Mme la présidente. Le débat est clos.

6

Nomination des membres d’une commission spéciale

Mme la présidente. Je rappelle qu’il a été procédé à l’affichage de la liste des candidats aux fonctions de membre de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation (n° 364, 2008-2009).

Le délai fixé par le règlement est expiré.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée, et je proclame membres de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi de modernisation de l’économie : MM. Bernard Angels, Alain Anziani, Gérard Bailly, Gilbert Barbier, Laurent Béteille, Claude Biwer et Joël Bourdin, Mmes Brigitte Bout, Nicole Bricq et Jacqueline Chevé, M. Philippe Darniche, Mmes Isabelle Debré et Muguette Dini, MM. Philippe Dominati et Jean-Paul Emorine, Mme Anne-Marie Escoffier, M. Alain Fauconnier, Mme Samia Ghali, M. Alain Gournac, Mme Françoise Henneron, MM. Edmond Hervé, Michel Houel, Benoît Huré, Jean-Jacques Jégou, André Lardeux, Dominique de Legge et Philippe Marini, Mme Isabelle Pasquet, MM. François Patriat, Daniel Raoul, Charles Revet et Jean-Pierre Sueur, Mme Odette Terrade, MM. René Teulade, Alain Vasselle, Bernard Vera et Richard Yung.

Mes chers collègues, en attendant l’arrivée de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi, qui est retenu à l’Assemblée nationale, je vais suspendre la séance pour quelques instants. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

7

Politique de défiscalisation des heures supplémentaires

Discussion d'une question orale avec débat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 31 de Mme Christiane Demontès à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur le bilan de la politique de défiscalisation des heures supplémentaires.

Cette question est ainsi libellée :

« Mme Christiane Demontès attire l’attention de Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur le bilan de la politique de défiscalisation des heures supplémentaires.

« L’emploi est au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’après 92 000 demandeurs d’emplois de plus au mois de janvier 72 200 autres s’y sont ajoutés en février ? À ce rythme, le nombre de chômeurs supplémentaires atteindra le million en fin d’année. Par ailleurs, les destructions d’emplois n’auront jamais été aussi importantes. On est donc bien loin du “travailler plus pour gagner plus”.

« Face à cette crise qui ne cesse de s’approfondir, le Gouvernement a choisi de ne pas opérer de changement en matière de politique de l’emploi. Fidèle au crédo néolibéral, le Gouvernement maintient la politique de défiscalisation des heures supplémentaires mise en œuvre par l’article 1er de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, dite loi TEPA. À ce titre et au lieu d’embaucher, ce sont 4,3 milliards d’euros qui ont été dépensés l’an dernier pour encourager les entreprises à faire effectuer des heures supplémentaires par leurs propres salariés. Au dernier trimestre 2008, ce volume horaire représentait l’équivalent de 90 000 emplois de plus par rapport au dernier trimestre 2007. Au-delà, cette politique d’exonération impacte nécessairement les finances publiques qui enregistreront, selon toute vraisemblance, un déficit voisin de 6 % du PIB fin 2009.

« La crise est encore devant nous. Aussi, elle lui demande de l’informer de l’impact financier et de l’impact sur l’emploi que représente, depuis sa mise en application, la défiscalisation des heures supplémentaires. »

La parole est à Mme Christiane Demontès, auteur de la question.

Mme Christiane Demontès. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier ceux qui sont présents.

Avant de poser ma question orale sur la défiscalisation et l’exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires, je veux à mon tour, après ma collègue Nicole Bricq lors du précédent débat, dénoncer l’hypocrisie de ceux qui, au moment de la réforme constitutionnelle, ont insisté sur le respect du Parlement au travers de la semaine de contrôle et de celle d’initiative parlementaire.

Franchement, de qui se moque-t-on ? Quelle image donnons-nous à nos concitoyens ? C’est lamentable ! Je vous demande donc, madame la présidente, de porter cette question devant la conférence des présidents et d’en saisir M. le président du Sénat. Il faudra que nous ayons un débat sur ce sujet !

Mme Nicole Bricq. Et comment !

Mme Christiane Demontès. J’en viens à ma question.

Voilà bientôt deux ans, le Parlement a adopté la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA ». Il aurait été normal que le Parlement, qui vote les lois, puisse bénéficier du bilan d’application de ces dispositions. Tel n’a pas été le cas. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous interroger à ce sujet et vous questionner sur les perspectives de pérennisation de cette politique que le Gouvernement envisage.

En 2007, lors de l’adoption de la loi TEPA, la croissance était là et la majorité évoquait la perspective du plein-emploi. Quant à nous, parlementaires socialistes, nous mettions en garde contre les évidents risques de ce texte. Ainsi, ma collègue Nicole Bricq déclarait : « Avec ce texte, le Gouvernement et sa majorité engagent lourdement les finances de l’État dans la voie de l’exonération des charges fiscales et sociales relatives aux heures supplémentaires, ce qui coûtera très cher sans garantir l’augmentation globale du pouvoir d’achat et de l’emploi. Le but non avoué de ces mesures est de contourner l’horaire légal du temps de travail ». Elle concluait son propos en prédisant que, avec cette loi, « vous aurez plongé la France et les Français dans de grandes difficultés ».

Je rappelle que l’article 1er de la loi TEPA, qui instaure la défiscalisation des heures supplémentaires et leur exonération de cotisations, vise exclusivement les salariés en activité. À ce titre, ni les demandeurs d’emplois ni même les salariés à temps partiel ne sont concernés. Dans les faits, sur une population salariée estimée à 27,6 millions d’individus, plus de 15 % sont exclus de ce dispositif pourtant pensé et voulu comme fondateur d’une nouvelle politique de l’emploi et du pouvoir d’achat. Avouons-le, cela est surprenant lorsqu’on a pour objectif, au moins dans le discours, de renforcer la valeur travail et le pouvoir d’achat.

Notons d’ailleurs que, au moment du débat parlementaire, nombre d’observateurs avaient mis en garde contre une défiscalisation des heures supplémentaires porteuses d’effets pervers. Ainsi, deux membres du Conseil d’analyse économique, le CAE, estimaient « qu’une fiscalité spécifique sur les heures supplémentaires, quelle que soit sa forme, aurait au mieux un effet incertain sur l’emploi et le revenu, avec un risque exorbitant pour les finances publiques qui se double d’une complexité accrue du système fiscal ». Ils projetaient que la mise en œuvre de cette politique « allait inciter les employeurs à faire faire à leurs salariés des heures supplémentaires, moins chères que les heures normales, plutôt que d’embaucher » et ainsi « substituer des heures de travail aux hommes ». Ils pointaient aussi les risques évidents « d’abaissement du taux de salaire des heures normales » au bénéfice d’une déclaration importante d’heures supplémentaires.

Du point de vue du pouvoir d’achat, cette politique a donc uniquement favorisé ceux qui en avaient déjà, notamment les personnels très qualifiés. Certes, cela n’est pas condamnable en soi, mais cela s’est fait au détriment des CDD et des intérimaires, donc des plus fragiles

En outre, j’observe, tout comme l’a fait notre collègue M. Philippe Marini dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2009, que ces réserves faisaient suite au constat dressé dès 2006 par le Centre d’analyse stratégique, le CAS. Ce dernier, saisi à l’époque par le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, M. Gilles Carrez, constatait que « les marges de manœuvre pour amplifier la politique d’allègement du coût du travail sur les bas salaires [avaient] atteint leurs limites dans la mesure où les cotisations patronales de sécurité sociale au niveau du SMIC avaient presque totalement disparu ».

Ces analyses, nous les partagions à l’époque. Nous les avions portées durant les débats. Depuis, non seulement leur justesse reste de mise, mais elles paraissent d’autant plus pertinentes que les termes du marché de l’emploi se sont considérablement dégradés. La déflagration financière, puis économique et sociale, a mis en exergue l’importance que revêtait une politique dynamique capable à la fois de promouvoir et de créer de l’emploi.

Je formulerai trois observations sur le plan économique.

Ma première observation concerne le contexte économique. Si, en août 2007, celui-ci connaissait une croissance qu’alimentait le capitalisme financier carburant à plein régime, il en va tout autrement depuis plusieurs mois. D’une part, le chômage explose : il connaît une hausse sans précédent depuis 1991. En mars dernier, 64 000 demandeurs d’emploi sont venus grossir les rangs des chômeurs. Ce chiffre, le Gouvernement le présente comme « non catastrophique » … Or, sur les trois derniers mois, le rythme de croissance annuelle du chômage atteint presque un million de personnes. Les demandeurs d’emploi sont au nombre de 2,270 millions. D’autre part, des entreprises ferment à cause de la crise, alors que d’autres en profitent.

Cette crise présente de nouvelles caractéristiques, qui influent sur la structuration du marché de l’emploi. Il en va ainsi de l’emploi précaire, qui a constitué depuis une décennie la principale forme de création d’emplois. Or, à la différence de la dernière récession, l’emploi précaire se trouve désormais en très grande difficulté. Ces femmes et ces hommes sont devenus la variable d’ajustement des entreprises. Ce sont donc eux qui encaissent toute la flexibilité.

Ma deuxième observation est tirée des chiffres de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS. Ceux du quatrième trimestre de 2008 démontrent que, malgré la crise, le volume d’heures supplémentaires a fort bien résisté. Ainsi, sur cette période, 39,3 % des entreprises ont déclaré des heures supplémentaires, contre 41,1 % au troisième trimestre de 2008.

Il est donc établi que les employeurs n’utilisent pas ces heures pour répondre à une demande conjoncturelle. Cet aspect fondamental est corroboré par la note de méthode de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, d’avril 2009, qui observe que « l’entrée en vigueur, à partir du quatrième trimestre 2007, des mesures sur les heures supplémentaires de la loi TEPA [...] a vraisemblablement réduit ce biais de sous-déclaration à l’enquête : les allègements de cotisations qui y sont liés amènent désormais les entreprises à recenser avec plus de précision ces heures supplémentaires. [...] Dans les entreprises à 35 heures, le nombre moyen d’heures supplémentaires déclarées s’établit à 5,5 heures au troisième trimestre 2008, contre 4,1 heures au troisième trimestre 2007, soit une progression de 34,1  % sur un an. » Dès lors, comment ne pas penser que la défiscalisation des heures supplémentaires s’est, au moins en partie, soldée par le blanchiment d’un travail jusqu’alors dissimulé ?

Sur le dernier trimestre de 2008, ce volume d’heures représentait 90 000 équivalents temps plein. Sur l’ensemble de l’année, il s’agit de 750 millions d’heures. Nous percevons donc bien le lien qui affecte défiscalisation des heures supplémentaires et marché de l’emploi.

Dans un contexte où l’activité est en recul, comme le synthétise parfaitement l’économiste Éric Heyer, « la loi TEPA vient juste rajouter du chômage au chômage. Il déclare également : « Inciter les entreprises à faire des heures supplémentaires alors qu’il n’y a plus d’activité est nuisible à l’emploi ». Cette analyse est partagée par l’ensemble des organisations syndicales, qui observent que la création d’un emploi est devenue plus onéreuse que l’utilisation des heures supplémentaires défiscalisées.

Ajoutons que cette mesure freinera « mécaniquement » la création d’emplois lorsque le temps de la reprise économique sera venu. Bref, si ce dispositif fiscal peut à la limite se concevoir dans une situation de plein-emploi, il en va tout autrement aujourd’hui. Le Gouvernement devrait tenir compte de ce changement de donne.

Enfin, troisième observation, si l’objectif avoué de ce dispositif était de redonner du pouvoir d’achat, la réalité économique démontre que cela est bien relatif. Alors que Mme la ministre de l’économie nous indiquait que la défiscalisation devait générer un gain par salarié de 2 500 euros par an, la version plus réaliste fait apparaître, dans les situations les plus favorables, un gain moyen mensuel de 65 euros, soit 780 euros par an.

Au regard de ces éléments, il serait intéressant que le Gouvernement mette en application le pragmatisme dont il ne cesse de se targuer. À défaut, c’est l’emploi qui en souffrira encore, nos concitoyens et leurs familles qui en seront victimes, et je pense tout particulièrement aux plus fragiles.

Je vais maintenant aborder la question du coût de ce dispositif. Cette analyse prendra en compte l’impact à la fois sur la sécurité sociale et sur le budget de l’État.

Entrées en vigueur le 1er octobre 2007, les exonérations de cotisations sociales ont connu une montée en charge durant toute l’année 2008. Pour cette période, l’ACOSS indique que le coût de la défiscalisation a été de 2,791 milliards d’euros pour un volume de 725 millions d’heures supplémentaires. Il devrait être de 3,1 milliards d’euros en 2009, alors que le déficit des comptes de la sécurité sociale franchira la barre des 18 milliards d’euros, voire des 20 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année 2009.

Mme Nicole Bricq. J’en fais le pari !

Mme Christiane Demontès. Même si la Cour des comptes a appelé « à revenir sur le maquis des multiples exonérations, abattements, déductions et réductions aux finalités diverses, qui créent de fortes inégalités et constituent une perte de ressources publiques, alors que leur intérêt économique n’est pas ou plus démontré » et a estimé « indispensable de rechercher toutes les solutions permettant d’augmenter les recettes », le Gouvernement fait le contraire, quitte à réformer demain une nouvelle fois la sécurité sociale en défaveur des assurés sociaux.

J’en viens maintenant à l’impact de ce dispositif sur le budget de l’État, lequel, rappelons-le, se trouve dans une situation préoccupante. Il suffit de considérer que le déficit public atteint 3,4 % du PIB en 2008 – et sans doute près de 6 % fin 2009 – et que la dette publique s’élève à environ 70 % du PIB pour se rendre compte de la très forte dégradation.

Or l’allègement de charges lié à cette défiscalisation pèsera 1,5 milliard d’euros, auquel il convient d’ajouter le milliard d’euros de moins-value d’impôt sur le revenu directement issu de l’application de l’article 1er de la loi TEPA. In fine, l’ensemble de ce dispositif coûte plus de 4 milliards d’euros par an aux finances publiques, soit trois fois plus que le financement par l’État des mesures sociales annoncées le 18 février dernier par le Président de la République.

Comment ne pas mettre en parallèle ces chiffres alors que, dans le même temps, il est avéré que nous ne savons pas comment financer le revenu de solidarité active, le RSA, autre mesure phare de la politique gouvernementale ?

Pour conclure mon propos, je voudrais pointer les tendances lourdes que ces dispositions fiscales renforcent, voire mettent en œuvre. Du point de vue des salariés, nous l’avons vu, ces mesures ne concernent que 5,5 millions d’entre eux et ne créent pas d’emplois.

Un autre aspect négatif tient au fait que, dans un lien contractuel de subordination tel que celui qui lie l’employeur à l’employé, la liberté de travailler plus, si chère aux libéraux et au Président de la République, n’est que bien relative. Dans les faits, le salarié peut se voir proposer par l’employeur la transformation en heures supplémentaires nominales d’augmentations annuelles de salaires ou bien de tout ou partie des primes sur résultats. Or, quand les entreprises connaissent des difficultés de trésorerie, comme c’est souvent le cas actuellement, une telle possibilité peut être fort attrayante.

Enfin, alors que les deux lois de réduction négociée du temps de travail avaient placé la négociation collective au sein du processus, le recours aux heures supplémentaires en prend le contrepied. En lieu et place, on assiste au développement des augmentations individualisées. Nous pouvons donc considérer que ces mesures fiscales participent de la mise en œuvre d’une stratégie visant à la disparition du contrat collectif de travail, vieille revendication du MEDEF et de la droite.

Comme nous l’avons vu, la défiscalisation des heures supplémentaires et l’exonération de cotisations sociales des revenus qui en sont tirés ne constituent certainement pas une politique en faveur de l’emploi. Bien au contraire, ce dispositif ajoute du chômage au chômage. Qui plus est, il met un peu plus en danger le financement de la sécurité sociale et le budget de l’État.

Or, dans un récent sondage, 63 % de nos concitoyens considèrent que la situation économique va se dégrader, contre 6 % seulement qui croient à une amélioration, et 77 % pensent que leurs revenus vont stagner ou baisser.

Par rapport à ces considérations et compte tenu des effets ravageurs de la crise sur l’emploi et sur les comptes de la nation, ma question est simple : monsieur le secrétaire d’État, au regard de ces attendus et de l’exaspération légitime qui affecte de plus en plus de salariés, mais aussi les chômeurs, pouvez-vous nous dire quel bilan vous dressez de votre politique et, surtout, si vous comptez la maintenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le secrétaire d’État, ma collègue Christiane Demontès vous a rappelé des chiffres que vous connaissez fort bien. Le chômage ne cesse d’augmenter depuis le retournement de l’été 2008 et, au train où vont les choses, il dépassera vraisemblablement 10 % ; il se maintiendra à un niveau élevé, reprise ou pas reprise, au moins jusqu’en 2011. En 2009, nous connaîtrons une croissance négative estimée, selon les économistes, à moins 2,5 %, moins 3,3 % voire moins 4 %. En tout état de cause, nous savons que l’explosion du chômage ne pourra pas être contenue. L’indicateur du marché du travail que constitue l’intérim est révélateur : il a chuté de 38 % au mois de mars, ce qui correspond à la suppression de 200 000 équivalents temps plein en un an.

Ces chiffres constituent le premier élément de la démonstration à laquelle je veux rapidement me livrer.

En 2007, la loi TEPA instaurait la défiscalisation des heures supplémentaires, mesure phare traduisant le slogan de la campagne présidentielle du candidat UMP : « travailler plus pour gagner plus ». Nous avions à l’époque dénoncé cette mesure et ma collègue a bien voulu rappeler les propos que j’avais tenus, au nom du groupe socialiste, face à Mme Lagarde.

Au début de l’année 2009, le Gouvernement a présenté un bilan du dispositif – il ne disposait pas encore des chiffres du quatrième trimestre – évaluant le volume des heures supplémentaires à 750 millions en 2008. En 2007, la crise des subprimes était pourtant déjà déclarée. Nous avions alerté le Gouvernement sur la nocivité du dispositif au moment de l’examen de la loi TEPA, mais, dans l’euphorie, celui-ci imaginait que la crise nous épargnerait, tel le nuage de Tchernobyl s’arrêtant à nos frontières ! Quoi qu’il en soit, en 2009, on disait encore dans les sphères gouvernementales que le dispositif devait atteindre son plein effet sur l’économie en 2010 ; je n’y reviens pas.

Au quatrième trimestre de l’année 2008, les heures supplémentaires continuaient de croître de 28 %, alors que l’activité économique avait baissé de 1,2 %. Nous pouvons assez aisément déduire de ce paradoxe que ces heures supplémentaires correspondent non pas à un surplus d’activité, mais au remplacement de salariés, qu’il s’agisse de démissions, de départs à la retraite, de fin de contrat à durée déterminée, voire, dans le pire des cas, de licenciements. Quoi qu’il en soit, l’arbitrage a eu lieu au détriment de l’emploi ; vous aurez du mal à nous démontrer le contraire !

Les heures supplémentaires déclarées au dernier trimestre de l’année 2008 correspondent à 90 000 équivalents temps pleins, que l’on peut assez facilement mettre en corrélation avec les 115 000 pertes d’emplois enregistrées dans le secteur privé.

La démonstration se poursuit avec le coût de ce dispositif pour les finances publiques, estimé par le Gouvernement, au début de l’année 2009, à 4,4 milliards d’euros en régime de croisière.

La loi de finances initiale pour 2009 prévoyait 3,1 milliards d’euros d’exonérations sociales compensées par le budget de l’État et 900 millions d’euros d’exonérations fiscales, soit 4 milliards d’euros. L’exécution de la loi de finances pour 2008 comptabilise 230 millions d’euros d’exonérations fiscales et 3,070 milliards d’euros d’exonérations sociales, c’est-à-dire 3,3 milliards d’euros.

En tout état de cause, le dispositif est extrêmement onéreux pour les finances publiques. Qui plus est, il a un effet inflationniste sur le nombre d’heures déclarées, qui ne correspond pas forcément à une augmentation de la durée du travail. L’administration fiscale n’a aucun moyen de contrôler ce dispositif, comme nous l’avions souligné au moment de l’examen de la loi TEPA : il peut faire l’objet d’un accord entre l’employeur et le salarié, en particulier dans les très petites entreprises.

Les économistes Cahuc et Zylberberg rapprochent ce mécanisme pervers de l’impôt sur les portes et les fenêtres, provoquant à l’époque la suppression de celles-ci, et qui fit dire à Victor Hugo dans Les Misérables : « Dieu donne l’air aux hommes, la loi le leur vend » ! On assiste aujourd’hui à un phénomène analogue avec la détaxation des heures supplémentaires.

Monsieur le secrétaire d’État, force est de constater que le dispositif de la loi TEPA est contreproductif pour l’emploi, surtout en période de crise, et onéreux pour les finances publiques. Est-il raisonnable de faire payer le contribuable pour supprimer des emplois ? La réponse est non ! J’interpelle à cet égard mes collègues de la majorité, qui sont attachés à nos finances et à l’emploi.

Quant au gain de pouvoir d’achat pour les bénéficiaires des heures supplémentaires, il est bien moindre que ce que prétend dans son rapport le Gouvernement. Le Président de la République avait dit qu’il s’agissait d’une réussite exceptionnelle. Or ce gain se limite, si les chiffres de nos collègues députés sont justes, à 700 euros par an ; Mme Demontès a par ailleurs démontré que les personnes exclues du dispositif étaient nombreuses.

Ce dispositif fonctionne au détriment de ceux qui ont précisément perdu leur emploi à cause des heures supplémentaires. Nous retrouvons là une vieille habitude consistant à diviser les salariés et à faire en sorte que les uns soient finalement traités différemment des autres. Je reconnais bien là un procédé assez caractéristique des gouvernements de droite. Ce n’est pas raisonnable ; il y a mieux à faire !

La gymnastique fiscale à laquelle le Gouvernement s’est livré pour financer le revenu de solidarité active et trouver un milliard d’euros laisse tout de même rêveur !

Monsieur le secrétaire d’État, vous qui êtes attaché à la lutte contre le chômage des jeunes, dont les dernières statistiques nous montrent qu’ils sont les plus pénalisés, vous ne savez pas encore, à l’heure où nous parlons, comment financer le montant de 1,3 milliard d’euros annoncé tout récemment. Le Gouvernement ne sait pas non plus comment financer les plus de 2 milliards d’euros que coûtera la baisse de la TVA pour les restaurateurs, et nous ignorons quels engagements la profession prendra en contrepartie en termes d’emploi.

Tout cela est déraisonnable ! Il faut renoncer à cette disposition. Il n’y a pas de honte, dans la période de crise profonde et durable que nous traversons, à reconnaître qu’il s’agit d’une erreur. Pour l’emploi, pour nos finances publiques, abandonnons cette mesure : c’est la voix de la raison ! À défaut, vous commettrez une faute ; ce sera non plus une erreur d’appréciation, mais une faute politique, dont vous serez comptable.

En attendant, j’invite ceux de mes collègues qui ne l’auraient pas encore fait à signer la pétition du mensuel Alternatives économiques, qui a beaucoup travaillé sur cette question et qui appelle tous ceux qui trouvent cette mesure déraisonnable à en demander la suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le secrétaire d’État, alors que, face à la crise qui s’installe, on aurait pu légitimement s’attendre à un changement de cap dans la politique économique et sociale du Gouvernement, vous persistez dans la même voie.

Pourtant, que constatons-nous aujourd’hui au vu du bilan de la défiscalisation des heures supplémentaires, issue de la loi TEPA ? Que votre politique est néfaste, tant pour l’emploi que pour nos comptes sociaux ! Nous n’avions pourtant pas manqué de vous faire part de nos grandes craintes à ce sujet lors du vote de ce texte.

L’estimation de 2007 de la DARES, antérieure au vote de la TEPA, fait état d’une utilisation de 730 millions d’heures supplémentaires par 5,5 millions de salariés, ce qui veut dire que si les entreprises ont besoin de recourir aux heures supplémentaires elles le font. Nul besoin d’une loi pour les y inciter !

Les chiffres de la DARES de 2008, postérieurs au vote de la loi TEPA, montrent une augmentation du recours aux heures supplémentaires, à imputer, en partie, au fait que les entreprises se sont mises à « recenser avec plus de précision les heures supplémentaires » à partir du moment où celles-ci se sont accompagnées d’allégements de cotisations sociales.

Toutefois, au quatrième trimestre 2008, en pleine récession économique, les entreprises ont fait effectuer par leurs salariés 184 millions d’heures supplémentaires, soit 40 millions de plus qu’au quatrième trimestre de 2007. Christiane Demontès a longuement évoqué ces chiffres dans son intervention ; je partage le sentiment qu’elle a exprimé à ce propos.

Selon certains économistes, ce chiffre correspond à 90 000 emplois à temps plein, alors même que, pour la même période, l’INSEE annonce un taux de chômage atteignant 7,8 % de la population active, soit 149 000 chômeurs supplémentaires. La barre des trois millions de chômeurs pourrait être franchie d’ici à la fin de l’année.

Là encore, les faits sont plus éloquents que tous les discours : dans un contexte de récession économique, subventionner les heures supplémentaires revient à mettre en concurrence le temps de travail et l’emploi, au détriment de ce dernier. Autrement dit, le recours aux heures supplémentaires, alors que les carnets de commandes des entreprises sont au plus bas, a servi non pas à faire face à un surplus d’activité, mais à remplacer les salariés remerciés, à savoir les salariés précaires dont les contrats n’ont pas été renouvelés par les entreprises qui, en agents rationnels, préfèrent bénéficier d’exonérations d’heures supplémentaires plutôt que de recourir aux contrats d’intérim ou aux CDD.

En outre, les dispositions de la loi TEPA ont permis aux employeurs de continuer à tirer vers le bas la rémunération réelle des salariés : le salaire moyen de base, c'est-à-dire hors heures supplémentaires, primes et gratifications, a décéléré au deuxième trimestre 2008, enregistrant une croissance de 0,9 %, après 1,1% au trimestre précédent. Les prix, eux, ont continué d’augmenter, progressant de 1,3 % au cours de ce même deuxième trimestre et faisant ainsi s’effondrer le pouvoir d’achat du salaire moyen de base.

Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, la flexibilité du travail à outrance, initiée par vos politiques, n’a fait qu’aggraver la situation, et personne ne croit plus au credo libéral « travailler plus pour gagner plus » ! Aujourd’hui, la préoccupation majeure de millions de nos concitoyens est de conserver leur emploi pour continuer à travailler !

Pour ces millions de femmes et d’hommes privés d’emploi, pour leur famille, la loi TEPA, tout comme le bouclier fiscal, est une véritable offense, indigne de notre République.

Je vous le rappelle, monsieur le secrétaire d’État, l’utilisation des heures supplémentaires au dernier trimestre de l’année 2008 équivaut à 90 000 emplois à temps plein. C’est la raison qui m’a fait dire en introduction que votre politique est nuisible pour l’emploi. Elle est également nuisible pour les comptes de l’État, et je m’en explique.

D’après le dernier rapport de la Cour des comptes, le coût total de l’ensemble des dispositifs d’exonération est estimé, pour 2008, à 32,3 milliards d’euros, dont plus de 4 milliards au titre des exonérations sur les heures supplémentaires. Cela a de quoi inquiéter le service public de la santé, qui se voit une nouvelle fois fragilisé, d’autant que cette somme aurait pu alimenter un plan de relance ambitieux.

Il n’est donc pas surprenant que la Cour des comptes recommande de revenir sur ces exonérations, dont l’intérêt économique n’est pas avéré. Nous en discuterons prochainement puisque, conformément à l’article 189 de la loi de finances pour 2009, le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport à ce sujet avant le 15 juin 2009.

Les effets pervers de la loi TEPA n’ont cependant pas attendu votre rapport, puisque celle-ci a déjà contribué à l’accroissement du déficit de la protection sociale, directement par la baisse des cotisations versées, mais aussi indirectement, et de façon massive, par les diminutions d’emplois et la pression exercée sur la masse salariale nationale.

Voilà où nous a conduits aujourd’hui votre politique ! Tels sont les faits et rien que les faits, dénués de toute idéologie.

La vérité, dit-on, naît du choc des opinions. Monsieur le secrétaire d’État, j’espère, pour l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens qui souffrent, que vous nous entendrez et que votre gouvernement prendra ses responsabilités en supprimant les dispositions de la loi TEPA.

Aujourd’hui, ce dont notre pays a besoin, c’est d’une politique de relance ambitieuse, axée non pas sur la réduction du coût du travail, mais sur la demande, agissant sur le niveau des salaires, des minima sociaux, des allocations-chômage et des pensions de retraite. Il s’agit aussi de relancer l’investissement en révisant la gouvernance des entreprises, notamment en ce qui concerne le versement des dividendes, qui restent toujours élevés, y compris en période de crise, au détriment des salariés et de l’investissement, comme c’est le cas pour l’entreprise Caterpillar !

Je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, d’intervenir – pourquoi pas avec Mme Lagarde ! – auprès de la direction de cette société afin qu’elle accède à la demande préalable des élus du comité d’entreprise, pour que les négociations démarrent enfin et que, ensemble, les acteurs sociaux aboutissent à un véritable plan social de sauvegarde de l’entreprise.

La gravité de la crise requiert un changement de cap ! Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008, en convient lui aussi et en appelle, pour son pays, à la mise en œuvre d’un plan de relance d’au moins 4 % de son produit intérieur brut et à l’augmentation des indemnités chômage.

Monsieur le secrétaire d’État, l’heure est non plus à la rigueur, mais bel et bien à la relance ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)