Mme la présidente. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'accord de partenariat économique entre les soixante-dix-huit pays membres du groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, a été signé à Cotonou, le 23 juin 2000, et est entré en vigueur en 2003.

Dans le prolongement des accords de Yaoundé et de Lomé, l'accord de Cotonou visait à introduire des changements importants et se fixait des objectifs ambitieux. Or force est de constater que les pays ACP n'ont pas tiré pleinement profit de ces avantages économiques. Au contraire, pour de nombreux pays du Sud, cet accord s'est révélé inefficace, dans la mesure où il n'a pas permis à ces pays de se développer.

En effet, beaucoup reste à faire en termes de coopération, d'égalité des échanges et d'intégration des pays les plus pauvres. L'accord que nous propose de ratifier l'Union européenne, bien que destiné à lutter contre la pauvreté, fait en réalité primer les normes commerciales sur les impératifs de développement, par exemple en ouvrant sans restriction 80 % du marché de ces pays aux exportations européennes, alors même que l'Afrique se trouve au centre des enjeux actuels de la mondialisation. Le fait que ce continent renferme près du tiers des réserves en matières premières de la planète, telles que le pétrole, l'or et l'uranium, n'est pas étranger à cette réalité.

Nous débattons aujourd'hui de la première révision, inscrite à l'article 95 de cet accord, portant principalement sur le volet politique et l'amélioration des procédures techniques de gestion de l'aide. Les discussions furent laborieuses et suscitent beaucoup d'inquiétudes dans les pays du Sud.

Selon de nombreux partenaires de l'Union européenne, notamment en Afrique de l'Ouest et dans les Caraïbes, les pays ACP ne sont pas prêts au libre-échange. Ils considèrent même qu'ils sont mis en danger par les accords APE et souhaitent que leur pays ne les signe pas.

Force est de constater que, malgré la présence de certains éléments fondamentaux, l'accord de Cotonou n'a pas atteint les objectifs de développement qu'il fixait. Sa négociation à marche forcée, sous couvert de respecter les règles de l'Organisation mondiale du commerce a même provoqué l'incompréhension d'une majorité de pays africains, des Caraïbes et du Pacifique.

Il est donc vital d'adapter les dispositions de l'accord au contexte actuel. Plusieurs pays ont été tenus à l'écart du progrès. Il est important de rappeler que l'Afrique abritera, dans très peu de temps, le plus grand nombre de personnes au monde vivant avec moins de un dollar par jour.

Prendrons-nous la responsabilité, si nous n'y prêtons garde, de laisser l'Afrique s'appauvrir et entraîner de nombreux États dans le chaos ?

L'aide aux pays ACP doit obéir à un certain nombre d'impératifs.

Parmi ceux-ci figure l'annulation de la dette des pays pauvres, visée majeure des objectifs du Millénaire adoptés voilà cinq ans et fixés pour l'année 2015. Or, alors que le volume de l'aide de la France aurait dû franchir, cette année, le palier symbolique de 0,5 %, cette aide enregistre une baisse, pour s'établir autour de 0,42 %. La dette bilatérale et multilatérale des pays pauvres doit être annulée à 100 %, dans le cadre d'un contrat signé avec tous les États membres de l'Union européenne créanciers, sans condition financière ou de quelque ordre que ce soit.

Un autre de ces impératifs est la mise en place d'un libre-échangisme contrôlé. L'expérience de la libéralisation commerciale démontre que celle-ci n'engendre pas systématiquement - loin s'en faut ! - le développement. Appliquée à des pays dont les niveaux de compétitivité sont extrêmement différents, elle creuse les déséquilibres. Les accords de Lomé et de Cotonou, qui tendaient à instaurer un régime de préférences commerciales, n'ont pas permis aux économies, notamment africaines, de se diversifier et de se moderniser afin de faire avancer leurs programmes de renforcement de l'éducation, de la santé et de la sécurité alimentaire.

D'ailleurs, le dossier « épineux » des droits de douane, ainsi que vous l'avez qualifié, monsieur le secrétaire d'État, devra être sérieusement réétudié. Le versement d'aides budgétaires massives en compensation de la disparition de ces droits ne serait évidemment pas souhaitable. Avec leur suppression, les accords de partenariat économique engendreraient un déficit considérable de recettes douanières, lesquelles constituent une part importante des ressources déjà faibles des États ACP ainsi que des départements et des régions qui en dépendent.

Le cycle de Doha, pourtant appelé « cycle du développement », lancé sous l'égide de l'OMC, est bloqué. L'Union européenne doit proposer une autre vision du commerce. Le cycle de Doha doit avoir de nouveau pour objectif le développement, tout comme les accords APE. La France, en proposant la poursuite des négociations dans une voie différente, doit épargner à l'Europe de commettre une erreur stratégique majeure à l'égard des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

On peut lire, dans le rapport mondial sur le développement de 2005, rédigé dans le cadre du Programme des Nations unies pour le développement, le PNUD : « Dans l'ensemble, le mandat des négociateurs européens pour les APE a le potentiel nécessaire pour produire des résultats déséquilibrés et défavorables au progrès humain ».

La Commission européenne concluait pour sa part, dans un rapport, que la population rurale est aujourd'hui plus pauvre que la population urbaine et que la libéralisation totale entraînera probablement un accroissement de la pauvreté dans les zones rurales, ainsi que de nombreuses inégalités.

In fine, depuis le lancement des négociations des APE en 2002, un déséquilibre trop important existe entre les capacités de négociation des deux parties. Alors que la Commission reste le négociateur unique de l'Union européenne, les pays ACP ont de nombreux interlocuteurs, mal préparés et peu coordonnés et ne disposent pas toujours de la compétitivité nécessaire dans le commerce international. Cette situation risque de s'aggraver avec la conclusion des APE : les produits européens, moins chers, arriveront en masse sur le marché intérieur des pays ACP, provoquant une situation commerciale et humaine catastrophique et déstabilisante.

Notre pays a un rôle majeur à jouer dans l'évolution des échanges avec les pays ACP, dans l'évolution d'une mondialisation plus humaine. Malgré un bilan jusqu'à présent plutôt décevant, je veux croire que ce projet ambitieux, envisageant l'aide au développement de façon dynamique, sortira les pays les plus pauvres de la misère.

Il me semble logique et plus réaliste de repousser la signature de cet accord et d'envisager une période transitoire, afin que les négociations puissent continuer. C'est dans le respect de ses partenaires des pays ACP que l'Union européenne, tout particulièrement la France, contribuera à la mise en place de relations conjuguant la solidarité, un réel rayonnement et une influence positive.

Pour ces raisons constructives, et tout en saluant la qualité du rapport de notre collègue André Dulait, le groupe CRC estime opportun de repousser la signature de cet accord. En conséquence, il votera contre cette ratification précipitée.

(M. Guy Fischer remplace Mme Michèle André au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le secrétaire d'État, je ne reviendrai pas sur l'historique de l'accord de Cotonou, que vous avez, ainsi que mes collègues, utilement rappelé. J'en viens donc directement à l'examen des deux projets de loi qui nous sont présentés.

Nous estimons que certaines des modifications apportées par le premier de ces deux projets à l'accord de Cotonou constituent un progrès. Nous approuvons ainsi le volet portant sur la coopération, qui tend à assouplir l'accès aux ressources du FED par les parlements nationaux, les acteurs non étatiques, les collectivités locales et les États non-membres du groupe ACP, afin de favoriser la coopération régionale.

Nous approuvons également l'engagement pris par la Communauté européenne de maintenir son effort d'aide financière au même niveau que dans le 9e FED, majoré des effets de l'inflation, de la croissance et de l'élargissement.

Toutefois, il faudrait que cet engagement soit réellement tenu. Je rappelle que, selon les chiffres d'Oxfam, une ONG tout à fait crédible, seuls 28 % des 15,2 milliards d'euros prévus par les accords de Cotonou pour la période 2000-2007 ont été effectivement versés.

Sur ce dernier point, il convient de signaler que l'exécution financière du cadre pluriannuel de coopération demeure suspendue à la ratification de la révision de l'accord de Cotonou.

De fait, la mise en oeuvre du 10e FED demeure conditionnée non seulement à la ratification de l'accord interne aux États membres l'instituant, mais également à la ratification de l'accord révisé de Cotonou.

La ratification de ce texte paraît donc très importante à notre groupe afin de ne pas bloquer la mobilisation des fonds nécessaires à l'aide au développement dans la période à venir.

C'est un point crucial, à propos duquel notre collègue Charles Josselin, ancien ministre délégué à la coopération et à la francophonie, qui participe aujourd'hui aux discussions relatives aux futurs accords de partenariat économique, aurait souhaité rappeler l'importance du FED dans l'APD française.

C'est en effet grâce aux décisions prises en 2000 - alors qu'il avait la charge du ministère de la coopération - pour modifier les règles de fonctionnement du FED que les décaissements se sont accélérés et ont permis à la France d'afficher une croissance de l'APD dans les années suivantes.

En ce qui concerne les clauses politiques, on peut s'interroger sur l'efficacité de l'introduction de nouvelles conditionnalités.

Avec le Gouvernement, nous disons que, oui, il faut prévenir les activités des mercenaires, oui, il faut lutter contre le terrorisme, oui, il faut promouvoir la justice internationale. Mais certaines de ces nouvelles conditionnalités semblent davantage dictées par le « politiquement correct » atlantiste que par la réalité : quel pays d'Afrique de l'Ouest serait soupçonné de se doter d'armes de destruction massive ? Le Bénin ? Le Ghana ? Le Mali ? Je crains que les obsessions du président Bush ne contaminent sur ce point l'Union européenne !

J'insiste sur le fait que « le respect des droits de l'homme, des principes démocratiques et de l'état de droit » doit non pas se diluer dans d'autres considérations, mais rester la référence principale de la relation Union européenne-ACP sur le plan politique dans le cadre de l'accord de Cotonou.

J'en viens au projet de loi n° 42.

En étroite relation avec le texte précédemment évoqué, ce second projet de loi concerne l'instrument financier de l'Union européenne, attaché aux cadres pluriannuels de coopération au développement, pour financer l'accord de partenariat entre la Communauté européenne et les États membres du groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, c'est-à-dire l'accord de Cotonou.

La France et les pays membres de l'Union européenne ont signé, à Bruxelles, le 17 juillet 2006, l'accord interne instituant le 10e Fonds européen de développement pour la période 2008-2013.

Ce texte est le complément indispensable du projet de loi n° 41. La mise en oeuvre du 10e FED suppose la ratification du présent projet de loi mais également la ratification de l'accord modifié de Cotonou.

Je commencerai par quelques remarques sur ces deux textes soumis au Sénat en discussion commune.

Il est certain que l'accord de Cotonou révisé présente des avancées importantes.

D'abord, il apporte une reconnaissance de la place des autorités locales dans la politique de développement : pour la première fois, leur rôle est clarifié et elles sont reconnues explicitement comme partenaires à part entière du dialogue politique.

Ensuite, il avance dans la promotion de la justice internationale à travers la mise en oeuvre du statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Toutefois, je voudrais vous interroger, monsieur le secrétaire d'État, sur un point précis qui concerne le contexte politique dans lequel s'inscrivent ces textes.

Actuellement, ont lieu les négociations des accords de partenariat économique régionaux entre la Communauté européenne et des sous-ensembles des membres du groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique constitués en union douanière et prévoyant l'introduction progressive, à partir de 2008, du libre-échange. À cet égard, je partage certaines des réserves exprimées tant par ma collègue de l'UMP, Mme Lucette Michaux-Chevry, que par mon collègue du groupe CRC, M. Robert Hue.

Les négociations APE qui ont débuté en septembre 2002 suscitent les plus vives inquiétudes chez les pays partenaires ACP. (Mme Lucette Michaux-Chevry approuve.) L'Europe est perçue comme cherchant à imposer à tout prix des zones de libre-échange à des pays parmi les plus pauvres du monde, et cela à ses propres conditions. La relation de confiance avec les pays ACP est désormais en jeu.

Non seulement les États risquent d'être privés de leur quasi unique ressource fiscale, les droits de douane, mais nous savons aussi que de nombreux secteurs de leurs économies ne pourraient résister à un abaissement des protections douanières et à une mise en concurrence non maîtrisée avec l'économie européenne.

Toutes les filières productives, industrielles mais surtout agricoles, en Afrique subsaharienne sont fragiles : coton du Mali et du Burkina, oignons du Niger, riz du Sénégal. Privés de subventions et de moyens de transport, les agriculteurs du Sud seraient menacés de disparition et leurs pays, de toute autonomie alimentaire, si on laissait le seul marché dominer leurs échanges avec l'Union européenne, sans régulation et sans mesures d'accompagnement techniques, sociales et financières.

De même, les petites et moyennes entreprises africaines ne résisteraient que grâce à la mise en place d'un Small Business Act qui assurerait leur accès préférentiel aux marchés publics.

Il faut donc vraiment se donner un délai supplémentaire pour négocier les APE, tenir compte du fait que tous les pays ACP ne sont pas en mesure de signer ces accords au même moment et prévoir des mesures transitoires sur une vingtaine d'années.

L'objectif de l'accord de Cotonou est-il le développement ou simplement la réciprocité dans l'ouverture des marchés ? Ces APE, qui sont aujourd'hui au coeur de la relation Union européenne-ACP, ne doivent pas s'inscrire dans une optique économique purement libérale, mais dans une perspective progressiste visant le développement.

Dans le même sens, permettez-moi de souligner également, au nom de notre collègue Jacques Gillot - celui-ci, pensant ne pas être en mesure d'assister à cette séance, m'avait chargée d'être son porte-parole, mais je salue sa présence inespérée dans l'hémicycle -, les inquiétudes des départements d'outre-mer.

En effet, la perspective de l'entrée en vigueur des nouvelles règles applicables au sucre en 2009, combinée aux APE, suscite un certain pessimisme.

Certes, les APE seraient une bonne chose s'ils permettaient, par le biais du CARIFORUM, le forum des États ACP des Caraïbes, dont les négociations sont très avancées, une meilleure intégration des départements français d'Amérique dans la Caraïbe, mais, malheureusement, nos départements de la Caraïbe n'en sont pas membres.

Il n'en demeure pas moins que l'ouverture selon le principe quota-free/duty-free des marchés européens aux productions de bananes et de sucre des pays ACP mettra les DOM en situation de forte concurrence. Or on sait que ces productions sont vitales pour les économies domiennes.

J'attire également votre attention sur la question de l'octroi de mer. Il est vrai que la Commission européenne a refusé jusqu'ici de le faire figurer à la table des négociations. Mais qu'adviendra-t-il si les pays ACP exigent qu'il y figure ? J'ai parlé de la relation de confiance avec les pays ACP. Or ils peuvent en effet voir dans l'octroi de mer un élément de concurrence déloyale. La France contribuera-t-elle à changer cette politique de la Commission européenne et à l'engager à revenir aux principes fondateurs ?

Les principaux objectifs de l'accord doivent être la réduction et, à terme, l'éradication de la pauvreté, ainsi que l'intégration progressive des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique dans l'économie mondiale, en situation d'égalité, tout en respectant les objectifs du développement durable.

Je le dis aussi au nom de mon collègue Jacques Gillot : nous voudrions être sûrs en votant ces textes que ces principes seront respectés.

Nous nous inquiétons toutefois de ce que la politique actuelle du Gouvernement, loin d'incarner une quelconque « rupture », semble mettre allègrement ses pas dans ceux de la vieille politique africaine de la France, sans vouloir tirer les conséquences des erreurs du passé et des changements survenus depuis dix ans sur le continent africain.

L'engagement de l'ancien Président de la République, M. Chirac, concernant l'aide publique au développement ne sera pas tenu, ni aujourd'hui ni demain, puisque le projet de budget pour 2008 n'apporte pas d'augmentation de la part française d'aide au développement - vous avez dit devant la commission des affaires étrangères, monsieur le secrétaire d'État, que nous faisions une « pause » cette année : admirable euphémisme ! - et qu'aucune mesure financière n'est prévue pour les prochaines années en substitution de la clôture des opérations d'annulation de la dette.

Finalement, nous demandons de veiller à une meilleure programmation du 10e FED, par exemple en fixant des objectifs politiques qui consisteraient à affecter 20 % des montants à la santé ou à l'éducation de base dans les pays ACP.

L'Union européenne doit aussi veiller à dégager les financements nécessaires afin de garantir l'accès des pays africains à des énergies propres. Sans énergie, le développement n'est pas possible.

Voilà pourquoi le vote positif du groupe socialiste ne doit pas être considéré comme étant un chèque en blanc délivré au Gouvernement, mais, bien au contraire, comme étant un vote constructif et exigeant destiné à édifier une autre relation avec nos partenaires d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.

Notre vigilance sur la négociation et l'application des accords de partenariat économique qui constituent la suite logique des accords que nous ratifions aujourd'hui sera donc très grande et nous demandons que, dans ce domaine, la France sache prendre son temps et faire prendre son temps à l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je veux indiquer d'emblée à M. Dulait que je suis évidemment tout à fait en phase avec son excellente intervention, très fouillée et très construite.

Je partage, par exemple, monsieur le rapporteur, votre préoccupation quant à la nécessité de veiller à ce que les moyens bilatéraux soient augmentés. D'ailleurs, même si, comme vous l'a relevé Mme Cerisier-ben Guiga, j'ai parlé de « pause », le projet de loi pour 2008 comportera des aspects positifs à cet égard, comme l'augmentation des autorisations d'engagement dans le bilatéral.

Vous avez également évoqué, monsieur le rapporteur, le chiffre de 800 millions d'euros pour l'appel du FED : c'est un pic et vous avez raison de dire que le lissage est utile.

Nous sommes bien sûr en phase aussi sur l'idée, que j'ai moi-même avancée, d'une intégration, à terme, au budget.

Madame Michaux-Chevry, j'ai écouté votre intervention avec intérêt.

D'abord, la France a donné un mandat, et non pas un blanc-seing, à la Commission.

Ensuite, je puis vous assurer que les départements d'outre-mer sont au coeur de la problématique de l'intégration régionale des pays ACP et que la France est déterminée à défendre la prise en compte de leurs intérêts légitimes dans le cadre des négociations en cours sur les accords de partenariat économique.

Ainsi, je puis vous dire, de manière plus personnelle, que, lors de la longue conversation téléphonique que j'ai eue, voilà quelques jours, avec le commissaire Peter Mendelson, j'ai insisté sur nos attentes fortes s'agissant de nos départements d'outre-mer et j'ai notamment abordé la question de la banane. (Mme Lucette Michaux-Chevry fait un signe dubitatif.)

Je ne cherche pas forcément à vous convaincre, madame Michaux-Chevry, mais j'évoque cet exemple pour vous montrer qu'il y a non pas de l'indifférence, mais au contraire un véritable engagement.

Nous avons d'ailleurs obtenu des engagements fermes de la Commission dans le secteur du sucre. Des mesures de sauvegarde efficaces s'appliqueront jusqu'en 2015 aux départements d'outre-mer, que vous avez eu raison de défendre tout à l'heure avec fougue. Les discussions se poursuivent aussi sur le commerce de la banane dans le cadre des négociations avec la Caraïbe.

Je puis également vous assurer que la prise en compte des besoins particuliers des producteurs des départements d'outre-mer sera déterminante dans la position de la France dans la phase finale des négociations.

Pourquoi l'Association des États de la Caraïbe, l'AEC, n'est-elle pas partie prenante à la négociation de l'accord de partenariat économique avec la Caraïbe ? S'agissant de cette région, la Commission négocie avec le CARIFORUM, qui, contrairement à l'AEC, est une organisation qui vise à l'intégration économique de ses membres. Au sein du CARIFORUM, la CARICOM vise à constituer un marché commun alors que l'AEC vise à développer la coopération entre les pays de cette région.

Je comprends néanmoins parfaitement l'intérêt qu'il y a, en particulier pour ses membres associés - dont la France au titre des départements d'outre-mer français, qui ne sont pas membres du CARIFORUM -, à informer l'AEC des développements de la négociation avec la CARICOM. À cet égard, il me paraît légitime que cet échange d'informations puisse avoir lieu dans les meilleurs délais possibles, par exemple à l'occasion d'une prochaine session de négociations dans la région.

Enfin, je vous rappelle que les conclusions du Conseil relatives au partenariat entre l'Union européenne et la Caraïbe, adoptées le 10 avril 2006, soulignent l'identité irremplaçable de la région des Caraïbes, le rôle de premier plan qu'elle joue dans le cadre du groupe des États ACP, le rôle important du CARIFORUM ainsi que les liens étroits que cette région entretient avec certains États membres, via notamment les départements français d'outre-mer.

Madame la sénatrice, nous prenons à coeur vos préoccupations, même si nous n'arrivons pas aux mêmes conclusions que vous s'agissant des accords de Cotonou.

Monsieur Hue, voter les deux textes qui sont aujourd'hui soumis au Sénat ne signifie pas nécessairement - vous l'avez d'ailleurs souligné, madame Cerisier-ben Guiga, en faisant la part des choses - approuver les APE.

Pour autant, je ne veux pas esquiver le débat sur les APE.

La position de la France n'est pas nouvelle : nous sommes favorables aux APE, tout en considérant que la négociation doit se poursuivre sur les conditions de leur mise en oeuvre.

Les APE répondent à quatre objectifs.

Premièrement, ils visent à stimuler la croissance économique des pays ACP en développant leur compétitivité. Ces États, pas plus que nous, ne se placent pas dans la perspective d'une simple démarche d'assistance : ils souhaitent aussi pouvoir bénéficier pleinement de leurs atouts. D'ailleurs, certains d'entre eux sont demandeurs, sous certaines conditions, de ces APE. D'un pays à l'autre, d'un groupe de pays à l'autre, les points de vue sont extrêmement variés. Mais, dans l'ensemble, ils ne rejettent pas massivement cette démarche. Certains, qui voient dans les APE l'occasion de leur développement, ont déjà commencé à négocier de manière positive leur signature.

Deuxièmement, les APE visent à promouvoir le développement des régions. J'évoquais d'ailleurs à l'instant l'intégration régionale.

Troisièmement, ils visent à améliorer les politiques sociales et à lutter contre la pauvreté. Ainsi, ces accords n'ont pas la compétitivité pour seule fin ; ils se veulent équilibrés.

Quatrièmement, enfin, ils visent à fixer un accord commercial respectant les règles de l'Organisation mondiale du commerce, qui est aussi partie prenante à ces discussions.

Aujourd'hui, la question n'est pas de savoir si l'ouverture commerciale des pays les plus pauvres est en elle-même le moteur de leur développement. La réponse est clairement négative. On sait en effet que ce dont souffre avant tout l'économie de ces pays, notamment les pays africains, c'est d'une offre inexistante ou insuffisamment compétitive, aussi bien sur les marchés locaux que régionaux et internationaux. Cette question de la qualité et de la compétitivité de l'offre renvoie à tout un ensemble de problèmes récurrents : infrastructures défaillantes ; crédits aux entreprises inexistants ou très chers ; capacités de formation insuffisantes ; technologies anciennes et peu performantes. C'est une démarche tous azimuts qu'il faut engager.

Où en est la négociation en cours ? Elle n'est pas forcément simple tous les jours ! Nous avons évoqué ces questions lors de la réunion informelle des ministres chargés du développement, qui s'est tenue il y a quelques semaines à Madère, et à laquelle assistaient les commissaires européens Louis Michel et Peter Mandelson. Avec quelques autres pays européens tels que le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et les pays d'Europe du Nord, nous avons rappelé que nous étions favorables à cette démarche et que nous en étions solidaires. En outre, nous avons fait part de notre volonté de discuter pied à pied pour que cette négociation réussisse. En effet, elle doit être l'occasion pour la société civile et pour les représentants des opérateurs économiques, qu'ils soient producteurs agricoles, artisans ou industriels, de remettre sur la table certaines options d'ouverture commerciale.

Pour ces pays, l'accès au marché mondial est souvent plus que problématique. À cet égard, leur intégration régionale est pour eux un défi et une chance. Cette intégration conditionne la réussite des APE, dont elle constitue aussi l'un des objectifs.

Certes, le combat n'est pas gagné d'avance, mais nous ne pouvons pas rejeter cette perspective d'un revers de la main.

Enfin, les pays les moins avancés ne pourront bénéficier des échanges que si leurs capacités de production commerciale s'améliorent.

Les APE constituent aussi une solution de rechange aux échecs d'un certain nombre d'accords commerciaux. Elle ne pourra être efficace en termes de développement que si elle s'inscrit dans une vraie dynamique non seulement de concertation, de transparence et de gestion des transitions, mais aussi de recherche de cohérence dans les politiques. C'est pour nous un vrai défi, mais nous devons accepter de nous engager dans cette démarche.

Enfin, madame Cerisier-ben Guiga, en dépit de quelques points de désaccord, vous partagez le souci du Gouvernement et de M. le rapporteur de rendre le FED plus efficace. Nous discutons actuellement avec le commissaire Louis Michel afin d'améliorer la prévisibilité des décaissements. Sur ce point, ce que vous avez dit est juste et votre critique est fondée. Néanmoins, comme me le soufflait M. le rapporteur, la situation s'améliore. Mais je reconnais qu'il faudra veiller à ce que les délais soient plus courts.

La France est attentive à ce que la mise en oeuvre des APE prenne en considération la question du développement, notamment à travers un véritable volet d'accompagnement. C'est sur le contenu de ce dernier que portent aujourd'hui de nombreuses discussions avec la Commission. Je puis vous dire que je me suis personnellement engagé dans ce dialogue.

Je conviens avec vous, et avec d'autres dans cet hémicycle, que les APE ne doivent pas être exclusivement des accords de libre-échange. Comme leur nom l'indique, ce sont aussi des accords de partenariat, dont le but est le développement intégré des pays signataires. Tel est en tout cas l'esprit dans lequel nous abordons cette négociation importante et difficile.

Concernant la politique africaine de la France, vous avez fait allusion à la « pause » que j'ai évoquée en commission dans l'augmentation de la part française d'aide au développement, ajoutant que les engagements annoncés naguère par le président Jacques Chirac ne seraient tenus ni aujourd'hui ni demain. Je serais tenté d'ajouter qu'ils ne l'ont été ni hier ni avant-hier. Sur ce point, nous pouvons tous balayer devant nos portes respectives et, en ce qui me concerne, successives. Nous avons tous fait preuve d'insuffisance.

Certes, il est important de déterminer quelle part de notre PNB nous consacrerons à l'aide publique au développement à l'horizon de 2015, puisque nous nous plaçons dans une démarche multilatérale. Cet objectif est un moteur et un levier. Nous ne remettons pas en cause le taux de 0,7 %. En revanche, il n'est pas interdit de réfléchir sur ce que doit recouvrir cet objectif dans les années à venir. Du point de vue de la France, il serait peut-être souhaitable qu'on prenne en compte tous les domaines de notre présence, notamment en Afrique, qui n'entrent pas tous dans le calcul de ce taux.

Dans bien des domaines, qu'il s'agisse de coopération militaire ou de coopération civile, notre engagement est sans doute perfectible, mais il ne faiblit pas. Il n'est que de voir notre implication dans la négociation du 10e FED.

Je suis pleinement en phase avec les objectifs de changement dans la politique africaine de la France qui ont été énoncés à plusieurs reprises par le Président de la République, que ce soit il y a quelque temps à Cotonou, plus récemment à Dakar ou, en septembre, aux Nations unies, où je me trouvais. Cette démarche est bien sûr empreinte de réalisme : nous ne négligeons pas nos intérêts bien compris, non plus que nous ne tournons le dos aux amis de la France. Ce pragmatisme de bon aloi, qui a toujours eu cours, se veut résolument novateur quant aux choix à faire et aux critères à privilégier.

Nous voulons être davantage présents dans un certain nombre de pays, à l'instar de quelques-uns de nos voisins européens. Nous voulons moderniser nos outils, ce que nous avons la possibilité de faire actuellement dans le cadre de la revue générale des politiques publiques. Nous voulons également, dans la solidarité, promouvoir le principe de responsabilité, principe dont il est d'ailleurs question dans les débats sur l'accord de partenariat ; c'est ce qu'attendent nos amis africains.

Aussi, je ne peux vous laisser dire que nous nous plaçons dans une continuité ronronnante. Nous sommes conscients que le monde a changé et que nos politiques de coopération en général et avec l'Afrique en particulier - et cela vaut aussi pour notre politique en matière de francophonie - doivent prendre en compte les attentes nouvelles de nos partenaires et leurs évolutions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...

La discussion générale commune est close.