M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. Je pense, en particulier, à la laïcité, de plus en plus fragilisée dans son essence.

M. Gérard Delfau. C’est vrai !

M. Jean-Michel Baylet. Alors qu’elle devrait être un principe intangible, sa définition varie au gré des débats et des souhaits de chacun. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)

Pour les radicaux, il n’y a pas de laïcité positive, pas plus qu’il n’y a de laïcité négative ou même plurielle. Notre République ne saurait se définir en fonction d’une laïcité à géométrie variable.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. C’est pourquoi nous souhaitons que soient rappelées avant l’article 1er les sources de ce principe, défini dans la loi du 9 décembre 1905, dans la loi de la République. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

Mes collègues députés radicaux se sont abstenus lors du vote de ce texte et leur président, M. Gérard Charasse, a parlé d’une abstention positive. C’est dire que, malgré les critiques, nous estimions que ce projet de loi offrait des avancées et permettait même beaucoup d’espoir.

La vérité nous oblige à vous dire aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, que les amendements de la commission des lois du Sénat, hors l’heureuse initiative concernant la Turquie, scandaleusement visée, et elle seule, par la règle des 5 %, ont beaucoup choqué. Malgré cela, nous voulons rester confiants et, comme l’ont fait nos collègues députés, nous nous abstiendrons, mais sachez que nous passons d’une abstention d’espoir à une abstention négative de prudence. (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. Philippe Marini. Quelle subtilité !

M. Jean-Michel Baylet. J’espère que, d’ici au Congrès, vous saurez faire évoluer ce texte de manière satisfaisante – j’en ai dit certaines conditions – et que nous pourrons enfin doter la France d’une Constitution moderne et plus démocratique. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l’UC-UDF et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « notre démocratie a aujourd’hui besoin de voir ses institutions modernisées ». « Il convient […] de mettre un certain nombre de limites aux pouvoirs du Président de la République », « il est indispensable de rééquilibrer les pouvoirs du Parlement par rapport à ceux de l’exécutif. » Il convient également de proposer « les moyens de rendre la fonction parlementaire plus valorisante », de répondre aux attentes de nos concitoyens, qui souhaitent « une vie politique plus ouverte, […] plus représentative de la diversité de leurs opinions, et où les droits des citoyens seraient renforcés. »

C’est ce qu’écrivait le Président de la République à M. Édouard Balladur dans la lettre de mission qu’il lui adressa, lorsqu’il lui confia la charge de présider un comité chargé de préparer cette révision constitutionnelle.

D’ailleurs, Édouard Balladur avait fort bien compris, comme en témoignent ces recommandations formulées dans le rapport remis au Président de la République : « Pour autant, force est de constater que les institutions de la Ve République ne fonctionnent pas de manière pleinement satisfaisante. En dépit des nombreuses révisions constitutionnelles intervenues ces dernières années […] les institutions peinent à s’adapter aux exigences actuelles de la démocratie. » Il faut « encadrer davantage l’exercice des attributions que le Président de la République tient de la Constitution elle-même », « renforcer le Parlement ». « Améliorer la fonction législative, desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé, revaloriser la fonction parlementaire, doter l’opposition de droits garantis, renforcer le pouvoir et les moyens de contrôle du Parlement : telles sont, aux yeux du Comité, les grandes lignes du nécessaire rééquilibrage de nos institutions » qu’il convient d’entreprendre afin de donner un caractère plus démocratique à nos institutions.

Notre groupe partage pleinement l’avis de M. Balladur lorsqu’il constate que « la nécessité d’une démocratisation des institutions est pressante. »

C’est donc dire la confiance - voire l’enthousiasme - avec laquelle notre groupe s’est engagé dans ce débat, tant les annonces faites par le Président de la République ou contenues dans l’exposé des motifs du présent projet de loi nous semblaient conformes à ce que nous pouvions formuler nous-mêmes : ce combat était le nôtre !

Nous attendions donc avec une confiance totale cette réforme et nous espérions beaucoup de ce rééquilibrage, destiné à favoriser l’émergence d’une « République moderne », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Pierre Mendès France qui, pour beaucoup d’entre nous, alors étudiants, avait un vrai sens.

Les choses semblaient relativement simples pour notre groupe, d’ailleurs. En effet, nous connaissons tous les problèmes qui se posent et nous savons à peu près ce qu’il nous faut pour les résoudre : des institutions rééquilibrées pour une République plus démocratique.

Des institutions rééquilibrées supposent, bien sûr, un Président qui gouverne, mais qui est encadré. Le Président gouverne parce qu’il est élu au suffrage universel direct par l’ensemble des citoyens, et nous devons prendre en compte cette réalité, même si, formellement, de la lecture de la Constitution on peut tirer des conclusions légèrement différentes.

Nous avons souvent évoqué le passé : ainsi, le général de Gaulle, au cours de la conférence de presse du 31 janvier 1964 – je suis sûr que M. Adrien Gouteyron partagera au moins ce souvenir avec moi ! –…

M. Adrien Gouteyron. Mais d’autres aussi, monsieur Mercier ! (Sourires.)

M. Michel Mercier. … rappelait que le Président est la clé de voûte de nos institutions.

Nous sommes d’accord sur ce point, mais il faut encadrer ce pouvoir. Beaucoup des dispositions que contient le projet de loi constitutionnelle donnent satisfaction de ce point de vue.

Nous sommes ainsi d’accord pour limiter à deux le nombre de mandats présidentiels. Nous sommes d’accord pour que la procédure de nomination, qui est si importante, soit encadrée, organisée, et qu’il s’agisse là d’un premier pas vers l’instauration d’une véritable codécision. Nous sommes également d’accord sur les dispositions relatives aux pouvoirs spéciaux et aux opérations militaires.

Ce texte renferme donc, selon nous, un ensemble de mesures intéressantes et de nature à favoriser un meilleur équilibre des institutions, d’autant que d’autres dispositions tendent à libérer le Parlement du carcan dans lequel il a été placé en 1958.

Pour citer une fois encore l’ancien Premier ministre M. Balladur – comme vous le voyez, je fais très attention dans le choix de mes citations, en veillant à ne sélectionner que les meilleures, celles qui ne souffrent d’aucune contestation ! –, il faut « desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé ».

Il y eut un temps où nous avions besoin d’un tel parlementarisme rationalisé pour sauver le régime parlementaire et, probablement, la République.

Il y a maintenant un temps pour ouvrir « les portes et les fenêtres », et c’est ainsi qu’il convient d’agir.

Parmi les dispositions du projet de loi constitutionnelle, tout ce qui concerne les pouvoirs du Parlement en matière de vote de la loi, d’évaluation des effets de la loi et des politiques publiques constitue des avancées satisfaisantes, qui recueillent notre assentiment. De la même façon, nous n’avons pas de critiques à formuler sur la fixation de l’ordre du jour : celui-ci sera désormais déterminé par le Parlement, avec des droits préservés pour le Gouvernement.

Par ailleurs, nous réitérons notre attachement au droit de résolution, qui a été supprimé par l’Assemblée nationale. Nous souhaitons donc qu’il soit rétabli par le Sénat. Je le rappelle, ce droit de résolution est essentiel dans un système parlementaire, et il ne faut pas le confondre avec le droit d’interpellation. D’ailleurs, dans sa lettre de mission à M. Balladur, le Président de la République, évoquant les droits du Parlement, soulignait « l’opportunité de permettre au Parlement d’adopter des résolutions susceptibles d’influencer le travail gouvernemental ».

Cette révision constitutionnelle peut donc aboutir à des institutions rééquilibrées. Mais nous souhaitons aussi qu’elle soit l’occasion de construire une République plus démocratique.

Pour nous, le suffrage et les citoyens sont la seule source du pouvoir.

MM. Jean-Pierre Bel et Bernard Frimat. Absolument !

M. Michel Mercier. C’est à partir de cette règle toute simple, basique même, qu’il nous faut organiser la révision constitutionnelle, pour pouvoir enregistrer de réels progrès sur le plan démocratique.

À cet égard, il importe à notre avis d’aller au moins dans deux grandes directions, en s’intéressant tout d’abord à la représentativité du Parlement.

Monsieur le Premier ministre, vous l’avez écrit vous-même en toutes lettres dans l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle : « Un Parlement renforcé est […] un Parlement plus représentatif. »

Pour tout un chacun, un Parlement plus représentatif, c’est un Parlement qui obéit davantage aux citoyens, en s’efforçant de retracer le plus fidèlement possible dans les textes la volonté qu’ils ont exprimée par leur vote.

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Guy Fischer. Oui !

M. Michel Mercier. Sur ce point, le pluralisme doit être garanti par la Constitution, et ce dans les deux acceptions suivantes : pluralisme de l’expression et de la représentation.

M. Jean-Michel Baylet. Tout à fait !

M. Michel Mercier. Nous souhaitons donc que les groupes parlementaires issus du suffrage universel disposent tous des mêmes droits. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Michel Mercier. C’est fondamental ! Nous ne pouvons pas accepter l’idée que, au détour d’une phrase alambiquée, on organise un bipartisme réducteur. (Mêmes mouvements. – M. Philippe Adnot applaudit également.)

MM. Jean-Louis Carrère et Guy Fischer. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Michel Baylet. Il a raison !

M. Michel Mercier. Notre groupe ne cédera pas sur ce point !

M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas le bipartisme que le Gouvernement organise, c’est le parti unique !

M. le président. Monsieur Carrère, cessez d’interrompre systématiquement les orateurs !

M. Michel Mercier. Le respect de tous les votes et du pluralisme doit être total. Il en va de la considération que nous, parlementaires, devons à ceux qui nous ont élus.

La démocratie, ce n’est pas simplement l’affaire des élus entre eux ; c’est aussi et avant tout celle des citoyens.

M. Adrien Gouteyron. Quand ils votent, oui !

M. Michel Mercier. Bien entendu, nous nous félicitons de ce que nos concitoyens puissent avoir accès à la justice constitutionnelle, ce qui va dans le sens d’une justice plus indépendante. De la même façon, nous approuvons les dispositions relatives au droit européen ainsi qu’aux relations entre le Parlement national et les institutions européennes. S’agissant de l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne, nous souhaitons néanmoins en revenir au texte du Gouvernement.

Mais l’essentiel n’est pas là : si, au départ, nous étions confiants, voire enthousiastes, nous sommes désormais quelque peu inquiets, ayant constaté que la commission des lois a rejeté tous nos amendements.

M. Bernard Frimat. Vous n’êtes pas les seuls à qui cela est arrivé !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Nos amendements ont subi le même sort !

M. Michel Mercier. Après une telle fermeture, nous espérons que le débat sera placé sous le signe de l’ouverture totale ! Mais, pour l’instant, je le répète, notre enthousiasme du départ est pour le moins retombé.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, en ce qui concerne le pluralisme de la représentation, soyons clairs : s’agissant de l’Assemblée nationale, tout le monde sait ce que cela signifie ; s’agissant du Sénat, nous considérons que le texte proposé par le Gouvernement est satisfaisant et que, à tout le moins, il convient de le conserver en l’état.

En définitive, nous souhaitons que tous les groupes parlementaires disposent des mêmes droits et puissent avoir les mêmes responsabilités. (M. Jean Arthuis applaudit.)

M. Bernard Frimat. Très bien !

M. Michel Mercier. Monsieur le Premier ministre, on ouvre le recours en contrôle de constitutionnalité à tout le monde : non seulement aux présidents des assemblées, au Premier ministre, à soixante députés ou soixante sénateurs, mais aussi à tous les Français.

M. Adrien Gouteyron. Très bien !

M. Michel Mercier. Que ce soit par la voie de l’exception ou par celle de l’action, finalement, cela revient au même.

Ne pensez-vous donc pas que tous les groupes parlementaires pourraient également se voir ouvrir le droit de saisir le Conseil constitutionnel ? Certes, nous pourrons agir en tant que simple citoyen, mais ce serait tellement plus démocratique et tellement plus équilibré de pouvoir le faire en tant que parlementaire.

Cela étant, mes collègues du groupe de l’Union centriste et moi-même accordons toujours une grande confiance au débat, car nous sommes d’abord et avant tout des parlementaires. Nous souhaitons que cette discussion soit l’occasion d’obtenir de bons résultats. Pour l’instant, tel n’est pas le cas.

Je vous ai précisé très clairement les points sur lesquels nous attendons du Gouvernement qu’il fasse plus que nous écouter. Il faut que les intentions affichées par le Premier ministre, par le Président de la République et par M.  Balladur au début du processus deviennent réalité ; n’en arrivons pas, de reculade en reculade, au statu quo ou à une simple réformette. Nous souhaitons véritablement faire de cette réforme une vraie réforme dans laquelle les institutions, le Parlement, l’exécutif et les citoyens trouveront leur compte ! (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – MM. Michel Houel et Jean-Pierre Raffarin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat. (M. le Premier ministre quitte l’hémicycle.)

M. Jean-Louis Carrère. Il fait fuir le Premier ministre ! (Sourires.)

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qui oserait prétendre que la modification de nos institutions fait partie des attentes prioritaires des Français ?

Assommés par la flambée des prix du pétrole et des produits alimentaires, inquiets de leur devenir immédiat et, pour les plus fragiles d’entre eux, forcés de choisir entre se loger, se nourrir ou se soigner, les Français ont, à juste titre, d’autres préoccupations. Ils sont néanmoins les premiers concernés, car un débat sur les institutions, c’est d’abord un débat sur le degré de démocratie de ces dernières.

C’est avec cet objectif prioritaire de faire progresser la démocratie que les parlementaires socialistes ont abordé la révision constitutionnelle.

À l’issue de la première lecture, les députés socialistes ont émis un vote négatif, compte tenu de la modestie des avancées effectuées en comparaison des nombreux refus opposés à leurs propositions. Il appartient donc au Gouvernement et à la majorité de manifester, au Sénat, une attitude de réelle ouverture, qui permettrait d’adopter des modifications significatives. Faute de cela, nous serions contraints d’émettre un vote négatif.

M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !

M. Bernard Frimat. Je reconnais volontiers qu’il faut une solide dose d’optimisme pour attendre de ce débat au Sénat un progrès démocratique. Mais ne ratons pas cette occasion de vérifier si, comme nous l’avons entendu lors de la campagne présidentielle, « ensemble tout devient possible ».

Laissons de côté le terme flou de « modernisation » ; il est trop souvent un simple habillage utilisé pour dissimuler, notamment dans le domaine économique, les régressions sociales les plus importantes. Attaquons-nous plutôt au déficit démocratique dont souffrent les institutions de la Ve République.

Le quinquennat a, de fait, renforcé les pouvoirs du Président. La version initiale du projet de loi constitutionnelle prévoyait la possibilité, pour le Président, de venir s’exprimer à sa convenance devant le Congrès, l’Assemblée nationale ou le Sénat.

Cette modification institutionnelle a été qualifiée par Mme Élisabeth Zoller, professeur à l’université Paris-II et directrice du centre de droit américain, de « changement de régime ». La Ve République basculerait alors, selon elle, dans un régime consulaire digne de l’An VIII, le Président cumulant ses pouvoirs actuels d’arbitrage, le droit de dissolution de l’Assemblée nationale et la capacité d’exprimer, en tant que législateur en chef, son programme de gouvernement devant le Parlement. Mme Zoller concluait à la nécessité de mettre en place, à l’instar du système américain, les poids et contrepoids pour « tempérer les effets d’une tyrannie toujours possible de la majorité ».

Les pouvoirs du Président sont suffisamment étendus pour refuser leur extension. En conséquence, mes chers collègues, déplacer plus de neuf cents parlementaires au Château de Versailles…

M. Bernard Frimat. …est sans doute une modernisation si les autobus remplacent les carrosses, mais ce n’est pas une avancée démocratique !

M. Jean-Louis Carrère. Nous n’irons pas tous l’écouter !

M. Bernard Frimat. En revanche, l’encadrement du pouvoir de nomination du Président peut en être une.

M. Bernard Frimat. Encore faudrait-il qu’il ne s’agisse pas d’un trompe-l’œil.

M. Jean-Pierre Bel. Exactement !

M. Bernard Frimat. Donner aux parlementaires un droit de veto à la majorité des trois cinquièmes, c’est en réalité autoriser toutes les nominations qui recueilleraient 40 % d’avis favorable, ce qui n’a pas grand sens quand on dispose de la majorité. En remplacement de ce faux-semblant, il nous semble qu’une réelle avancée démocratique nécessiterait l’obligation de recueillir des parlementaires une approbation de la nomination à la majorité des trois cinquièmes. Au-delà de la reconnaissance majeure qui serait accordée à la personne nommée, cela contribuerait à favoriser la création d’une démocratie respectueuse du pluralisme d’opinion.

Ce respect du pluralisme d’opinion devrait conduire également à nous interroger sur la prise en compte du temps de parole du Président. La règle des trois tiers était acceptable quand les interventions du Président étaient un événement.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Bernard Frimat. Elle ne l’est plus quand celles-ci relèvent de notre quotidien.

M. Jean-Pierre Sueur. De notre « multi-quotidien » !

M. Bernard Frimat. Notre demande ne vise pas à contraindre d’une quelconque façon la liberté d’expression du Président ; nous n’avons pas cette cruauté. Notre objectif est simplement de faire disparaître le déni de démocratie dont sont victimes toutes les autres composantes du Parlement.

Le rapport Balladur avait fait une préconisation en ce sens. Il serait important que le Gouvernement évolue positivement sur ce sujet. Il nous revient de faire cesser le caractère grotesque d’un contrôle qui, pendant les semaines de campagne électorale, réglemente à la seconde près le temps de parole, mais ignore ensuite une inégalité audiovisuelle aussi flagrante que permanente.

L’exposé des motifs du projet de loi affirme la volonté du Gouvernement de revaloriser le Parlement. Cette revalorisation ne peut se limiter à des améliorations techniques des travaux parlementaires, et M. le Premier ministre en convient d’ailleurs dans l’exposé des motifs. À cette fin, le Gouvernement souhaite surmonter les contraintes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui « a eu pour effet d’interdire toute évolution de la composition du collège électoral sénatorial dans le sens d’un équilibre plus juste, en termes démographiques, entre petites, moyennes et grandes communes ».

Même si la proposition de modification de l’article 24 est en recul par rapport aux conclusions du comité Balladur, sa rédaction peut permettre une avancée démocratique dont vous fixez d’ailleurs la date d’application en 2011.

La simple perspective de cette avancée glace d’effroi les sénateurs UMP et assimilés ; l’idée même de perdre éventuellement un jour la majorité au Sénat leur est insupportable. Il est urgent pour eux de vider de son sens votre proposition pour que rien ne change au Sénat, et ce quels que soient les choix politiques exprimés par le peuple lors des élections locales. (MM. Jean-Louis Carrère, François Marc et Louis Mermaz applaudissent.)

Pour y parvenir, une première tentative de ces sénateurs serruriers a consisté à verrouiller de manière explicite la composition actuelle du collège électoral sénatorial en la constitutionnalisant, ce qui interdisait pour l’avenir toute évolution, même mineure. Ils y ont en apparence renoncé ce matin, mais cette modification n’est qu’une illusion puisque la nouvelle proposition n’est rien d’autre que le maintien de la situation actuelle, situation qui ne tient pas compte de la population et que M.  le Premier ministre disait vouloir corriger. Il appartient donc à ce dernier de dire s’il approuve ce mépris du suffrage universel, cette négation de la démocratie…

M. Josselin de Rohan. Oh là là !

M. Bernard Frimat. … qui s’inscrit à l’opposé de la volonté affichée d’améliorer la représentativité du Parlement.

Revaloriser le Parlement, c’est aussi accorder des garanties constitutionnelles à l’exercice du droit d’amendement. Le droit d’amendement, c’est la liberté d’expression individuelle de chaque parlementaire, qu’il appartienne à la majorité ou à l’opposition. Nous ne pourrions accepter que l’exercice de ce droit soit régi par le seul règlement de chaque assemblée. Nous refusons de remettre dans les mains de la majorité UMP du Sénat le pouvoir de décider quelle liberté surveillée elle daignera nous concéder.

Il me reste un ultime point à évoquer, celui du droit de vote aux élections locales des étrangers résidant dans notre pays depuis plusieurs années. Ces femmes et ces hommes dont souvent les enfants deviennent français sont des acteurs de la vie locale.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ils peuvent en effet devenir français !

M. Bernard Frimat. Ils participent par leurs impôts au financement des collectivités territoriales, animent parfois des associations au sein de leur commune de résidence. La majorité des esprits a évolué. Le temps semble venu d’avoir le courage politique de proposer cette réforme et de rejoindre ainsi le camp des démocraties les moins frileuses.

En conclusion, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, c’est d’abord du Gouvernement que dépend le sort de la révision constitutionnelle. C’est à lui de donner des signes d’écoute, des signes qui permettront, sans recourir à des petits arrangements politiciens médiocres, de réunir au Congrès une majorité des trois cinquièmes.

La balle est dans votre camp. Il vous appartient que ce camp soit celui du progrès de la démocratie de nos institutions. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. André Boyer et Ivan Renar applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd’hui le projet de loi de modernisation de nos institutions voulu par le Président Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2007.

C’est un moment grave de notre vie démocratique. Le sujet est en effet d’une extrême sensibilité. La Constitution est le lien indestructible entre la France et les Français. C’est elle qui permet aux Françaises et aux Français de faire vivre la France. C’est la chance pour les Français d’être à la fois héritiers et bâtisseurs de la France.

Toucher au marbre de la Constitution n’est jamais un acte anodin.

Notre débat ne saurait être ramené à une suite d’améliorations d’articles de la Constitution. L’objet de notre débat, c’est la Constitution, mais le sujet de notre pensée, c’est la France.

Nous connaissons tous les mérites de notre Constitution.

La Constitution du 4 octobre 1958 a marqué une rupture salutaire dans notre histoire constitutionnelle. Elle a fait la synthèse entre un régime parlementaire, symbole de démocratie moderne, et l’existence d’un exécutif fort, gage d’efficacité et d’unité.

Si une très large majorité de Français est aujourd’hui attachée à la Ve République, c’est qu’ils ont pu apprécier ses mérites : elle a permis, pendant cinquante ans, de garantir la stabilité, de préserver la démocratie lors des grandes épreuves, de rendre possible l’alternance, d’accompagner la construction européenne et la décentralisation, de traverser les cohabitations.

Au fil des ans, les Françaises et les Français se sont approprié ces institutions, qui ne sont ni de droite ni de gauche. La Ve République est ainsi devenue le patrimoine commun de la nation. Voilà pourquoi nous sommes si nombreux à y être encore aujourd’hui très attachés.

En tant que Premier ministre, j’ai pu, trois ans durant, mesurer au plus près le caractère inestimable de ses règles fondatrices.

Quatre de ces règles me paraissent immuables.

Premièrement, la légitimité populaire du Président : c’est elle qui nous a permis, en 2002, grâce au sursaut républicain, d’écarter l’extrémisme.

M. Jean-Louis Carrère. Ce sont surtout les socialistes, par leur vote !

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est elle qui fait du Président « l’homme en charge de l’essentiel ».

Deuxièmement, la dualité de l’exécutif : uni dans l’action, mais double dans les institutions. Les deux rôles ne peuvent être confondus. Parce que le Premier ministre est nommé par le Président de la République, sa loyauté est l’essentiel de sa légitimité. Parce que son gouvernement peut être renversé par l’Assemblée nationale, il ne peut être privé de son rôle de chef de la majorité parlementaire.

L’un peut dissoudre, l’autre peut être censuré. L’unité politique ne peut masquer la différence des positions institutionnelles.

Avec Jacques Chirac, j’ai vécu cet équilibre institutionnel de manière apaisée parce que chacune des deux fonctions était respectée par l’autre. Peut-être, pour un Premier ministre, y a-t-il avantage à travailler avec un Président qui a été Premier ministre ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Troisièmement, l’efficacité de l’action publique : la Ve République a offert à l’exécutif les leviers de l’efficacité pour remédier à l’impuissance politique.

Pour améliorer les équilibres, on peut modifier ces leviers. Il faut cependant veiller à ce que, au total, dans notre pays si difficile à gouverner, l’impuissance politique ne soit renforcée.

On peut contester évidemment les choix politiques des uns et des autres : si j’ai pu réaliser l’essentiel du projet présidentiel de 2002, je le dois aussi à nos institutions et à notre Constitution.

Sur ce sujet, c’est pour moi l’occasion de dire merci à celle qui ne m’a jamais fait défaut, je veux parler de la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF. –Sourires sur les travées du groupe socialiste.)