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MISE en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire

Débat de contrôle budgétaire sur un rapport d'information

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle un débat de contrôle budgétaire sur le rapport d'information établi par M. Roland du Luart, au nom de la commission des finances, sur la mise en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire (n° 478, 2004-2005).

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question des frais de justice figure logiquement en tête du rapport d'information que la commission des finances m'a autorisé à publier à la suite du contrôle budgétaire que j'ai effectué cette année sur la mise en oeuvre de la LOLF au sein des juridictions judiciaires, en ma qualité de rapporteur spécial pour la justice.

Le point de vue que je vais exposer et, surtout, les questions que je vais vous adresser, monsieur le ministre, le seront au nom de la commission des finances, qui a adopté mon rapport à l'unanimité. J'attends donc avec grand intérêt vos réponses dans la perspective de mon prochain rapport budgétaire.

Les frais de justice - expertises, écoutes téléphoniques, interprétariat notamment - sont, comme vous le savez, mes chers collègues, les dépenses laissées à la charge du budget de l'Etat dès lors qu'elles n'incombent pas à une partie à une procédure.

Ces dépenses, qui incluent aussi les frais d'enquête des officiers de police judiciaire, les OPJ, connaissent un taux de progression de plus en plus élevé. Après avoir augmenté de 30 % en deux ans, entre 2001 et 2003, les frais de justice ont connu un bond de presque 23 % au cours de la seule année 2004, pour laquelle la dépense s'est élevée à 419 millions d'euros.

Difficiles à évaluer précisément en amont, les frais de justice, jusqu'à présent évaluatifs, vont devenir limitatifs dans le cadre de la LOLF, applicable dans sa totalité à partir de l'exercice 2006, donc pour le projet de loi de finances que nous allons aborder dans quelques jours.

Les trois quarts des frais de justice ont trait à la procédure pénale : les frais médicaux représentent 25 % de cette dépense et les réquisitions d'opérateurs téléphoniques 27 %.

Pourquoi une telle évolution ?

A l'origine des frais de justice, doit aussi être évoquée une législation instable, particulièrement depuis une bonne dizaine d'années, coûteuse et mal évaluée quant à son impact financier, comme mon rapport écrit en donne quelques exemples.

Je sais que, sur ce point, la responsabilité est partagée entre le Gouvernement et le Parlement. Toutefois, les instruments d'évaluation du coût des mesures législatives sont plus entre les mains de l'administration que de celles du Parlement. Aurons-nous enfin droit désormais à une étude d'impact financier, sincère et sérieuse à l'occasion de chaque réforme ?

A ce sujet, vous n'ignorez pas que l'instabilité législative en matière pénale est coûteuse en moyens. Est-il vraiment nécessaire de réformer le code pénal chaque année ?

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Il faut aussi évoquer les dérives d'une « gestion à tâtons » des frais de justice. Le prescripteur a pu parfois penser qu'il disposait d'un « droit de tirage » sans limite, puisque les crédits en cause étaient évaluatifs. Faut-il vraiment mettre sur écoute un téléphone portable volé ?

Je note cependant une prise de conscience positive au sein des juridictions, laissant espérer un infléchissement de l'évolution. Il faut souligner ce point, que j'ai relevé lors de mes nombreux entretiens avec des magistrats et des greffiers : leur prise de conscience est bien réelle.

Certes, le champ des expertises et leur coût ont évolué sensiblement, et cela ne peut être occulté. Cependant, sans remettre en cause la « liberté de prescription du magistrat », il faut bien reconnaître, comme l'a fait en septembre 2004 votre prédécesseur, M. Dominique Perben, que la gestion des frais de justice pourrait être améliorée, grâce, en particulier, à la connaissance des coûts par les magistrats et à l'introduction de l'appel à la concurrence.

Dans le projet loi de finances pour 2006 comme dans les précédents, la justice a bénéficié d'une priorité. Or, sur l'exercice 2004- je parle donc non pas des prévisions, mais des réalisations -, pas moins de 90 % de l'augmentation des crédits effectivement consommés pour le fonctionnement des services judiciaires ont été absorbés par la majoration des dépenses de frais de justice : 78 millions d'euros de progression en 2004 !

Il faut donc être clair : la LOLF n'a fait que révéler l'urgence du redressement de la dérive des frais de justice. A défaut de ce redressement, à quoi bon poursuivre l'augmentation du budget de la justice ?

Dans votre présentation du budget de la justice, il est écrit que « dans un contexte budgétaire contraint, la justice demeure une priorité pour l'Etat, avec une augmentation de 4,6 % à périmètre constant ».

Monsieur le garde des sceaux, on peut, dès lors, se demander où se situe la priorité, si une grande partie de l'augmentation des crédits destinés aux juridictions est absorbée par celle des frais de justice.

Les magistrats expriment la crainte de ne plus pouvoir diligenter des enquêtes dès lors que l'enveloppe de crédits limitatifs serait épuisée. Une telle perspective doit en effet être repoussée, car la justice est due à tous les citoyens, douze mois sur douze et 365 jours par an ! Mais, pour écarter cette crainte, il nous faut un budget sincère, comme l'exige l'article 32 de la LOLF.

J'ai précisément fait valoir, dans mon rapport, qu'il convenait, transparence budgétaire oblige, de mettre fin à une habitude de sous-estimation des frais de justice lors de la présentation du projet de loi de finances de l'année. Le montant des crédits proposés devra désormais être respecté en exécution.

L'écho favorable que la Chancellerie a réservé à mon rapport publié le 14 septembre dernier, auquel j'ai été très sensible, me laissait espérer une évaluation réaliste des frais de justice dans le projet de loi de finances pour 2006, présenté deux semaines plus tard.

Vous comprendrez donc ma déception de constater qu'il n'en était rien, alors même que les crédits sont maintenant limitatifs. J'ai retracé dans mon rapport d'information, à la page 9, les chiffres de l'évolution de ces dépenses depuis 1999, en distinguant la dotation initiale de la dépense effective.

Pour 2004, dernier exercice clos, on a dépensé 419 millions d'euros. Et nous sommes sur la base d'une augmentation de plus de 20 % par an, précisément 22,87 % en 2004.

Or, dans le projet de loi de finances pour 2006, les crédits de frais de justice ne « s'élèvent », si je puis dire, qu'à 370 millions d'euros. Comme on nous l'explique dans la même présentation, « une mesure d'ajustement à hauteur de 12 millions d'euros est prévue au titre de l'évolution tendancielle de frais de justice et que ce montant pourra être complété en gestion 2006, dans une limite estimée de 50 millions ».

Monsieur le garde des sceaux, est-il transparent de prévoir sur les crédits de provision gérés par Bercy une partie, insuffisante au demeurant, des frais de fonctionnement des juridictions, alors même que le compte spécial « Provisions » n'a, en l'occurrence, de justification que pour les accidents très souvent dramatiques, comme le fut l'incendie du tunnel du Mont-Blanc ?

De plus, on est très loin du compte. Sur la base d'une majoration qui serait, par hypothèse, limitée à 20 % l'an, nous arriverions à 600 millions d'euros pour 2006, à comparer aux 370 millions d'euros que vous nous annoncez.

Monsieur le garde des sceaux, je souhaite d'abord une explication précise sur votre évaluation budgétaire. La commission des finances n'ignore pas les contraintes du budget de la France, mais pourquoi sous-évaluer, tout en disant que les frais de justice seront payés de toute façon ? A quoi cela sert-il ?

Il nous faut tous ensemble, et vous le premier, contribuer positivement au développement de la culture de gestion au sein des juridictions, alors même que cette sous-estimation est déjà déplorée dans les palais de justice.

Est-il possible que la politique de maîtrise des frais de justice, politique fort opportunément engagée par la Chancellerie, porte effectivement ses fruits dès le tout début de l'année 2006, c'est-à-dire dans deux mois ? Il me semble que la politique de la Chancellerie en la matière constitue plutôt une oeuvre de longue haleine. Monsieur le garde des sceaux, peut-on raisonnablement espérer pour l'exercice prochain l'essentiel des économies à attendre des nouvelles orientations ?

En ma qualité de rapporteur spécial, je serai tenu de prendre en compte vos engagements de cet après-midi lorsque je rapporterai votre projet de budget devant la commission des finances, le 17 novembre prochain. Je suis donc très impatient de vous entendre, car je ne demande qu'à accompagner et à encourager votre démarche de maîtrise des frais de justice.

En effet, il n'est pas trop tard pour rectifier le tir durant la procédure budgétaire en cours. A défaut, je ne doute pas que notre nouveau droit d'amendement sur les crédits serait mis à contribution !

La première solution serait la meilleure, car vous pourriez majorer les crédits de la mission, ce qui serait plus satisfaisant que de compter sur Bercy pour « abonder en cours de gestion ».

La transparence exige l'annonce des vrais chiffres, avec une bonne imputation dès le départ. Vous m'avez compris, 50 millions d'euros ne suffiront pas à l'affaire. Et il faudra trouver une compensation financière à l'augmentation de crédit. Or, les crédits pour l'aide juridictionnelle sont peut-être aussi sous-estimés et le niveau d'emploi des greffes est insuffisant pour répondre aux exigences de gestion fixées par la LOLF.

Je n'oublie pas non plus les difficultés du budget du programme « Protection judiciaire de la jeunesse », qui traîne un long passif à apurer. Cette difficulté ne doit pas nous empêcher de faire notre devoir et, dans les limites de l'article 40 de la Constitution, je ferai aussi mon possible pour rendre ce budget encore plus sincère.

Ainsi, une initiative de votre part constituerait un signal positif pour les juridictions. Tel est le sens de mon appel de ce jour que, j'en suis sûr, vous comprendrez comme une manière positive de soutenir votre démarche de maîtrise des frais de justice dans le cadre constitutionnel de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Par ailleurs, je m'inquiète de la prise en charge par le budget de votre mission, monsieur le garde des sceaux, des frais de justice engagés par les services de police et de gendarmerie. L'indépendance de l'autorité judiciaire commande que les dépenses faites sous l'autorité d'un juge soient financées par votre mission. En revanche, on peut se poser la question pour les frais de justice diligentés « hors sphère » de la justice. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

En effet, si des marges de progression sensibles existent, la Chancellerie a engagé, je le sais, un effort de rationalisation louable que je tiens à saluer. Le « plan de bataille » du ministère de la justice est exposé en détail dans mon rapport d'information écrit, auquel je vous renvoie.

Je souhaiterais, monsieur le garde des sceaux, que vous puissiez donc dresser un bilan de la mise en oeuvre de ce « plan de bataille ».

Je vais maintenant évoquer, plus brièvement, les incidences pour la justice judiciaire de la sortie des juridictions administratives de la mission « Justice ». Je sais, en effet, que notre collègue Yves Détraigne, rapporteur pour avis, souhaite exposer le point de vue de la commission des lois, qui n'a pas encore eu l'opportunité de le faire, et je crois savoir que nos points de vue sont très proches.

Il a donc été créé une mission « Conseil et contrôle de l'Etat », rassemblant non seulement la Cour des comptes et les autres juridictions financières, mais aussi le Conseil d'Etat et les autres juridictions administratives ainsi que le Conseil économique et social

Cet arbitrage, incontestable pour la Cour des comptes, profite donc aussi à l'ensemble des juridictions financières, c'est-à-dire les chambres régionales des comptes, et des juridictions administratives, c'est-à-dire les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs. De ce fait, les juridictions administratives ont été sorties de la mission budgétaire « Justice ».

Les conséquences d'une telle décision sur les juridictions judiciaires ne me semblent pas avoir été totalement évaluées. La tentation d'éclatement de la mission « Justice » ne peut être écartée, comme diverses réactions le laissent imaginer. Des exemples en ce sens sont cités dans mon rapport d'information.

Notre collègue Yves Détraigne m'a convié, la semaine dernière, à une audition du premier président de la Cour de cassation. M. Guy Canivet a évoqué l'intérêt qu'il y aurait, selon lui, à procéder à une scission du programme « Justice judiciaire » en deux programmes distincts, l'un pour les activités proprement juridictionnelles, correspondant à celles du siège, et l'autre concernant les moyens accordés au parquet.

Dans le cadre de notre concertation habituelle avec la commission des lois, je laisse le soin à son rapporteur pour avis d'évoquer plus longuement ce point.

Je me pose seulement une question. Les conséquences que cela entraînerait pour l'organisation judiciaire seraient importantes. Peut-on régler une telle matière dans un cadre budgétaire, ou le traitement de cette question de fond ne doit-il pas, au contraire, précéder l'examen de ses conséquences sur le plan budgétaire ?

L'indépendance de la justice judiciaire est-elle moins précieuse que celle de la justice administrative ? Comme vous le savez, monsieur le garde des sceaux, la commission des finances a peu apprécié la sortie des juridictions administratives de la mission budgétaire « Justice », opérée dans le but affiché de préserver les spécificités de ces juridictions, alors même que l'article 64 de la Constitution garantit l'indépendance de l'autorité judiciaire et que son article 66 fait de cette autorité la gardienne des libertés individuelles.

La commission des finances a donc préconisé le regroupement dans une seule mission des juridictions judiciaires et administratives, ce qui n'empêcherait pas, bien au contraire, la nécessaire adaptation de certaines règles budgétaires à leurs spécificités.

En réponse à certaines interrogations exprimées au sein des juridictions judiciaires, le 23 mai 2005, votre prédécesseur, Dominique Perben, a indiqué que le Premier ministre lui avait exprimé son accord « pour poser le principe qu'il n'y ait plus de gel imposé aux juridictions judiciaires, au même titre que pour les juridictions administratives et financières ». En d'autres termes, un même régime financier spécifique serait accordé aux juridictions financières, administratives et judiciaires. Celui-ci les protégerait en particulier de mesures de gel.

Ces assurances ne semblent pas avoir atténué l'émotion ressentie au sein de certaines juridictions. C'est pourquoi il me semble que la situation nouvelle a brouillé quelque peu l'image de la LOLF dans les juridictions judiciaires.

Quoi qu'il en soit, pouvez-vous nous indiquer très précisément, monsieur le garde des sceaux, quelles règles dérogatoires seront accordées aux juridictions judiciaires ? Des textes en ce sens seront-ils pris et, si oui, leur publication interviendra-t-elle avant l'ouverture de l'exercice budgétaire 2006 ?

Le temps me manque pour évoquer aussi longuement qu'elle le mériterait la déconcentration : certains se demandent si la LOLF ne va pas parfois conduire à une  reconcentration, ce qui serait alors pour le moins paradoxal.

Il est possible que le sentiment d'une reconcentration au niveau des cours d'appel, sentiment exprimé par certains magistrats que j'ai rencontrés et dont je rends compte dans mon rapport d'information, corresponde à une insuffisance de capacité de gestion au niveau des tribunaux de grande instance. Il me paraît nécessaire, pour répondre à cette préoccupation, que ces tribunaux « fassent le poids » en termes de capacité de gestion et puissent ainsi contribuer à un dialogue de gestion renforcé avec les cours d'appel.

J'ai tenu à recueillir le sentiment des coordinateurs et des personnels exerçant au sein des services administratifs régionaux, les SAR, que j'ai rencontrés. Il me semble que ces acteurs de terrain témoignent d'une réelle volonté de répondre aux changements de procédure induits par la LOLF, quelle que soit la difficulté de la tâche. En revanche, coordinateurs et personnels exerçant dans les SAR expriment quelques inquiétudes quant aux moyens dont ils disposent pour répondre au « défi » qui leur est lancé.

Monsieur le garde des sceaux, vous l'avez compris, à toutes ces interrogations, nous attendons, de votre part, des réponses !

Pour conclure provisoirement, je dirai que la LOLF, dans la justice comme ailleurs, bouscule les habitudes. Les conditions accélérées de sa mise en oeuvre ne simplifient pas les choses, ne permettant pas une suffisante concertation et une bonne circulation de l'information.

Encore faut-il encourager ce mouvement et ne pas sous-estimer les frais de justice dans le projet de loi de finances pour 2006. Le signal a été fort mal compris. Je sais que vous allez remédier au problème, monsieur le garde des sceaux et, à l'avance, je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le garde des sceaux, je voudrais vous dire dans quel esprit nous avons souhaité ce débat.

Depuis le début de l'année 2005, la commission des finances estime de son devoir de veiller à ce que la LOLF puisse être l'instrument de la maîtrise de la dépense publique et contribuer à ce cercle vertueux tendant à réduire les déficits publics et à répondre aux préoccupations de nos concitoyens.

Les rapporteurs spéciaux se livrent à des missions d'investigation qui font l'objet de rapports d'information. Depuis le début de l'année, nous avons ainsi pu soumettre à discussion, au sein de la commission, un certain nombre de ces rapports.

Il nous est apparu qu'un dialogue en séance publique, à l'occasion des « fenêtres parlementaires », pouvait constituer un bon usage de cette faculté laissée à chacune des chambres d'organiser un débat avec le Gouvernement. Il peut, certes, s'agir de l'examen de propositions de loi, mais cela peut aussi concerner les suites à donner à tel ou tel rapport d'information.

C'est la raison pour laquelle, après que Roland du Luart eut présenté un excellent rapport d'information sur la mise en oeuvre de la LOLF dans la justice judiciaire, nous avons estimé qu'il était judicieux de pouvoir en discuter aujourd'hui avec vous, monsieur le garde des sceaux.

Un tel débat n'est d'ailleurs pas le premier du genre, puisque, au printemps dernier, nous avons eu l'occasion de débattre avec certains de vos collègues du Gouvernement du statut de la Sopexa, ainsi que de la gestion immobilière du Quai d'Orsay. En outre, pas plus tard qu'hier, nous discutions de la gestion de la dette publique. Ainsi, le présent débat est le quatrième à être organisé dans le cadre de la mise en oeuvre de la LOLF.

Je vous remercie infiniment, monsieur le garde des sceaux, de vous être prêté à cet exercice. C'est pour nous une façon de préparer la discussion du projet de loi de finances. Nous souhaitons en effet pouvoir nous porter garants de la sincérité des comptes publics, ainsi que le prévoit la loi organique relative aux lois de finances. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Avant de répondre plus complètement à M. du Luart, je répondrai brièvement à M. le président de la commission des finances pour souligner que ce type de débat n'existe pas dans l'autre chambre. J'apprécie la démarche du Sénat en ce qu'elle nous permet - et le rapport rédigé par M. du Luart le prouve - d'approfondir tel ou tel sujet et d'éviter le discours budgétaire un peu convenu où les problèmes ne sont souvent que survolés.

Vous avez incontestablement mis l'accent sur le sujet le plus important pour l'équilibre du budget de la justice ; j'en ai moi-même fais la priorité numéro un.

Mes réponses ont évolué avec le temps, car la situation m'inquiète moins que voilà quelques semaines. Et ce que je vais vous dire maintenant, monsieur le président de la commission, ne saurait être considéré comme insincère.

Il est vrai qu'il existe une part de volontarisme, mais vous savez bien, vous qui avez été ministre des finances, que, sans volontarisme, il n'y a pas de finances publiques possibles !

Telle est la réponse que je souhaitais vous apporter à cet instant du débat.

Par ailleurs, je salue très sincèrement le travail approfondi réalisé à la fois par la commission des finances et par la commission des lois, dont M. Détraigne va maintenant présenter le rapport. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Monsieur le garde des sceaux, nous sommes très sensibles à vos propos.

La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le rapport d'information de notre collègue Roland du Luart me donne l'occasion, en tant que rapporteur pour avis de la commission des lois sur le budget de la justice, de vous faire part à mon tour des réflexions qui sont les nôtres sur les conditions de mise en oeuvre de la LOLF au niveau de l'institution judiciaire quelques semaines seulement avant que nous abordions l'examen au fond du budget de la justice pour 2006.

Les premiers commentaires auxquels je voudrais me livrer, monsieur le garde des sceaux, portent sur les contours de la mission « Justice ».

Je remarque, en premier lieu, que la justice administrative fait l'objet d'un sort particulier par rapport à la justice judiciaire, ainsi que l'a d'ailleurs souligné mon collègue Roland du Luart. En effet, la justice administrative constitue désormais un programme au sein d'une mission intitulée « Conseil et contrôle de l'Etat », qui est rattachée directement au Premier ministre, alors que, jusqu'à présent, les crédits de la justice administrative figuraient, comme ceux de la justice judiciaire, au sein du budget du ministère de la justice.

Or un tel choix nous paraît critiquable à plusieurs titres.

Tout d'abord, il convient de rappeler qu'il a été fait par le Gouvernement sans aucune concertation avec le Parlement. Voilà moins d'un an, au moment où je présentais à cette même tribune mon rapport sur le budget de la justice pour 2005, la justice administrative constituait encore l'un des six programmes de la mission « Justice » et il n'était pas envisagé de rattacher ce programme à une autre mission.

Ensuite, ce choix nous semble contestable au regard de l'esprit même de la LOLF. En effet, l'article 7 de la loi organique du ler août 2001 précise « qu'une mission comprend un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie ». Or la justice administrative et la justice judiciaire ne sont-elles pas les deux versants d'une même politique publique consistant à rendre la justice ?

En ayant sorti le programme « Justice administrative » de la mission « Justice », la nouvelle maquette budgétaire offre en réalité une vision morcelée de cette mission pourtant essentielle de l'Etat.

Soucieuse d'avoir une vue la plus exhaustive possible de ce domaine, la commission des lois du Sénat a, pour sa part, préféré traiter ces deux programmes à l'intérieur d'un même avis budgétaire qu'elle a, au surplus, élargi à d'autres institutions participant à la justice de notre pays, telles que le Conseil constitutionnel, la Haute Cour de justice ou la Cour de justice de la République, qui sont inscrites dans la mission "Pouvoirs publics".

Le fait que le Gouvernement justifie cette nouvelle architecture budgétaire au nom de la nécessaire indépendance des juridictions administratives due à leurs spécificités institutionnelles et à leurs fonctions particulières n'a pas paru totalement convaincant à la commission des lois. En effet, dans la mesure où l'on considère que le rattachement des institutions judiciaires au ministère de la justice ne remet nullement en cause leur indépendance, qui est garantie par la Constitution, pourquoi devrait-on considérer que l'indépendance des juridictions administratives serait menacée par un tel rattachement ?

Oserais-je dire, à titre personnel, qu'il y a une certaine crainte que les anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration ne soient plus sensibles que les anciens élèves de l'Ecole nationale de la magistrature à telle ou telle influence ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances et M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est Raminagrobis ! (Sourires.)

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. Ce n'est pas possible ! Je suis d'ailleurs moi-même un ancien élève de l'ENA !

Je note, ensuite, que la nouvelle maquette n'a pas laissé les magistrats de l'ordre judiciaire indifférents et qu'elle a suscité des réactions parfois divergentes entre les magistrats du siège et ceux du parquet, comme le rappelle d'ailleurs notre collègue Roland du Luart dans son rapport.

Cette nouvelle maquette, de par le maintien du principe de la cogestion des juridictions judiciaires par le Premier président et le procureur général de la cour d'appel, relance le débat sur cette spécificité de la justice dans notre pays.

Je reconnais que cette cogestion peut être source de lourdeurs et de complexité et impose un dialogue permanent entre le siège et le parquet, que la mise en oeuvre de la LOLF peut, dans certains cas, compliquer. Toutefois, la proposition de la Conférence nationale des Premiers présidents, reprise par le Premier Président de la Cour de cassation que nous avons auditionné la semaine dernière, et qui tend à dédoubler le programme « Justice judiciaire » en deux programmes, l'un retraçant les moyens alloués au siège et l'autre ceux qui sont accordés au parquet, ne me paraît pas pouvoir être mise en oeuvre à ce stade.

En effet, la discussion du projet de loi de finances pour 2006 ne me paraît pas constituer le bon support pour trancher un problème qui porte sur l'un des principes essentiels de l'organisation judiciaire de notre pays, à savoir les relations entre le siège et le parquet.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien sûr !

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. Certes, je ne nie pas que la question mérite d'être examinée. Toutefois, il n'appartient pas à la nomenclature budgétaire de préjuger l'issue d'un débat institutionnel au cours duquel siège et parquet expriment aujourd'hui des positions divergentes. Ce ne pourrait être qu'après que le Parlement aurait, le cas échéant, tranché cette question de fond qu'il conviendrait d'en tirer les conséquences au niveau de la maquette budgétaire.

Enfin, s'agissant toujours des contours de la mission « Justice », je m'interroge sur la pertinence du regroupement des crédits du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM, au sein d'une simple action du programme « Justice judiciaire ».

Cela me paraît traduire imparfaitement la position institutionnelle du CSM, dont le rôle singulier mériterait un traitement budgétaire adapté. La commission des lois considère que sa mission particulière n'est réductible à aucune autre fonction exécutive ou judiciaire et que le rôle d'assistance qu'il joue auprès du Président de la République, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, devrait conduire à inscrire cet organe dans la mission « Pouvoirs publics ».

Je sais que vous ne souscrivez pas à cette analyse, monsieur le garde des sceaux, mais je souhaiterais que vous précisiez votre raisonnement et que vous reconsidériez votre position.

La seconde série de commentaires que je souhaite faire porte sur la difficile maîtrise des frais de justice, sujet qui a fait l'objet de longs développements de la part de Roland du Luart et qui se situe au centre de son rapport.

La commission des lois partage le point de vue de la commission des finances quant à la nécessité de maîtriser ces frais compte tenu de l'accélération des dépenses perceptible depuis 2002 ainsi que du caractère limitatif - et non plus évaluatif - conféré par la LOLF à cette catégorie de dépenses.

Faisant miennes les inquiétudes exprimées par Roland du Luart à propos de la sous-évaluation des frais de justice dans le projet de loi de finances pour 2006, je souhaiterais à mon tour, monsieur le garde des Sceaux, que vous puissiez nous donner une information précise sur le montant des dépenses prévisibles pour l'an prochain.

A ce propos, je tiens à attirer votre attention sur la nécessité d'accompagner tout projet de réforme, notamment en matière de procédure pénale, d'études d'impact afin de permettre au législateur de mieux prendre en compte les conséquences financières des mesures qu'il vote.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Roland du Luart, rapporteur. Cela est fondamental !

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. En effet, la loi du 9 mars 2004 ne comprend pas moins de onze mesures qui tendent à accroître les frais de justice en matière pénale ; je pense, par exemple, aux frais de location de camions ou d'entrepôts pour des opérations d'infiltration, à ceux qui concernent les écoutes téléphoniques dans les nouvelles hypothèses d'intervention du juge des libertés et de la détention et du procureur de la République dans le cadre des enquêtes de flagrance, ou encore à la possibilité de prise en charge des frais de déplacement des victimes en cours d'enquête.

Je pourrais également citer d'autres lois coûteuses en termes de frais de justice, telles que la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ou encore celle du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Toutes ces mesures sont de nature à alimenter l'inflation des frais de justice. Dès lors, pourriez-vous, monsieur le garde des sceaux, vous engager à éclairer le Parlement sur l'effet qu'aura dans ce domaine chaque réforme que vous nous soumettrez désormais ?

En outre, j'ai la conviction qu'une meilleure maîtrise des frais de justice nécessite une évolution de l'approche de ceux-ci au sein de la magistrature et la prise de conscience individuelle de l'impact financier des mesures ordonnées par chaque magistrat.

Une telle évolution ne me paraît d'ailleurs pas inconciliable avec la liberté de prescription des juges. Au contraire, elle est, à mes yeux, plus conforme à l'esprit de la LOLF, qui place au premier plan l'efficacité de la dépense.

Je souhaiterais donc savoir, monsieur le garde des sceaux, de quelle manière les magistrats seront sensibilisés à la maîtrise de ce poste budgétaire.

L'Ecole nationale de la magistrature consacre-t-elle du temps à cette problématique dans le cadre de la formation des auditeurs de justice ? Quelles sont les mesures prises pour sensibiliser les magistrats en fonction à cet impératif ? La formation continue aborde-t-elle cette question ?

Enfin - et ce sera ma dernière remarque au sujet des frais de justice - il me semble qu'une réflexion sur l'amélioration de la maîtrise de ces frais ne saurait être engagée sans que le périmètre des dépenses imputées sur ce poste budgétaire soit redéfini.

Les juridictions semblent avoir des difficultés à comprendre la nomenclature des dépenses figurant aujourd'hui sous la catégorie des frais de justice, compte tenu de la très grande - pour ne pas dire « trop grande » - hétérogénéité que cette catégorie recouvre. Cette situation donne parfois lieu à des erreurs d'imputation qui nuisent à la bonne gestion et au suivi de ce poste budgétaire et ce constat milite, me semble-t-il, en faveur d'une clarification de ce qui constitue véritablement les frais de justice et d'un recentrage de leur périmètre.

Cette démarche me paraît d'autant plus nécessaire qu'elle permettra de simplifier non seulement les tâches de gestion des frais de justice, mais aussi et surtout le suivi des dépenses engagées.

Certaines catégories de dépenses sont, en effet, financées sur ces crédits, alors qu'elles n'ont aucun rapport avec ceux-ci, et ne devraient donc plus y être incluses. Ce point peut, il est vrai, paraître mineur compte tenu du fait que ces charges représentent une part marginale de l'enveloppe allouée aux frais de justice, soit moins de 10 % des dépenses en volume. Toutefois, cette observation prend toute son importance dans la mesure où certaines d'entre elles sont en très forte progression depuis quelques années ; je pense, notamment, à la rémunération des délégués du procureur qui interviennent de plus en plus dans la procédure pénale.

Il me semblerait plus logique d'imputer la rémunération de ces acteurs désormais incontournables sur les dépenses de personnel, à l'instar de ce qui prévaut pour les indemnités allouées aux assesseurs des tribunaux pour enfants ou les vacations versées aux juges de proximité.

De même, il ne paraît pas cohérent de financer sur les frais de justice les indemnités allouées aux jurés d'assises, indemnités qui représentent tout de même 5 % des frais de justice en matière pénale.

Une réforme des modalités de rétribution des différents intervenants extérieurs au monde judiciaire, mais qui participent à l'activité juridictionnelle, pourrait-elle être envisagée ?

Mes derniers commentaires porteront sur les services administratifs régionaux, les SAR, qui apportent une aide précieuse aux chefs de cour dans le cadre de leurs fonctions de gestion.

A compter du 1er janvier 2006, l'ensemble des chefs de cours d'appel bénéficieront du transfert de la qualité d'ordonnateurs secondaires des dépenses des juridictions et de la responsabilité des marchés publics relatifs au fonctionnement courant, d'une part, des cours elles-mêmes et, d'autre part, des juridictions situées dans leur ressort. Ces compétences étaient auparavant, rappelons-le, exercées par les préfets.

Pour exercer ces nouvelles fonctions, les chefs de cours seront aidés par les SAR, chargés de les assister au quotidien et d'assurer les tâches résultant des orientations qu'ils ont définies.

Dans ce contexte, un alourdissement de la charge de travail des SAR à compter de l'année prochaine paraît prévisible. Ces derniers devront, d'une part, assumer les tâches liées à l'ordonnancement qui leur seront transférées par les préfectures et, d'autre part, développer le contrôle de gestion, qui constitue la contrepartie nécessaire de l'autonomie et de la responsabilisation accrue des gestionnaires.

Or je constate qu'il n'est malheureusement nullement envisagé, dans le projet de loi de finances pour 2006, de renforcer les SAR, qui devront absorber à effectifs constants, soit 763 agents, un surcroît de travail important. L'expérimentation menée dans neuf cours d'appel devrait pourtant avoir permis aux services de la Chancellerie de prendre la mesure de l'accroissement des charges engendrées par la mise en oeuvre de la LOLF et d'évaluer les moyens supplémentaires qui doivent être mis à leur disposition.

Pourriez-vous, monsieur le garde des sceaux, nous éclairer sur les raisons pour lesquelles aucun effectif supplémentaire n'est inscrit au projet de loi de finances pour 2006 ? Le groupe de travail mis en place en février 2005 afin de conduire une réflexion sur le rôle des SAR et sur la position des coordonnateurs placés à leur tête a-t-il déjà rendu ses conclusions ? En outre, pourriez-vous nous indiquer précisément si vous envisagez de prendre des mesures particulières pour rendre plus attractifs les emplois dans les services administratifs régionaux ?

Tels sont, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les points sur lesquels je voulais intervenir au nom de la commission des lois à l'occasion de ce débat. La mise en oeuvre de la LOLF dans le domaine de la justice soulève certes de nombreuses interrogations, mais cela ne doit pas être interprété comme un signe négatif. Je rejoins en cela le rapporteur spécial de la commission des finances.

La réaction des acteurs de l'institution judiciaire démontre leur volonté de s'adapter aux exigences nouvelles imposées par la culture de la performance et de l'efficacité induite par la LOLF.

La LOLF n'en est qu'à ses débuts. Aussi, et compte tenu de toutes les questions soulevées, je forme des voeux pour que l'on ne fige pas, dès le projet de budget pour 2006, la maquette budgétaire de la mission « Justice » et pour que celle-ci ne soit pas fermée aux évolutions qui pourraient apparaître nécessaires. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 33 minutes ;

Groupe socialiste, 23 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais, en cette heure vespérale (Sourires), prolonger dans trois directions les réflexions suscitées par le très intéressant rapport de Roland du Luart.

Tout d'abord, notre collègue souligne que la LOLF agit plus comme un révélateur et un amplificateur des problèmes préexistants que comme un créateur de difficultés nouvelles. De ce point de vue, l'apport de la LOLF est très positif : pointer très clairement, de manière chiffrée, les problèmes réels est un progrès.

Plus généralement, la LOLF me paraît révélatrice des changements profonds du système judiciaire et de la hiérarchie de ses objectifs. Nous n'avons d'ailleurs peut-être pas toujours pleinement conscience de ces évolutions. Permettez-moi donc de vous en rappeler quelques-unes.

Il s'agit d'abord de la multiplication des textes, une inflation législative sans étude d'impact en termes budgétaires. Tout le monde dénonce cette tendance, mais tout le monde s'y prête, parfois à tort, parfois avec raison.

On a ainsi l'impression d'élaborer des lois pour un monde sans pesanteur, sans se préoccuper de leur application. L'intendance est censée suivre.

A ce sujet, j'ai été assez intrigué, monsieur le garde des sceaux, par votre réponse à Mme Elisabeth Guigou, lors du débat sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Vous aviez en effet déclaré : « Je m'étonne que Mme Guigou estime que la démocratie exige qu'on se donne immédiatement les moyens des mesures qu'on veut faire voter. »

Le terme « immédiatement » n'est peut-être pas approprié, mais ce n'est pas une raison pour le remplacer par « jamais » !

Permettez-moi de vous citer très rapidement deux exemples, que vous connaissez d'ailleurs certainement.

J'ai lu que la loi du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants aurait entraîné 25 000 consultations médicales supplémentaires.

De même, les lois Perben comportent au moins onze mesures ayant un effet direct sur les frais de justice.

La judiciarisation de l'application des peines constitue une charge de travail supplémentaire considérable pour le juge concerné, mais également pour le parquet et pour le juge des libertés et de la détention.

La deuxième caractéristique des évolutions de notre système judiciaire concerne le mouvement inéluctable vers une justice où la preuve matérielle et les conclusions de l'expertise technique prennent progressivement la place de l'aveu. Si cette tendance est positive, elle est également coûteuse.

En effet, comme l'ont souligné les deux intervenants précédents, une bonne part de l'accélération de l'augmentation des frais de justice est due aux frais d'expertise tant dans le domaine médical, notamment génétique, que dans celui de la téléphonie mobile.

L'utilisation de fichiers de plus en plus lourds à produire et à exploiter et le traitement des données issues des communications créent des charges financières supplémentaires. Le coût des interceptions sur les réseaux mobiles a triplé entre 2001 et 2003.

Le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme comporte des dispositions qui susciteront de nouvelles demandes en matière de traitement des informations vidéo, donc de nouveaux frais. On peut dès lors s'interroger sur le financement de ces mesures. Les moyens nécessaires seront-ils prélevés sur le budget de la mission « Justice » ou sur celui de la mission « Sécurité » ? En tout état de cause, il faudra bien que quelqu'un paie !

Dans ces conditions, la question de la tarification de certaines prestations se pose nécessairement.

Permettez-moi à ce sujet de rappeler certaines des préconisations émises et des actions déjà lancées : faire davantage appel à la concurrence et demander aux opérateurs téléphoniques des « gestes commerciaux ». Ainsi la Chancellerie a-t-elle déjà obtenu une baisse de 10 % du coût de ses communications.

Certes, mais nous pourrions également vérifier si certains opérateurs ne profitent pas de leur position dominante.

A ce propos, je citerai notre collègue Yves Détraigne : « Il est parfois difficile de porter un jugement sur les tarifs appliqués, faute de connaître les coûts réels des recherches effectuées ».

M. Pascal Clément, garde des sceaux. M. le rapporteur pour avis a raison !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est vrai !

M. Pierre-Yves Collombat. Qu'en termes galants ces choses-là sont dites ! La litote est évidente.

A 9,15 euros la demande d'identification d'un abonné, les opérateurs téléphoniques ne doivent pas perdre d'argent ! Ne serait-il pas possible de leur imposer, dans le cadre de l'attribution des licences, des obligations de service public en matière de justice ?

La loi a imposé aux opérateurs une redevance inférieure à ce qui aurait été obtenu d'une mise aux enchères des licences : ce serait la contrepartie d'obligations de service public en matière de couverture du territoire. Je constate que les intéressés ne s'acquittent de ces obligations qu'avec un zèle modéré.

Peut-être pourrait-on leur imposer des obligations de service public en matière d'expertise et de demande de renseignements entrant dans le cadre d'une enquête de police ou d'une instruction judiciaire ! Si tous les opérateurs y étaient soumis, il n'y aurait pas de distorsion de concurrence et la règle sacrée serait respectée.

De même pourrait-on peut-être, en matière biologique, développer les laboratoires publics.

Cette évolution technique, qui semble inéluctable, s'agissant de l'administration des preuves, devient de plus en plus onéreuse.

La troisième caractéristique de l'évolution de notre système judiciaire a trait au développement de procédures nouvelles, alternatives aux poursuites, comme la composition pénale, ou d'un type nouveau, comme la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, la CRPC.

Ces procédures présentent, certes, un intérêt, notamment la composition pénale, mais elles sont chères. Pour avoir participé à la mission d'information relative aux procédures accélérées de jugement en matière pénale, j'ai pu observer que le coût de la celle-ci, qui suppose l'intervention de délégués du procureur, personnes physiques ou associations, était souvent évoqué : une telle externalisation est onéreuse.

La CRPC ne permet pas non plus de faire des économies de temps en termes de magistrats.

Le quatrième aspect de l'évolution actuelle du système judiciaire, que j'évoquerai assez rapidement, puisque nous le connaissons tous, est assez paradoxal : on développe les procédures alternatives et, dans le même temps, on recourt de plus en plus souvent à l'incarcération.

Le recours systématique à ce type de réponse pénale est non seulement contestable, mais également coûteux. Sauf évidemment à accepter la situation honteuse des prisons de la République ; je n'insiste pas, vous connaissez le problème aussi bien que moi.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Effectivement, il vaut mieux que vous n'insistiez pas !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous allez encore me dire : « les socialistes ceci, les socialistes cela... ».

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Les socialistes n'ont tout simplement rien fait !

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le garde des sceaux, essayons d'aller au-delà de ce type de réponses stéréotypées !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ce ne sont pas des stéréotypes, ce sont des faits !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous nous dites - c'est d'ailleurs votre réponse habituelle - que l'on n'a jamais fait autant d'efforts pour construire des prisons. Manifestement, les efforts sont encore plus grands pour produire des prisonniers !

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Vos propos sont scandaleux, monsieur Collombat !

M. Pierre-Yves Collombat. Le taux actuel d'occupation des prisons - 110 % - n'est--il pas scandaleux ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il faudra nous expliquer le sens de votre affirmation : on fait manifestement des efforts encore plus grands pour produire des prisonniers !

M. Pierre-Yves Collombat. J'en viens au deuxième point de mon intervention.

Compte tenu des conditions dans lesquelles elle est appliquée, la LOLF ne révèle pas seulement les problèmes judiciaires : elle les accentue.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est faux !

M. Pierre-Yves Collombat. Dans la situation actuelle, une contradiction peut apparaître entre les impératifs de bonne gestion et l'objectif d'administration d'une bonne justice

L'un des principaux problèmes est l'importance de plus en plus grande du rôle du procureur par rapport à celui du juge du siège. Cela est lié au développement des procédures alternatives et accélérées de jugement. Là encore, je me réfère aux travaux de notre mission d'information.

Le procureur a non seulement une palette de procédures plus étendue, ce qui augmente d'autant sa liberté de manoeuvre, mais, dans ces nouvelles procédures, il dispose également d'un pouvoir de « quasi-préjugement », pour reprendre les termes du procureur général près la Cour de cassation, M. Jean-Louis Nadal.

Ainsi que cela a été évoqué, confier l'ordonnancement des dépenses du programme « Justice judiciaire » conjointement au Premier président et au procureur général de chaque cour d'appel renforcera encore la tendance que je viens de décrire, qui n'est pas sans poser de problèmes. En effet, le procureur ne bénéficie pas d'un statut aussi protecteur vis-à-vis de sa hiérarchie que le juge du siège.

Permettez-moi de citer la délibération unanime de la Conférence nationale des Premiers présidents de cour d'appel du 2 juin 2005 : « Une telle situation ne garantit manifestement pas l'indépendance des juges. »

Le risque principal est que les mesures de rationalisation, dans un pays qui se traîne en queue du peloton européen pour ses efforts budgétaires en matière de justice, ne soient pas des instruments de bonne gestion, mais simplement une manière de réaliser des économies.

On ne peut qu'adhérer à l'objectif de rationalisation du fonctionnement des services de l'Etat et de recherche de la meilleure allocation possible de l'argent public.

Là où des expérimentations de la LOLF ont été réalisées, des résultats intéressants ont pu être observés. Des économies sont sans doute possibles, par une responsabilisation des prescripteurs en matière d'expertises diverses. Mais jusqu'où ?

Quelle signification peut avoir un système de « bonus-malus », selon le niveau de restrictions que les magistrats s'imposent, comme l'expérience est paraît-il tentée ? A un moment, l'objectif de rationalisation budgétaire, de complémentaire à celui d'administration d'une bonne justice, lui devient opposé.

Outil de transparence et de modernisation de l'Etat, la LOLF risque donc, dans un contexte de restrictions budgétaires, de devenir un moyen commode de réduire les dépenses et les coûts.

Quelques % de 1 %, ce que représentent les services judiciaires dans le budget de l'Etat, cela ne fait que quelques 10 millièmes ! En tout cas, ce n'est pas suffisant pour faire face à la judiciarisation accélérée de la société et aux évolutions que j'ai évoquées précédemment.

La fongibilité, asymétrique ou pas, n'a d'intérêt que dans la mesure où des crédits ne sont pas utilisés. Ceux-ci peuvent alors servir utilement là où ils font défaut. Mais quand il en manque partout, on ne fait que déshabiller Pierre pour habiller Paul. De positif, l'effet de la fongibilité devient négatif.

Aux dires des orateurs précédents, chaque projet de loi doit être accompagné d'une étude d'impact. Je ne peux qu'applaudir ! Les évaluations doivent être sincères et réalistes. Là aussi, je ne peux qu'applaudir ! Des réserves doivent être constituées pour faire face aux imprévus et aux évolutions incertaines. J'applaudis encore ! Mais si le montant global des crédits disponibles est insuffisant, rien ne changera !

Les évaluations sincères des besoins réels ne manquent pas ; je vous renvoie à la loi d'orientation et de programmation pour la justice, qui prévoyait la création de 10 000 postes, dont 950 juges de l'ordre judiciaire et 3 500 fonctionnaires et agents des services judiciaires. De même, le rapport Warsmann préconise la création de 2 500 emplois d'agents de probation.

A l'évidence, l'exécution de la loi d'orientation et de programmation a pris un important retard, retard qu'accentue le projet de loi de finances pour 2006. En effet, avec 250 équivalents temps plein travaillés pour l'ensemble du budget de la justice et 93 magistrats de l'ordre judiciaire, nous serons loin du compte.

S'agissant des frais de justice, je serai bref, car les orateurs précédents y ont fait allusion : ils sont manifestement sous-évalués. Les besoins pour 2006 sont en effet évalués à 600 millions d'euros. Ils seront abondés à hauteur de 370 millions d'euros. Or nous avons déjà dépensé 419 millions d'euros en 2005.

Il est faux de croire que la croissance de certains frais de justice ne résulte que d'une facilité que se donnent enquêteurs et magistrats. C'est le produit d'une évolution fondamentale.

Dans un tel contexte, face à une demande de complément d'enquête, d'expertise, qu'est-ce qui l'emportera ? Est-ce l'objectif de maîtrise budgétaire ou bien celui d'administration d'une bonne justice ?

Se posent donc non seulement la question de l'indépendance du juge, mais aussi celle d'une justice efficace.

J'en viens au troisième point de mon intervention : les objectifs, la mesure des performances réalisées et les indicateurs de résultats, qui constituent des innovations tout à fait intéressantes. Ceux-ci posent la question des limites de la philosophie managériale qui sous-tend la LOLF.

Les objectifs retenus dans le projet de loi de finances pour 2006 sont de deux types très différents.

Il s'agit d'abord de généralités de bon sens, qui sont autant de truismes : « rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables, améliorer la réponse pénale et son exécution ».

Il s'agit ensuite d'objectifs techniques, facilement appréhendables : « maîtriser la croissance des frais de justice pénale, accélérer la délivrance des bulletins du casier judiciaire ». Mais leur signification en termes de justice est particulièrement problématique.

Si l'on peut s'entendre sur ce que seraient des délais raisonnables et les mesurer, à quoi reconnaît-on des « décisions de qualité » ? Nos réformateurs restent muets sur ce point, pourtant essentiel !

J'aurais tendance à dire qu'une justice de qualité est d'abord une justice « juste » ! Mais que signifie « juste », me répondrez-vous ? Qu'est-ce qu'une décision de qualité ? Est-ce une décision acceptée par les principaux intéressés ? Par exemple, on pourrait la mesurer par le taux d'appel. Cela semble de bon sens.

Or on observe que les taux d'appel sont très variables selon le type de contentieux et de délits. Globalement, d'une juridiction à l'autre, ils varient de 1 à 2 en matière pénale et de 1 à 2,5 en matière civile. Ces taux ne peuvent donc être utilisés pour mesurer la qualité des décisions d'un TGI.

Les taux d'appel dépendent de nombreux facteurs, sur lesquels le TGI n'a aucune prise, par exemple la culture locale. Ainsi, lorsque je me suis rendu à Bastia, dans le cadre de la mission d'information relative aux procédures accélérées de jugement en matière pénale, il m'a été expliqué que les recours y étaient nombreux parce que l'on est toujours innocent ! (Sourires.)

Les taux d'appel dépendent également de la jurisprudence de la Cour d'appel et de la durée des procédures. Longues, les procédures sont généralement dissuasives. Sont également dissuasives les jurisprudences dont les taux d'aggravation des peines sont élevés. Dans certaines cours, que je ne citerai pas, on fait très peu appel parce que l'on sait que la peine risque fort d'être aggravée.

Ainsi, les taux d'appel mesurent plus le modus operandi des cours d'appel que la qualité du travail des TGI.

A cet égard, permettez-moi de lire la conclusion d'un article paru en décembre 2001 dans Infostat justice : « Il serait donc illusoire d'espérer une interprétation univoque d'un taux d'appel global, en considérant par exemple qu'un faible taux d'appel serait le signe d'une bonne justice en premier ressort. »

Une décision de qualité serait-elle donc une décision acceptée par la vox populi médiatique ? Vous conviendrez avec moi que c'est souvent le contraire ! Est-ce une décision qui fait une place minimale à la détention provisoire ? Cette question n'est même pas évoquée.

Même un objectif apparemment facile à quantifier, comme « améliorer l'exécution des décisions pénales », n'est pas facile à interpréter, l'usage de la détention provisoire facilitant l'exécution des peines.

Ces difficultés, me direz-vous, ne résultent pas de la mise en place de la LOLF : elles tiennent à la complexité du domaine concerné ; en approfondissant notre réflexion, en « peaufinant » nos indicateurs, nous trouverons une solution. Probablement ! Mais, là où le problème se pose vraiment, c'est lorsque, pour entrer de force dans le cadre managérial, on en vient à privilégier l'accessoire au détriment de l'essentiel.

Cela me fait penser à ce que répondait Alfred Binet, l'inventeur des tests d'intelligence, à ceux qui lui demandaient : « Qu'est-ce que l'intelligence ? ». Il répondait : « C'est ce que mesure mon test » !

Qu'est qu'une bonne justice ? C'est ce que mesurent les indicateurs : les délais de réponse, le nombre de dossiers moyen par juges, l'ancienneté des stocks, le taux de rejet par le casier judiciaire national, etc.

Ces critères ne sont pas seulement imparfaits - tout critère est imparfait ! - ; ils sont la marque d'un choix, particulièrement contestable, de ce que serait une justice de qualité. C'est l'indicateur qui définit la justice et non plus la nature de la justice qui commande l'indicateur !

De fait, cela revient à privilégier le soin apporté au traitement des affaires simples, au détriment des affaires complexes, à la délinquance banale plutôt qu'à la délinquance financière. Ces choix ne sont pas que techniques, ils sont politiques.

En tout cas, réduire les erreurs matérielles et la « productivité » des magistrats ne peut constituer qu'une amélioration, certes utile, mais marginale de l'institution judiciaire.

Dans sa conclusion, le rapporteur spécial souhaite que « la réflexion sur la qualité des décisions juridictionnelles soit approfondie ». On ne peut qu'être d'accord !

Les indicateurs sont plus des révélateurs de dysfonctionnements que des compteurs de performance. S'il est utile, par exemple, de repérer des délais de traitements aberrants ou des distorsions importantes entre le nombre de dossiers traités par magistrats, afin d'y remédier, prétendre mesurer la qualité de la justice rendue avec de tels indicateurs chiffrés est non seulement un leurre, mais une tromperie susceptible d'entraîner de graves dérives.

Telles sont les quelques réflexions que le rapport stimulant de notre collègue m'a inspirées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je signale à la Haute Assemblée que la durée de l'intervention du représentant du groupe socialiste est inférieure d'une minute au temps de parole qui lui a été imparti par la conférence des présidents.

M. Roger Karoutchi dispose de trente-trois minutes.

La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur le président, à quelle heure se terminera ce débat ? J'ai l'impression qu'il va se prolonger au-delà de l'heure du dîner.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances et M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Mais non !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Or je ne suis pas disponible ce soir.

Le Sénat devrait prévenir le Gouvernement de la durée d'un débat ! On m'avait parlé d'une heure et demie ; nous en sommes très loin : ce sera plutôt trois heures.

M. le président. Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de vous rappeler que la durée des débats est fixée par la conférence des présidents, en présence du ministre délégué aux relations avec le Parlement. Il ne m'appartient pas de revenir sur ses décisions. Je fais simplement en sorte que soit respecté le droit d'expression des différents groupes.

Cela dit, je pense que ce débat devrait s'achever vers dix-neuf heures trente.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Monsieur le garde des sceaux, je vous rassure tout de suite : deux excellents rapporteurs s'étant déjà exprimés, mon intervention ne durera pas plus de sept à huit minutes.

Je concentrerai ma réflexion sur deux points majeurs : la place réservée aux juridictions administratives dans l'architecture « LOLFienne », d'une part, la dérive des frais de justice, d'autre part.

En premier lieu, notre groupe partage totalement les vues du rapporteur, qui traduit d'ailleurs les inquiétudes de la commission des finances sur la sortie du programme « Juridictions administratives » de la mission « Justice ».

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Roger Karoutchi. Si nous comprenons parfaitement la méthode qui a présidé à cette redistribution, nous regrettons la décision finale.

La création de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat » ne devait pas nécessairement impliquer cette sortie du programme « Juridictions administratives » de la mission « Justice ».

Initialement, il avait été prévu que les juridictions financières soient rattachées à Bercy ; les juridictions administratives auraient été rattachées à la Chancellerie, tandis que le Conseil économique et social aurait constitué à lui seul une mission monoprogramme.

Nous adhérons totalement à la sortie du programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la sphère de Bercy. En effet, en raison de la nature propre de contrôle de la Cour des comptes, il n'était pas sain qu'elle reste sous la tutelle du ministère de l'économie et des finances.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Tout à fait !

M. Roger Karoutchi. En outre, dans la mesure où les chambres régionales des comptes étaient, du point de vue de leur gestion tant administrative que financière, liées à la Cour des comptes, il était légitime de les maintenir au sein d'un même programme.

C'est d'ailleurs l'opiniâtreté, il est important de le souligner, du Premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, qui a permis de réaliser cette sortie, aussi utile à l'indépendance de celle-ci qu'à l'équilibre des pouvoirs. M. Séguin avait en effet rappelé, le 19 janvier dernier, dans son allocution à l'occasion de l'audience solennelle de rentrée de la Cour des Comptes, que le rôle constitutionnel de celle-ci était « de faire en sorte que l'équilibre voulu par le constituant ne soit pas faussé au détriment de l'un des deux pouvoirs ».

Pour autant, la création d'une mission « Conseil et contrôle de l'Etat » regroupant le Conseil économique et social ainsi que les juridictions financières ne devait pas, à notre sens, entraîner une intégration des juridictions administratives au sein de cette mission par un parallélisme des formes assez douteux.

S'il était essentiel, nous le concevons, que les juridictions administratives demeurent au sein d'un même programme, dans la mesure où il existe une certaine symétrie entre le bloc « Cour des comptes, chambres régionales des comptes », d'un côté, et le bloc « Conseil d'Etat, tribunaux administratifs », de l'autre, il ne nous semblait pas évident, en revanche, que cette symétrie engendre une fusion des juridictions administratives dans cette mission et que le maintien de celles-ci dans la mission « Justice » conserve toute sa pertinence.

La mission « Conseil et contrôle de l'Etat » rattachée à Matignon n'aurait pas eu moins de sens avec deux programmes qu'avec trois, dans la mesure où, initialement, le Conseil économique et social aurait, de toute façon, fonctionné de manière isolée.

En revanche, la sortie des juridictions administratives nous semble pénalisante pour l'ensemble de la justice judiciaire...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est vrai !

M. Roger Karoutchi. ... et, tout d'abord, en raison des risques d'éclatement de la justice judiciaire. En effet, les perpétuelles dichotomies « parquet-siège » ou « pénal-civil » contribuent à brouiller le message d'unité de notre justice. La sortie de la justice administrative ne peut que renforcer cette tendance à l'éclatement, alors même que nos concitoyens attendent un message fort donnant plus de lisibilité à l'ensemble de notre justice.

Voilà les quelques observations qu'au nom de mon groupe je souhaitais faire sur cette question, en soulignant qu'il nous aurait semblé utile d'adresser ce signal au monde judiciaire.

Je souhaite maintenant évoquer la difficile question de l'évolution exponentielle des frais de justice.

Notre excellent rapporteur a mis en lumière cet accroissement notable qui dévore, quasiment à lui seul, l'ensemble de la progression du budget de la justice depuis plusieurs années. En effet, il est légitime que nous trouvions décevant que l'ensemble des efforts financiers réalisés chaque année depuis 2002 en faveur du budget de la justice soit presque absorbé par ces seuls frais de justice.

Ainsi, les frais de justice ont augmenté de 11 % en 2002, de 17 % en 2003 et de 23 % en 2004, pour représenter 90 % de l'augmentation des crédits, alors que le volume des affaires n'augmente assurément pas dans les mêmes proportions.

L'effort financier consenti chaque année par nos concitoyens pour augmenter les moyens de la justice judiciaire pourrait donc leur sembler vain, alors qu'ils attendaient une justice plus efficace et plus proche de leurs préoccupations.

Evidemment, il n'est pas dans mon propos de critiquer les magistrats et les officiers de police judiciaire, qui prescrivent des actes essentiels au déroulement d'une enquête et qui utilisent le plus souvent avec rigueur les moyens qui leur sont alloués.

Bien sûr, ainsi que l'ont souligné Roland du Luart et, bien avant lui, en commission et en séance publique, le président Jean Arthuis, il est souhaitable de sensibiliser tous les acteurs à ces questions budgétaires et au coût de ces actes pour les contribuables. De ce point de vue, je ne doute pas que la mise en oeuvre de la LOLF contribuera à accentuer ce processus de responsabilisation financière, déjà plus engagé qu'on ne veut bien souvent le dire.

Mais l'honnêteté nous impose de souligner notre responsabilité en tant que législateurs.

Depuis vingt ans, nous avons adopté dix-huit réformes de la procédure pénale, apportant, chacune, leur lot de nouveaux dispositifs utiles mais coûteux : indemnités versées aux jurés d'assises ; mise en oeuvre du fichier national automatisé des empreintes génétiques ; dépistage des stupéfiants au volant ; opérations d'infiltration ; frais d'écoutes téléphoniques ; prise en charge des frais de déplacement des victimes, etc.

De la même manière que nous ne renions pas les progrès de la médecine et en acceptons le coût, nous devons, si nous prétendons doter notre justice des moyens technologiques modernes, en assumer les coûts correspondants.

Toutefois, à l'heure où nous nous apprêtons à étendre encore les fichiers judiciaires et à généraliser les bracelets électroniques, nous devons avoir conscience du coût conséquent de chacune de ces mesures.

Il est donc grand temps que le législateur se responsabilise en amont, lorsqu'il adopte des dispositifs, mais aussi qu'il ne reproche pas aux magistrats d'utiliser, en aval, ces mêmes dispositifs. La responsabilisation financière de l'un doit être le pendant de la responsabilisation financière de l'autre.

Le très prochain débat budgétaire sur la mission « Justice » devra nous permettre d'éclairer plus en profondeur les pistes que nous entendons développer pour utiliser au mieux les crédits alloués à la justice, à la double fin d'en améliorer l'efficacité et de répondre aux aspirations de nos concitoyens, qui attendent plus de transparence dans le fonctionnement du monde judiciaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le garde des sceaux, je comprends que vous appréciiez la sérénité du Sénat et ses débats décalés tandis que le Gouvernement décrète l'état d'urgence, avec les conséquences que l'on sait sur les libertés. Alors que vous donnez des instructions aux magistrats afin qu'ils ne soient pas trop laxistes, je trouve, pour ma part, très utile que le Sénat se préoccupe des budgets dévolus à la justice.

Cela étant, le rapport qui nous a été présenté est très intéressant. De quoi est-il question ? De l'explosion des frais de justice, de la « sortie » des juridictions administratives de la mission « Justice », de la déconcentration des crédits au niveau des cours d'appel et de la mesure de la performance dans le domaine de la justice judiciaire.

A titre liminaire, je tiens à vous faire part de mon inquiétude face à l'obsession du Gouvernement de vouloir à tout prix apprécier la performance dans le domaine de la justice. Cela s'est notamment traduit par le projet d'instaurer une prime aux résultats pour les magistrats, à laquelle nous nous étions totalement opposés.

Aujourd'hui - sans doute le tollé a-t-il été trop important - nous n'entendons plus parler de cette prime aux résultats. Mais le fond demeure : culture de gestion et mesure de la performance sont devenues les maîtres mots du budget de la justice.

Les magistrats eux-mêmes s'inquiètent de cette difficile mesure de la performance et se sont interrogés, lorsqu'ils ont été entendus par le rapporteur, sur la signification des « indicateurs de qualité » s'agissant des décisions juridictionnelles. Nous partageons leurs interrogations et craignons aussi que le non-respect de ces indicateurs de performance ne soit sanctionné par une réduction des moyens. Nous aimerions, monsieur le garde des sceaux, être rassurés sur ces points.

J'en viens maintenant aux deux points qui ont particulièrement attiré notre attention dans ce rapport, à savoir l'explosion des frais de justice et la « sortie » des juridictions administratives de la mission « Justice ».

Les frais de justice ont en effet explosé ces dernières années. La justice souffre globalement d'un manque de moyens, ainsi que tout le monde ne cesse de le souligner, et les frais de justice en absorbent une grande partie.

Quelles sont les causes de ce phénomène ? Le rapport en relève deux.

La première serait l'attente toujours plus grande des citoyens à l'égard de la justice. Ils demandent que de plus en plus de moyens soient mis en oeuvre en matière d'investigation et de « recherche de la vérité ». Quoi de plus normal ? Il est difficile d'aller contre la volonté des citoyens en la matière.

La seconde cause de l'augmentation des frais de justice serait l'évolution de la législation qui, comme le dit M. le rapporteur, « n'est pas sans incidence sur celle des frais de justice ». C'est le serpent qui se mord la queue !

En effet, il est souligné à plusieurs reprises que ces frais connaissent une forte augmentation essentiellement depuis 2002, notamment en raison des nombreuses lois pénales qui ont été votées durant cette période. Chers collègues de la majorité, pourquoi votez-vous tant de lois pénales ? Seriez-vous schizophrènes ? (M. Roger Karoutchi s'exclame.)

Citons quelques chiffres qui illustrent ce propos. Les frais de justice ont augmenté de 22,87 % en une seule année, entre 2003 et 2004. Par ailleurs, les frais pénaux représentent à eux seuls 74 % des frais de justice.

Parallèlement à ce constat chiffré, le rapporteur énumère les lois qui ont une incidence sur ces frais : la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence - va-t-on critiquer le fait que l'on se soit attaché à la présomption d'innocence ? Ce n'est d'ailleurs pas cette loi, sur laquelle le Parlement est revenu, qui va nous coûter de l'argent - la loi du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure, la loi du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'emprise de stupéfiants et, enfin, la loi Perben II du 9 mars 2004.

Le rapporteur prend également comme exemple le fichier national automatisé des empreintes génétiques, qui ne cesse de subir depuis sa création en 1998 de multiples extensions de son champ d'application, ce qui entraîne bien évidemment une augmentation des frais. Cela va continuer avec la multiplication des fichiers.

Un certain nombre de problèmes se trouvent ainsi posés.

Tout d'abord, il n'est pas acceptable qu'en 2004 environ 90 % de l'augmentation des crédits consommés pour le fonctionnement des services judiciaires aient été dévorés par la majoration des frais de justice.

Ensuite, il est incompréhensible que le Gouvernement ne prenne pas en compte cette réalité pour réajuster le budget de la justice pour 2006. En effet, depuis l'exercice 2003, la sous-évaluation des frais de justice est incontestable, et nous la constatons une fois encore pour 2006. Le Gouvernement a fixé son évaluation des frais de justice à 370 millions d'euros, alors que ces frais se sont élevés à 419 millions d'euros en 2004 et que leur progression annuelle est d'environ 20 %. C'est incroyable !

C'est pourquoi je ne me réjouirais pas aussi vite que le rapporteur de la progression régulière du budget de la justice, puisque cette progression est finalement absorbée par des frais sous-évalués.

M. Roland du Luart, rapporteur. C'est ce que j'ai dénoncé !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dois-je rappeler que la France se classe au vingt-troisième rang européen en termes d'effort consenti pour le budget de la justice ? Il n'y a pas de quoi se glorifier ! Bien que, cette année, il soit encore en progression, nous ne pouvons que regretter les choix budgétaires qui sont faits.

Je prendrai l'exemple du nombre de postes de magistrats. Nous sommes loin d'atteindre les objectifs fixés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002. Le nombre de postes effectivement crées pour 2006 est de 263, ce chiffre correspondant à la différence entre les emplois existant en 2005 et ceux qui sont prévus pour 2006, ce qui est bien insuffisant au regard des besoins dans les juridictions, que tout un chacun ne cesse de souligner. Ce n'est pas ainsi que l'on réduira les délais dans lesquels sont rendus les jugements ! C'est pourtant l'une des préoccupations du Gouvernement et de sa majorité.

Je n'évoquerai pas les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse - surtout en ce moment ! - puisque les moyens de prévention fondent au profit des moyens de répression.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Non !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors, comment faire ? Cessons de multiplier les lois pénales qui brouillent et la loi et les moyens !

Dernier exemple en date : la mise en place du bracelet électronique, adoptée par le Parlement dans le cadre de la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales qui sera votée sous peu, n'est pas budgétisée.

Monsieur le garde des sceaux, n'avez-vous pas déclaré : « Je me débrouillerai pour avoir l'argent ». Ah bon ! On se débrouille pour trouver l'argent, mais il ne faut pas dépenser trop !

Le rapporteur préconise pour sa part de faire en sorte que, désormais, les magistrats connaissent le coût des mesures qu'ils diligentent. Cela devrait d'ailleurs s'appliquer à toutes les lois que nous votons. Il est donc proposé de faire appel à la concurrence, pour diminuer les coûts. En général, c'est le contraire, la concurrence coûte plus cher.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Ce n'est pas vrai !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je préférerais, à l'instar de mon collègue Pierre-Yves Collombat, que l'on parle, même si le service public n'existe plus, d' « obligation de service public ». Ce serait plus intéressant.

Mon groupe a catégoriquement critiqué la LOLF.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je ne sais pas comment vous l'expliquer ! Etes-vous pour l'opacité !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je n'ai donc aucun problème pour critiquer la méthode qui consiste, lorsque l'on voudra augmenter les dépenses sur un programme, à réduire les crédits sur un autre programme au sein de la même mission.

Je souhaiterais maintenant intervenir sur le deuxième point qui a particulièrement attiré mon attention : la « sortie » des juridictions administratives de la mission « Justice ».

Alors que, jusqu'à cette année, les juridictions financières que sont la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes relevaient de Bercy et que les juridictions administratives relevaient du ministère de la justice, à partir de 2006, elles relèveront toutes du ministère de l'économie et des finances.

Au-delà des problèmes que cela peut engendrer entre les élèves de l'Ecole nationale de l'administration et ceux de l'Ecole nationale de la magistrature, il en est un de principe : je crois à l'indépendance de la justice et je regrette profondément que la juridiction administrative, dont l'indépendance a pourtant été reconnue, ne relève plus de la Chancellerie. J'aimerais, sur ce point également, obtenir quelques éclaircissements ; j'ai l'impression que l'on fait là une erreur.

Telles sont, monsieur le garde des sceaux, les remarques que je voulais formuler sur ce rapport, au demeurant fort intéressant et dont nous aurons l'occasion de reparler au moment de l'examen du budget de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas sur les propos liminaires que j'ai tenus à la suite de l'intervention du président de la commission des finances sur l'opportunité et sur la qualité de ce débat, qui a vu M. le rapporteur spécial et M. le rapporteur pour avis aborder un problème, celui des frais de justice, qui a pris un tour nouveau, les montants atteints n'étant plus du tout ce qu'ils étaient auparavant, en raison notamment de l'évolution des techniques.

Il nous est donc aujourd'hui permis, grâce au Sénat, de réfléchir ensemble à cette question, ce qui éclairera bien entendu le débat sur le projet de budget qui se déroulera prochainement.

Je voudrais tout d'abord remercier M. du Luart de me fournir l'occasion d'exposer très concrètement, devant la représentation nationale, la situation des frais de justice, et de mettre les choses au clair sur un sujet qui a suscité de nombreuses interrogations et donné lieu à une polémique souvent excessive.

Je m'efforcerai, au préalable, de dresser un panorama des mesures prises par le ministère de la justice afin de s'adapter à la mise en place de la LOLF.

Le ministère de la justice est un acteur de la révolution culturelle de la LOLF, que j'appelais, pour ma part, depuis longtemps de mes voeux. En tant que député puis président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, j'ai en effet toujours soutenu cette initiative de bonne gestion, qui trouve enfin sa concrétisation cette année.

Pour s'y préparer, le ministère de la justice a mis en place dès 2002 une politique de formation de ses agents. Je participerai moi-même prochainement à une séance de formation des chefs de cour qui deviennent ordonnateurs secondaires. Il me semble en effet primordial de responsabiliser les gestionnaires territoriaux du service public de la justice, car c'est sur eux que reposeront les efforts de transparence et de bonne gestion de ce budget.

A l'heure actuelle, l'organisation de budgets opérationnels de programme a été finalisée, les applications de gestion nécessaires à la mise en oeuvre de la LOLF ont été modifiées, le bilan de l'expérimentation de la LOLF s'est révélé positif et a montré la capacité de la justice à mieux employer ses crédits.

Pour ne prendre qu'un exemple, la direction des services pénitentiaires de Rhône-Alpes-Auvergne expérimente la globalisation des crédits depuis le 1er janvier 2004. Ce nouveau mode de gestion lui a permis de dégager près de 2,4 millions d'euros, soit 2,4 % de son budget global. Grâce à ces économies, cette direction a financé la rénovation d'établissements pénitentiaires, qui ont pu, par exemple, rénover leurs parloirs pour améliorer l'accueil des familles. La mise en oeuvre de la LOLF au ministère de la justice sera un moyen non pas de reconcentration, mais, au contraire, de décentralisation.

Je voudrais également vous faire remarquer que la mise en place de la LOLF s'effectue à moyens constants et à effectifs inchangés.

Par ailleurs, vous avez souligné, messieurs les rapporteurs, le coût des réformes pénales pour les finances publiques.

A cet égard, je tiens à préciser que je ne souhaite pas contribuer à l'inflation législative. Je suis attaché à la stabilité juridique et je ne présenterai, en matière pénale, que des textes que j'estime indispensables pour assurer la sécurité des citoyens. C'est le cas de la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, dont la deuxième lecture a eu lieu ici même voilà quelques semaines. A cet instant, je voudrais remercier les membres de la commission mixte paritaire, dont le travail a permis aux deux assemblées d'aboutir à des conclusions communes.

Je voudrais enfin ajouter, sur ce sujet, qu'il est facile de déplorer que l'on élabore sans cesse des lois et que cela entraîne une inflation législative, en particulier dans le domaine pénal. Je ferai observer que nous vivons à une époque où le terrorisme, le grand banditisme, le blanchiment d'argent ont pris des proportions nouvelles.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est vrai !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Qu'aurait-on dit si la France ne s'était pas dotée de moyens juridiques comme l'infiltration, qui coûte cher en frais de justice, de capacités d'écoute, qui requièrent l'utilisation de techniques beaucoup plus modernes qu'auparavant, et donc beaucoup plus coûteuses, ainsi que de toutes les mesures qui figurent dans la loi dite « Perben II » ?

Il était indispensable d'élaborer des textes contre le grand banditisme et le terrorisme, même si je reconnais que près de 500 articles du code pénal et du code de procédure pénale s'en sont trouvés modifiés. Personne, dans les deux assemblées, à droite comme à gauche, ne pourrait prétendre le contraire. Il était donc nécessaire que nous adaptions notre code pénal, eu égard au défi qu'affrontent les pays développés.

En tout état de cause, la LOLF nous permettra de rationaliser les études d'impact des projets législatifs. Cette mission rentre dans les attributions du nouveau secrétaire général du ministère de la justice, qui veillera particulièrement à l'exactitude et à la cohérence de ces évaluations.

La LOLF permettra enfin de rendre les actions de la justice plus transparentes et plus performantes. Des indicateurs de résultat ont été élaborés, qui constitueront des outils de jugement pour le Parlement. Je donne rendez-vous au début de l'année 2007 pour vous rendre compte de ma gestion.

A ce point de mon propos, je voudrais indiquer à Mme Borvo Cohen-Seat, qui a été choquée par la référence à la notion de performance, que nous parlons ici non pas des décisions de justice, mais du budget. Il s'agit bien de performance en termes de qualité de gestion budgétaire du ministère, en aucun cas d'un critère s'appliquant aux décisions de justice. Cette référence est commune à tous les ministères et à d'autres domaines de la vie du pays, et nous l'avons gardée.

N'oublions pas, cependant, que les conséquences de la mise en oeuvre de la LOLF sont plus importantes, sur le plan budgétaire, pour la justice que pour les autres ministères, du fait de la transformation des crédits évaluatifs en crédits limitatifs.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Près de 20 % du budget de la justice sont concernés par ce changement dans le projet de loi de finances pour 2006.

M. du Luart et la plupart des orateurs m'ont interrogé sur le montant des frais de justice. Je confirme que la somme budgétée est fidèle à la réalité du travail des juridictions ; je vais m'en expliquer.

L'augmentation des frais de justice est liée à l'accroissement de l'activité des juridictions et, comme je le disais à l'instant, à l'utilisation des nouvelles technologies. Ainsi, les frais de justice ont progressé de 20 % par an depuis 2001, pour atteindre 420 millions d'euros dépensés en 2004 et 490 millions d'euros attendus en 2005.

Cela étant, j'ai mis en place un plan de maîtrise des frais de justice, qui nous a déjà permis d'économiser 22 millions d'euros, et il apparaît que le total des dépenses engagées à ce titre pour 2005 devrait être plus proche de 470 millions d'euros que des 490 millions d'euros attendus. On voit bien que les frais de justice ont atteint un palier - cela vaut d'ailleurs aussi pour les dépenses liées à l'aide juridictionnelle -, et cette évolution, jointe à la mise en concurrence des opérateurs et au souci qu'auront les prescripteurs de choisir, à qualité comparable évidemment, la solution la moins coûteuse, fait que la prévision de dépenses inscrite dans le projet de budget est probablement réaliste. Jusqu'à présent, ces dépenses n'étaient pas anticipées, elles étaient subies.

Depuis ma nomination, je me suis saisi de cette problématique des frais de justice. Je dois avouer que, au début, j'ai mal réagi devant les attentes du ministère chargé du budget, auquel j'ai fait comprendre que l'on ne pouvait faire pression sur les magistrats, en particulier sur les juges du siège, l'indépendance des décisions de justice devant être respectée.

Telle a été, je le reconnais, ma première réaction, puis, chemin faisant, en discutant avec les Premiers présidents, les procureurs généraux, bref avec tous les responsables de nos juridictions et de nos cours, j'ai bien senti que chacun était demandeur d'un peu de réalisme, réalisme qui manquait auparavant pour la bonne raison qu'il n'y avait pas de mise en concurrence des prestataires.

Alors qu'une dépense de 600 millions d'euros avait été annoncée initialement pour 2005 au titre des frais de justice, elle sera donc sensiblement inférieure à 500 millions d'euros. J'indiquerai d'ailleurs à Mme Borvo Cohen-Seat que ce poste englobe aussi, pour partie, l'indemnisation des victimes. Ce sont là des dépenses qui ne sont guère contestables, et des procès extrêmement importants, comme celui du tunnel du Mont-Blanc, affectent la ligne budgétaire dédiée aux frais de justice.

Je voudrais dire enfin, sur ce sujet, que je sens aujourd'hui une prise de conscience parmi les magistrats et les officiers de police judiciaire prescripteurs. N'oublions pas, en effet, que près de la moitié des frais de justice sont engagés par les officiers de police judiciaire, c'est-à-dire par des personnes qui ne sont pas des fonctionnaires du ministère de la justice. Chacun est maintenant informé, me semble-t-il, de la réalité des coûts. Le montant des dépenses devrait correspondre, grosso modo, à ce que nous prévoyons.

Seulement 370 millions d'euros ont donc été inscrits au projet de budget. En effet, le plan de maîtrise des frais de justice, qui nous a déjà permis d'économiser, je l'ai dit, 22 millions d'euros, permettra, dès 2006, de réaliser une économie globale d'au moins 62 millions d'euros.

On pouvait en effet constater, s'agissant de ces dépenses, des tarifs souvent abusifs imposés sans discussion par des prestataires,...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. ... comme l'ont souligné MM. les rapporteurs, une absence de mise en concurrence pour certains frais ou encore un système comptable qui déresponsabilisait les acteurs.

Je voudrais vous présenter des exemples concrets des premiers résultats que nous avons obtenus.

Une mise en concurrence des frais d'empreinte génétique, cet été, nous a permis de passer d'un tarif moyen de plus de 150 euros à un tarif de 85 euros. L'économie ainsi réalisée s'élève à 3 millions d'euros.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. En matière d'écoutes téléphoniques, nous ferons dès l'année prochaine une économie de 3 millions d'euros en installant des lignes permanentes dans les services de police et de gendarmerie, au lieu de recourir à l'installation de lignes provisoires faisant l'objet d'une location.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Excellent !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. En outre, 2 millions d'euros ont été économisés dans le domaine de la location de matériel d'écoutes, grâce à la mise en concurrence des prestataires.

Enfin, jusqu'à présent, lorsque la justice demande un renseignement à un opérateur téléphonique, une somme forfaitaire de 9 euros lui est facturée. Nous avons fixé des tarifs avec les opérateurs, afin de les rapprocher du coût réel. Ainsi, les renseignements déjà en leur possession seront facturés au prix de 3,8 euros, et les demandes plus complexes à celui de 20 euros. L'économie qui sera obtenue peut être évaluée à 14 millions d'euros.

Vous remarquerez que les économies réalisées seront compatibles avec la liberté de prescription des magistrats, qu'elles n'entraveront en rien. Il n'a jamais été question que cette dernière soit mise en péril. J'ai simplement dit qu'en faisant appel à la responsabilisation de tous nous choisirons, à qualité comparable, la prestation la moins chère. C'est là une démarche qui n'était même pas envisagée voilà ne serait-ce qu'un an.

Je compte également sur les efforts des chefs de programme dans chaque juridiction ; je les ai mobilisés sur ce sujet. Ils disposeront l'an prochain d'une enveloppe globale incluant les frais de justice, et auront toute latitude pour décider de l'emploi des crédits et des équivalents temps plein travaillé mis à leur disposition.

Je voudrais insister en outre sur un point que peut-être le Sénat n'a pas perçu dans cette logique impitoyable de la LOLF : si nous devions dépenser plus, au titre des frais de justice, que ce qui a été budgété - vous avez bien noté, monsieur du Luart, que 50 millions d'euros pourraient être mobilisés en cas de dépenses exceptionnelles et viendraient alors éventuellement s'ajouter aux 370 millions d'euros dont j'ai parlé tout à l'heure -, ce surcroît serait prélevé sur les crédits des services judiciaires.

Les chefs de cour et de juridiction sont prévenus : ils devront payer les frais de justice, mais si ces derniers dépassent le montant initialement prévu, ce sera évidemment au détriment des crédits de fonctionnement. Leur indépendance n'est donc nullement remise en cause dans cette affaire ; il s'agit de savoir quelle est, pour les chefs de cour et de juridiction, la meilleure manière d'affecter les moyens dont ils disposent, dans une dyarchie qu'il est évidemment tout à fait souhaitable de conserver, sous peine de rompre, beaucoup plus gravement que budgétairement, l'équilibre de notre magistrature ; j'y reviendrai tout à l'heure.

M. le rapporteur pour avis s'inquiète de la charge de travail des services administratifs régionaux. Depuis trois ans, nous les avons renforcés de 314 agents, de sorte qu'aujourd'hui leur effectif total est de 1125 agents.

J'ai demandé aux chefs de cour de résorber en priorité les vacances de postes dans ces services pour faire des SAR des services autonomes, dotés d'effectifs et d'un budget propres. Les postes de responsable de service seront augmentés d'une catégorie et reclassés dans le grade ou l'échelon immédiatement supérieur. Il appartiendra d'ailleurs aux seuls chefs de cour et de juridiction, et non pas à la Chancellerie, de flécher, parmi les postes créés mis à leur disposition, les postes de fonctionnaires de catégorie C, notamment, vers les SAR. Nous entendons ainsi accroître la responsabilisation de ces gestionnaires.

Conformément au souhait de MM. Karoutchi et Détraigne, la LOLF permet de responsabiliser chacun des acteurs de la justice sur les coûts budgétaires. En tant que chefs de budget opérationnel de programme, les chefs de cour et de juridiction assumeront la responsabilité de leur gestion devant moi, responsable de la mission « Justice », et je vous rendrai, à mon tour, des comptes sur cette gestion.

Au-delà des crédits inscrits pour la mission « Justice », le Premier ministre a validé la possibilité de mobiliser 50 millions d'euros de dépenses exceptionnelles de frais de justice sur le programme « dépenses accidentelles et imprévisibles » de la mission « Provisions ». Ce dispositif se justifie au moins pour la première année de mise en oeuvre de la LOLF. Nous pouvons réaliser des économies, mais nous ne pouvons prédire, malheureusement, toutes les catastrophes susceptibles d'entraîner des frais de justice. C'est, me semble-t-il, l'objet de ce programme que de financer ce surcoût éventuel.

Comme vous le voyez, le plan d'économies ajouté au fonds exceptionnel permettra de payer l'intégralité des frais de justice.

Je voudrais maintenant répondre à une interrogation sur les juridictions judiciaires.

L'architecture budgétaire doit garantir l'indépendance constitutionnelle de l'autorité judiciaire, qui comprend les magistrats du siège et ceux du parquet. Mais la justice n'est efficace que si ces deux catégories de magistrats travaillent de manière complémentaire. A cet égard, les réunions que j'organise régulièrement, dont la dernière en date réunissait les procureurs généraux et les premiers présidents, prouvent à l'évidence que, le plus souvent, les responsables des cours s'entendent, et s'entendent bien !

La séparation en deux programmes serait plutôt source de blocage. En outre, elle ne permettrait pas à la représentation nationale de disposer d'une vision cohérente de l'action de l'autorité judiciaire, tant dans le domaine civil que dans le domaine pénal. Par ailleurs, elle aurait des effets négatifs dans la gestion du poste des frais de justice. Des risques de doublons apparaissent dès que les ordonnateurs secondaires sont séparés.

La création de ces deux programmes entraînerait de très sérieuses complications en matière non seulement de gestion des services communs, mais également de gestion des ressources humaines, des sites immobiliers ou des applications informatiques. De même, la réduction de la taille du budget opérationnel de programme que constitue une cour d'appel dans le cadre de chaque programme limiterait les possibilités de fongibilité des crédits. Ce serait ainsi un principe fort de la modernisation de la gestion des finances publiques, initiée par la LOLF, qui serait mis à mal.

Je tiens à signaler que l'ordonnancement conjoint entre le siège et le parquet, applicable à compter de 2006, fonctionne déjà dans les cours d'appel expérimentales sans porter atteinte à la liberté de prescription des magistrats.

Enfin, le Premier ministre a décidé de ne pas soumettre les services judiciaires aux gels budgétaires, et d'alléger les contrôles a priori des contrôleurs financiers. Cette décision est entrée en vigueur dès le mois de juillet dernier.

Je voudrais, avant de conclure, répondre en quelques mots à M. Collombat, qui a embrassé dans une ample intervention tous les problèmes de la justice. Ne voyez dans mon propos aucune intention polémique, monsieur le sénateur ; je suis totalement sincère quand je me félicite de l'initiative récente d'un grand hebdomadaire. Oui, lancer une pétition sur les prisons me semble une bonne idée, et elle peut même m'aider. En effet, je souhaite avoir le maximum de crédits, tenir le cap fixé par la loi d'orientation et de programmation pour la justice et faire en sorte que nous puissions maintenir le rythme soutenu de notre action en faveur de l'humanisation des prisons.

Pour autant, quand j'ai redit, ici même, que nous n'avions eu, depuis les années quatre-vingt, que trois programmes de création de prisons - le programme Chalandon, le programme Méhaignerie et le programme Perben -, je ne cherchais pas plus la polémique : c'est la stricte vérité ! Il n'y a jamais eu d'autres programmes.

M. Pierre-Yves Collombat. C'est tout ce que vous avez retenu de mon propos ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je demande donc que chacun, faisant un retour sur soi-même, assume sa part de responsabilité et prenne l'engagement de maintenir, demain, en cas d'alternance du pouvoir, ce rythme de création de places, qui seul permettra à la France d'avoir des prisons dignes de la démocratie qu'elle incarne à nos yeux.

Vous avez également reproché au Gouvernement, monsieur Collombat, de créer plus de détenus que de places de prison. C'est, là encore, une idée que je souhaiterais vous ôter de la tête, car elle est fausse. En effet, la France compte 93 détenus pour 100 000 habitants, soit moins que l'Allemagne, moins que l'Italie, moins que l'Espagne, moins que les pays du Benelux et moins que la Grande-Bretagne. Autrement dit, contrairement aux idées reçues, on emprisonne moins dans notre pays que dans les pays voisins, qui comptent tous une centaine de détenus pour 100 000 habitants.

Cela, personne ne le sait !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais si, on le sait !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Vous êtes tous convaincus du contraire.

Ce matin encore, à l'Assemblée nationale, un député communiste m'a même fait cette remarque, qui n'a pas manqué de me surprendre, ...

M. Pierre-Yves Collombat. Nous parlons de la surpopulation carcérale, c'est-à-dire du rapport entre le nombre de détenus et le nombre de places de prison. Vous parlez, vous, du taux d'incarcération : ce n'est pas la même chose !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. S'il y a surpopulation carcérale, c'est parce que, pendant de nombreuses législatures, aucune place de prison n'a été créée. Vous pourriez avoir la décence de ne pas nous contraindre à vous le rappeler !

M. Pierre-Yves Collombat. J'en ai parlé une demi-minute !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Eh bien, il ne fallait pas ! Quand on n'a rien fait, la simple décence veut que l'on garde le silence !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous ne parlez que de ça !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je vous réponds parce que vous m'en parlez.

M. Pierre-Yves Collombat. Comme toujours, c'est la langue de bois ! La LOLF pose de vrais problèmes, discutons-en !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Nous en discutons.

M. Pierre-Yves Collombat. Personne ne détient la vérité !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Si, les chiffres, et ils sont indiscutables : vous n'avez créé aucune place de prison. Je suis désolé d'y revenir, mais, s'il y a une vérité, elle est à chercher dans les chiffres ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Il ne faut pas exagérer, monsieur Collombat. Je vous le répète : vous n'avez rien fait !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qui a sorti de prison des gens qui n'avaient rien à y faire ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Les discours, c'est autre chose et, là, je le reconnais, vous êtes prix d'excellence, mais, pour les réalisations, il n'y a plus grand monde !

M. Collombat m'a reproché d'avoir dit à Mme Guigou, à l'Assemblée nationale, que les moyens financiers n'étaient pas importants. Je tiens à lui préciser- cela nourrira sa réflexion d'ici à sa prochaine intervention sur le budget de la justice -que ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit qu'il ne fallait pas que l'obtention des moyens soit un préalable au vote de la loi. Si tel était le cas, on ne voterait aucune loi !

S'agissant du bracelet électronique mobile, je tiens également à dire, quitte à décevoir ses partisans, que, pour le prochain exercice, il ne coûtera malheureusement pas bien cher. En effet, il faudra d'abord l'expérimenter et ensuite préparer l'appel d'offres public, ce qui prend au moins six mois. Autant dire que ce ne sont pas les crédits à inscrire dans le budget 2006 pour le bracelet électronique mobile qui m'inquiètent !

L'année prochaine, en revanche, vous serez en droit de m'interroger sur les sommes inscrites à ce titre dans le projet de loi de finances et, alors, nous en parlerons.

Puisque vous avez abordé le sujet, je vais aussi vous répondre - tant pis, il ne fallait pas m'en parler ! - que Mme Guigou, qui n'avait pas retenu grand-chose de son prédécesseur, M. Jacques Toubon, avait cependant été très bien inspirée de reprendre son idée de suivi socio-judiciaire. Sauf, que, pour le coup, elle n'a jamais inscrit un sou pour faire fonctionner ce nouveau dispositif !

Ce matin, j'ai entendu vos collègues du parti socialiste à l'Assemblée nationale déclarer que nous devions faire en sorte qu'il n'y ait plus aucune sortie sèche de prison, et j'ai applaudi.

Puisque vous êtes très forts pour les paroles, mettez aussi de l'argent pour financer vos belles et généreuses idées...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais c'est vous qui êtes au Gouvernement !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Pour notre part, dans la proposition de loi sur laquelle le Sénat et l'Assemblée nationale sont tombés d'accord, nous prévoyons précisément des mesures pour éviter ces sorties sèches, surtout si sont concernés les auteurs de certains crimes ou de certains délits.

A M. Karoutchi, je dirai que j'ai beaucoup apprécié son discours, mais que je lui exposerai en tête-à-tête les raisons pour lesquelles je ne le commente pas. (Sourires.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, la nation réalise un effort substantiel pour la justice. Elevée au rang priorité budgétaire, la justice se doit d'être plus efficace et plus transparente.

Le ministère de la justice est entré avec confiance dans l'ère de la maîtrise de son budget. Vous pouvez compter sur moi pour que les bénéfices concrets de la LOLF se fassent sentir dès cette année. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Le débat est clos.