M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas.

M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Gouvernement nous propose des modifications des dispositions relatives à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes afin de mettre notre droit en adéquation avec les exigences et les principes de la Cour européenne des droits de l’homme.

L’objectif principal de ce texte est donc d’adapter les procédures des juridictions financières aux exigences du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit à un procès équitable. Il y est écrit : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial.»

Toutefois, une loi devait venir conforter les avancées de cette instruction. Tel est l’objet du présent projet de loi.

En premier lieu, ce projet de loi clarifie et allège la procédure juridictionnelle pour permettre au comptable d’être jugé dans « un délai raisonnable », en mettant fin à la règle traditionnelle du « double arrêt », provisoire puis définitif. Il distingue les fonctions d’instruction par le magistrat rapporteur, de poursuite ou de mise en jeu de la responsabilité du comptable par le ministère public et de jugement par une formation collégiale lorsque la charge a été soulevée ou par un juge unique en l’absence de charge.

En deuxième lieu, il généralise la publicité des audiences et assure l’équilibre de la procédure juridictionnelle en excluant le rapporteur, comme le ministère public, du délibéré et en offrant aux parties qui le demandent un accès au dossier.

En troisième lieu, il supprime le pouvoir de remise gracieuse que détient le ministre chargé des comptes publics en matière d’amendes, dont le plafond est doublé, tout en maintenant cette faculté pour les débets.

Ce projet de loi comprend donc des avancées en termes de garantie d’une procédure juridictionnelle financière plus équilibrée. Ces points n’appellent pas de remarques particulières de la part du groupe socialiste.

Un certain nombre de propositions vont, selon nous, au-delà de la simple adaptation au droit européen.

D’une part, les députés ont prévu que, en cas de gestion de fait intéressant une collectivité territoriale, l’assemblée délibérante de cette collectivité n’est plus compétente pour reconnaître l’utilité publique des dépenses ayant donné lieu à gestion de fait, sous le contrôle du juge administratif, mais qu’elle peut simplement, dans un délai de trois mois, formuler un avis devant éclairer la décision du juge des comptes.

La commission des lois a déposé un amendement de suppression. Cette question est complexe. Faut-il attendre, comme semble le préconiser M. le rapporteur, en signant un tel amendement ? Deux points de vue s’opposent entre le rapport de M. Éric Ciotti à l’Assemblée nationale et celui de notre collègue Bernard Saugey, rapporteur au nom de la commission des lois. Nous penchons plutôt pour la position du rapporteur de l’Assemblée nationale. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

D’autre part, la question des délais de prescription de l’action en déclaration de gestion de fait de l’article 29 bis mérite d’être discutée compte tenu du contexte de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, qui va entraîner un regroupement et une réduction des effectifs des chambres régionales des comptes : les dossiers seront plus nombreux et devront être traités plus rapidement alors que le personnel diminuera. Cette évolution se situe bien dans la ligne générale que le Gouvernement a tracée pour la fonction publique.

Surtout, nous nous posons des questions sur le calendrier choisi et sur la déconnexion de l’examen de ce projet de loi de celui du texte qui nous est promis pour l’automne et qui aura pour objet une réforme en profondeur des juridictions financières. Le Gouvernement serait avisé de nous en dire davantage sur cette réforme, afin que nous puissions prendre la mesure des interférences entre les textes relatifs à ces juridictions financières.

À l’occasion du bicentenaire de la Cour des comptes, le 5 novembre 2007, le Président de la République avait demandé au Premier président de la Cour des comptes de rédiger un rapport fixant les axes d’une réforme des juridictions financières.

Ce rapport a été remis au Président de la République le 6 février 2008, qui l’a approuvé le 13 avril sans qu’à aucun moment il n’ait été rendu public, et ce malgré l’importance qu’il revêt tant pour les citoyens que pour les personnels des juridictions financières ! Les magistrats des chambres régionales des comptes craignent, entre autres, qu’il n’en ressorte un affaiblissement des capacités de leurs contrôles de la gestion des collectivités locales.

Sur ce point particulier, je vous ai adressé le mois dernier, monsieur le secrétaire d’État, une question écrite pour que régresse la culture du secret. Cette attitude inquiète les magistrats et les personnels concernés, qui nous interrogent à ce sujet.

Le fait de ne rien dire risque d’alimenter la rumeur d’une réforme déjà ficelée et de renforcer la crainte des personnels des chambres qui seraient concernés par le nouveau maillage territorial, à propos de leur avenir.

Par ailleurs, comment expliquez-vous que ce projet de loi n’ait pas pu être rattaché à la réforme annoncée des juridictions financières, que j’évoquais à l’instant ? L’adéquation aux règles européennes, n’est pas, en soi, une réponse, compte tenu du retard déjà pris – nous n’en sommes pas à deux ou trois mois près –, puisque ladite réforme est annoncée pour la fin de cette année, me semble-t-il. Bien que vous paraissiez dubitatif, monsieur le secrétaire d’État, en raison du manque d’information en la matière, nous souhaitons obtenir de votre part des précisions.

Le Premier président de la Cour des comptes a promis à plusieurs reprises et encore dernièrement, lors de la séance de rentrée solennelle de la chambre régionale des comptes d’Île-de-France, le 21 avril dernier, une réforme sans précédent des juridictions financières. Par une litote, il déclarait : « Même si on me fait beaucoup d’honneur en me considérant souvent comme l’auteur ou l’inspirateur de la réforme, je ne saurais prétendre à ce statut. » Puis il concluait : « Je ne chercherai pas à imposer mes vues, mais ô combien j’aimerais vous faire partager ma conviction que si nous ne saisissons pas totalement l’opportunité que nous ouvre le Président de la République, nous passerons à côté d’une grande occasion ! »

Les orientations approuvées par le Président de la République augurent effectivement d’une réforme d’ampleur ; elles concernent principalement – je le rappelle en cet instant pour que nous en prenions la mesure – la mise en place d’une certification des comptes des collectivités territoriales sous la responsabilité de la Cour des comptes, l’instauration d’une responsabilité des ordonnateurs susceptible d’être mise en cause par le juge des comptes en première instance et par la Cour de discipline budgétaire et financière en appel, ainsi que le renforcement de l’évaluation des politiques publiques par la Cour.

Cette réforme nécessite, comme l’a précisé le Président de la République, « une adaptation de l’organisation de l’ensemble constitué par les juridictions financières pour prendre en charge ces nouvelles missions et surtout en assumer la fonction d’évaluation ».

Actuellement, les principes et les modalités sont en cours de finalisation par les cinq groupes de travail mis en place par la Cour des comptes, mi-mai dernier, auxquels participent des représentants des chambres régionales des comptes.

L’information du Parlement est bien mince !

La réforme des juridictions financières ne devra pas être construite sur l’objectif unique de faire des économies structurelles, soit en personnel avec le non-remplacement des forts contingents de départs à la retraite dans les cinq ans à venir – 110 magistrats sur 330 –, soit en regroupant à un niveau interrégional les chambres, mais elle devra permettre aux juridictions d’être plus utiles et de remplir pleinement leurs missions actuelles et nouvelles de certification des comptes des collectivités locales, notamment. Nous y sommes particulièrement attachés et nous y veillerons.

Mon collègue Jean-Pierre Sueur va développer les évolutions à venir, dans ce contexte de rigueur budgétaire dans lequel la référence unique du Gouvernement pour toute réforme d’envergure se résume à la seule révision générale des politiques publiques.

Pourquoi donc préférer un examen morcelé des procédures qui s’appliqueront aux juridictions financières ? Pourquoi se hâter, alors que les dispositions prévues dans le projet de loi qui nous est soumis entreront en vigueur, comme le précise son trente et unième et dernier article, le 1er janvier 2009 ?

Dans ce contexte, les membres du groupe socialiste s’abstiendront lors du vote sur ce texte technique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. À mon grand regret !

M. le président. La parole est à M. Henri de Richemont. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Henri de Richemont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les juridictions financières – Cour des comptes et chambres régionales des comptes – jouent un rôle majeur dans le contrôle de l’argent public. L’une de leurs compétences essentielles est de juger les comptes des comptables publics. Cette qualité de juridiction devrait supposer l’indépendance et l’impartialité de ces institutions.

Des arrêts récents de la Cour européenne des droits de l’homme ont remis en cause les caractéristiques des procédures juridictionnelles en vigueur devant la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes, contestant leur caractère équitable pour le justiciable et critiquant leur longueur excessive.

Le projet de loi, qui nous est aujourd’hui soumis, vise donc à remédier à cette situation regrettable, en tendant à moderniser les procédures juridictionnelles devant les juridictions financières et à les rendre compatibles avec les dispositions – que nous connaissons tous – de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Cet article pose deux conditions, à savoir qu’un jugement équitable soit rendu dans un délai raisonnable et par un tribunal indépendant et impartial. J’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que ce délai raisonnable s’applique à la procédure tant d’instruction que de jugement.

Heureusement, la Cour des comptes n’est pas restée indifférente à ces critiques, puisque son Premier président, Philippe Séguin, par une instruction du 16 mai 2006, a cherché à remédier à la situation et à rendre compatibles les procédures juridictionnelles avec les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a précisé que l’audience publique doit être systématique avant tout jugement de mise en débet, que le rapport ainsi que les conclusions du parquet doivent être communiqués à toutes les parties avant l’audience et que le rapporteur et le représentant du parquet sont exclus du délibéré. Tout cela me paraît logique, surtout le dernier point dans la mesure où les chambres régionales des comptes sont des juridictions rendant des jugements.

Pour autant, cette solution ne pouvait qu’être provisoire. C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, le présent projet de loi est bienvenu, afin de tirer pleinement les conséquences des précisions apportées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, que j’ai rappelée précédemment.

Ce texte a un triple objectif, que nous approuvons. Il vise à garantir le caractère équitable de la décision, à assurer un délai raisonnable et à harmoniser et simplifier les procédures de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes.

Il distingue les fonctions d’instruction, de poursuite et de jugement des comptables. Je ne regrette que tel ne fut pas le cas par le passé.

Désormais, toute procédure contentieuse ne pourra être ouverte que par un réquisitoire du ministère public. La publicité des débats sera garantie et le principe du contradictoire, auquel toute démocratie est profondément attachée, sera renforcé.

L’étrange règle de la double décision provisoire puis définitive sera supprimée, la juridiction statuant par un unique arrêt ou jugement, accélérant ainsi le prononcé des décisions.

S’il n’y a pas ouverture d’une instance contentieuse, la décharge sera donnée au comptable par une simple ordonnance. L’ordonnateur pourra faire opposition dans un délai mois.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, le projet de loi vise à renforcer la crédibilité du pouvoir de sanction du juge, à partir du moment où le ministre ne pourra plus remettre gracieusement les amendes auxquelles les comptables ont été condamnés. Il tend également à rehausser le plafond du montant des amendes qui peuvent être infligées.

Pour toutes ces raisons, les membres du groupe UMP partagent les objectifs de ce texte qui vont au-delà des exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Je souhaite cependant, au nom du groupe UMP, faire part quelques remarques sur l’article 16 bis du projet de loi, résultant de l’adoption, à l’unanimité par nos collègues députés, d’un amendement de Charles de Courson, et qui prévoit la compétence des chambres régionales des comptes pour apprécier l’utilité publique des dépenses des collectivités territoriales ayant donné lieu à gestion de fait.

Si cette disposition tente d’apporter une réponse à des difficultés réelles, nous ne pouvons, toutefois, nous y rallier, au nom du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, auquel je suis profondément attaché, en ma qualité d’élu local.

M. le rapporteur nous a indiqué que toutes ces questions seraient abordées lors de l’examen du texte relatif à la réforme des juridictions financières. (M. René Garrec applaudit.)

Monsieur le secrétaire d'État, les membres du groupe UMP soutiendront tous les amendements présentés par M. le rapporteur, au nom de la commission des lois, et, bien évidemment, voteront en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis appelle plusieurs observations et nécessite, au-delà de sa technicité, que nous ayons une réflexion sur sa place parmi les nombreuses et multiples réformes dont notre pays est aujourd’hui le cadre et dont nous sommes abreuvés.

La discussion du projet de loi dont nous débattons appelle une première observation, à la fois de fond et de forme.

Contrairement à ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale, la commission des finances du Sénat ne s’est pas saisie du texte. On pourra toujours expliquer que les dispositions contenues dans le projet de loi sont strictement relatives aux questions de procédures mises en œuvre dans les juridictions financières. Il n’en demeure pas moins, eu égard au rôle particulier de la Cour des comptes dans la mise en œuvre de la loi organique sur les lois de finances, qu’il aurait été souhaitable qu’une telle question soit appréhendée par ladite commission.

Mais, au-delà de cette observation, permettez-moi de relever qu’à l’occasion de la première lecture de ce texte à l’Assemblée nationale les mêmes critiques ont pu être émises, quant à son examen accéléré, compte tenu de sa date de présentation officielle en conseil des ministres.

Venons-en au projet de loi qui nous est soumis. Il s’agit, là encore, de mettre, avec complaisance, la France en adéquation, en tout cas en apparence, avec les orientations européennes. Selon l’impression que laissent la discussion déjà menée comme l’exposé des motifs, le Gouvernement s’attacherait, comme il l’a fait pour ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés ou la responsabilité environnementale, par exemple, à introduire au plus vite les éléments de droit européen dont notre législation serait encore dispensée, comme pour apparaître, avant le 1er juillet prochain, comme le bon élève de la classe Europe. Mais, comme chacun sait, une telle volonté ne va pas jusqu’au respect des critères de convergence, ce qui nous amène à nous interroger.

La vraie question de l’atteinte des critères de convergence n’a de sens que dans l’hypothèse où ces critères seraient pleinement justifiés au plan économique et budgétaire, et si les politiques qu’ils induisent permettent effectivement aux États de jouer leur rôle afin de répondre aux aspirations collectives des Européens.

Alors, évidemment avec le texte qui nous est proposé, la France se met en conformité avec les exigences et les principes de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette instance a, en effet, remis en cause les caractéristiques des procédures juridictionnelles devant nos juridictions financières. Ces dernières, fussent-elles soumises à un régime spécial, ne peuvent déroger à la règle de l’équité.

La France se doit de prendre les mesures adéquates pour ne pas se placer dans une situation inconfortable devant les juges européens.

Elle doit également profiter de cette occasion pour simplifier les procédures devant la Cour des comptes et devant les chambres régionales des comptes, et faire en sorte qu’elles soient moins longues.

Une telle orientation n’est pas sans intérêt, car il n’est pas satisfaisant que nous soyons amenés, de temps à autre, lors de l’examen d’une loi de règlement ou d’un collectif budgétaire, à valider des décisions de caractère exceptionnel portant sur les matières sujettes à controverse dans les procédures menées devant les juridictions financières.

Pour autant, on peut s’étonner que cette loi ait été détachée d’une réforme annoncée comme plus importante encore des juridictions financières, et dont la teneur semble pour le moment imprécise.

Avec les lois de décentralisation de 1982 et celles qui ont suivi, un équilibre a été trouvé entre la suppression de la tutelle et la création des chambres régionales des comptes, lesquelles sont aujourd’hui unanimement jugées indispensables, notamment pour le bon fonctionnement des collectivités territoriales.

Le texte qui nous est soumis vise à renforcer le principe du contradictoire et se situe pour partie dans le prolongement de la loi du 21 décembre 2001, relative aux magistrats de la Cour des comptes.

On peut apprécier positivement le fait qu’en application du principe de séparation des pouvoirs le ministre ne pourra plus décider la remise gracieuse des amendes auxquelles les comptables ont été condamnés par le juge des comptes.

Ce projet de loi comprend donc des avancées en termes de garantie d’une procédure juridictionnelle financière plus équilibrée, mais ces avancées sont toutefois contrebattues par quelques légitimes inquiétudes, au nombre desquelles celle qui est exprimée, notamment, par les professionnels des juridictions financières, et qui est relative à la question de la prescription des faits susceptibles d’être poursuivis.

La réduction des délais de prescription, qui fait l’objet d’un article et alimentera la discussion d’amendements, ne nous semble pas une proposition opportune.

La complexité du contrôle sur pièces et sur place et les enjeux spécifiques liés à la comptabilité publique nous semblent suffisamment importants pour qu’il ne soit pas procédé à un alignement des délais sur ceux qui sont pratiqués en matière civile.

Quand il s’agit des deniers publics, nous devons nous donner les moyens de leur juste affectation et du contrôle le plus rigoureux de leur utilisation.

Ensuite, j’ai indiqué, dans mon propos liminaire, avec quelle précipitation ce texte a été introduit à l’ordre du jour et examiné, sans que nous soit donné le temps de recul nécessaire pour procéder à l’évaluation a priori de ses dispositions. Il en va pour ce texte comme pour bien d’autres.

Il faut dire que, depuis le printemps 2007, le Parlement commence à être habitué : textes annoncés à la hâte en fonction de l’actualité immédiate, dont on tire parti pour faire valoir des projets de loi sommaires, lois à répétition portant sur le même sujet sans effet mesurable et mesuré quant à leur utilité, tout s’est produit depuis mai 2007 pour accréditer les propos que nous tenons.

Le Grenelle de l’environnement ? Des mois de consultation large de l’ensemble des acteurs de la société civile, ce pour aboutir à quels résultats ?

Le pouvoir d’achat ? Je crois bien que la loi de modernisation de l’économie doit être la cinquième loi prise en un an pour tenter de répondre aux problèmes posés par la réduction du pouvoir d’achat des Français.

Qu’il nous soit donc permis de nous demander pourquoi le texte que nous examinons a ainsi été détaché d’une réforme plus profonde des juridictions financières, réforme dont la logique apparaît comme inéluctable au regard de la politique menée par le Gouvernement en termes de couverture du territoire en instances et équipements de l’ordre judiciaire.

Pourquoi dans la logique qui anime Mme la garde des sceaux, ne pas penser utile et souhaitable de réduire les moyens matériels et humains propres aux juridictions financières, comme on a pu le faire pour les tribunaux civils ou la justice prud’homale ou commerciale ?

C’est peut-être cet objectif qui serait visé, derrière l’apparente volonté d’accélération des procédures devant les juridictions financières.

Comment ne pas penser que d’aucuns pourraient prendre appui sur la loi dont nous débattons aujourd’hui pour justifier demain qu’un certain nombre d’opérations menées notamment par les chambres régionales des comptes soient externalisées ?

La question des délais de prescription, déjà soulignée, montre que ce texte, fortement technique, vise aussi à préparer le terrain de la « réduction de voilure » qui semble promise aux juridictions financières.

Reste la question politique immédiate, celle de la certification des comptes de l’État pour la plus récente loi de finances.

Vous me permettrez de citer le communiqué de presse que la Cour des comptes a émis, le 27 mai 2008, sur les résultats et la gestion budgétaire de l’État en 2007.

« Ce rapport examine les résultats de l’exercice 2007 et les comptes associés.

« Il analyse d’abord le résultat budgétaire. Le déficit s’élevait fin 2007 à 34,7 milliards d’euros […] contre 39 milliards en 2006 […]. Cette amélioration vient néanmoins d’opérations effectuées en fin de gestion pour réduire le déficit annoncé : reports de charges exigibles sur 2008, plus de 7 milliards d’euros, débudgétisations, perception de recettes exceptionnelles d’un montant élevé, 6,6 milliards d’euros. L’extinction de la dette de l’État à l’égard de la sécurité sociale, 5,1 milliards d’euros, a notamment été réalisée de façon extrabudgétaire pour ne pas dégrader le déficit.

« Le résultat patrimonial en comptabilité générale, qui donne une vue plus complète de l’ensemble des droits et des obligations de l’État […] se dégrade quant à lui de près de 10 milliards d’euros : il était de 31,6 milliards d’euros en 2006 et de 41,4 milliards en 2007. »

Évidemment, une telle analyse, outre qu’elle atteste que les déclarations triomphales du Gouvernement sur la réalité de la situation économique doivent être tempérées par les faits, montre qu’un débat est ouvert aujourd’hui quant à l’indépendance et à la qualité du travail de nos juridictions financières, de la première de toutes, la Cour des comptes, jusqu’à chacune des chambres régionales des comptes.

C’est au regard de ces observations que nous ne voterons pas ce projet de loi, dont, au fond, nous aurions pu trouver la teneur dans un texte bien plus complet que celui qui nous est proposé aujourd’hui.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est toujours un grand bonheur de se retrouver dans cet hémicycle pour parler de sujets sérieux, quelquefois austères, mais nécessaires ; c’est également un grand plaisir de lire, dans le compte rendu des débats de l’Assemblée nationale, les propos de certains de ses membres.

Mon ami M. René Dosière s’est ainsi exprimé avec force sur ce texte, relatif à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes, n’omettant pas de citer le grand écrivain Charles Péguy, qui nous est cher, et, monsieur le secrétaire d'État, il vous a interrogé sur un point précis, sans obtenir de réponse.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je réponds toujours !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est certainement un oubli de votre part. C’est pourquoi je me permets de vous questionner à mon tour sur la commune de Saint-Martin, qui faisait partie de la Guadeloupe et, ainsi que l’indiquait M. Dosière, « vient d’être érigée en collectivité territoriale de la République, ce qui lui permettra […] d’être représentée par un député et par un sénateur, élu par vingt grands électeurs. »

Tout cela va, nous n’en doutons pas, dans le sens de l’équité, comme nous avons pu le constater lors des débats particulièrement instructifs qui ont eu lieu hier ici sur le corps électoral du Sénat !

J’en reviens à la commune de Saint-Martin. M. René Dosière a dit, à la tribune de l’Assemblée nationale, le 10 avril dernier, s’exprimant sur l’article 14 : « La chambre régionale des comptes de Guadeloupe a rendu en mai 2007 un rapport sur la gestion de cette commune. On y apprend que cette collectivité est soumise depuis 1999 à la tutelle de la chambre régionale des comptes et qu’elle avait en 2004 un déficit global de 21,7 millions d'euros. La chambre qualifie ce déficit de record, puisqu’il correspond à 45 % de ses recettes de fonctionnement, alors que le seuil d’alerte est de 5 %. »

M. Dosière poursuivait ainsi : « J’ai tout de même noté que le comptable de cette collectivité, qui a été en poste du 1er août 1988 au 31 décembre 2003, quinze ans par conséquent, n’a produit aucun compte de gestion depuis l’exercice 1996. C’est sans doute du passé, mais je me pose tout de même des questions. Il y avait dans cette collectivité ou à côté, en Guadeloupe, un trésorier-payeur général, qui était le supérieur de ce comptable. Qu’a-t-il fait ? Qu’a fait le ministère public auprès de la chambre régionale des comptes, qui est chargé de faire rentrer les comptes de gestion ? Qu’a fait le préfet, qui est chargé du contrôle de légalité ? »

Je vous pose toutes ces questions, monsieur le secrétaire d'État, puisque vous êtes ici le représentant du Gouvernement, et je ne doute pas que, cette fois, vous apporterez les réponses qui conviennent sur ce qui a été fait, ce qui n’a pas été fait et ce que vous comptez faire.

J’en viens au projet de loi qui nous est soumis, même si les propos que je viens de tenir n’en étaient pas si éloignés et montrent toute l’importance des chambres régionales des comptes.

M. Dosière note aussi que ce texte présente des avancées incontestables en déclarant : « C’est un progrès que nous devons à l’Europe. »

Il est tellement facile de brocarder l’Europe et de prétendre que tous nos ennuis viennent d’elle qu’il convient de préciser que c’est aux termes de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qu’est garanti le « droit à un procès équitable », ce qui conduit à toute une série de propositions d’améliorations inscrites dans ce projet de loi, et exposées par vous-même, monsieur le secrétaire d'État, et par M. le rapporteur.

Nous devons donc nous réjouir de ces avancées, dues aux règles européennes : droit à un procès équitable, transparence, séparation des rôles.