PRÉSIDENCE DE Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 33 minutes ;

Groupe socialiste, 23 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 11 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes ;

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Léonce Dupont.

M. Jean-Léonce Dupont. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la fin de l'année 2005, les étudiants se sont mobilisés pour alerter l'opinion et les pouvoirs publics sur le comportement abusif de certains employeurs en matière de stages qui leur étaient proposés.

Il est vrai que certaines sociétés tendent à faire occuper des emplois à durée indéterminée par des stagiaires successifs et que ces derniers ne bénéficient pas toujours d'une rémunération, même minime. D'ailleurs, et vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, l'administration n'est pas la plus généreuse en la matière !

Mme Annie David. C'est vrai !

M. Jean-Léonce Dupont. Mais il convient de ne pas généraliser et de ne pas ostraciser les nombreux professionnels qui tentent de partager leur expérience et de faire connaître leurs métiers auprès des jeunes.

En outre, de telles pratiques ne sont pas spécifiques à la France. Dans de nombreux pays, on considère la possibilité de pouvoir s'initier ainsi à la vie professionnelle comme une chance justifiant en elle-même des efforts de la part du jeune qui en bénéficie.

En France, suite à une large concertation, le Gouvernement - je tiens d'ailleurs à saluer M. Gérard Larcher, ainsi que vous-même, monsieur le ministre - a organisé la signature, le 26 avril 2006, de la charte des stages étudiants en entreprise, qui tend à sécuriser la pratique des stages, sans pour autant, et j'insiste sur ce point, décourager les employeurs d'y recourir.

Par ailleurs, et M. le rapporteur l'a rappelé, une disposition a déjà été votée dans la cadre de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances. Je relève que M. Godefroy et les membres du groupe socialiste, auteurs de la présente proposition de loi, n'ont pas attendu la parution du décret d'application de cette disposition, le 29 août 2006, pour déposer leur texte.

Je m'interroge donc sur l'intérêt de présenter une proposition de loi après l'adoption d'une disposition législative et d'une charte, et ce sans même attendre le texte d'application de la loi. Ne risque-t-on pas de contribuer ainsi à l'inflation législative, sans laisser aux initiatives récentes le temps de s'installer dans le paysage et d'entrer tout simplement dans les moeurs ? Notre pays souffre de cela. À mon sens, nous avons besoin de sortir de notre société de défiance pour instaurer une société de confiance.

Le décret du mois d'août dernier précise utilement les mentions devant figurer dans la convention tripartite qui doit être signée entre l'établissement d'enseignement supérieur, le stagiaire et l'entreprise d'accueil. En outre, il interdit le recours à des stagiaires dans un certain nombre de circonstances, parmi lesquelles je m'étonne d'ailleurs de voir figurer l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise.

Mes chers collègues, s'il faut éviter les dérives et abus, il nous faut également, me semble-t-il, garder à l'esprit qu'un stage non seulement revêt une dimension pédagogique, mais constitue également une initiation à la vie professionnelle. Or cette dernière ne passe-t-elle pas par l'exercice de certaines missions, ce qui va donc au-delà de la simple observation du travail effectué par d'autres ?

Les étudiants que je rencontre se plaignent très souvent que leurs stages ne leur permettent pas de se confronter véritablement aux réalités de leur future vie professionnelle ; le seul rôle d'observateur se révèle frustrant.

De même, si la structure d'accueil doit veiller à ce que le rôle du tuteur soit efficacement assumé, il n'apparaît pas absurde qu'elle en attende un certain retour, surtout si elle verse une gratification aux stagiaires.

Vous m'avez compris, je ne suis pas surpris que la commission des affaires sociales ait décidé de rejeter cette proposition de loi. En tant que rapporteur de l'enseignement supérieur pour la commission des affaires culturelles, j'aurais prôné la même solution si cette dernière avait été saisie de ce texte législatif.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais nous nous sommes inspirés de votre position, mon cher collègue !

M. Jean-Léonce Dupont. Je regrette, d'ailleurs, qu'elle n'en ait pas été saisie.

Mme Annie David. Tout à fait !

M. Jean-Léonce Dupont. Nous connaissons la difficulté des étudiants pour trouver des stages. Pourtant, cette expérience pratique se révèle désormais indispensable pour leur future insertion professionnelle.

Or si les entreprises sont généralement prêtes à assumer le rôle d'accueil qui leur incombe -  elles ont tout intérêt à le jouer si elles veulent ensuite recruter de jeunes diplômés qualifiés -, elles savent également que recevoir un étudiant est chronophage pour leurs salariés. Il faut donc que chacun puisse s'y retrouver.

Or inscrire dans le marbre, c'est-à-dire dans la loi, les dispositions qui nous sont proposées risquerait, me semble-t-il, de décourager un certain nombre d'employeurs susceptibles de s'inquiéter d'une forme de complexité introduite dans un domaine où la souplesse s'impose, car elle est liée à la diversité des besoins des étudiants, en fonction de leur cursus dans l'enseignement supérieur.

Nous devons donc, je le crois, laisser vivre les dispositifs existants et la charte. Il faut les faire connaître et procéder à l'évaluation de leur application par toutes les parties concernées. À cet égard, je propose d'en établir un premier bilan à l'occasion de la présentation du projet de budget de la mission « Recherche et enseignement supérieur » pour 2008.

Par ailleurs, ne faudrait-il pas s'interroger sur les pratiques d'un certain nombre de services publics ? Il est assez courant que leurs stages soient quasiment réservés aux enfants de leur personnel. (M. le président de la commission des affaires sociales s'exclame.) C'est souvent le cas, par exemple, dans les commissariats de police ou à la SNCF. Certes, cela concerne surtout les stages des élèves en classe de troisième ou de seconde, mais n'est-ce pas déjà à ce stade que l'orientation des jeunes est essentielle et que se forme leur représentation des métiers ? (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les avantages des stages accompagnant la formation initiale des étudiants sont incontestables. Leur rôle dans l'insertion professionnelle des jeunes est central et doit être pleinement reconnu à l'heure où le chômage qui les frappe demeure plus élevé que celui des autres catégories d'âge.

Ils apportent à un étudiant, outre son premier contact effectif avec le monde du travail, un complément de formation et une expérience valorisables lors de l'entrée dans la vie active.

De leur côté, les entreprises ne sauraient ignorer l'intérêt de faire découvrir aux étudiants les enjeux de la production, les jeunes stagiaires pouvant, par ailleurs, constituer un élément important du dynamisme de l'entreprise d'accueil grâce au regard neuf et extérieur qu'ils peuvent porter sur elle.

Mme Annie David. Cela, c'est certain !

Mme Isabelle Debré. Si le développement des stages doit être activement recherché pour améliorer l'insertion professionnelle des jeunes, il est néanmoins essentiel de rappeler que les stages ont avant tout une finalité pédagogique, ce qui signifie qu'il ne peut y avoir de stage hors parcours pédagogique.

M. Dominique Braye. Absolument !

Mme Isabelle Debré. En effet, le stage permet la mise en oeuvre de connaissances théoriques dans un cadre professionnel et donne à l'étudiant une expérience du monde de l'entreprise et de ses métiers. En aucun cas un stage ne peut être considéré comme un emploi.

M. Richard Yung. Justement !

Mme Isabelle Debré. Il est cependant apparu que des stages pouvaient être utilisés comme une modalité de préembauche, voire comme un contrat de travail dissimulé, les détournant ainsi de leurs finalités premières.

Mme Isabelle Debré. Certains stages ont donné lieu à des abus, on ne peut le contester.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est sûr !

Mme Isabelle Debré. Je pense aux stages dépourvus de valeur pédagogique ou au recours, par certaines entreprises, à cette formule dans des situations qui auraient justifié la conclusion d'un contrat de travail.

C'est pourquoi la loi pour l'égalité des chances, votée en 2006, a inséré un encadrement juridique des stages dans le dispositif qu'elle a consacré à la lutte contre la précarité.

M. Alain Gournac. Et c'est très bien !

Mme Isabelle Debré. Ainsi, l'article 9 de cette loi a-t-il rendu obligatoire la conclusion d'une convention tripartite -étudiant, établissement d'enseignement et employeur - pour les stages en milieu professionnel ne relevant pas de la formation professionnelle continue.

Il s'agit d'améliorer les conditions de travail du stagiaire et de le prémunir contre les abus en encadrant le déroulement du stage. Cette obligation légale s'applique, que le stage soit obligatoire ou non dans le cursus de formation.

Le décret nécessaire à l'application de cet article est paru le 29 août 2006. Il précise, notamment, que doivent obligatoirement figurer dans la convention la définition des activités confiées au stagiaire en fonction des objectifs de formation, la durée hebdomadaire maximale de présence du stagiaire dans l'entreprise, le montant de la gratification qui lui est versée, le régime de protection sociale dont il bénéficie, les conditions de son encadrement et les modalités de suspension et de résiliation du stage.

Le décret interdit également de conclure une convention de stage soit pour remplacer un salarié en cas d'absence, de suspension de son contrat de travail ou de licenciement, soit pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent, soit pour faire face à un accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise, soit encore pour occuper un emploi saisonnier.

Il démontre, si besoin était, à quel point vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, avec Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, à améliorer cet outil fondamental d'orientation et d'insertion professionnelle pour les jeunes, qui les prépare au passage vers le monde du travail.

M. Dominique Braye. C'est vrai !

Mme Isabelle Debré. La loi prévoit également que ces stages, à l'exception de ceux qui sont intégrés à un cursus pédagogique ou de ceux qui font partie du cursus de formation d'une profession réglementée, ont une durée initiale - ou cumulée, en cas de renouvellement - qui ne peut excéder six mois. La présente proposition de loi ne fait que reprendre ce délai maximum.

Ce même article 9 traite également de la question de la rémunération, qui est un élément essentiel du statut du stagiaire. Le principe de l'octroi d'une rémunération pour les stages d'une durée supérieure à trois mois a donc été instauré.

Pour éviter toute ambiguïté, il a été précisé que le stage ne crée pas une relation de travail salarié et, donc, que la rémunération est une « gratification » et non pas un salaire.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Tout à fait !

Mme Isabelle Debré. Par ailleurs, l'article 10 de la même loi crée une franchise en deçà de laquelle l'employeur et le stagiaire n'acquittent ni cotisations ni contributions sociales. Lorsque l'indemnité est supérieure à ce seuil, l'employeur et le stagiaire cotisent sur la seule fraction excédant le seuil et non plus sur la totalité de la somme.

Tout cela doit donc permettre une meilleure indemnisation des stagiaires.

Enfin, ils bénéficient tous des prestations accidents du travail et maladies professionnelles du régime général, à l'exception des indemnités journalières et de l'indemnité en capital, quel que soit le montant de leur rétribution.

Le législateur n'est donc pas resté inactif, comme vous le voyez. Beaucoup a déjà été fait par notre majorité, et nous considérons qu'il convient de laisser ces nouvelles mesures produire leur plein effet.

Par ailleurs, le Gouvernement a signé, le 26 avril 2006, une charte des stages étudiants en entreprises avec les représentants des entreprises, des établissements d'enseignement supérieur et des étudiants. Cette charte a pour objectif de sécuriser la pratique des stages, tout en favorisant leur développement, bénéfique à la fois pour les jeunes et pour les entreprises.

Les rédacteurs de la charte sont le MEDEF, la CGPME, l'Union professionnelle artisanale, l'UPA, l'Union nationale des professions libérales, l'UNAPL, l'Union nationale interuniversitaire, l'UNI, la Fédération des associations générales étudiantes, la FAGE, Promotion et défense des étudiants, PDE, le collectif  Génération précaire, la Conférence des présidents d'université, la Conférence des grandes écoles et la Conférence des directeurs d'écoles et de formations d'ingénieurs,  c'est-à-dire la quasi-totalité des partenaires sociaux, ainsi que les services du ministère délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes et du ministère délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche.

Le champ de la charte concerne tous les stages d'étudiants en entreprise, sans préjudice des règles particulières applicables aux professions réglementées.

Dans ce cadre, le stage doit permettre la mise en pratique des connaissances en milieu professionnel et faciliter le passage du monde de l'enseignement supérieur à celui de l'entreprise.

Cette charte rappelle que le projet de stage est formalisé dans la convention signée par l'établissement d'enseignement, l'entreprise et le stagiaire, qui tend à préciser, notamment, leurs engagements et leurs responsabilités respectifs. Là encore, la proposition de loi est satisfaite sur plusieurs points par la charte.

En outre, tout stage fait l'objet d'un double encadrement par un enseignant de l'établissement et un membre de l'entreprise, comme le souhaite M. Godefroy dans sa proposition de loi. L'enseignant et le membre de l'entreprise travaillent en collaboration, sont informés et s'informent de l'état d'avancement du stage et des difficultés éventuelles.

Le responsable du stage au sein de l'établissement d'enseignement est le garant de l'articulation entre les finalités du cursus de formation et celles du stage, selon les principes de la présente charte. Leurs institutions respectives reconnaissent la nécessité de leur investissement, notamment en temps, consacré à l'encadrement. Sur ce point également, la charte répond aux dispositions que le texte qui nous est soumis veut imposer par la loi.

On ne peut donc plus clairement démontrer à quel point les partenaires sociaux sont déterminés à favoriser les stages tout en les encadrant dans des conditions didactiques et constructives. (M. Jean Desessard s'exclame.)

Diffusée au cours du printemps 2006 auprès des entreprises, des branches professionnelles, des établissements d'enseignement supérieur et des services de l'État, cette charte constitue à ce jour le texte de référence encadrant les stages.

Par ailleurs, l'État s'est engagé, en application du Plan national de lutte contre le travail illégal pour les années 2006-2007, à ce que les corps de contrôles puissent exercer une vigilance sur les conditions de travail des stagiaires en entreprise. L'idée du rapporteur de proposer un contrôle a posteriori de la convention par l'inspection du travail se trouve donc satisfaite.

Je crois, par conséquent, que la quasi-intégralité de ce qui tend à sécuriser le stage, pour le rendre le plus profitable possible à l'étudiant sur le plan pédagogique, a d'ores et déjà été mis en place par la loi et par la charte.

Sans doute peut-on considérer que le caractère non coercitif de la charte fait planer un doute sur son efficacité. La proposition de loi prévoit d'y remédier en imposant un encadrement par la loi, dont l'inobservation pourra être lourdement sanctionnée, notamment par la création de la notion d'abus de stage.

À titre personnel, je suis de ceux qui veulent faire confiance au dialogue social. (Les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC marquent leur scepticisme en toussotant.)

Les partenaires sociaux se sont mis d'accord pour un meilleur encadrement des stages au profit de tous. Nous devons leur faire confiance.

Mme Isabelle Debré. Sans doute ne pourrons-nous pas éviter totalement les abus, mais mettre en place un carcan administratif trop lourd, complété par une pénalisation au titre du travail dissimulé, me semble disproportionné.

M. Dominique Braye. Tout à fait !

Mme Isabelle Debré. La proposition de loi prévoit, par ailleurs, d'instaurer une rémunération des stagiaires à hauteur de 50 % du SMIC au-delà d'un mois de stage. C'est méconnaître la réalité du terrain et donner un signal fort en défaveur des stages que d'imposer un tel niveau minimum de rémunération.

M. Dominique Braye. Absolument !

Mme Isabelle Debré. Je redoute qu'une telle mesure ne soit, en définitive, totalement contreproductive et que les employeurs ne soient découragés par ces contraintes excessives.

M. Dominique Braye. Absolument !

Mme Isabelle Debré. Il ne faudrait pas, en effet, que la proposition de loi ait un effet pervers, similaire à celui de la contribution Delalande qui avait alourdi le coût du licenciement de salariés âgés et abouti à ce que la France connaisse l'un des plus faibles taux d'emploi des seniors en Europe.

Partant de très bonnes intentions, ces dispositifs risquent d'aboutir, en réalité, au résultat inverse de celui qui est recherché.

M. Dominique Braye. L'enfer est pavé de bonnes intentions !

Mme Isabelle Debré. Avec de telles mesures, il n'y aurait plus d'abus, car il n'y aurait plus de stage. N'oublions pas que nos jeunes éprouvent des difficultés pour trouver un stage, qui exige du temps et de l'investissement de la part de l'employeur.

Sans doute serait-il souhaitable que les représentants des employeurs publics et ceux du secteur associatif soient associés à la charte afin de couvrir un champ plus large. Pour le moment, laissons à la loi et au dialogue le temps d'agir.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP suivra les conclusions de la commission des affaires sociales tendant à rejeter la présente proposition de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mardi 4 octobre 2005, les stagiaires, contraints de porter des masques afin que leurs patrons ne les reconnaissent pas, défilaient dans nos rues afin d'exprimer leur colère, légitime, pour être devenus des « sans droits », plus pauvres que le travailleur pauvre.

Ces femmes et ces hommes sont sortis de l'ombre pour révéler la précarité de leur situation ! Dans l'espoir d'être intégrés un jour dans une entreprise, ces stagiaires ont accepté de travailler de longs mois, la plupart du temps sans aucune compensation financière et, surtout, sans aucune garantie en termes de droits et de protection. Après avoir admis cette situation pendant des années, stoïquement et en silence, les jeunes la rejettent aujourd'hui !

C'est non pas le stage qui est remis en cause, car il est souvent indispensable aux jeunes lorsqu'ils s'inscrivent dans le cadre d'une formation qualifiante, mais bien la manière dont il a été perverti au profit de certaines entreprises, administrations ou associations, qui bénéficient d'une réserve de main-d'oeuvre à moindre coût, la sécurité sociale étudiante assurant la couverture sociale !

Censé être un « tremplin pour l'emploi », le stage s'est mué, au fil des années, en une « forme d'emploi ».

Si la charte du 26 avril 2006 a marqué une certaine prise de conscience, de la part de l'État et des entreprises, des difficultés des stagiaires, elle n'en reste pas moins insuffisante. En effet, elle a un caractère non contraignant et elle occulte des points essentiels, tels que la rémunération des stagiaires ou encore le recours abusif à ces derniers par certains employeurs.

Manquant d'un encadrement législatif précis, le stage a souvent été détourné de sa fonction d'apprentissage. Aujourd'hui, il est coutumier de voir une succession de stagiaires remplacer un salarié à plein temps, salarié que l'entreprise évite soigneusement d'embaucher. Cette situation est préjudiciable non seulement pour la formation et l'insertion professionnelle du stagiaire, mais également pour les salariés, car de telles pratiques détruisent corrélativement de vrais emplois !

D'ailleurs, le Conseil économique et social, ne s'y s'est pas trompé, puisque, dans son rapport d'août 2005, sur l'insertion professionnelle des jeunes issus de l'enseignement supérieur, il soulignait « la nécessité de procéder à un réexamen des conditions statutaires des stages en entreprises ».

Parallèlement à cette précarité des stagiaires, le taux de chômage en France des jeunes de moins de vingt-cinq ans est l'un des plus élevé d'Europe : selon l'INSEE, le taux de chômage des jeunes actifs s'élevait à 22,8 % en 2005.

Le paradoxe est donc le suivant : les offres de stages s'amplifient inversement aux offres d'emplois ! Ainsi, force est de constater que le recours abusif aux stagiaires est un frein à l'embauche des jeunes. Cette situation n'est pas acceptable, alors que notre jeunesse a exprimé, à de multiples reprises, son « ras-le-bol » d'être en permanence en situation d'urgence sociale !

À la lumière de ces constats, la mise en oeuvre d'un cadre législatif précis pour redonner au stage son caractère pédagogique et sa mission d'insertion des jeunes actifs est une exigence. La célèbre citation de Lacordaire « Entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » trouve ici tout son sens.

Mme Annie David. C'est pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen se réjouit de la discussion de ce texte, qui permettra sans nul doute de lever le voile, s'il en était encore besoin, sur la situation précaire des stagiaires et de répondre, enfin, à leurs exigences, face à un patronat toujours plus gourmand !

La majeure partie des propositions que nous avions soutenues lors du débat relatif au projet de loi pour l'égalité des chances, tendant à redonner au stage ses missions premières, propositions qui semblent indispensables à de nombreuses organisations d'étudiants et d'enseignants, au collectif « Génération précaire » notamment, sont inscrites dans le texte qui nous est présenté aujourd'hui.

Il s'agit, tout d'abord, d'interdire le recours intempestif aux stagiaires. Il convient ainsi de clarifier la notion d'abus de stage et, en conséquence, de déterminer les sanctions qui en découlent. Sur ce point, ce texte est plus indulgent que notre proposition, mais adopter le principe d'une amende est d'ores et déjà un premier pas ; à nous, par la suite, d'aller plus loin !

Toujours dans cette perspective, nous proposions de ne permettre le renouvellement ou la prolongation d'un stage qu'une seule fois. C'est pourquoi sa durée doit être obligatoirement inscrite dans la convention écrite entre l'établissement de formation et l'entreprise.

De même, le contenu des conventions de stages doit être davantage précisé, notamment l'objectif pédagogique et les responsabilités des différents intervenants. Il est nécessaire de contrôler l'adéquation du stage à la formation dispensée, d'instaurer un tutorat approprié dans l'entreprise et dans l'université, d'évaluer l'apport du stage en fonction de la formation ainsi que la qualité d'accueil et d'encadrement pédagogique.

Toutefois, nous sommes conscients que la mise en place d'un référent pédagogique à l'université risque de rester lettre morte en l'état actuel des effectifs dans l'enseignement supérieur, qui sont bien insuffisants. Cette mesure a donc un corollaire : l'augmentation des moyens accordés à l'enseignement supérieur, Monsieur le ministre, je suis sûre que vous m'aurez entendue !

M. François Goulard, ministre délégué. Comme d'habitude ! (Sourires.)

Mme Annie David. Toujours dans le souci de protéger légalement le stagiaire, nous avions proposé d'imputer la durée du stage sur la période d'essai lorsque, à l'issue de celui-ci, un contrat de travail est conclu. Il s'agit là de souligner que l'étudiant qui réalise un stage dans une entreprise y acquiert nécessairement une expérience professionnelle. En effet, il nous semble que, si un stagiaire a passé plusieurs mois dans une entreprise, voire une année entière dans certains cas, son employeur a largement eu le temps de l'évaluer, connaît ses compétences et se trouve en mesure de déterminer s'il est apte ou non à occuper un emploi salarié au sein de ladite entreprise.

Cette question rejoint le constat, fait ces dernières années, de l'allongement de la durée des stages, les écoles de commerce ou d'ingénieurs commençant même à généraliser les stages d'une année.

Il est fréquent que des stagiaires voient la durée de leur stage abusivement prolongée et continuent à travailler dans ce cadre, sans la perspective d'une embauche à plus ou moins long terme. C'est pourquoi, nous proposions de limiter à trois mois la durée du stage. La durée inscrite dans le texte est de six mois. Là encore, l'adoption d'un tel principe nous convient.

L'allongement abusif de la durée des stages est étroitement lié à la question prégnante de la rémunération, ou de l'indemnisation, du stagiaire et nécessite, également, l'intervention du législateur. Les employeurs ont bien compris qu'ils pouvaient utiliser cette main-d'oeuvre dont la rémunération n'est pas obligatoire et qui, de surcroît, est prête à effectuer des tâches n'entrant pas forcément dans son projet pédagogique initial.

La rémunération des stagiaires n'étant pas encadrée, les situations sont diverses et, dans bien des cas, elle est limitée au tiers du SMIC, niveau auquel l'entreprise est exonérée de toutes charges sociales.

Pire encore, bien souvent, les stages ne sont pas rémunérés. Les jeunes issus de milieux modestes ne peuvent ainsi y accéder, alors même qu'ils sont à la recherche d'un emploi et qu'ils sont convaincus qu'un stage leur permettra d'acquérir l'expérience professionnelle exigée par les employeurs. Cette inégalité sociale est encore plus accentuée pour les stages à l'étranger, qui génèrent des coûts d'hébergement, de nourriture et de transport importants à la charge du stagiaire !

C'est donc dans un souci d'équité, mais également en vertu de l'article 23-3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui dispose que « Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable », que nous demandions que les stages soient rémunérés. La proposition faite ici d'une rémunération d'au moins 50 % du SMIC pour les stages de plus d'un mois est donc, de ce point de vue, satisfaisante.

Une autre question appelle toute ma vigilance et mériterait d'être soulevée lors de ce débat ; elle concerne la discrimination. Tout comme elle est avérée sur le marché du travail, certains jeunes en sont victimes lorsqu'ils sont à la recherche d'un stage. Il faudrait alors pouvoir permettre aux établissements de déposer une plainte, lorsqu'une discrimination est constatée.

C'est une piste que j'évoque, mais qui pourrait faire l'objet d'une prochaine discussion. En tout cas, elle constitue encore un élément d'amélioration possible du statut des stagiaires.

Pour conclure, le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat, conscient de l'intérêt, pour certains étudiants, d'avoir recours au stage, est néanmoins persuadé de la nécessité d'apporter des garde-fous légaux à ces périodes de découverte de l'entreprise et du monde du travail.

En effet, nous n'accepterons pas de contrat dérogatoire au code du travail en ce qui concerne les jeunes stagiaires ; ce serait une perche supplémentaire tendue au MEDEF, qui n'en a vraiment pas besoin ! Par ailleurs, le recours abusif aux stagiaires par certains cabinets d'avocats ou bureaux d'études nous conforte dans notre volonté de réhabilitation indispensable du stage en permettant qu'il ne soit pas détourné de son objectif pédagogique, au seul profit des entreprises.

Aussi, nous soutiendrons cette proposition de loi présentée par nos collègues du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dois dire que je suis pris d'un certain vertige devant les travées vides de l'UMP : on se croirait presque en mer ! (Sourires.) On peut le regretter car, même si l'on n'est pas d'accord, il s'agit tout de même de notre jeunesse, au travail de surcroît !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est un vrai problème !

M. Guy Fischer. Cela traduit un mépris pour le débat parlementaire !

Mme Gisèle Printz. Un mépris à l'égard de notre texte !

M. Richard Yung. Je voudrais tout d'abord remercier notre collègue Jean-Pierre Godefroy d'avoir pris l'initiative de cette proposition de loi, qui rassemble des données et des réflexions jusque-là éparses et qui nous donne l'occasion de débattre, et peut-être de progresser, sur l'importante question des stages.

Une telle initiative vient du constat suivant : en France, les stages prennent une place de plus en plus importante dans la vie de nos jeunes concitoyens et de nos étudiants.

Comme beaucoup d'entre vous, j'appartiens à une génération qui est arrivée sur le marché du travail sans jamais avoir poussé auparavant la porte d'une entreprise ou même d'une administration. Le premier jour où l'on travaillait était le premier jour où l'on entrait dans l'entreprise !

M. Jean Desessard. Et on était payé !

M. Richard Yung. À cette époque, c'était la règle générale, que l'on sorte d'une université ou d'un BTS. Peut-être était-ce moins le cas lorsque l'on venait d'une grande école...

Tout le monde se réjouit des stages ; ils ont le grand avantage de permettre aux étudiants de se familiariser avec la vie professionnelle et, surtout, avec le travail en équipe. En effet, quand on est étudiant, on ne travaille pas spontanément avec d'autres.

Dans les années quatre-vingt-dix, les stages ont commencé à changer de nature : les stagiaires sont progressivement devenus une sorte de main-d'oeuvre supplétive. Nombreux sont aujourd'hui ceux qui sont conduits à exécuter des tâches de conception et de production, ce qui n'est pourtant pas l'objet d'un stage.

Pour répondre à l'un des orateurs qui m'a précédé, je dirai que nous ne proposons pas de faire des stagiaires des salariés ; ce sont les employeurs qui agissent ainsi ! Beaucoup d'étudiants occupent des postes permanents, alors qu'ils ne sont que légèrement indemnisés, très faiblement rétribués, voire pas du tout. C'est souvent, d'ailleurs, dans le secteur public que les plus grands abus sont commis.

Faute de trouver un emploi à la sortie de l'école ou de l'université, et pour meubler leur curriculum vitae, certains jeunes diplômés acceptent des stages non rémunérés et s'inscrivent à l'université, la convention de stage étant payée à leur place par l'entreprise.

Chers collègues, en tant que sénateur des Français établis hors de France, je voudrais attirer votre attention sur la question particulière des stages effectués à l'étranger, et surtout dans les enceintes consulaires, au sein des missions économiques ou des centres culturels. Certains stages sont également réalisés dans le secteur privé étranger, mais cela ne relève pas de notre compétence.

Grâce à la multiplication des échanges internationaux, nos jeunes peuvent passer trois mois, voire six mois, à Pékin, à Kuala Lumpur, à Vienne ou encore à Mexico, ce qui est en soi une excellente chose. Ils y apprennent beaucoup. Ils ont notamment l'occasion de se frotter à d'autres cultures ; ils sont en présence d'autres façons de réfléchir et d'aborder les problèmes...

Toutefois, dans ce domaine aussi, a été observé un glissement. Des centres culturels, par exemple, fonctionnent fréquemment avec trois, quatre, voire cinq stagiaires. Certaines missions économiques comptent dans leur effectif deux ou trois stagiaires, tout comme certains consulats. Or, ce ne sont pas nécessairement des stagiaires de l'ENA.

Voilà donc un véritable problème ! En effet, ces stages à l'étranger sont très souvent réalisés sans la moindre convention de stage. Monsieur le ministre, veuillez m'excuser, mais l'État est souvent un mauvais employeur et ne donne pas le bon exemple !

M. François Goulard, ministre délégué. À qui le dites-vous !

M. Richard Yung. Les stagiaires ne bénéficient d'aucune protection, sociale ou autre, d'aucune indemnisation, et ils doivent, par ailleurs, payer leur voyage !

Un cas m'a été très récemment signalé : une jeune stagiaire attachée au consulat de Washington, qui n'est pas rémunérée et qui a emprunté de l'argent pour payer son loyer, s'est vu refuser les tickets-restaurants lui permettant d'accéder à la cantine du consulat ! Il y a de quoi avoir honte pour la République, n'est-ce pas ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. En effet, c'est bas !

M. Jean Desessard. Je comprends que les sénateurs de droite ne soient pas là ; ils ne veulent pas entendre cela ! (Sourires.)

M. Richard Yung. Par ailleurs, les stages, ou certains d'entre eux, sont, souvent, insuffisamment encadrés ; l'objet pédagogique n'est pas clairement défini ou reste vague ; la convention de stage, quand elle existe, est souvent vide et les directeurs de stage soit font défaut, soit passent en courant.

Dans l'exercice de fonctions précédentes, j'ai eu l'occasion de prendre des stagiaires. Vous les rencontrez une heure au début de leur stage pour échanger quelques mots ; puis, vous les remettez assez rapidement entre les mains d'un directeur ou d'un sous-directeur ; enfin, vous les voyez trois ou six mois après, pendant une demi-heure, et c'est tout ! Ils constituent une lourde charge pour des gens qui ont déjà du travail.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous le dites vous-même ! C'est bien de reconnaître que c'est une charge pour l'employeur !

M. Richard Yung. Grâce à la mobilisation du collectif Génération précaire, un certain nombre de progrès ont été obtenus, en particulier à travers la loi du 31 mars 2006 : la convention de stage, l'idée d'une gratification sont des éléments qui vont dans le bon sens.

Toutefois, nous pensons que ce texte reste encore largement insuffisant. Il généralise, en effet, une sorte de sous-salariat ; vous noterez que je n'ai pas dit « sous-prolétariat ». Par manque de volonté, ou de courage, le Gouvernement n'a pas voulu faire de peine au MEDEF en adoptant des dispositions trop contraignantes dans ce domaine.

La charte des stages, que certains orateurs ont précédemment évoquée, est, à bien des égards, un catalogue de bonnes intentions, il faut le dire ! Elle n'a pas de valeur contraignante ; elle s'inscrit dans une bonne démarche mais un tel dispositif est encore très largement insuffisant.

Je voudrais, pour terminer, attirer votre attention sur une disposition qui me tient évidemment à coeur, moi qui suis représentant des Français établis hors de France.

En effet, la présente proposition de loi introduit - ou introduira -, dans le code de l'éducation, un article L. 615-4 relatif aux stages effectués à l'étranger, qui permettra de contraindre l'organisme d'accueil du stagiaire à l'étranger, s'il s'agit d'un service de l'État français, à respecter toutes les obligations prévues par la loi. Quant aux entreprises, on ne peut, bien sûr, que s'en remettre à la convention entre l'établissement d'enseignement supérieur dont dépend le stagiaire et la société ou l'entreprise privée qui l'emploierait.

Pour tous ces motifs, en particulier pour la prise en compte de la situation des stagiaires français à l'étranger, je voterai la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la généralisation des stages dans l'enseignement supérieur a représenté un formidable progrès. Elle a ouvert les portes du marché du travail à des étudiants en cours de formation, désireux d'acquérir une approche plus concrète des pratiques professionnelles et de leur futur métier. Ainsi, plus de 800 000 jeunes effectuent chaque année un stage dans une entreprise ou une administration.

Comme l'a indiqué mon collègue Jean-Pierre Godefroy, dont je salue le remarquable travail, nous sommes favorables à une plus grande professionnalisation des parcours universitaires. Aussi, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui ne doit en aucun cas être interprétée comme l'expression d'une volonté de décourager les entreprises de recruter des stagiaires ; elle tend seulement à mieux les encadrer pour mettre fin à des pratiques visant à détourner les stages de leur finalité pédagogique.

En effet, en période de chômage - celui des jeunes étant deux fois supérieur à la moyenne -, le stage est devenu, pour certains employeurs, un moyen de se procurer de la main-d'oeuvre gratuite ou à très bas coût. Ainsi, en septembre 2005, le collectif Génération précaire dénonçait « l'existence d'un véritable sous-salariat toujours disponible, sans cesse renouvelé et sans aucun droit ». Il déplorait, en outre, qu'il soit possible aujourd'hui de rester confiné indéfiniment et en toute légalité dans ce statut de stagiaire.

Il est malheureux de constater que des entreprises, des associations, et même des services publics, profitent de ce que les étudiants soient prêts à tout accepter pour valider leur formation, pour ne pas avoir de trou dans leur CV ou, tout simplement, pour ne plus traîner l'étiquette de « débutant », très encombrante dans un monde où l'expérience professionnelle est reine.

Il m'arrive de consulter les rubriques d'offres d'emplois dans la presse. Je suis toujours surprise de constater, en lisant celles qui s'adressent aux jeunes diplômés, que les profils recherchés comportent au moins deux ans d'expérience professionnelle, voire davantage. On pourrait penser que les entreprises recherchent des personnes volontaires, qui ont enchaîné jobs et petits boulots durant leurs études. Mais non ! On demande bel et bien à des jeunes sortant à peine de l'université ou d'une grande école d'avoir déjà exercé une activité professionnelle d'une durée significative, identique à celle que recherchent les entreprises.

Cette situation ubuesque, vécue par de très nombreux jeunes diplômés, ne fait pas vraiment rire les principaux intéressés, surtout lorsqu'ils essuient un énième refus en raison de leur manque de pratique. Ils sont alors contraints de prolonger artificiellement leurs études à la seule fin de continuer d'effectuer des stages, en espérant que ceux-ci leur permettront de se mettre en valeur aux yeux des futurs recruteurs.

Il est donc nécessaire de mieux encadrer cette période d'ancrage professionnel pour qu'elle ne s'écarte plus de sa vocation pédagogique, pour qu'elle demeure une source d'enrichissement et d'échange constructif entre le monde du travail et l'université, pour qu'elle continue d'être vécue comme un tremplin pour l'emploi.

Depuis les premières manifestations de Génération précaire, des avancées ont été obtenues.

Tout d'abord, la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances a rendu obligatoire la convention tripartite. Elle a également limité à six mois la durée des stages hors cursus et a obligé les employeurs à verser une gratification pour les stages d'une durée supérieure à trois mois.

Un décret publié le 31 août 2006 a, ensuite, interdit aux entreprises de recourir à un stagiaire « pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent ».

Par ailleurs, en avril 2006, une charte signée entre le Gouvernement et les partenaires sociaux était venue compléter la loi et avait anticipé sur le dispositif réglementaire.

Ces avancées restent cependant insuffisantes : attendre trois mois avant d'être indemnisé, c'est trop long, et si gratification il y a, celle-ci doit être correcte. On peut aussi craindre une inflation de stages de trois mois moins un jour. En outre, la charte ne revêt aucun caractère contraignant, son application restant suspendue au bon vouloir de chacun. Il était donc indispensable d'aller plus loin par voie législative et de poser un cadre complet et sécurisant.

Je tiens à vous faire part de ma stupéfaction lorsque, en commission des affaires sociales, j'ai constaté que la majorité sénatoriale ne nous suivait pas sur ce sujet essentiel concernant l'insertion professionnelle des jeunes et les abus dont ils sont victimes. Ce rejet est d'autant plus surprenant qu'une proposition de loi visant à encourager et moraliser le recours aux stages par les entreprises a été déposée à l'Assemblée nationale par Mme Valérie Pécresse, députée UMP, suivie dans sa démarche par un très grand nombre de ses collègues.

Ce texte comporte des mesures voisines de celles que nous préconisons, comme l'interdiction faite aux entreprises de prendre en stage, sur des emplois de l'entreprise, des jeunes qui ont achevé le cursus de formation nécessaire pour occuper ces fonctions et qu'elles pourraient embaucher par un véritable contrat.

On pouvait donc, sur un sujet consensuel, s'attendre à une adoption unanime. Il n'en est rien. Force est de constater que l'air du MEDEF, ou plutôt son « besoin d'air », a soufflé plus fort sur le Sénat que le vent de l'Assemblée nationale !

Nous en sommes navrés. Mme Parisot parle de « précarité heureuse » à propos d'un stagiaire ou d'un jeune diplômé en période d'essai. C'est consternant ! Il ne peut y avoir de précarité heureuse sur le marché du travail, surtout quand la situation perdure, comme c'est trop souvent le cas !

Ne pas discuter de cette proposition de loi, c'est cautionner le recours à une main-d'oeuvre hyperflexible, c'est accepter le bradage des diplômes, c'est refuser de reconnaître les abus et les dérives dont sont victimes les jeunes, qui, dans une société inattentive à leurs préoccupations, sont une fois encore considérés comme des gamins ne sachant pas ce qui est bon pour eux.

Cette proposition de loi était un message fort que nous leur adressions. Venant du Sénat, le symbole était significatif. Nous regrettons qu'elle n'aboutisse pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous pouvons nous réjouir d'un certain consensus... Oui, mes chers collègues de l'UMP (l'orateur se tourne vers les travées vides de l'UMP, ce qui déclenche le rire des sénateurs du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe de l'UC-UDF.), nous pouvons nous réjouir d'un certain consensus à propos d'un constat : ...

M. Robert Bret. Qui ne dit mot consent !

M. Jean Desessard. ... il y a des stages abusifs qui se substituent à de vrais emplois.

M. François Goulard, ministre délégué. « Absence de réaction sur les travées de l'UMP » ! (Sourires.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y a des abus partout !

M. Jean Desessard. C'est la commission des affaires sociales qui l'écrit dans son rapport : elle « partage les préoccupations qui ont inspiré cette proposition de loi et ne conteste pas l'existence d'abus, qu'il convient de réprimer, en matière de stages. »

M. Guy Fischer. Oui, mais cela ne va pas plus loin !

M. Jean Desessard. Nous voilà donc d'accord, chers collègues de l'UMP, d'accord sur le constat, mais non sur les réponses.

En théorie, les stages sont des formations in situ dans l'entreprise et constituent une préembauche ou un marchepied vers un futur emploi. En réalité, le recours abusif aux stages a des conséquences néfastes sur les missions initiales du stage.

Un stage est censé donner goût au travail ; mais la multiplication des stages finit par dégoûter les stagiaires du monde du travail. Un stage est censé faciliter l'insertion professionnelle ; mais la mise bout à bout de stages consécutifs finit par éloigner de la signature d'un véritable contrat de travail. Un stage est censé former une main-d'oeuvre qualifiée ; mais la multiplicité des stages fait fuir les jeunes diplômés hors de France.

Cette prise de conscience, ce constat de la majorité du Sénat, aujourd'hui, ne débouche pas sur des mesures de bon sens telles que celles qu'a proposées le collectif Génération précaire et que nous avons pu défendre à plusieurs reprises dans cet hémicycle : limitation à six mois de la durée d'un stage ; rémunération minimale à hauteur de 50 % du SMIC, progressive et assujettie aux cotisations sociales ; inscription du stage dans le code du travail ; délai de carence entre deux stages ; convention de stage obligatoire ; plafonnement du nombre de stagiaires par entreprise...

Le Gouvernement reste impuissant face à ce problème, qui touche 800 000 stagiaires par an. La charte de bonne conduite, monsieur le ministre, n'est pas suffisante : à quoi peut-elle aboutir si elle ne s'accompagne d'aucune contrainte ? Les entreprises vertueuses se sentiront engagées, alors que les autres continueront leurs abus et profiteront de cet effet d'aubaine. Les négociations de branche, quant à elles, sont trop longues à mener. Le décret instaurant la rémunération minimale, promis depuis plusieurs mois, tarde à être publié, et ne prévoit de toute façon qu'un seuil de rémunération, très insuffisant, de 360 euros au bout de trois mois.

Expliquez-moi comment on peut survivre avec 360 euros par mois, monsieur le ministre, mes chers collègues de l'UMP !

M. Robert Bret. Des doigts se lèvent...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il n'a jamais été question de vivre avec 360 euros !

M. Jean Desessard. Enfin, la loi pour l'égalité des chances n'a quasiment rien changé. Elle a reconnu les stagiaires non comme des travailleurs en formation, mais comme de simples étudiants qui n'apportent aucune valeur ajoutée aux établissements les recevant. Ce n'est pas mon approche : pour moi, les stagiaires doivent participer au processus de production, car c'est ainsi que l'on apprend, et ils doivent être protégés par le code du travail.

Le Gouvernement prétend avoir réglé le problème des stages abusifs. Pourtant, on remarque que le classement des offres de stages publié pour la deuxième année par L'Express est éloquent, puisque les entreprises recensées proposent...

Mme Annie David. ... deux à trois fois plus de stages que d'emplois !

M. Jean Desessard. ... deux à trois fois plus de stages que d'emplois, effectivement. L'Express ajoute que les stages sont « toujours aussi populaires auprès des 100 plus gros recruteurs, qui en offrent cette année 42 350, contre 38 000 l'an dernier ».

Alors, pourquoi ce refus d'avancer que l'on constate aujourd'hui ? Nous aurions pu aboutir à un consensus autour des propositions de la gauche et de la droite, exprimées notamment par Valérie Pécresse, que ma collègue a déjà évoquée, et les Jeunes de l'UMP ! Hélas, le consensus n'a pas été accepté par le MEDEF. Voilà pourquoi nous sommes aujourd'hui dans l'impasse.

Chers collègues de l'UMP (une nouvelle fois, l'orateur se tourne vers les travées vides du l'UMP.), vous désavouez aujourd'hui la porte-parole de votre mouvement et son organisation de jeunesse, alors qu'il s'agit d'un problème ressenti par les jeunes, y compris ceux de l'UMP.

M. Robert Bret. Ils en restent cois ! (Sourires.)

Mme Annie David. Ils sont sans voix !

M. Jean Desessard. Une fois de plus, l'UMP... Mes chers collègues, taisez-vous, laissez-moi continuer ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

L'UMP semble bien être en accord avec le MEDEF. Dernièrement, la loi visant à la défense des consommateurs, pourtant voulue par le Président de la République lui-même, a été enterrée à l'Assemblée nationale, malgré toutes les promesses faites aux associations agissant dans ce domaine. Apparemment, même Jacques Chirac ne peut rien faire face aux lobbies patronaux !

Les arguments de la droite pour refuser toute avancée législative sur les stages constituent une nouvelle étape dans la pensée antisociale. Jusqu'ici, la droite avait coutume de refuser les revendications sociales au nom de la défense de l'emploi, par peur de décourager les employeurs d'embaucher. Désormais, elle va plus loin puisque, tout en reconnaissant le phénomène des stages abusifs, elle refuse - vous refusez - de les réglementer par peur de décourager le recrutement de stagiaires qui se substituent à des salariés.

Il y a bien là une contradiction dans le discours de la droite : comment faire aimer le travail, revaloriser la fameuse « valeur travail » que la gauche aurait d'après vous maltraitée, sans réglementation équitable pour les jeunes qui découvrent le marché du travail ?

Je ne comprends pas votre logique et les 800 000 stagiaires non plus. C'est pourquoi les sénatrices et le sénateur Verts soutiendront la proposition de loi présentée par M. Godefroy, au nom du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Jarraud-Vergnolle.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Les meilleures intentions du monde suffiront-elles à prévenir les dérives et les abus que chacun peut constater en matière de stages professionnels ? Il faut l'espérer.

Pour l'heure, un rapide tour d'horizon nous renseigne sur la triste réalité de ce qui devrait être un avant-goût formateur du monde du travail, éventuellement une rampe de lancement, et qui peut constituer un substitut abusif au contrat de travail.

En France, aujourd'hui, le taux de chômage des jeunes atteint 23 %, soit six points de plus que dans le reste de l'Europe. Le diplôme n'est même plus une garantie suffisante, puisque 21 % des jeunes de niveau bac+4 sont toujours au chômage plus de neuf mois après la fin de leurs études.

Ces statistiques révèlent les difficultés grandissantes que rencontrent les jeunes au moment de leur entrée dans la vie professionnelle.

Avec la persistance du chômage, ce phénomène s'est accentué ces dernières années. Avant même de devoir subir les périodes d'essai renouvelables, les successions de CDD et autres contrats d'intérim, les jeunes travailleurs doivent affronter une autre réalité peu valorisante et peu rémunératrice, à savoir le recours quasi systématique au stage, même en dehors du cursus universitaire.

Ainsi est apparue une main-d'oeuvre flexible, occupant parfois sans rémunération de vrais postes de travail. Le stage est malheureusement devenu un palliatif à tout emploi pour des dizaines de milliers de jeunes diplômés, victimes d'un marché du travail dans lequel il est de plus en plus difficile de trouver sa place.

Pourtant, chacun en conviendra, le stage en entreprise demeure un élément essentiel de la formation : il permet aux jeunes de se confronter aux réalités du monde du travail, d'acquérir une première expérience professionnelle, de choisir une orientation professionnelle en connaissance de cause. Il s'agit, bien sûr, d'encourager son développement et de lui reconnaître une place primordiale dans le parcours de formation, mais avec des règles claires et adaptées.

Aussi, au regard de l'augmentation des dérives, il est impératif d'encadrer les stages par un dispositif législatif. Quelques mesures primordiales ont été introduites par la loi pour l'égalité des chances, je n'y reviendrai pas.

De même, la « charte des stages étudiants en entreprise » réaffirme la dimension pédagogique du stage, comme l'ont souligné les orateurs qui m'ont précédée.

L'ensemble des acteurs auditionnés ont été unanimes pour lutter efficacement contre les abus en la matière, en s'appuyant sur les termes de cette charte.

Certes, même si nous pouvons apprécier la volonté de tous, qu'il s'agisse des étudiants, du MEDEF, de la CGPME, de l'UPA ou des enseignants, de mieux encadrer les stages en entreprise, la charte demeure essentiellement un recueil de bonnes pratiques, sans obligation ni contrainte d'application, un recueil de bonnes intentions, en somme. Or, on connaît trop le triste sort des bonnes résolutions !

Dès lors, je vous invite, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à vous rendre sur les sites Internet proposant des stages en entreprise à de jeunes diplômés : l'expérience est instructive, le constat est affligeant.

Vous serez étonnés de lire les propositions actuelles faites à nos jeunes. J'en ai extrait quelques exemples édifiants !

« Assistant de recrutement : bac+3, stage de six mois temps plein, rémunération de 800 à 1160 euros par an. »

« Analyste financier : expérience de un à deux ans - Type de contrat : stage temps plein, salaire de 800 à 1160 euros par an. » Je ne continuerai pas la liste !

Apparemment, en France, un jeune diplômé - l'épithète « jeune » paraît impropre vu le niveau d'études requis pour accéder au « paradis » des stagiaires - ne vaut même pas le SMIC !

Les jeunes ne sont pas taillables et corvéables à merci. Ils n'ont pas envie d'être bradés, d'autant moins que certaines familles s'endettent pour que leurs enfants accèdent à des études supérieures.

La proposition de loi présentée par Jean-Pierre Godefroy posait un cadre garantissant cette valeur formative du stage. La formation en alternance est une plus-value pour tous et, si l'on veut l'encourager, il faut impérativement la moraliser.

Que nous ne soyons pas tous d'accord et que nos divergences nous conduisent à discuter des modalités d'un encadrement, cela devrait aller de soi. C'est bien le rôle du Parlement de parlementer, c'est bien notre rôle de parlementaires de confronter des points de vue et de finir par trouver l'équilibre.

Mais dans quelle enceinte un constat unanime mène-t-il à l'urgence de ne rien faire ? Dans quelle enceinte la nécessité nous fait-elle seulement dire : « Oui, c'est dur, il faudrait faire quelque chose » ? Dans quel Parlement peut-on approcher du débat sans y entrer vraiment ? Je ne partage pas l'avis de la commission, soit, mais, surtout, je ne comprends pas sa position !

La majorité, friande de slogans, nous sert du « travailler plus pour gagner plus ». Il ne faudrait pas confondre ce slogan de campagne avec une réalité honteuse : « travailler pour rien pour gagner moins que rien ».

Nos enfants ne sont pas utilisables « à tout va ». Quelle bonne raison auraient-ils de commencer par « en baver » ? Quelle étonnante conception de l'égalité des chances !

La majorité qui, depuis peu, n'a plus peur de s'approprier des références historiques qui ne lui appartiennent pas, appréciera cette citation : « Si la jeunesse n'a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort », nous disait François Mitterrand ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean Desessard. L'UMP en reste coite ! (Rires.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, je demande une suspension de séance d'un quart d'heure. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Nous voulons savoir pourquoi !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y a des raisons que je ne peux dire publiquement !

Mme Annie David. Des raisons évidentes : il n'y a aucun sénateur UDF en séance !

M. Guy Fischer. Ce n'est pas normal !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le ministre, je voudrais faire observer que le groupe socialiste est allé jusqu'au bout de ses interventions. Nous aurions pu abréger la discussion, pour mettre le Gouvernement encore plus dans l'embarras, mais nous ne l'avons pas fait.

Nous verrons, à la reprise de nos travaux, si un membre du groupe UMP sera présent pour nous faire part de son avis !

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures vingt.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Explications de vote

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à organiser le recours aux stages
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix les conclusions négatives du rapport de la commission des affaires sociales tendant au rejet de la proposition de loi, je donne la parole à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Madame la présidente, je déplore les conditions dans lesquelles se déroule la fin de cette discussion et le fait que le groupe UMP ait entièrement déserté l'hémicycle. Ce n'est pas, à mon sens, un bon message que nous envoyons à la jeunesse de France.

M. Henri de Richemont. Je suis là !

M. Richard Yung. Mon propos ne s'adresse pas à vous, monsieur de Richemont, puisque, effectivement, vous êtes présent !

Mes chers collègues, je ne vous surprendrai pas en vous disant que notre groupe n'a pas été convaincu par les arguments qui ont été développés par la commission. Nous continuons de penser qu'il est nécessaire d'encourager le développement des stages et de mieux les encadrer.

Il reste de grands progrès à faire dans la mise en oeuvre de la législation existante ; je pense, en particulier, à la loi du 31 mars 2006. Quant à la charte des stages étudiants en entreprise, elle est certes respectable, mais elle n'emporte pas d'effets pratiques. Il faut, en conséquence, aller plus loin, et c'est le sens de la proposition de loi que nous avons présentée.

Il est nécessaire de mieux encadrer les stages afin de les rendre profitables aux deux parties : aux entreprises qui emploieront les stagiaires et aux stagiaires eux-mêmes.

Enfin, pour ce qui me concerne, je suis sensible aux conditions dans lesquelles sont effectués les stages dans l'administration hors de France.

Pour toutes ces raisons, nous maintenons notre position et nous voterons contre les conclusions négatives de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Permettez-moi, en cet instant, de souligner le caractère quelque peu insolite de notre position.

Cette discussion s'inscrit dans un contexte particulier. Le Sénat a décidé - et cela me paraît légitime - d'ouvrir la possibilité à un membre de l'opposition d'être à la fois l'auteur et le rapporteur d'un texte. En l'occurrence, je n'ai pas lieu de critiquer ce choix, ni sur le fond, car la proposition de loi qui nous est présentée porte sur un sujet très important, ni sur le choix du rapporteur : personne ne contestera la qualité du travail de Jean-Pierre Godefroy, tant en commission que dans l'hémicycle.

Certaines des propositions contenues dans ce texte me conviennent. Il m'apparaît, notamment, légitime qu'un stagiaire qui est recruté par l'entreprise dans laquelle il a effectué son stage voie la durée de ce dernier intégrée dans sa période probatoire.

Cela dit, cette proposition de loi constitue un acte inachevé. Lorsque le rapport a été discuté en commission, nous n'avons pas eu la possibilité de présenter des amendements pour prolonger le travail accompli par le rapporteur.

Si la commission avait adopté des amendements, le rapporteur se serait peut-être trouvé confronté à une situation difficile. Il aurait en effet dû décider, en conscience, s'il pouvait continuer à soutenir le texte avec les modifications apportées par la commission ou si, au contraire, cette dernière avait dénaturé la philosophie de sa proposition de loi initiale. Bref, il lui aurait appartenu de décider si les travaux de la commission avaient permis, ou non, de trouver un compromis convenable pour le rapporteur et pour la majorité de la commission.

Madame la présidente, le vote que j'ai émis en commission, et que je vais renouveler dans un instant, signifiait que je ne pouvais pas adopter le texte en l'état. Il ne s'agissait pas d'un vote contre le rapport de M. Godefroy ni contre le sujet qui nous est proposé ; il s'agissait, en quelque sorte, d'un vote d'insatisfaction sur une procédure qui s'arrête à mi-chemin.

Que signifie cette procédure ? S'agit-il d'un symbole, d'un signe de sympathie destiné à montrer que le Sénat traite son opposition avec égards ? Je pense que nous ne saurions, ni les uns ni les autres, nous satisfaire d'une mesure symbolique aussi superficielle.

Je profite donc de mon explication de vote pour soulever cette question de fond. Les travaux du Sénat ne pourraient que gagner en qualité si nous allions jusqu'au bout de la procédure. Il reviendrait ensuite au rapporteur de dire s'il considère, en conscience, qu'il peut accepter le travail fait par la commission.

Je maintiens donc le vote que j'ai émis en commission, mais je souhaitais en expliquer le sens.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Le groupe communiste républicain et citoyen a apprécié le travail fourni par Jean-Pierre Godefroy. Comme l'a rappelé Annie David, notre groupe a présenté de nombreuses propositions sur ce sujet, apportant ainsi sa pierre au débat.

La discussion qui a eu lieu cet après-midi était plus que nécessaire. Nous regrettons toutefois les conditions dans lesquelles elle s'est déroulée.

En effet, alors que l'exécutif du Sénat - le bureau, la conférence des présidents - réfléchit sur la revalorisation du travail parlementaire, notamment sur la manière de dynamiser l'initiative parlementaire, nous regrettons le mépris affiché par la plus importante des formations politiques de la Haute Assemblée.

Je sais bien que des problèmes d'emploi du temps peuvent se poser, mais cela ne peut justifier le fait que les travées de l'UMP, et maintenant celles du l'UC-UDF, soient totalement vides alors qu'est venu le moment des explications de vote !

M. Henri de Richemont. Mais je suis là !

M. Guy Fischer. Cette proposition de loi est, plus que jamais, d'actualité. Bien entendu, nous participerons au débat qui, nécessairement, resurgira en d'autres occasions. En effet, le problème des stagiaires est d'autant plus pressant que nous vivons une époque où une multitude de réflexions s'impose à nous.

Monsieur le ministre, vous le savez, pour mener des études, la plupart des étudiants sont obligés de travailler. Pour ma part, j'ai fait partie de cette catégorie !

M. Robert Bret. Il y a longtemps ! (Sourires.)

M. Guy Fischer. Effectivement ! Aujourd'hui, les stagiaires, qu'ils soient étudiants ou surdiplômés, essuient l'affront d'être sous-valorisés et, parfois, totalement dévalorisés en termes de rémunération. En commission, j'ai cité l'exemple de stagiaires de niveau bac+9, employés dans un grand laboratoire pharmaceutique pour 700 euros par mois !

Par ailleurs, nous devons insister sur le fait que près de 29 % des jeunes sont concernés par cette situation. Notre réflexion doit donc les prendre en compte. À travers cette proposition de loi et le débat auquel elle a donné lieu, une réponse était apportée à Génération précaire. En effet, on oublie un peu vite le mépris auquel les jeunes ont été confrontés et qu'ils ont douloureusement vécu.

Aujourd'hui, force est de constater l'explosion de la précarité, le creusement des inégalités et le fait que la France compte 7 millions de travailleurs pauvres. Sur ce sujet, les arguments développés par Annie David ou Jean-Pierre Godefroy doivent nous interpeller.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri de Richemont.

M. Henri de Richemont. Je suis ravi de me trouver ici pour expliquer mon vote sur la proposition de loi déposée par M. Godefroy. (Sourires.)

Je vous félicite, mon cher collègue, d'avoir présenté ce texte, car cela montre que le Parlement accomplit bien sa mission en permettant à chaque groupe de faire des propositions sur des sujets importants. Or le stage en entreprise constitue effectivement un sujet sérieux, puisque c'est à travers lui que les jeunes peuvent découvrir le monde de l'entreprise.

Pour ma part, je suis souvent sollicité par des jeunes qui souhaitent connaître, à travers un stage, le fonctionnement d'un cabinet d'avocats. Je pense donc qu'il est fondamental de faire en sorte que les entreprises, comme les professions libérales, puissent accepter facilement les stagiaires.

Je regrette que la proposition de loi entretienne une confusion entre les statuts de stagiaire et de salarié. En effet, je crois très profondément que l'on tue l'attractivité en accroissant les contraintes et la rigidité.

M. Robert Bret. C'est un argument irrecevable !

M. Henri de Richemont. L'important est d'inciter les employeurs à prendre de jeunes stagiaires, même s'il faut aussi, bien entendu, sanctionner tout ce qui relève du recours abusif à ces derniers.

Ce n'est pas en rendant plus difficile l'accueil de nouveaux stagiaires dans les entreprises que nous contribuerons à la lutte contre la précarité, à laquelle nous nous associons. Au lieu d'attirer des stagiaires dans les entreprises, la rémunération des stages à hauteur de 50 % du SMIC aurait pour effet de dissuader les entreprises de prendre des stagiaires, ce qui n'est sûrement pas le but recherché. C'est la raison pour laquelle je m'associerai au vote de la commission des affaires sociales.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Je souhaite, tout d'abord, remercier M. de Richemont d'avoir bien voulu accepter de délaisser le sujet des tutelles pour nous rejoindre sur celui des stages. Au demeurant, c'était tout à fait indispensable pour le groupe de l'UMP, qui avait déserté cet hémicycle !

M. Robert Bret. Ils avaient besoin d'une tutelle !

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Je souhaite, ensuite, remercier les membres de la commission des affaires sociales. Toutefois, je regrette que la qualité du travail qui a eu lieu en commission n'ait pas été retrouvée dans l'hémicycle.

Le problème posé par les stages aux niveaux national et européen s'est manifesté au moment de la mobilisation contre le CPE, ce formidable loupé. Je crains fort que, à ne pas s'intéresser plus aux jeunes, à ne pas considérer leurs desiderata, par exemple en désertant l'hémicycle, on n'adresse pas un message très positif à notre jeunesse, qui attendait certainement beaucoup plus de ce débat.

C'est donc avec un peu de déception que je vois s'achever mon rôle de rapporteur d'une proposition de loi que j'ai présentée, au nom du groupe socialiste.

Monsieur Seillier, j'ai beaucoup apprécié la façon dont vous avez abordé le problème. J'étais tout à fait disposé à améliorer le texte, qui n'avait pas pour vocation à être adopté en l'état. Mais le règlement de notre assemblée est ainsi fait ! Il faudrait d'ailleurs y regarder de plus près, car il devrait être possible, sur un tel texte, de trouver un consensus, dans l'intérêt de nos jeunes.

M. Robert Bret. La navette peut le permettre !

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. S'agissant du problème de la rémunération, de nombreux stages, fort heureusement, sont mieux payés que le plancher prévu dans la proposition de loi ! En le fixant à 50 % du SMIC, alors qu'elles seront exonérées de charges sociales pour 30 % du salaire minimum, on ne demande pas, me semble-t-il, un effort surhumain à nos entreprises pour former nos jeunes, c'est-à-dire la génération qui va nous succéder. C'est un geste que la République aurait sans doute pu faire à leur endroit.

Je remercie tous ceux qui ont accepté de participer jusqu'au bout à ce débat. Je regrette cependant, monsieur le ministre, que vous n'ayez pas apporté de réponse concernant le comité de suivi et le montant de la gratification que le Gouvernement entend accorder aux stagiaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je voudrais tout d'abord vous remercier, monsieur Godefroy, d'avoir accepté d'être le rapporteur de votre proposition de loi. C'est la première fois depuis bien longtemps que se produit dans cet hémicycle une telle configuration, qui s'inscrit dans la logique de ce qu'a voulu le président du Sénat pour donner sa place à l'opposition, en lui permettant de défendre des propositions de loi.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d'avoir obéi à l'esprit de notre commission, à savoir le respect des uns et des autres, la recherche de la discussion, comme vous l'avez dit vous-même à l'instant, pour convaincre, sans jamais manifester le moindre mépris.

Face au défi qui était devant nous, nous avons souhaité permettre à chacun de sauver la face. Il n'était pas question, comme Bernard Seillier l'a très bien expliqué tout à l'heure, de dénaturer cette proposition de loi, vous contraignant ainsi à rapporter un texte qui n'aurait plus été le vôtre. Nous avons pourtant hésité. Nous avons même étudié la possibilité de supprimer l'article 1er, ce qui aurait entraîné le dépôt d'amendements. En tout état de cause, nous aurions abouti à un texte qui n'aurait plus rien eu à voir avec celui que vous aviez présenté.

De votre côté, vous avez accepté la logique de la commission, même si vous ne l'avez pas approuvée. La proposition de loi relative aux droits des parents séparés en cas de garde alternée des enfants, déposée par M. Michel Dreyfus-Schmidt, a connu la même aventure, puisqu'elle fut également rejetée par la commission, puis par la Haute Assemblée. Quelques temps après, la mesure proposée par Michel Dreyfus-Schmidt était adoptée dans un autre texte.

On peut se demander, comme le faisait tout à l'heure Robert Bret, si nous n'avons pas atteint les limites de l'exercice. C'est pourquoi je ne manquerai pas de transmettre au bureau et au président du Sénat une proposition visant à définir d'autres méthodes qui permettraient tant à la majorité qu'à l'opposition du Sénat de faire valoir auprès du Gouvernement leurs propositions, de façon très solennelle. Nous pourrions ainsi nous enrichir de suggestions émanant des uns et des autres, sans avoir à les opposer.

Je terminerai en disant à M. Godefroy que je n'ai pas eu le sentiment d'un mépris de la part de la majorité, même si, en cet instant, elle n'est quasiment plus présente, à l'exception de M. Henri de Richemont, que je remercie d'être encore parmi nous.

J'ai entendu, d'abord en commission, puis tout à l'heure à la tribune, les représentants de la majorité - que ce soit Jean-Léonce Dupont, pour l'UC-UDF, ou Isabelle Debré, pour l'UMP, deux personnes très sensibles au respect à la fois des personnes et des idées - faire le constat que la messe était dite, c'est-à-dire que chacun connaissait les conclusions de la commission.

Après vous avoir entendu, monsieur Godefroy, ils vous ont répondu à la tribune. Ils n'ont donc nullement fait preuve de mépris. Seul un concours de circonstances a conduit les représentants de la majorité à quitter cet hémicycle avant le vote final, qui, chacun le savait, aurait lieu sous forme de scrutin public.

Mme Annie David. Si nous devions suivre ce raisonnement, nous ne serions pas souvent là !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Voilà ce que je tenais à vous dire, car je ne voudrais pas que Jean-Pierre Godefroy conserve de cette « aventure » la moindre rancoeur.

Je souhaite, au contraire, comme je le disais tout à l'heure, que nous trouvions une méthode plus moderne pour faire valoir les positions du Sénat. (MM. Henri de Richemont et Bernard Seillier applaudissent.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix les conclusions négatives du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi n° 364.

Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant du Gouvernement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean Desessard. Pourquoi donc ? (Sourires.)

Mme la présidente. Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article  56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 105 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 329
Majorité absolue des suffrages exprimés 165
Pour l'adoption 202
Contre 127

Le Sénat a adopté.

En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de suspendre nos travaux, permettez-moi de vous dire que je porterai, avec M.  Fischer, à la connaissance de la prochaine conférence des présidents les réflexions inspirées par le moment que nous venons de vivre au cours de cette séance mensuelle réservée à l'ordre du jour fixé par le Sénat.

Comme vient de le dire le président de la commission des affaires sociales, M.  Nicolas About, nous nous efforcerons de trouver une meilleure façon de travailler.

En tout cas, je tiens à remercier de leur présence ceux qui ont assisté à cette discussion jusqu'à son terme.

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Roland du Luart.)