernement se place encore dans une logique d'aide sociale. Il continue de « saucissonner » les droits ainsi que les prises en charge et reproduit les incohérences du système actuel. A cet égard, l'exemple de l'AES est très probant. Demain, comme l'a déploré l'Association française contre les myopathies, l'AFM, les personnes handicapées seront toujours « des objets de soins, d'assistance ou de dépendance ».

A entendre les propos que vous avez tenus à cette tribune, madame la secrétaire d'Etat, vous semblez néanmoins marquer une certaine sensibilité face au sentiment de déception et à la protestation qui prévalaient notamment lors de l'ouverture de nos travaux cet après-midi. En effet, ils sont venus nombreux pour l'exprimer devant le Sénat. Ils se sont aussi mobilisés dans les régions, puisqu'ils étaient 250 à Lille. Il est difficile de faire fi des paroles fortes comme celles qui sont inscrites - peut-être les avez-vous vues - sur un panneau que des personnes handicapées brandissent devant le Sénat. Il y est écrit : « Messieurs et mesdames les sénateurs, dans l'hémicycle, ne votez pas une loi hémiplégique ». Nous serons donc très attentifs, madame la secrétaire d'Etat, lors de l'examen des amendements du Gouvernement.

Pour notre part, nous proposerons d'inscrire le droit à compensation comme une obligation nationale à l'égard des personnes en situation de handicap. Nous renforcerons le caractère universel de ce droit et élargirons son contenu, notamment en intégrant la prise en compte des besoins des aidants familiaux.

L'objectif est, tel que vous l'avez souhaité, monsieur le rapporteur, dans votre contribution de l'an dernier, « d'obéir à une règle simple mais essentielle : garantir à chaque personne handicapée la prise en charge intégrale des frais liés à la compensation de son handicap ».

Nous insisterons également sur la procédure d'évaluation des besoins de la personne par l'équipe pluridisciplinaire, dans la mesure où le renvoi à un simple décret n'est pas acceptable. Il est plus qu'impératif que la loi garantisse la compétence, l'indépendance des membres qui la composent car les maisons du handicap regroupent, en l'état actuel du texte, les financeurs et les décideurs.

De plus, il nous semble que le projet de loi devrait s'attacher résolument à placer la personne handicapée au coeur du dispositif, vraiment au coeur, notamment en affirmant qu'elle est la plus légitime pour décrire ses besoins au regard de son projet de vie, et in fine qu'elle est libre de choisir parmi les solutions proposées.

Cette liberté restera virtuelle si les pouvoirs publics ne s'obligent pas à faire tomber effectivement, sur l'ensemble du territoire, toutes les barrières.

Comment, enfin, parler de pleine citoyenneté - et là je veux faire référence à la principale frustration ressentie par les personnes à l'égard de ce texte - et refuser d'augmenter les ressources de ceux qui, ne pouvant accéder à un emploi, perçoivent l'allocation adulte handicapé, égale à 50 % du SMIC, et ont donc moins de 600 euros pour vivre ?

Si ce projet de loi lève quelques barrières dissuadant les personnes handicapées de s'engager dans l'emploi, notamment en permettant le cumul de l'AAH avec des revenus tirés du travail en milieu ordinaire, il n'en demeure pas moins qu'il continue d'enfermer les personnes dans la subsistance.

Là encore, nous avancerons des mesures visant à permettre aux personnes en situation de handicap d'avoir les moyens de vivre dignement. Sur les droits attachés à ce minimum social, nous réitérerons notre volonté de voir les bénéficiaires de l'AAH être dispensés du forfait hospitalier, être de plein droit titulaires de la couverture maladie complémentaire et ne plus être pénalisés par l'interruption des droits à l'AAH en cas d'hospitalisation.

Concernant l'insertion professionnelle et le maintien dans l'emploi des personnes handicapées, je m'interroge sur l'efficacité des mesures envisagées pour dynamiser « l'obligation d'emploi ».

Que l'on se comprenne bien : je ne suis pas rétive au principe même d'un quota d'emploi à 6 %, aux mesures d'actions positives. Je considère juste que le dispositif reste par trop dérogatoire à l'égard des employeurs privés et publics, ces derniers pouvant toujours s'exonérer de leurs obligations légales.

J'attends de la discussion sur les articles en question qu'elle nous éclaire sur les conséquences de la transposition timide de la directive européenne relative à l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail,...

M. Paul Blanc, rapporteur. Pourquoi « timide » ?

Mme Michelle Demessine. ... mettant à la charge de l'employeur une obligation d'« aménagements raisonnables ».

Actuellement, le constat d'inaptitude d'un travailleur au poste qu'il occupe emporte une obligation de reclassement, qui n'est pas une obligation de résultat.

Quelle est la portée de cette nouvelle obligation d'aménagement ? Permet-elle réellement d'étendre le champ de la lutte contre les discriminations ?

Par ailleurs, si l'objectif visé est effectivement celui d'une augmentation du taux d'emploi des personnes handicapées, encore faut-il ne pas négliger le fait que, pour beaucoup, cette insertion professionnelle ou ce maintien dans l'emploi sont conditionnés par l'existence d'actions volontaristes, en matière tant de formation professionnelle que d'amélioration des conditions de travail et de sécurité, ou de développement de services de médecine du travail indépendants.

Autant d'éléments qui, malheureusement, sont ignorés superbement.

Pour ce qui concerne les entreprises adaptées et le travail protégé, il ne suffira pas de modifier les mots, qui, je le reconnais volontiers, ont leur importance, pour gommer les spécificités et les besoins des entreprises adaptées et particulièrement des personnes qui y travaillent.

Là encore, vos propositions, madame la secrétaire d'Etat, s'arrêtent à la porte de leur mise en oeuvre.

Par souci de modernité, vous souhaitez rapprocher les ateliers protégés de la logique d'entreprise. Mais de quelle logique parlons-nous ? De celle qui affranchit l'individu par l'autonomie et le respect ou de celle qui aliène, sous le joug de la rentabilité et de la discrimination ?

M. Paul Blanc, rapporteur. Procès d'intention !

Mme Michelle Demessine. Nous serons donc vigilants, aux côtés de celles et de ceux qui, chaque jour, se mobilisent afin que l'emploi des personnes en situation de handicap ne se dégrade pas plus encore, pour que ces entreprises adaptées puissent réellement accomplir leur mission indispensable d'accompagnement social.

S'agissant du droit à la scolarisation dans le cadre de l'éducation nationale, le texte prévoit de renforcer le principe de l'accès. Je suis, là encore, assez dubitative sur l'ampleur des changements permis par les nouvelles dispositions, en raison du manque criant dont souffre déjà l'éducation nationale. Les restrictions budgétaires vont à rebours de la nécessaire augmentation du nombre de postes d'enseignants spécialisés et d'auxiliaires d'intégration scolaire. Le risque est grand, me semble-t-il, d'un effet boomerang aboutissant au contraire de l'effet d'intégration si, par là même, sans moyens adaptés, cela se traduit par la négation du handicap, et donc par son exclusion.

De plus, je fais miennes les critiques de l'APAJH, ne « retrouvant pas ici les principes qui sont incontournables » du droit à l'école de trois à seize ans sans rupture, de l'importance de la prise en charge précoce, avant même l'âge de trois ans. Nous chercherons évidemment sur ce point à renforcer la responsabilité de l'éducation nationale et, surtout, à mettre l'accent sur les passerelles entre la scolarisation en milieu scolaire ordinaire et en institutions spécialisées.

Le temps presse, je vais être brève.

Concernant, enfin, le volet du texte ayant trait à la simplification, volet très important je suis partagée. Le guichet unique, qui est attendu, par les personnes en situation de handicap est une disposition positive. Celui-ci regroupera l'ensemble des commissions existantes en une seule. Il permettra d'avoir, c'est vrai, un seul interlocuteur, et donc une qualité d'écoute, ainsi que des réponses efficaces aux situations diverses.

Mon sentiment est également négatif, puisque ce dispositif a lui aussi un goût prononcé d'inachevé.

Les maisons départementales des personnes handicapées apparaissent dans votre texte comme un lieu non pas d'écoute et d'accompagnement de la personne, mais encore trop comme un simple lieu de distribution de prestations.

En consacrant la départementalisation de la prise en compte et de la compensation du handicap, vous prenez le risque d'accentuer encore les inégalités de traitement. En effet, les équipes pluridisciplinaires ne sont pas labellisées ; leur indépendance vis-à-vis de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées n'est pas garantie ; les voies de recours contre les décisions des commissions des droits ne sont pas prévues ; enfin, l'agence nationale du handicap, présidant pourtant au départ de la concertation et devant garantir l'égalité de traitement sur le territoire, a disparu du texte.

Il nous paraît inacceptable de ne pas organiser l'indépendance et la transparence des deux fonctions fondamentales que sont l'évaluation et le financement, courant ainsi le risque d'être confronté au piège d'un dispositif à la fois juge et partie.

M. le président. Veuillez conclure, madame Demessine.

Mme Michelle Demessine. Je termine, monsieur le président.

Voilà brossées rapidement les principales critiques et propositions que nous ne manquerons pas de reformuler lors de l'examen des articles.

M. Alain Gournac. C'est lamentable !

M. Roland Muzeau. Comment ça « lamentable » ?

M. Alain Gournac. C'est scandaleux ! Nous ne comprenons rien !

M. Roland Muzeau. Pour comprendre, il faut écouter ! Si ce sujet ne vous intéresse pas, vous pouvez sortir !

M. le président. Un peu de calme ! Laissez Mme Demessine terminer !

Mme Michelle Demessine. Pour conclure, permettez-moi de vous redire, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, notre grande inquiétude face à ce projet de loi d'affichage, fait de lacunes et de contradictions. Ce texte, que nous chercherons à améliorer substantiellement, n'est pas « susceptible de changer fondamentalement la vie des personnes en situation de handicap », pour reprendre l'appréciation de l'AFM

C'est en pleine connaissance des données démographiques et des besoins de la population en perte d'autonomie ou en situation de handicap que le Gouvernement s'accommode de solutions a minima, à trop courte vue, nous donnant un nouvel exemple de sa conception particulière de la solidarité nationale.

Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la volonté d'améliorer ce texte a été exprimée. Nous sommes au rendez-vous et nous espérons que nos amendements, qui expriment les attentes du monde associatif, seront accueillis avec bienveillance...

M. Paul Blanc, rapporteur. Et parcimonie ! (Sourires.)

Mme Michelle Demessine. ... et sans esprit partisan. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, qui aura le souci...

M. Jacques Blanc. D'être bref ! (Sourires.)

M. le président. ... d'être bref, en effet, avec son esprit de synthèse habituel.

M. Jacques Blanc. Madame la secrétaire d'Etat, je vais tenir un autre langage.

M. Robert Bret. Il n'est pas nécessaire de le préciser !

M. Jacques Blanc. J'ai d'ailleurs le sentiment - on a parlé de frustration - que nous sommes confrontés à la frustration de ceux qui n'ont rien fait lorsqu'ils gouvernaient. (Voilà ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Hélène Luc. S'agissant d'un projet de loi comme celui-ci, ce n'est pas sérieux, monsieur Jacques Blanc !

M. Jacques Blanc. Vous me permettrez d'être fier d'avoir été, en 1975, le rapporteur d'une loi fondatrice. Or, depuis 1975,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Depuis 1987 !

M. Jacques Blanc. ... bien peu de choses ont été faites. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Les occasions ne vous ont pourtant pas manqué !

M. Henri de Raincourt. Quinze ans !

M. Jacques Blanc. En 1975, il avait fallu la volonté conjuguée du Président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, du Premier ministre, Jacques Chirac, du ministre de la santé, Simone Veil, du secrétaire d'Etat René Lenoir, et le soutien de Jean-Pierre Fourcade, alors ministre des finances, pour obtenir quelques mesures. Aujourd'hui, il a fallu la volonté forte du Président de la République, Jacques Chirac, du Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, du ministre de la santé, Jean-François Mattei, et la vôtre, madame la secrétaire d'Etat.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est vrai !

M. Jacques Blanc. Je tiens à vous rendre hommage, madame la secrétaire d'Etat. Je vous ai vue à l'oeuvre sur le terrain la semaine dernière encore dans les Cévennes où vous êtes venue inaugurer une MAS. Vous faites du très bon travail.

MM. Alain Gournac et Henri de Raincourt. Effectivement !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bravo !

M. Jacques Blanc. En 1975, nous étions passés de l'assistance à la solidarité et à la reconnaissance de la dignité des personnes. Par le texte qui nous est présenté aujourd'hui, vous nous faites passer à l'exercice des droits des handicapés. Vous allez leur permettre de choisir librement leur vie.

Mme Hélène Luc. Ne vous réjouissez pas comme ça, monsieur Jacques Blanc ! Il y a de bonnes intentions, mais pas assez de financement !

M. Jacques Blanc. Cette étape me semble fondamentale.

Vous avez su, madame la secrétaire d'Etat, - et ce n'était pas facile parce que, avec la loi de 1975, on partait d'un très bon niveau et, d'ailleurs, si cela a traîné, c'est parce qu'on ne trouvait pas de solution - formuler des propositions fortes et je veux vous rendre hommage...

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Jacques Blanc. ... car vous vous êtes impliquée personnellement. Vous avez une sensibilité vraie (M. Alain Gournac opine), qui me rappelle celle de René Lenoir. Vous avez eu aussi la chance de trouver, au Sénat, sous la haute présidence de notre ami Nicolas About, l'appui du docteur Blanc - un docteur Blanc peut en cacher un autre (Sourires) -, venu lui aussi du Languedoc-Roussillon, qui a apporté son expérience très fructueuse et a accompli un travail d'une grande profondeur. Je veux lui rendre hommage.

M. Henri de Raincourt. Il le mérite !

M. Jacques Blanc. Le Languedoc-Roussillon est très mobilisé puisque, à l'Assemblée nationale, notre collègue député Yvan Lachaud a su, dans un rapport très intéressant, ouvrir la voie à la réflexion sur le problème de la scolarisation.

Je ne reviendrai pas sur les acquis de la loi de 1975. Je suis cependant un peu surpris. Je respecte les associations, d'autant plus que je suis moi-même à l'origine de la création du Conseil national consultatif et que j'ai ouvert un dialogue constructif. Il ne faut pas tomber dans le piège qui consiste à nier les aspects positifs du texte au motif qu'il ne répond pas à tous les problèmes.

M. Alain Gournac. Bien sûr !

M. Jacques Blanc. De surcroît, le texte n'est pas achevé.

Mme Hélène Luc. Il fallait présenter une loi de finances en même temps !

M. Jacques Blanc. Vous avez montré, madame la secrétaire d'Etat, que vous aviez été attentive aux propositions du rapporteur, dans la ligne tracée par le Président de la République et suivie avec volontarisme par le Gouvernement. Je vous en remercie.

M. Robert Bret. L'exposé des motifs du projet de loi est bien ; c'est la suite qui l'est moins !

M. Jacques Blanc. Vous avez mis en place des moyens tant juridiques que financiers.

Mme Hélène Luc. Pas les moyens financiers !

M. Robert Bret. C'est comme pour la décentralisation !

Mme Hélène Luc. Toutes les associations disent le contraire ! Reconnaissez-le, au moins !

M. le président. Mes chers collègues, laissez s'exprimer l'orateur !

M. Jacques Blanc. Vous avez d'abord défini le handicap, ce qui permet de reconnaître explicitement le handicap lié à des altérations psychiques, ainsi que le polyhandicap.

M. Roland Muzeau. On le votera !

M. Jacques Blanc. Vous avez repris les éléments de définition de l'Organisation mondiale de la santé : c'est une étape.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Ah non !

M. Jacques Blanc. Vous avez garanti le libre choix du projet de vie de la personne handicapée. Personnellement, je n'ai pas beaucoup de mérite à m'être intéressé à ce problème, car, en tant que neuro-psychiatre, j'ai eu à m'occuper de grands handicapés. Vous avez, à mon sens, trouvé une solution équilibrée qui permet de tout mettre en oeuvre pour assurer l'insertion de la personne handicapée, en fonction de son choix, et ce à tous les moments de sa vie, depuis la maternelle jusqu'à l'entrée dans la vie active.

Mme Hélène Luc. On en reparlera de l'école !

M. Jacques Blanc. On aurait pu aussi penser aux personnes âgées, car le problème se pose, vous l'avez d'ailleurs également abordé.

Mme Marie-Claude Beaudeau. On y viendra bien !

M. Jacques Blanc. La liberté de choix du projet de vie est donc garantie, et vous avez su, tout en exigeant de l'éducation nationale cette ouverture, reconnaître que, dans certaines situations, l'intérêt de l'enfant commande un système adapté. Vous n'avez pas écarté cette difficulté, ce dont je vous suis très reconnaissant.

Mme Hélène Luc. Mais parlez-nous plutôt des moyens qu'il faut donner à l'éducation nationale ! C'est incroyable, une telle démagogie !

M. Jacques Blanc. En effet, il est tellement plus facile de ne regarder que ceux qui peuvent s'insérer et d'oublier les plus grands handicaps. Permettez-moi d'évoquer un souvenir personnel datant de l'époque où j'exerçais dans des établissements du Clos du Nid, en Lozère, qui accueillaient les handicaps les plus lourds, quand peu de centres de ce type existaient : j'ai la fierté d'avoir pu apporter une petite lumière à tel ou tel handicapé qui, grâce à un geste, à un élan du coeur, a progressé sur la voie de son propre accomplissement.

Vous avez su trouver une solution équilibrée, ce dont je vous félicite.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Mais où est-ce dans le texte ?

M. Jacques Blanc. Vous avez aussi su indiquer très clairement que vous dissociiez la compensation personnalisée de l'assurance d'un revenu d'existence. Il s'agit tout de même là d'une sacrée étape !

Mme Hélène Luc. On verra !

M. Robert Bret. Vraiment, nous n'avons pas lu le même texte !

M. Jacques Blanc. Sacrée étape, en effet, puisque vous vous engagez à ouvrir, par des voies qui demandent à être précisées, une piste. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Si l'on veut que tout soit prêt pour agir à coup sûr, alors il faut faire comme vous, chers collègues de l'opposition, c'est-à-dire ne rien faire ! (Protestations sur les mêmes travées.)

M. Alain Gournac. Et voilà !

Mme Hélène Luc. Non ! Non !

M. Jacques Blanc. M. le ministre de la santé a, avec beaucoup d'honnêteté, abordé le problème de la caisse et de ses ressources, 850 millions d'euros destinés à compenser des surcoûts.

En outre, vous ne confondez pas - c'est tout à fait nouveau, et c'est une autre étape de franchie - cette prestation de compensation et l'assurance de revenu de l'allocation aux adultes handicapés.

Désormais, nous sommes bien dans un système nouveau de compensation et de sécurité de revenu, innovation d'autant plus méritoire que vous avez pris cette décision alors que les caisses avaient été laissées vides. Ce qui n'est pas très facile, aujourd'hui, l'eût été beaucoup plus à l'époque de la croissance, si du moins le gouvernement précédent s'était mobilisé ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Alain Gournac approuve.)

M. Bernard Frimat. Oh ! Cela suffit !

Mme Hélène Luc. Ne faites pas de politique politicienne à propos des handicapés !

Mme Michelle Demessine. Mais cessez de regarder dans le rétroviseur !

M. Jacques Blanc. Donc, madame la secrétaire d'Etat, bravo ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Je ne reviens pas sur l'intégration scolaire et me contenterai d'un mot sur l'insertion professionnelle. Là aussi, vous êtes à la fois ambitieuse - car c'est bien une ambition - et réaliste.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Ce n'est pas vrai, ce que vous racontez !

M. Henri de Raincourt. Oh !

M. Jacques Blanc. L'ambition, c'est de favoriser l'insertion moyennant des adaptations de postes et en fonction de l'exigence, que vous avez rappelée, des 6 %.

Et vous avez gagné ce à quoi, moi, je n'avais pas pu aboutir à l'époque, je veux parler de la mobilisation du service public. M. Delevoye, qui était parmi nous tout à l'heure, s'est engagé à créer un fonds.

On s'était beaucoup battu à l'époque, sans toutefois réussir à débloquer la situation par rapport au service public, qui était le dernier à vouloir intégrer des handicapés.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Du vent, tout cela !

Mme Hélène Luc. Quelles sommes ont été débloquées pour l'éducation nationale ? Pouvez-vous nous le dire ?

M. Jacques Blanc. Je vous félicite d'avoir pris cet engagement.

Mme Hélène Luc. Oui, mais il ne faut pas dire des choses qui ne sont pas !

M. Jacques Blanc. Cela étant, et quels que soient les efforts accomplis, nous savons bien que, si certains handicapés pourront accéder au travail dans des ateliers adaptés, d'autres auront besoin des CAT. Vous ne les avez pas remis en cause et vous avez bien fait, parce que ces centres offrent des chances d'épanouissement importantes à un grand nombre de ces handicapés.

De même, vous n'avez pas remis en cause les MAS, les maisons d'accueil spécialisées, dont je suis fier d'avoir été à l'origine de la création. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC.)

Mme Marie-Claude Beaudeau. Mais que n'a-t-il pas fait, cet homme ?

M. Roland Muzeau. Bravo ! Vous aurez droit à une médaille, cher collègue !

M. Jacques Blanc. Ces maisons accueillent, en effet, les handicapés les plus lourds, et je veux, moi, que personne ne reste sur le bord de la route.

C'est tout votre mérite, madame la secrétaire d'Etat, d'avoir su conserver ces structures dans votre dispositif.

M. Alain Gournac. Très bien !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous mélangez tout !

M. Jacques Blanc. Ce texte doit simplifier les démarches des handicapés : la maison départementale s'inscrit dans cette logique.

Mme Marie-Claude Beaudeau. La logique de décentralisation ?

M. Jacques Blanc. Certains redoutent que cette départementalisation ne soit source d'inégalités. Ils préféreraient sans doute que nous en restions à l'hypercentralisation actuelle, qui a pourtant fait la preuve de son inefficacité !

Alors, oui, bravo d'avoir osé, madame la secrétaire d'Etat !

M. Roland Muzeau. Du vent !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Du vent, toujours ! Une véritable éolienne !

M. Jacques Blanc. Avoir osé avec ces maisons départementales, avoir osé avec la décentralisation : oui, c'est un très beau texte que vous nous proposez.

Mme Hélène Luc. Un vrai numéro de scène !

M. Jacques Blanc. Nous le soutiendrons.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Il en a bien besoin !

M. Jacques Blanc. Quant aux avancées que va nous proposer notre rapporteur, nous les soutiendrons aussi.

Et je m'adresserai d'un mot aux handicapés, à leurs parents, à leurs associations : ouvrons ensemble les yeux. Les coeurs se sont ouverts. Désormais, un changement profond de mentalité parcourt notre société. Il fallait aller plus loin par rapport au texte de 1975, dont j'ai la faiblesse de considérer qu'il était un peu mon enfant. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Eh bien, je suis fier, madame la secrétaire d'Etat, de savoir que vous allez le faire grandir, cet enfant, et, ce faisant, répondre à l'attente des personnes handicapées.

Mme Hélène Luc. Mais tous les parents s'interrogent sur les moyens !

M. Jean-Pierre Godefroy. Il y a des élections, bientôt ?

M. Jacques Blanc. Au-delà des frustrations, au-delà des insuccès passés, respecter la dignité des handicapés, c'est se mobiliser pour leur offrir des chances supplémentaires d'épanouissement. Bravo, madame la secrétaire d'Etat, d'avoir osé nous le proposer ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, la commission, qui va se réunir immédiatement, souhaiterait pouvoir prolonger ses travaux, après le dîner, jusqu'à vingt-deux heures.

M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur le président de la commission.

Mes chers collègues, nous allons donc maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Serge Vinçon.)