M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Nous assumons ce choix, qui n’est pas celui, par exemple, de Dominique Méda, sociologue très proche de Ségolène Royal, dont le credo est que le travail est une valeur en voie de disparition.

Mme Christiane Demontès. Nous n’avons pas dit cela !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Au contraire, notre conviction est que le travail est la valeur fondamentale sur laquelle doit être assise toute politique de l’emploi. Même en temps de crise, nous ne devons pas renoncer à tenir ce cap : il s’agit là d’une exigence d’efficacité économique et de solidarité à l’égard des salariés modestes de notre pays. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. En application de la décision de la conférence des présidents, la parole est à Mme Christiane Demontès, auteur de la question, qui dispose de cinq minutes pour répondre au Gouvernement.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie d’avoir apporté des réponses à nos interrogations, même si, manifestement, nous ne partageons pas les mêmes analyses ni les mêmes projets politiques !

Vous avez affirmé que les heures supplémentaires ont profité aux salariés modestes. Permettez-nous d’en douter ! Il y aurait une autre mesure, toute simple, à prendre pour accroître le pouvoir d'achat des salariés : augmenter les salaires, en particulier le SMIC !

Mme Annie David. Absolument !

Mme Christiane Demontès. Vous vous félicitez de ce que la défiscalisation et l'exonération de cotisations sociales des heures supplémentaires aient permis le « blanchiment » du travail dissimulé : c’est tout de même un comble qu’il ait fallu en passer par là pour obtenir ce résultat !

Mme Christiane Demontès. Je vous rappelle que, au sein des directions départementales et régionales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, des agents sont chargés de faire respecter les règles en la matière : on les appelle les inspecteurs du travail !

Par conséquent, monsieur le secrétaire d'État, si tel est le seul bilan de l’application du dispositif, c’est tout de même très inquiétant !

En tout état de cause, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles : il convient, à mon sens, de revenir, fût-ce de façon temporaire, sur les dispositifs qui ont été mis en place. Des personnalités de votre propre camp, en particulier d’anciens premiers ministres, estiment que la période de crise actuelle devrait vous inciter à lâcher du lest sur le bouclier fiscal et sur les déductions fiscales. Ce n’est pas nous qui le disons !

Suspendre l’application de toutes ces mesures ne vous attirera pas les foudres de nos concitoyens. Ceux-ci comprendront, j’en suis sûre, que vous abandonniez la vieille grille de lecture libérale pour mettre en œuvre une politique favorisant réellement l’emploi et le pouvoir d'achat. Ils vous seront certainement reconnaissants d’instaurer une politique permettant de stabiliser, voire d’augmenter, les ressources tant de notre système de protection sociale que de l’État.

En effet, c’est aussi au travers du bon fonctionnement de nos institutions et de la mise en jeu de leurs capacités redistributives, conformément aux principes de justice économique, que se construit le quotidien de nos concitoyens. Le devenir de notre contrat social dépend de votre politique et de la suspension des dispositions de la loi TEPA.

Madame la présidente, le contrôle étant, après le vote de la loi, la deuxième grande fonction du Sénat, j’ai l’honneur de vous demander, au nom du groupe socialiste, de vous faire notre porte-parole pour solliciter de la conférence des présidents la mise en place rapide d’un groupe de travail chargé de dresser le bilan de cette politique de défiscalisation des heures supplémentaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

8

Engagement de la procédure accélérée sur un projet de loi

Mme la présidente. Le Gouvernement a informé M. le président du Sénat qu’il avait engagé, en application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, la procédure accélérée sur le projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, déposé ce jour sur le bureau de l’Assemblée nationale.

9

Débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine.

La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, au nom du groupe du RDSE, auteur de la demande d’inscription à l’ordre du jour. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a souhaité inscrire ce débat à l’ordre du jour, c’est parce qu’il estime que, conformément à la tradition d’humanisme radical qu’il incarne au sein de la Haute Assemblée, il a le devoir d’attirer l’attention sur l’un des drames humains qui se jouent sur notre sol.

Oui, il s’agit bien pour lui d’un devoir, d’une obligation, au pays des droits de l’homme, de ne pas fermer les yeux sur la situation inacceptable, intolérable, faite à des milliers d’hommes et de femmes dont nos lois et nos règlements nient aujourd’hui le droit d’être, tout simplement. N’avons-nous pas tous ici, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, l’ardente obligation de chercher la voie la meilleure pour répondre avec le plus d’efficacité et d’équité, toujours dans le respect absolu de la personne humaine, à ce grand défi de notre temps que représentent les migrations des populations ?

Monsieur le ministre, loin de moi la volonté de rouvrir le débat, vieux comme le monde, sur l’intérêt, les bénéfices ou les drames de l’émigration et de l’immigration ; loin de moi aussi l’idée de restreindre cette question à sa seule dimension compassionnelle, comme les derniers événements nous y invitent pourtant.

Comme beaucoup d’entre nous ici, vous avez sans doute vu le film Welcome, sorti récemment. Peut-on manquer d’être ébranlé dans sa conscience par cette œuvre ? Même si je sais qu’une œuvre de fiction ne saurait se substituer à la réalité d’une situation sociale, économique et politique, je n’en mesure pas moins la portée symbolique de ce film. Raison d’État ou pas, on ne peut pas faire, en effet, comme si l’opinion publique et sa sensibilité comptaient pour rien dans un débat qui concerne l’ensemble des citoyens.

Vous-même, monsieur le ministre, avez été « interpellé » – comme l’on dit dans le jargon contemporain –, lorsque vous vous êtes rendu à Calais, par cette « jungle » où se côtoient les rêves les plus fous d’une vie meilleure, la misère, la désespérance, le troc odieux de la vie et de la mort contre de l’argent économisé, gagné on ne sait où ni comment, avec, au milieu de tout cela, un peu de chaleur humaine, des sourires, des mots de réconfort, des gestes d’hommes, tout simplement, dans un univers devenu celui des bêtes sauvages.

Avant d’en venir au problème spécifique de l’immigration clandestine sur notre territoire national, je voudrais, dans un souci d’impartialité, rappeler très rapidement les démarches mises en œuvre pour améliorer l’accueil des étrangers en France et rationaliser les procédures d’un droit dont la complexité n’est plus à démontrer.

La confusion et la lenteur administrative qui naissaient de la multiplicité des intervenants institutionnels se sont trouvées réduites avec la fusion, sous l’égide du seul ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, de l’ensemble des politiques publiques relatives à l’immigration.

Sans revenir sur le lourd débat qui a entouré la dénomination même de ce ministère, on ne peut que souligner une volonté de mise en cohérence et de clarification des compétences, ainsi que le souci d’une meilleure gestion des dossiers, lesquels recèlent, derrière des numéros d’ordre, toute la « légende personnelle », pour reprendre les mots de Paulo Coelho, des milliers d’étrangers qui entrent en France chaque année.

Des efforts incontestables, même s’ils demeurent insuffisants, ont été faits pour améliorer le premier accueil, en préfecture, des étrangers en quête du précieux document qui leur permettra de rester et, parfois, de travailler en France. Finis, ces longues files d’attente, dès 5 heures du matin, ou ces « dortoirs » improvisés dans des cartons d’emballage, en attendant que s’ouvrent les portes des services dits « des étrangers ».

Tout cela ne saurait cependant faire oublier la grande instabilité du droit des étrangers, qui, depuis 1976 et l’ouverture du droit au regroupement familial, fondé sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, fluctue entre politiques restrictives et politiques plus accommodantes.

Tout montre aujourd’hui que ni les mesures de régularisation massive ni les mesures répressives ne viennent à bout d’un phénomène qui a pris des dimensions nouvelles avec l’ouverture des frontières telle que définie par la convention de Schengen en 1990.

Faute d’une politique européenne volontariste et coordonnée, faute d’une stratégie réaliste, le slogan « passer d’une immigration subie à une immigration choisie » reste lettre morte. J’en veux pour preuve l’augmentation incessante du nombre des entrées en France, passé de 97 000 en 2000 à 134 800 en 2005, en dépit de la mise en place, depuis 2002, d’outils législatifs visant à tarir le flux et à complexifier les politiques d’accueil. La suspicion est devenue le premier instrument de l’examen d’une demande de séjour sur notre territoire : le cortège des attestations, des certificats de toutes sortes ne cesse de s’allonger, les délais de convocation s’étirent, les vérifications se multiplient, les contentieux se généralisent, au seul bénéfice – si l’on peut dire ! – des tribunaux et des avocats spécialisés dans le droit des étrangers.

Dans ces conditions, comment, monsieur le ministre, ne pas reconnaître l’urgente nécessité de simplifier ce droit des étrangers, de le rendre plus lisible, plus compréhensible pour des populations qui sont, qu’on le veuille ou non, fragilisées ? Comment réduire le nombre et la durée des procédures ? Comment éviter les recours devant les tribunaux de l’ordre administratif ou judiciaire ? N’est-il pas, enfin, possible de garantir le respect du principe de souveraineté de l’État sans affaiblir le droit au séjour sur notre territoire ?

Cette problématique est aujourd’hui essentielle, car il est terrible de devoir constater que la politique migratoire actuellement menée est contre-productive. À titre d’illustration, comment ne pas relever que l’excessive complexification des procédures d’accueil semble détourner les élites, africaines notamment, de la France vers d’autres pays européens ou vers l’Amérique, alors que le principe de l’immigration choisie était fondé sur la volonté de réduire les flux des migrants économiquement défavorisés au profit de populations qualifiées ?

Il est impossible, dans ces conditions, de se satisfaire d’une politique au coup par coup, qui aboutit à recruter ici des infirmières espagnoles parce que tel hôpital est en difficulté, et là des médecins étrangers qui accepteront, pour la même responsabilité, une rémunération inférieure à celle de leurs confrères français.

Il n’y a rien d’étonnant, non plus, à ce que la noria de l’immigration clandestine ne cesse pas. Par définition, le nombre de clandestins n’est pas connu, mais il est régulièrement évalué à quelque 400 000.

Il s’agit de personnes qui, délibérément, ont contrevenu à la réglementation pour rejoindre notre territoire sans y être autorisées, mais aussi de personnes qui, faute de contrôle, ne sont pas reparties dans leur pays d’origine au terme de la période de séjour autorisée, ou qui choisissent d’entrer dans la clandestinité, ne pouvant obtenir un titre de séjour, ou bien encore de ces déboutés du droit d’asile qui, après être restés sur notre territoire avec le statut de demandeur d’asile pendant parfois plusieurs années, ne peuvent se résoudre à partir. Les motivations sont multiples, mais toutes traduisent, d’une façon ou d’une autre, un drame personnel, familial, économique, social.

Je ne saurais être favorable à l’entrée illégale d’étrangers sur notre territoire, mais je ne saurais pas davantage l’être à des mesures qui contreviennent gravement au principe du respect dû à toute personne humaine.

Que constatons-nous depuis plusieurs mois, voire plusieurs années maintenant ?

Nous observons des défaillances ou des manquements dans la mise en œuvre de la politique de l’immigration, que j’ai déjà dénoncés, monsieur le ministre, auprès de votre prédécesseur : parents interpellés à la sortie de l’école, étrangers conduits en centre de rétention administrative sans que soient respectées les procédures y afférentes. Les exemples pourraient être multipliés et font d’ailleurs les beaux jours, si je puis dire, des tribunaux…

Nombre d’associations, aussi diverses qu’Emmaüs, France terre d’asile ou le Secours catholique, nous interpellent quotidiennement sur l’évolution de la situation des sans-papiers sur le territoire national. Le terme même de « sans-papiers » devrait d’ailleurs, selon moi, disparaître de notre langage, même usuel, tant il désigne le « non-être », ceux qui n’existent pas, dont on n’a pas à tenir compte !

Mais ces mêmes associations, aujourd’hui, nous alertent aussi sur les déboires que connaissent ceux qui viennent en aide à ces personnes, au motif que cette aide constituerait un « délit de solidarité ».

Certes, l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile punit de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France ». Une interprétation à la lettre, et non pas selon l’esprit, de cette disposition n’amènera-t-elle pas à mettre sur le même plan un passeur professionnel et une femme ou un homme qui, par instinct ou par compassion, au nom de sa morale individuelle ou d’une éthique collective, a offert une pomme à un enfant, mis à disposition une prise de courant pour recharger la batterie d’un téléphone portable ou donné un vêtement à celui qui avait froid ?

Mais cet article ne concerne pas seulement les simples particuliers que je viens de citer ; comme une épée de Damoclès, il menace aussi directement l’ensemble des membres du secteur associatif qui œuvrent au bénéfice des étrangers en situation irrégulière, puisque la définition d’une telle prise en charge correspond à l’obligation d’assistance à personne en danger, telle que posée par le second alinéa de l’article 223-6 du code pénal. Il existe donc une évidente incohérence entre ces deux dispositions, qui a conduit nombre de bénévoles d’associations humanitaires à être inquiétés par les services de police alors qu’ils portaient, justement, assistance à des personnes en péril.

Cette situation n’est pas acceptable dans un État de droit, et c’est pourquoi, avec plusieurs de mes collègues, je me suis ralliée à la proposition de loi que doivent déposer Yvon Collin et Michel Charasse, visant à interdire les poursuites au titre de l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers à l’encontre des personnes physiques ou morales qui mettent en œuvre, jusqu’à l’intervention de l’État, l’obligation d’assistance à personne en danger.

Sans remettre en aucune façon en cause les règles de l’entrée et du séjour des étrangers, cette précision législative, si elle était adoptée, donnerait la possibilité aux particuliers comme aux associations humanitaires agissant, cela va sans dire, sans but lucratif, d’aider les étrangers en situation irrégulière jusqu’à leur prise en charge par les services sociaux compétents de l’État, dont relèvent normalement les intéressés. Elle permettrait de ce fait, à tous ceux qui le voudraient, de sacrifier sans risque à ce qui fait la noblesse de l’homme : sa faculté d’aider gratuitement son semblable en difficulté, qu’il agisse au nom d’une religion, d’un idéal laïque ou de toute autre motivation, sans avoir à la justifier.

Sur ce point encore, monsieur le ministre, je m’étonne que le « devoir d’ingérence » invoqué par votre collègue le ministre des affaires étrangères s’agissant de problèmes humanitaires survenant au-delà de nos frontières ne s’impose pas à nous à l’intérieur de celles-ci. La problématique n’est pas la même, me direz-vous ; pourtant, ne s’agit-il pas toujours du droit au respect, sous toutes ses formes, pour tout individu ?

Au moment où, d’ailleurs, l’on s’interroge sur l’intérêt d’inscrire dans la Constitution le droit au respect de la vie privée, je suis moi-même très dubitative sur la délicate question des statistiques ethniques. Faut-il rendre licites des enquêtes fondées sur l’autodéclaration, le volontariat et l’anonymat des personnes interrogées, mais dont il n’est pas difficile d’envisager les dérives ? De telles enquêtes, par leur aspect communautaire ou ethno-racial, ne sont nullement compatibles avec les valeurs d’une République fraternelle, une et indivisible. Cette conviction, que partage avec quelques autres personnalités Louis Schweitzer, président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, ne peut que nous inciter à la plus grande vigilance quant aux projets du Comité pour la mesure et l’évaluation de la diversité et des discriminations.

Sur ce sujet comme sur celui des très controversés tests génétiques, projet dont on ne sait toujours pas si vous allez ou non le reprendre à votre compte, les membres de mon groupe et moi-même affirmerons notre profond désaccord. Adopter de telles mesures serait renier les principes et l’esprit mêmes de notre République. Ce serait aussi faire resurgir des pratiques que l’on croyait à jamais condamnées et que nous avons entendu évoquer ici par d’anciens résistants ou par des descendants de résistants.

Je tiens à le redire avec force, monsieur le ministre : je ne suis pas favorable à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers, je ne suis pas favorable à des régularisations massives, mais je ne suis pas non plus favorable à des mesures extrêmes fondées sur les quotas, les chiffres, les statistiques.

N’est-il pas temps de reconnaître que la fermeture du centre de Sangatte n’a fait que déplacer le problème vers la région parisienne, la Normandie et la Bretagne, avant qu’il ne se concentre de nouveau à Calais ? N’est-il pas temps d’évaluer réellement les modes de fonctionnement des centres de rétention administrative, dont certains sont indignes de notre pays ? N’est-il pas temps de mesurer l’efficacité des procédures de délivrance de visas et de titres de séjour, de reconduite aux frontières, d’aide au retour ? En un mot, ne faut-il pas enfin ouvrir – la formule est belle alors que nous allons bientôt examiner le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires ! – « l’oreille du cœur » ?

Je veux croire, monsieur le ministre, que vous saurez être sensible à la demande formulée par notre groupe et au-delà, je l’espère, par nombre des membres de cette assemblée, qui n’ont d’autre ambition que de donner à l’homme toute sa place dans un pays, la France, qu’ils veulent en tous points exemplaire. Nous savons que le traitement de la question de l’immigration impose le respect absolu de la personne humaine, que ce soit sur le plan de la loi ou sur celui du comportement de la police et de la justice. Si nous transigions sur ce point, je dirai pour paraphraser Churchill, qui affirmait que si les Britanniques préféraient le déshonneur à la guerre, ils auraient le déshonneur et la guerre, que nous risquerions d’avoir à la fois le déshonneur et l’immigration clandestine. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment juger une politique de lutte contre l’immigration clandestine ? Selon moi, trois critères sont incontournables.

Il convient d’abord de poser la question des causes de l’immigration, qui est rarement heureuse. Il s’agit, le plus souvent, d’une immigration de la souffrance, parfois d’une immigration de l’espoir. Une telle question n’est guère populaire, et elle est ardue à résoudre. Pourtant, si nous voulons éviter l’immigration clandestine, plutôt que de construire une illusoire ligne Maginot, l’Europe, dans son ensemble, devra affronter les défis du partage des richesses, de la redistribution au profit des pays les plus pauvres, ou encore de l’éducation. Depuis plusieurs années, malheureusement, la majorité s’évertue à occulter ce point essentiel en opposant, selon la formule consacrée, immigration choisie et immigration subie.

Le deuxième critère, celui de la lutte contre les réseaux, notamment mafieux, implique également l’Union européenne. Ce combat exige une sévérité accrue contre les trafiquants en tous genres, dans les pays d’origine comme en France. Monsieur le ministre, je ne crois pas que votre proposition de délivrer un titre de séjour provisoire aux clandestins qui dénonceraient leur passeur soit pertinente. Vous allez donner au migrant concerné un sauf-conduit valable sur notre territoire, mais comment allez-vous assurer la sécurité de sa famille restée dans le pays d’origine, qui ne manquera pas d’être l’objet de représailles ? La question reste ouverte. Surtout, ce « marchandage » de titres de séjour ne peut nullement constituer la base d’une politique d’envergure contre les trafics.

J’en viens au troisième critère, le plus intéressant à mes yeux : une politique de lutte contre l’immigration clandestine doit respecter les droits fondamentaux des individus.

Les droits de l’homme devraient être au cœur d’une politique de lutte contre l’immigration clandestine, d’abord parce qu’ils interdisent de traiter la personne humaine comme une marchandise, ce qui rejoint la préoccupation précédemment exprimée, ensuite parce qu’ils nous obligent à une vigilance constante pour que les sans-papiers ne soient pas considérés comme des moins que rien, de simples parasites dont il faut se débarrasser sans trop y regarder : je suis entièrement d’accord, à cet égard, avec Mme Escoffier.

Au regard de ce dernier critère, quel est le bilan de la politique gouvernementale ? Constatons-le : notre pays traite l’immigré clandestin davantage comme un coupable, ce qu’il peut d’ailleurs parfois être au sens de nos lois pénales, que comme une victime.

C’est là le résultat de la « politique du chiffre » suivie par le Gouvernement. Comme s’il s’agissait de la rentabilité d’une entreprise, on affiche des objectifs annuels à atteindre : 26 000 reconduites à la frontière pour votre prédécesseur, 27 000 pour vous, monsieur le ministre ; ce chiffre, on peut l’imaginer, augmentera encore l’année prochaine.

Évidemment, une fois que l’on s’est fixé un tel objectif, il faut se donner les moyens de l’atteindre, le plus simple étant de faire la chasse aux sans-papiers. On a fermé le centre d’hébergement et d’accueil d’urgence humanitaire de Sangatte, situé à quelques kilomètres de Calais, où viennent s’échouer les Afghans ou les Kurdes en attente d’un départ pour l’Angleterre. La misère s’est alors déplacée de quelques kilomètres, vers la zone industrielle de Calais, et la fermeture annoncée de la « jungle » ne fera que la repousser encore un peu plus loin… Vous n’aurez, in fine, rien résolu !

Cette politique du chiffre n’est pas compatible avec l’exigence de respect de la dignité. Évoquant la situation française, Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, l’a souligné : « Le quantitatif prime parfois sur la nécessaire obligation de respecter les droits de l’individu. »

Logiquement, les « bavures » se multiplient dans les centres de rétention. La Commission nationale de déontologie de la sécurité, organisme indépendant, relève ainsi que « les manquements observés sont la conséquence d’un exercice routinier de ces missions, de l’insuffisance des contrôles hiérarchiques et juridictionnels, et de la fixation d’objectifs de reconduites effectives à la frontière qui sont sans rapport avec les moyens des services et conduisent à des traitements de masse, au mépris des hommes, de leurs droits fondamentaux et des règles de procédure ».

La lutte contre l’immigration clandestine se confond trop souvent avec un combat contre les immigrés. C’est la voie la plus facile, la plus médiatique, la plus simple à expliquer à l’opinion. C’est d’ailleurs la voie que vous aviez vous-même dénoncée, monsieur le ministre, dans un livre intitulé Les inquiétantes ruptures de M. Sarkozy : « Nicolas Sarkozy fabrique des sans-papiers, lui qui prétend lutter contre l’immigration clandestine. » Monsieur Besson, ne copiez pas M. Sarkozy ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos collègues du groupe du RDSE ont demandé un débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine, mais que faut-il entendre par « immigration clandestine » ?

L’immigration clandestine, illégale ou irrégulière, concerne les étrangers qui entrent sur le territoire national sans détenir les documents les y autorisant ou ceux qui demeurent en France une fois la validité desdits documents expirée.

Sont principalement concernés les habitants des pays pauvres, du Sud, qui cherchent un meilleur niveau de vie dans les pays riches, du Nord, ou encore des hommes et des femmes qui, à l’instar des Comoriens, veulent rejoindre un territoire – Mayotte – dont ils considèrent qu’il ne leur est pas étranger.

Toutefois, il faut savoir que, pour l’essentiel, l’immigration clandestine en France concerne les demandeurs d’asile déboutés du statut de réfugié, les personnes devenues sans-papiers à la suite du non-renouvellement de leur titre de séjour, essentiellement en raison du durcissement des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, les jeunes qui, alors qu’ils n’avaient pas besoin de papiers étant mineurs, se retrouvent en situation irrégulière à leur majorité.

Cela étant, n’oublions pas, au cours de ce débat, de souligner que la grande majorité des étrangers présents en France y sont entrés de façon tout à fait légale, leur situation n’étant devenue irrégulière qu’à la suite de l’expiration de la validité de leur titre de séjour, généralement après un refus de la préfecture de renouveler ce dernier. C’est surtout cela, la réalité de l’immigration clandestine contre laquelle le Gouvernement s’acharne !

En effet, la France, contrairement à ce que certains veulent faire croire à l’opinion, n’est plus, depuis au moins vingt-cinq ans, un pays d’immigration et n’est pas soumise à une « pression migratoire ». C’est, en effet, l’un des pays occidentaux où la proportion des migrants a connu la plus faible augmentation dans la période récente. Calais ne constitue souvent qu’une étape dans le parcours de migrants dont le but est non pas de s’installer en France, mais d’atteindre l’Angleterre.

Cela m’amène à dire que, dans notre pays, la politique de lutte contre l’immigration clandestine consiste essentiellement à traquer quotidiennement des personnes sans papiers installées souvent depuis plusieurs années sur notre territoire.

Pour atteindre les objectifs fixés par le Gouvernement en matière d’expulsions du territoire – 27 000 pour l’année 2009 –, une véritable chasse à l’homme est donc pratiquée, avec mise à contribution du personnel de certains services publics en contact avec des sans-papiers, phénomène récent qui tend malheureusement à se développer : de tels cas ont ainsi été signalés à La Poste, dans des caisses d’allocations familiales, des caisses primaires d’assurance maladie, des antennes de l’ANPE ou des ASSEDIC… Cette chasse à l’homme concerne, la plupart du temps, des parents d’enfants nés ou scolarisés en France, des conjoints de Français, des déboutés du droit d’asile, de jeunes majeurs.

Une pression s’exerce donc sur les personnes en situation irrégulière, qui sont susceptibles de se faire contrôler partout – dans les transports, les services publics – et vivent dans la peur. Elles sont traitées comme des délinquants, alors qu’elles n’ont souvent commis aucune atteinte ni aux personnes ni aux biens et sont avant tout des victimes, puisqu’elles n’ont aucun droit faute de papiers.

Les étrangers sans papiers sont donc à la merci des employeurs peu scrupuleux à la recherche d’une main-d’œuvre moins chère, ainsi que des marchands de sommeil. De nombreux cas, notamment dans mon département, la Seine-Saint-Denis, témoignent de la réalité de cette situation.

Les personnes qui, par humanité et de façon désintéressée, aident ces hommes, ces femmes et ces enfants ne sont pas mieux considérées. En effet, les réformes législatives successives qui ont renforcé tous les dispositifs de contrôle et de répression envers les étrangers n’ont pas épargné ceux qui, regroupés ou non en associations, viennent en aide aux étrangers en situation irrégulière.

L’un des symboles de cette tendance répressive est le tristement célèbre « délit de solidarité », qui ne concerne plus seulement les réseaux mafieux tirant parti de la détresse des migrants. En effet, de plus en plus de personnes ont pu se trouver menacées de poursuites pénales, arrêtées, placées en garde à vue, mises en examen, pour avoir aidé des étrangers en situation irrégulière.

À cet égard, monsieur le ministre, je regrette que vous vous obstiniez à mettre en doute la parole d’associations qui, dossiers à l’appui, vous démontrent que des personnes subissent vraiment des tracas judiciaires pour avoir aidé des sans-papiers. Vous n’êtes d’ailleurs pas sans savoir que, pour remédier à cette situation, nous avons déposé une proposition de loi visant à modifier l’article L. 622-1 du CESEDA, qui représente une véritable épée de Damoclès pour les nombreuses personnes agissant dans un dessein altruiste et, tout simplement, humain.

La lutte contre l’immigration clandestine semble ainsi résumer l’ensemble de la politique d’immigration menée tant en France qu’en Europe, entièrement axée sur la répression.

Je pense ici à la honteuse directive « retour », qui permet de placer en rétention des étrangers, y compris des mineurs, pour des durées pouvant aller jusqu’à dix-huit mois et de « bannir » les expulsés pendant cinq ans.

Je pense également au pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne et qui oscille entre instrumentalisation du codéveloppement et répression. Les Vingt-Sept se sont en effet prononcés en faveur d’une législation sur le renvoi des migrants, le renforcement des contrôles aux frontières, la sélection de travailleurs hautement qualifiés, les régularisations en fonction des exigences du marché du travail, l’interdiction des régularisations collectives…

Je pense enfin aux accords dits de gestion concertée sur les flux migratoires que le Gouvernement a fait signer à certains pays africains d’émigration et qui permettent à la France de faire pression sur ces derniers en exerçant une forme de chantage : le Gouvernement leur promet des possibilités de migrations légales – en vérité très limitées – et une aide au développement ; en contrepartie, ils doivent être les « gendarmes » de l’Europe, c’est-à-dire contrôler les flux migratoires à la source et faciliter les réadmissions des personnes expulsées par la France. Désormais, la France et l’Union européenne entendent empêcher les migrants non plus de pénétrer en Europe, mais de quitter leur pays d’origine. Par ailleurs, comment ne pas évoquer ici leur volonté de multiplier les camps de réfugiés à leurs portes, à l’image de ceux de Ceuta, de Melilla ou de Lampedusa ?

Ainsi, le Gouvernement dit vouloir lutter contre l’immigration clandestine, mais en même temps il a besoin de faire venir en France des étrangers triés sur le volet, conformément au concept de l’immigration choisie – choisie en fonction des besoins de l’économie et du patronat, selon le niveau de qualification des étrangers, qui doit être élevé pour intéresser la France : hommes d’affaires, sportifs de haut niveau, artistes, éligibles à la carte « talents et compétences » ou à la « carte bleue » européenne.

Comment peut-on parler, dans ces conditions, de développement solidaire, de codéveloppement, de coopération avec les pays du Sud, quand ceux du Nord, après avoir pillé leurs matières premières, veulent à présent piller leur matière grise ? En effet, cet intérêt pour les professionnels hautement qualifiés contribue à la « fuite des cerveaux » qui caractérise l’émigration du Sud vers le Nord. Cette fuite des cerveaux est totalement contraire aux intérêts des pays d’origine, qui subissent un manque de personnel, ainsi qu’une perte de revenu national au titre de l’impôt.

Pour conclure, j’insisterai sur le fait que la politique de lutte contre l’immigration clandestine menée par le Gouvernement est très coûteuse et inefficace, tout en étant dangereuse puisqu’elle s’attaque à des droits fondamentaux comme le respect de la vie privée, le droit à mener une vie familiale, le respect de la dignité, du droit d’asile et de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Soyons clairs : il ne s’agit pas, monsieur le ministre, de ne rien faire, mais, plutôt que de s’acharner à produire des textes qui n’ont aucun effet sur l’immigration clandestine, puisque celle-ci ne disparaît pas mais se transforme, le Gouvernement devrait enfin s’attaquer aux causes de cette immigration qui trouve toujours ses racines dans la pauvreté, la misère et l’injustice.

Enfin, je tiens à dire que votre politique est également dangereuse d’un point de vue idéologique, car elle est sous-tendue par une thématique populiste et démagogique que le Gouvernement aime à évoquer en période électorale ou en temps de crise ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)