M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Dans ce débat passionnant, que j’entends depuis trente ans, puisque j’ai eu souvent affaire à l’article 40, deux idées reviennent sans cesse, que je me permettrai de qualifier d’erronées.

Premièrement, à entendre certains de mes collègues, on ne peut réformer ce pays qu’en réduisant les recettes ou en augmentant les dépenses. Pourtant, on peut envisager des réformes d’organisation, des réformes tendant à accroître la productivité des services ou à modifier certaines procédures. Mais nombre de gouvernements ont, hélas, suivi la voie de la réduction des recettes et de l’augmentation des dépenses, ce qui finit évidemment par se traduire à terme par un déficit considérable. Voilà la première idée fausse.

La seconde idée, et j’en ferai le reproche amical à mon ami le président Arthuis, consiste à dire que l’article 40 ne sert à rien. Mais permettez-moi de répondre qu’il ne sert à rien parce qu’il existe !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Voilà !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Eh oui !

M. Jean-Pierre Fourcade. Si l’on supprime l’article 40, à l’évidence, nous serons confrontés à une marée d’amendements visant à réduire les recettes ou à augmenter les dépenses et nous aurons des débats d’ordre exclusivement financier.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Parlement votera !

M. Jean-Pierre Fourcade. Par conséquent, comme tout élément de dissuasion, l’article 40 a une valeur précisément parce qu’il existe.

Enfin, à l’heure où nous sommes fortement critiqués par tous nos partenaires européens pour notre déficit budgétaire, où nous peinons – et M. Woerth le sait encore mieux que nous – à trouver les bons chemins de convergence pour y mettre fin, la suppression, ce soir, de l’article 40 par le Sénat constituerait aux yeux de l’ensemble de nos partenaires, de l’Eurogroupe d’abord et des Vingt-sept ensuite, un acte politique tout à fait contraire aux intérêts de notre pays en ce qu’il nuirait gravement à son image internationale.

Il est clair que, pour toutes ces raisons, je suis contre les amendements nos 146, 200 et 467 visant à abroger l’article 40 de la Constitution.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Je sortirai de la technique financière, dont je suis beaucoup moins spécialiste que les éminents collègues qui viennent de s’exprimer (Rires sur les travées de lUMP), et je replacerai l’article 40 dans le cadre de la réforme de la Constitution.

L’article 40, tel que nous le connaissons, rêvé par Tardieu, mis en place par Guy Mollet, est un des éléments les plus raffinés du parlementarisme rationalisé.

Cette disposition était parfaitement justifiée à l’époque, car un ensemble de règles concouraient à l’indiscipline budgétaire et financière. Ainsi, les bureaux des assemblées, notamment celui de la Chambre des députés, avaient toute liberté en matière d’examen budgétaire et aucun délai ne leur était fixé : on arrêtait la pendule…

M. Michel Charasse. Les douzièmes provisoires !

M. Michel Mercier. … et, en effet, on avait recours aux douzièmes provisoires en attendant que cet examen soit achevé.

Devant l’énorme laxisme financier qui régnait, il fallait introduire des règles pour empêcher les parlementaires de réduire les recettes ou d’augmenter les dépenses, afin d’introduire un premier élément de rationalisation.

Dès lors, il est normal que ces règles soient apparues comme un progrès en 1956 et qu’elles aient été reprises, en 1958, par les constituants, Michel Debré en tête, qui souhaitaient mettre en place un régime parlementaire rationalisé, tel qu’il avait été théorisé dans les années trente.

Mais l’article 40 conserve-t-il la même pertinence aujourd'hui, dans le cadre de la révision constitutionnelle dont nous débattons ?

Permettez-moi d’apporter une réponse du point de vue financier – elle sera brève parce que tout a été dit –, mais aussi du point de vue constitutionnel.

Du point de vue financier, un argument imparable a été développé : l’article 40 est fondamental puisqu’on ne s’en sert pas ! C’est tout de même un peu facile, un peu vain.

Nous aurons quelque peine, je le crains, à faire avaler à nos partenaires européens que nous supprimons une règle dont nous ne nous servons pas pour supprimer un déficit qui croît chaque jour. Mais après tout, pourquoi pas, s’ils y croient ?

Mme Nicole Bricq. Plus c’est gros, plus ça passe !

M. Michel Mercier. Du point de vue constitutionnel, qu’allons-nous voter ? Nous allons voter des dispositions entièrement nouvelles. Enfin peut-être, car nombre de ceux qui se sont déclarés contre la suppression de l’article 40 s’apprêtent sans doute à voter la présente révision constitutionnelle.

L’un des principes affirmés dans cette réforme est de sortir du parlementarisme rationalisé.

Mme Nicole Bricq. C’est ce qu’ils disent !

M. Michel Mercier. Cela figure à la quatrième ligne du rapport de M. Balladur.

L’époque est différente, les parlementaires se sont disciplinés et vivent autrement leur fonction. On peut donc maintenant mettre en place de nouvelles règles. Si nous changeons tout pour ne rien changer, ce qui est souvent le cas, ce n’est pas la peine de poursuivre notre réforme !

Au titre de ces nouvelles règles, les textes discutés en séance seront non plus ceux du Gouvernement ou ceux transmis par la première assemblée saisie mais les textes issus des travaux de la commission, à l’exception du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Forcément !

M. Michel Mercier. Pour ces deux derniers textes, une règle essentielle de discipline est maintenue : c’est le texte du Gouvernement qui viendra en discussion et non pas le texte issu des travaux de la commission.

Par ailleurs, l’article 44 relatif au vote bloqué demeure. D’autres articles, notamment l’article 49, peuvent être utilisés. Le Gouvernement conserve donc l’essentiel de ses prérogatives pour faire passer son budget et garde l’entière maîtrise à la fois des recettes et des dépenses.

Il est donc bien vrai que l’article 40 ne sert plus à rien. Il n’est plus que le symbole d’un temps révolu, où le parlementarisme rationalisé était indispensable et constituait le fondement de nos institutions.

Si le Gouvernement veut vraiment aller au-delà du parlementarisme rationalisé, qu’il aille jusqu’au bout de sa démarche en supprimant l’article 40 !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et après, on aura un parlementarisme irrationnel ! (Sourires.)

M. Michel Mercier. Monsieur le président de la commission des lois, je vous connais suffisamment pour savoir que vous pensez comme moi ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.

M. Jean Arthuis. Mon amendement exprime une conviction, et je me réjouis du débat qu’il a suscité.

Il faut cesser de croire que les parlementaires seraient enclins à accroître systématiquement la dépense publique parce qu’ils auraient un déficit de conscience et de responsabilité.

M. Philippe Marini. Absolument !

M. Jean Arthuis. Je m’élève contre cette idée, car je parie, pour ma part, sur la responsabilité des parlementaires, qui suppose la sincérité des comptes publics.

Ce qui nous a largement égarés, c’est l’archaïsme des comptes publics et toutes ces petites astuces qui faisaient la réputation des directions du budget et qui permettaient de présenter ces comptes de manière à ne pas trop inquiéter l’opinion.

La seule façon de nous en sortir, mes chers collègues, c’est de nous attacher à éditer des comptes publics sincères, à présenter des situations patrimoniales et à ne rien faire qui soit de nature à masquer la gravité de la situation des finances publiques.

Le meilleur support de la lutte contre les dépenses publiques, c’est aussi la conscience de nos concitoyens. Là se situe notre responsabilité première.

Madame Borvo, la LOLF nous donne, en effet, un instrument de lucidité. Je me félicite, tout comme vous, que cet instrument ait été forgé par le Parlement et que nous puissions en disposer pour assumer pleinement nos prérogatives et nos responsabilités.

C’est parce que la LOLF permet de clarifier la comptabilité publique que les comptes publics deviennent « auditables » et contrôlables et que le Parlement peut exercer cette grande prérogative que constituent le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.

Monsieur Cointat, si le Conseil constitutionnel a pris une telle décision sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, c’est parce que d’étranges pratiques s’étaient développées.

Il pouvait arriver qu’un ministre n’ayant pas obtenu des arbitrages interministériels favorables trouve une complicité parmi nous, parlementaires, pour déposer un amendement que ses services avaient en fait rédigé. Le ministre se gardait bien entendu d’invoquer l’irrecevabilité de cet amendement qui, une fois voté, accroissait la dépense publique.

Mais enfin, dans quel monde sommes-nous, mes chers collègues ! Sommes-nous prêts à jeter le masque et à évoquer avec une plus grande sincérité de la situation de nos finances publiques ?

Pour ma part, depuis le 1er juillet 2007, je m’efforce d’appliquer l’esprit et la lettre de l’article 40 de la Constitution, et je me tiens à la disposition de chaque auteur d’amendement lorsque son texte est irrecevable.

Encore une fois, je me réjouis de ce débat, qui nous permet d’avancer dans l’examen critique de nos méthodes de travail, d’analyse et de vote.

J’ai déposé cet amendement en conscience et, je le répète, en faisant le pari de la responsabilité parlementaire.

Ne nous y trompons pas, la maîtrise des dépenses publiques, l’équilibre des finances publiques, ce n’est pas une affaire d’article 40, c’est une question de volonté politique !

MM. Philippe Marini, René Garrec et Gérard Delfau. Très bien !

M. Jean Arthuis. C’est pourquoi, monsieur le président, je maintiens mon amendement.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. Ce débat sur l’article 40 est extrêmement important et je note que des voix très autorisées se sont exprimées dans des sens différents.

Pour le Gouvernement, l’article 40 est un article sage, au regard tant de la qualité des débats parlementaires que de nos finances publiques et aussi de l’image internationale de la France. Ce n’est donc pas une petite affaire.

Aussi, je demande un scrutin public sur les amendements identiques nos 146, 200 et 467 visant à abroger l’article 40 de la Constitution.

M. Philippe Marini. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 146, 200 et 467.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 104 :

Nombre de votants 328
Nombre de suffrages exprimés 326
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l’adoption 155
Contre 171

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur l'amendement n° 48 rectifié.

M. Michel Charasse. Je voudrais simplement préciser que l’amendement de M. Cointat n’est pas si incongru que cela, contrairement à ce que certains pourraient croire, puisqu’il tend à revenir à la jurisprudence initiale du Conseil constitutionnel.

Jusqu’aux années 1990, le Conseil constitutionnel considérait que, lorsque l’article 40 n’avait pas été soulevé devant la première assemblée saisie, il ne pouvait plus être invoqué devant lui. Subitement, et sans explication, il a changé de jurisprudence il y a quelques années.

Je partage l’opinion de M. Cointat sur cette question : après tout, il revient au Gouvernement et aux assemblées de faire respecter la discipline de l’article 40.

C’est pourquoi je voterai cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.

M. Christian Cointat. Mon amendement faisant l’objet d’une demande de scrutin public, je tiens à préciser que je ne veux pas créer un problème politique qui n’a pas lieu d’être. Il me semblait que j’avais soulevé une question de bon sens. Au sein de cette assemblée, nous nous sommes tous élevés contre la décision du Conseil constitutionnel. Pendant quarante-huit ans, l’application de l’article 40 n’avait suscité aucune difficulté. Or tel ne semblait plus être le cas.

Puisque, en réalité, c’est ce à quoi je suis invité, je retire mon amendement, monsieur le président, ne voulant pas mettre en difficulté le Gouvernement, que je soutiens. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. L'amendement n° 48 rectifié est retiré.

M. Gérard Delfau. Je le reprends, monsieur le président.

M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 48 rectifié bis.

La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. Je remercie M. Cointat de la qualité de son intervention et de ses propositions. Je le remercie aussi d’avoir accepté de le retirer.

Puisqu’il a été repris, je répète que cet amendement est très embarrassant puisqu’il revient à interdire au Conseil constitutionnel de se prononcer, le cas échéant, sur une disposition inconstitutionnelle.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais nous sommes le constituant !

M. Éric Woerth, ministre. Il serait en effet assez curieux d’interdire au Conseil constitutionnel de se saisir d’office ou d’être saisi d’une irrecevabilité au titre de l’article 40 dès lors que cette question n’a pas été soulevée devant la première assemblée ayant adopté le texte en cause.

M. Michel Charasse. C’est sa jurisprudence initiale !

M. Éric Woerth, ministre. C’est pourquoi je demande aussi qu’il soit statué par scrutin public sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, nous procédons à une révision de la Constitution. Permettez-moi de vous rappeler que, en tant que constituant, nous avons le droit de contrevenir aux avis du Conseil constitutionnel, par lesquels nous ne sommes pas liés.

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. Ce débat, qui nous réunit depuis mardi, n’est pas un débat ordinaire. Il a été voulu au plus haut sommet de l’État comme un acte fondateur du quinquennat. Il se trouve qu’un certain nombre d’entre nous ont pris cette proposition à la lettre : nous voulons effectivement rééquilibrer les pouvoirs au profit du Parlement, nous voulons que celui-ci réaffirme son rôle, qu’il se le réapproprie, qu’il reconquière une souveraineté que les institutions de la Ve République ont tout fait pour amoindrir.

Agir de la sorte, c’est rendre service aux pouvoirs publics et à la démocratie. Si nous parvenons à nos fins, le parlementarisme y puisera les marques d’une nouvelle vitalité.

Par ailleurs, tous les parlementaires respectent infiniment le rôle du Conseil constitutionnel ; mais nous sommes un certain nombre, sans doute une majorité, à penser que le Conseil constitutionnel et, plus généralement, les juges prennent parfois le pas sur les représentants du peuple.

Dans ce contexte, l’amendement initialement déposé à juste titre par notre collègue Christian Cointat est plus symbolique que réellement important. Michel Charasse, qui vient d’évoquer la jurisprudence en cause du Conseil constitutionnel, l’expliquerait mieux que moi, compte tenu de son expérience.

Cet amendement offre au Sénat l’occasion de mettre en pratique ce qui est la philosophie même de ce projet de loi constitutionnelle, à savoir un rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement. Il permettra de lui redonner confiance et, ce faisant, de redonner confiance à nos concitoyens.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 48 rectifié.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 105 :

Nombre de votants 324
Nombre de suffrages exprimés 323
Majorité absolue des suffrages exprimés 162
Pour l’adoption 134
Contre 189

Le Sénat n'a pas adopté.

L'amendement n° 310 rectifié, présenté par MM. Lambert et Marini, est ainsi libellé :

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 40 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Les dispositions fiscales dérogatoires qui ont pour conséquence une diminution des ressources publiques ou l'aggravation d'une charge publique sont abrogées dans un délai de trois ans à compter de leur entrée en application, à défaut de la présentation par le Gouvernement au Parlement d'une évaluation de leur coût et de leur efficacité. »

La parole est à M. Philippe Marini.

M. Philippe Marini. Puisque l’article 40 est maintenu, il convient de le compléter dans l’esprit du débat qui vient de se dérouler.

M. Gérard Delfau. Il faudrait le durcir un peu ! (Sourires.)

M. Philippe Marini. Le présent amendement tend à obliger le Gouvernement à présenter au Parlement une étude d’impact des dérogations fiscales et à se donner les moyens d’évaluer leur coût et leur portée.

M. Philippe Marini. L’objectif est de créer les conditions d’une modernisation et d’une simplification de notre législation fiscale.

Nous assistons en effet, année après année, à la multiplication des incitations, imputations, dégrèvements de toute nature, bref, à la prolifération des niches fiscales.

Afin de les encadrer et, je l’espère, d’en supprimer un grand nombre, il convient de procéder à des évaluations et de veiller à ce que les régimes dérogatoires ne s’appliquent que pour un temps déterminé.

En conséquence, nous souhaitons que ces régimes soient automatiquement abrogés dans un délai de trois ans, sauf si le Gouvernement est en mesure de plaider pour leur maintien par une évaluation convaincante.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Marini, vous soulignez, à raison, que la prolifération et la sédimentation des niches fiscales sont préjudiciables à l’efficacité des prélèvements obligatoires et à l’égalité devant l’impôt. Et encore n’avons-nous pas supprimé la digue que constitue l’article 40 !

Pour autant, il ne paraît pas conforme à notre tradition juridique de prévoir que des dispositions votées par le Parlement seraient automatiquement abrogées à l’issue d’un délai déterminé – quand bien même une telle mesure aurait sans doute une certaine efficacité – si le Gouvernement n’a pas présenté au Parlement une évaluation de leur coût et de leur efficacité.

La commission des lois s’interroge sur cet amendement et sollicite l’avis du Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre. Monsieur Marini, voilà un sujet qui a souvent donné lieu à des discussions animées dans cette enceinte !

Je suis, vous le savez, favorable à l’encadrement des niches fiscales et je déplore leur prolifération, que vous venez de dénoncer, et dont la presse se fait l’écho depuis maintenant plusieurs semaines. Il s’agit en effet d’un sujet d’actualité.

Vous proposez l’abrogation automatique des régimes fiscaux dérogatoires dans un délai de trois ans à défaut d’une évaluation par le Gouvernement de leur coût et de leur efficacité. En d’autres termes, vous encadrez la durée d’application du régime dérogatoire et vous définissez les conditions de son maintien.

Le Gouvernement est favorable à votre proposition, sous réserve de quelques rectifications.

Tout d’abord, la durée de trois ans est trop brève pour permettre une réelle évaluation. Je vous propose donc de la porter à cinq ans.

Ensuite, plutôt que de définir des modalités d’application dans la Constitution, mieux vaut renvoyer à une loi organique le soin de déterminer sous quelle forme et dans quelles conditions s’appliquera cette disposition.

Je vous propose donc la rédaction suivante : « Les dispositions fiscales dérogatoires qui ont pour conséquence une diminution des ressources publiques cessent de s’appliquer le 31 décembre de la cinquième année suivant leur entrée en vigueur, dans les conditions et sous les réserves fixées par une loi organique. »

M. le président. Monsieur Marini, acceptez-vous la suggestion de M. le ministre ?

M. Philippe Marini. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 310 rectifié bis, présenté par MM. Lambert et Marini, et ainsi libellé :

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 40 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Les dispositions fiscales dérogatoires qui ont pour conséquence une diminution des ressources publiques cessent de s'appliquer le 31 décembre de la cinquième année suivant leur entrée en vigueur, dans les conditions et sous les réserves fixées par une loi organique. »

La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. MM. Alain Lambert et Philippe Marini auraient été bien inspirés d’associer dérogations de nature fiscale et dérogations à caractère social, car les dérogations suscitent des problèmes de même nature dans l’un et l’autre cas.

Dois-je rappeler au Gouvernement les difficultés qu’ont éprouvées les gouvernements successifs pour honorer la compensation des exonérations de cotisations sociales en faveur du budget de sécurité sociale ? Si ces exonérations avaient donné lieu à des études d’impact, le Parlement et le Gouvernement auraient été mieux éclairés sur leurs incidences sur le budget de la sécurité sociale.

Monsieur le ministre, il serait donc sage de prévoir, pour les dépenses à caractère social, un encadrement similaire à celui que vous venez d’accepter pour les dérogations fiscales. Je conçois que nous ne puissions pas le faire maintenant, car cela suppose une réécriture complète de l’amendement, mais nous pourrions profiter de la navette pour aller dans le sens que je souhaite.

La commission des finances, qui a le souci d’une approche globale en la matière, ne peut pas se désintéresser des mesures de caractère social, qui ont évidemment des incidences sur les lois de financement de la sécurité sociale.

Le Sénat examinera d’ailleurs dans un instant l’amendement n° 301 rectifié, soutenu par la commission des finances et par la commission des affaires sociales, lesquelles ont une approche similaire des exonérations qui sont décidées au fil de l’eau, au détour de la discussion de tel ou tel texte. Je considère que les études d’impact valent aussi bien pour les dépenses fiscales que pour les dépenses sociales.

M. Philippe Marini. Tout à fait !

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Si, sur le fond, je partage l’esprit qui a guidé la démarche de MM. Lambert et Marini, sur la forme, je suis quelque peu gêné, car je ne suis pas convaincu qu’une telle disposition, qui a par ailleurs reçu l’accord du Gouvernement, ait sa place dans la Constitution. Elle me semble plutôt relever d’une loi de finances.

Le projet de loi de règlement viendra en discussion devant le Sénat dans quelques jours. Cette disposition y aurait eu toute sa place.

Par ailleurs, je me demande – et je ne sais pas si M. Philippe Marini a la réponse – qui va décider et énumérer les dispositions fiscales dérogatoires. Le Conseil constitutionnel se livrera-t-il à des interprétations ? Devra-t-on établir une liste dans la loi organique ?

Je ne vois pas très bien ce que cela recouvre. S’il s’agit de tous les régimes dérogatoires, comment traitera-t-on le quotient familial ou l’exonération des allocations familiales ? Est-ce, ou non, dérogatoire ?

M. Michel Charasse. Il s’agit tout de même d’une règle qui vise à réduire la portée de l’impôt sur le revenu ! C’est donc bien une disposition dérogatoire par rapport à un barème. Mais, à cette heure tardive, je n’entrerai pas dans le détail.

Le fait que cet amendement ne me paraisse pas avoir sa place dans un texte aussi noble que la Constitution et le caractère imprécis de la mention « dispositions fiscales dérogatoires » me conduisent, à mon grand regret, à ne pas le voter. En revanche, s’il était présenté dans le projet de loi de règlement, qui sera discuté dans quinze jours, je me ferais un plaisir, un bonheur de le voter ! On pourrait sans difficulté y déposer ce type d’amendement puisqu’il s’agit d’une loi de finances.

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.

M. Philippe Marini. Je suis souvent en accord avec Michel Charasse, mais cette fois-ci, mon cher collègue, j’ai le regret de vous dire que votre propos me semble contradictoire.

Nous discutons d’un projet de loi constitutionnelle. Nous utilisons donc des formulations de caractère général : une disposition dérogatoire est une disposition qui déroge à une législation de droit commun.

Avec l’accord du Gouvernement, nous renvoyons les mesures plus précises à un projet de loi organique. Nous affinerons alors la limite entre le droit commun et les dérogations.

Permettez-moi de prendre quelques exemples. Lorsqu’un matériel déterminé, pour une profession donnée, bénéficie d’une durée d’amortissement qui n’est pas la durée de droit commun, il s’agit clairement d’une dérogation.

M. Philippe Marini. De la même manière, lorsqu’une profession bénéficie, pour le calcul de son impôt sur le revenu, d’un coefficient de réfaction qui lui est propre – je ne citerai aucune profession, même pas celles qui vous sont le plus chères –, il s’agit clairement d’une dérogation.

M. Philippe Marini. À l’inverse, on peut s’interroger sur le point de savoir si des règles de calcul de l’impôt qui s’appliquent de manière horizontale à tous les assujettis ont ou non le caractère d’une dérogation.

M. Michel Charasse. Tout à fait !

M. Philippe Marini. Je considère que le crédit d’impôt recherche n’est en rien un régime dérogatoire, car il est défini d’une manière générale. Il en est de même du quotient familial, qui constitue modalité générale de calcul de l’impôt sur le revenu.

En tout état de cause, notre débat porte sur la Constitution et nous n’avons donc pas, en cet instant, à entrer dans une telle casuistique. Ce sera la responsabilité du législateur quand il élaborera la loi organique.

Pour l’heure, restons-en aux principes. Et parmi les principes, il en est un qui est essentiel et à l’application duquel le Conseil constitutionnel apporte un soin très vigilant, c’est l’égalité devant l’impôt. En incluant ce principe dans la Constitution, nous mettons l’égalité devant l’impôt au premier plan. Il en résulte que toute dérogation devra être pesée au trébuchet de l’équité et de l’efficacité.

Il me paraît utile d’inscrire ce principe dans la Constitution, tant pour des raisons juridiques que pour le bon ordonnancement des règles générales du droit.