M. le président. La parole est à M. Gérard César, pour six minutes.

M. Gérard César. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à rendre un hommage sincère et appuyé à notre ministre de l’agriculture et de la pêche, M. Michel Barnier, que nous voyons sans doute pour l’une des dernières fois à ce titre dans notre hémicycle qu’il a tant fréquenté en qualité de ministre et de sénateur.

Monsieur le ministre, vous avez su, pendant deux années, mettre à profit votre grande expérience des hautes instances européennes, votre finesse et votre habileté. Vous avez fait preuve d’une grande capacité de persuasion, animé par la volonté de sauvegarder le modèle agricole auquel nous sommes tous attachés.

Le bilan de santé dont nous discutons aujourd’hui n’aurait sans doute pas le même contenu si vous n’aviez eu de cesse d’œuvrer pour la préservation de nos intérêts agricoles.

J’en viens à mon propos, dans lequel je traiterai deux sujets directement liés à la PAC : l’organisation commune du marché, ou OCM, du vin, d’une part, l’assurance récolte, d’autre part.

En ce qui concerne l’organisation commune du marché vitivinicole, tout d’abord, vous vous souvenez sans doute, monsieur le ministre, que nous avions discuté et adopté ici même, voilà un an et demi, deux résolutions pour vous soutenir dans les négociations s’agissant d’une réforme européenne dont nous ne partagions alors pas les principes, et c’est le moins que l’on puisse dire !

Votre détermination face à la commissaire européenne et à vos homologues nous a permis d’hériter d’une réforme de l’OCM nous donnant satisfaction sur les points les plus importants, tels que l’arrachage, la distillation, la chaptalisation ou les pratiques vitivinicoles.

Le règlement portant cette nouvelle OCM est entré en vigueur le 1er août 2008. Quelles en ont été les modalités de mise en œuvre pour la France ? Quel premier bilan peut-on en tirer alors que la filière vitivinicole connaît à nouveau une conjoncture très difficile ? Pensez-vous qu’il y aura encore une pression des instances européennes pour intégrer cette OCM dans l’OCM unique que nous avions combattue à l’époque ?

Par ailleurs, comment pourrais-je ne pas vous interroger sur un sujet d’actualité : le vin rosé ?

Mes collègues de la commission des affaires économiques m’ont chargé de rapporter la proposition de résolution, que j’ai déposée avec mon collègue Simon Sutour, qui s’oppose au règlement européen levant l’interdiction du coupage des vins blancs et rouges.

Monsieur le ministre, comme vous l’avez souligné à plusieurs reprises, il est difficile de faire prévaloir notre position, car nous sommes isolés. Il nous faudra cependant rester fermes. Tolérerons-nous que l’Europe, une fois de plus en matière agricole, procède à un nivellement par le bas ? Accepterons-nous une mesure qui induira une concurrence faussée, nuira à la qualité et à l’image des indications géographiques protégées, les IGP, aux appellations d’origine contrôlée, et trompera finalement le consommateur ?

Monsieur le ministre, sur votre initiative, l’adoption de ce texte a été reportée, par la Commission européenne, au 19 juin prochain, pour laisser le temps à l’OMC de se prononcer. Vous ne serez sans doute plus, alors, à votre poste ministériel, et nous le regrettons. Néanmoins, disposez-vous d’éléments sur l’évolution de ce dossier ?

Je présenterai un rapport en commission des affaires économiques la semaine prochaine. Pensez-vous qu’une proposition de résolution adoptée par la Haute Assemblée serait de nature à vous aider à débloquer la situation et à redonner confiance aux producteurs et aux consommateurs ?

J’en viens à l’assurance récolte. Le président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Paul Emorine, en a parfaitement rappelé le contexte sur le plan européen ; je n’y reviendrai donc pas. Je concentrerai mon propos sur l’application du dispositif assurantiel au secteur de la forêt, qui a beaucoup souffert en ce début d’année.

En effet, la tempête Klaus a provoqué des dégâts considérables dans la forêt du sud-ouest, notamment en Gironde et dans les Landes, dégâts sans doute plus importants que ceux de la tempête de 1999. Leur estimation est en cours. Toutefois, il est d’ores et déjà acquis que 300 000 hectares ont été touchés, dont certaines zones à 90 %. Trente-huit millions de mètres cubes de bois sont au sol, et l’industrie n’a pas la capacité de les traiter d’un seul coup. Il faut donc recourir au stockage sous aspersion pour protéger le bois des insectes et du bleuissement.

J’ajoute que l’Office national des forêts a évoqué une perte équivalente à quatre ans de récolte.

Monsieur le ministre, face à cette situation catastrophique pour les sylviculteurs de la région, vous n’êtes pas resté sans réaction. Vous avez mobilisé une enveloppe de 415 millions d’euros pour l’aide au nettoyage et au reboisement sur la période 2009-2017. Mais, vous le savez, cette aide est considérée comme insuffisante par les sylviculteurs, lesquels estiment qu’une somme de 630 millions d’euros serait nécessaire pour répondre aux besoins.

Par ailleurs, il nous faut aujourd’hui aller plus loin en mettant en place des dispositifs de prévention des risques économiques liés à ce type de catastrophe. Nous avons subi deux tempêtes en dix ans : en 1999 et en 2009. Or, il y a peu d’assurances en matière forestière. Les sylviculteurs sont exclus du régime de catastrophes naturelles et ne bénéficient pas des mêmes indemnisations que les sinistrés particuliers.

Monsieur le ministre, il doit à mon avis être possible de profiter des aides accordées par Bruxelles dans le cadre du bilan de santé de la PAC pour développer des produits assurantiels dans le secteur forestier. La bonification des primes d’assurance contribuerait au devenir de notre forêt en favorisant les nouvelles plantations et replantations.

M. le président. Il vous reste une minute, mon cher collègue !

M. Gérard César. Par ailleurs, les professionnels demandent la création d’un fonds spécifique d’indemnisation et d’aide au reboisement pour satisfaire à l’obligation légale de reboiser. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur ce sujet ? Où en est la parution du décret permettant un appel d’offres pour les prêts bonifiés ?

Telles sont les principales questions que m’inspire ce débat.

Monsieur le ministre, je vous remercie une nouvelle fois de votre action pour la défense de notre modèle agricole. Je vous souhaite bonne chance dans vos futures fonctions. Je ne doute pas que vous continuerez à porter un regard attentif sur le monde agricole et la ruralité, ainsi que sur la politique européenne les concernant. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour six minutes.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plus de quarante ans, la politique agricole commune façonne l’environnement quotidien de millions d’agriculteurs et de consommateurs européens.

En dépit des crises et des critiques, elle a permis à l’agriculture européenne de se maintenir, y compris dans les régions difficiles, de se développer, de produire dans la durée et de mettre à disposition de tous des produits de qualité.

Au fil des ans, la PAC s’est profondément réformée pour s’adapter aux marchés, au contexte international et aux attentes des consommateurs. On a assisté à un alignement progressif des prix de soutien sur les prix mondiaux, compensé par des aides directes de la production finalement découplées.

La réforme de 2003 a sans doute apporté les inflexions les plus marquantes, en contrepartie d’une stabilité budgétaire jusqu’en 2013. Elle avait prévu un bilan de santé à mi-parcours, qui s’est conclu par un accord en novembre dernier, lors de la présidence française de l’Union européenne.

Monsieur le ministre, nous connaissons votre volonté de préserver les fondamentaux de la PAC et vos efforts pour aboutir à un accord. Ce dernier est moins libéral que l’option initialement proposée par la Commission et prend davantage en compte les composantes sociales et l’aménagement du territoire.

Certes, il s’agit d’un compromis. Bien que deux rendez-vous soient prévus, en 2010 et en 2012, pour ajuster les quotas laitiers à l’évolution des marchés, la suppression programmée de ces quotas suscite des inquiétudes. L’imposition d’un découplage quasi total des aides peut également avoir des conséquences potentiellement destructrices dans certaines régions où les possibilités de diversification sont rares.

Toutefois, reconnaissons que le bilan de santé comporte beaucoup d’éléments positifs. Il préserve d’abord les mécanismes d’intervention pour les céréales et les produits laitiers. Il permet ensuite de participer au financement par la PAC des outils de couverture des risques climatiques et sanitaires. C’est un enjeu majeur pour garantir les revenus : les agriculteurs du Gers en savent quelque chose après la fièvre catarrhale ovine et la tempête de janvier dernier qui les ont durement touchés. Enfin, il dégage un potentiel d’intervention dans des secteurs rencontrant des problèmes spécifiques. Pour la France, il s’agit de réorienter environ 1,4 milliard d’euros.

Monsieur le ministre, vous nous avez présenté les décisions qui ont été prises, et que j’approuve, notamment le rééquilibrage des aides au profit de certaines filières : il en est ainsi de la filière ovine et plus généralement de l’élevage à l’herbe, secteurs auparavant délaissés.

Cependant, cela ne doit pas se faire au détriment des zones intermédiaires. Ainsi, dans le Gers, certaines exploitations devraient bénéficier de la réorientation des aides ; d’autres, de petite ou moyenne dimension, pourraient se trouver confrontées à des transformations auxquelles elles ne pourraient faire face. Quelles mesures d’accompagnement entendez-vous mettre en œuvre en faveur des zones intermédiaires ?

Au-delà de ce bilan de santé, c’est déjà la PAC de l’après-2013 qui nous préoccupe aujourd’hui. Les réformes successives n’ont été trop souvent que le fruit d’arbitrages budgétaires ou ont été guidées par les seules contraintes internationales. Il faut aujourd’hui se poser les vraies questions. Quelle PAC voulons-nous ? Comment préserver notre agriculture, à la fois compétitive, multifonctionnelle, durable et répartie sur tout le territoire européen ? Comment répondre à l’impératif alimentaire européen et international ?

Il serait peu cohérent d’entamer les discussions sur les perspectives budgétaires de l’Union avant d’évoquer les questions de fond. C’est l’ambition politique qui doit orienter le débat budgétaire, et non l’inverse !

Monsieur le ministre, vous avez tenté d’ouvrir le débat politique sur l’avenir de la PAC en septembre dernier, à Annecy, mais votre initiative a malheureusement été limitée par les réticences de certains de nos partenaires. La France doit néanmoins continuer de porter ce débat, d’autant qu’elle ne peut plus être accusée d’avoir une position intéressée puisqu’elle sera, en 2013, contributrice nette.

La PAC doit retrouver une nouvelle légitimité reposant sur des objectifs cohérents et sur des moyens d’action renouvelés. Les égoïsmes nationaux doivent passer après les grands projets européens. L’agriculture est un projet majeur, structurel, social et économique.

L’impératif de sécurité alimentaire est stratégique. En effet, la demande mondiale doit doubler d’ici à vingt ans, et l’ONU évalue à 1,2 milliard le nombre d’êtres humains qui auraient chroniquement faim en 2025.

L’agriculture peut aussi répondre au défi de la performance énergétique avec les biocarburants. Elle assume enfin une fonction primordiale de vitalisation rurale et d’entretien de l’espace.

D’aucuns s’interrogent sur le bien-fondé du maintien d’une politique agricole européenne ambitieuse. Pour moi, la réponse relève de l’évidence.

Certains pays plaident pour une renationalisation partielle de la PAC. Il n’est pas concevable que l’Europe tourne le dos à son agriculture alors que les États-Unis, par le biais du farm bill, soutiennent massivement leurs producteurs.

Il n’est pas concevable non plus, alors que l’Europe a déjà fait de nombreuses concessions, que l’Organisation mondiale du commerce continue de militer en faveur d’un dumping général en matière agricole.

La loi du marché ne peut seule gouverner l’agriculture. Il faut maintenir des outils de régulation et de gestion de l’offre, seuls à même de répondre à la volatilité des prix.

Ces outils peuvent se révéler des amortisseurs plus efficaces et surtout moins coûteux que les compensations en cas de crise.

M. le président. Il vous reste une minute, mon cher collègue !

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, nous vous faisons confiance pour continuer de défendre au Parlement européen les principes fondateurs de la PAC que sont la solidarité financière et la préférence communautaire, qui n’est autre que l’exigence de réciprocité sur le plan international.

La PAC a joué un rôle fondamental dans la construction européenne. Aujourd’hui, elle doit renouer avec l’Europe des projets partagés, mais elle s’est découvert de nouvelles ambitions au-delà du fait de nourrir les hommes. (M. Joël Bourdin applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai, pour dix minutes.

Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’opinion publique regarde la politique agricole commune sans indulgence. Elle la perçoit souvent comme un montage illisible et coûteux à une époque où l’agriculture est devenue une activité lointaine pour la très grande majorité de nos concitoyens et où la défiance à l’égard de la construction européenne reste forte.

Monsieur le ministre, l’un de vos objectifs, lorsque la France a pris la présidence du Conseil de l’Union européenne voilà bientôt un an, était de changer cette perception et de replacer l’agriculture et la PAC dans le contexte mondial de la crise alimentaire et de la volatilité des prix agricoles d’alors.

Pour cela, la conférence intitulée « Qui va nourrir le monde ? » était particulièrement bienvenue et augurait d’une prise de conscience au niveau européen en préalable au débat sur le bilan de santé de la PAC. Cela n’a malheureusement pas été complètement intégré par les vingt-sept États membres de l’Union européenne au vu de l’accord a minima qui est intervenu le 20 novembre dernier.

Parallèlement, l’impression laissée par l’annonce du Président de la République le 19 février dernier et les récents arbitrages du Gouvernement concernant la déclinaison nationale de l’accord européen relative au bilan de santé de la PAC comporte des ambiguïtés. Il y a eu, certes, une révision française de la répartition des aides en faveur des éleveurs et des soutiens à l’herbe. Je salue cette évolution qui était bien nécessaire au regard de l’inégalité scandaleuse de cette répartition et de la situation critique de l’élevage ovin en particulier. Mais ce rééquilibrage attendu et médiatisé a cependant été quelque peu atténué dans un deuxième temps au profit des céréaliers lorsque la rallonge de 170 millions d’euros a été accordée à ces derniers.

Les réactions dans le monde agricole ont été mitigées. Est-ce parce que les décisions annoncées exprimaient un compromis ? Ou est-ce parce que nous sommes face à des décisions à court terme prises dans un cadre national qui ne rassurent pas sur l’avenir de la PAC après 2013 ? Les questions essentielles de ce que peut et veut faire l’Europe sur les grands sujets que sont les équilibres au sein de l’offre et au sein de la demande de produits agricoles ont à mon avis été laissées de côté. Plus exactement, on leur a substitué une liste d’objectifs importants que vous avez énumérés et auxquels tout le monde ne peut que souscrire, notamment rendre la PAC plus légitime et aborder 2013 dans de meilleures conditions.

Mais si l’élue de Corrèze que je suis a quelques raisons d’être satisfaite des rééquilibrages effectués, l’élue nationale et l’ancienne députée européenne s’inquiète que ces rééquilibrages nationaux ne s’inscrivent pas dans un courant plus puissant en faveur de la régulation indispensable de l’économie agricole européenne et mondiale. Avant de développer la nécessité de cette régulation, je veux revenir sur les ambiguïtés de votre politique issue des ajustements du bilan de santé de la PAC.

Les souplesses introduites par la dernière réforme de la PAC pour la répartition des aides au niveau national ont été utilisées dans le bon sens, même si les références historiques des droits à paiement unique, les DPU, auraient dû également être revues.

Mais la réorientation de 18 % des aides vers l’élevage ovin et bovin, les zones à handicaps naturels et les secteurs en difficulté est positive. Ainsi, l’augmentation moyenne serait de 30 % pour les aides aux élevages ovins s’ils sont sur des systèmes herbagers et en montagne ; cela était vraiment indispensable. Les exploitations de grande culture vont être contributrices, comme l’a dit l’un de nos collègues, mais je tiens à rappeler que les éleveurs y contribuent eux aussi en acceptant un découplage de 25 % de la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes, la PMTVA. Un retour vers ce secteur est d’ailleurs possible grâce aux aides aux légumes et aux fourrages ainsi qu’au dispositif d’assurance récolte, et je ne parle pas des 170 millions d’euros déjà cités.

Le soutien à l’agriculture biologique est également appréciable. Cette agriculture doit être à la fois développée, pour des raisons sanitaires, mais également protégée contre les importations lointaines et incertaines, dont l’intérêt en termes de « bilan carbone » disparaît en raison des transports. Par ailleurs, il y a un réel intérêt à développer les circuits courts qui rassurent à juste titre les consommateurs et recréent des liens avec les producteurs locaux.

Quant à l’élevage bovin, j’assistais vendredi dernier à l’assemblée générale de l’Association des éleveurs de Corrèze, l’ADECO, et je suis en mesure de témoigner sur la situation des exploitations de viande bovine : elles ont perdu 50 % de revenus par actif en 2008 du fait de l’augmentation des charges et des conséquences de la fièvre catarrhale ovine.

À ce propos, les éleveurs ont souligné les pertes financières considérables résultant des errements relatifs à la vaccination et de la fermeture du marché italien, engendrant le maintien de broutards sur les exploitations pendant des mois. Le « plan Barnier » d’aides s’avère très insuffisant pour compenser ces pertes.

Par ailleurs, si la fièvre catarrhale ovine n’a pas causé une surmortalité d’animaux très notable, ses effets sur l’avortement ou l’infécondité se révèlent très importants depuis deux ou trois mois et entraîneraient un déficit de 22 % des vêlages au niveau national, soit 260 000 veaux en moins. Ces pertes ne seront pas sans conséquences sur les productions de broutards en 2009, et donc sur l’économie des départements « naisseurs » du bassin allaitant tout entier.

S’y ajoutent d’ores et déjà un afflux de vaches laitières de réforme et une baisse de la consommation de viande bovine qui tendent à une saturation du marché, donc à une baisse des prix à la production, que le consommateur ne vérifie, hélas ! ni à l’étal du boucher ni dans les grandes surfaces commerciales.

L’inquiétude est forte chez les éleveurs à l’orée de la saison estivale, face à la reprise possible de la fièvre catarrhale ovine, voire d’un nouveau sérotype, autre que le 1 ou le 8 que nous connaissons déjà, d’autant que les simulations des aides européennes à l’horizon 2012 ne sont guère enthousiasmantes.

En effet, le rééquilibrage prévu permet, selon l’ADECO, « de limiter la casse sans certitude pour l’avenir ». Seuls les éleveurs de veaux de lait élevés sous la mère peuvent espérer une hausse modeste des aides à l’horizon 2012, du fait de la prime au veau labellisable. Mais les éleveurs de broutards verront leurs aides stagner, et les naisseurs-engraisseurs perdraient même une partie des montants d’aides du fait de la suppression des primes à l’abattage et aux céréales. Il faudra donc être très volontariste sur la répartition des aides vers les zones intermédiaires si l’on veut y conserver une polyculture diversifiée, sans oublier le renforcement stratégique des compensations des handicaps naturels, notamment en montagne.

Or je constate que la politique qui nous est proposée manque déjà de cohérence à l’échelle locale, en particulier sur la question du lait. En montagne, les éleveurs vont bénéficier d’une meilleure répartition des aides. Mais d’un autre côté, s’ils continuent à produire du lait, les revenus qu’ils vont en tirer risquent de diminuer, compte tenu du relèvement progressif des quotas laitiers et de la suppression définitive de ces derniers après 2015. À l’occasion du dernier conseil des ministres dont vous nous avez rendu compte récemment, vous avez soutenu « vos collègues hollandais et allemands sur les réponses à apporter à la dégradation des marchés laitiers » et appelé à une « mobilisation résolue et accrue des outils destinés à soutenir les cours ». Vous avez raison. Mais quelles réponses vous a-t-on apportées en ce sens ?

La question du lait illustre à mon avis parfaitement l’ambiguïté de la politique conduite par la Commission, qui consiste à promouvoir la libéralisation dans le domaine de l’économie agricole. Et le bilan de santé de la PAC se situe dans la continuité des réformes poursuivies depuis 1992 qui démantèlent les uns après les autres les outils de gestion publique et de régulation de l’agriculture : la disparition des quotas en fait partie, de même que le gel des outils d’intervention, la politique de découplage et la disparition des jachères.

C’est pourquoi ce « bilan de santé » ne me rassure guère sur l’avenir de la PAC en 2013. En effet, malgré les efforts que vous avez déployés, aucun accord n’est intervenu. J’ajoute que les déclarations du secrétaire d’État tchèque, en juillet dernier, sur une PAC qu’il veut « plus libérale, plus ouverte, plus flexible et moins coûteuse » augurent mal des négociations futures et, d’abord, de la place réservée à la PAC dans les prochaines perspectives financières de l’Union européenne. À ce propos, monsieur le ministre, la position du Gouvernement tchèque a-t-elle récemment évolué depuis que ce dernier a acquis une meilleure connaissance des réalités ?

M. le président. Il vous reste une minute, ma chère collègue !

Mme Bernadette Bourzai. Il faut donc, de mon point de vue, inscrire la PAC dans le contexte de la mondialisation et de la sécurité alimentaire, et non pas dans celui d’une libéralisation accrue des marchés.

Le rapport de Mme Mac Guiness, adopté par le Parlement européen, est très fort en ce sens. Nous ne pouvons oublier les émeutes de la faim de l’hiver 2007-2008. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, nous a confirmé l’augmentation considérable du nombre de personnes sous-alimentées dans le monde.

Dans ce contexte de crise alimentaire, de changements climatiques, il nous faut revenir à des fondamentaux, pour éviter les phénomènes de spéculation, et développer des moyens de stockage et d’intervention. En effet, s’il faut renforcer l’Union européenne – chacun en est convaincu, me semble-t-il –, cela passe par la construction d’autres politiques intégrées à l’image de la PAC et non pas par la réduction ou la destruction de celle-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour six minutes.

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élu d’un département fortement agricole, je me devais d’être présent aujourd’hui pour ce débat important.

L’agriculture est un secteur économique majeur, qui constitue un enjeu stratégique dans notre monde en crise.

Les décisions retenues pour la mise en œuvre de l’accord du 20 novembre 2008 sur le bilan de santé de la politique agricole commune ont été annoncées lors du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire du 23 février 2009. Il a été préféré une réorientation des aides vers les productions les plus fragiles.

Or l’avenir de la PAC ne se réduit pas à la seule question de la répartition des aides en agriculture, et ce bilan de santé devrait permettre d’en poser les bases autour de la gestion des risques, par la mise en place de vraies alternatives pour une véritable organisation des marchés, et afin de maintenir les filières et les hommes sur tous les territoires.

Les agriculteurs de l’Aisne, plus largement ceux de la région Nord, et parmi ceux-ci les jeunes agriculteurs sont inquiets, très inquiets. La contribution de la région nord-parisienne à la valeur de la production agricole française est de 13 milliards d’euros. Au niveau de l’emploi, un actif sur quinze travaille dans le secteur agricole.

Si les nouvelles mesures annoncées sont maintenues en l’état, elles représenteraient un prélèvement d’environ 30 millions d’euros rien que sur l’agriculture de l’Aisne.

En effet, le mythe des grandes cultures associées à un revenu confortable a depuis de nombreuses années vécu, et les soutiens directs constituent une large part du revenu brut des exploitations, compte tenu des grandes volatilités des prix de marchés. L’impact d’un tel prélèvement serait extrêmement brutal et fragiliserait donc l’économie de toutes nos régions. Nous constatons que les prix, après leur chute au cours du second semestre 2008, poursuivent leur baisse continue.

Les informations que nous pouvons avoir sur le déroulement de la campagne 2009-2010 ne laissent pas, pour l’instant, la possibilité d’envisager un retournement de tendance, accompagné d’une hausse des prix. L’impact d’un tel prélèvement serait extrêmement brutal et fragiliserait l’économie de plusieurs de nos régions.

Monsieur le ministre, vous avez fondé ces décisions sur le fait que les prix allaient être durablement élevés. Ce n’est pas le cas. J’aimerais donc savoir dans quelle mesure l’application française du bilan de santé prépare l’avenir.

Les professionnels demandent donc l’application de la progressivité pour ce prélèvement, le retour aux producteurs historiques du solde de l’aide couplée SCOP – surface céréales, oléagineux et protéagineux –, et, enfin, une plus grande lisibilité des politiques en place au delà de 2013.

Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de vos réponses. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, pour dix minutes.

M. Jacques Muller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat que nous menons aujourd’hui sur la PAC est décidément dans l’air du temps : si la crise économique et sociale fait toujours la une de l’actualité, au risque d’occulter la crise écologique, force est de reconnaître que la PAC est, elle aussi, en crise, et ce depuis de nombreuses années ! En témoigne ce paradoxe : les agriculteurs, qui exercent l’un des plus beaux métiers du monde car leur fonction première est de nourrir les autres, sont aujourd’hui regardés avec suspicion. La crise de confiance est là, l’image stéréotypée de « l’agriculteur-pollueur » a, hélas ! fini par s’imposer !

Deux présupposés devraient faire consensus entre nous, quels que soient nos points de vue légitimement différents sur la situation.

Le premier est que les agriculteurs sont des acteurs économiques comme les autres, ni meilleurs ni pires : ils exercent leur activité dans le cadre économique qui leur a été tracé, tout en cherchant légitimement à optimiser leurs revenus. Nous dénonçons donc toute stigmatisation d’une profession dont les pratiques ne font que s’inscrire dans les orientations de la politique agricole !

Le second est que l’agriculture est une activité particulière, radicalement différente des autres activités économiques.

Plusieurs raisons militent en ce sens.

Tout d’abord, la production de la nourriture revêt une dimension stratégique indiscutable, historiquement vérifiée : si, comme l’a théorisé Clausewitz, « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », le concept d’« arme alimentaire » relève de la même logique, parfaitement détestable.

Ensuite, la production agricole et les revenus des agriculteurs ne peuvent rester fonction des seules lois du marché : la formation des prix en agriculture est soumise à de multiples aléas, notamment climatiques ; il en résulte des fluctuations considérables des prix agricoles, qui sont souvent erratiques et perturbent la production et les revenus des agriculteurs.

Au regard de ces considérations, la production agricole a impérativement besoin de régulation, c’est-à-dire de politique, et ne saurait, par conséquent, se voir abandonnée à la seule « main invisible » du marché.

Toutefois, dès lors que l’on défend la nécessité d’une politique agricole, il faut bien définir les enjeux de celle-ci, avant d’évoquer les outils à mettre en œuvre pour espérer obtenir des résultats.

Or, manifestement, les enjeux d’aujourd’hui ne sont plus ceux de la PAC des années 1960, dont la priorité de premier rang était de produire plus afin de résorber le déficit alimentaire structurel de l’Europe, un objectif dépassé dès le milieu des années 1980 ! Il en résultait logiquement la mise en place d’un système de soutien des prix, faisant baisser le coût relatif des intrants, dont l’usage se trouvait ainsi stimulé, par rapport à celui des produits agricoles, afin de pousser les rendements au maximum.

Mes chers collègues, nous sommes en 2009, le monde a changé en profondeur et nous nous trouvons confrontés à quatre enjeux, qui sont stratégiques.

Tout d'abord, il faut impérativement inscrire la nouvelle PAC dans la problématique agricole et alimentaire mondiale, comme le soulignait Edgard Pisani lors du colloque sur l’agriculture que j’ai eu l’honneur de présider le 9 avril dernier au Sénat.

En effet, pour l’ancien ministre de l’agriculture et père de la PAC de 1962, le problème alimentaire sera la question numéro°1 des prochaines décennies : hausse de la population mondiale, diminution des surfaces cultivées, concurrence inacceptable des agrocarburants, accumulation des excédents agricoles des pays industrialisés, déversés à coups de subventions, qui viennent ruiner les agricultures vivrières et paysannes des tiers-mondes, tels sont les défis majeurs à relever.

Pour l’Europe, cela signifie concrètement qu’il faut résister à la tentation de continuer à accroître notre production agricole, notamment céréalière, sous le mauvais prétexte de nourrir le monde, plus particulièrement les pays sous-développés au sein desquels sous-alimentation et famines sévissent. Deux arguments vont dans ce sens.

Tout d’abord, la souveraineté alimentaire reste un principe intangible et le concept d’« arme alimentaire » ne fait pas partie de la culture européenne !

Ensuite, l’agriculture vivrière demeure la base du développement : ce qui a été vrai autrefois dans nos pays industrialisés reste d’actualité dans les pays sous-développés ! L’Europe ne peut plus être la complice du désastre actuel, qui voit les villes de ces pays nourrir les campagnes à travers des importations et d’autres excédents agricoles bradés à coups de subventions. Il n’y a pas pire pour bloquer le développement, pourtant vital, de « l’agriculture vivrière et paysanne » dans les pays concernés !

En outre, l’Europe doit cesser de fonctionner comme un « aspirateur mondial à protéines », en raison de l’abandon massif de l’herbe au profit du couple maïs-soja dans nos élevages. La reconquête de notre souveraineté alimentaire passe par une remise à plat de nos systèmes de production, en valorisant d'abord la production à l’herbe et en développant les cultures d’oléoprotéagineux.

Un deuxième enjeu porte sur la réduction massive de la pression insoutenable exercée par l’agriculture productiviste sur l’environnement, comme le Grenelle l’a officiellement reconnu. Il s'agit de la pollution diffuse en nitrates et pesticides et de l’épuisement des nappes phréatiques, qui rendent nécessaire l’intervention des collectivités territoriales, aux frais des contribuables ; des atteintes à la biodiversité, à travers l’artificialisation des milieux et l’emploi massif de pesticides dont l’efficacité marginale ne cesse de décroître ; de la dégradation des sols, asphyxiés et appauvris en humus ; de la pollution de l’air par les pesticides ; du bilan énergétique global de l’agriculture, toujours plus négatif en raison de la substitution permanente capital-travail, qui se traduit par une mécanisation croissante et un usage massif des intrants de synthèse, gros consommateurs de pétrole. Nombre d’indicateurs ont ainsi viré au rouge !

C’est pourquoi la PAC nouvelle se doit impérativement d’enclencher le basculement vers une agriculture nouvelle : nous proposons que 30 % des cultures soient « bio » d’ici à 2020, le reste de la production étant réalisé en HVE, c'est-à-dire en haute valeur environnementale.

À cet égard, il ne s’agit surtout pas de créer un énième label, qui brouillerait inévitablement la perception, déjà bien confuse, des produits par le consommateur, mais d’évaluer la durabilité des exploitations agricoles sur la base d’instruments précis, validés scientifiquement.

Des outils existent déjà dans notre pays. Je fais référence aux IDEA, les indicateurs de durabilité des exploitations agricoles, qui sont développés par votre administration, monsieur le ministre.

Toutefois, le versement d’argent public au titre de la PAC devra enfin intégrer prioritairement des critères de durabilité : d’expérience, on sait que récompenser contractuellement la vertu est le seul moyen crédible – hormis la contrainte réglementaire normative, mais celle-ci manque par définition de progressivité – de faire évoluer en profondeur les systèmes de production agricole.

Le troisième enjeu porte sur la qualité des produits. La liste des crises alimentaires qui relèvent de la santé publique et sont provoquées par le développement des élevages hors-sol concentrationnaires continue de s’allonger : veaux aux hormones, poulets à la dioxine, bovins affectés par l’ESB, l’encéphalopathie spongiforme bovine, et, aujourd’hui, menace d’une pandémie de grippe porcine...

Il en résulte une véritable érosion de la confiance des consommateurs dans la qualité des produits, que les teneurs en pesticides mesurées dans certains vins et dans les fruits et les légumes tendent à renforcer. Pour rétablir cette confiance, il ne suffit pas de réglementer : il faut favoriser, à travers la politique agricole, une « désintensification » globale des systèmes de production, au profit de la qualité !

Le quatrième et dernier enjeu concerne l’emploi et l’aménagement du territoire.

Le mouvement structurel de concentration des exploitations a historiquement vidé nos campagnes. Depuis des décennies, l’agriculture conventionnelle n’est plus un secteur porteur d’emplois et ne constitue plus le point de fixation d’autres activités artisanales et de services. Les déséquilibres naturels entre les régions agricoles, paradoxalement accentués par la PAC, n’ont cessé de se creuser !

C’est pourquoi la nouvelle politique agricole doit mieux valoriser, contractuellement, les externalités positives d’une agriculture paysanne riche en emplois, productrice de paysages et génératrice d’autres activités de proximité non délocalisables.

Au regard de ces quatre enjeux stratégiques, force est de reconnaître que la PAC actuelle est hors sujet : les subventions déversées sur l’agriculture sont devenues globalement illégitimes.

En témoigne un premier pilier de la PAC qui mobilise l’essentiel des aides publiques et qui est totalement « découplé » des quatre enjeux précités ! Sa déclinaison à la française à travers les DPU, les droits de paiement unique, octroyés sur la base des références 2000-2002, est emblématique d’une situation ubuesque, dans laquelle l’octroi de ce qu’il faut bien appeler des rentes de situation a remplacé la politique agricole, pourtant si nécessaire !