dossier des actes de décès des déportés non rentrés des camps nazis

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, auteur de la question n° 548, adressée à M. le secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants.

M. Jean-Jacques Mirassou. J’entends, par cette question, attirer l’attention de M. le secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants sur le dossier des actes de décès des déportés non rentrés des camps nazis.

À ce jour, selon les chiffres émanant du secrétariat d’État, moins de la moitié des 115 500 personnes déportées de France, déportation dite « raciale » et déportation dite « de répression » confondues, ont fait l’objet d’un acte de décès rédigé selon les dispositions de la loi n° 85-528 du 15 mai 1985 et publié au Journal officiel.

Cela signifie que, du point de vue des lois et du code civil français, tous les déportés pour lesquels aucun acte de décès n’a été établi sont considérés comme étant toujours vivants au moment où je parle, soit soixante-cinq ans après leur disparition !

La loi n° 85-528 du 15 mai 1985 impose au ministre chargé des anciens combattants d’intervenir, soit d’office, soit à la demande d’un ayant cause du défunt, pour que soit apposée la mention « Mort en déportation » sur l’acte de décès des déportés non rentrés des camps nazis.

Sans ambiguïté aucune, la loi pose le fait suivant : « Lorsqu’il est établi qu’une personne a fait partie d’un convoi de déportation sans qu’aucune nouvelle ait été reçue d’elle postérieurement à la date du départ de ce convoi, son décès est présumé survenu le cinquième jour suivant cette date, au lieu de destination du convoi. ».

Dans un courrier envoyé en réponse à la lettre d’une requérante, dans le cadre d’un dossier de cette nature, votre cabinet, monsieur le secrétaire d’État, semble remettre en cause les principes de la loi du 15 mai 1985, dont je viens de citer le principal article.

En effet, dans cette réponse, il est précisé que « […] tous les déportés n’ont pas été exterminés lors de l’arrivée aux camps et la règle de fixation de la date du décès, soit cinq jours à partir du départ du convoi de référence, prévue par l’article 3 de la loi du 15 mai 1985, ne peut alors trouver à s’appliquer ».

Or, de toute évidence, c’est précisément pour estomper de telles incertitudes que la loi en question a institué un délai de cinq jours et fixé le lieu d’arrivée du convoi comme lieu de décès.

Dans un contexte où la politique mémorielle de la France souffre d’une dangereuse hésitation, posant du reste la question de son avenir, l’approche qui semble être celle de votre cabinet, monsieur le secrétaire d’État, ne peut que semer l’inquiétude et rendre pessimiste quant au règlement rapide du dossier des actes de décès des déportés non rentrés des camps nazis, étant précisé, une fois encore, que ces dossiers sont mis en lumière plus de soixante ans après les faits.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous propose donc de répondre à une question simple : est-il dans vos intentions de veiller au strict respect de la loi n° 85-528 du 15 mai 1985, de rendre justice aux requérants concernés par ce dossier et, ce faisant, de vous engager en faveur de la reconstruction d’une politique mémorielle enfin digne de ce nom ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. Monsieur le sénateur, il n’y a aucune hésitation mémorielle, bien au contraire. La politique mémorielle de la France n’a jamais été aussi engagée et le Président de la République, on le constate mois après mois, s’implique personnellement dans cette démarche.

S’agissant de la loi du 15 mai 1985, nous n’avons assurément pas pour volonté de ne pas l’appliquer. Notre souci est de surmonter des erreurs ou des difficultés d’interprétation de ce texte, qui est un bon texte, obstacles ayant freiné l’examen et la régularisation de ces dossiers.

Monsieur le sénateur, je partage votre point de vue : il est effectivement de notre devoir, non seulement de répondre à ces attentes des familles de déportés, mais aussi de le faire à un rythme accéléré. Vous avez cité les chiffres. Je les rappelle de mémoire : si 56 000 dossiers ont été réglés, le volume des dossiers encore pendants avoine le double de ce nombre. Plus de soixante ans après les faits, le travail reste à faire !

Justement, mon équipe, que vous avez citée à plusieurs reprises, a cherché à savoir d’où provenaient les difficultés.

Très précisément, Mme la garde des sceaux, saisie par notre secrétariat d’État, a transmis, le 29 octobre dernier, une circulaire à tous les parquets afin que ceux-ci appliquent uniformément la loi de 1985. Cette démarche va vraiment dans le sens de votre attente, et non dans le sens des critiques que vous avez formulées. Il s’agit bien de faire en sorte que la mention « Mort en déportation » puisse figurer sur les actes et jugements déclaratifs de décès.

Mais, pour pouvoir apposer cette mention, il est indispensable de détenir un dossier régularisé sur le plan de l’état civil et comportant toutes les pièces officielles nécessaires.

Concrètement, cette exigence se traduit par de nombreux courriers adressés aux mairies, notamment pour savoir s’il existe un jugement déclaratif de décès dont le service n’aurait pas forcément connaissance. Ces investigations sont parfois longues, par exemple dans les cas de recherche d’actes de naissance pour des étrangers d’Europe de l’Est, et, si toutes les pièces nécessaires à la constitution du dossier ne sont pas réunies, une instruction est nécessaire pour permettre l’apposition de la mention.

Néanmoins, pour la grande majorité de ces dossiers, les services de mon secrétariat d’État qui sont en charge de cette mission peuvent appliquer d’emblée les dispositions de la loi : « lorsqu’il est établi qu’une personne a fait partie d’un convoi de déportation sans qu’aucune nouvelle ait été reçue d’elle postérieurement à la date du départ de ce convoi, son décès est présumé survenu le cinquième jour suivant cette date, au lieu de destination du convoi ».

En définitive, s’agissant des convois et des convois seulement, il existe deux cas de figure. Si la personne a fait partie d’un convoi de déportation et si aucune nouvelle n’a été reçue d’elle postérieurement à la date du départ de ce convoi, son décès est présumé survenu le cinquième jour suivant cette date, en application de la loi. Si la personne a fait partie d’un convoi, mais a été vue dans le camp d’arrivée ou dans tout autre camp postérieurement au délai de cinq jours prévu par la loi, c’est au tribunal de grande instance de régulariser le décès. D’où l’intérêt de cette circulaire de clarification de Mme la garde des sceaux.

Le travail de l’administration ne se limite donc pas à appliquer uniformément la règle des cinq jours. Il s’attache également à rechercher des informations contenues dans des documents d’archives, ce qui peut soulever des difficultés quand les archives proviennent de certains pays.

Dans ce cas, évidemment, la compétence du tribunal de grande instance est totale et lui seul rend le jugement déclaratif de décès, d’où, encore une fois, l’importance de la circulaire précisant la lecture qui doit être faite de la loi de 1985.

J’ai rappelé précédemment le nombre de dossiers encore en instance. Il est vrai que certains d’entre eux ne répondent pas aux critères définis pour l’application de la loi et, même en admettant que toutes les conditions sont réunies, certains sont inexploitables en raison du manque de pièces indispensables à leur instruction, par exemple des pièces d’état civil.

L’administration est tout à fait consciente d’avoir à honorer par un acte mémoriel toutes ces victimes, mais elle doit aussi mener sa mission en respectant ces critères.

Vous le savez, monsieur le sénateur, j’ai également été interpellé sur ce sujet par votre collègue de l’Assemblée nationale M. Charles de Courson. Celui-ci a d’ailleurs fait une intervention très émouvante, en évoquant le cas de ses grands-parents.

De mon côté, j’ai examiné de très près la situation de nos administrations. Quels moyens humains mettre en œuvre ? Comment former le personnel ? Par conséquent, je ne me contente pas de vous répondre que nous avons clarifié l’interprétation des textes, avec le soutien de Mme la garde des sceaux. Je balaie aussi devant ma porte, si je puis employer cette expression, afin que nous soyons en mesure, dans les prochains mois et les prochaines années, en tout cas le plus vite possible, de mener cette démarche à terme.

Nous avons mis en œuvre cette méthode de travail en 2009 et nous entendons, à juste titre, pouvoir honorer la mémoire de toutes ces personnes. C’est bien le moins que nous devons à leur famille !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de cette réponse, qui a le double mérite, d’une part, d’exprimer un certain volontarisme ou un volontarisme certain, et, d’autre part, de dissiper le malentendu sur le dossier précis que j’ai évoqué et dont je vous communiquerai le contenu. Ce malentendu avait été suscité par la nature du courrier émanant de votre cabinet.

Vous avez fait allusion au dépôt, par un de nos collègues parlementaires, d’une question similaire. Il me semble que ce dépôt a eu lieu en octobre, concomitamment à la diffusion de la circulaire.

Effectivement, cette circulaire avait pour ambition d’accélérer la résolution de ces dossiers : le résultat obtenu n’est pas probant !

Au moment où le Gouvernement s’apprête à nommer, par la force des choses, un nouveau garde des sceaux, il serait opportun que lui soit assigné comme première mission de veiller à ce que la circulaire émanant de son prédécesseur soit appliquée avec plus de zèle et d’efficience.

incidences du programme interdépartemental d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie 2009

M. le président. La parole est à M. Marcel Rainaud, auteur de la question n° 531, adressée à Mme la ministre de la santé et des sports.

M. Marcel Rainaud. Monsieur le secrétaire d'État, les chiffres issus du dernier recensement renforcent la responsabilité qui est la nôtre, à savoir prévoir dès aujourd’hui les équipements permettant dans les années à venir de répondre aux besoins sanitaires de nos aînés, notamment les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou EHPAD.

Le département de l’Aude, dont la population légale s’élève à 341 022 habitants, compte 38 654 personnes de plus de 75 ans, contre 31 698 en 1999. Par ailleurs, le nombre d’habitants âgés de 40 ans à 59 ans a augmenté, passant de 78 596 à 95 620.

En 2005, le conseil général a arrêté les grandes lignes du schéma départemental des établissements et services en direction des personnes âgées, à l’horizon 2010, sur la base de ces projections démographiques, projetant alors d’étendre la construction et la réhabilitation de maisons de retraite jusqu’à la fin 2011.

Dans un premier temps, avec la création du programme interdépartemental d’accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie, le PRIAC, conscients que le rythme de financement de la médicalisation des EHPAD allait définir celui de la réalisation de notre projet, le conseil général a averti les promoteurs et les élus locaux qu’il fallait prévoir un décalage de deux ans par rapport à la programmation initiale, ce qui paraissait raisonnable.

Cependant, les perspectives de financement par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, au travers du PRIAC des années 2009 à 2011, obligent à réduire encore le rythme de construction. Si rien ne change, il faudra dix ans pour mener à terme un schéma qui devait se dérouler sur la période 2006-2010.

Un tel retard engendrera immanquablement une distorsion importante entre les besoins médico-sociaux de la population et le nombre de lits disponibles pour accueillir les personnes âgées dépendantes, sans parler de celles, de plus en plus nombreuses, qui sont touchées par la maladie d’Alzheimer.

Une telle situation serait inacceptable et mettrait en lumière un manquement grave aux engagements et aux promesses du chef de l’État dans ce domaine. Elle révélerait une volonté délibérée ne pas prendre en compte la réalité du terrain et les avertissements des élus locaux, alors même qu’une accélération du financement des établissements publics tels que les EHPAD participerait d’une relance de l’économie, tout en permettant d’apporter des réponses à l’évolution démographique de la population.

Monsieur le secrétaire d'État, que compte faire le Gouvernement pour que chaque personne âgée dépendante puisse être accueillie dans un établissement qui soit adapté non seulement à sa pathologie, mais aussi à ses ressources financières, bien souvent modestes ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. Monsieur le sénateur, vous interrogez le Gouvernement sur le rythme de développement de l’offre à destination des personnes âgées dépendantes dans le département de l’Aude.

Il me semble au préalable nécessaire de rappeler devant la Haute Assemblée l’ampleur de l’effort réalisé par l’État dans ce domaine pour ce qui concerne ce département.

En effet, au cours des trois dernières années, le nombre de places nouvelles autorisées s’élève à 378 places d’hébergement permanent, c’est-à-dire en EHPAD, à 18 places d’hébergement temporaire et à 16 places d’accueil de jour. Par ailleurs, 154 places de services de soins infirmiers à domicile ont également été financées, exclusivement sur les crédits de l’assurance maladie. Au total, ce sont donc 566 places qui ont été autorisées en trois ans, ce qui représente un engagement financier de l’assurance maladie de 5,5 millions d'euros et la création de plus de 140 emplois soignants pérennes et qualifiés.

En outre, pour répondre aux besoins des personnes âgées dépendantes, la totalité des places ont été médicalisées, ce qui a également permis la création de nombreux emplois, harmonieusement répartis sur le territoire.

Cet effort s’amplifie en 2009, dans l’Aude comme sur l’ensemble du territoire national. Ainsi, monsieur le sénateur, dans votre département, 216 places nouvelles seront financées pour la seule année 2009.

Je souligne aussi que, si la charge financière qui incombe au conseil général de l’Aude sur le volet dépendance est indéniable, elle demeure bien moins significative sur le volet hébergement, puisque votre département a choisi de refuser l’habilitation à l’aide sociale à la quasi-totalité des établissements privés.

Cette option a d’ailleurs deux autres conséquences.

D’une part, elle empêche d’accéder à la demande de certains promoteurs de se voir accorder une habilitation partielle à l’aide sociale, ce qui amènerait plus de souplesse lors des autorisations et créations.

D’autre part, elle ne permet pas de répondre aux besoins de la population audoise, très en attente d’établissements dont les coûts d’hébergements sont maîtrisés. Cela conduit ainsi parfois à l’ouverture d’établissements qui peinent à monter en charge.

Enfin, il me semble utile de rappeler devant la Haute Assemblée que les services des directions départementales des affaires sanitaires et sociales, les DDASS, et des directions régionales des affaires sanitaires et sociales, les DRASS, ont aussi le souci quotidien de travailler au développement d’une prise en charge de qualité, notamment en termes de ratios d’encadrement en personnel de soins.

Pour améliorer ce taux d’encadrement, il a été décidé voilà trois ans de proposer une nouvelle génération de conventions avec les établissements, conventions qui tiennent davantage compte des besoins des résidants en matière en soins. Lorsqu’un établissement signe cette convention de deuxième génération, le nombre de personnels soignants augmente en moyenne de 30 % environ.

Il convient cependant de souligner que certains départements n’ont pas toujours souhaité accompagner cette politique de l’État consistant à augmenter l’encadrement soignant dans les EHPAD, notamment en raison de la part de financement des aides-soignants qui incombe au conseil général. Pour le constater dans mon département, je sais que la charge qui pèse sur les conseils généraux est importante et que la situation n’est pas simple.

Monsieur le sénateur, au vu de ces éléments objectifs, je suis en mesure d’affirmer que l’État ne manque nullement à ses engagements dans le département de l’Aude. Au contraire, il a engagé une politique dynamique, dans la durée, pour répondre de la meilleure façon possible aux besoins de nos aînés.

M. le président. La parole est à M. Marcel Rainaud.

M. Marcel Rainaud. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse, qui, malheureusement, n’est pas à la hauteur des enjeux.

C’est une occasion manquée d’anticiper pour une longue période les besoins sanitaires de nos aînés, alors que nous sommes d’ores et déjà en capacité de les mesurer. Il s’agit là non pas d’un problème de confort, mais bien d’une mesure sanitaire.

Par conséquent, je regrette profondément la position du Gouvernement sur cette question qui devrait faire l’unanimité.

modalités d'expulsion des étrangers par voie aérienne

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, auteur de la question n° 539, transmise à M. le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.

M. Richard Yung. Ma question porte sur les modalités d’expulsion par voie aérienne d’étrangers en situation irrégulière.

Le 18 avril dernier, j’ai été le témoin de troubles suscités par une opération d’expulsion d’un étranger en situation irrégulière au départ d’un vol de la compagnie Air France à destination de Niamey.

Confrontés aux protestations légitimes de la personne expulsée, déjà à bord au moment de l’embarquement, qui se trouvait menottée à son siège et entourée d’une demi-douzaine d’agents de la police aux frontières, la PAF, de nombreux passagers lui ont manifesté leur soutien, se sont indignés des méthodes utilisées et ont longuement interpellé les représentants de la PAF.

Je ne porte pas de jugement sur le fond. Tout le monde peut comprendre que les passagers, qui s’attendent à effectuer un vol « normal », soient choqués et répugnent à voyager dans des conditions qui rappellent plutôt les trains vers l’Allemagne.

Je tiens à rendre hommage aux officiers de la PAF, qui n’exercent pas un métier facile. Leur comportement a été exemplaire : ils ont toujours fait montre de courtoisie et de sang-froid. Je n’oublie pas non plus le personnel commercial d’Air France, qui sert d’intermédiaire, de go between entre la police aux frontières et les différentes autorités, et qui est souvent assimilé aux forces de l’ordre par les passagers, qui confondent les uniformes. Lui aussi a fait preuve de diplomatie et de patience.

Alors que l’avion aurait dû décoller depuis plus de deux heures, le commandant de bord a considéré que la sécurité à bord n’était pas assurée et a demandé aux responsables de la PAF de faire descendre la personne en voie d’expulsion. Sans succès. Ce refus a entraîné une situation de blocage et a empêché que le calme ne revienne.

Estimant que la sécurité n’était plus assurée dans l’aéronef et qu’il ne pouvait assurer ce vol dans des conditions normales, le commandant de bord a alors décidé d’annuler le vol et de se retirer avec son équipage, demandant aux passagers de quitter l’avion. Ce n’est qu’à ce moment-là que la PAF a reconsidéré sa position. Il convient d’ajouter que, entre-temps, l’étranger en situation irrégulière avait été pris d’un malaise et était en voie d’évacuation pour des raisons sanitaires.

Je ne m’intéresse pas aujourd'hui à la dimension humaine du problème. Cet événement a surtout révélé l’existence d’un conflit d’autorité entre le commandant de bord et la PAF.

Par référence à la marine, le commandant de bord est souvent présenté comme le « seul maître à bord ». Or les textes précisent qu’il n’en est ainsi qu’à partir du moment où les portes de l’appareil sont fermées et que les moteurs commencent à tourner. Avant, l’aéronef fait partie du territoire national et se trouve notamment sous l’autorité de la police. Dans le cas que je relate, la PAF exerçait sa mission et exécutait une décision de justice.

Il convient par conséquent de se pencher sur cette question et, à défaut d’élaborer en amont une politique raisonnable d’organisation des expulsions des étrangers en situation irrégulière, de trouver un moyen de gérer ces situations qui, reconnaissez-le, nous ramènent en plein Moyen Âge !

En outre, ces troubles sont tout à fait dommageables à Air France et ne peuvent qu’avoir des effets négatifs sur son image. Il est assez pénible que les passagers d’un vol, qui ont payé leur billet, subissent un retard de deux heures et demie et assistent à des heurts.

Monsieur le ministre, comment appréhendez-vous ces difficultés et quelles mesures envisagez-vous de prendre pour éviter que ces situations ne se reproduisent à l’avenir ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. Monsieur le sénateur, avant de répondre très précisément à votre question, je souhaite revenir sur certains de vos propos.

Vous avez tout d’abord affirmé ne pas vouloir vous prononcer sur le fond. Vous avez pourtant toute légitimité pour le faire ! Il s’agit de savoir si vous adhérez à une politique européenne qui entend favoriser l’immigration légale, seul vecteur d’intégration, lutter contre l’immigration illégale et les filières de l’immigration clandestine et privilégier le développement solidaire, c'est-à-dire l’aide à la création d’emplois dans les pays d’immigration. Si tel est le cas, vous reconnaissez alors la nécessité des reconduites à la frontière.

Vous avez ensuite prononcé des paroles ambiguës – j’espère avoir mal compris et, si tel est le cas, je vous présente d’emblée mes excuses –, en assimilant les techniques de reconduite à la frontière aux trains qui partaient vers l’Allemagne. Autrement dit, vous semblez assimiler l’action menée par le Gouvernement aux convois de la mort, c'est-à-dire à l’extermination des Juifs et des Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale par les nazis.

M. Richard Yung. Oh là là !

M. Éric Besson, ministre. J’ose espérer, monsieur le sénateur, que telle n’est pas votre volonté et vous aurez l’occasion de nous le préciser à l’issue de mon propos.

Sur le fond, j’accepte toute suggestion. Les personnes hostiles aux reconduites à la frontière – et je prends en compte leur opinion – m’expliquent que les expulsions ne peuvent pas avoir lieu par vols groupés, par « charters », comme certains, par le passé, ont dénommé ces vols, car ce serait indigne. Il ne pourrait pas non plus s’agir de reconduites individuelles aériennes. Par conséquent, monsieur le sénateur, je suis très intéressé par les propositions que vous pourrez formuler sur ce sujet.

Je veux maintenant répondre très précisément à la question que vous m’avez posée relative à d’éventuels conflits d’autorité entre le commandant de bord et la police, lors de l’expulsion d’un étranger par voie aérienne.

Il me paraît nécessaire de rappeler les textes qui font référence aux pouvoirs du commandant de bord et ceux qui décrivent le processus d’embarquement d’une personne éloignée.

Pour ce qui concerne le commandant de bord d’un vol commercial, les articles L. 422-2 et L. 422-3 du code de l’aviation civile précisent clairement qu’il est responsable de l’exécution de la mission et qu’il a autorité sur toutes les personnes embarquées. Ainsi, il peut différer ou suspendre le départ et, en cours de vol, changer éventuellement de destination chaque fois qu’il l’estime indispensable à la sécurité, sous réserve d’en rendre compte en fournissant les motifs de sa décision.

De plus, son autorité sur toutes les personnes embarquées lui donne la faculté de débarquer tout passager susceptible de présenter un danger pour la sécurité, la salubrité ou le bon ordre à l’intérieur de l’aéronef.

Lors de la mise en œuvre d’une reconduite à la frontière d’un étranger en situation irrégulière, le commandant de bord du vol concerné est systématiquement informé par télécopie transmise par sa compagnie de la présence de personnes reconduites avec ou sans escorte, au minimum trois heures avant le décollage.

Sur place, l’accès à l’appareil par la personne reconduite et son escorte ne se fait qu’après confirmation verbale de l’accord du commandant de bord ou du chef de cabine, avant l’embarquement des passagers.

Dans le cas que vous avez évoqué, il s’agissait non pas d’une reconduite à la frontière, mais du réacheminement d’une personne non admise sur le territoire national, car elle ne remplissait pas les conditions d’entrée en France. Ne possédant pas les documents nécessaires, elle avait été embarquée à bord du vol retournant dans son pays d’origine.

Mais quel que soit le cadre juridique de l’opération, la procédure d’embarquement d’une personne réacheminée, mise en œuvre par les services de police, obéit à l’instruction du directeur général de la police nationale du 17 juin 2003. Elle tient compte des pouvoirs attribués au commandant de bord et consiste, à chaque instant, à assurer la sécurité du vol et des personnes présentes : personnes reconduites, escorteurs, personnel naviguant, passagers. Pour d’évidentes questions de sécurité, l’appréciation du commandant de bord s’impose aux escorteurs, et j’insiste sur ce point.

Les incidents enregistrés lors de l’exécution d’opérations de reconduite à la frontière par voie aérienne demeurent, et c’est heureux, extrêmement marginaux, d’autant que l’essentiel de ces retours s’effectuent sans escorte policière. Depuis le début de cette année, seulement 23 % des reconduites à la frontière par voie aérienne ont nécessité une telle escorte. Ce n’est que dans vingt-quatre cas que l’administration s’est vu opposer un refus d’embarquement par le commandant de bord.

Actuellement, il n’est donc pas envisagé de modifier ce dispositif légal, qui permet de concilier les impératifs de sécurité aérienne et les besoins de l’autorité administrative en matière de lutte contre l’immigration irrégulière.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le ministre, nous sommes respectueux de la loi. Lorsqu’une décision de justice sanctionne des entrées illégales sur le territoire national, elle doit évidemment être exécutée. Je souligne, même si tel n’est pas le sujet de ma question, que les employeurs qui ont recours à des travailleurs illégaux sont largement laissés en paix…

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que toute reconduite à la frontière est soumise à l’appréciation du commandant de bord et s’impose aux escorteurs, ce qui semble de bon sens.

Dans le cas de figure que j’ai évoqué, le commandant de bord, auquel j’ai parlé à de nombreuses reprises, défavorable à la reconduite, a demandé explicitement que la personne concernée, qui n’était pas encore entrée sur le territoire national, soit débarquée de l’avion. La police aux frontières lui a opposé un refus têtu, pendant plus de deux heures, alors que le commandant de bord est détenteur de l’autorité légitime. Cette situation est anormale, même si vous n’avez relevé, monsieur le ministre, que vingt-quatre cas similaires. Mais ce type d’affaire est toujours minimisé.