M. Jean-Louis Carrère. Mais en euros ! Les régions ne frappent pas leur propre monnaie ! (Sourires.)

Mme Colette Mélot. En 2001, la Délégation générale à la langue française et aux langues de France a reçu pour mission de préserver et valoriser celles-ci.

Il convient sans doute d’aller plus loin si nous voulons que le mouvement enclenché ait des chances de se poursuivre. Il faudrait informer davantage les familles de la possibilité qu’elles ont de choisir un enseignement spécifique pour leurs enfants. Il importe de renforcer les effectifs de professeurs et de mieux les informer de l’intérêt qu’ils peuvent avoir à inclure une langue régionale dans leur formation.

Dans le domaine des médias, la langue régionale pourrait être davantage présente compte tenu de la modification du paysage audiovisuel.

Le Président de la République, montrant tout l’intérêt qu’il porte aux langues régionales, avait promis lors de sa campagne d’élaborer un texte de loi pour les sécuriser, estimant cette possibilité préférable à la ratification de la charte européenne.

Vous avez confirmé la semaine dernière, madame le ministre, l’existence de ce projet, et notre groupe s’en réjouit fortement. Je souhaiterais que vous nous apportiez des précisions sur les mesures qui pourraient être prises et sur le calendrier que vous envisagez.

La France a progressivement pris conscience de l’importance de son patrimoine linguistique. Riches de soixante-quinze langues, nous avons également la chance de tous parler le français, qui rayonne au-delà de nos frontières. Ce sont ces deux atouts, la diversité de notre patrimoine linguistique, l’unité autour de notre langue, qu’il nous appartient de sauvegarder. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question orale avec débat de M. Nicolas Alfonsi, que je remercie au passage, va nous permettre d’exprimer au Sénat le ressenti profond et local des représentants des collectivités locales que nous sommes à propos des langues dites « régionales » ou « minoritaires ». Dans un instant, ma collègue Gélita Hoarau, sénatrice de la Réunion, évoquera la langue créole.

Il est vrai que nous sommes régulièrement confrontés dans nos collectivités aux problématiques de l’enseignement de ces langues en particulier et de leur environnement culturel en général.

Avant d’aller plus loin, il convient de séparer, si nécessaire, ce débat des langues régionales de ceux du régionalisme et du communautarisme qui recouvrent des approches politiques que nous ne partageons pas.

L’existence des langues régionales est le produit de l’histoire - guerres, conquêtes, défaites, déplacements de populations, invasions… -, des faits qui devraient également nous amener à reconsidérer les politiques d’immigration en cours qui sont, avant tout, conduites par l’égoïsme et l’exclusion en lieu et place de l’accueil et de l’intégration.

Chaque citoyen français a une approche à la fois personnelle et collective des langues régionales, selon son vécu, ses origines, sa culture.

Vous me permettrez d’évoquer ici plus particulièrement la langue bretonne, tout en pensant que ce que nous proposons pourrait servir pour toutes les langues régionales.

La langue bretonne est en danger, selon l’UNESCO : trois locuteurs sur quatre ont plus de cinquante ans et le nombre de locuteurs actifs, donc capables de transmettre au niveau familial, est inférieur à 5 % dans tous les départements bretons. Ce déclin est une conséquence du processus historique de la construction de la nation française, qui a confondu unité et uniformité.

Pourtant, 92% de l’ensemble des Bretons pensent qu’il faut conserver la langue bretonne. Les familles se tournent vers les écoles et les collectivités locales pour trouver une solution.

En Bretagne, trois filières bilingues existent : l’enseignement public propose depuis 1983, au travers de Div yezh, un enseignement bilingue à parité horaire ; l’enseignement privé avec Dihun propose l’équivalent depuis 1990 ; l’association Diwan …

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est une secte !

M. Gérard Le Cam. …pratique l’enseignement par immersion depuis 1977.

Ces enseignements se heurtent à de multiples difficultés, tout d’abord sur le plan des moyens financiers.

La région Bretagne y consacre des dépenses croissantes, de l’ordre de 4,5 millions d’euros en 2005, mais celles-ci se répartissent entre l’Office de la langue bretonne, l’édition, le théâtre, l’enseignement et la formation des adultes, l’enseignement bilingue et l’enseignement du breton – environ 30 %  –, les organisations culturelles, les radios, l’audiovisuel et le bilinguisme dans la vie publique.

Les départements consacrent près de 3 millions d’euros par an au breton, dont 75 % pour le Finistère, 10 % pour les Côtes-d’Armor, 11 % pour le Morbihan, 2 % pour l’Ille-et-Vilaine et 1 % pour la Loire-Atlantique.

Il faut rapprocher ces chiffres des 3,2 millions d’euros consacrés par l’État à des actions en rapport direct avec la langue bretonne de 2000 à 2006, soit environ douze fois moins par an que les collectivités locales.

Notre collègue Nicolas Alfonsi a raison de mentionner dans sa question orale « la création d’obligations à la charge de l’État en vue de la sauvegarde et de la transmission de langues régionales ou minoritaires pratiquées sur son territoire ».

L’engagement de l’État est jusqu’à présent très relatif. En témoigne ce que disait en mai 2006 Csaba Tabajdi, député européen hongrois, président de l’intergroupe Minorités nationales traditionnelles, régions constitutionnelles, langues régionales : « En France, les cultures et langues dites “ régionales ”, qui font partie intégrante des cultures et des langues européennes et de l’humanité, exclues de l’espace public par la législation, marginalisées, sont en voie de disparition rapide de la vie sociale malgré la résistance de l’auto-organisation souvent exemplaire des populations avec le soutien de leurs élus dans un cadre juridique, administratif et idéologique hostile. Après des décennies d’éradication, l’enseignement de ces langues reste très marginal et leur place dans les médias, notamment la radio et la télévision, est extrêmement réduite. »

La langue bretonne et le parler gallo font partie de la culture bretonne. Ils contribuent à l’identité et à l’attractivité de la Bretagne, parmi d’autres éléments, comme le sport – la lutte bretonne ou gouren –, les jeux gallos ou bretons, la musique, les danses, les chants, la poésie, la littérature. Certains de ces éléments font l’objet d’une appropriation populaire et massive, par exemple la danse, en particulier au sein des fest-noz et des fest-dei.

En revanche, l’apprentissage de la langue est beaucoup plus difficile, beaucoup plus long, mais indispensable, car il est la base de toute cette culture.

L’État peut et doit être le garant des langues de France et de leur statut, aux côtés des régions qui, mieux que quiconque, peuvent accompagner et mettre en œuvre les dynamiques nécessaires pour relancer une pratique populaire et massive de la langue sans tomber dans l’élitisme ou le séparatisme.

Pour réussir, il faut informer les familles, recruter les enseignants, valoriser la langue au niveau des examens et assurer une continuité, à la fois dans le cursus scolaire et sur le plan géographique. Nous constatons en effet une rupture importante, dès l’entrée en sixième, due au manque d’offre et d’options, ce qui provoque le découragement des familles.

Les suppressions de postes et la politique de pôles conduisent à aggraver une situation déjà chaotique.

Le débat d’aujourd’hui doit être prolongé par une loi qui donne enfin aux langues et aux parlers régionaux une vraie place dans notre République. Et pour que cette loi ne reste pas un recueil de bonnes intentions, il conviendra également d’abonder les lignes budgétaires pour créer les postes nécessaires, financer la formation et populariser les langues et parlers régionaux.

Cela dit, et ayant abordé de façon positive la question des langues régionales, je veux conclure en faisant état de mon inquiétude sur la situation de la langue française, en France et dans le monde.

Permettez-moi de sonner l’alarme : le français est en danger. Le français est pourtant, historiquement, la langue officielle de l’olympisme, de l’Union européenne, de l’UNESCO, de l’ONU. Cela devient de plus en plus théorique. Souvent, nos propres représentants ne font pas respecter cette règle. Je dois néanmoins saluer les efforts des personnels de TV5-Monde et de RFI, qui, avec les pays concernés, font beaucoup pour servir la francophonie et le français, langue de la culture, de la démocratie et de la liberté.

C’est pour cette raison que, dans un même élan, j’appelle à soutenir notre belle langue française et nos belles langues régionales ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en montant à cette tribune, je suis persuadé que, quels que soient les points de vue que vous exprimez sur ce sujet, tous ici vous vous sentez aussi patriotes que moi-même, aussi attachés à l’unité et à l’indivisibilité de la République française que je le suis et dignes continuateurs du progrès constitué par l’ordonnance de Villers-Cotterêts : ce texte a établi le français comme langue du royaume, permettant à chacun de se défendre, de témoigner, d’attaquer en justice et d’être compris par les autres.

Mais l’homme qui s’exprime en cet instant, fier d’être jacobin, ne parlant que la langue française pour s’adresser à vous ou bien l’espagnol, langue de ses grands-parents, et qui, s’il devait apprendre une autre langue, choisirait l’arabe, langue minoritaire la plus parlée dans la région d’Île-de-France dont il est l’élu, ne vient pas devant vous pour discuter de la question de savoir si l’on est pour ou contre les langues régionales – ce qui est absurde – ou, pire encore, si l’on est pour ou contre la diversité culturelle : il s’agit de savoir si le cadre légal existant est adapté, car il en existe déjà un, ou si la France a besoin de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires pour faire progresser la diffusion de celles-ci.

Pour ma part, je n’accepte pas la caricature qui voudrait faire croire que la République française réprime ou méprise les langues régionales. Ce n’est pas vrai ! La France s’est dotée dès les années cinquante d’un cadre législatif très favorable aux langues régionales ; elle était même en avance sur beaucoup de pays d’Europe à cet égard

La loi du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux, qui porte le nom du socialiste Maurice Deixonne, a officiellement autorisé et favorisé l’apprentissage des langues régionales de France dans l’enseignement public : le basque, le breton, le catalan et l’occitan, auxquels se sont ajoutés ensuite le corse en 1974, le tahitien en 1981, et quatre langues mélanésiennes en 1992. De sorte qu’aujourd’hui, et depuis 1970, tous les élèves qui le souhaitent voient ces enseignements pris en compte pour l’obtention du baccalauréat.

La loi Toubon de 1994 a confirmé ce cadre légal favorable et Lionel Jospin, par la loi du 22 janvier 2002, a mis des moyens particulièrement importants à la disposition de l’enseignement de la langue corse, si bien que quiconque le veut peut suivre un enseignement en corse à l’école, au collège et au lycée, à raison de trois heures par semaine.

L’État a aussi contribué, en lien avec les collectivités locales qui le demandaient, à rendre possibles les signalisations routières bilingues, ce qui permet, dans certains départements, de pouvoir enfin lire les indications rédigées en français, qui étaient jusque-là surchargées de graffitis Par ailleurs, de nombreuses régions font preuve d’innovation pour favoriser le développement des cultures et des langues régionales.

Par conséquent, rien dans le cadre légal et réglementaire actuel, ni dans la pratique effective, n’est de nature à brider la pratique et la transmission des langues régionales. Et il n’existe pas une voix en France – pas même la mienne ! – qui s’oppose à ce que soient pratiquées les cultures ou les langues régionales.

M. Jean-Louis Carrère. Si, la SNCF !

M. Jean-Luc Mélenchon. Si le nombre de locuteurs diminue et si leur âge moyen s’élève, il faut en chercher la cause ailleurs que du côté de la République et de la loi !

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires n’est pas un remède acceptable. Elle est loin de faire l’unanimité en Europe. Contrairement à ce que l’on entend souvent, trop souvent, la France n’est pas l’un des « rares » pays européens à ne pas avoir ratifié cette charte. Quatorze pays membres du Conseil de l’Europe ne l’ont pas signée, dont la Belgique, le Portugal, la Grèce ou l’Irlande, qui ne sont pas des États réputés liberticides. Je pense que personne ici n’a l’intention de comparer le comportement de la République française, quels que soient ses gouvernements, à ceux des gouvernements des pays baltes qui, eux, procèdent à une revanche linguistique à l’égard des russophones.

Parmi ceux qui ont signé cette charte, comme la France, dix États ne l’ont pas ratifiée, dont l’Italie. Au total, vingt-quatre pays membres du Conseil de l’Europe se refusent donc à rendre applicable cette charte sur leur territoire. Cela peut être attribué non pas exclusivement à leur mépris pour les langues régionales minoritaires, mais probablement à d’autres causes ; j’évoquerai l’une d’entre elles tout à l’heure. La France est donc loin de constituer un cas particulier.

La France applique déjà beaucoup d’articles de la charte sans avoir besoin de la ratifier. Vous savez qu’il existe deux types de dispositions : les préconisations impératives et celles qui sont optionnelles. Un grand nombre de préconisations impératives sont déjà appliquées ; je n’évoquerai, pour l’exemple –  je vous en épargnerai la lecture –, que les articles 7-1-f, 7-1-g et 7-2. Parmi les préconisations optionnelles que la France respecte, on peut citer les articles 8-1-b, 8-1-c, 10-2-g.

Il n’est donc pas vrai que nous ayons besoin de ratifier la charte pour en appliquer les dispositions qui ne sont pas contraires à notre Constitution, et c’est de celles-ci qu’il faut parler !

J’ajoute, ayant été ministre délégué à l’enseignement professionnel et ayant eu à connaître de cette question, que la définition des langues minoritaires donnée par la charte est extrêmement discutable et confuse.

J’observe qu’elle exclut de son champ d’application toutes les langues des migrants – je pense à l’arabe, à la langue berbère et à bien d’autres – comme si les citoyens qui les parlent du fait de leurs liens familiaux, alors qu’ils sont Français, devaient considérer ces langues comme des langues étrangères, comme si l’on demandait aux Algériens, aux Sénégalais, aux Maliens et à combien d’autres de considérer la langue française comme une langue étrangère à leur culture ! (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.) Pourtant, c’est ce que fait cette charte !

Cette définition extrêmement confuse aboutit à ce que certaines langues soient reconnues comme minoritaires dans un pays et ne le soient pas dans l’autre, alors qu’elles sont parlées dans les deux pays dans les mêmes conditions. C’est le cas du yiddish, reconnu comme langue minoritaire aux Pays-Bas, mais pas en Allemagne ou dans certains pays de l’Est où il est tout autant parlé.

Cette définition très floue peut être, finalement, discriminatoire et elle aboutit à des reconstructions de l’histoire. Je veux bien, chers collègues, que l’on parle de la langue bretonne, mais encore doit-on préciser qu’elle résulte du dictionnaire dit « unifié » de 1942 et qu’elle se substitue aux cinq langues qui existent réellement dans la culture bretonne.

M. Gérard Le Cam. C’est vrai !

M. Jean-Luc Mélenchon. À cet instant, je ne ferai mention ni du fait que l’auteur dudit dictionnaire est un collaborateur des nazis, qui a été condamné à l’indignité nationale, s’est enfui et n’est jamais revenu dans notre pays, ni des conditions dans lesquelles ce dictionnaire a été rédigé et financé à l’époque.

La définition retenue par la charte aboutirait, par exemple, à des absurdités concernant le créole, et bien injustement. Je me souviens d’avoir demandé, en tant que ministre délégué à l’enseignement professionnel, quel créole on devait enseigner ; j’y étais prêt, car cela facilitait l’apprentissage des élèves. Eh bien, trois ans après, je n’avais toujours pas de réponse, parce qu’il n’y a pas un créole, mais des créoles ! Par conséquent, on est amené à choisir, trier, exclure, discriminer de nouveau au moment où l’on croit intégrer. Ce n’est pas pour rien que nos institutions écartent ce type de charte !

Enfin, j’aborde ce qui constitue pour moi le cœur du problème. Il ne s’agit pas de dire que la sauvegarde des langues et cultures régionales nous pousse sur la pente qui conduit automatiquement à la sécession, au particularisme et au communautarisme. Telle n’est pas mon intention ! Mais j’ai bien l’intention de dire que le risque existe. Il ne saurait être question, sous prétexte de respect de la diversité culturelle, d’admettre un point en contradiction absolue avec la pensée républicaine : il n’y a pas lieu de créer des droits particuliers pour une catégorie spécifique de citoyens en raison d’une situation qui leur est propre.

Le fait de parler une langue différente ne suffit pas à instituer des droits particuliers en faveur de ses locuteurs ! Or c’est ce que prévoit explicitement la charte : il s’agit d’encourager la pratique de ces langues « dans la vie publique et la vie privée ».

S’agissant de la vie privée, je rappelle que le caractère laïque de notre République interdit que les institutions gouvernementales et étatiques fassent quelque recommandation que ce soit concernant la vie privée des personnes.

Quant à la vie publique, il est précisé que les États doivent « prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ».

À l’évidence, ce texte a été écrit à l’intention de pays où des secteurs entiers de la population parlent une autre langue que la langue nationale et seulement celle-là, comme c’est le cas des minorités hongroises ou autres, qui existent dans divers pays de l’Union européenne. Mais en aucun cas il n’a été écrit pour la France, car dans quelles conditions peut-on désigner les représentants de ces groupes ? Va-t-on maintenant élire des représentants des locuteurs de telle ou telle langue ? Non ! C’est en totale contradiction avec l’idée d’égalité républicaine !

Il ne peut être question de faire bénéficier de procédures en langues régionales devant les autorités judiciaires, comme le prévoit l’article 9 de la charte, ou devant les services publics, comme le décide l’article 10. Témoigner, poursuivre en justice, signer des contrats dans une autre langue que la langue française constituerait un recul par rapport à l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Pourtant, c’est ce que prévoit cette Charte européenne des langues régionales ou minoritaires !

Le Conseil constitutionnel a donc eu raison de dire, en 1999, qu’en conférant « des droits spécifiques à des “ groupes ” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de “ territoires ” dans lesquels ces langues sont pratiquées, [cette Charte] porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. »

Après l’exposé de ces raisons juridiques, philosophiques et républicaines, je voudrais enfin souligner, d’une façon plus personnelle, qu’il ne saurait être question de ne pas tenir compte de l’origine de la charte, à l’heure où beaucoup prétendent, à la suite de Samuel Huntington et de sa théorie du choc des civilisations qui est aujourd'hui la doctrine officielle d’un certain nombre de stratèges de la première puissance mondiale et de quelques autres pays, que, dorénavant, « dans le monde nouveau, la politique locale est “ethnique”, et la politique globale “civilisationnelle” ».

Cette origine, sans doute nombre de mes collègues l’ignorent-ils ; c’est pourquoi je veux la leur apprendre.

La charte, adoptée en 1992 par le Conseil de l’Europe, a été préparée, débattue et rédigée par plusieurs groupes de travail de cette instance qui étaient animés par des parlementaires autrichiens, flamands et allemands tyroliens. Leur point commun était d’être tous issus de partis nationalistes ou d’extrême droite et d’être membres de l’Union fédéraliste des communautés ethniques européennes, la FUEV selon l’abréviation allemande. Cette organisation est aujourd'hui dotée d’un statut consultatif au Conseil de l’Europe, et elle se présente elle-même comme la continuatrice du Congrès des nationalités, instrument géopolitique du pouvoir allemand dans les années trente ! Un des principaux laboratoires de l’élaboration de la charte fut ainsi le groupe de travail officiel du Conseil de l’Europe sur la protection des groupes ethniques, dont la création a été obtenue par la FUEV et qui est également connu pour ses travaux sur le « droit à l’identité », le Volkstum.

Pour toutes ces raisons, la République française n’a donc rien à gagner à modifier sa Constitution pour ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Elle ne pourrait que se renier en le faisant. Elle doit, tout au contraire, continuer sa politique bienveillante et intégratrice, qui donne aux cultures et aux langues régionales toute leur place dès lors que la République est première chez elle ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc.

M. Raymond Couderc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà quelques instants, je me suis demandé si notre débat portait sur la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ou sur la place des langues régionales dans notre pays ! (Sourires.)

Je tiens tout d’abord à remercier le Gouvernement de ce débat, qui fait suite à celui qui s’est tenu à l’Assemblée nationale il y a quelques jours. Il se conforme ainsi à l’engagement qu’il avait pris en janvier dernier, lors de la discussion sur la révision constitutionnelle ayant précédé la ratification du traité de Lisbonne. Je remercie également notre collègue Nicolas Alfonsi d’avoir posé une question qui transcende les appartenances politiques, comme nous venons de le constater.

Nous pouvons, en effet, nous interroger sur les suites que le Gouvernement compte donner à la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles certaines clauses de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires signée à Budapest le 7 mai 1999.

La question mérite d’être soulevée car, ne nous leurrons pas, la situation des langues historiques et patrimoniales de France, que l’on désigne sous le nom de « langues régionales », est très préoccupante. Elle est même catastrophique pour celles de ces langues qui n’ont pas la chance d’avoir une part significative de leur aire culturelle située hors de France. Tel est le cas du breton et de l’occitan, que l’ONU a déclarées « langues en grand danger » ! C’est pourquoi nous ne pouvons plus nous contenter du flou juridique entourant cette situation.

Ne pas défendre ces langues, ce serait causer la ruine d’une part importante du patrimoine culturel de la France. Notre pays a la responsabilité, à l’égard des générations futures, de transmettre son patrimoine linguistique et culturel. Les langues régionales sont l’expression, au sens propre du terme, de cultures régionales riches et anciennes, qui sont elles-mêmes constitutives du patrimoine culturel de la France et de son identité. Elles sont une de ses richesses et un de ses attraits. Les étouffer, comme cela a pu être le cas par le passé, ce serait mutiler la France et la déposséder d’une partie de son héritage.

Si je prends l’exemple de l’occitan, qui m’est cher, d’autant que le Centre interrégional de développement de l’occitan, pôle associé à la Bibliothèque nationale de France, est installé dans la ville de Béziers, dont je suis le maire, il ne s’agit en rien d’un patois, comme certains le qualifient pour marquer leur mépris.

Au contraire, la sauvegarde de l’occitan est un enjeu majeur, qui concerne une aire culturelle importante, la plus large d’ailleurs de toutes les langues régionales : elle va des vallées alpines italiennes jusqu’au Val d’Aran espagnol, en passant par la Provence, le Languedoc, la Gascogne, le Poitou, l’Auvergne… Les langues d’oc ont longtemps été les langues de la moitié de la France : qui pourrait dire qu’il s’agit d’un détail ? C’est une culture rayonnante. Il n’y a qu’à observer le foisonnement de l’œuvre d’un certain Frédéric Mistral, qui fut d’ailleurs couronnée par le prix Nobel de littérature en 1904, pour s’en convaincre.

La défense et la promotion des langues régionales sont, à mon sens, une obligation internationale de la France. En effet, notre pays prône, sur la scène internationale, la nécessité de défendre la diversité culturelle dans le monde, la fameuse « exception culturelle ». Cependant, il ne suffit pas de promouvoir la diversité culturelle dans le monde si, à côté de cela, on étouffe ses langues historiques et autochtones sur son propre sol. Ainsi, à l’image de ce qui a pu être fait en matière de biodiversité, il faut mettre en œuvre les politiques nécessaires à la sauvegarde de l’esprit et de la culture dans toute leur diversité.

La France a réussi à faire admettre à l’échelon mondial qu’il fallait défendre la diversité culturelle : c’est une belle victoire mais, de ce fait même, elle devient comptable, devant la communauté internationale, de la part de cette diversité culturelle dont elle a la responsabilité, en tout cas pour ce qui se passe sur son sol et dans son espace juridique. Nos langues et cultures sont en effet un patrimoine de l’humanité dont la France a la responsabilité, tout comme elle est comptable de la conservation du château de Versailles ou du Mont-Saint-Michel, qui ne sont pas seulement des éléments du patrimoine français.

En outre, nos langues devraient normalement avoir les moyens de leur vie et de leur avenir. L’État, ainsi que les collectivités locales, doivent s’impliquer davantage dans la défense de la diversité linguistique.

Cependant, il existe de nombreux blocages juridiques, qui ne permettent pas d’attribuer un véritable statut aux langues régionales, nuisant ainsi à leur promotion et à leur diffusion. Ces langues sont souvent moins bien traitées que les langues étrangères, en particulier dans l’enseignement.

Or, contrairement à ce qu’en disent certains de ses détracteurs, l’apprentissage des langues régionales ne se fait pas au détriment de celui des langues étrangères : ce n’est pas une soustraction, c’est une multiplication. Toutes les études de psychopédagogie l’ont démontré : l’apprentissage d’une langue régionale ouvre tout aussi bien que l’étude d’une langue étrangère à la gymnastique mentale qui conduit au plurilinguisme. De même, dans l’enseignement, il nous faut éveiller les enfants aux langues régionales dès la maternelle et le primaire, au-delà de ce qui se fait déjà dans les calendretas. Je tiens d’ailleurs à saluer ici leur rôle dans la promotion et la diffusion de la langue occitane.

C’est pourquoi, afin de relever ce grand défi, j’en appelle à la création d’un véritable statut pour les langues historiques de France. Il est nécessaire de reconnaître les langues qui constituent l’identité de la France et de les distinguer de l’ensemble des langues du monde, qui toutes peuvent être, ou ont été, langues de l’immigration.

L’absence de statut juridique pour ces langues n’est pas sans conséquences concrètes, comme nous venons de le voir pour l’enseignement. Elle justifie encore des blocages. Ainsi, récemment, un recteur d’académie pourtant bien disposé à l’égard des langues régionales justifiait l’interdit de l’immersion au motif que si elle était accordée, il faudrait aussi l’accepter pour le chinois, l’arabe, le turc… Il faut pourtant souligner que si le destin du chinois, de l’anglais, de l’arabe ou du turc ne se joue pas en France, il n’en va pas de même de celui de l’occitan et des autres langues régionales !

Un grand nombre de blocages faisant obstacle à la promotion des langues régionales sont directement issus de la rédaction de l’article 2 de notre Constitution. Depuis sa modification de 1992, il est inscrit dans le marbre que « la langue de la République est le français ». Que l’on me comprenne bien : il ne s’agit en rien de contester, d’une quelconque manière, cette affirmation. La langue de la République est et doit rester le français, dans un souci d’unité territoriale de notre pays.

Cependant, ce qui est contestable, ce sont les seize années d’interprétation continûment très restrictive de cet article, de la part à la fois du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État : refus de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, interdiction de l’enseignement bilingue en immersion, etc. Leurs décisions, sans recours possible, sont la marque d’une rigidité anachronique à une époque où le pluralisme linguistique dans le monde a été reconnu comme une des sources majeures de la richesse des sociétés. Un nouveau texte est donc nécessaire.

Le défi, pour la République, n’est plus d’unifier un pays morcelé pour le fondre dans une destinée commune, comme c’était le cas il y a un siècle et demi, à une époque où les États-nations achevaient leur construction en Europe. Non, le défi aujourd’hui est de promouvoir la diversité, sous toutes ses formes, afin que chacun puisse retrouver, dans le socle commun de la nation française, les racines de son identité.

On ne fédère pas en méprisant, on unit au contraire en associant, en assemblant. À un moment où l’idée même de nation semble remise en question, où l’identité française est en débat, gageons, mes chers collègues, que le respect de l’identité de chacun contribuera au renouveau de notre grande nation. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

(Mme Michèle André remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)