Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me doutais bien qu’il me serait difficile de prendre la parole après MM. Cazalet et Hirsch ! (Sourires.)

En effet, M. le rapporteur a très bien détaillé les six articles contenus dans la proposition de loi, et M. le haut-commissaire vient à l’instant de présenter les grandes orientations du Gouvernement en la matière. Aussi, pour l’essentiel, la messe est dite !

Néanmoins, mes chers collègues, je souhaiterais vous faire part de quelques réflexions sur ce texte législatif.

Tout d’abord, la présente proposition de loi est exemplaire, puisqu’elle a suivi un parcours spécifique. Après avoir été présentée en séance publique, elle a fait l’objet d’une motion de renvoi à la commission, adoptée par la Haute Assemblée, afin que la commission des finances puisse y apporter quelques améliorations.

À cet égard, je salue le travail effectué par M. le rapporteur, et je tiens à remercier M. Mercier d’être allé au bout de ses convictions, en déposant une proposition de loi visant à renforcer le contrôle comptable du revenu minimum d’insertion. Il souhaitait d’ailleurs depuis longtemps déjà que nous abordions ce véritable sujet.

Permettez-moi d’exprimer quelques réflexions générales sur la nécessaire transparence, sur la gouvernance en matière de finances des collectivités locales, ainsi que sur la capacité de celles-ci à financer toutes ces différentes opérations.

Monsieur le haut-commissaire, la société que nous avons construite au fil du temps est de plus en plus complexe. Lors des contrôles, on demande beaucoup aux collectivités territoriales, et ce jusque dans le moindre détail, et le principe de l’engagement d’une dépense publique uniquement sur « justificatif du service fait » fait partie de notre credo en tant que responsables d’exécutifs locaux.

Actuellement, le RMI relève des quelques exceptions à la règle de la connaissance exacte de la dépense. A priori, les départements ne sont pas demandeurs de règles et de contraintes supplémentaires. Mais, compte tenu de celles qui nous sont imposées, nous ne pouvons nous contenter d’approximations et du bon vouloir de nos partenaires, qui nous placent trop souvent dans des zones à risques.

Je voudrais également rappeler que l’un de nos handicaps majeurs est d’avoir érigé la complexité comme règle. Notre société s’en nourrit, en empilant au fil du temps des textes qui font la joie des juristes et freinent notre compétitivité.

Pour en venir plus précisément à notre sujet, s’agissant de la complexité en matière de revenus de compensation, nous avons été performants ! (Sourires.) Permettez-moi de mentionner le RMI, le RMA, mais également la prime pour l’emploi, la prime de retour à l’emploi, sans oublier l’allocation de parent isolé, l’API, l’allocation de solidarité spécifique, l’ASS, ou l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH,…

M. Guy Fischer. Eh oui !

M. Éric Doligé. À l’origine, chaque système avait son propre public et cherchait à répondre à un besoin très ciblé, mais l’accumulation de tous ces dispositifs a provoqué un empilement des paramètres et des difficultés de compréhension.

Nous pouvons espérer que le RSA viendra corriger les principales imperfections du système et qu’il répondra à l’aspiration des différents partenaires.

Aujourd'hui, nous débattons du nécessaire contrôle du RMI. Chacun le sait, une collectivité locale est soumise à une exigence de transparence dans ses actes. Or, si tout citoyen peut faire appel à la commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, pour obtenir les documents qu’il souhaite, les collectivités locales n’ont aucun moyen de contraindre leurs interlocuteurs à leur fournir les éléments indispensables à leur bonne gestion. Ainsi, je me souviens du temps pas si lointain où le maire ne pouvait pas obtenir la liste des chômeurs dans sa commune.

En matière de RMI, si la caisse d'allocations familiales et la caisse de mutualité sociale agricole, la CMSA, ne se montrent pas coopératives, une collectivité locale ne pourra pas avoir accès aux informations nécessaires à une bonne gestion du RMI. Il est vrai que les montants en jeu ne sont que de l’ordre de 6 milliards d’euros.

Aux termes de la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d’insertion et créant un revenu minimum d’activité, le président du conseil général est le seul compétent en la matière. Il est responsable de la gestion, alors qu’il ne possède pas toujours les éléments de décision.

Monsieur le haut-commissaire, à la fin de votre intervention, vous avez évoqué au conditionnel la perspective que le Parlement confirme la compétence des départements en matière d’aide sociale en leur confiant la gestion du RSA. Ne vous faites aucun souci à cet égard ! Je suis en effet persuadé que ce sera le cas, les autres collectivités locales et l’État étant trop heureux de trouver les conseils généraux pour gérer ce dossier difficile.

Par conséquent, une telle proposition de loi arrive au moment opportun. Le dispositif qu’elle vise à instituer normalisera les relations entre les CAF et les services des conseils généraux, permettra la mise en place d’une interface performante entre les fichiers de ces caisses et ceux des départements, conduira à une plus grande réactivité des partenaires de ces derniers et devrait rendre optimale la gestion des indus.

D’une manière générale, le dispositif proposé dans ce texte fonctionne, et je peux en témoigner. Ainsi, le 31 mars 2008, en tant que président du conseil général du Loiret, j’ai signé deux conventions – l’une avec la CAF, l’autre avec la caisse de MSA – qui sont totalement en harmonie avec la proposition de loi, à quelques ajustements près. Elles n’ont fait que formaliser une pratique déjà engagée.

M. Guy Fischer. Ah ! Voilà !

M. Éric Doligé. Toutefois, je regrette que nous soyons contraints de légiférer…

M. Guy Fischer. Cette loi n’est pas utile !

M. Éric Doligé. …pour permettre aux collectivités locales d’obtenir des informations qui leur sont naturellement dues par leurs partenaires.

Comme nous le constatons sans surprise, il y a toujours des freins qui résultent trop souvent d’enjeux de pouvoir.

Ce n’est pas une exception liée au RMI. La décentralisation a été vécue par nombre des acteurs ayant eu à se défaire de leurs compétences à la fois comme un enjeu de pouvoir et un enjeu financier.

Pourtant, il va de soi que tout transfert de compétence, donc de responsabilité, doit s’accompagner du transfert correspondant des informations indispensables à une bonne gestion. Une loi générale devrait en définir les grands principes, ce qui éviterait de réclamer sans cesse des informations dues et de créer des ambiguïtés.

Quatre ans après la dernière étape de décentralisation, nous découvrons toujours les scories des informations dissimulées. M. le rapporteur conclut son rapport supplémentaire, qui éclaire bien le dossier, en soulignant que « la clarification des relations entre les organismes payeurs et les conseils généraux doit être un préalable à la mise en place du RSA ».

Il s’agit là d’une remarque de bon sens. Comment mettre en place un nouveau système si celui qui précède n’est pas bien rodé ? Il semble quelque peu précipité de vouloir généraliser le nouveau dispositif alors que l’expérimentation n’est pas arrivée à son terme.

M. Guy Fischer. Sur ce point, nous sommes d'accord !

M. Éric Doligé. Les départements volontaires pour l’expérimentation du RSA se posent de véritables questions.

M. Guy Fischer. C’est vrai !

M. Éric Doligé. Ces interrogations concernent notamment le financement et la possibilité d’absorber correctement une telle réforme, alors que tant d’autres sont déjà en cours. Je pense par exemple aux mesures relatives à la protection juridique des majeurs.

N’y a-t-il pas un risque d’élargissement d’un travail très fin d’accompagnement dans le cadre du RMI à une clientèle beaucoup plus importante ? Ne faut-il pas essayer de régler les problèmes en amont plutôt qu’en aval ?

Les conventions avec les CAF sur le RMI devront être signées dans les six mois qui suivront la promulgation de la loi. Elles devront donc s’appliquer vers le début de l’année 2009. Or on annonce déjà la mise en place du RSA au 1er janvier 2009,…

M. Guy Fischer. Eh oui !

M. Éric Doligé. … et ce pour un montage technique fort complexe.

Pourtant, il existe encore de nombreuses situations de conflits avec des départements – pour une fois, cela ne concerne pas le mien (Sourires) –, et les logiciels des CAF ne sont pas toujours compatibles avec ceux des conseils généraux.

Au point où nous en sommes, il serait intéressant, me semble-t-il, de valider les chiffres correspondants aux systèmes existants et de travailler dans une totale transparence financière sur les coûts réels, induits et à venir.

Parfois, nous pouvons éprouver le sentiment qu’il est incongru de parler de certains chiffres en matière sociale.

À une période où l’on évoque la révision générale des politiques publiques, la RGPP, le pouvoir d'achat, l’endettement et le déficit public, nous devons faire preuve de clarté sur les chiffres passés, présents et à venir, et sur les capacités des départements à supporter d’éventuelles nouvelles charges.

Les droits de mutation, qui servaient autrefois d’argument pour justifier des transferts de charges sans compensations intégrales, se tarissent.

Monsieur le haut-commissaire, vous l’avez bien compris, le groupe de l’UMP appuie en totalité la présente proposition de loi.

M. Guy Fischer. Mais ?...

M. Éric Doligé. En tant que responsable d’un exécutif départemental, je me permets de vous inciter à mettre en place un tel dispositif législatif sur le contrôle comptable du RMI, et ce avant de nous précipiter vers d’autres systèmes qui sont toujours en expérimentation.

Nous allons enfin bénéficier d’un outil de gestion et de transparence. Il faudrait l’élargir à bien d’autres domaines qui sont liés à des transferts de charges, mais qui ne bénéficient pas de la même transparence.

Monsieur le haut-commissaire, un chiffrage précis et détaillé des différents systèmes de revenus de substitution doit impérativement être mis en œuvre dans la plus grande clarté.

Telles sont les quelques réflexions que je souhaitais apporter. À mon sens, elles compléteront en partie les explications intéressantes dont vous avez bien voulu nous faire part voilà quelques instants. Quoi qu’il en soit, je remercie M. le rapporteur de la transparence de son document. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, nous voici réunis pour examiner les conclusions de la commission des finances sur la proposition de loi relative au contrôle comptable du revenu minimum d’insertion de notre collègue Michel Mercier.

On se souviendra, s’agissant de ce texte, qu’un premier examen avait conduit à l’adoption d’une motion tendant au renvoi à la commission. Nous avons devant nous, sous la forme des conclusions de la commission des finances, le résultat de ce retour à la case départ, avec un texte profondément remanié, en tout cas dans son architecture globale.

Ainsi, de trois articles procédant de la déclaration d’intention et déconnectés de toute disposition législative existante, nous avons désormais six articles que la commission des finances s’est efforcée de raccrocher au code de l’action sociale et des familles, afin de lui donner une apparence techniquement plus présentable.

Sans mettre en cause, bien entendu, la qualité du travail des administrateurs de la commission des finances, cette situation illustre l’une des critiques que nous avions pu formuler le 26 mars dernier. Le texte de la proposition de loi traduisait une impréparation dans ce qui fut soumis à notre discussion.

La vérité, sur la forme, c’est que la proposition de loi dont nous débattons est étroitement circonstanciée et ne procède aucunement, pour une bonne part, du champ législatif – malgré les apparences offertes par les conclusions de la commission des finances – et relève bien plus du champ réglementaire, voire du strict champ conventionnel. (M. Guy Fischer acquiesce.)

De quoi s’agit-il ? Il s’agit de créer les conditions d’une forme de coopération entre l’organisme payeur du revenu minimum d’insertion, c’est-à-dire la caisse d’allocations familiales de chaque département, et l’autorité publique responsable de la mise en œuvre de cette allocation, c’est-à-dire, aujourd’hui, le conseil général.

Permettez-moi de rappeler les termes de l’article 18 de la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d’insertion et créant un revenu minimum d’activité, rédigeant l’article L. 262-30 du code de l’action sociale et des familles : « Le service de l’allocation est assuré dans chaque département par les caisses d’allocations familiales et, pour leurs ressortissants, par les caisses de mutualité sociale agricole, avec lesquelles le département passe, à cet effet, une convention. Ces conventions, dont les règles générales sont déterminées par décret, fixent les conditions dans lesquelles le service de l’allocation est assuré et les compétences sont déléguées […] En l’absence de cette convention, le service de l’allocation et ses modalités de financement sont assurés dans des conditions définies par décret. Dans la période qui précède l’entrée en vigueur du décret […], les organismes payeurs assurent le service de l’allocation, pour le compte du président du conseil général, dans les conditions qui prévalaient avant le 1er janvier 2004. Pendant cette même période, le département verse chaque mois à chacun de ces organismes un acompte provisionnel équivalant au tiers des dépenses comptabilisées par l’organisme au titre de l’allocation de revenu minimum d’insertion au cours du dernier trimestre civil connu. Ce versement est effectué, au plus tard, le dernier jour du mois. Dans le mois qui suit l’entrée en vigueur du décret […], la différence entre les acomptes versés et les dépenses effectivement comptabilisées au cours de la période donne lieu à régularisation. »

Mes chers collègues, de telles conventions ont donc un caractère purement inter-institutionnel et seul le cadre général dans lequel elles sont mises en œuvre relève du champ du pouvoir législatif.

De fait, la démarche entreprise par notre collègue Michel Mercier, président d’un conseil général attribuant environ 27 000 allocations mensuelles du RMI, est donc strictement issue de son expérience concrète et des réponses qu’il a tenté d’y apporter.

Si les services du département du Rhône peinent à suivre la situation des RMIstes, il y a bien un moyen de résoudre une partie des difficultés : il suffit de procéder à la mise à disposition des services concernés – et à la mise à disposition du public et de la population concernée, par la même occasion – des moyens matériels et humains permettant de viser une plus grande « traçabilité » des dossiers d’aide sociale et d’assurer un meilleur suivi de chaque situation d’allocataire.

La même remarque vaut d’ailleurs pour les organismes prestataires d’allocations familiales, qui connaissent les mêmes difficultés d’instruction et de suivi des demandes, difficultés conduisant aux processus que l’on prétend dénoncer dans la proposition de loi.

Dans d’autres départements, et la discussion en commission des finances a été suffisamment instructive, la question ne se pose pas dans les termes utilisés par notre collègue Michel Mercier et le suivi des allocataires, l’évolution de leur parcours, qui est aussi un parcours d’insertion, selon les attendus de la loi de 1988, se déroulent dans des conditions plus satisfaisantes pour eux-mêmes comme pour les autorités responsables.

Précisément parce que le RMI, et aujourd’hui le RMA, devenu RSA, ont été transférés aux départements, les pratiques s’avèrent différentes selon les différents points du territoire. Ce que nous avions craint lors de la discussion de la loi de 2003 se trouve donc aujourd’hui confirmé.

Roland Muzeau, alors présent dans notre hémicycle, avait ainsi souligné : « Si, dans le projet gouvernemental, le montant de l’allocation reste réglementé nationalement, un risque existe cependant que le transfert du RMI n’aboutisse à faire dépendre ce dernier des politiques de chaque département, avec les inégalités que cela entraînerait entre les départements riches et les départements pauvres […], avec le risque de glissement progressif d’un dispositif universel vers une aide sociale départementale, donc facultative, et, à terme, pouvant être remise en cause. »

Or, c’est bien vers cela que tend la présente proposition de loi, même revue et corrigée par la commission des finances :…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mais non !

M. Bernard Vera. …masquer les carences de fonctionnement d’administrations locales souffrant d’une absence de moyens nécessaires pour répondre aux besoins et faire porter le lourd chapeau du coût de la gestion du RMI aux allocataires eux-mêmes, au motif de pourchasser une fraude que chacun sait particulièrement faible.

En effet, la fraude aux allocations de solidarité est très réduite. Le chargé de mission « lutte contre la fraude » de la Caisse nationale d’allocations familiales l’estime à 35 millions d’euros par an sur 60 milliards d’euros de prestations servies, soit 0,05 % environ.

En vérité, mes chers collègues, ce n’est pas en entretenant un climat de suspicion autour des allocataires de revenus sociaux que vous réglerez le douloureux problème de la compensation intégrale des charges transférées aux départements au titre du RMI.

Pour cela, il existe un autre moyen : rendre à l’État la pleine et entière responsabilité de l’un des éléments importants de sa politique sociale.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Faisons comme avant, c’était impeccable !

M. Bernard Vera. C’est donc tout naturellement, mes chers collègues, que nous confirmerons, dans la discussion, notre opposition à l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Othily.

M. Georges Othily. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, créé sur l’initiative de Michel Rocard en 1988, le RMI est aujourd’hui un symbole : symbole, bien sûr, de la solidarité de la nation à l’égard des plus démunis, mais symbole aussi, malheureusement, des difficultés d’intégration de nombre de nos compatriotes. La proposition de loi de notre excellent collègue Michel Mercier, dont nous discutons aujourd’hui pour la deuxième fois, met ainsi en lumière deux difficultés auxquelles nos conseils généraux sont aujourd’hui confrontés de façon croissante.

D’abord, la décentralisation du RMI votée en 2003 a accru la charge financière globale des dépenses médicosociales de 8,3 % en 2007, le montant total versé au titre du RMI par les conseils généraux la même année n’ayant reculé que de 3,2 %, pour s’établir à 6,01 milliards d’euros. Or la compensation financière des transferts de compétence de l’État aux départements, obligation tirée de l’article 72-2 de la Constitution, n’est pas encore pleinement satisfaisante.

Ensuite, ce texte met en évidence les différences de traitement entre allocataires, selon la taille du département, son tissu social, et les bonnes relations de celui-ci avec les services de l’État. Les départements d’outre-mer souffrent davantage du poids financier que constitue le RMI en raison des retards de développement économique et social dont ils pâtissent par rapport à leurs homologues de la France hexagonale. Le RMI représentait par exemple, en 2006, 37,9 % des dépenses réelles de fonctionnement du conseil général de la Guyane, soit 68,7 millions d’euros, contre 17,1 % dans l’ensemble de la France.

Au regard de l’enjeu financier, les conseils généraux sont donc en droit de demander des comptes sur les sommes qu’ils versent. Cela vaut notamment sur la répartition des indus, dont le montant est estimé à 300 millions d’euros par an par notre rapporteur. L’amélioration du contrôle comptable du RMI induit par conséquent une meilleure transparence de sa gestion. Comme le souligne M. Michel Mercier, dont les rapports successifs sur ce sujet font autorité, les départements n’ont pas aujourd’hui connaissance de la réalité de leurs dépenses de RMI. La transmission des informations entre la Caisse d’allocations familiales, la Mutualité sociale agricole et le conseil général n’est pas optimale, notamment en raison du manque d’interopérabilité des systèmes et de la gestion des indus. Il est donc tout à fait légitime, voire indispensable, que le législateur cherche à améliorer le contrôle de l’utilisation et de la bonne affectation des deniers publics. La mise en place d’instruments de lutte contre la fraude plus efficaces est un impératif. Sur ce point, la fourniture de documents justificatifs par les organismes payeurs et la signature d’une convention entre ces organismes et les départements constitueraient une avancée notable, comme l’a rappelé notre rapporteur.

Ce besoin d’information des départements sur les recoupements de fichiers se fait sentir avec une acuité particulièrement intense en Guyane, où la pression financière du RMI est parmi les plus importantes de France. La valeur moyenne de RMI par habitant n’excède pas 80 euros dans l’ensemble des départements de moins de 250 000 habitants ; elle atteint 445 euros en Guyane. Depuis 2003, le montant total du RMI versé en Guyane a crû de 28 % alors que, dans le même temps, les financements de l’État ont tardé à compenser ces charges. Certes, la création en 2006 du fonds de mobilisation départemental pour l’insertion a permis de couvrir partiellement le différentiel restant dû par le conseil général, soit 52 millions d’euros en quatre ans. Mais ce fonds s’éteindra à la fin de l’année, alors que les besoins continuent de croître et qu’il reste près de 24 millions d’euros à trouver.

La Guyane, je vous le rappelle, se trouve de surcroît dans une situation démographique très particulière. Sur une population de 191 000 habitants, on compte plus de 30 % d’étrangers selon l’INSEE, en grande majorité hors CEE, sans même inclure les milliers de clandestins, par nature non recensés. Le taux de croissance de la population dépasse 3,4 % par an, ce qui classerait la Guyane dans les dix premiers pays du monde. Les retards de développement socio-économique engendrent donc de facto une croissance soutenue du nombre de bénéficiaires du RMI. Parallèlement, la part d’étrangers hors CEE touchant cette allocation dépasse 45 %, c’est-à-dire la proportion la plus élevée de tous les départements français. Cette manne financière, loin de remplir son rôle d’insertion sociale, contribue au contraire à alimenter des flux d’immigration en provenance du Brésil, du Surinam, du Guyana, ou des Antilles voisines. Les allocations ainsi versées ne font le plus souvent que transiter sur le territoire guyanais, pour être aussitôt transférées vers les pays d’origine de ces bénéficiaires. Doit-on en conclure que la solidarité nationale a vocation à se substituer à l’aide au développement de la France à nos voisins ? L’aide sociale aux Guyanais et aux étrangers régulièrement installés pourra-t-elle longtemps subsister dans ces conditions ?

Vous comprendrez par conséquent tout l’intérêt que trouvent les élus locaux guyanais dans cette proposition de loi, qui tend à renforcer les contrôles et la transparence. Toutefois, le dispositif proposé par la commission des finances ne va pas sans poser un certain nombre de questions pour ce qui concerne la Guyane et, plus largement, l’outre-mer.

Qu’en sera-t-il, ainsi, de l’Agence départementale d’insertion, qui, en Guyane, par exemple, a accès aux fichiers FILEASC pour les contrats d’insertion ? Doit-on lui transposer l’action et les compétences des comités locaux d’insertion ? Ce flou juridique mériterait d’être clarifié.

De la même façon, les articles 3 et 5 du texte prennent un relief particulier en Guyane, au vu des statistiques sur le nombre de bénéficiaires étrangers réputés habiter en Guyane ou sur le type de foyers majoritairement bénéficiaires, dont on peut extirper un nombre important de fraudes.

Le département a engagé un processus de recouvrement des indus, soit 700.000 euros en 2007, et a déposé un certain nombre de plaintes. Mais il se heurte à des difficultés légales que le présent texte pourrait résoudre seulement en partie. Il semble, en effet, nécessaire d’élargir les confrontations de fichiers avec les fichiers de la CNRACL et de l’IRCANTEC. La CAF se contente trop souvent d’opposer un refus de confrontation avec ce dernier organisme, alors que sa mission est identique à celle du premier, mais pour les agents non titulaires. L’argument du refus d’agrément de la CNIL ne se vérifie pas souvent.

Enfin, la nature des relations entre les employeurs et les services fiscaux ne permettent pas toujours d’identifier à temps un fraudeur et cette lacune doit être résolue.

La proposition de loi de notre collègue Michel Mercier telle que complétée par notre commission va incontestablement dans le bon sens pour les conseils généraux. Je salue également le travail de notre rapporteur. Plutôt que de légiférer à la hâte, il a souhaité disposer de davantage de temps pour approfondir son analyse, encore que je n’aie pas entendu parler de l’outre-mer.

Néanmoins, il serait sans doute utile, à terme, d’aller plus loin pour les départements d’outre-mer. L’existence des agences d’insertion apparaissait pleinement légitime à l’époque où l’État payait lui-même l’allocation. Mais depuis la décentralisation du RMI en 2003 et le retrait total de l’État, les missions de ces agences n’ont jamais été adaptées aux nouveaux dispositifs légaux et réglementaires. Les relations entre les différentes instances méritent aujourd’hui d’être clarifiées. Des moyens juridiques nouveaux doivent aussi mettre fin à l’inapplicabilité des règles issues des derniers transferts de compétences.

Pour l’heure, la majorité du groupe du RDSE suivra les conclusions de notre rapporteur. (Applaudissements au banc de la commission.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je voudrais simplement expliquer pourquoi j’ai souhaité que le Sénat débatte de cette proposition de loi.

Lorsque la gestion du RMI a été confiée aux départements, le Rhône, que j’ai l’honneur d’administrer, a voulu qu’elle y soit exemplaire. Il ne suffit pas de donner 376 euros par mois à ceux qui n’ont rien et de se féliciter d’avoir fait le bien des pauvres ! Aussi avons-nous voulu, dès le départ, connaître tous les bénéficiaires du RMI et nous employer à ce que le plus grand nombre puisse quitter le système le plus rapidement possible.

Lorsque l’État a transféré au département le RMI, 6 000 bénéficiaires qui recevaient leur allocation dans le Rhône étaient inconnus de l’administration. Nous nous sommes donc attelés à identifier les bénéficiaires du RMI, et l’opération a été très fructueuse.

Après quoi, nous avons veillé à ce que chaque bénéficiaire soit accompagné par un référent, ce qui, sans être exceptionnel, n’était pas mal. Nous avons suivi jusqu’à 29 000 bénéficiaires pour 32 000 allocataires.

En outre, nous avons essayé d’utiliser tous les outils en notre possession pour permettre aux bénéficiaires du RMI de s’en sortir. Pour les deux dernières années, nous sommes passés de 27 000 à 22 000 bénéficiaires du RMI, soit une diminution d’un peu plus de 18 %, ce qui n’est pas négligeable.

Nous avons voulu aller plus loin pour mieux connaître les bénéficiaires du RMI, les aider et identifier ceux qui avaient bénéficié des indemnités mensuelles afin de pouvoir justifier le RMI au regard de l’ensemble de la population.

Nous souhaitons savoir qui reçoit le RMI. Très honnêtement, je n’en veux à personne. Que la tâche ne soit pas facile, j’en conviens volontiers ! Monsieur le haut-commissaire, quand vous dites que nous disposons chaque mois de documents suffisants, voici ceux que l’on reçoit dans le Rhône : deux feuilles. (M. Michel Mercier les montre à M. le haut-commissaire.) Je peux vous les lire assez facilement. Ce ne sera pas long, le tout tient en une seule ligne : « Demande de versement d’acompte de la CAF de Lyon par le département du Rhône au titre du mois d’avril 2008 – montant net du RMI comptabilisé au cours du mois de février 2008 : 9 309 030 euros. » Vous noterez la précision du chiffre !

Ce document est assorti d’une annexe comptable très intéressante, dont voici le détail : 9 340 301,83 euros d’allocation de base du RMI, 1 201 203,20 euros d’avance, 772 950 euros de prime d’intéressement – legs de la loi Borloo ! – 171 324,18 euros de crédit, 45,73 euros de frais de tutelle RMI, 545 106,73 euros d’indus transférés, 16 521,78 euros de remises de dette et 6 631,44 euros d’annulation de créances. On arrive ainsi au chiffre de 9 309 030 euros.

Tout ce que je veux savoir, sans demander la moindre modification du système informatique, c’est comment la CAF arrive à un chiffre aussi précis. Elle ne le fait certainement pas au doigt mouillé, elle additionne les allocations qu’elle verse ! Je lui demande simplement de me dire quelles sont ces allocations.

Après quoi, il nous revient de mettre les moyens humains nécessaires pour voir si ceux qui reçoivent l’allocation de la CAF sont bien ceux qui figurent sur nos listes.

Ce travail qui nous incombe, je ne demande à personne de le faire ! Mais comment procéder à ce contrôle sans savoir qui reçoit l’allocation ?

Vous n’allez quand même pas me dire qu’en demandant ces renseignements on porte atteinte à l’intégrité de la CAF ou on mette en doute le savoir-faire de qui que ce soit !

Je n’imagine pas que, chaque mois, la CAF demande autre chose que ce qu’elle a payé. Sinon, cela poserait de vrais problèmes sur le plan financier. Si elle demande ce qu’elle a payé, c’est qu’elle sait ce qu’elle a payé. Et si elle le sait, pourquoi ne le savons-nous pas ?

La proposition de loi, qui a été largement améliorée par M. le rapporteur et qui me convient parfaitement, va beaucoup plus loin que ce que je souhaite. Je ne demande pas qu’on change le système informatique. Je veux être en mesure d’apprécier l’adéquation entre les personnes figurant sur nos listes et les bénéficiaires de l’allocation. S’il y a des différences, comment les expliquer ? Mon objectif, c’est de pouvoir assurer le suivi des bénéficiaires.

Il ne s’agit nullement d’accuser qui que ce soit. Cela étant, comment pourrions-nous gérer 22 000 dossiers alors que nous ne savons pas si ceux que nous comptons comme bénéficiaires sont ceux qui ont reçu l’allocation ?

Monsieur le haut-commissaire, si on ne nous donne pas ces renseignements, comment pourrons-nous faire mieux pour les futurs bénéficiaires du RSA, qui seront beaucoup plus nombreux ?

Si les départements n’ont pas à savoir comment on arrive à ce chiffre, peut-être ne faut-il pas leur confier le RSA. S’ils ne gèrent pas bien leur responsabilité, il ne faut pas hésiter, monsieur le haut-commissaire ! Que l’État reprenne cette compétence, qu’il l’assume avec les caisses d’allocations familiales ! Nous ne sommes pas demandeurs d’un nouveau transfert.

Dans mon département, tous ceux qui ont droit au RMI le perçoivent. Ce droit fondamental, nous l’honorons. Après, on fait les contrôles, on essaie de gérer et de faire sortir les gens du RMI.

Nous avons essayé de faire au mieux. Vous nous avez dit que ce n’était pas bien. Alors il ne faut pas nous laisser cette compétence.

Monsieur le haut-commissaire, nous ne vous avons pas parlé de la compensation par l’État des sommes que verse le département, soit 12,5 % pour les contrats d’avenir que vous réglerez dès que nous vous enverrons la note.

Je remercie vivement vos services qui ont été très diligents et pris les contacts nécessaires. Il est dommage, monsieur le haut-commissaire, que vous ne l’ayez pas fait plus tôt. Quand vous voulez, vous pouvez ! (Sourires.)