M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec cet article 13, nous voici donc arrivés au point crucial de notre débat.

Point crucial pour des raisons bien différentes, puisqu’elles opposent ceux, dont nous sommes, qui ont voté la révision constitutionnelle et cherchent résolument la voie d’une rénovation parlementaire, à ceux qui, ne l’ayant pas votée, ne voient guère d’inconvénient à la poursuite des errements actuels parce qu’ils n’en imaginent guère d’autres ! Ou peut-être parce qu’ils peinent à surmonter leur regret d’avoir rejeté une réforme qui, en fait, répondait souvent à leurs attentes… (Très bien ! sur les travées de lUMP.)

Mme Bariza Khiari. Certainement pas !

M. Pierre Fauchon. Peut-être aussi, enfin, parce qu’ils ne sont pas suffisamment associés au fonctionnement de nos assemblées pour en souhaiter l’amélioration. À cet égard, je souscris à certaines des réflexions formulées par M. Bel.

Cependant, cette rénovation – avouons-le, chers amis – relève de l’intérêt général ! Je me plais à citer ici notre collègue Jean-Pierre Michel, que j’ai entendu dire, la semaine dernière : « La seule question qui vaille, c’est bien celle de la revalorisation de nos travaux ! » Qui ne souscrit à ce souhait ? Mais revaloriser suppose de changer quelque chose, figurez-vous !

M. Jean-Pierre Michel. Supprimer la procédure d’urgence, par exemple !

M. Pierre Fauchon. Qui, dès lors, n’est pas conscient de la nécessité de mesures fortement incitatives pour que cette revalorisation soit effective ?

Sans doute serait-il infiniment préférable que ces mesures soient arrêtées dans le cadre de chaque assemblée, en fonction de son caractère propre et dans un consensus aussi large que possible – le Sénat est d’ores et déjà bien engagé dans cette voie. Mais enfin, nous légiférons pour l’ensemble du Parlement et pour un avenir dont la connaissance nous échappe.

Les habitudes étant ce qu’elles sont, il faut bien évidemment des incitations fortes, et c’est le rôle que peut jouer l’article 13 en prévoyant, comme ultime recours – d’ailleurs facultatif –, la limitation globale du temps d’un débat, limitation pouvant comporter des « rallonges », lorsque celles-ci seraient justifiées. On oublie un peu tous ces détails et on caricature ainsi le projet de loi !

N’est-ce pas une sage mesure, comme le rappelait tout à l’heure mon ami Jean-Patrick Courtois ? D’autant plus sage que sa mise en œuvre éventuelle se traduirait par un crédit de temps réparti proportionnellement entre les groupes politiques. Personnellement, j’y vois un progrès, car ces groupes se trouveraient, du même coup, associés à une gestion responsable du débat, privilégiant les points réellement significatifs de celui-ci et réduisant la part faite aux manœuvres et discours qui l’encombrent trop souvent et qui font que le débat parlementaire, détourné de sa légitime raison d’être pour la satisfaction de quelques-uns – dont je suis parfois, je l’avoue ! – a cessé d’intéresser nos concitoyens. Il a en effet cessé d’être le forum majeur de notre vie publique, au profit des multiples débats offerts par les moyens de communications modernes : télévision, radio, réseau internet. Telle est la réalité, mes chers collègues !

Pour autant, pouvons-nous ignorer le risque que, les groupes organisant le débat à leur convenance, le point de vue particulier de tel ou tel parlementaire soit privé de toute possibilité d’expression ? Or il s’agit bien d’un droit élémentaire – on l’a qualifié d’inaliénable, mais il n’est pas question de le vendre ! Cela me conduit à une seconde réflexion visant la formule passablement lapidaire selon laquelle, après expiration du temps global, les amendements pourraient être « mis aux voix sans discussion ». Je ne peux m’empêcher de penser au « sans dot ! » de Molière ! (Sourires.)

Je n’oublie pas – mais presque tous l’oublient – que la révision constitutionnelle prévoit que tout amendement est aussi examiné en commission. Nous ne sommes pas assurés cependant que cet examen présente toutes les garanties souhaitables. En particulier, parce que tous les sénateurs ne sont pas présents en commission…

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Pas plus en séance publique !

M. Pierre Fauchon. Il faut donc prévoir un dispositif de sécurité qui empêche que la discussion des amendements, en fin de séance, soit expédiée d’une manière excessivement sommaire, c’est-à-dire plus ou moins escamotée. On n’a pas tort de s’en inquiéter ! Il faudrait, à tout le moins, que tout amendement soit présenté, entraînant automatiquement l’exposé de l’avis de la commission et de celui du Gouvernement. C’est un minimum. Il m’a d’ailleurs semblé que cette analyse n’était pas très éloignée de celle qu’a développée tout à l’heure notre collègue Bernard Frimat.

Dans mon esprit et – sauf erreur – dans la langue française usuelle, la discussion n’englobe pas la présentation d’un texte, qui n’en est que le point de départ. Elle commence après cette présentation.

Si le Gouvernement – auquel je m’adresse à travers vous, monsieur le secrétaire d’État –, auteur du texte, souscrit clairement à mon interprétation, l’ensemble des membres de mon groupe se tiendront pour satisfaits, car l’efficacité nécessaire de la mesure comportera dès lors un correctif légitime et acceptable, la présentation de l’amendement suivie de l’avis de la commission et de celui du Gouvernement, qui ne devrait pas alourdir excessivement le temps consacré à l’examen du texte.

Telle est la question que je me permets de vous poser, monsieur le secrétaire d’État, en mon nom et en celui de la plupart des collègues de mon groupe.

À défaut de réponse de votre part, nous serions obligés de faire valoir notre point de vue par la voie d’un sous-amendement et, bien entendu, de nous interroger sur notre vote final. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nombre de bonnes raisons de ne pas voter l’article 13 ont été évoquées ici.

On aurait aimé faire crédit aux auteurs de ce projet de loi d’une ambition de moderniser notre Parlement, de rendre ses débats plus efficaces et plus intelligibles pour l’ensemble de nos concitoyens, ce qui doit être notre préoccupation constante.

Or, si notre Parlement est un, les parlementaires, qui sont ici par la volonté des électeurs, représentent toute la diversité des opinions de notre pays. Chaque loi, qui s’impose à tous, doit tout au long de son élaboration tenir compte de cette diversité, rendre compte de la réalité des débats qui engagent la responsabilité de nos groupes et de chaque parlementaire.

C’est pourquoi le droit d’amendement est, comme l’a dit M. le président du Sénat, « consubstantiel » aux droits du Parlement. Vouloir contraindre ce droit, le limiter sous le fallacieux prétexte d’un risque d’abus du temps de parole, c’est de fait refuser l’expression de notre diversité, c’est stériliser a priori le travail législatif.

La définition d’un temps global n’est certainement pas la réponse aux attentes que nous partageons d’un meilleur travail parlementaire. La vraie réponse serait une autre méthode de gouvernement, respectueuse de la séparation des pouvoirs, précédant la présentation des projets de loi d’une sincère et véritable concertation avec les citoyens, les partis, les associations, les syndicats et toutes les forces vives de la société. C’est à ce prix, mes chers collègues, que nous aurions de bons débats parlementaires.

Or, nous le constatons chaque jour, ce n’est pas la manière d’agir de ce gouvernement et moins encore du Président de la République. Aux nombreux passages en force qu’il tente d’imposer par des annonces imprévues et imprévisibles : suppression de la publicité sur la télévision publique, suppression du juge d’instruction, suppression de la taxe professionnelle, il veut maintenant ajouter cet article 13, qui ampute gravement l’expression parlementaire.

Le droit d’amendement n’est pas un privilège des parlementaires. Il est pour nos concitoyens une des garanties du pluralisme. Il est donc un droit dont nous sommes les garants et c’est ce qu’exprimera notre vote contre l’article 13. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, sur cet enjeu du temps des débats législatifs, il convient de dépasser les affichages et les promesses, qui ont pour unique objectif, me semble-t-il, de diviser le Parlement en opposant le fonctionnement de l’Assemblée nationale et celui du Sénat.

La vraie question, mes chers collègues, est celle de notre conception du travail parlementaire.

Depuis de trop nombreuses années, et de façon encore plus criante depuis la dernière élection présidentielle, le Parlement est réduit à une chambre d’enregistrement, sous la pression permanente d’un exécutif agité d’une frénésie législative et réglementaire. De là naît le cercle vicieux que l’article 13 tend à concrétiser : quand on attend du Parlement une adoption express de textes qui se succèdent à une vitesse effrénée, il serait sûrement dangereux de lui laisser trop de temps pour débattre.

À travers un dispositif intellectuellement et politiquement coercitif, cet article 13 méconnaît et rejette dans les oubliettes de l’Histoire certaines vérités qui sont le fondement de notre pacte républicain : la rationalisation n’a jamais été synonyme de rationnement, ni l’urgence de précipitation.

Sans vouloir ignorer les difficultés que traverse notre société, il semble pourtant que non seulement l’immédiateté de la réponse politique est une illusion, qui ferait croire que pour chaque problème il existe une solution miracle disponible dans l’instant, mais qu’également elle peut à long terme remettre en cause la crédibilité même du pouvoir politique.

En effet, la première responsabilité de l’action politique n’est pas de satisfaire une à une toutes les revendications particulières qui peuvent se faire jour en se fondant souvent sur des émotions exacerbées mais fugaces, elle est de fixer un cap, de mettre en mouvement la société tout entière et de veiller à sa cohésion en répondant aux besoins collectifs.

Au-delà de ce nécessaire rappel, notre mobilisation constitue aussi un avertissement adressé à tous ceux qui croient ou qui espèrent que l’action solitaire et arbitraire pourrait seule sauver le pays, voire le monde tout entier... Ceux-là devraient connaître plus sérieusement, parfois même plus concrètement les exigences, les complexités et la richesse du travail parlementaire pour se rendre compte que le temps n’est pas l’ennemi de la raison et que le nombre ne s’oppose pas à l’efficacité.

À ce titre, le projet de loi Grenelle I a été un exemple éclairant. Ceux qui s’en souviennent savent que le travail parlementaire auquel il a donné lieu a été pleinement respecté et a montré ainsi toutes ses vertus.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

Mme Odette Herviaux. L’urgence écologique réclamait, en effet, la patience de la précision législative, dans une ambiance constructive et apaisée, après les nombreux mois d’échanges plus vifs entre l’ensemble des acteurs concernés.

Au Sénat, pendant deux semaines et plus de cinquante heures d’échanges, après des dizaines d’auditions et de longues heures de réunions, les débats en séance publique et le droit d’amendement ont montré toute leur pertinence, leur utilité et leur légitimité. Sur les 825 amendements examinés, 263 ont été adoptés, dont plus du tiers provenait des groupes d’opposition, qui ont démontré ainsi face aux doutes de certains leur sens des responsabilités et leur capacité à construire un élan commun au service de tous.

Nous le voyons bien, mes chers collègues, quand le Gouvernement calme ses convulsions législatives, quand il est disposé à écouter le Parlement, à lui laisser une liberté d’expression et d’argumentation pleine et entière, c’est toute notre République qui en sort grandie et renforcée.

C’est cet esprit que l’article 13 condamne et renie, en dépit des tentatives désespérées du Gouvernement pour justifier ce bâillonnement démocratique. Ce projet de loi vise non seulement à museler l’opposition parlementaire, mais aussi en fin de compte – c’est le plus grave – à faire taire la diversité des avis et des positions qui s’expriment sur tous les bancs de nos assemblées.

En réduisant à leur plus simple expression l’autonomie d’analyse et l’indépendance d’esprit de tous les parlementaires, le projet du Gouvernement s’éloigne de l’idéal républicain.

Face aux dangers du monde et aux menaces permanentes qui pèsent sur la vie de nos démocraties, cette régression est inacceptable. C’est donc en tant que gardiens des héritages démocratiques et en tant que sentinelles des valeurs de la République que nous nous opposerons à ces tentations autoritaires concentrées dans l’article 13 et que nous vous demandons, mes chers collègues, de voter la suppression de cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela va être un grand moment !

M. Jean-Louis Carrère. Puisque M. le rapporteur nous dit que cela va être un grand moment, je vais essayer de m’appliquer ! Je suis obligé de dire que quand je l’écoute, ce n’est pas toujours un grand moment...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Forcément, pour vous, ce ne peut jamais être un bon moment !

M. Jean-Louis Carrère. J’en viens à cet article 13.

Qui a peur du Parlement ? Vous, les parlementaires de la majorité ? Non, vous réussissez peu ou prou malgré vos divisions que vous arrivez à camoufler ici ou là, à faire passer les textes. La peur, à mon sens, vient d’ailleurs.

Qui ici peut penser un seul instant que l’intérêt général ne prévaudra pas le moment venu ? Même pas Michel Charasse ; je suis sûr qu’il pense, comme moi, que l’intérêt général peut prévaloir à un moment donné.

M. Michel Charasse. Pas à un moment, tout le temps !

M. Jean-Louis Carrère. Qui peut penser que le temps dévolu à l’examen des amendements peut nuire à l’expression de l’intérêt général ?

Par ailleurs – cela me semble absolument extraordinaire – comment la majorité du Sénat peut-elle affirmer qu’il ne sera pas porté atteinte au droit d’amendement dans le règlement intérieur et qu’il ne sera pas institué un temps de parole global et, dans le même temps, vouloir absolument voter cet article ?

Puisque vous ne voulez pas l’utiliser, ne le votez pas et il n’y aura plus aucune suspicion ! Ou alors dites-nous avec loyauté que cela pourrait servir à l’Assemblée nationale, mais que cela pourra également servir à d’autres… Tout cela est d’une incohérence absolument pathétique.

On veut accréditer l’idée auprès du grand public que l’on donne du pouvoir à l’opposition, que l’on démocratise le Parlement et qu’on lui permet d’exercer ses pouvoirs. Mais, mes chers collègues, c’est le contraire qui a lieu : on veut faire taire le Parlement et l’empêcher de s’exprimer !

En voici un bref exemple.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées – au sein de laquelle j’ai l’honneur de siéger – a auditionné des ministres sur le changement de cap de notre pays par rapport à l’OTAN. Mes chers collègues, rendez-vous compte, ils sont arrivés, à leur convenance, à midi. (Exclamations amusées sur les travées de lUMP.) Ce n’est pas un sacrilège, cela ne pose pas de problèmes existentiels, mais c’est la preuve d’un manque de considération absolu.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais non !

M. Jean-Louis Carrère. La moindre des courtoisies, monsieur le rapporteur, si j’allais chez vous – rassurez-vous, je ne viendrais pas sans invitation – serait de ne pas arriver à midi.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais je vous inviterais à déjeuner ! (Rires.)

M. Jean-Louis Carrère. Sauf si vous m’invitiez à déjeuner, bien sûr ! (Exclamations ironiques sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.) Mes chers collègues, mes invitations, je les réserve à mes amis ! Ce n’est pas pour ceux qui me combattent à longueur de journée ou qui combattent l’idéal que j’essaie de promouvoir…

Mais revenons à notre débat. Mes chers collègues, vouloir accréditer l’idée qu’il faut voter un tel article donnant apparemment au Parlement la possibilité de réduire une éventuelle obstruction est tellement pernicieux que vous devez accepter de voter sa suppression.

Cet article 13 contredit totalement les affirmations du Président de la République et votre volonté de réforme constitutionnelle. Si nous, nous en avons perçu les pièges, vous avez, hélas ! réussi à entraîner dans la spirale de ce vote des gens qui n’auraient pas dû s’y associer.

Mais il est encore temps, mes chers collègues, je vous en conjure, respectez le Parlement, soutenez l’idée que la parole est encore libre dans ce pays et que les parlementaires peuvent individuellement déposer des amendements, les défendre et délibérer utilement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce fut un grand moment !

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je n’avais pas du tout l’intention d’intervenir cet après-midi sur l’article 13, mais cela fait maintenant un peu plus de deux heures que nombre de mes collègues défendent les droits des parlementaires, ceux de tous les parlementaires, et pas uniquement de ceux qui appartiennent à l’opposition. Toutes leurs interventions s’inscrivent dans la défense de l’intérêt général. D’ailleurs, comme cela a été rappelé, la majorité d’aujourd'hui sera – c’est bien connu – l’opposition de demain !

Pour ce qui me concerne, je m’attacherai plutôt à vous faire part brièvement de certains commentaires émis par les citoyens électeurs.

Depuis quelque temps, on entend souvent dire à propos de la vie politique et de la vie parlementaire notamment que les élus font preuve d’un manque absolument manifeste de spontanéité et pratiquent la langue de bois.

Ces critiques sont très souvent injustes, mais elles démontrent que la vie parlementaire est très mal comprise. Il faut en tenir compte. Or, avec l’adoption de l’article 13, vous allez aggraver cette incompréhension en creusant davantage le fossé entre les citoyens et leurs représentants.

Comment expliquerez-vous aux Français que leurs représentants n’auront plus ni le droit d’amender ni le droit de s’expliquer ? En supprimant ce droit personnel d’expression du parlementaire, c’est le peuple que vous voulez bâillonner ! Oui, le Parlement est le lieu de la parole ! Le parlementaire est l’avocat du droit du peuple ! Limiter ce droit d’expression ou le droit d’amender, c’est s’attaquer à l’essence même du rôle du Parlement et de la fonction du parlementaire !

Aujourd'hui, la France est encore considérée comme une démocratie, mais cette réputation s’émousse réforme après réforme. (M. le secrétaire d’État s’exclame.) Notre ami Louis Mermaz a rappelé tout à l'heure, avec quelques autres de nos collègues, l’évolution historique de cette tendance régressive. Or vous nous invitez aujourd'hui, monsieur le secrétaire d’État, à franchir une étape supplémentaire. Ne comptez pas sur nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. François Rebsamen.

M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la démocratie est, on le sait, un bien précieux qui nous est cher à tous. Durement conquise, elle nous donne le droit de penser et de nous exprimer différemment ; c’est ce droit qui la fait vivre. Il en est de même pour la démocratie parlementaire. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous avons le droit de penser, de nous exprimer différemment et de défendre nos idées aussi longtemps que nous le souhaitons.

Or, curieusement, au moment même où le Président de la République a conquis – permettez-moi de le dire ainsi ! – le droit de s’exprimer devant le Parlement, sans qu’aucun parlementaire puisse lui répondre, on veut restreindre le droit des parlementaires à s’exprimer au sein de leur assemblée ! (M. Jean-Louis Carrère et Mme Bariza Khiari applaudissent.) Avouez, mes chers collègues, qu’il s’agit là d’une bien curieuse conception de la liberté de discussion parlementaire !

Chaque membre de notre groupe l’a exprimé ici avec sa sensibilité et sa conviction propres, nous pensons tous au fond de nous-mêmes que la liberté de discussion parlementaire est incompatible avec ce que d’aucuns ont appelé le « concept du forfait-temps ».

Dans une démocratie, il ne peut y avoir, d’un côté, le temps en quelque sorte illimité – celui de toutes ses annonces –du Président de la République, qui occupe tout l’espace médiatique, et, de l’autre, un temps limité pour le Parlement, essence même de l’expression démocratique, avec notamment une expression restreinte pour l’opposition, quelle que soit bien sûr cette opposition. Avec l’article 13, on va à l’encontre de cette démocratie apaisée qu’on se plaît à invoquer aujourd'hui.

Il n’est vraiment pas possible de limiter les débats au Parlement alors que c’est le lieu même où ils doivent se développer. La procédure du « crédit-temps » les assécherait. Un groupe qui aurait épuisé son temps de parole ne pourrait plus défendre un amendement ! Or, cela a été souligné à maintes reprises, mais je tiens à le répéter car il est important de le redire en permanence, l’exercice du droit d’amendement est essentiel au débat démocratique, certains ajoutant même qu’il est consubstantiel au rôle du parlementaire. Il permet tout simplement à chacun d’exprimer ses positions et de formuler des contre-propositions, sans que cela empêche in fine, vous le savez très bien, monsieur le secrétaire d'État, l’adoption des textes présentés par le Gouvernement.

Nous pensons que l’article 13 du projet de loi organique a pour objectif de scléroser la parole de l’opposition dans le débat parlementaire. Le président du Sénat a réaffirmé que le temps global ne serait pas appliqué ici même. Fort bien ! Mais – et je reprends là des arguments qui ont déjà été développés – si le Sénat vote l’article 13 dans sa rédaction actuelle, nous allons, dans les faits, limiter le temps de parole des députés, en empêchant un nouveau débat sur ce même article, alors même que nous connaissons les conditions dans lesquelles il a été adopté à l'Assemblée nationale.

Pour éviter toute hypocrisie, il faut que les mêmes droits s’appliquent au Sénat et à l'Assemblée nationale. Et, afin de mettre nos actes en conformité avec les déclarations du président du Sénat, la seule chose à faire est tout simplement de ne pas voter l’article 13 du projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Piras.

M. Bernard Piras. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la discussion de l’article 13 du projet de loi organique me donne l’occasion de vous faire part d’une interrogation qui me taraude depuis quelque temps en considérant la pratique actuelle du pouvoir, celle du Président de la République et de l’exécutif.

Dans quelle République vivons-nous ? Vers quelle République allons-nous ? Quel qualificatif faut-il lui attribuer ?

On essaie de museler tous les pouvoirs.

Concernant le pouvoir judiciaire, on nous annonce pour bientôt la suppression des juges d’instruction au profit des procureurs. Le garde des sceaux, le Premier ministre et le Président de la République pourront intervenir et régler les affaires comme ils en auront envie. Pourtant, dans cette période, il y a bien d’autres choses à faire, alors même que l’on apprend que certains juges ne lisent pas leur courrier, que des détenus s’évadent de prison avec des explosifs et que l’on déplore un nouveau suicide en prison, qui s’ajoute à une liste déjà longue !

En ce qui concerne les médias, notre collègue François Rebsamen vient de parler du temps de parole du Président de la République. Mais que dire de la presse écrite, où tous les propriétaires de journaux sont les amis du Président de la République, l’un d’entre eux siégeant même sur les travées de la majorité de notre assemblée ?

S’agissant de la presse télévisée, le débat sur la réforme de l’audiovisuel nous a permis de constater que le CSA a été réduit à un rôle de potiche, le Président de la République s’octroyant le pouvoir de nomination.

Et aujourd'hui, on veut supprimer ou limiter le droit d’amendement des parlementaires, qui est l’essence même, j’oserai dire les tripes mêmes, de la vie parlementaire ! On veut que nous nous fassions hara-kiri ! Mais vous allez, vous aussi, vous faire hara-kiri, mes chers collègues de la majorité, en votant cet article 13, puisque vous êtes l’opposition de demain.

J’en reviens à ma question : quel qualificatif donner à cette République qui intervient dans le fonctionnement de la justice, limite son indépendance, restreint considérablement le pouvoir du Parlement et s’octroie tous les pouvoirs concernant la presse. Autoritaire ? Certainement ! Va-t-on aller au-delà ? Louis Mermaz a rappelé tout à l'heure ce qui s’est passé dans l’histoire ; je crains que nous n’allions dans ce sens.

Quoi qu’il en soit, mes chers collègues, ne votez pas l’article 13 : il se retournera demain contre vous et contre le Parlement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur quelques travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.

M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la faille essentielle de l’article 13 en ce sens que l’amendement est un droit individuel de chaque parlementaire. J’ai été élu, comme vous, pour pouvoir m’exprimer, pour expliquer les raisons pour lesquelles je dépose tel amendement, pour lesquelles je vote ou ne vote pas tel ou tel amendement. Et nous ne pouvons nous remplacer les uns les autres pour exercer ce droit !

Au cours de cette discussion, nous avons beaucoup parlé du Parlement, de nous-mêmes aussi, mais peut-être avons-nous un peu trop oublié les citoyens, qui ont le droit de savoir pourquoi nous votons tel ou tel amendement ou tel ou tel texte.

Si l’article 13 était adopté, imaginons ce que deviendrait un débat d’amendements lorsque le temps de parole d’un groupe serait épuisé ?

Dans le cas où ce groupe déposerait un amendement, j’ose espérer que le rapporteur n’expliciterait pas les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis favorable ou défavorable, pas plus que le Gouvernement, car cela reviendrait à déséquilibrer le débat, l’auteur de l’amendement n’ayant pas eu le droit de le défendre. Je vous laisse alors imaginer, mes chers collègues, la stupéfaction du public assistant à la séance ou celle du lecteur du Journal officiel, car les débats seraient très limités, comme l’a souligné notre collègue François Trucy, qui, pour l’instant, n’est pas du tout intéressé par mes propos…