Mme la présidente. La parole est à M. Adrien Gouteyron.

M. Adrien Gouteyron. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai souhaité prendre la parole, car, en ma qualité de membre de la commission des finances et plus précisément de rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l’État », j’ai été amené à faire un certain nombre d’observations qu’il me paraît intéressant de verser au débat.

Je vous prie d’excuser par avance ce que mes considérations auront sans doute de trop général par rapport au texte que vous présentez, monsieur le ministre, mais j’espère qu’elles ne seront pas inutiles.

Je me suis inquiété, en effet, de la gestion des carrières de nos diplomates, actuellement caractérisée par un certain gâchis des talents. Selon mes calculs, environ 20 % de l’encadrement supérieur du Quai d’Orsay se trouve aujourd'hui sous-employé ou mal employé. Il se trouve que, le jour même où je présentais en commission mes conclusions - simples mais, me semble-t-il, peu contestables -, j’ai trouvé dans le projet de loi et les projets de décret un certain nombre de clés pour déverrouiller la situation actuelle. Ces blocages se retrouvent bien sûr au Quai d’Orsay, je les ai d'ailleurs constatés, mais aussi dans un certain nombre d’autres ministères.

L’enjeu est connu : il s’agit de passer d’une politique d’effectifs à une politique de compétences. Sous bien des législatures, les gouvernements ont préféré une politique de chiffres, une politique d’affichage de postes supplémentaires - certains n’ont d’ailleurs jamais été créés -, à une vraie gestion des ressources humaines, se préoccupant d’optimiser les compétences, de proposer une vraie carrière à nos fonctionnaires et d’abord d’éviter des situations scandaleuses. On parle parfois de « placard » ; au Quai d’Orsay, on parle de « couloir de la mort » pour les diplomates qui ne trouvent pas les postes qu’ils ont espérés et qui correspondent à leurs compétences.

C’est une singulière manière de récompenser et de motiver des agents dont la vocation est le service de l’intérêt général et le dévouement au pays. C’est pourquoi j’ai proposé que le ministère des affaires étrangères soit, en quelque sorte, pilote dans cette réforme.

L’amélioration des carrières et le développement des compétences professionnelles résident, j’en suis convaincu, dans la mobilité, qui fait l’objet du texte qui nous est aujourd’hui soumis.

Mobilité, d’abord, pour favoriser l’organisation d’une deuxième carrière, au profit non seulement de l’encadrement supérieur, mais aussi de l’ensemble des agents ; mobilité, ensuite, pour favoriser la diversité des parcours professionnels, et donc la diversité des profils pour les emplois dits « d’autorité » ; mobilité, enfin, pour favoriser une plus grande homogénéité des emplois entre la sphère publique et la sphère privée ainsi que de la gestion des ressources humaines dans le privé et dans le public.

Ma première réflexion portera sur la mobilité pour une deuxième carrière.

Le déroulement des carrières fait l’objet d’une tension persistante et préoccupante, qui touche l’ensemble des personnels d’encadrement de la fonction publique, au risque d’entraîner une démotivation. Sont à la fois concernés les agents les plus expérimentés, qui ne trouvent pas de débouchés à la hauteur des services rendus à notre pays, et les agents les plus jeunes, qui débutent leur carrière et voient leurs perspectives limitées, voire, parfois, bouchées.

Pour ceux qui ne pourront pas, sans démériter pour autant, gravir tous les échelons de la pyramide, à l’heure où le Président de la République a annoncé, par exemple, la réduction de moitié du nombre de directeurs de l’administration centrale et où la révision générale des politiques publiques prévoit de restructurer les administrations, il faut créer les conditions d’une deuxième carrière, publique ou privée.

Celle-ci doit se préparer tôt, comme dans les armées, lorsque, à quarante ans ou quarante-cinq ans, se dessine un choix difficile, mais pourtant nécessaire. Il nous faut donc imaginer des politiques de mobilité d’un genre nouveau, avec une vraie gestion prévisionnelle des talents, une incitation à la reconversion, notamment dans le secteur privé, intervenant tôt dans la carrière. Bien entendu, il faudrait que se mettent en place des cellules d’orientation et de reclassement dans les ministères.

Voilà pourquoi je me félicite de l’annonce faite par le Gouvernement, dans le cadre de la présentation du présent projet de loi, d’une prime d’incitation au départ pouvant aller jusqu’à deux années de salaire : si celle-ci est bien utilisée, et bien calibrée, elle constituera, pour les fonctionnaires, un véritable levier de nature à créer une deuxième carrière.

Cette deuxième carrière, je l’entrevois aussi pour nos enseignants, à l’école comme à l’université. On le sait, ils exercent aujourd'hui un métier difficile. Certes, ce n’est pas chose aisée, mais, après un grand nombre d’années passées devant les élèves, il faut leur offrir la perspective de changer de voie.

À cet égard, qu’il me soit permis de faire une remarque, même si ce point n’est pas abordé dans le texte : il n’y a pas de mobilité réelle, ou peu, sans mobilité géographique.

Or, en cette période de l’année, je suis frappé de constater, comme nombre de mes collègues sans doute, que beaucoup d’enseignants très angoissés, qui vivent à 500 kilomètres de leur conjoint, voire plus loin encore, nous demandent d’intervenir en leur faveur, car ils ne trouvent pas le moyen de se rapprocher.

On a sacralisé le barème ; on a centralisé, ou, plutôt, on a laissé centraliser la gestion des personnels à l’extrême, et ce en dépit de quelques efforts déployés par un précédent ministre de l’éducation nationale, qui – je m’empresse d’ailleurs de le souligner – n’était pas de droite et s’est attiré quelques critiques en raison de l’initiative qu’il avait prise sur ce sujet. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, il faut persévérer dans cette voie. Il n’est pas possible d’en rester à la situation qui est la nôtre aujourd'hui et de laisser des enseignants bloqués loin de leur conjoint et de leur famille. Une telle situation est absolument désespérante. Parler de mobilité sans envisager cet aspect du problème me semble dérisoire.

J’en viens maintenant à la question de la mobilité favorisant la diversité des parcours professionnels, et donc des profils des emplois dits « d’autorité ».

On comptait, en 2007, selon les documents budgétaires, 470 corps de fonctionnaires au sein de l’État et des établissements publics administratifs. Sinon la totalité du moins la plupart de ces corps ont organisé, on le sait bien, une politique protectionniste visant à intégrer le moins de profils extérieurs possible, afin de protéger les voies d’accès vers les postes à responsabilité.

Ce protectionnisme est, en réalité, inefficace, puisqu’il n’empêche nullement de cruelles désillusions au cours des carrières. Toutefois, il a figé notre administration et empêché une diversité des parcours professionnels, et donc des profils, avant l’accès aux postes les plus élevés de la hiérarchie.

Permettez-moi de prendre l’exemple de la diplomatie, car je me suis un peu intéressé à la question, mais ma remarque vaut également pour d’autres fonctions.

Il existe trois métiers dans les postes à l’étranger : la diplomatie économique, la diplomatie culturelle et la diplomatie politique. Seule celle-ci, incarnée par le corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires, donne accès, à de trop rares exceptions près, à la fonction d’ambassadeur.

Or nous aurions besoin aujourd’hui, dans ces temps de mondialisation, de profils diversifiés d’ambassadeurs, prenant davantage en compte l’économie et la culture, laquelle est souvent un instrument déterminant. Il faut donc réintroduire du mouvement dans les parcours professionnels, en décloisonnant notre fonction publique.

J’aborderai enfin la question de la mobilité visant à favoriser une plus grande homogénéité entre la gestion des ressources humaines publique et la gestion des ressources humaines privée.

Nos fonctionnaires sont encore largement privés des outils les plus neufs en matière de gestion des ressources humaines. Alors que ces outils sont utilisés dans le secteur privé, le secteur public est resté à l’écart de bien des innovations.

La mobilité du public vers le privé, mais aussi l’arrivée de compétences privées dans la sphère publique, devraient permettre d’introduire une sorte d’hybridation, une fertilisation croisée entre deux univers qui se méconnaissent trop aujourd’hui.

Telle me semble être la politique du Gouvernement. M’appuyant sur cette philosophie qui nous est commune et vise à l’épanouissement des compétences des agents publics, pour le service du pays, je considère que ces compétences peuvent s’épanouir tour à tour dans le public, au sein des administrations les plus diverses possibles, et dans le privé.

En conséquence, je voterai le projet de loi que le Gouvernement nous a soumis, car ce texte franchit, me semble-t-il, un pas décisif dans le sens d’une meilleure considération de nos fonctionnaires. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, on peut d’ores et déjà se poser des questions sur l’intitulé même du projet de loi que nous examinons aujourd’hui ; mon collègue Jean-Claude Peyronnet en a d’ailleurs proposé un autre.

En effet, on pourrait légitimement s’attendre à un projet de loi portant exclusivement sur la mobilité des fonctionnaires, une mobilité qui a été largement entravée par de nombreuses lois depuis la création du statut général des fonctionnaires en 1946. Or, il n’en est rien, puisque le thème de la mobilité sert surtout ici de prétexte à une réduction des effectifs et des dépenses publiques.

Supposons cependant en toute bonne foi qu’il s’agisse d’un texte portant réellement sur la mobilité des fonctionnaires. Nous ne pouvons que le constater, ce projet de loi, loin d’être ambitieux, ne va rien changer aux problèmes rencontrés par les agents de la fonction publique pour ce qui est de leur parcours professionnel.

Les premiers articles du projet de loi prévoient une systématisation des détachements et un droit à intégration, afin de garantir au fonctionnaire une mobilité « non entravée » par les statuts particuliers. « Les conditions de détachement sont par ailleurs assouplies pour que celui-ci puisse intervenir entre corps et cadres d’emplois appartenant à la même catégorie et de niveau comparable ». La mobilité entre les trois fonctions publiques et au sein de chacune d’entre elles devrait être facilitée, permettant ainsi une intégration directe dans un corps ou un cadre d’emplois de fonctionnaires remplissant toutes les conditions pour y être détachés.

Sous couvert de « progrès », le Gouvernement ne fait qu’assouplir la loi Galland de 1987, qui, elle-même, modifiait d’ailleurs insidieusement la loi Le Pors, largement négociée et approuvée à l’époque par l’ensemble des personnels.

Par ailleurs, en matière d’intégration, le Gouvernement a reculé par rapport au projet de loi initial, qui prévoyait que l'intégration pour un fonctionnaire en détachement devait arriver dans un délai de cinq ans maximum alors que, dans le projet que nous examinons, l'intégration ne peut avoir lieu qu’au bout de cinq ans. Cette condition nous paraît totalement contraire au discours tenu par la majorité quant à sa volonté de faciliter la mobilité.

Dès lors, quelle autre avancée notoire sur la mobilité pouvons-nous constater ? Aucune, malheureusement ! Ce texte comporte quelques mesures qui sont aussi démagogiques qu’elles seront inapplicables.

À titre d’exemple, l’article 6 du projet de loi prévoit que le fonctionnaire de l’État, contraint par son administration d’occuper un nouvel emploi au sein de l’une des trois fonctions publiques, a le droit de conserver le plafond indemnitaire le plus élevé entre celui que lui offrait son employeur d’origine et ce que lui propose son nouvel employeur.

Outre le fait qu’il est irréaliste, cet article va faire peser sur les administrations d’accueil, en particulier les collectivités territoriales et les hôpitaux, le financement des restructurations imposées par l’État, ce qui ne manquera pas d’aggraver leur situation financière.

Plutôt que de procéder à une telle individualisation de la rémunération, une remise à plat de l’ensemble des indemnités et de la grille indiciaire pour uniformiser les pratiques de rémunération serait plus pertinente. En somme, ce texte jette le trouble au sein d’une fonction publique déjà confrontée à de multiples problèmes.

Présenté comme une avancée majeure, ce projet de loi n’est qu’une « réformette » supplémentaire. En réalité, la mobilité est ici presque exclusivement entendue comme une mobilité quasiment forcée vers le privé, comme le montre l’article 7 du projet de loi. En effet, si la réorientation d’un fonctionnaire n’aboutit pas – cela risque d’être souvent le cas -, l’agent pourra être mis en disponibilité d’office, sans être rémunéré, ou mis à la retraite, au mépris du principe de réaffectation des fonctionnaires.

Le thème de la mobilité sert donc de prétexte. Mais alors, que contient le reste du texte ?

Il comporte un ensemble de mesures qui visent à précariser encore et toujours plus les agents de la fonction publique. Ainsi, l’article 8 élargit les possibilités de cumul d’emplois à temps non complet, dans les trois fonctions publiques. Ce faisant, il aggrave la précarité des agents à temps partiel au lieu de la résorber.

Quant à l’article 9, il étend les possibilités de recours à des contractuels pour remplacer des fonctionnaires momentanément absents dans la fonction publique d’État. De la même manière, il institue une précarité durable dans la fonction publique au lieu de l’éradiquer.

L’article 10 prévoit le recours à l’intérim, afin de pourvoir rapidement les emplois temporairement inoccupés ou pour faire face à un besoin ponctuel. Il symbolise à lui seul la volonté du Gouvernement de vider de son contenu le statut de la fonction publique, puisqu’il sous-entend qu’une mission de service public peut être assurée par un intérimaire, comme n’importe quel autre emploi.

Intérim, CDD, cumul d’emplois à temps partiel : voilà les différentes facettes de l’emploi précaire que nous dénonçons habituellement et qui vont être appliquées à la fonction publique. Si ce projet de loi n’apporte aucune réponse aux questions relatives à la mobilité des fonctionnaires, il pratique, en revanche, une saignée profonde dans le statut de la fonction publique, avant que la révision générale des politiques publiques ne l’achève définitivement !

C’est pourquoi l’ensemble des syndicats sollicités ont voté contre ce projet de loi ou se sont abstenus. Une journée de grève massive s’annonce d’ailleurs le 15 mai prochain ; cinq organisations syndicales ont appelé toute la fonction publique à cesser le travail.

La réforme que vous envisagez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, ne passe ni par la négociation ni par la concertation.

La logique sous-jacente de ce texte reprend les principes dévoilés dans le discours de Nantes du chef de l’État. Sa déclaration opposait le contrat à la loi ; le métier, plus restrictif, à la fonction ; elle défaisait les liens entre les fonctions publiques ; opposait la performance individuelle à l’efficacité sociale. Bref, ce discours annonçait le dynamitage du statut, la substitution de l’individualisme et de la concurrence aux valeurs d’égalité et de solidarité inscrites dans le statut même des fonctionnaires et à la transparence de gestion conquise par les personnels. Une telle politique s’attaque directement aux garanties apportées aux citoyens par le statut de la fonction publique.

Le chef de l’État fait peu de cas des raisons qui ont permis à notre pays de disposer d’une fonction publique intègre, au service de l’intérêt général, et préfère chiffrer froidement le gain financier réalisé pour chaque suppression de poste dans les effectifs de l’État.

Comme il a pu l’expliquer voilà quelques semaines, « lorsqu’on évite un recrutement en organisant différemment le service, on évite non pas une année de salaire, mais quarante années de salaires et vingt ans de retraite ».

M. André Santini, secrétaire d'État. Eh oui !

M. Éric Woerth, ministre. C’est juste !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Je poursuis la citation : « Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, c’est non seulement une économie de 3,5 milliards d’euros en 2011, mais c’est surtout comme si nous réduisions au bout du compte la dette de 100 milliards d’euros. »

Fi des hommes, de l’efficacité publique au service du bien commun, de la cohésion sociale, de l’égal accès aux services et de la continuité territoriale !

Le gouvernement actuel considère l’action publique comme un coût, jamais comme une source de richesse. Creusant les déficits par sa politique fiscale, il étrangle les dépenses d’intérêt général dans les secteurs les plus sensibles, tels que le logement, la santé, la solidarité, l’emploi, la formation. Il occulte les situations les plus critiques liées au manque de personnel ; l’hôpital en est un exemple étonnant. Il ne programme pas de nouveaux emplois, il choisit purement et simplement la réduction des effectifs de fonctionnaires de l’État, avec la suppression de 160 000 emplois en quatre ans.

Il décharge l’État de nombreuses missions qu’il renvoie aux collectivités territoriales, sans pour autant donner à ces dernières les moyens de développer de vrais services publics locaux et démocratiques, programmant ainsi le corsetage de l’emploi public territorial. Comme l’a clairement résumé le Premier ministre le 10 octobre 2007 : « La réforme de l’État supposera que chacun d’entre nous accepte qu’il y ait moins de services, moins de personnel, moins d’État sur son territoire ».

Créer des statuts différents entre salariés effectuant le même travail au sein d’un même service, multiplier les différences de salaires sur des bases totalement illégitimes, officialiser le recours aux emplois précaires… Ce texte ne va qu’amplifier la désorganisation au sein de la fonction publique.

Comme la loi dite de « modernisation » de 2007, ce projet de loi relatif à la mobilité comporte une série d’offensives très ponctuelles, très techniques. Ces premières attaques pourraient préfigurer une déstructuration du système français de la fonction publique en vue de faire place nette au modèle dominant européen. Il s’agit d’une étape intermédiaire en attendant la réforme générale des politiques publiques, ou RGPP, et la concrétisation du rapport Silicani.

La fonction publique est l’instrument central de la mise en œuvre de l’intérêt général. Elle est fondée sur les principes républicains d’égalité d’accès aux emplois par recrutement sur concours, de séparation du grade et de la fonction, de citoyenneté garantie pour les agents de la fonction publique. La conception républicaine de la fonction publique devrait servir la population plus que les principes managériaux que vous voulez mettre en place. On ne gère pas l’État comme une entreprise privée !

Nous ne sommes pas seulement opposés à ce projet de loi ; nous sommes favorables à une certaine conception de la fonction publique. Il ne s’agit pas de défendre les statuts à l’identique ; on ne peut les défendre qu’en les faisant évoluer. La fonction publique est un facteur de réduction des inégalités. Elle doit donc bénéficier de moyens financiers, techniques et humains importants.

Vous l’avez donc compris, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans une démarche de modernisation de la fonction publique que, pour ma part, je considère tout à fait souhaitable.

Cette modernisation passe évidemment par l’adaptation des règles générales d’accès et de gestion de la fonction publique, afin de tenir compte des réalités d’aujourd’hui par rapport à l’évolution non seulement des compétences et des modes de fonctionnement des organismes publics, mais aussi des connaissances, des compétences et des attentes de leurs agents.

Selon moi, cela signifie non pas la casse du statut, mais, au contraire, sa modernisation par rapport à un monde qui n’est plus du tout celui de 1946 ni même, s’agissant du statut de la fonction publique territoriale, de 1984. À l’époque, personne n’imaginait que les collectivités locales prendraient l’importance qu’elles ont aujourd’hui, ni que la fonction publique dans son ensemble engloberait plus de 5 millions de personnes… C’est dire que les entités publiques actuelles ne sont plus du tout comparables à celles des époques au cours desquelles ont été mis en place les statuts. Il est par conséquent urgent de moderniser et d’assouplir ces derniers si l’on veut éviter qu’ils ne soient de plus en plus contournés, ce qui est la tendance aujourd’hui.

La modernisation de la fonction publique passe aussi par une meilleure fluidité entre les trois grandes catégories d’agents publics, notamment entre l’État et les collectivités locales, la fonction publique hospitalière correspondant à des missions qui sont, pour certaines, très spécifiques par rapport à celles des deux autres fonctions publiques, et l’activité hospitalière se partageant déjà largement entre le secteur public et le secteur privé.

D’une manière générale, j’approuve donc l’idée qui est au centre du projet de loi de faciliter la mobilité entre les trois fonctions publiques. Je ne pense pas que cela déstabilisera l’État, l’hôpital ou les collectivités locales. En revanche, il est certain que cela aidera à résoudre un certain nombre de situations aujourd’hui souvent compliquées. Je prendrai l’exemple du fonctionnaire qui est fréquemment confronté à des difficultés lorsque son conjoint est muté géographiquement et qui, actuellement, est contraint de ne rechercher un nouveau poste qu’auprès de sa fonction publique « d’origine ». Son choix sera désormais plus large et ses chances d’aboutir seront donc plus grandes.

Par ailleurs, ces dispositions permettront aux agents qui exercent des responsabilités dans l’une ou l’autre des fonctions publiques, ou dans un service public spécifique, de saisir plus facilement une opportunité qui se présenterait à eux dans un autre service ou dans un autre organisme public. Par la même occasion, cela élargira les possibilités qu’ont les élus de s’attacher les services d’un fonctionnaire pour qui un changement d’établissement était jusqu’alors souvent compliqué.

De plus, en tant que fonctionnaire de l’État, mais aussi en tant qu’élu local depuis vingt-cinq ans, j’ai toujours regretté une telle ignorance réciproque entre les cadres de la fonction publique de l’État et ceux de la fonction publique territoriale. Nous sommes certainement nombreux dans cette enceinte à avoir déploré un jour ou l’autre, dans nos fonctions d’élus locaux, la méconnaissance des réalités de la gestion d’une collectivité territoriale qui transparaissait au travers de tel ou tel texte réglementaire que nous avions à mettre en œuvre et qui, visiblement, avait été rédigé par des administrations centrales peu au fait des réalités du terrain. Les exemples ne manquent pas, et je suis sûr que nous pourrions tous en citer !

Il faudra aussi, j’en suis convaincu, étudier la question de la mobilité entre administrations centrales et services déconcentrés de l’État. Notre pays ne se porterait certainement pas plus mal si les administrations centrales comportaient plus d’administrateurs civils ou d’attachés ayant une expérience de l’administration déconcentrée ou territoriale que nous n’en avons aujourd’hui.

Il conviendrait également de s’interroger – je m’éloigne là du texte, mais cela concerne toujours la fonction publique – sur le caractère judicieux d’un plus grand rapprochement, voire d’une fusion, entre l’École nationale d’administration, l’ENA, et l’Institut national des études territoriales, l’INET, non sur le plan géographique – tous deux sont situés à Strasbourg –, mais sur le plan des enseignements et des stages.

À la différence de M. le rapporteur, dont je salue la qualité du travail, je suis aussi favorable au recours à l’intérim dans la fonction publique. Je préfère en effet qu’il se pratique dans la clarté plutôt que de manière non dite, comme c’est aujourd’hui le cas, notamment dans la fonction publique hospitalière. De plus, même si les collectivités locales essaient aujourd’hui de se débrouiller autrement pour pallier les absences de leurs agents – en recourant à des vacataires, par exemple –, il n’en est pas moins vrai que la possibilité de recourir à l’intérim simplifierait la gestion des remplacements dans nombre de collectivités et permettrait par ailleurs aux vacataires occasionnels dans les collectivités locales d’espérer travailler entre deux remplacements, ce qui est rarement le cas aujourd’hui.

Il ne s’agit bien évidemment pas de faire de l’intérim un mode de gestion habituel de la fonction publique ; il s’agit plutôt d’avoir la possibilité d’y recourir en tant que de besoin et dès lors que la collectivité n’a pas de meilleure solution pour assurer la continuité du service public. Sur ce point, il me semble donc que l’amendement n° 22 que j’ai cosigné avec un certain nombre de collègues de la commission des lois et qui a reçu ce matin un avis favorable de cette dernière mérite d’être adopté par la Haute Assemblée.

Pour terminer, mes chers collègues, vous me permettrez d’évoquer un point qui figure non pas dans le projet de loi que nous examinons, mais dans le rapport Silicani, et qui mériterait d’être repris dans un prochain texte, comme d’ailleurs la plupart des préconisations de ce rapport qui sont le fruit de plus de six mois de discussions. Il s’agit de la simplification du régime indemnitaire.

Ce régime est devenu incompréhensible dans les collectivités locales, tout simplement parce qu’il repose, selon moi, sur une fiction. Ainsi, je voudrais bien comprendre enfin pourquoi un maire qui veut accorder un régime indemnitaire à certains des agents de sa collectivité n’a pas d’autre choix que de leur attribuer une indemnité d’exercice des missions de préfecture, l’IEMP. Or il est évident que ces agents n’exercent aucune mission de préfecture !

Je connais d’ores et déjà votre réponse, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État : la comparabilité des régimes ! Le régime indemnitaire des collectivités locales ne doit pas être meilleur que le régime des agents des services extérieurs de l’État qui a servi de référence. Avouez que cela frôle une certaine hypocrisie et que l’on n’est même pas loin de la fiction ! Il serait tellement facile de faire plus simple. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Je me demande parfois si ce n’est pas cette logique-là qui prévaut pour le régime indemnitaire des agents des collectivités territoriales comme pour d’autres aspects de leur statut. Certes, ce n’est pas le sujet du projet de loi que nous étudions aujourd’hui…

J’espère que nous examinerons dans les prochains mois un texte plus spécifiquement consacré aux rémunérations dans la fonction publique et que je pourrai alors défendre un amendement – j’avais déjà présenté une disposition similaire en d’autres occasions et j’ai fait une nouvelle tentative, mais l’amendement que j’ai déposé n’a pas passé le filtre de la commission des finances... – permettant enfin d’unifier dans la clarté les régimes indemnitaires des agents provenant de communes différentes et transférés vers une même intercommunalité à fiscalité propre.

Je continue en effet à penser qu’il est tout bonnement incompréhensible, illégitime même, que des agents ayant le même grade, exerçant les mêmes fonctions dans une même entité et dans les mêmes conditions, aient des régimes indemnitaires différents simplement parce qu’ils viennent de communes différentes. Au moment où se mettent en place les instances intercommunales, à la suite des dernières élections locales, il n’est pas déplacé, selon moi, d’évoquer à nouveau ce problème, même si, malheureusement, nous ne pourrons pas – article 40 oblige ! – discuter de l’amendement que j’avais déposé à ce sujet.

Avant de conclure, je voudrais vous livrer une autre réflexion. Peut-on durablement simplifier et moderniser la fonction publique sans simplifier et moderniser parallèlement les lois et règlements que la fonction publique est précisément chargée de mettre en œuvre ? Personnellement je pense que non. Par conséquent, nous, législateurs, devons avoir cela en tête à chaque fois que nous discutons d’un projet de loi dans cet hémicycle.

Il est toujours tentant de compléter ou de préciser les dispositions législatives dont nous discutons, et je succombe moi-même à cette tentation ! Mais, à chaque fois que nous ajoutons une réglementation aux réglementations existantes, nous mettons également en place de nouvelles procédures qui nécessiteront la présence de nouveaux fonctionnaires et rendront encore un peu plus complexe le cadre dans lequel agissent l’État ou les collectivités locales, voire la mobilité de leurs agents...

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tels sont les quelques éléments que je souhaitais évoquer à cette tribune. J’émets le vœu que nous cessions, après la discussion de ce projet de loi, d’examiner de façon morcelée les questions de la fonction publique, que nous adoptions au contraire une approche globale des réformes que le Gouvernement souhaite mettre en œuvre dans ce domaine et que nous ne fassions évoluer les statuts qu’en cohérence avec cette approche globale. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)