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Position de l'Union européenne dans les négociations au sein de l'organisation mondiale du commerce avant la conférence de Hong-Kong

Discussion d'une question européenne avec débat.

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question européenne avec débat de M. Jean Bizet à Mme la ministre déléguée au commerce extérieur sur la position de l'Union européenne dans les négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce avant la conférence de Hong Kong.

La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la conférence ministérielle de Hong-Kong aura lieu dans quelques semaines. Elle devra aboutir à un accord sur le cycle de négociations commerciales lancé lors du sommet de Doha en 2001.

Nous devons tout faire pour que cette conférence soit un succès. En effet, en 2003, l'échec retentissant de la conférence de Cancún a constitué un revers pour tout le monde, qu'il s'agisse des pays développés, des pays les plus pauvres ou, d'une manière générale, du multilatéralisme, que certains souhaiteraient voir remis en cause.

En l'absence d'accord en décembre prochain, c'est le fonctionnement même de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, qui pourra être contesté. Pourtant, c'est la seule instance, notamment via son organe de règlement des différends, l'ORD, qui soit capable de réguler le commerce international, et cela au bénéfice de tous. Mais un accord lors de la prochaine conférence ministérielle ne peut évidemment être obtenu à n'importe quel prix.

Quels seront les thèmes de discussion à Hong-Kong ? Contrairement à ce que l'on entend souvent, les négociations ne se limiteront pas aux seuls sujets agricoles. Elles concerneront également les droits de douane des produits industriels, les services, la facilitation des échanges et le développement. Par conséquent, réduire la négociation aux seuls thèmes agricoles serait méconnaître les intérêts essentiels de notre pays et de l'Union européenne, qui réalise plus de 85 % de son commerce extérieur grâce aux produits industriels et de services.

S'agissant de l'agriculture, sujet évidemment essentiel, il existe trois principaux thèmes de négociation : d'abord, la suppression des subventions à l'exportation, qui ont un effet de distorsion du commerce mondial ; ensuite, l'accès au marché par le biais d'une réduction des droits de douane ; enfin, la réforme des soutiens internes.

Sur ces trois thèmes, un accord-cadre est intervenu à Genève le 1er août 2004, et ce, je le rappelle, grâce aux initiatives prises par l'Union européenne. Cette dernière a en effet consenti à faire des concessions difficiles, notamment en acceptant de laisser de côté certains sujets dits « de Singapour » et en annonçant la fin, à une date qui reste à déterminer, de toutes ses subventions à l'exportation.

A l'approche de la conférence de Hong-Kong, il reste à fixer des chiffres et des dates sur les décisions de principe. Quel sera le pourcentage de réduction des tarifs douaniers ? Quelle date sera retenue pour la fin des subventions à l'exportation ? Enfin - et c'est le sujet le plus important -, combien de produits sensibles seront protégés et lesquels ?

Nous savons tous que le commissaire européen au commerce a fait des propositions chiffrées en réponse à une première offre des Etats-Unis, qui proposaient de réduire de 60 % leurs subventions internes. La Commission européenne a en effet répondu en proposant de réduire de 70 % ses aides directes aux agriculteurs et d'abaisser parallèlement ses droits de douane dans une proportion de 20 % à 50 %.

Ces propositions, ainsi que l'idée de limiter à cent soixante le nombre de produits sensibles à protéger, sur un total d'environ deux mille produits agricoles, ont suscité l'émoi de nos agriculteurs et une réaction ferme de notre gouvernement. Un mémorandum a été signé par notre pays et cinq de nos partenaires, à savoir l'Italie, l'Espagne, la Pologne, l'Irlande et la Hongrie.

Cette action commune a montré que nous n'étions pas les seuls à souhaiter préserver les engagements pris en faveur des agriculteurs européens. Par ailleurs, un groupe ad hoc d'experts a été mis en place pour évaluer très précisément l'offre faite par la Commission européenne, ainsi que ses effets sur l'ensemble des filières.

Aujourd'hui, certains voudraient aller plus loin et exigent, par exemple, que Peter Mandelson, le commissaire européen au commerce, ait les mains liées pour l'avenir. Selon eux, la Commission européenne ne défendrait pas suffisamment les intérêts de l'Union, en particulier la préférence communautaire en matière agricole.

Or je ne pense pas que la Commission européenne oublie les intérêts de nos agriculteurs. Le rappel à l'ordre me semble avoir porté ses fruits. Il y a clairement une ligne rouge à respecter, à savoir le mandat donné par le Conseil : il ne faut pas toucher à la réforme de la PAC, négociée jusqu'en 2013. Tout est une question de transparence à l'égard des Etats membres de l'Union, et si celle-ci a sans aucun doute fait défaut ces dernières semaines, le message est, me semble-t-il désormais passé.

Aujourd'hui, la clé des négociations de Hong-Kong se trouve non pas dans les querelles internes à l'Union européenne, mais du côté des Etats-Unis.

Une véritable publicité doit être faite sur le scandale du Farm bill, qui, contrairement à la PAC, n'a pas été réformé. Il le sera au cours de l'année 2007. Le Farm bill n'est plus viable en l'état, ni d'un point de vue international ni d'un point de vue purement budgétaire. Une réforme de l'aide alimentaire américaine, qui constitue une forme de protectionnisme agricole déguisé, est également nécessaire et urgente, même si j'en mesure les difficultés. Rien de substantiel n'a été accordé sur ce point.

En tout état de cause, nos partenaires américains doivent faire des pas significatifs, dans la mesure où l'Union européenne a déjà fait sa part du chemin avec la réforme de 2003, qui a permis le découplage entre la production et les aides aux agriculteurs, et , l'an passé, sa proposition de mettre fin, à terme, aux subventions à l'exportation.

En clair, l'Union européenne ne peut payer seule le prix de l'ouverture des marchés agricoles et elle ne doit pas le payer en deux fois.

Ce n'est qu'après avoir obtenu des assurances sur une réforme des aides agricoles américaines, qui, je le rappelle, passe par une décision du Congrès - le mode de fonctionnement est différent de celui de l'Union européenne - que nous pourrons parvenir à un accord détaillé sur les concessions, y compris sur la liste des produits sensibles à protéger.

Cette liste devra être élaborée avec la plus grande attention, car elle désignera très précisément les secteurs agricoles que nous entendons protéger. Notre attitude doit être constructive, et non défensive. Nous ne devons pas faire de procès d'intention à la Commission européenne, sachant qu'elle sera amenée à rendre des comptes. Si le compte n'y est pas, il n'y aura pas d'accord à Hong-Kong.

Un autre point de la discussion est l'équilibre qui doit être trouvé entre les trois grands piliers de la négociation : l'agriculture, l'industrie et les services, et le développement. Toutefois, ne nous faisons pas d'illusions : ces négociations ne pourront pas aboutir à un résultat très avancé s'agissant de l'industrie et, surtout, des services, pour lesquels les échanges d'offres n'en sont aujourd'hui qu'à un stade préliminaire.

Pour autant, il me semble qu'un message fort doit désormais être adressé aux grands pays émergents comme la Chine, l'Inde ou le Brésil. Ces pays, qui sont encore très fermés dans le domaine industriel et dans le domaine des services, alors même que leurs marchés sont en pleine expansion, tout en réclamant toujours plus à l'Union européenne en matière agricole. Leurs tarifs industriels connaissent des pics allant de 15 % à 60 %, alors que la moyenne des tarifs industriels de l'Union européenne se situe à 4 %. Cette situation n'est pas acceptable. Il n'est plus possible d'adopter la même position à l'égard des pays les moins avancés, dont les économies - et les régimes - sont fragiles, et à l'égard de ces pays, qui deviennent extrêmement dynamiques.

En effet, ce sont d'abord ces grands pays émergents, avant les pays les plus pauvres, qui profitent d'une libéralisation croissante des échanges agricoles et industriels. Des avancées significatives devront être faites sur ces sujets à Hong-Kong, sinon, à l'évidence, l'accord ne sera pas équilibré.

Les négociations entre l'Union européenne et le Mercosur, en Amérique latine, ont échoué parce que, en contrepartie de concessions agricoles, aucune offre crédible ne nous avait été faite sur l'ouverture des marchés industriels et de services de ces pays. Sur ce sujet, les Etats membres de l'Union européenne peuvent, me semble-t-il, parvenir à un consensus. En tout état de cause, il apparaît clairement qu'un accord limité au seul volet agricole serait purement et simplement inacceptable.

L'Union européenne ne doit pas avoir peur de mettre en valeur des dossiers très importants pour l'avenir, comme le respect des indications géographiques protégées ou la protection de la propriété intellectuelle. Le commerce international, ce n'est pas seulement des échanges libéralisés et la suppression des droits de douane, c'est également une concurrence loyale entre les Etats. Pour cela, les règles de protection des origines et de fabrication des produits doivent être respectées. Or, plusieurs Etats membres de l'OMC ne respectent pas ces règles ou refusent d'en discuter : nous ne devons pas l'accepter, pour des raisons liées à l'histoire et à la formation de l'Union européenne.

En ce qui concerne les pays pauvres, il est important de souligner - on ne le dira jamais assez - qu'il n'y a pas d'opposition entre leurs intérêts et les nôtres. En effet, ces pays bénéficient de préférences spécifiques de la part de l'Union européenne, qui importe, rappelons-le, 80 % de leur production agricole. En outre, la défense d'une certaine exception agricole les avantage également. Qui pourrait dire, par exemple, que la libéralisation totale des marchés agricoles serait profitable aux économies des pays pauvres, dont la seule richesse repose parfois sur des monocultures ? Dans un monde entièrement libéralisé, ces pays n'ont que peu de chances.

L'exemple du textile a montré en effet que ces pays souffraient d'un effet de masse des grands pays émergents. Il faut donc continuer de leur offrir des avantages comparatifs par rapport au reste du monde, comme le système des préférences généralisées.

Mais il faudra aussi que la conférence de Hong-Kong permette des avancées significatives sur des sujets comme le coton, qui avait été la cause principale de l'échec de la conférence de Cancún en 2003. La création d'un sous-comité coton, au sein de l'OMC, n'est pas du tout à la hauteur de leurs attentes et des enjeux.

En conclusion, madame la ministre, je voudrais souligner combien il me semble indispensable qu'un débat parlementaire ait lieu sur ces sujets essentiels qui concernent l'ensemble de notre économie et l'avenir de l'agriculture dans notre pays et au sein de l'Union européenne.

Je regrette qu'un tel débat parlementaire ne soit pas systématique avant toute prise de position de notre gouvernement à Bruxelles, comme cela se passe par exemple au Danemark. Les parlementaires français sont trop souvent mis devant le fait accompli et amenés à devoir justifier des choix sur lesquels ils n'ont pas été consultés.

Je vous remercie donc, madame la ministre, d'être présente pour nous indiquer très précisément l'état actuel des négociations, la position du gouvernement français et les propositions faites par la Commission européenne et nos partenaires pour la conférence de Hong-Kong. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, tout d'abord, de saluer l'initiative de notre collègue Jean Bizet, qui est à l'origine de notre débat d'aujourd'hui.

Cette initiative répond pleinement au souci de revaloriser l'approche des questions européennes au Parlement et de mieux faire comprendre les débats communautaires. Nous devons intervenir en temps utile, c'est-à-dire avant que les décisions soient prises : c'est le cas aujourd'hui, puisque ce débat a lieu bien en amont des négociations de Hong-Kong, qui se dérouleront du 13 au 18 décembre prochain.

L'intervention du Parlement en amont deviendra, je l'espère, de plus en plus souvent la règle. En tout cas, le Premier ministre nous en a fait la promesse. Déjà, le 15 juin dernier, le Gouvernement avait accepté, et c'était une première, un débat en séance publique avant le Conseil européen, afin que nous puissions connaître ses intentions et lui faire part de nos observations. J'espère que cette expérience se renouvellera. Il est très important en effet que les parlementaires puissent agir en amont, plutôt que de constater et de se désoler des résultats de négociations communautaires qui seraient prises en charge et orientées par les seuls gouvernements.

Plusieurs dossiers importants, qu'il s'agisse de la directive dite « Bolkestein » ou d'autres textes moins médiatiques, ont montré qu'il était nécessaire d'avoir un débat d'orientation politique avant d'engager les discussions avec nos partenaires.

Je vous remercie vivement, madame la ministre, d'avoir accepté de venir nous présenter les enjeux de ces négociations et la position du Gouvernement. Cela nous permettra peut-être de relativiser ce que nous lisons dans les journaux, entendons à la radio et voyons à la télévision.

Sur le fond, je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit Jean Bizet, qui connaît très précisément les dossiers commerciaux et le fonctionnement de l'OMC.

L'enjeu des négociations commerciales de Hong-Kong est d'abord et avant tout un enjeu de développement pour les pays les plus pauvres, qui souffrent d'une concurrence parfois faussée - je pense en particulier au dossier du coton -, mais aussi pour nos économies, qui bénéficieront de l'ouverture des marchés extérieurs, lesquels sont actuellement en pleine croissance, en Asie ou en Amérique Latine.

Récemment, l'entrée massive de textiles chinois a légitimement suscité l'émoi et conduit l'Union européenne à négocier des quotas d'importation pour permettre la restructuration de nos industries. En échange de ces ouvertures, douloureuses pour certains secteurs d'activité, nous devons conquérir des marchés extérieurs, dans des secteurs à plus forte valeur ajoutée comme les transports, la téléphonie et les services.

S'agissant de l'agriculture, nous devons sans cesse réaffirmer, à temps et à contretemps, qu'il ne s'agit pas d'un bien comme un autre. Au-delà de l'aspect économique, l'agriculture est en effet un élément du patrimoine européen - et pas seulement français -, un aspect de l'équilibre territorial, social et environnemental de nos pays.

L'Union a besoin d'une politique agricole commune. Si cette politique doit faire l'objet d'adaptations - cela a souvent été le cas ces dernières années -, nous ne devons jamais en perdre de vue les conséquences sur l'aménagement du territoire de l'Europe, la sauvegarde de ses paysages, parties intégrantes de son identité. Il faut certes savoir évoluer, mais sans sacrifier l'essentiel.

Je pense, madame la ministre, que vous nous confirmerez que, sur ce point, un grand nombre d'Etats membres sont en accord avec la France.

Sur les sujets industriels et les services, je rappellerai principalement que, tout comme en matière agricole, il existe des garde-fous, en particulier en ce qui concerne le respect des services publics et de la diversité culturelle.

S'agissant des services publics, l'accord dit « AGCS » - accord général sur le commerce des services - a suscité des craintes dans les collectivités territoriales quant à une possible ouverture à la concurrence des services d'intérêt général, comme la distribution de l'eau. Ces craintes sont infondées, car la Commission a formellement exclu ce type d'offres. D'autres pays pourront le proposer, mais pas l'Union.

Concernant la diversité culturelle, je me félicite de la récente adoption de la Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, qui constitue une arme juridique supplémentaire pour exclure les produits culturels des procédures habituelles de libéralisation des échanges.

Par ailleurs, comme Jean Bizet, je souligne que le débat public ne doit pas porter uniquement, comme c'est le cas en ce moment, sur le respect par la Commission européenne de son mandat. Certes, ce thème est important, mais il ne doit pas occulter la nécessité, pour l'Union européenne, d'être un interlocuteur unique pour l'OMC et de développer une véritable stratégie de négociation.

A ce propos, je voudrais rappeler le cadre juridique des négociations commerciales - cela me semble nécessaire, et c'est mon job ! Celles-ci sont régies par l'article 133 du traité instituant la communauté européenne.

En vertu de cet article, « si des accords avec un ou plusieurs Etats ou organisations internationales doivent être négociés, la Commission présente des recommandations au Conseil, qui l'autorise à ouvrir les négociations nécessaires ». Le Conseil donne donc un mandat de négociation à la Commission. Pour les négociations de Seattle, le Conseil Affaires générales du 25 octobre 1999 avait ainsi déterminé les grandes lignes du mandat de négociation de la Commission.

Par ailleurs, « les négociations sont conduites par la Commission en consultation avec un comité spécial désigné par le Conseil [...]. La Commission fait régulièrement rapport au comité spécial sur l'état d'avancement des négociations ».

Ainsi, les outils juridiques existent pour permettre une véritable transparence des négociations : le comité spécial, dit « comité 133 », désigné par le Conseil, se réunit régulièrement, tout en laissant à la Commission le soin de conduire les négociations. A cela, il faut bien évidemment ajouter les comités d'experts qui doivent appuyer le rôle du comité 133.

Enfin, il faut rappeler que, toujours en vertu de l'article 133 du Traité, le Conseil statue à la majorité qualifiée, c'est-à-dire qu'aucun Etat membre, pris isolément, ne dispose du droit de veto.

Certaines dispositions requièrent cependant l'unanimité si l'accord comprend des dispositions pour lesquelles l'unanimité est requise pour l'adoption de règles internes, ou pour un accord qui concernerait le domaine des services culturels et audiovisuels, des services d'éducation, ainsi que des services sociaux et de santé humaine, qui relèvent de la compétence partagée entre la Communauté et ses Etats membres.

Il est utile de rappeler sans cesse ces règles, qui sont les fondamentaux des négociations qui seront menées à Hong-Kong au mois de décembre prochain.

Ces règles doivent nous conduire, me semble-t-il, à adopter une double attitude de vigilance et de confiance à l'égard de la Commission : vigilance quant au respect de nos intérêts et quant à l'expression, le cas échéant, de nos désaccords ; confiance dans les capacités de négociation de la Commission européenne, qui dispose seule de la légitimité pour négocier au nom de tous. Ce n'est qu'à ce prix que le cycle de Doha pourra se conclure sur un succès. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

(Mme Michèle André remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, moins de cinquante jours nous séparent du prochain sommet de l'OMC, qui se tiendra à Hong-Kong, du 13 au 18 décembre prochain.

Les négociations commerciales, qui ont commencé avec succès à Doha en 2001, et qui ont « trébuché » à Cancún en 2003, ont-elles, dans ce court délai, une chance d'aboutir à un accord global équilibré, respectueux des intérêts de l'ensemble des pays ?

Nous voulons, bien entendu, le croire, tant nous avons besoin de réguler les échanges mondiaux, de garantir aux pays les plus pauvres les conditions de leur développement, et, s'agissant de la France, de favoriser le développement de nos entreprises à l'exportation, qui constitue bien sûr un vivier d'emplois très important.

Toutefois, si l'accord de Genève, conclu en juillet 2004, nous laissait espérer une relance positive du cycle, les récents développements sur la question agricole font naître de sérieuses craintes quant à son issue.

Avant d'aborder cette question agricole, placée, depuis plusieurs années, au centre des débats, je souhaite exprimer un regret d'ordre général et une interrogation.

Le regret porte sur le sort de la déclaration adoptée à l'issue du sommet de Doha, après le 11 septembre 2001. Elle avait placé le développement au coeur du cycle de négociations. Force est de constater que, sur ce sujet, peu d'avancées réelles ont été enregistrées, qu'il s'agisse, par exemple, du coton ou de l'accès aux médicaments.

Sur le coton, malgré leur condamnation par l'OMC, les Etats-Unis n'ont toujours pas réformé leur système de soutien de manière satisfaisante, alors même que les subventions accordées à leurs producteurs atteignaient 3,9 milliards de dollars en 2002.

Or les pays regroupés dans le G90 ont récemment laissé entendre qu'ils feraient échouer la conférence de Hong-Kong s'il n'y avait pas d'accord dans ce domaine, qui, il faut le rappeler, avait largement contribué à l'échec de Cancún. Sur ce dossier emblématique, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer où en sont les négociations ?

J'en viens à la question des médicaments.

La France, qui s'était particulièrement investie dans ce dossier, s'était réjouie de l'accord qui avait pu être trouvé en 2003 sur ce sujet. Toutefois, la mise en oeuvre concrète de l'accord se heurte aujourd'hui à des obstacles. Faute d'adoption d'un amendement à l'accord sur la propriété intellectuelle de l'OMC, les avancées dans ce domaine demeurent aujourd'hui très limitées. Pouvez-vous nous donner des précisions, madame la ministre, sur la traduction juridique des engagements pris en 2003 ?

Sur ce sujet du développement, l'Union européenne, et singulièrement la France qui, par la voix de son président, avait lancé une initiative en faveur de l'Afrique, peut et doit jouer un rôle moteur.

Pouvez-vous à cet égard, madame la ministre, nous donner votre sentiment sur la possibilité que soit étendue l'initiative européenne « Tout sauf les armes », qui consiste à laisser entrer dans l'Union, sans aucun droit de douane, les produits émanant des pays les plus pauvres ?

J'aborde à présent ce qui occupe le coeur de l'actualité.

Nous ne pouvons que déplorer, tout d'abord, qu'une fois de plus la négociation commerciale soit « prise en otage » par le volet agricole. La réforme de la PAC, en 2003, ne devait-elle pas être « pour solde de tout compte » ? Comment se fait-il que l'Union européenne, qui a réformé sa politique agricole avant de négocier, se trouve aujourd'hui, une fois de plus, en situation défensive face aux Américains qui vont aller négocier, eux, sans avoir réformé leur politique ?

Celle-ci aboutit pourtant, il faut le rappeler, à ce que les deux millions de fermiers américains soient individuellement plus soutenus que les quinze millions d'agriculteurs européens.

Nous ne pouvons également que déplorer que ne soient pas davantage prises en compte toutes les formes d'aides, notamment les systèmes américains de crédits à l'exportation, ou d'aide alimentaire, qui déstabilisent bien plus les marchés mondiaux que la politique européenne.

Il convient de rappeler, à ce point de la discussion, que le marché européen est le plus ouvert de tous les marchés mondiaux, et que l'Union, en acceptant six fois plus d'importations en provenance des pays africains que les Etats-unis, est le plus gros importateur de produits agricoles au monde.

Malgré cette situation, malgré la réforme de 2003, et malgré l'avancée sur les restitutions aux exportations en 2004, la Commission européenne paraît être entrée dans une dynamique de concessions unilatérales face aux Etats-unis et aux pays du groupe de Cairns, qui seront probablement les grands gagnants de cette dynamique.

Or nous ne pouvons accepter qu'un accord équilibré, qui sanctionne toutes les formes de soutien à l'exportation, y compris l'aide alimentaire, celle-ci devant se faire uniquement sous forme de dons et répondre à un besoin constaté internationalement.

Pouvez-vous, à cet égard, madame la ministre, nous donner des éléments précis s'agissant de l'impact qu'aurait sur la politique agricole commune la proposition de la Commission de réduire les droits de douane sur les produits agricoles de 20 à 50 % ? Pouvez-vous également nous donner des précisions sur l'expertise commandée au niveau européen afin de déterminer si le mandat de la Commission a été outrepassé ? Enfin, pouvez-vous nous éclairer sur la position de nos partenaires européens ?

S'agissant ensuite de la filière viticole, qui représente tout de même 80 % de notre excédent agricole à l'exportation, l'Union européenne et les Etats-Unis ont trouvé, après des années de discussions, un accord sur le commerce viticole, qui prévoit de mieux protéger les dénominations des vins communautaires.

Toutefois, les Américains pourront continuer, sous certaines conditions et pour une période limitée, à utiliser certaines expressions traditionnelles, ce qui pose problème. Une deuxième phase de négociation va s'ouvrir : peut-on imaginer qu'à son terme les Américains renoncent totalement, pour leur production de vins, à utiliser des dénominations européennes ?

Pouvez-vous également nous indiquer, de manière plus générale, les progrès qui peuvent être espérés sur la question des indications géographiques, indispensables pour bonifier la valeur ajoutée de notre agriculture ?

Pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, madame la ministre, nous souhaitons - et nous savons que le Gouvernement l'a instamment demandé à la Commission - que les négociations soient recentrées sur l'industrie et les services. L'Union, en la matière, a des intérêts offensifs majeurs à faire jouer, avec une moyenne tarifaire aux alentours de 4 %, et un secteur industriel qui représente 85 % des exportations françaises.

Sur cette question, comme sur l'agriculture, il nous faut trouver les moyens d'une plus grande différenciation entre les pays les plus pauvres et les pays émergents, qui maintiennent des barrières douanières très élevées, avec des tarifs qui varient entre 20 et 40 %. Il faut, à cet égard, rappeler que le PIB par habitant au Brésil s'élève à 3 100 dollars, quand celui du Ghana se situe à 320 dollars, soit dix fois moins. Les grands pays émergents, qui ont bénéficié de l'ouverture des échanges, doivent dorénavant ouvrir leur propre marché, notamment aux pays les moins avancés, comme l'a fait l'Union européenne.

Enfin, nous avons des interrogations sur certains facteurs susceptibles d'influencer les négociations. Il y va ainsi du comportement à attendre des groupes de pays qui avaient été en partie à l'origine de l'échec de Cancún. Les coalitions du G90 et du G20, qui affichent des intérêts commerciaux très concentrés sur un petit nombre de sujets, voire de productions, sont-elles capables de formuler des compromis sur une vision d'ensemble de la négociation ? Par ailleurs, quel pourra être le rôle du directeur général de l'OMC, qui a pris ses fonctions il y a quelques mois seulement ? Enfin, l'échec de Cancún avait mis en lumière la nécessité d'un certain nombre de réformes structurelles de l'OMC. Une réforme de cette structure est-elle envisagée ?

En formulant à nouveau le souhait que la conférence de Hong-Kong puisse déboucher sur un accord, je vous remercie par avance, madame la ministre, des précisions que vous pourrez nous apporter sur l'ensemble de ces questions. ((Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Alain Gournac. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Ries.