PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Emorine, rapporteur.

M. Jean-Paul Emorine, président et rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, que le Sénat examine aujourd'hui en deuxième lecture, constitue une étape législative essentielle.

C'est la première fois qu'un texte de loi est spécifiquement consacré à ces territoires qui correspondent à 80 % du sol national et qui rencontrent des difficultés spécifiques.

Au terme de ce chantier d'envergure, de très nombreux aspects concrets de la vie de nos territoires ruraux auront été abordés et traités. Il convient de saluer le choix qu'ont fait les pouvoirs publics de consacrer, enfin, à la ruralité un texte à la mesure des enjeux.

C'est le Président de la République, rappelons-le, qui, dans le discours qu'il a prononcé le 13 avril 2002 à Ussel, a entendu placer le développement de l'espace rural, et en particulier celui des territoires les plus fragiles, ce qui inclut notamment de nombreux territoires de montagne, parmi ses principales ambitions à l'aube de son deuxième mandat.

Ainsi qu'il l'a lui-même souligné, « construire une ruralité attractive et accueillante suppose d'abord d'apporter une réponse aux questions de la vie quotidienne : la santé, le logement, les services publics, l'éducation, la culture, la sécurité ».

Le texte a parfois été qualifié de « fourre-tout ». Mais son caractère effectivement composite ne fait, en réalité, que refléter la diversité du monde rural et de ses exigences.

Le projet se subdivise, en fait, en huit grands volets.

Un premier volet porte sur le développement économique de l'espace rural. Il prévoit la modernisation des zones de revitalisation rurale, des mesures en faveur de l'activité agricole et du tourisme rural, ainsi que des mesures de soutien à la pluriactivité.

Un deuxième volet vise à assurer un meilleur partage des espaces périurbains avec, notamment, la création d'un périmètre de protection et d'aménagement en zone périurbaine pour préserver les espaces agricoles et naturels.

Un troisième volet, relatif à l'aménagement foncier dans les zones rurales, tire la conséquence des évolutions majeures intervenues ces dernières années en matière d'organisation territoriale de la République et porte une attention nouvelle au fait intercommunal.

Un quatrième volet intéresse les espaces sensibles que sont la forêt, les espaces pastoraux et les zones humides. Les dispositions concernées prévoient, par exemple, l'extension des compétences du Conservatoire du littoral.

Un cinquième volet, rapporté par notre collègue Ladislas Poniatowski, est relatif à la chasse. Il a pour objet d'assurer un meilleur équilibre agro-sylvo-cynégétique, notamment en renforçant la responsabilité des chasseurs, la concertation avec l'ensemble du monde agricole et forestier, à travers le renforcement des schémas départementaux de gestion cynégétique et des plans de chasse.

Un sixième volet en faveur de la montagne vise à actualiser la loi de 1985 tout en assurant une meilleure prise en compte des contraintes environnementales.

En renforçant le rôle des comités de massifs et en proposant la création d'un schéma stratégique pour les massifs, la réforme vise à inciter les collectivités territoriales à s'organiser, dans le cadre d'ententes interdépartementales et interrégionales, afin de conduire des politiques territoriales intégrées.

Un septième volet tend à améliorer les moyens de l'Etat et des établissements publics dans l'espace rural. La réforme crée ainsi une agence française d'information et de communication agricole ainsi que des groupements d'intérêt public dans le domaine de l'aménagement du territoire. Elle renforce aussi le rôle des chambres d'agriculture ainsi que des établissements d'enseignement agricole dans l'animation du milieu rural, tout en confiant à l'Office national des forêts de nouvelles missions de service public ou d'intérêt général.

Enfin, un huitième volet concerne l'attractivité des territoires. Il comporte des mesures en faveur du logement en zone rurale, des dispositions intéressant le maintien ou l'installation des professionnels de santé, ainsi qu'un chapitre relatif à la présence territoriale des services publics.

Quels ont été nos objectifs en première lecture ?

Il s'est agi, pour l'essentiel, d'améliorer, de clarifier et de recentrer le projet de loi sur l'amélioration du quotidien des territoires ruraux les plus fragiles, notamment en zone de montagne. A cet égard, le statut des zones de revitalisation rurale a été, dans une large mesure, aligné sur celui des zones franches urbaines en matière de détaxation.

Il s'est agi, aussi, de pérenniser le débat sur l'avenir du monde rural en prévoyant la tenue d'une conférence annuelle sur la ruralité, qui réunira, sous la houlette du ministre chargé des affaires rurales, tous les partenaires intéressés au développement de l'espace rural.

Le Sénat a aussi souhaité mieux garantir la présence des services publics en zone rurale en mettant en place un mécanisme de concertation qui permettra, sous l'autorité du préfet du département, aux élus locaux de peser sur les décisions relatives aux réorganisations de ces services publics.

Sur ce point, très illustratif de la philosophie d'ensemble du projet de loi, le texte adopté en première lecture par le Sénat sur l'initiative de la commission des affaires économiques tire les conséquences d'une expérience conduite dans quatre départements - la Charente, la Corrèze, la Savoie et la Dordogne - sur l'organisation des services publics, qu'il s'agisse des services de l'Etat, des grandes entreprises publiques, des établissements publics ou des caisses de sécurité sociale.

Il s'est agi, tout d'abord, d'affirmer le rôle éminent de l'Etat dans la définition des objectifs d'aménagement du territoire et de services rendus aux usagers que doit prendre en compte tout établissement, organisme ou entreprise chargé d'un service public.

Le préfet du département sera désormais informé des projets de réorganisation susceptibles d'affecter les conditions d'accès des citoyens au service public, compte tenu des objectifs mentionnés plus haut.

Après avoir informé, à son tour, le président du conseil général et le président de l'association des maires du département, le préfet disposera d'un délai de trois mois pour conduire, notamment au sein de la commission départementale d'organisation et de modernisation des services publics, avec les élus locaux et les représentants du service public concerné, une concertation locale qui lui permettra d'apprécier la compatibilité du projet de réorganisation avec les objectifs fixés au niveau de l'Etat.

En cas d'incompatibilité, le préfet saisira les ministres de tutelle.

Tant la concertation locale que la procédure de saisine auront un effet suspensif de la mesure de réorganisation envisagée.

Le Sénat a adopté les amendements déposés par notre collègue Jean-François Le Grand. Ceux-ci reprennent les principales mesures de son rapport d'information sur Natura 2000 et visent à renforcer le rôle des collectivités territoriales et à introduire une mesure d'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties situées en site Natura 2000 lorsque le propriétaire souscrit un engagement de gestion.

C'est sur la proposition du Sénat que le projet de loi comporte, enfin, une disposition relative à la communication collective sur les vins de terroir bénéficiant d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique.

Sur ce point, le Sénat pourrait accepter un amendement gouvernemental de compromis qui autoriserait une publicité sur ce que le code de la santé publique n'interdit pas : références aux terroirs de production, aux appellations d'origine, à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit...

En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a apporté au texte adopté par le Sénat plusieurs modifications.

Sur le volet relatif aux zones de revitalisation rurale, elle a étendu le bénéfice de l'exonération de la taxe professionnelle aux entreprises commerciales ou artisanales procédant à la reprise d'une entreprise exerçant le même type d'activité.

L'Assemblée nationale a cependant écarté deux innovations proposées par le Sénat.

La première prévoyait que l'Etat pourrait conclure, avec un département, une convention de revitalisation rurale afin de renforcer l'action publique dans les territoires ruraux les plus défavorisés ; il vous sera proposé de rétablir cette disposition.

La seconde autorisait les communes à confier à une association ou à toute autre personne la responsabilité de créer un service nécessaire à la satisfaction des besoins en milieu rural lorsque l'initiative privée est défaillante ou absente ; nous vous proposerons tout à l'heure le rétablissement de cette disposition.

Sur le volet relatif aux services publics de proximité, l'Assemblée nationale a précisé le dispositif retenu par le Sénat concernant la mise en oeuvre d'une concertation locale en cas de projet de fermeture d'un service public.

S'agissant de la présence des professionnels de santé en milieu rural, l'Assemblée nationale a introduit deux innovations.

Tout d'abord, les investissements immobiliers des communes destinés à l'installation des professionnels de santé ou à l'action sanitaire et sociale seront éligibles au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, le FCTVA.

Par ailleurs, les honoraires de visites de nuit ou de gardes des médecins ou de leurs remplaçants dont les zones de garde incluent majoritairement des petites communes seront exonérés de l'impôt sur le revenu.

Concernant les dispositions relatives à la santé vétérinaire et à la protection des végétaux, l'Assemblée nationale a rétabli la mesure conférant aux seuls vétérinaires et pharmaciens compétence pour prescrire et vendre au détail des produits antiparasitaires externes destinés aux animaux de compagnie.

Elle a mis sur un pied d'égalité les laboratoires publics et les laboratoires privés pour la réalisation des analyses de santé publique vétérinaire et de protection des végétaux. Sur ce point, votre commission a jugé préférable de maintenir un droit de priorité au profit des laboratoires publics départementaux.

L'Assemblée nationale a encore libéralisé, en cas d'absence d'accord au niveau interprofessionnel, la fixation des tarifs des actes de prophylaxie collective des maladies d'animaux effectués par les personnes habilitées par l'Etat à cet effet.

En ce qui concerne le soutien aux activités économiques et agricoles, ainsi qu'à leurs structures, l'Assemblée nationale a notamment diversifié les types de structures consacrées à l'agriculture biologique et pouvant être créées au sein des interprofessions, tout en laissant à ces dernières le soin d'en déterminer le mode d'action.

Elle a rétabli la création d'une agence nationale chargée de l'information et de la communication en matière agricole et rurale.

S'agissant des dispositions relatives à l'emploi, l'Assemblée nationale a réduit de 50 % à 25 % le seuil d'activité non strictement paysagère au-delà duquel les entreprises du paysage sont affiliées aux caisses de congés payés du bâtiment et des travaux publics.

Les députés ont étendu aux plans d'épargne entreprise le bénéfice des systèmes d'intéressement et de participation pour les salariés de groupements d'employeurs mis à disposition d'une société.

Ils ont encore supprimé le régime de prêt de main-d'oeuvre à but non lucratif proposé pour les entreprises de travaux agricoles ou forestiers.

En matière d'urbanisme, l'Assemblée nationale a notamment clarifié les dispositions relatives aux lacs de moins de 1 000 hectares et a introduit deux nouvelles dispositions.

La première étend le droit de préemption urbain des communes aux donations entre personnes sans lien de parenté.

La seconde met fin à la superposition de la « loi littoral » et de la « loi montagne » aux abords des lacs de plus de 1 000 hectares, en prévoyant qu'un décret en Conseil d'Etat délimitera le champ d'application respectif de ces deux lois.

Concernant plus précisément le littoral, l'Assemblée nationale a prévu une consultation obligatoire du Conseil national du littoral pour les décrets relatifs au domaine public maritime, et facultative pour les autres.

Elle a institué une périodicité de trois ans pour le rapport que doit déposer le Gouvernement devant le Parlement sur l'application de la loi Littoral.

S'agissant du volet relatif à la montagne, l'Assemblée nationale a prévu que le Gouvernement pourra proposer toute action ou initiative concourant à la prise en compte des intérêts de la montagne dans la politique européenne et les négociations internationales.

Elle a ouvert aux stations d'activités nordiques la possibilité de faire payer une redevance pour la pratique des raquettes à neige sur les pistes de ski de fond.

En ce qui concerne la disposition relative à la publicité pour le vin, introduite en première lecture par le Sénat sur la proposition de notre collègue M. Gérard César, l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, a retenu une rédaction prévoyant la possibilité de faire référence, dans la publicité pour les produits vitivinicoles bénéficiant d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique, à leurs « caractéristiques qualitatives ». Nous avons vu que le Gouvernement propose sur ce point une rédaction de compromis que le Sénat pourrait accepter.

A propos du volet « Natura 2000 » introduit par le Sénat, l'Assemblée nationale a adopté conforme la quasi-totalité des dispositions, les quelques points de divergence portant sur la composition du comité de pilotage et la désignation du président de ce comité.

Le texte issu du vote de l'Assemblée nationale en deuxième lecture donne largement satisfaction à la commission des affaires économiques. Les soixante-quatre amendements que celle-ci propose ont pour objet soit d'améliorer la rédaction ou la cohérence juridique du texte, soit de le recentrer sur les grands enjeux de la ruralité, en supprimant certains articles qui sont apparus redondants ou appelés à trouver leur place plutôt dans le prochain projet de loi d'orientation agricole que vous nous soumettrez, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski, rapporteur.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, avec le titre IV du projet de loi consacré aux espaces naturels, des dispositions importantes ont été adoptées concernant la mise en valeur de ces espaces, l'Assemblée nationale et le Sénat partageant les mêmes objectifs sur la majorité d'entre elles.

S'agissant des volets « zones humides », « Natura 2000 » et « chasse », je vous rappellerai d'abord très brièvement les objectifs poursuivis par le Sénat lors du vote de ces dispositions en première lecture.

En ce qui concerne le volet « zones humides », il faut se féliciter de la qualité du travail préalable, mené en étroite concertation avec les acteurs concernés, qui a permis d'aboutir à un texte de consensus, le Sénat étant d'accord avec l'Assemblée nationale sur la quasi-totalité des dispositions de ce dernier, notamment sur le sujet clef de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties. Nous avons tenu cependant à limiter les règles d'intervention du Conservatoire du littoral aux seules zones humides situées dans les départements côtiers.

Il faut également se féliciter de l'adoption à l'unanimité des amendements déposés par notre collègue Jean-François Le Grand, reprenant les principales mesures de son rapport d'information sur Natura 2000, remis au Gouvernement quelques semaines avant notre débat. Ces amendements visaient à renforcer le rôle des collectivités territoriales, et également à introduire une mesure d'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties situées en site Natura 2000 lorsque le propriétaire souscrit un engagement de gestion.

S'agissant du volet « chasse », je ne détaillerai pas la totalité du dispositif proposé, qui touche à des sujets aussi variés que les modes de chasse, comme la chasse au chien courant, les moyens d'assistance électronique, l'agrainage et l'affouragement ou encore la chasse de nuit.

A chaque fois, le Sénat a proposé un dispositif s'appuyant sur la responsabilité des chasseurs et la prise en compte de la chasse comme élément d'équilibre dans le développement économique des territoires ruraux. Il a aussi privilégié le contenu du schéma départemental de gestion cynégétique et favorisé la concertation pour son élaboration. Il a également adopté un dispositif modernisant les règles de vente et de transport du gibier, ainsi que celles qui sont relatives aux établissements professionnels de chasse à caractère commercial.

En ce qui concerne le budget de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, l'ONCFS, le Sénat a obtenu que soit établie une comptabilité analytique distinguant, en ressources et en charges, les missions régaliennes et d'intérêt patrimonial des missions strictement cynégétiques.

La question la plus sensible concernait - elle concerne d'ailleurs toujours - les dégâts de gibier, à travers notamment la définition complexe de l'équilibre sylvo-cynégétique : le Sénat a repris celle de l'article L. 1 du code forestier, issu de la loi d'orientation forestière du 9 juillet 2001, qui met en avant la notion « de conditions économiques satisfaisantes, pour un territoire considéré ».

Ensuite, le Sénat a adopté toute une série d'outils proposés par le projet de loi, dont il a parfois renforcé la portée afin que cet équilibre sylvo-cynégétique soit effectivement atteint. Il en a été ainsi de la définition des plans de chasse, de la possibilité pour les propriétaires forestiers de déposer leur propre demande, voire de se regrouper pour mieux peser dans le processus d'attribution et, enfin, de la mise en cause financière possible du titulaire du plan de chasse, voire de l'Etat, pour la prise en charge d'une partie des dépenses de protection des peuplements forestiers.

En deuxième lecture, s'agissant du volet « zones humides », l'Assemblée nationale a quasiment adopté conformes les articles modifiés par le Sénat, les seules dispositions restant en discussion étant en réalité des articles additionnels, qu'elle a finalement adoptés, portant sur des sujets aussi divers que l'éradication du rat musqué - je me demande encore ce que fait ici ce malheureux... (Sourires) -, l'emploi de la taxe départementale sur les espaces naturels sensibles ou encore l'extension de la servitude de halage le long des cours d'eau domaniaux.

S'agissant de Natura 2000, une grande majorité des articles ont été adoptés dans la rédaction proposée par le Sénat ou assortis de précisions très utiles, portant notamment sur le dispositif d'exonération de la taxe foncière des propriétés non bâties. La seule divergence qui demeure porte sur la composition du comité de pilotage d'un site Natura 2000, comme le rappelait voilà quelques instants Jean-Paul Emorine, et sur le mode de désignation de son président.

En ce qui concerne le volet « chasse », l'Assemblée nationale a suivi le Sénat sur une grande majorité de dispositions, ce dont il faut se féliciter. Il en est ainsi du rôle dévolu à la chasse dans le développement économique des territoires ruraux, de la définition des orientations régionales de gestion et de conservation de la faune sauvage, de la comptabilité de l'ONCFS, des règles de transport du gibier et de règles touchant à plusieurs modes d'exercice de la chasse.

Sur ce sujet en particulier, l'Assemblée nationale maintient néanmoins un principe général d'interdiction pour l'usage des moyens d'assistance électronique, sauf pour ceux qui sont autorisés par arrêté. Je ne compte pas revenir sur ce dispositif, le contenu de cet arrêté, présenté par le ministre à l'Assemblée nationale et dont le texte est à notre disposition, me paraissant satisfaisant.

S'agissant du plan de gestion cynégétique, lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement s'est finalement déclaré favorable à sa mise en oeuvre sur initiative de la fédération départementale des chasseurs, solution qui avait ma préférence initiale, alors que, devant le Sénat, il avait défendu l'initiative des titulaires du droit de chasse, solution à laquelle je m'étais rallié. Je ne compte donc pas vous proposer de rétablir le texte du Sénat, mes chers collègues.

Sur la question de l'équilibre sylvo-cynégétique, l'Assemblée nationale a adopté sans modification la définition proposée par le Sénat, ainsi que celle des plans de chasse et des personnes habilitées à en déposer, mais elle a profondément modifié la palette des mesures offertes lorsque cet équilibre n'est pas atteint.

En effet, outre la mise en cause financière du titulaire du plan de chasse qui ne remplit pas le minimum du plan de chasse et éventuellement celle de l'Etat, afin que celui-ci prenne en charge une partie des dépenses de protection des peuplements forestiers, l'Assemblée nationale a introduit, dans des conditions strictement encadrées, le principe d'une indemnisation forfaitaire à l'hectare des dégâts forestiers imputables au grand gibier. Ne seraient concernés que les propriétaires forestiers qui n'exercent pas leur droit de chasse ou n'en tirent pas de revenu, mais qui mettent en oeuvre une véritable gestion forestière et subissent des dégâts significatifs dus au gibier soumis à plan de chasse. Cette indemnité sera versée par le titulaire du plan de chasse qui ne remplit pas le minimum de ce dernier.

L'Assemblée nationale a également maintenu la possibilité pour ce même propriétaire forestier d'obtenir la prise en charge financière des protections nécessaires par le titulaire du plan de chasse qui ne remplit pas ses obligations minimales, mais aussi par l'Etat si les attributions du plan de chasse étaient insuffisantes.

Au-delà de cette remise en cause importante de l'équilibre voulu par le Sénat en première lecture s'agissant de la prise en compte des dégâts de gibier en forêt, l'Assemblée nationale a également adopté toute une série d'articles additionnels traitant de thèmes très divers. Ceux-ci concernent, par exemple, l'entraînement des chiens courants, l'évaluation fiscale forfaitaire de la non location du droit de chasse, les réserves de faune sauvage, l'autorisation de chasse accompagnée, la chasse au gluau, le classement du pigeon ramier en tant que nuisible, l'instauration d'une taxe sur les habitats de grand gibier, les gardes-chasse particuliers ou encore le droit local en Alsace-Moselle.

La commission des affaires économiques a examiné le texte qui lui a été transmis avec la volonté non seulement de favoriser la mise en valeur des territoires ruraux en réaffirmant le rôle des collectivités territoriales, notamment dans la mise en oeuvre de Natura 2000, mais aussi de privilégier leur développement équilibré.

Il vous sera proposé de retenir celles de ces dispositions qui apparaissent cohérentes avec nos obligations communautaires et qui favorisent un exercice responsable de la chasse.

S'agissant de la prise en compte des dégâts de gibier en forêt, la multiplication des interventions de tous les acteurs du monde rural concernés par cette question illustre, s'il en était besoin, la difficulté de dégager une solution équilibrée et raisonnable.

En effet, comme beaucoup d'entre vous, j'ai été approché par les chasseurs des départements où la chasse est organisée en associations communales de chasse agréées, ou ACCA, appuyés par leurs fédérations départementales, mais aussi par les propriétaires forestiers de ces mêmes départements qui souhaitent obtenir satisfaction sur l'indemnisation des dégâts forestiers imputables au grand gibier.

J'ai également été sollicité, ce qui est normal, par le ministère de l'agriculture, qui, comme c'est normal, souhaite encourager et favoriser une véritable gestion forestière de la forêt privée, y compris dans ces départements, où le problème est complexe. Mon souci, comme celui de la commission, a été de concilier autant que faire se peut ces différents intérêts, parfois contradictoires, en dégageant des solutions raisonnables conformes à l'intérêt général. Je pense y être parvenu et souhaite que le Sénat soutienne la position adoptée par la commission.

Ainsi, la commission des affaires économiques a pris acte de la reconnaissance du principe d'une indemnisation forfaitaire à l'hectare des dégâts forestiers, dans des conditions strictement énumérées. Il vous sera proposé une rédaction plus cohérente des articles L. 425-11 et L. 425-12 du code de l'environnement s'agissant des différentes composantes de ce dispositif, afin de privilégier les systèmes de prévention et de protection des plants forestiers, sans attendre la réalisation des dégâts.

La commission a également supprimé la mise en cause financière possible de l'Etat, par l'une des parties seulement, à savoir les propriétaires forestiers, à propos du contenu des plans de chasse. En effet, il lui est apparu essentiel, dès lors que l'indemnisation des dégâts forestiers est désormais possible, que l'Etat reste, lors de l'attribution des plans de chasse, garant de l'intérêt général et de la prise en compte d'un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique, défini préalablement par le schéma départemental de gestion cynégétique en concertation avec l'ensemble des acteurs du monde rural.

Monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, vous l'aurez tous compris, le combat pour la ruralité, le combat pour une France rurale viable que nous menons tous, prend de multiples formes. Il passe aussi par un combat en faveur des zones humides, par un combat en faveur des zones Natura 2000, et par un combat en faveur du monde de la chasse. Je souhaite mener ces derniers dans un esprit de sérénité et d'équilibre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 103 minutes ;

Groupe socialiste, 67 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 26 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 15 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, le texte que nous allons examiner à l'occasion de la deuxième lecture du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux n'apporte pas d'éléments suffisants pour infléchir l'opinion négative que le groupe communiste républicain et citoyen avait émise en première lecture.

En effet, les modifications apportées par l'Assemblée nationale, certaines positives, d'autres négatives, ne changent pas en profondeur l'économie de ce texte, d'ailleurs très économe en matière de deniers publics - j'aurai l'occasion d'y revenir.

Le caractère « fourre-tout » de ce projet de loi évoqué par nombre de collègues aurait pu contribuer à sa force au regard de la diversité et de la complexité de la ruralité.

Cependant, l'orientation des mesures, en déséquilibre dans le rapport privé-public, le manque de crédits d'Etat, la sollicitation financière des collectivités locales déjà défavorisées et le caractère libéral du texte en atténuent sérieusement l'efficacité recherchée.

Nous continuons de penser qu'il manque l'essentiel à ce texte pour assurer un développement harmonieux des territoires ruraux. En témoigne la vitalité des débats que nous avions initiés en première lecture, notamment autour de la question des prix agricoles et de la dotation globale de fonctionnement des collectivités locales.

En effet, ce texte manque cruellement de moyens financiers, de mesures phares, et les questions de fond qui sont nécessaires aux territoires ruraux ne sont pas traitées. Je voudrais évoquer quelques-unes d'entre elles qui n'ont toujours pas trouvé de réponse.

Comment conserver notre potentiel d'agriculteurs autour de 600 000 personnes et éviter d'être 300 000 dans moins de dix ans ?

Comment assurer des prix rémunérateurs pour l'ensemble des productions agricoles ?

Comment réorienter l'agriculture vers le durable, au sens le plus large du terme ?

Comment encourager l'installation agricole de manière efficace et les structures d'exploitation permettant des conditions de vie décentes ?

Comment revaloriser et humaniser les professions de l'agro-alimentaire ?

Comment réglementer les usages de la nature ?

Comment assurer une présence commerciale et multiservices dans chaque commune de France ?

Comment adapter de vrais services publics aux besoins des populations rurales ?

Comment faciliter la scolarisation dans les zones rurales les plus défavorisées et les plus dépeuplées ?

Comment organiser l'intégration des populations communautaires qui arrivent dans nos campagnes ?

Comment, enfin, se dégager, au nom de la subsidiarité, du carcan de l'OMC et de certaines directives européennes qui, par leur ultralibéralisme, mettent en péril, les uns après les autres, les secteurs vitaux du monde rural et agricole ?

Sans vouloir être exhaustif, j'aurais également pu évoquer le logement, les salaires, les déplacements, la santé, la culture, le tourisme rural, tous ces secteurs pour lesquels les moyens manquent aux collectivités.

Poser ces questions, c'est déjà commencer à y répondre, mais le texte ne le fait pas, ou si peu. Nos amendements et interventions reflètent donc ces aspects, que nous jugeons essentiels pour un véritable développement rural.

A propos de l'avenir de l'agriculture et de la pêche, nous constatons que ce n'est jamais le bon moment d'évoquer la question de prix rémunérateurs, ce qui serait pourtant porteur pour la profession et inciterait plus de jeunes à l'installation.

Nous allons donc renouveler notre demande d'une conférence nationale des prix rassemblant tous les acteurs concernés, du producteur au consommateur, sans oublier la transformation et la grande distribution.

Nous redéposerons également les amendements relatifs au prix minimum et au prix de référence, produit par produit, afin de garantir aux producteurs de ne pas vendre à perte et de gagner décemment leur vie.

Le principe du coefficient multiplicateur, qui consiste à établir un rapport entre le prix d'achat et le prix de vente, pourrait également être adopté afin d'inciter la grande distribution à acheter à un prix correct, et cela pas seulement en période de crise.

Nous sommes bien conscients, cependant, que les régulations que nous proposons contreviennent radicalement aux dispositions prises par l'Europe et l'OMC qui suppriment toute entrave à la libre circulation des produits et favorisent ainsi les importations de pays tiers à bas prix pour faire pression sur les prix européens.

Aucune référence à la préférence communautaire n'apparaît dans le projet constitutionnel européen, et le principe de l'unicité des prix des produits agricoles laisse la place « à une politique commune éventuelle des prix ».

La politique agricole commune, en instaurant le découplage des aides, va également accentuer les concurrences et les déséquilibres sur le plan tant infracommunautaire qu'infranational, par le déplacement physique et temporel des productions, de légumes en particulier.

C'est également la PAC réformée qui va modifier en profondeur la valeur marchande des terres en fonction du montant des droits à paiement unique qui leur seront attachés et rendre encore plus difficile la transmissibilité des exploitations agricoles, donc l'installation des jeunes.

Si nous ne voulons pas rester des spectateurs impuissants devant la saignée des effectifs agricoles, il convient d'encourager financièrement la transmission dans un cadre collectif ou pluri-individuel. Et ce n'est pas l'OMC, dont la principale préoccupation est d'abolir les protections douanières, qui va rassurer les agriculteurs dans un monde où la loi de la jungle sera la règle du jeu.

Les services publics de proximité constituent un autre élément structurant des territoires ruraux. A ce titre, les trois articles rescapés du débat sont loin de faire la révolution dans le domaine des services publics.

Le premier, relatif à l'unicité du tarif de base pour le secteur réservé des services postaux, semble oublier que ce secteur va lui aussi disparaître en 2009 au nom de la déréglementation européenne. Formons le voeu que les manifestations des postiers de ce jour contribuent à éclairer les Français sur ce qui les attend.

Le deuxième article ouvre la porte à la privatisation des maisons de services publics.

Quant au troisième article, il est truffé de bonnes intentions autour des projets de réorganisation des services publics - « autour des projets de casse des services publics » faudrait-il plutôt écrire ! La concertation autour des préfets semble vouloir aider ces néfastes mesures à paraître acceptables. En réalité, il s'agit là d'un enrobage parlementaire, destiné à camoufler la disparition des services publics voulue par le Gouvernement, qui supprime des fonctionnaires à tour de bras, disparition également voulue par l'Europe, dont la philosophie exclusivement marchande et libérale ne connaît pas la notion de services publics et lui substitue la notion de service d'intérêt économique général, ou SIEG.

A ce propos, le projet de Constitution européenne est également édifiant.

Il y est en effet répété à de multiples reprises que « l'Union offre à ses citoyens un marché unique où la concurrence est libre et non faussée ».

Le texte définit en outre, à l'article 130, l'organisation économique comme suit:

« L'Union adopte les mesures destinées à établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur [...]. Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux est assurée conformément à la Constitution. »

On peut enfin lire aux articles 166 et 167 des dispositions qui sont sans équivoque :

« Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire à la Constitution [...]. »

« Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général [...] sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence [...]. »

« Sauf dérogations prévues par la Constitution, sont incompatibles avec le marché intérieur [...] les aides accordées par les Etats membres ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence [...]. »

Nos services publics sont bien devenus des services d'intérêt économique général, qui entérinent la primauté de la rentabilité sur l'utilité sociale et interdisent toute subvention publique.

Cela justifie pleinement que nous déposions un amendement tendant à établir un moratoire à la fermeture des services publics.

Plus largement, dans le domaine des services en général, une autre bombe est braquée sur nos concitoyens : il s'agit de la directive Bolkenstein, en passe d'être adoptée en 2005 si nous ne faisons rien. Il y est prévu, en matière de services, d'appliquer dans les vingt-cinq pays européens la législation sociale du pays d'origine.

Les secteurs en question sont divers et multiples. Ils concernent, entre autres, l'entretien et la sécurité des bureaux, la publicité, le recrutement, les agents commerciaux, les services liés à l'immobilier, les services de construction, d'architecture, de distribution, de tourisme, les centres sportifs, les services audiovisuels, les loisirs, la santé et les services à domicile, tel le soutien aux personnes âgées.

Cette directive est l'équivalent de l'AGCS à la sauce européenne : elle légalise le dumping social fiscal ; c'est la traite des salariés des temps modernes !

Le droit français du travail, déjà mis à mal par ce gouvernement, éclatera si cette directive voit le jour.

Monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, les maires ruraux sont très inquiets de la dérive des services publics et de la faiblesse des moyens financiers qui leur sont alloués sur le plan tant communal qu'intercommunal.

L'attractivité des communes rurales dépend de leur capacité à offrir des services aux plus jeunes, comme aux plus âgés ou aux actifs.

Le dernier congrès des maires est éloquent à ce sujet, et les nombreuses démissions d'élus, à l'instar de ceux de la Creuse, témoignent du profond malaise qui règne dans nos campagnes.

Il est un autre fléau, les délocalisations, qui frappent, certes, autant les villes que les campagnes. Leur impact est souvent catastrophique et précarise les populations des collectivités environnantes.

Là encore, des mesures radicales et dissuasives pourraient être prises et, si elles ne le sont pas, c'est parce qu'elles sont en contradiction avec « la sacro-sainte libre circulation des capitaux, des hommes, des biens et des services ».

La règle européenne de mise en concurrence de tous les services aboutit à substituer aux monopoles publics des monopoles privés. La messe est dite.

Un autre sujet qui me tient à coeur est le commerce de proximité. Je fais partie de ces élus qui pensent qu'une commune digne de ce nom doit avoir au moins un commerce de proximité pouvant également assurer de multiples services afin de contribuer à l'égalité de traitement des citoyens sur l'ensemble du territoire.

Les défauts de financement du FISAC, le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce, en 2004 et la situation catastrophique des commerces de proximité, quand ils existent, sont inacceptables quand on sait notamment que les crédits issus de la taxe d'aide sur le commerce et l'artisanat sont complètement déviés de leur objectif. Nous y reviendrons par un amendement.

A propos de l'amendement relatif à la publicité sur le vin, notre groupe estime satisfaisante la position adoptée par l'Assemblée nationale, et s'en tiendra là.

Notre groupe interviendra dans le débat sur la chasse afin de ne pas voir restreindre l'accès de tous à la chasse populaire, notamment au sein des ACCA, et de limiter la responsabilité financière des bénéficiaires de plans de chasse.

Enfin, je voudrais évoquer ici notre surprise de voir fleurir des amendements relatifs à la loi Littoral dans ce débat. J'estime que ce n'est ni le lieu ni le moment dans ce texte. Si le Gouvernement a réellement la volonté d'améliorer la loi Littoral, je propose que nous revenions sur ce texte, et exclusivement sur lui, à un moment ultérieur.

Monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, les territoires ruraux français ont besoin de mesures fortes et bien orientées pour leur garantir les conditions d'une ruralité vivante et d'un développement harmonieux.

Le contexte national, européen et mondial me fait craindre le pire en direction de nos territoires les plus fragiles, donc les moins rentables. Nous avons montré que des alternatives plus optimistes existent. Encore faut-il s'en donner les moyens et en avoir la volonté politique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. « Délaissée ou mal comprise, la ruralité doit bénéficier d'une attention renouvelée de notre politique d'aménagement du territoire. L'Etat jouera son rôle de garant de la solidarité nationale au service des territoires ruraux. » Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, c'est M. le Président de la République qui s'exprimait ainsi. J'étais à Ussel en 2003, et samedi dernier à Tulle.

L'attente est grande, comme en témoigne, entre autres, le thème du congrès des familles rurales qui doit se tenir à l'automne : « Territoires ruraux, notre défi. »

C'est une volonté ferme qu'il faut. Cette volonté est traduite, me semble-t-il, dans le texte en discussion ce jour dont les rapporteurs ont bien dégagé les grands volets. Je n'y reviendrai pas, délibérément.

Je me bornerai à quelques remarques, basiques, ponctuelles, voire annexes, mais tirées du vécu de la ruralité.

Je commencerai par l'école. La mesure concernant les effectifs scolaires en ZDR, les zones de développement rural, est bienvenue. Elle me donne l'occasion de revenir sur la présence et la prise en compte des enfants de deux ans dans les écoles maternelles.

Je citerai cette réponse d'un précédent ministre : « Tout faire pour les accueillir dans les milieux ruraux isolés et dans les ZEP. »

Je lis encore dans le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école: « L'accueil des enfants de deux ans reste assuré en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé. » Or, le rural profond relève ô combien - hélas ! - de cette notion.

Je plaide donc à nouveau pour la présence des enfants de deux ans dans les classes maternelles.

Au sujet de l'école en milieu rural, comment ne pas remarquer l'insuffisance des postes de médecin scolaire ?

En ce qui concerne l'emploi, rendre possible le cumul d'un emploi public et d'un emploi privé me semble une bonne chose, de même que prévoir la possibilité de confier une mission de service public à une personne dont l'activité ne relève pas de ce dernier. Cependant, il serait à mes yeux bienvenu d'assouplir et d'ouvrir plus encore le dispositif.

A cet égard, je voudrais évoquer le cas concret d'un maire dont la volonté était de mettre en place une agence postale communale. A défaut d'autre solution envisageable, il a été proposé de confier cette mission de service public à une personne préretraitée présentant un profil idéal. Or ce maire s'est heurté à un veto : l'allocation de préretraite versée par les ASSEDIC ne peut être cumulée avec une rémunération, aussi faible soit-elle. Ne pourrait-on envisager d'abolir ce type de barrière lorsqu'il s'agit de services publics en milieu rural ? Le cumul d'un emploi et d'une retraite ou d'un emploi et du RMI est possible ; pourquoi ne pas aller plus loin ?

En ce qui concerne les services au public, le texte prévoit heureusement de donner aux communes la possibilité de créer des services de première nécessité si l'initiative privée est défaillante. C'est là une politique que bien des départements conduisent déjà et qui porte ses fruits.

Dans ce domaine, j'ai bien conscience que le présent projet de loi ne peut apporter une réponse à tous les problèmes ; ne pourrait-on cependant envisager d'ouvrir sans trop attendre les professions réglementées et les secteurs protégés ? Pour l'heure, en effet, on constate des situations du type suivant : la fermeture d'une officine de pharmacie a été imposée par jugement d'un tribunal, alors que son ouverture avait, bien évidemment, été autorisée par le préfet. Le ministère a fait appel, en indiquant que la création de l'officine était de droit et, plus loin, que le jugement du tribunal est entaché d'une erreur de droit. Comprenne qui pourra, messieurs les ministres ! En tout cas, voilà la population de plusieurs communes rurales privée d'un service de proximité.

Je me permets donc de formuler le souhait d'une ouverture des secteurs protégés et des professions réglementées. Lors de la discussion d'un amendement, rejeté à l'Assemblée nationale, portant précisément sur l'ouverture des officines de pharmacie en milieu rural, il a été objecté que son adoption serait susceptible de porter atteinte à l'équilibre de ces dernières. Dans ces conditions, est-on condamné à l'immobilisme en milieu rural ? Avouez-le, messieurs les ministres, ce serait aller à l'encontre de l'esprit qui sous-tend le présent projet de loi.

S'agissant toujours des services publics, j'ai encore à la mémoire la démission d'élus de la Creuse. A cet égard, l'article 37 F du texte reprend, pour l'essentiel, la réponse donnée à une question orale que j'ai récemment posée sur ce sujet. Le point central est l'organisation d'une concertation locale, dont il est dit qu'elle doit précéder toute décision de réorganisation des services publics et permettre un débat visant à trouver des solutions adaptées et réalistes. Les propos qui ont été tenus sur ce point par MM. les ministres et M. le rapporteur sont certes rassurants, mais il ne s'agit pas que le représentant de l'Etat puisse décider de l'opportunité d'une concertation : la concertation doit être un préalable. C'est encore le Président de la République qui demandait récemment que soit menée une concertation avant toute adaptation - il ne doit pas seulement, j'y insiste, s'agir de fermeture - des services publics. Ce n'est qu'ensuite que l'on définit ce qu'il convient de faire et que le préfet peut saisir le ministre concerné.

De ce point de vue, j'exprimerai un regret, tenant à la suppression, par un décret d'avril 2004, de l'étude d'impact préalable. Je ne comprends pas une telle décision, alors que cette procédure me semblait pertinente.

A ce moment de mon intervention, je soulèverai une question : que sera précisément la conférence des services publics en milieu rural, qui doit déboucher sur les états généraux des communes rurales ? J'ai bien entendu les propos que vous avez tenus à cet égard, monsieur le ministre, mais nous voudrions en savoir davantage sur ce projet, qui paraît certes intéressant, même si sa mise en oeuvre est difficile. Il a d'ailleurs été question des départements d'expérimentation, dont le mien fait partie.

En ce qui concerne l'artisanat, chacun sait la volonté manifestée qu'il trouve sa juste place dans la ruralité, que les dispositions du présent texte renforcent les possibilités d'une synergie et que le monde rural soit un espace d'équité. Je présenterai des amendements portant sur ce sujet. Certes, l'artisanat est l'un des thèmes abordés au travers du texte qui nous est soumis, mais que penser de l'idée d'une chambre interconsulaire ? J'énonce cette question, parce qu'elle s'inscrit dans le débat relatif à l'agriculture, aux territoires et à la société.

J'évoquerai maintenant brièvement le tourisme, pour demander une fois encore des éclaircissements. Je partirai là aussi d'un exemple précis.

Par une récente lettre relative à l'ouverture de casinos, M. le ministre m'a rappelé que celle-ci ne saurait concerner que des stations balnéaires et thermales. Cela ne m'apprenait rien, mais, dans la réponse à une question écrite que j'ai posée précédemment, il est fait référence à l'implantation de casinos dans des espaces à dominante rurale - la Lozère, le Cantal - dans des communes ayant engagé des politiques de développement touristique. Là encore, comprenne qui pourra ! Que dire, que faire ? Une évolution de la législation de 1907 est-elle ou non envisageable ?

En conclusion, je tiens à rappeler combien certaines politiques départementales tendent déjà fortement au développement de la ruralité. C'est là une heureuse complémentarité entre les collectivités territoriales et l'Etat. Il s'agit aujourd'hui de donner un nouvel essor à la politique de l'Etat. Ce qui compte maintenant - cela a été dit et est attendu avec impatience -, c'est la mise en oeuvre des décisions prises. A cet égard, je veux croire, monsieur le ministre, que tout n'est pas figé et que, au vu de l'application des dispositions du présent texte, d'autres initiatives pourront se faire jour.

En tout état de cause, messieurs les ministres, j'approuve une politique trouvant ici sa traduction dans un projet de loi qui se veut et qui est réellement porteur d'espoirs, qu'il conviendra de ne pas décevoir, bien évidemment ! (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP. - M. Philippe Arnaud applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Piras.

M. Bernard Piras. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui amenés à examiner en deuxième lecture un projet de loi visant, selon ses auteurs, à favoriser le développement de nos territoires ruraux.

La définition donnée par le dictionnaire du terme « ruralité » indique qu'il s'agit « de ce qui a trait à la vie dans les campagnes », par antinomie avec le monde urbain. Je viens d'un département, la Drôme, où la ruralité est une réalité vécue quotidiennement, et non un simple concept étudié de manière théorique. Or je suis fréquemment interpellé par des élus locaux qui sont désespérés devant les difficultés grandissantes et envahis par un sentiment d'abandon.

Je ne doute pas que, sur ce dossier, nous ne puissions établir une analyse commune quant à l'état des lieux : des mesures fortes et incitatives doivent être prises en faveur des territoires ruraux pour assurer leur développement, sous peine de voir apparaître de profonds déséquilibres, qui sont déjà en gestation.

A en croire son intitulé, le texte qui nous est présenté aurait pour objet de répondre à cette attente légitime. Malheureusement, il s'agit d'une nouvelle occasion manquée, car les notions élémentaires mais indispensables d'ambition, de projet et de moyens en sont absentes. Nous n'avons décidément pas la même lecture de ce projet de loi !

Si ce texte n'est pas satisfaisant, il apparaît en outre que de nombreuses orientations prises par ailleurs par la majorité actuelle vont à l'encontre du développement des territoires ruraux. Pour illustrer ce fait, je me bornerai à évoquer le budget consacré à l'agriculture dans la loi de finances de 2005, lequel s'inscrit dans la même logique que ceux des années précédentes : si l'agriculture est l'une des composantes importantes de la ruralité, elle n'est malheureusement plus une priorité pour ce gouvernement. (M. le secrétaire d'Etat à l'agriculture fait un signe de dénégation.)

En ce qui concerne ce projet de loi, je voudrais tout d'abord souligner l'originalité du parcours qu'il a suivi : il comportait 76 articles à l'origine, 179 à l'issue de son examen en première lecture par l'Assemblée nationale, 198 au terme de sa précédente discussion par le Sénat. Cette inflation serait-elle due à une mauvaise appréhension du dossier, les contours de ce dernier ayant été insuffisamment cernés, ou à une intervention très active de nombreux lobbies ? Le « ou » n'est d'ailleurs pas forcément exclusif...

En tout cas, si la qualité d'un texte se mesure à sa longueur, le projet de loi qui nous est soumis est alors porteur d'espoirs pour les territoires ruraux. En revanche, si elle s'apprécie à son contenu et aux moyens financiers qui sont affectés à sa mise en oeuvre, ce qui me semble plus pertinent, je suis alors pessimiste quant à l'avenir des territoires concernés.

S'agissant toujours du parcours législatif, ce projet de loi, présenté en urgence en janvier 2004, pour des raisons électorales évidentes (M. le ministre s'exclame.) et avec les résultats que l'on sait,...

M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat. Allons, monsieur Piras !

M. Bernard Piras. ... a été examiné par l'Assemblée nationale dès l'ouverture de la session parlementaire, en octobre, ce qui laissait peu de temps, en amont, pour le travail en commission. Les deux chambres du Parlement ont adopté des approches notablement différentes, puisque, à titre d'exemple, le Sénat a supprimé 30 articles et en a rajouté 49 par rapport à la rédaction élaborée en première lecture par l'Assemblée nationale.

A ce titre - et ce n'est pas là l'aspect le moins original de ce parcours -, contrairement à la tradition voulant que notre assemblée s'érige en garante des intérêts de nos campagnes, le Sénat ne s'est pas comporté comme tel en supprimant un certain nombre de dispositions qui représentaient un progrès pour nos territoires ruraux, tendant par exemple à prévoir le remboursement des aides publiques par les entreprises qui se délocalisent à partir de zones rurales, à permettre aux communes rurales de pratiquer des loyers industriels attractifs, à favoriser le maintien des écoles en milieu rural, à garantir un prix unique du timbre sur tout le territoire.

Ce parcours laisse une impression de fouillis, de non-préparation, qui contraste fortement avec l'importance de l'enjeu lié au texte. La ruralité est et doit demeurer une chance pour notre pays, elle mérite indéniablement un débat d'une autre ampleur.

En effet, le problème est le suivant : quel projet, pour nos territoires ruraux, ressort à la lecture de ce texte ? Quel avenir le Gouvernement désire-t-il offrir à ces territoires : souhaite-t-il que le milieu rural soit un lieu de vie et d'activité ou, à l'inverse, un lieu de détente, de repos et même de repli par rapport au monde urbain ? Souhaite-t-il, ce qui serait, me semble-t-il, plus judicieux, qu'un équilibre puisse être trouvé entre les différentes fonctions remplies par ces territoires, qui sont à la fois, je le rappelle brièvement, résidentielles, productives, récréatives, touristiques et, enfin, environnementales ?

Certes, la diversité même de la ruralité rend son approche difficile. Outre la variété des fonctions assumées par les territoires ruraux que je viens d'évoquer, on constate dans certains secteurs une nette déprise foncière et agricole, et dans d'autres, en revanche, l'installation d'une forte pression foncière.

En tout état de cause, j'espère que nous nous accordons tous sur ce constat : nos territoires ruraux ont un besoin impérieux et urgent que les pouvoirs publics se tournent vers eux. Je rencontre fréquemment les maires ruraux de mon département : ils tiennent tous le même discours, quelles que soient leurs opinions politiques ; ils sont inquiets de voir que les exploitations agricoles disparaissent les unes après les autres, les enfants ne souhaitant pas reprendre une activité qui ne permet plus de faire vivre une famille, que les domaines et les terres sont rachetés par des ressortissants européens attirés par la beauté de nos paysages, mais bien souvent peu soucieux des enjeux et des intérêts locaux, que leurs bureaux de poste, perceptions, subdivisions de l'équipement, écoles, hôpitaux ferment les uns après les autres pour des raisons de rentabilité, mais sans prise en compte des conséquences humaines, sociales et économiques engendrées, une simple décision administrative réduisant ainsi à néant les efforts déployés depuis des années par des élus pour assurer le développement de leur commune. Ces élus ne comprennent plus le discours selon lequel la ruralité doit se développer, mais avec de moins en moins de services publics.

Loin de tout dogmatisme, cette situation est une réalité dénoncée chaque jour, qui doit être déplorée mais surtout combattue, ce qui aurait dû être l'une des ambitions des promoteurs de ce projet de loi.

Au regard de cet enjeu, ce texte apparaît bien dérisoire, notamment parce que, pendant que nous débattons, de nombreux services publics continuent d'être supprimés, l'avis des élus locaux étant ignoré... A cet égard, les mouvements revendicatifs de cette semaine sont révélateurs du malaise ambiant.

Ce texte apparaît également dérisoire parce qu'il survole de nombreux domaines, la ruralité exigeant une approche transversale. Cependant, chacun des domaines effleurés mériterait qu'un texte spécifique lui soit consacré, qu'il s'agisse de l'agriculture - ce sera prochainement le cas -, de la chasse, de la montagne, des services publics... Nous y aurions, à n'en pas douter, gagné en clarté et en lisibilité, ce qui aurait permis d'adresser un vrai signal en faveur des territoires ruraux, et non un message flou, voire incohérent.

Ce texte apparaît tellement comme un agglomérat de suggestions sectorielles que les comptes rendus de presse n'évoquent, à titre d'exemple, que des problèmes de publicité sur les vins ou de vente des antiparasitaires pour animaux de compagnie. Ces sujets méritent évidemment d'être traités, mais ils occultent le véritable débat sur l'avenir des territoires ruraux.

Une loi sur la ruralité aurait dû assurer, au nom de l'égalité des citoyens en tous les points du territoire, un avenir à des millions de personnes qui ont fait le choix de vivre hors des villes, cette orientation ne devant pas leur être préjudiciable.

Il est indéniable que ce texte manque de vision politique sur l'avenir des territoires ruraux pour le xxie siècle.

Bien évidemment, il comporte quelques avancées, comme par exemple sur les groupements d'employeurs ou les exonérations de taxe professionnelle ; mais il ne propose aucun projet global pour nos territoires ruraux, qui dépérissent.

En outre, et ce n'est pas le seul paradoxe, alors que d'un côté ces territoires voient la plupart des services publics disparaître, il est constaté officiellement que, depuis 1990 et pour la première fois depuis un siècle, la population s'accroît dans la majorité des communes rurales, dans les petites communes des couronnes périurbaines comme dans les autres catégories d'espaces ruraux.

Ces nouveaux résidents ruraux ont besoin de développement économique, de services publics, de logements, de transports, de désenclavement par la route, le rail ou les nouvelles technologies.

Ce texte aurait dû être l'occasion d'accompagner et d'amplifier ce mouvement, qui est sans doute une chance et peut conduire à un aménagement du territoire plus cohérent, ce qui devrait demeurer, ne l'oublions jamais, un objectif prioritaire pour les territoires ruraux.

Comment persuader une personne de s'installer dans une région et, dans le même temps, lui dire que tout service d'urgence médicale se situe à plus d'une heure de son domicile ?

Le maintien d'un maillage de services publics de qualité est un élément déterminant d'une ruralité vivante et le gage d'une équité territoriale dont l'Etat est le garant. Si les collectivités locales sont prêtes à se mobiliser, comme elles l'ont déjà démontré depuis longtemps, elles ne souhaitent pas se substituer à l'Etat. Confier la gestion des services publics aux communes, c'est rompre l'égalité en faisant payer deux fois les bénéficiaires, la confier à des personnes privées, c'est inéluctablement, à court ou à moyen terme, transformer ce service en bien marchand.

Un soutien à ces territoires ruraux s'avère d'autant plus crucial qu'une étude récente a démontré que la majorité de ces nouveaux résidents avaient la particularité d'être soit pauvres, soit inactifs.

Qui oserait prétendre que ce projet de loi répond à ce nouvel enjeu de société ? S'il manque d'ambition et de volonté politique, il manque aussi cruellement de moyens, les deux aspects étant bien évidemment liés.

Ces territoires ruraux, s'ils ont des avantages, possèdent également de lourds handicaps qu'ils ne peuvent surmonter sans la solidarité nationale et une indispensable péréquation des richesses.

Or ce texte ne prévoit pas d'engagements financiers, mis à part quelques exonérations fiscales peu conséquentes. Face à des territoires ruraux aux faibles ressources, l'Etat se présente les poches vides.

En réalité, ce texte organise la solidarité entre les pauvres. Vous allez demander aux territoires les moins favorisés de se payer ce que d'autres, plus aisés, ont gratuitement, et ce au mépris d'un aménagement cohérent du territoire et de l'égalité républicaine entre ces territoires.

Légiférer n'a de sens que si une volonté politique et des moyens sont consacrés à un projet. Or, ici, rien de tout cela n'existe.

En outre, ce texte, qui alourdit un peu plus le fardeau des collectivités territoriales, vient renforcer et conforter l'incertitude des élus locaux liée aux récents transferts de compétences insuffisamment compensés.

Dans cet hémicycle, mes collègues et moi-même avons dénoncé le fait que l'orientation prise lors de cette nouvelle phase de décentralisation conduise inéluctablement à une rupture d'égalité des citoyens pour l'accès au service public, à une augmentation importante de la fiscalité locale et à une perte d'autonomie financière des collectivités locales. Sans revenir sur l'accueil réservé au Premier ministre lors du dernier congrès des maires de France, les enquêtes menées auprès des élus locaux démontrent invariablement que cette orientation est rejetée de façon massive.

Dans un tel contexte, comment les départements et les régions vont-ils pouvoir continuer à soutenir le tissu local, au moment même où les communes doivent faire face à la baisse des aides de l'Etat ?

Je pense sincèrement que chaque sénateur, avant de se prononcer sur ce projet de loi, devrait rencontrer les maires ruraux de son département pour comprendre le décalage entre la réalité vécue par ces élus locaux désespérés et les réponses apportées. Ils comprendraient alors certainement que le développement des territoires ruraux ne sera pas assuré par ce texte, qui ne peut que masquer les insuffisances de l'ensemble de la politique du Gouvernement en faveur des territoires ruraux.

Compte tenu des enjeux, les membres du groupe socialiste étaient prêts à participer à l'élaboration d'un texte fondateur de la ruralité du xxie siècle. Malheureusement, nos ambitions respectives sont trop éloignées.

Pour terminer, je voudrais revenir sur la récente étude de la DATAR relative à la France rurale en 2020, étude que je vous invite à relire, messieurs les ministres. Elle pose une question qui me semble cruciale : la France rurale aura-t-elle des ressorts propres à son développement, ou est-elle condamnée à servir d'annexe urbaine pour apporter aux villes ce qui leur fait défaut, c'est-à-dire des espaces résidentiels, des lieux d'implantation industrielle, des sites environnementaux ou de stockage des déchets urbains ?

Ce second scénario, fondé sur la dépendance, n'est évidemment pas acceptable, car il cumule tous les inconvénients, qu'ils soient sociologiques, économiques ou écologiques.

Parmi les propositions présentées par les auteurs de cette étude, j'en ai retenu plusieurs qui me semblent essentielles et qui, pourtant, n'ont pas été prises en compte par ce projet de loi.

Tout d'abord, il faut donner les moyens aux territoires ruraux de se développer par eux-mêmes et non de demeurer dépendants des villes.

Ensuite, le désir de campagne manifesté par un nombre croissant de nos concitoyens peut constituer un phénomène structurant et pérenne, la réalisation d'une telle aspiration pouvant avoir un effet d'amorce sur l'ensemble de l'économie rurale, notamment en matière de services aux personnes, de commerces. C'est particulièrement vrai pour les retraités qui sont de plus en plus nombreux.

Enfin, et c'est sur ce point que je voudrais conclure, « une nouvelle politique de développement durable suppose une forte volonté reposant en partie sur le soutien fort de l'Etat pour les espaces ruraux les plus défavorisés en termes d'habitat, d'accessibilité, de développement économique et de services aux populations, la solidarité étant incontournable dans ce domaine ».

Il est indéniable que ce texte ne répond pas à cette attente ; notre groupe, même s'il défendra des amendements visant à améliorer les problèmes techniques abordés, regrette que cette loi soit une nouvelle occasion manquée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, nous entamons donc la deuxième lecture de ce projet de loi relatif au développement des territoires ruraux. C'est un vaste projet qui couvre, autant que possible, la diversité de ces territoires et répond à leurs besoins, qui sont aussi multiples que variés.

Hervé Gaymard, alors ministre de l'agriculture, que je souhaite remercier ici pour son implication entière dans la rédaction de ce projet de loi, avait lui même qualifié ce dernier de « boîte à outils », une boîte à outils devant permettre aux acteurs du monde rural de trouver les moyens de leur propre développement.

Comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire en première lecture, c'est une démarche novatrice et surtout optimiste pour l'avenir du monde rural. Elle se situe bien dans la logique décentralisatrice souhaitée par le Premier ministre. Elle lui donne les moyens de son avenir en respectant sa diversité. Je souhaite féliciter tous les ministres impliqués pour l'expression d'une volonté politique forte et parfaitement cohérente en faveur du monde rural, mais confiante dans ses capacités à réagir.

Le Gouvernement a su également, comme il s'y était engagé au début des débats, rester très ouvert aux améliorations que les parlementaires ont cru pouvoir apporter au dispositif.

C'est bien dans cet esprit que je me positionne aujourd'hui, comme sénateur et président de conseil général, en vous soumettant mes réflexions et mes propositions d'amendements, afin de donner toute son efficacité à un dispositif dont la philosophie ne pourrait souffrir d'être détournée. Il s'agit en effet dans cette deuxième lecture, pour les acteurs du monde rural que nous sommes, non pas d'affûter nos couteaux, mais de sélectionner nos outils, de les préparer et de les tenir en parfait état de marche, en vue d'être opérationnels sur le terrain.

Concernant tout d'abord les espaces agricoles et naturels périurbains, prévus aux articles 19 et 20, le principe est bien entendu totalement satisfaisant, mais il me paraît que la rédaction actuelle est trop complexe. Afin de donner une portée réelle au dispositif prévu, il conviendrait de clarifier les objectifs et de simplifier sa mise en oeuvre. Des amendements ont été déposés dans ce sens.

Une nouvelle compétence est d'ailleurs donnée aux départements pour leur protection, mais sans qu'aucune ressource n'y soit affectée. Je compte bien que cela ne sera pas compensé par la taxe départementale sur les espaces naturels sensibles, qui ne relève pas de cette politique.

Cela m'amène tout naturellement à aborder la question de l'implication des départements dans la conception des schémas de cohérence territoriale, les SCOT.

Les nouvelles compétences foncières des départements pour les espaces agricoles et naturels périurbains doivent impérativement être compatibles avec les SCOT. Cela signifie que le département chargé de mener ces nouvelles politiques ne pourra pas, par exemple, inclure dans les périmètres de protection une parcelle sur laquelle le SCOT aurait décidé d'étendre l'urbanisation. C'est la raison pour laquelle, en vue de parvenir à des politiques cohérentes d'aménagement et de protection des territoires, il me paraît absolument nécessaire que les départements siègent au sein des syndicats mixtes chargés de les élaborer. Ils pourront ainsi traduire à la fois la politique de l'agglomération, dont les enjeux forts sont liés au logement, et la politique des territoires périurbains, avec les relations entre les différents territoires qui l'entourent : urbain, périurbain et rural.

II en va ainsi des politiques de maîtrise de l'urbanisation qui nécessiteront des logiques de partenariat des acteurs locaux concernés.

La régulation en amont des difficultés liées au foncier ne pourra de toute évidence se régler qu'en concertation avec tous les acteurs chargés de mener des politiques d'aménagement du territoire. Il me paraît indispensable d'introduire cette possibilité afin de faciliter les conditions d'application du dispositif mis en place par les articles 19 et 20. C'est le sens de l'amendement que je défendrai le moment venu.

Concernant l'aménagement rural, les dispositions actuelles transfèrent au département l'aménagement foncier, afin de simplifier les différentes procédures, ce qui constitue un objectif fort louable. Cependant, il me semble que certaines de ces procédures méritent d'être sauvegardées : à cet égard, je pense notamment à la réorganisation foncière, qui s'est avérée très efficace, parce que simple et peu chère. Les conseils généraux qui l'ont utilisée veulent la conserver. Dans ces conditions pourquoi y toucher ?

En revanche, la mise en place du transfert des compétences est nettement plus détaillée que celle du transfert des moyens financiers et du personnel des services centraux. Il serait bon d'apporter là quelques précisions.

A ce propos, les compétences d'aménagement foncier du ministère de l'agriculture risquent bien de disparaître au moment même où les départements auront peut-être besoin d'une aide pour mutualiser leurs expériences. J'appelle donc à la vigilance sur cette question.

En dernier lieu, je voudrais revenir, après M. le rapporteur, sur la modification apportée par l'Assemblée nationale à l'article 41, concernant les laboratoires départementaux d'analyses.

Cet article a pour objet le renforcement du maillage territorial en matière de santé publique vétérinaire et de protection des végétaux.

Dans ce cadre, les députés ont autorisé les laboratoires privés à mener des analyses sanitaires animales. En première lecture, l'Assemblée des départements de France s'était déjà mobilisée pour défendre les logiques d'aménagement du territoire et de santé publique relevant des laboratoires départementaux. Les conseils généraux, qui se sont largement investis en faveur de leurs laboratoires, craignent que ces nouvelles dispositions ne mettent demain en grande difficulté l'architecture et le maillage des laboratoires départementaux, même si les départements, conscients d'une nécessaire évolution, ont engagé des regroupements qui prennent des formes juridiques déjà diverses.

Mais la notion de service public dans la veille sanitaire demeure majeure.

C'est la raison pour laquelle j'appuierai, au nom de l'Assemblée des départements de France, la proposition faite par M. le rapporteur de rétablir le texte tel qu'il a été adopté par le Sénat à l'issue de la première lecture. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture, après avoir subi de multiples modifications et ajouts, ressemble de plus en plus à un texte portant diverses dispositions relatives aux territoires ruraux, mais certainement pas à un dispositif permettant d'assurer le développement, notamment économique, de la ruralité.

Comme je l'avais déjà laissé entendre lors de la première lecture, sans moyens financiers substantiels, je ne vois pas comment on peut raisonnablement favoriser le développement du monde rural, déjà si terriblement défavorisé par rapport au monde urbain.

Rappelons que l'effort financier de l'Etat induit par ce projet de loi s'élève à la modique somme de 100 millions d'euros, autant dire bien peu de chose, ce qui nous conduit à nous poser la question du développement des territoires ruraux sans moyens financiers. On aurait pu penser que le salut de la ruralité viendrait de la réforme des dotations de l'Etat, notamment de la dotation globale de fonctionnement.

Or, avant d'examiner cette réforme fort malencontreusement incluse dans le projet de loi de finances, nous avons adopté le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale. A cette occasion, nous avons accepté de majorer de 120 millions d'euros par an la dotation de solidarité urbaine. Celle-ci profitera, bien entendu, aux villes, dont certaines connaissent effectivement des situations particulièrement délicates ; mais le secteur rural a, lui aussi, d'immenses besoins afin d'assurer son équilibre et son avenir.

Le rapprochement de ces deux chiffres est saisissant : 120 millions d'euros pour la solidarité urbaine, qui concerne environ 200 villes et cinq millions d'habitants, et 100 millions d'euros pour le développement rural, qui, par définition, concerne 27 000 communes et neuf millions d'habitants.

Puis, nous avons découvert que la nouvelle DGF, à savoir sa dotation de base, serait pour l'essentiel modulée en fonction de la population : 60 euros par habitant pour une petite commune et 120 euros par habitant pour une ville. C'est une curieuse conception de la péréquation et du développement rural !

Monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, lorsque le présent projet de loi sera définitivement adopté et que les élus des collectivités rurales en connaîtront la véritable, et hélas ! très faible consistance, qu'ils auront, par ailleurs, une meilleure connaissance des conséquences de la réforme de la DGF, le tout mêlé aux inquiétudes induites par l'impossible réforme de la taxe professionnelle et par l'éventuelle suppression de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, il ne faudra pas s'étonner que tout cela débouche sur un vent de protestation identique à celui que nous avons récemment connu concernant les services publics.

Cette observation me conduit tout naturellement à la seconde partie de mon propos, à savoir l'absolue nécessité de maintenir des services publics de qualité dans les zones rurales.

Le débat sur ce thème a été particulièrement nourri au Sénat au cours de la première lecture. Il a rebondi dans le pays dans la mesure où, au cours de l'été 2004, des informations, quelquefois étonnantes, ont circulé suivant lesquelles La Poste s'apprêtait à supprimer plusieurs milliers d'emplois en milieu rural. Cela a provoqué de très vives émotions tout à fait justifiées dans certains départements, et le Gouvernement a dû temporiser. Nous en avons d'ailleurs le prolongement cette semaine à travers les mouvements sociaux que nous connaissons.

C'est ainsi que l'article 37 F du présent texte organise l'égal accès de tous aux services publics et prévoit une concertation avant toute éventuelle modification de la présence d'un service public dans un département. Mais cette disposition législative sera-t-elle efficace et suffira-t-elle à éviter la disparition des services publics ? Personnellement, j'en doute.

Nous sommes d'ores et déjà, les uns et les autres, interpellés par des maires de nos départements, qui se plaignent de la suppression prochaine - qui leur apparaît en filigrane - de leur bureau de poste. La réorganisation des recettes locales des impôts semble également se poursuivre. La SNCF continue à supprimer un certain nombre de gares-fret. Le ministère de l'éducation nationale a aussi supprimé des classes en milieu rural. (M. le secrétaire d'Etat à l'agriculture fait un signe de dénégation.)

Je regrette une fois de plus que le Gouvernement n'ait pas réservé une suite favorable à la proposition de loi que j'avais déposée sur le bureau du Sénat avec plusieurs de nos collègues, en vue d'un moratoire des fermetures de services publics dans les communes rurales.

Dans notre esprit, il ne s'agissait pas de figer les situations. Ainsi, nous ne pouvons qu'être favorables à la création de maisons de services publics ou, par exemple, au remplacement dans une commune d'une agence postale offrant peu d'heures d'ouverture par un point-poste chez un commerçant, ... pour peu que ce dernier existe encore.

Mais nous savions aussi que plusieurs administrations ou organismes avaient l'intention de fermer leurs bureaux jugés les moins « rentables », et ce essentiellement en milieu rural. La seule notion de rentabilité ne peut, bien évidemment, nous convenir.

Or si vous retirez à une commune rurale son bureau de poste et son école, vous la condamnez à une mort lente mais certaine ; ce sont les raisons pour lesquelles il faut une volonté politique forte et réelle afin de préserver les services publics dans le monde rural.

Le projet de loi comporte également certaines dispositions relatives à l'installation des professionnels de santé. Mais j'observe que, une fois de plus, ce sont les collectivités territoriales rurales les plus faibles qui devront en supporter les conséquences financières, d'ailleurs sans garantie de leur maintien dans l'avenir.

J'avais eu l'occasion de souligner le cruel déficit du département de la Meuse en matière de démographie médicale. Celui-ci compte en effet deux fois moins de médecins que les Alpes-Maritimes et trois fois moins que Paris.

Dans ces conditions, on peut se demander si des mesures simplement incitatives suffiront à orienter les jeunes médecins vers les zones rurales. En allant plus loin, est-ce véritablement leur rendre service que de les laisser s'installer là où l'offre médicale est déjà très abondante ? Après tout, l'installation des pharmaciens est strictement réglementée, et il faut bien reconnaître que, même si tout n'est pas parfait, le territoire est convenablement couvert en pharmacies. Pourquoi en irait-il autrement s'agissant des médecins ?

Ce texte comporte également plusieurs dispositions relatives à la chasse. Les responsables des ACCA ont notamment attiré notre attention sur un risque de démantèlement de ces organismes du fait d'éventuelles modifications législatives qui pourraient intervenir lors de la deuxième lecture au Sénat.

A cet égard, je soutiens pleinement la position de la commission des affaires économiques qui souhaite supprimer une disposition superfétatoire autorisant les propriétaires à se regrouper en associations syndicales libres, celles-ci étant déjà autorisées par le code forestier.

De la même manière, il convient sans doute de permettre aux ACCA de trouver les ressources appropriées leur permettant de faire face aux charges nouvelles induites par l'indemnisation des dégâts causés aux peuplements forestiers par le grand gibier.

Telles sont les observations que je souhaitais formuler à l'égard d'un projet de loi dont je regrette à nouveau le manque d'ambition. Même s'il comporte certaines dispositions qui, prises isolément, sont intéressantes, on ne peut pas dire pour autant qu'il s'agisse d'un texte fondateur pour le développement des territoires ruraux. Croyez bien que je le regrette !

Ce texte a certes le mérite d'exister, mais il attend des complémentarités que les amendements vont peut-être pouvoir apporter. Monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, je soutiendrai personnellement votre action dans ce sens. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, un peu moins d'un an s'est écoulé depuis la première lecture de ce texte devant le Sénat, soit le temps pour nos montagnes de vivre à nouveau le cycle naturel, immuable, des saisons face à l'agitation permanente de notre civilisation.

Nous avons terminé la première lecture au mois de mai, saison pendant laquelle nos massifs reprennent des couleurs, celles du printemps, bien entendu, mais aussi celles des tenues vestimentaires des premiers randonneurs, qui viennent se ressourcer sur nos sentiers, à la recherche d'un moment de plaisir intense,...

M. Alain Dufaut. C'est bucolique ! (Sourires.)

Mme Annie David. ... un plaisir chaque année recommencé et qui, pourtant, paraît chaque année un émerveillement nouveau.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est très lyrique !

Mme Annie David. C'est aussi le moment où les bergers préparent le retour des bêtes dans les alpages. Et pour eux, cette année sera la même que l'an dernier ! Le « plan loup » du ministère de l'environnement leur apportera peut-être une aide, mais rien n'est fait pour une réelle revalorisation de leur métier ni pour une réelle reconnaissance de leur utilité dans nos alpages. Pourtant, nous n'avons pas redéposé d'amendements, sachant par avance le sort qui leur serait réservé.

Après le printemps, l'été verra les vacanciers plus nombreux emprunter les différents équipements mis à leur disposition. Ils vont découvrir de nouveaux sites, traverser les alpages, croiser des troupeaux et des bergers, apercevoir des animaux sauvages, bivouaquer sous une tente ou dormir dans des refuges. Bref, ils passeront d'agréables moments dans nos massifs, grâce au travail accompli par les différents acteurs du secteur économique et touristique de nos territoires.

A cet égard, il est regrettable que les travailleurs saisonniers n'aient pu obtenir plus de reconnaissance, les députés étant revenus sur les quelques avancées votées par la Haute Assemblée.

Pourtant, si nos territoires connaissent leur développement actuel, c'est aussi grâce à ces femmes et à ces hommes qui travaillent de manière saisonnière, que ce soit en montagne, en bord de mer ou encore en plaine, lorsqu'il s'agit de ramasser les fruits et légumes ou de faire les vendanges. Sur ce point non plus, nous n'avons pas redéposé d'amendement, mais je tenais à réaffirmer le travail important qu'ils effectuent.

Cet été passera donc sans grands bouleversements dans nos massifs et laissera la place à l'automne, saison pendant laquelle les montagnards « pourront se compter », comme on dit chez nous, l'ensemble des activités touristiques étant au point mort. Ce sera aussi l'occasion de réellement tester ce texte sur le terrain. Malheureusement, cet automne confirmera, sans aucun doute, la désillusion de l'automne 2004, après le vote en première lecture.

Enfin, le manteau blanc de l'hiver s'abattra sur nos sommets, attirant cette année encore des milliers de touristes, avides d'enfiler leurs équipements de neige. Mais il leur faudra grimper un peu plus haut, la neige se faisant de plus en plus désirer.

Quant aux stations de moyenne montagne, qui, elles, ne pourront grimper davantage, bien peu de solutions leur sont proposées. Déjà, en ce mois de janvier, certaines d'entre elles voient leur niveau d'enneigement insuffisant pour répondre à la demande. Et rien de véritablement novateur en ce qui concerne la pluriactivité touristique n'est inscrit dans ce projet de loi. Seules quelques dispositions fiscales sont proposées pour le développement des villages-vacances - c'est un plus, il est vrai -, mais pour quelles activités touristiques ? Le logement des saisonniers, quant à lui, est à peine effleuré.

Au final, ni les élus ni la population n'auront vraiment été entendus. Ce texte ne leur apporte aucune solution concernant l'aménagement harmonieux de nos massifs. C'est en tout cas ce qui ressort de mes rencontres avec les habitants et les élus de mon département de l'Isère, département qui se caractérise par la richesse et la diversité de ses massifs et de ses territoires, et dans lequel ce texte de loi peut être confronté à toutes les réalités qu'il aborde.

Aussi, sans surprise, les Isérois ont fait briller deux feux rouges majeurs qui persistent dans ce projet de loi.

Le premier concerne l'accès aux technologies de l'information. Personne ne conteste aujourd'hui que ce soit un enjeu vital pour ces territoires, en termes tant d'attractivité, de compétitivité que de désenclavement, comme vient de le rappeler M. Bernard Piras.

Selon la DATAR, la connexion permanente et le haut débit étaient, à la fin de l'année 2002, accessibles à 74 % de la population française, concentrée sur seulement 21 % du territoire.

Cette « fracture numérique » va frapper lourdement ces territoires, la DATAR prévoyant de nombreux départs de PMI et de PME. Il en va de même en matière de téléphonie mobile, car la moitié des zones non couvertes se trouvent au-dessus de 700 mètres d'altitude.

Certes, des mesures gouvernementales et locales sont en cours, mais aucune ne donne aux communes rurales les moyens de s'équiper équitablement : messieurs les ministres, vous parlez d' « outils » mis à leur disposition - cela vient d'ailleurs d'être rappelé -, mais vous ne leur permettez pas d'acquérir ces derniers ! C'est ainsi, par exemple, que l'aménagement numérique des territoires est dorénavant une compétence des collectivités territoriales, puisque le Parlement a voté l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales.

Les collectivités locales obtiennent de ce fait le droit d'établir et d'exploiter librement des réseaux de télécommunications et d'offrir des services au public, mais, in fine, elles sont mises à contribution pour suppléer les carences de l'initiative privée et de l'Etat, faisant ainsi peser sur le contribuable local les frais d'installation des infrastructures.

Pourtant, il existait un opérateur public historique de télécommunication. La privatisation de France Télécom a créé un vide dès lors que l'ensemble des opérateurs privés ne veulent ni investir ni s'engager dans les zones non rentables.

Si l'accès au haut débit par satellite constitue une solution pour tous les sites isolés, il convient de signaler que son coût reste encore quatre à cinq fois plus élevé que l'ADSL. A ce titre, nous avons déposé un amendement qui, je l'espère, trouvera un écho favorable au sein de cette assemblée.

Ainsi, la perspective d'une « France à deux vitesses », ou d'une France de « fractures territoriales », dont cette « fracture numérique » est une bonne illustration, devient-elle réalité !

Cela m'amène à évoquer le second feu rouge, et non le moindre, puisqu'il s'agit de la lente érosion des services publics dans ces territoires. Toutefois, mon collègue Gérard Le Cam ayant déjà dénoncé ce fait dans son intervention générale, je ne reprendrai pas son argumentation, qui vaut également pour les territoires de montagne, tout particulièrement en ce qui concerne les établissements scolaires !

J'insisterai simplement sur le fait que le Gouvernement, à travers ce texte, accentue encore cette érosion et met à mal les fondements mêmes du service public, élément fort du pacte social. Je rappellerai, en outre, la disposition législative qui permettait, un tant soit peu, de freiner ce processus, en imposant à l'Etat d'engager une étude d'impact et une concertation locale avant toute fermeture de services publics, disposition qui a été supprimée par la promulgation du décret 2004-374.

Il est vrai que, au-delà des moyens nécessaires au maintien des services publics, d'autres solutions existent. Ainsi, en première lecture, j'avais déposé un amendement tendant à créer des régies de territoire destinées à répondre à des besoins identifiés d'intérêt général, en offrant la possibilité d'associer les différents acteurs du territoire au sein d'une structure de services dont la vocation serait double : faire émerger les besoins et organiser une réponse solvable. En ce sens, ces régies permettraient de favoriser la création d'emplois dans les territoires ruraux et de renforcer leur attractivité.

En contrepartie d'une garantie d'affectation intégrale des financements publics au développement de la régie, un cadre spécifique de financement par les collectivités locales est mis en place, et la forme juridique qui lui est associée est celle d'une SCIC, société coopérative d'intérêt collectif.

En septembre 2003, le CIADT en a posé le principe, par le biais d'une expérimentation actuellement en cours, copilotée par la DATAR et la Caisse des dépôts et consignations, expérimentation à laquelle participent vingt territoires, dont le pays du Grésivaudan, dans mon département.

Ce texte offre donc un support adapté pour tirer les leçons de ces expériences et proposer un cadre législatif à ces régies. C'est pourquoi je regrette profondément que cette proposition, qui fait pourtant l'unanimité des acteurs locaux de mon département, n'ait pas suscité l'attention qu'elle mérite. J'espère que la conférence nationale de la ruralité se saisira de cette question en se fondant sur le bilan de ces expériences.

Aussi, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, vous l'aurez compris, après ce tour d'horizon rapide de nos massifs montagneux, tout au long des quatre saisons, le groupe communiste citoyen et républicain ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Cela ne nous étonne pas...

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pour participer à la cérémonie des voeux de M. le président du Sénat ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)