M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux. (Applaudissements sur des travées de lUMP.)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à remercier l’ensemble des orateurs qui viennent d’intervenir.

Vous avez manifesté la volonté d’être au rendez-vous d’une réforme qui peut changer en profondeur le fonctionnement de notre démocratie.

Vous avez conforté, par la qualité de vos interventions, notre conviction commune que la revalorisation du Parlement que nous proposons sera une avancée décisive. (Marques d’étonnement sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Vous avez choisi le langage de la responsabilité, en ayant à l’esprit les enjeux de cette deuxième lecture.

Cette deuxième lecture au Sénat est une étape majeure, car elle prépare la condition exigée par l’article 89 de la Constitution, celle d’un vote conforme des deux chambres sur le projet de révision constitutionnelle avant la convocation du Congrès.

Pour cela, il a été nécessaire que le Sénat soit associé en amont de cette lecture et travaille main dans la main avec l’Assemblée nationale pour que le texte que nous vous proposons aujourd’hui remplisse les exigences que vous aviez définies à l’issue de la première lecture. Cela a été possible grâce à l’excellence du travail effectué par la commission des lois et, en particulier, par votre rapporteur, le président Jean-Jacques Hyest, qui a montré tout à la fois une détermination sans faille, une remarquable capacité de conviction et un grand esprit de responsabilité.

Mme Catherine Tasca. Surtout une grande souplesse !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. De cela, je veux le remercier. Beaucoup de choses ont été dites. Comme cela est légitime, chacun a abordé la question institutionnelle avec son expérience, ses priorités, mais également ses propositions. Pour ma part, je me contenterai de mettre en exergue les grands principes de cette réforme, les principales avancées et les éléments de compromis qu’ensemble nous avons définis.

Le premier principe de cette réforme, c’est le renforcement de notre Ve République. Je voudrais, après nombre d’entre vous, notamment Mme Troendle, rendre hommage à la vision du général de Gaulle, car il a su concevoir une Constitution qui s’est révélée à la fois durable et forte. Oui, la Constitution de la Ve République a suffisamment fait ses preuves pour ne pas être dénaturée ou démantelée. Ce projet s’inscrit dans le cadre de la Ve République : le Président de la République est et reste élu par le peuple, le Gouvernement est et demeure responsable devant le Parlement, le Sénat a et garde une mission spécifique.

Mais le second principe de cette réforme, c’est l’adaptation de notre loi fondamentale aux évolutions de nos institutions et de la société. En effet, comme M. Mercier l’a souligné à juste titre, l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel en 1962 et l’adoption du quinquennat en 2000 ont accentué la prédominance du pouvoir exécutif dans nos institutions. Il n’est pas question d’accentuer cette prédominance, contrairement à ce que Mme Boumediene-Thiery affirme. En revanche, comme M. Mercier l’a rappelé, il nous faut moderniser notre démocratie, ce qui passe par un pouvoir exécutif davantage contrôlé, par un Parlement renforcé de façon significative, et par des droits nouveaux accordés aux citoyens.

Ce sont de ces avancées que je souhaite parler.

Presque tous les orateurs ont insisté sur la nécessité de moderniser et de revaloriser les pouvoirs du Parlement. Je vous propose de passer des mots aux actes, en tentant d’échapper à la surenchère, parce que la surenchère est souvent l’antichambre de l’immobilisme. Je me permets de rappeler à M. Frimat que ceux qui annoncent vouloir tout changer sont parfois ceux qui, en réalité, se préparent à ne rien changer. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mais j’aurais aimé aussi que MM. Frimat et Assouline reconnaissent les aspects de la réforme qu’ils ont eux-mêmes jugés positifs : possibilité de voter des résolutions, partage de l’ordre du jour – nous sommes l’un des seuls pays européens, me semble-t-il, à le prévoir –, référendum d’initiative populaire, inscription dans l’article 34 de la Constitution, grâce à un amendement défendu par M. Assouline, des principes de liberté, de pluralisme et d’indépendance des médias, …

M. Jean-Marc Todeschini. Verrouillage !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. … reconnaissance de droits spécifiques aux partis et aux groupes qui ne sont pas majoritaires, et notamment à l’opposition.

Alors, au-delà des postures, passons ensemble aux actes !

M. Bernard Frimat. Imposture !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le président Jean-Jacques Hyest l’a excellemment dit, il s’agit de revaloriser le Parlement non pas pour le plaisir de le revaloriser, mais pour mieux contrôler le Gouvernement, pour améliorer la qualité de la loi et pour renforcer l’efficacité de nos politiques publiques. Or, comme lui-même l’a rappelé, les outils pour atteindre ce grand objectif sont nombreux : discussion en séance publique sur le texte issu de la commission, délais minimaux d’examen des textes, ratification expresse des ordonnances, plus grande maîtrise par le Parlement de son ordre du jour, contrôle des opérations militaires extérieures, principe de sincérité des comptes des administrations publiques, principe cher, à juste titre, à M. Lambert.

Au-delà de la revalorisation du Parlement, ce sont également de nouveaux droits pour les citoyens qui sont instaurés, et je voudrais ici citer l’exception d’inconstitutionnalité, attendue depuis longtemps, comme vous l’avez rappelé à plusieurs reprises. Ce sont aussi l’institution du Défenseur des droits ou encore la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tel est le projet ambitieux, équilibré et enrichi de vos réflexions que nous vous proposons. Le Parlement en débat depuis deux mois, il y a consacré une centaine d’heures en séance publique. Aujourd’hui, chacun le constate, l’Assemblée nationale puis le Sénat ont apporté des améliorations substantielles au texte initial du Gouvernement.

Je vois dans la qualité des travaux parlementaires, dans la richesse des discussions qui sont les vôtres, une preuve supplémentaire du bien-fondé de notre projet. À cet égard, madame Troendle, monsieur Mercier, je vous remercie d’avoir reconnu que des progrès avaient été accomplis lors de l’examen dans les deux assemblées. Vous avez notamment cité la définition par la loi du statut de l’élu local, ou encore l’inscription dans la Constitution de l’important principe de la garantie des expressions pluralistes. Oui, le Gouvernement s’est montré ouvert au dialogue, et il l’a démontré en acceptant de très nombreux amendements, y compris provenant de l’opposition. (M. Bernard Frimat manifeste son scepticisme.)

Cependant, j’invite chacun au bon sens et à la responsabilité. Aller beaucoup plus loin, ce serait ruiner l’équilibre du texte ; aller moins loin, ce serait en ruiner l’ambition. Madame Assassi, il faut en avoir conscience, la surenchère est une posture facile et confortable, mais elle débouche sur une impasse.

Grâce au travail remarquable des deux assemblées, nous sommes arrivés à un compromis, qui, je l’espère et je le crois, satisfait la majorité d’entre vous et est susceptible de recueillir le vote positif du Congrès. Cela ne sera possible que parce que nous avons trouvé les points d’équilibre nécessaires, voire parfois des solutions de compromis. Le compromis n’est pas un chemin honteux, bien au contraire, parce que chacun, Gouvernement, Assemblée nationale et Sénat, a fait un pas vers l’autre : droit pour les assemblées de voter des résolutions ; composition de la commission chargée de donner un avis sur certaines nominations du Président de la République ; langues régionales, sujet cher à M. Grignon.

Nous avons également fait un pas sur les questions du droit de grâce, de la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif, sur les modalités de ratification des traités d’élargissement de l’Union, sur l’encadrement de l’article 49-3 : sur tous ces sujets, nos positions initiales n’étaient pas les mêmes, mais nous avons su, par le dialogue, nous retrouver sur un texte raisonnable.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux, en guise de conclusion, et comme le Premier ministre l’a fait devant vous tout à l’heure, souligner avec solennité le caractère exceptionnel du texte qui nous occupe aujourd’hui.

À présent, chacun est invité à bien peser ses responsabilités : ceux qui diront non aux droits nouveaux accordés au Parlement devront motiver leur refus. (Sourires ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) ; ceux qui le feront au nom du statu quo devront expliquer pourquoi ils ont si peu confiance en leur assemblée ; ceux qui le feront au nom du changement devront préciser la raison pour laquelle ils n’ont pas saisi l’opportunité de faire un pas en direction de leur objectif.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la Constitution n’est pas la propriété d’un camp politique : elle appartient à la France.

Pour être adoptée, cette réforme a besoin de réunir une majorité de femmes et d’hommes qui seront capables de se rassembler. Car ainsi le succès pourra être revendiqué par chacun, et la réalisation de cette belle avancée sera l’œuvre de tous, dans le seul intérêt de la nation.

Si le Congrès adopte cette révision, notre vie politique sera profondément rénovée, le Parlement jouera pleinement son rôle, les citoyens auront des droits nouveaux, l’état de droit progressera. Nous aurons franchi une étape majeure dans la modernisation de la vie politique de la France. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Question préalable (début)

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d’une motion n° 146 tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 459, 2007-2008).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la motion que je vais vous présenter n’a pas été examinée en commission. Cette dernière se réunira après que le Sénat se sera prononcé sur les motions.

En première lecture, nous avions déjà présenté une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. M. le rapporteur nous avait répondu, avec ironie, qu’une exception d’irrecevabilité ne pouvait être opposée à une révision constitutionnelle.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est en effet paradoxal !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourtant, en 1992, sur le projet de loi constitutionnelle tendant à réviser la Constitution avant le référendum sur le traité de Maastricht, Philippe Seguin, au nom de ses collègues du RPR, a défendu une exception d’irrecevabilité devant les députés fondée sur le fait – je cite ses propos – que « le projet de loi viole, de façon flagrante, le principe en vertu duquel la souveraineté nationale est inaliénable et imprescriptible, ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs, en dehors duquel une société doit être considérée comme dépourvue de Constitution ».

Cette motion, loin d’être critiquée par des députés proches de votre sensibilité, a été votée par l’ensemble de la droite dont François Fillon, Pierre Mazeaud ou encore Jean-Louis Debré.

De même, le Sénat a eu l’occasion, sur ce même texte, de se prononcer sur une exception d’irrecevabilité présentée, toujours au nom du RPR, par Paul Masson. Or il se trouve que l’actuel président du Sénat et d’autres, notamment Adrien Gouteyron, n’ont pas jugé inconcevable de voter pour cette motion.

Monsieur le rapporteur, vous qui avez une certaine longévité parlementaire et des connaissances constitutionnelles, ne nous faites pas croire que vous avez la mémoire courte ! C’est la raison pour laquelle je persiste à défendre cette motion d’irrecevabilité : j’ai des prédécesseurs en la matière !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comparaison n’est pas raison !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En première lecture, nous avions évoqué trois motifs d’irrecevabilité : l’atteinte au principe de séparation des pouvoirs, réalisée par la venue du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès ; l’atteinte au principe de non-rétroactivité de la loi pénale la plus sévère, concrétisée par l’inscription dans notre Constitution que, « sauf motif d’intérêt général déterminant, la loi ne dispose que pour l’avenir » ; l’impossibilité pour le pouvoir constituant dérivé de subordonner le contenu de dispositions de la Constitution à la décision d’États étrangers ; je fais ici référence à l’article 35 du projet de loi, qui prend en compte l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

S’agissant de l’atteinte portée au principe de non-rétroactivité de la loi pénale, je me suis aperçue que j’avais raison, puisque, finalement, la suppression par le Sénat de l’alinéa de l’article 11 a été maintenue en deuxième lecture par les députés.

Il faut croire que les députés ont quand même perçu que, sous couvert d’apporter davantage de sécurité juridique à notre corpus législatif, cette disposition avait en réalité pour seul objectif de permettre l’adoption de lois pénales qui, hier encore, ne réussissaient pas à franchir la censure constitutionnelle.

Nous avons l’expérience, hélas ! de la loi relative à la rétention de sûreté : vous aviez voulu, madame le garde des sceaux, qu’elle soit rétroactive, ce que le Conseil constitutionnel a censuré.

Les deux autres motifs d’inconstitutionnalité demeurent plus que jamais.

La venue du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès est hautement symbolique de la dérive que connaissent nos institutions depuis l’instauration de la Ve République, et plus particulièrement depuis 1962 et la possibilité d’élire le Président de la République au suffrage universel direct.

Notre République actuelle se caractérise, au motif qu’il fallait mettre un terme à l’instabilité politique de la IVe République – sur laquelle il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire –, par un pouvoir exécutif à la tête hypertrophiée. Or, bien loin d’apporter un remède à cette hypertrophie présidentielle, le présent projet de loi l’aggrave. Le Président de la République serait en effet autorisé à venir s’exprimer devant le Congrès. Cette déclaration « pourra » donner lieu à un débat – ce ne sera donc nullement obligatoire – mais, bien entendu, elle ne fera pas l’objet d’un vote.

Il est d’ailleurs intéressant de constater que vous minimisez cette nouveauté, raison pourtant majeure de la réforme, au dire de notre collègue M. Pasqua. C’est bien simple : vous n’en parlez plus !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous l’avons votée conforme ! Nous n’allons pas revenir sans arrêt sur les dispositions adoptées !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourtant, en première lecture, plusieurs députés UMP et centristes avaient dénoncé en la matière une remise en cause de l’équilibre de la Ve République et un basculement vers un régime présidentiel. Certes, d’aucuns dépensent beaucoup d’énergie pour expliquer qu’il n’en est rien, notamment Mme le garde des sceaux et M. Accoyer.

Quelques constitutionnalistes – des « repentis », peut-être –, n’évoquent plus, eux non plus, cette venue du Président de la République devant le Parlement. Je les croyais pourtant indéfectiblement attachés à la séparation des pouvoirs et au régime parlementaire, qui est, semble-t-il, le plus démocratique et d’ailleurs – puisque vous vous référez toujours au modèle européen – le plus répandu en Europe.

Mais, madame le garde des sceaux, ce n’est pas avec le texte lui-même que vous pourrez nous convaincre ! En effet, ce discours de tribun ou de monarque, qui assène la parole présidentielle aux parlementaires sans que ceux-ci puissent s’adresser ensuite directement à lui, ni même exprimer leur opinion par un vote, renforce plus que jamais le Président de la République.

L’article du projet de loi traduit donc l’affaiblissement du Premier ministre en même temps que celui du Parlement. Le Président devient inexorablement le chef de l’exécutif, sans toutefois en endosser la responsabilité politique.

Il est le chef de la majorité et du parti majoritaire, sans que soient remis en cause son droit de dissolution ou encore les pleins pouvoirs que lui octroie l’article 16 de la Constitution ; les aménagements à la marge dudit article ne confèrent pas plus de légitimité à ces pleins pouvoirs.

Donc, nous accepterions, de fait, une confusion des pouvoirs comme il n’en existe dans aucune démocratie : un Président de la République avec des pouvoirs propres très importants, chef de l’exécutif, chef de la majorité et chef de parti.

C’est la disparition de la fonction d’arbitrage que conférait, en tout cas juridiquement, la Constitution de 1958 au Président de la République. Certes, le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral portaient en germe cette évolution. C’est bien pourquoi nous n’avions pas voté ces mesures. Mais, même pour leurs partisans, celles-ci nécessitaient une réorganisation réelle des pouvoirs, qui passait notamment par la suppression du droit de dissolution et l’attribution de véritables pouvoirs autonomes au Parlement. Or tel n’est pas le cas ! Le Parlement a un pouvoir réel quand il vote et pas simplement quand on lui permet de s’exprimer !

Je signale que le problème de la disparition du rôle d’arbitre du Président de la République a été soulevé plusieurs fois lors des auditions organisées par la commission des lois du Sénat, notamment par Mme Zoller et M. Colliard, ancien membre du Conseil constitutionnel. Mais, apparemment, cela ne vous émeut guère !

Le deuxième motif d’inconstitutionnalité concerne l’article 35 du projet de loi, qui prévoit la modification du titre XV de la Constitution à compter de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Malgré le non à ce traité exprimé par le peuple irlandais la veille de l’examen en première lecture par notre assemblée du projet de loi constitutionnelle, le Gouvernement et la majorité se sont résolument accrochés à cet article 35. Il faut reconnaître que le discours du Président de la République devant le Parlement européen, dans lequel il a promis de tout faire pour forcer celui-ci à se dédire, a évidemment de quoi vous encourager à camper sur vos positions. En témoignent les mises en garde agressives adressées aux électeurs irlandais pour qu’ils reviennent sur leur vote : « Il ne s’agit pas de forcer la main aux Irlandais […] Mais il faut avoir le courage de leur dire qu’il faut respecter ceux qui ont ratifié, et que l’Europe ne peut pas s’arrêter à cause d’eux. »

Pourtant, pas plus que le Président de la République, vous ne pouvez nier l’expression du peuple irlandais, même si vous avez osé le faire pour le peuple français en méprisant le non qu’il a exprimé au référendum de 2005. Le vote des Irlandais remet en cause le processus de ratification du traité de Lisbonne. Dès lors, inscrire celui-ci dans notre Constitution relève presque de la provocation, l’article 35 du projet de loi se trouvant dépourvu de tout fondement.

Par ailleurs, vous ne pouvez pas subordonner l’entrée en vigueur d’une révision constitutionnelle à l’entrée en vigueur d’un traité, qui est, de fait, liée à la décision d’autorités étrangères. Cela reviendrait à associer ces dernières à l’exercice du pouvoir constituant dérivé, ce qui est incompatible avec la fonction exclusive de révision constitutionnelle mise en place par l’article 89 de la Constitution.

En réalité, en conditionnant la révision constitutionnelle à la ratification du traité de Lisbonne, vous procédez à une délégation inconstitutionnelle du pouvoir constituant.

Ces deux motifs sont, à eux seuls, de nature à justifier l’adoption de cette motion d’irrecevabilité. J’ajouterais toutefois quelques mots sur l’exercice des droits des parlementaires.

On insiste sur le fait que cette révision constitutionnelle renforce les droits du Parlement et que, par conséquent, les parlementaires seraient ingrats de ne pas l’approuver. Or l’article 18 du projet de loi crée une grave remise en cause du droit d’amendement, puisque celui-ci ne pourra désormais s’appliquer qu’en séance ou en commission,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comme maintenant !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … selon les conditions et limites fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique.

Pour les parlementaires, le droit d’amendement est fondamental ! Alors que le Sénat avait quelque peu tenté de minimiser l’atteinte portée à ce droit en ne faisant plus référence aux limites fixées dans les règlements et en laissant libres les assemblées d’en fixer les conditions d’exercice, sans faire référence à une loi organique, l’Assemblée nationale a cru bon de revenir sur cette « liberté ». En effet, elle a réintégré la notion de « limites », ainsi que le renvoi à une loi organique destinée à fixer le cadre commun aux deux assemblées du droit d’amendement.

L’Assemblée nationale a également rétabli la disposition prévue à l’article 19 : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. »

Vous vous inspirez évidemment de la jurisprudence constitutionnelle. Pourtant, je vous rappelle la précision apportée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 mars 2006 : « Considérant […] que le droit d'amendement, qui appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement, doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées ; qu'il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie ; ».

La rédaction retenue par les députés au cours de la deuxième lecture apparaît moins favorable que la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Cette nuance n’a d’ailleurs pas échappé à M. le rapporteur, qui en fait état dans son rapport. Mais cela ne l’empêche pas de proposer un vote conforme de notre assemblée.

En tout état de cause, il s’agit de la constitutionnalisation d’une limite aux droits des parlementaires, laquelle n’est pas recevable.

Il en va de même de la constitutionnalisation par l’article 11 de ce qui relève des politiques publiques soumises au Parlement, à savoir l’équilibre des comptes. Cette disposition ne fait qu’accentuer le « corsetage » des décisions du Parlement.

L’équilibre budgétaire relève des choix de politique économique et sociale que le Gouvernement soumet périodiquement au Parlement. Il ne peut être gravé dans le marbre, comme on voulait le faire dans le traité constitutionnel européen, que notre peuple a refusé.

C’est pourquoi, s’agissant de cette révision constitutionnelle, il nous paraît impossible de parler, à l’instar de M. Hyest dans son rapport, de « formules équilibrées pour conforter les droits du Parlement ».

Ce texte opère une confusion des pouvoirs sans précédent et remet en cause le pouvoir constituant dérivé sur la question du traité de Lisbonne. Dans ces conditions, il ne renforce pas les droits du Parlement. C’est un véritable miroir aux alouettes sur lequel vous avez fondé toute votre propagande depuis des mois.

Mais nous ne sommes pas dupes ! Il serait regrettable que le Parlement se mette à violer la séparation des pouvoirs. C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission n’a pas pu examiner cette motion, non plus que les amendements extérieurs, mais comme elle préconise le vote conforme de ce projet de loi constitutionnelle, elle ne peut être favorable à l’exception d’irrecevabilité.

Sans aucune ironie à l’égard de Mme Borvo Cohen-Seat, je répéterai qu’il est paradoxal de soulever l’exception d’irrecevabilité à propos d’une révision de la Constitution.

J’ai souvenir d’avoir entendu, alors que j’étais député, un discours de près de quatre heures et demie prononcé par un éminent parlementaire qui s’opposait au traité de Maastricht. Il ne s’agissait nullement d’une exception d’irrecevabilité, madame Borvo Cohen-Seat !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout ! C’était un discours d’opposition au traité de Maastricht !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Êtes-vous opposé aux exceptions d’irrecevabilité ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. A l’utilisation qui en est faite !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. À l’Assemblée nationale, on peut parler trente minutes pour présenter l’exception d’irrecevabilité !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait, monsieur Dreyfus-Schmidt : le règlement de l’Assemblée nationale et celui du Sénat sont différents ! Le nôtre comporte d’autres souplesses qui ne figurent pas dans celui de l’Assemblée nationale.

En tout état de cause, madame Borvo Cohen-Seat, vous avez une étrange conception de la séparation des pouvoirs. À vous entendre, en raison de la présence des ministres au banc du Gouvernement dans les assemblées, il n’y aurait pas de séparation des pouvoirs entre le Parlement et le Gouvernement. Ce n’est pas parce que le Président de la République viendra prononcer, une ou deux fois par an, un discours devant le Congrès, que le principe de séparation des pouvoirs se trouvera remis en cause !

Dans tous les régimes parlementaires, il y a la séparation des pouvoirs entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, et cela n’empêche pas le Gouvernement de venir s’exprimer devant le Parlement en permanence. Dans ces régimes, le Premier ministre a des pouvoirs très importants et il est généralement le chef de la majorité.

Pour toutes ces raisons, je demande au Sénat de rejeter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)