PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

vice-président

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord vous dire ma satisfaction de répondre devant la Haute Assemblée à votre invitation. Permettez-moi de saluer, en particulier, le président de la délégation pour l'Union européenne, M. Hubert Haenel. Sur ces questions, je connais, monsieur le sénateur, votre engagement et votre compétence, qui sont d'ailleurs partagés par les membres de la délégation.

Je tiens à saluer également MM. Bret, Girod, Pelletier, Plancade et Zocchetto pour la grande qualité de leurs interventions sur ce sujet majeur et difficile.

Terre, terreur, terrorisme, voilà bien la terrible litanie, quand l'homme vient à enflammer la terre, à conjuguer la terre et le feu, la force et la foudre avec la haine et la folie.

Face à ce mal, l'Europe et la France ont vocation à tracer un chemin d'exigence et d'exemplarité. Je veux vous remercier d'y contribuer si excellemment les uns et les autres cet après-midi.

Face au terrorisme, nous avons deux atouts.

Notre premier atout, c'est notre unité. Voilà pourquoi j'attache tant d'importance à notre rencontre aujourd'hui. Un an après les attentats de Madrid, à quelques semaines du référendum sur la Constitution européenne, il est essentiel que la représentation nationale puisse échanger avec le Gouvernement sur une question qui concerne chaque citoyen, chacun d'entre nous.

Notre second atout, c'est l'Europe. Préoccupation récente de l'Union européenne, la lutte contre le terrorisme est cependant devenue prioritaire après les attentats du 11 septembre 2001 et du 11 mars 2004 à Madrid, une priorité illustrée notamment par la stratégie de sécurité pour l'Europe, définie en décembre 2003, puis, surtout, par les conclusions du Conseil européen du 24 mars 2004, qui constituent un véritable programme.

L'évolution de la menace impose plus que jamais de porter la lutte contre le terrorisme à l'échelle européenne.

Le terrorisme a changé.

Il a d'abord changé dans son organisation, se composant dorénavant de cellules autonomes aux ramifications mouvantes, implantées pour certaines dans la société européenne, plus difficiles à appréhender qu'une structure hiérarchique et rigide.

Pour autant, il n'existe pas de génération spontanée de terroristes. Ces cellules semblent garder un lien à l'extérieur du territoire avec des membres d'Al-Qaida. Nous l'avons constaté lors de l'enquête sur les attentats de Madrid, qui a mis en évidence un lien entre le Groupe islamique des combattants marocains et un haut responsable d'Al-Qaida.

Le terrorisme a ensuite changé dans ses méthodes.

Pour accroître leur capacité de destruction, certains groupes tentent d'accéder à des armes de destruction massive, notamment chimiques, biologiques et radiologiques. Le démantèlement, en décembre 2002, par la direction de la surveillance du territoire de la cellule de Romainville - La Courneuve, qui préparait des attentats au gaz cyanuré, en est un bon exemple. Nous poursuivons l'enquête et nous avons arrêté trois individus liés à cette cellule au mois de janvier et deux autres mardi dernier.

Nous savons également qu'il n'est pas exclu que certains individus puissent un jour perpétrer des attentats suicides en Europe comme sur notre sol.

Sur le plan opérationnel, nous avons deux préoccupations essentielles.

D'abord, les filières de recrutement. En France et dans d'autres pays d'Europe, des cellules islamistes s'efforcent de monter des filières pour conduire de jeunes adultes à l'étranger, soit dans des camps d'entraînement, soit dans des madrasas fondamentalistes. L'Irak est l'une de ces destinations, avec l'Afghanistan et la Tchétchénie. De telles filières peuvent exister sur notre territoire, comme l'a démontré le démantèlement récent d'une filière dans le XlXe arrondissement de Paris. Le risque principal est de voir ces jihadistes revenir ensuite en France pour y commettre, forts de leur expérience, des attentats.

Je vois un deuxième motif de préoccupation dans la mouvance islamiste radicale, qui s'efforce d'étendre son influence, notamment dans les grands centres urbains. Or, comme en témoignent tous les rapports des renseignements généraux dont je dispose, il existe aujourd'hui une continuité entre, d'une part, les prédicateurs extrémistes, les planificateurs des attentats, c'est-à-dire les organisateurs et, d'autre part, les « petites mains », les poseurs de bombes.

Confrontés à cette menace, nous avons adapté notre réponse nationale, nous fixant deux objectifs.

Premier objectif : doter notre pays d'une stratégie cohérente en présence d'une menace dont nous ne pouvons exclure qu'elle soit durable. J'ai lancé, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, l'élaboration d'un Livre blanc contre le terrorisme, un livre concernant notre sécurité intérieure face au terrorisme. J'assurerai personnellement le pilotage de la rédaction de ce Livre blanc.

M. Christian Poncelet, président du Sénat. Très bien !

M. Dominique de Villepin, ministre. Comme le Livre blanc pour la défense de 1994, celui-ci doit nous permettre de garder un temps d'avance indispensable en définissant une doctrine claire de riposte à la menace.

Le Secrétariat général de la défense nationale et les ministères concernés participeront aux travaux, qui aboutiront d'ici à la fin de l'année. Avec ce Livre blanc, notre ambition est bien d'apporter une pierre à l'édifice européen.

Deuxième objectif : rendre encore plus efficaces nos méthodes de travail nationales autour de trois exigences.

Première exigence, il s'agit de coordonner les services, grâce au comité interministériel de lutte antiterroriste, réactivé dès mon arrivée au ministère de l'intérieur. Notre unité de coordination de la lutte antiterroriste, l'UCLAT, a d'ailleurs inspiré nos voisins. C'est sur son modèle que l'Allemagne a créé, le mois dernier, son propre dispositif de coordination.

Cette vocation de coordination est assurée également par le Comité du renseignement intérieur, que j'ai créé il y a maintenant un an et qui se réunit une fois par mois sous ma présidence.

Deuxième exigence, il s'agit de mener à bien l'adaptation constante de nos outils.

A cet effet, j'ai créé le Centre des technologies de la sécurité intérieure. Opérationnel depuis le 1er janvier, ce centre a pour objectif de développer et de mutualiser des matériels de pointe, notamment en matière de surveillance physique et de surveillance sur internet.

J'ai renforcé les services, ajoutant, au cours des derniers mois, 154 fonctionnaires aux effectifs des renseignements généraux, soit une hausse de 5,2 % ; de même, 238 fonctionnaires supplémentaires ont été affectés à la surveillance du territoire, soit une hausse de 16,3 %.

J'ai également décidé la création de pôles de lutte contre l'islamisme radical dans chaque région de France. En Ile-de-France, cette structure a déjà prouvé son efficacité. Des individus liés à la mouvance radicale ont été reconduits à la frontière, des lieux fondamentalistes ont été fermés ou mis sous surveillance. Il est essentiel que nous retenions les leçons de l'expérience vécue dans chaque région et que nous coordonnions nos moyens pour être plus efficaces.

Troisième exigence, les Français doivent être pleinement informés des risques et apporter leur concours à l'effort global de vigilance.

A cet effet, nous disposerons de deux outils essentiels : d'une part, une base de données sur les actes terroristes, dont j'ai souhaité la création - elle verra le jour en mai prochain - et, d'autre part, un pôle de défense civile, qui sera un corollaire indispensable à la lutte contre le terrorisme.

Je rejoins là votre préoccupation, monsieur Girod. Nous devrions disposer, d'ici à 2007, d'un véritable centre de formation. En 2004, des stages ont été organisés à Cambrai pour des policiers, pour des militaires, ainsi que pour des sapeurs-pompiers. Cette année, le ministère de l'intérieur rédigera le cahier des charges afin de désigner le partenaire privé qui assurera la gestion du futur centre.

Vous avez raison, monsieur Girod, ce seront là des initiatives concrètes pour préparer l'ensemble de la population européenne au risque terroriste et pour planifier des réponses adaptées.

Aujourd'hui, notre dispositif national est notre premier atout. II répond pleinement aux exigences de l'Europe et il respecte le partage des tâches sur le plan européen en laissant aux Etats la principale responsabilité dans la lutte contre le terrorisme.

Je voudrais rappeler ici solennellement mon opposition de principe à l'égard de toute législation d'exception. Quant à la proposition de M. Pelletier d'introduire l'imprescriptibilité des crimes terroristes, le Gouvernement n'y est pas favorable, car cette notion doit rester réservée aux crimes contre l'humanité. La prescription actuelle de trente ans est suffisante pour les affaires que l'on parvient à résoudre. Le système français de centralisation des poursuites antiterroristes ainsi que la coordination entre les juges spécialisés et les services de renseignement sont des instruments démocratiques efficaces.

Aujourd'hui, quel est le point commun des groupes terroristes ? Ils sont mobiles et réactifs. Aussi, il faut prendre la dimension européenne indispensable, car celle-ci nous rend plus forts. Ces groupes sont également capables d'exploiter le moindre maillon faible dans la chaîne de la sécurité.

Dans le cas de l'Europe, cet aspect est d'autant plus important que l'espace Schengen, qui répond à l'aspiration de libre circulation exprimée par les citoyens européens depuis des décennies, peut tout aussi bien devenir un facteur de vulnérabilité si l'exigence de sécurité n'est pas prise en compte dans le même temps. L'Europe doit donc créer les conditions d'une coopération efficace entre les Etats membres.

C'est bien le rôle du coordonnateur européen pour la lutte contre le terrorisme, qui a été institué à l'issue des attentats de Madrid. Le Néerlandais Gijs de Vries remplit cette fonction qui, par nature, est plus politique qu'opérationnelle.

La coopération européenne s'organise avec une double priorité.

La première priorité est de favoriser l'harmonisation du droit des Etats membres.

Au-delà de la définition commune du terrorisme, premier instrument international qui permet de définir l'acte terroriste par référence au but poursuivi, je prendrai trois exemples.

Le premier exemple, c'est le mandat d'arrêt européen. Soyons clairs, monsieur Bret, notre objectif, c'est l'efficacité dans le respect du droit et des libertés fondamentales. Entré en vigueur le 1er janvier 2004, ce mandat a grandement facilité la remise des personnes soupçonnées ou condamnées, dans des conditions plus souples et plus rapides que les procédures traditionnelles d'extradition. La France, qui a transposé la décision-cadre par la loi du 9 mars 2004, l'applique activement : au 31 décembre 2004, 212 mandats émis par des juges français avaient été exécutés, et la France en avait elle-même exécuté 163 reçus d'autres pays. Et la tendance est clairement à l'augmentation avec, pour janvier et février de cette année, 41 mandats étrangers et 46 mandats français exécutés.

Le deuxième exemple, c'est la lutte contre le financement du terrorisme. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est l'une de mes toutes premières priorités. L'Union a adopté des mesures qui nous permettent désormais de geler les avoirs financiers des personnes ou des entités non étatiques impliquées dans des actes terroristes. La liste des organisations concernées est mise à jour régulièrement et elle comprend aussi bien l'ETA que l'IRA ou le Hamas. Par ailleurs, un projet de troisième directive anti-blanchiment a été déposé par la Commission pour renforcer le dispositif contre le financement du terrorisme. Il sera examiné très prochainement par le Conseil.

Le troisième exemple d'harmonisation du droit, c'est la conservation des données quantitatives relatives aux télécommunications, essentielle pour les enquêtes, comme ce fut le cas à Madrid, en permettant de reconstituer les échanges entre les auteurs des attentats et leurs complices. L'Union va nous permettre d'harmoniser les législations des Etats, notamment en allongeant la durée de conservation des données imposée aux opérateurs. La France est, avec trois de ses partenaires, à l'origine de ce projet présenté le 28 avril 2004.

Toutefois, M. Plancade l'a très justement souligné, à l'échelle de l'Union, l'application de ces textes n'est pas toujours satisfaisante. La Commission a ainsi relevé des lacunes importantes, par exemple pour les décisions-cadres relatives à la lutte contre le terrorisme et au mandat d'arrêt européen. Toutefois, je le rappelle, dans les deux cas, la France avait, pour sa part, fait le nécessaire. Je m'engage, dans la période à venir, à poursuivre nos efforts.

La seconde priorité de la coopération européenne est de renforcer la coopération opérationnelle. Sur ce point, je dégagerai, concernant l'action de mon ministère, quatre objectifs.

Le premier objectif est de rendre l'Office européen de police, Europol, plus opérationnel. Il n'est pas nécessaire de créer de nouveaux centres ou de nouveaux mécanismes d'échanges d'informations. Europol dispose, aujourd'hui, des moyens nécessaires pour lutter contre la criminalité transnationale et le terrorisme. Mais de nouvelles priorités doivent être assignées à l'organisation.

En premier lieu, elle doit recentrer ses activités. Nous avons fait des propositions pour que la Task Force antiterrorisme, réactivée après le 11 mars, devienne plus opérationnelle et puisse appuyer l'action d'équipes multinationales d'enquête. Cette structure, où la France a toujours été présente, n'est en effet pas toujours suffisamment réactive.

En second lieu, Europol doit avoir une responsabilité centrale dans la lutte contre le financement du terrorisme par la collecte d'informations et le partage des expériences nationales. Les Allemands et les Britanniques ont fait des propositions en ce sens auxquelles nous nous sommes ralliés dans un souci d'efficacité.

Le deuxième objectif pour renforcer la coopération opérationnelle est d'accroître les échanges d'informations.

D'abord, dans le domaine du renseignement : vous avez raison, monsieur Pelletier, c'est un élément clé pour le succès de notre action.

Un effort a été fait. Le centre de situation, SITCEN, qui se consacrait initialement à l'analyse de la menace extérieure de l'Union, est maintenant compétent en matière de renseignement interne et d'évaluation de la menace terroriste. Il travaille en liaison avec le « groupe antiterrorisme », le GAT, issu du club de Berne, qui regroupe les services de sécurité intérieure de l'Union, auxquels s'ajoutent la Suisse et la Norvège. Cette évolution répond au besoin d'avoir un lieu d'analyse unique pour une efficacité renforcée.

Pour autant, compte tenu des impératifs opérationnels des services concernés, il n'est pas envisageable aujourd'hui de créer une agence européenne de renseignement.

Ensuite, l'échange d'informations passe aussi par l'accès facilité aux bases de données, et c'est un sujet essentiel.

La mise en oeuvre rapide du principe de disponibilité retenu dans le programme de La Haye est souhaitable. Mais nous devons tenir compte des contraintes liées à ces échanges, qu'il s'agisse des fichiers nationaux ou des fichiers européens, tels que le système d'information Schengen ou le futur système d'information sur les visas.

M. Haenel l'a rappelé, leur interconnexion soulève des difficultés. Celles-ci sont liées à l'efficacité opérationnelle, car il faut que les services conservent la maîtrise des informations échangées. Ces difficultés sont également liées au respect des libertés individuelles, avec la protection des données à caractère personnel, qui n'est pas encore harmonisée à l'échelon européen. D'où, par exemple, notre prudence actuelle quant au projet « Schengen plus », évoqué par M. Haenel.

Nous souhaitons donc discuter au cas par cas les types de fichiers ou d'informations susceptibles d'être échangés. J'ai proposé, lors du dernier G5, d'étudier ces possibilités d'échanges dans trois domaines : les données relatives aux immatriculations de véhicules, celles ayant trait aux personnes disparues et aux corps non identifiés et celles touchant à la fraude documentaire.

Le troisième objectif est de mieux contrôler les frontières.

A cet effet, il est prévu de créer des documents de voyage plus sûrs : c'est tout l'enjeu des identifiants biométriques. Ceux-ci figureront en particulier sur les visas Schengen : la France a un rôle très actif dans ce domaine et une première expérimentation a débuté ce mois-ci dans notre consulat de Bamako. Elle devrait être poursuivie dans les consulats de Kiev, Colombo, San Francisco, Annaba et Shanghai, en accord avec Michel Barnier.

Ces identifiants biométriques figureront aussi sur les passeports européens. Un règlement européen a été adopté en ce sens à la fin de l'année dernière. La France a veillé à ce que les normes les plus strictes y soient adoptées, notamment en retenant deux identifiants numériques : la photographie et l'empreinte digitale.

L'Agence européenne pour la gestion des frontières extérieures, qui, je le confirme, sera mise en place le 1er mai prochain, doit également avoir un rôle majeur. Nous souhaitons qu'elle ait un objectif opérationnel. Monsieur Zocchetto, nous l'avons anticipé, par exemple sur la frontière roumaine avec l'envoi d'experts français et européens au poste frontière d'Oradea ou à la frontière austro-hongroise au poste de Nickelsdorf.

Il est également important de maintenir le contrôle de nos frontières intérieures. Dans ce domaine, je souhaite vous dire la vigilance particulière qui est déjà la mienne concernant le projet de « code communautaire des frontières », auquel la Commission travaille actuellement pour refondre le régime de franchissement des frontières dans l'espace Schengen.

Nous partageons l'objectif général de libre circulation, mais la France souhaite garder le contrôle de ses frontières avec ses voisins en cas d'urgence. Je pense, par exemple, au rétablissement temporaire de ces contrôles pour éviter le transfert sur notre territoire de manifestations de l'ETA depuis le pays basque espagnol. De même, les centres de coopération policière et douanière mis en place avec nos voisins répondent aux exigences de Schengen tout en préservant efficacement la coordination policière en zone frontalière.

Enfin, le quatrième objectif pour renforcer la coopération opérationnelle est de développer les équipes communes d'enquête, conformément à la préoccupation exprimée par M. Zocchetto.

Ces équipes, décidées par des magistrats, permettent d'associer des enquêteurs de deux Etats membres. Mettant en commun des moyens pour des affaires qui touchent plusieurs Etats, elles sont une réponse appropriée à l'évolution de la menace. Depuis l'an dernier, nous en avons mise une en place, en matière de terrorisme, avec l'Espagne. Nous souhaitons aller plus loin. J''ai donc fait cette proposition à nos partenaires européens.

M. Jacques Peyrat. Très bien !

M. Dominique de Villepin, ministre. Au-delà de ces mesures, la réussite européenne de demain devra répondre à une triple exigence.

D'abord, une exigence de responsabilité, en ce qui concerne la défense des libertés publiques. Celle-ci doit faire l'objet - vous l'avez souligné M. Bret - de toute notre vigilance.

A l'échelle européenne comme sur le plan national, l'impératif de sécurité doit en permanence être apprécié au regard de ce qui nous est le plus cher : la défense de la démocratie et des droits de l'homme.

Je voudrais dire ici ma conviction : la force de l'Europe dans la lutte contre le terrorisme réside dans son attachement aux libertés publiques et à nos principes démocratiques. C'est notre meilleure arme face au terrorisme.

M. Dominique de Villepin, ministre. En défendant ces principes, nous évitons le piège des terroristes, qui veulent nous pousser à y renoncer. En renforçant l'état de droit, nous renforçons l'adhésion de tous les citoyens à notre pacte national.

Ensuite, il faut répondre à une exigence d'efficacité : les contraintes de l'action à vingt-cinq laissent toute leur place à des coopérations européennes dans d'autres formats.

Les coopérations bilatérales sont les plus naturelles, en raison de l'importance cruciale de la confiance nécessaire entre services opérationnels. Je pense, en particulier, à celle que nous menons avec l'Espagne. Grâce à un dispositif unique, cinquante personnes agissant pour l'ETA, dont le numéro un et le numéro deux, ont été arrêtées en 2004 sur le sol français.

Au delà de la coopération bilatérale, vous l'avez souligné M. Haenel, c'est surtout à l'échelon du G5 - cette instance informelle des ministres de l'intérieur d'Allemagne, d'Espagne, de France, d'Italie et du Royaume-Uni - que nous sommes en train d'accomplir les avancées les plus importantes.

La réunion de Grenade, des 14 et 15 mars dernier, l'a montré : nos hôtes espagnols avaient choisi de se consacrer plus spécialement à la lutte contre le terrorisme.

En matière d'échange de renseignements, nous allons, sur mon initiative, rendre plus systématiques les échanges de listes de jihadistes, grâce à un réseau commun de points de contact. Dans le domaine opérationnel, nous allons aussi mettre en place un réseau d'alerte rapide pour les vols d'armes de guerre, d'explosifs ou de matière sensible.

Nous voulons également avancer dans deux domaines particulièrement délicats : d'une part, le contrôle des frontières, que nous avons déjà évoqué ; d'autre part, l'harmonisation des cartes d'identité européennes. A cet égard, la France et l'Allemagne ont proposé à leurs trois partenaires de les rejoindre dans le travail commun déjà accompli. Il s'agit d'établir des normes communes pour les cartes d'identité. C'est un chantier essentiel : lors du récent démantèlement de la filière de Romainville-La Courneuve, nous avons découvert de faux documents qui avaient permis de réunir plus de 100 000 euros dont une partie était destinée à des camps d'entraînement.

La France sera l'hôte du prochain G5, sans doute en juillet. Compte tenu des enjeux, j'organiserai, dès le mois de mai, une réunion extraordinaire, consacrée exclusivement au contrôle des frontières.

Cette exigence d'efficacité s'exprime également par le renforcement de la coopération européenne avec les pays tiers. Je pense bien sûr aux Etats-Unis, avec lesquels nous avons beaucoup avancé, notamment en matière de sécurité des transports aériens. Dans ce domaine, je rappelle que la législation sur la sûreté aérienne est fixée par l'OACI, l'Organisation de l'aviation civile internationale, ou relève des directives européennes ; c'est un problème très sensible, notamment pour l'accès aux zones réservées, compte tenu des milliers de salariés qui travaillent dans les aéroports. Nous faisons d'ailleurs l'objet d'inspections de la part des autres pays européens, afin de renforcer notre crédibilité.

Je pense également aux pays du Maghreb, avec lesquels nous renforçons notre coopération pour mieux remonter les différentes filières.

Enfin, la dernière exigence pour la réussite européenne de demain est celle du progrès.

Le traité constitutionnel nous permet d'y répondre et d'aller plus loin dans l'émergence d'une Europe de la sécurité et dans la lutte contre le terrorisme.

D'abord, parce que le traité prévoit d'étendre la majorité qualifiée à la quasi-totalité de la coopération policière et judiciaire en matière pénale. A l'heure actuelle, le fonctionnement du Conseil à l'unanimité ne facilite pas l'harmonisation juridique que j'ai évoquée : des textes comme le mandat d'obtention de preuves ou celui sur la rétention des données de communication en pâtissent. Le futur traité constitutionnel devrait permettre des progrès importants.

Ensuite, le traité constitutionnel permettra d'amplifier les compétences opérationnelles respectives d'Europol et d'Eurojust. Comme vous l'avez souligné à juste titre, monsieur Haenel, il faut mieux les articuler.

Concernant Eurojust, la parution de la circulaire que vous évoquez, monsieur Zocchetto, semble imminente. Toutefois, mon collègue de la justice serait plus à même de vous répondre. Permettez-moi seulement de préciser que la décision du Conseil instituant Eurojust a été transposée par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Notre représentant est désormais en place et la France travaille déjà bien avec cette instance.

Autre apport fondamental du traité constitutionnel, la perspective d'un parquet européen est inscrite dans le texte, un parquet qui sera également compétent en matière de terrorisme.

Le traité renforcera aussi la légitimité des décisions de l'Union européenne grâce à l'extension de la codécision avec le Parlement européen, alors qu'aujourd'hui il est seulement consulté.

Enfin, le traité constitutionnel offre des garanties supplémentaires en matière de protection des libertés publiques, notamment avec l'intégration de la charte des droits fondamentaux.

Ce sont là quelques-unes des avancées majeures inscrites dans le projet de Constitution européenne sur lequel les Français sont appelés à se prononcer.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous le voyons bien, l'Europe, c'est aujourd'hui plus de capacité pour lutter efficacement contre le terrorisme. Si notre action est encore largement à concrétiser, elle est un élément indispensable de notre sécurité. Il ne s'agit pas, pour l'Europe, de se substituer à l'action des Etats membres, il s'agit de la compléter et de l'harmoniser lorsque cela est nécessaire.

Tous ces efforts ne donneront leur pleine mesure que s'ils s'intègrent dans une approche globale. Globale, parce qu'elle fait intervenir toutes les instances, nous l'avons vu. J'y ajouterai une dimension supplémentaire, celle de la sécurité civile. Ainsi, j'organiserai, du 10 au 14 avril prochain, dans la Drôme, un exercice pour tester les capacités de réponse européennes en cas de catastrophe industrielle de grande ampleur. Quatre autres pays y participeront activement : l'Allemagne, la Belgique, l'Italie et la République tchèque.

Mais notre approche doit être globale aussi en faisant un effort en amont, pour réduire les frustrations qui nourrissent le terrorisme : en France et en Europe, nous devons favoriser la meilleure insertion sociale des plus fragiles ; dans les pays du Sud, nous devons mettre en oeuvre une véritable politique de codéveloppement, ferment de paix et de stabilité. Vous savez que c'est là l'un des grands enjeux que veut relever la diplomatie française. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous souhaitions, toutes et tous, poser une série de questions sur le dispositif anti-terroriste à l'échelon tant national qu'européen : les interrogations de tous mes collègues, sans exception, qui se sont exprimés au nom des groupes l'ont prouvé. Nous avons, les uns et les autres, placé le débat au bon niveau : celui de l'intérêt général, du bien commun, et non celui des luttes politiciennes stériles.

Monsieur le ministre, vous avez répondu complètement à toutes nos interrogations, mettant, vous aussi, le débat au niveau élevé qui s'imposait.

Comme les questions l'ont montré, il était nécessaire de dresser un état des lieux et de tracer la route en indiquant les objectifs. Merci, monsieur le ministre, de l'avoir fait, en ayant réservé au Sénat la présentation de l'ensemble de vos réalisations et de votre plan d'action. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.