M. Jacques Gautier. Absolument !

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. La rédaction modifiée, sur proposition de la commission, de l’amendement n° 19 de M. Tuheiava est évidemment plus satisfaisante, améliore le dispositif, et je comprends que celui-ci l’ait acceptée.

Aux termes de l'article 3 du texte de la commission, le « demandeur justifie que la personne visée […] a résidé ou séjourné ». Or le ministère de la défense n’est pas forcément au courant. D’autres administrations peuvent en effet être concernées.

La rédaction actuelle de l’amendement me paraît donc trop restrictive. La formulation suivante me paraîtrait plus judicieuse : « notamment avec le concours du ministère de la défense et des autres administrations concernées ». En effet, il ne faut pas exclure que d’autres administrations soient amenées à produire des certificats ou des attestations de présence ou de séjour.

Telle est la proposition de rectification sur laquelle je me permets d’appeler amicalement l’attention de la commission et du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Cette proposition est intéressante, mais je voudrais entendre l’avis du Gouvernement sur le sujet.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Hervé Morin, ministre. Si c’est pour faire plaisir à M. Charasse, ajoutons cela au texte ! (Sourires.) Autant dire que l’avis du Gouvernement serait favorable.

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.

Mme Marie-France Beaufils. S’agissant de la suggestion de M. Charasse, tendant à solliciter le concours du ministère de la défense et des autres administrations concernées, je me dois malheureusement de préciser, notamment à l’intention de M. le ministre, que c’est souvent en vain qu’il a été fait appel à son administration ! Parmi les victimes des essais nucléaires dont les demandes sont restées sans réponse, je citerai plus particulièrement celles du Sahara. Je me félicite qu’on en parle aujourd'hui, car nombreuses ont été celles qui n’ont pas pu avoir accès à des informations leur permettant d’être indemnisées.

Ces victimes qui se sont heurtées à ces difficultés et qui ne sont malheureusement plus là aujourd'hui, je les ai souvent rencontrées. Si le ministère a pris les dispositions pour améliorer la situation, c’est bien ! Le mentionner dans la loi, c’est encore mieux ! J’appuie complètement la proposition qui nous est faite.

M. le président. Monsieur Tuheiava, que pensez-vous de la suggestion de M. Charasse ?

M. Richard Tuheiava. J’y suis favorable, monsieur le président.

Je me demandais s’il ne serait pas préférable de remplacer la formule « le cas échéant », qui est un peu floue, par la formule « en tant que de besoin ». Mais la rectification proposée par Michel Charasse règle le problème, et je rectifie donc mon amendement en ce sens.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 19 rectifié bis, présenté par MM. Tuheiava, Antoinette, Patient, Gillot, S. Larcher et Lise, ainsi libellé :

Après le mot :

justifie

insérer les mots :

, notamment avec le concours du ministère de la défense et des autres administrations concernées,

Quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ainsi rectifié ?

M. Hervé Morin, ministre. Je veux bien tout ce qu’on veut pour démontrer la bonne volonté du Gouvernement ! Mais quiconque veut bien se donner la peine de lire l’article 4, alinéa 5, y trouve largement de quoi être rassuré !

J’en donne lecture : « Il peut requérir de tout service de l’État, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur, communication de tous renseignements nécessaires à l’instruction de la demande. Ces renseignements ne peuvent être utilisés à d’autres fins que cette dernière. »

L’article 4 donne d’ores et déjà satisfaction aux auteurs de l’amendement. Mais si vous voulez des dispositifs redondants, allons-y pour les dispositifs redondants !

M. Richard Tuheiava. C’est le comité qui sollicite ! Ce ne sont pas les administrations !

M. le président. Peut-être devrions-nous suspendre nos travaux quelques instants…

La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote sur l’amendement n° 19 rectifié bis.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, il serait bien dommage d’interrompre ce concours de bonne volonté !

Selon moi, c’est le comité d’indemnisation que vise l’article 4. C’est lui qui « peut requérir de tout service de l’État,… ».

Nous pourrions mettre un terme à cette discussion de manière positive en votant l’amendement n° 19 rectifié bis, tel qu’il résulte de la proposition de M. Charasse. Maintenant que nous avons trouvé un accord, il ne me paraît pas judicieux de faire du rétropédalage en disant que la disposition ne servirait à rien !

M. le ministre a exprimé tout à l’heure sa bonne volonté en disant – c’est très important pour la juridiction administrative de le savoir – qu’il n’est pas du tout dans l’intention de l’État d’essayer de restreindre l’indemnisation d’une quelconque façon. Tout cela figurera dans le compte rendu intégral de nos débats, et c’est très positif.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 19 rectifié bis.

(L'amendement est adopté à l’unanimité des présents.)

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Hue, Billout et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :

Il bénéficie alors de la présomption d'un lien de causalité entre la maladie et les essais nucléaires, sauf pour la partie défenderesse de rapporter la preuve contraire.

La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Comme l’a rappelé Guy Fischer, la présomption d’un lien de causalité entre les maladies radio-induites et les essais n’est pas fermement inscrite dans ce projet de loi. Les victimes des essais nucléaires ne comprennent pas cet entêtement.

Ainsi que l’avait souligné M. le rapporteur lui-même, il y a effectivement contradiction entre, d’une part, l’article 3, aux termes duquel il est simplement exigé des victimes de prouver qu’elles se sont trouvées dans les zones contaminées pendant les périodes où s’y abattirent des retombées radioactives et qu’elles souffrent bien d’une maladie radio-induite, et, d’autre part, l’article 4, qui dispose ceci : «  Ce comité examine si les conditions de l’indemnisation sont réunies. Lorsque celles-ci sont réunies, le demandeur bénéficie d’une présomption de causalité à moins qu’au regard de la nature de la maladie et des conditions d’exposition de l’intéressé, le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable ».

Dans ce dernier article, ce principe de présomption d’un lien de causalité est soumis à de telles restrictions qu’il en perd sa substance : le « négligeable » reste une appréciation des plus floues et expose la victime au risque d’interprétations négatives. En règle générale, s’agissant des victimes de risques professionnels, l’indemnisation se fait en raison de la présence sur un site exposé et de l’apparition d’une maladie correspondant à cette exposition.

Choisirait-on, dans le cas des victimes des essais nucléaires, de se placer en complet recul avec les dispositions du code de la sécurité sociale ? Pour les victimes de l’amiante, la seule présence sur le site exposé suffit, sous réserve que la maladie figure parmi la liste des maladies mentionnées sur le tableau. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les maladies des essais nucléaires, qui seront également arrêtées dans un tableau ?

La volonté du Gouvernement d’être juge et partie dans ce type d’affaire se fera au détriment des victimes elles-mêmes. Il ne s’agit pas de ma part d’un procès d’intention. Je veux simplement rappeler que tout le monde a en tête la persistance du ministère de la défense, durant toutes ces dernières années, à faire systématiquement appel de tout jugement favorable aux victimes.

L’exemple de M. Mézières, un habitant de ma commune qui avait obtenu un jugement favorable du tribunal des pensions militaires d’Indre-et-Loire, est en cela très révélateur.

Cet homme, décédé voilà un peu plus d’un an, a été très affecté par le dur combat qu’il a mené, non pour lui seul, mais pour tous ceux qui ont connu les mêmes souffrances que lui.

La dernière expertise demandée par le ministère mettait sur le compte de l’absorption de certains médicaments la responsabilité de sa maladie. Cette annonce, ajoutée aux multiples tracasseries judiciaires et administratives, a été pour lui un coup fatal. Alors que le tribunal des pensions militaires de Tours lui attribuait en 2005 une pension d’invalidité au taux de 70 %, le ministère de la défense a fait appel de cette décision la veille de la forclusion.

Dans un courrier, je vous écrivais, monsieur le ministre, qu’ « il est difficile d’admettre que lorsque les juges reconnaissent le principe de présomption d’origine des maladies, vous fassiez systématiquement appel de ces décisions. » Vous comprendrez donc nos réserves par rapport à la rédaction de l’article 4 !

Interviewé par France 3 Centre, André Mézières déclarait ceci : « La montre tourne, le temps passe...pour obtenir quoi ? Que faut-il faire ? Est-ce qu’il faut être au cimetière pour être reconnu ? » C’est malheureusement le cas de beaucoup d’entre eux !

« De nombreuses victimes sont dans le même cas, leur vie est en danger. Monsieur le ministre, il est temps que la nation reconnaisse à ces militaires malades, tout comme elle le fait envers les travailleurs civils, le droit à la reconnaissance dans la mesure où ils ont été présents sur les sites lors de ces essais nucléaires. » C’est ce que je vous écrivais, monsieur le ministre, au lendemain des obsèques de ce corpopétrussien. Si, aujourd’hui, la décision vous appartient en dernier ressort, permettez-nous d’être réellement inquiets !

Vous aurez compris que, pour nous, pour les victimes des essais nucléaires, il est important que le principe de présomption de causalité entre les maladies radio-induites et les essais soit fermement inscrit dans la loi pour être, enfin, clairement reconnu.

Tel est le sens de notre amendement, qui exprime notre réserve par rapport à l’article 4. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Nous avons beaucoup travaillé pendant les auditions et en réunion de commission sur la définition de cette présomption de causalité. La rédaction à laquelle la commission est arrivée, rédaction qui donne satisfaction au Gouvernement, devrait à mon avis vous convenir, madame Beaufils.

C'est la raison pour laquelle j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Morin, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement est important et il reviendra ultérieurement sous d’autres formes.

Pour les nombreuses personnes qui, dans leur département, ont eu des contacts –  et j’en suis  – avec les associations des victimes, il est clair que le point dur porte sur la reconnaissance effective d’une véritable présomption de causalité. Et c’est là-dessus que se joue la crédibilité du texte !

Si la composition des instances est telle que les associations ne sont pas suffisamment représentées, si le texte est rédigé de telle manière qu’il revient in fine aux victimes d’apporter des preuves qu’elles ont grand mal à rassembler parce que les événements sont trop anciens pour pouvoir disposer de preuves absolues, les personnes concernées n’auront alors pas satisfaction !

Nous pensons donc que la véritable présomption de causalité est absolument essentielle.

Nous savons que la rédaction de la loi emporte des conséquences, notamment sur le nombre de personnes susceptibles de recevoir une indemnisation et, donc, sur le coût pour le ministère – n’ayons pas peur de parler de ces choses !

Mais, monsieur le ministre, puisque vous avez bien voulu présenter ce projet de loi – et nous rendons acte au Gouvernement de l’avoir fait – et organiser ce débat aujourd'hui, nous y voyons vraiment un acte positif à l’égard des victimes.

La même question s’est posée dans beaucoup d’autres circonstances, notamment au sujet de l’amiante. Que de batailles nous avons dû livrer pour obtenir quelque chose du même ordre en faveur des victimes de l’amiante !

Je voterai l’amendement présenté par Mme Beaufils, comme les amendements suivants, car il porte sur un point clé. La crédibilité du projet de loi se joue sur la clarté de la prise en compte de la présomption de causalité.

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.

M. Guy Fischer. Marie-France Beaufils l’a bien montré, nous sommes ici au cœur du sujet.

Le qualificatif qui ne passe pas, parce qu’il concentre tout le problème de la présomption de causalité, c’est « négligeable » ! Que le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme « négligeable » ne saurait être perçu par tous ceux qui l’ont vécu autrement que comme méprisant !

Certes, la commission a fait un pas, mais une interrogation demeure, et nous nous inquiétons de l’interprétation qui pourra être faite.

Comme pour les maladies professionnelles et pour les maladies liées à l’amiante, nous aurions pu et nous aurions dû instituer une présomption de causalité.

Ces problèmes, qui interpellent aujourd'hui les vétérans des essais nucléaires comme les populations polynésiennes et sahariennes, resurgiront et seront au cœur des débats futurs, car, bien sûr, la question restera d’actualité et ne manquera pas de donner matière à jurisprudence.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.

(L'article 3 est adopté.)

Article 3
Dossier législatif : projet de loi relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français
Article 5

Article 4

I. – Les demandes individuelles d’indemnisation sont soumises à un comité d’indemnisation, présidé par un conseiller d’État ou un conseiller à la Cour de cassation et composé notamment d’experts médicaux nommés conjointement par les ministres chargés de la défense et de la santé sur proposition du Haut Conseil de la santé publique.

Les ayants droit des personnes visées à l’article 1 décédées avant la promulgation de la présente loi peuvent saisir le comité d’indemnisation dans un délai de cinq ans à compter de cette promulgation.

II. – Ce comité examine si les conditions de l’indemnisation sont réunies. Lorsque celles-ci sont réunies, le demandeur bénéficie d’une présomption de causalité à moins qu’au regard de la nature de la maladie et des conditions d’exposition de l’intéressé, le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable.

Le comité procède ou fait procéder à toute investigation scientifique ou médicale utile, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.

Il peut requérir de tout service de l’État, collectivité publique, organisme gestionnaire de prestations sociales ou assureur, communication de tous renseignements nécessaires à l’instruction de la demande. Ces renseignements ne peuvent être utilisés à d’autres fins que cette dernière.

Les membres du comité et les agents désignés pour les assister doivent être habilités, dans les conditions définies pour l’application de l’article 413-9 du code pénal, à connaître des informations visées aux alinéas précédents.

Dans le cadre de l’examen des demandes, le comité respecte le principe du contradictoire. Le demandeur peut être assisté par une personne de son choix.

III. – Dans les quatre mois suivant l’enregistrement de la demande, le comité présente au ministre de la défense une recommandation sur les suites qu’il convient de lui donner. Ce délai peut être porté à six mois lorsque le comité recourt à des expertises médicales. Dans un délai de deux mois, le ministre, au vu de cette recommandation, notifie son offre d’indemnisation à l’intéressé ou le rejet motivé de sa demande. Il joint la recommandation du comité à la notification.

Dans l’année suivant la promulgation de la présente loi, les délais d’instruction par le comité d’indemnisation sont portés à huit mois à compter de l’enregistrement de la demande.

IV. – La composition du comité d’indemnisation, son organisation, les éléments que doit comporter le dossier présenté par le demandeur, ainsi que les modalités d’instruction des demandes et notamment les modalités permettant le respect du contradictoire et des droits de la défense sont fixées par décret en Conseil d’État.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, sur l'article.

Mme Michelle Demessine. Avec cet article 4, qui crée un comité d’indemnisation, fixe les pouvoirs respectifs du comité et du ministre de la défense, détermine la procédure d’instruction des demandes, nous restons au cœur du projet de loi.

Mais, disons-le d’emblée, la composition du comité, son mode de fonctionnement et son absence de pouvoir de décision ne sont pas de nature à assurer un droit intégral à indemnisation.

S’agissant tout d’abord de la composition du comité, je relève que les neuf membres qui en font partie sont pour l’essentiel des experts et des membres de l’administration. Sans vouloir leur faire de procès d’intention,…

M. Hervé Morin, ministre. Mais si…

Mme Michelle Demessine. …nous craignons malgré tout qu’ils ne soient tentés de faire valoir en priorité les intérêts de l’État, et le cas que vient de relater Marie-France Beaufils appuie mon propos.

C’est d’ailleurs aussi le sens des remarques faites par le Médiateur de la République dans ses commentaires sur le texte issu des travaux de la commission du Sénat, puisqu’il soulignait que, « pour assurer la crédibilité et l’impartialité du dispositif », il aurait été nécessaire de garantir clairement « l’indépendance des membres composant le comité d’indemnisation vis-à-vis des ministères concernés », qui les ont désignés.

Nous regrettons également que la représentation des associations de victimes dans le comité n’ait pas été acceptée. C’est là un manque préjudiciable au fonctionnement équitable de celui-ci, car la présence des associations de victimes permettrait de garantir son indépendance par rapport aux ministères représentés.

Ces associations apporteraient en outre leur connaissance des réalités du terrain s’agissant des essais nucléaires et elles auraient prioritairement le souci de la défense des victimes et d’elles seules.

Il faut d’ailleurs relever que la présence d’associations de victimes est la règle quand existe un fonds d’indemnisation spécifique, à l’instar de celui qui a été créé pour les victimes de l’amiante.

En ce qui concerne ensuite la procédure d’instruction et l’absence de pouvoir de décision du comité, puisque la décision finale d’indemnisation appartient au ministre de la défense, nous avons là la démonstration de l’absence de pleine responsabilité du comité. Ce dernier laisse en effet tout pouvoir au ministre de suivre ou non ses recommandations d’indemnisation, et cela sans aucun encadrement de son pouvoir de décision.

Afin de modifier et d’améliorer la procédure d’indemnisation, nous avions donc présenté un amendement qui instituait un fonds d’indemnisation spécifique aux victimes des essais nucléaires. Pour assurer l’indépendance et l’autonomie de ce dernier, nous préconisions de le doter d’une personnalité juridique propre, d’un budget alimenté par les crédits alloués au titre de la compensation des essais nucléaires, et d’introduire dans sa composition des représentants des associations de victimes.

Je tenais à rappeler le contenu de notre proposition en séance publique, car, là encore, l’irrecevabilité financière nous a été opposée en commission.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l'article.

M. Jean Louis Masson. Lorsque l’on ouvre des droits dans une loi, on met souvent ensuite en place des commissions d’admission et des circuits administratifs dont, l’expérience le prouve, la vocation est de tenter de vider la loi de sa substance en admettant aussi peu que possible de personnes susceptibles de bénéficier des mesures prises en leur faveur au niveau législatif.

Il n’y a qu’à voir comment fonctionnaient les COTOREP, les commissions techniques d’orientation et de reclassement professionnel : tout était fait pour dissuader les personnes handicapées de faire valoir leurs droits, notamment en faisant traîner les dossiers pendant neuf mois, un an et parfois deux ans !

À l’une de mes questions écrites, un ministre a ainsi répondu qu’il était parfaitement normal qu’une personne handicapée, qui n’avait pourtant strictement rien pour vivre, attende encore que l’on traite son dossier puisque le délai moyen d’instruction d’un dossier COTOREP était de dix-huit mois…

Je crains que l’on ne s’achemine vers un système analogue pour les irradiés des expériences nucléaires. Toutes sortes de barrières vont être dressées – une commission, des circuits administratifs, une décision, qui pourra être complètement arbitraire, à l’échelon ministériel… –, et rien ne nous garantit que les mesures très positives que nous pourrions, en toute bonne foi, prendre aujourd'hui au niveau législatif se concrétiseront comme elles devraient normalement le faire pour que soient pris en compte les problèmes des victimes des irradiations.

Permettez-moi d’évoquer un souvenir, monsieur le président.

J’ai eu l’honneur de siéger pendant dix ans comme député de la Moselle aux côtés de Pierre Messmer, qui m’a raconté que, lorsqu’il était ministre des armées, il avait assisté à une expérience nucléaire dans le Sahara. Eh bien, à la suite d’une erreur de calcul, c’est une montagne entière qui, littéralement, s’était désintégrée dans l’atmosphère ! C’est véridique, mes chers collègues !

Cet accident a été tenu secret pendant vingt-cinq ans et, pendant plus de trente ans – en fait jusqu’à ce jour puisque nous n’avons pas encore voté la loi –, l’administration, quand elle a eu affaire à des irradiés – je le sais, car quelques-uns m’ont écrit – a fait mine de croire qu’il n’y avait jamais eu de problème.

Je ne jette pas la pierre à l’administration de l’époque, car on ne se rendait pas compte alors des conséquences des irradiations, mais je jette la pierre à ceux qui ont continué au cours des dernières années à freiner toute indemnisation en prétendant contre l’évidence qu’il n’y avait jamais eu d’irradiés…

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Au fait !

M. Jean Louis Masson. …ou à ceux qui, hier encore, estimaient qu’il appartenait aux victimes d’irradiations atteintes d’un cancer de démontrer que ces irradiations étaient bien la cause, et la seule cause, de leur maladie.

Il est à craindre que ceux qui tenaient ce langage n’inventent demain d’autres arguments : puisque, sur tant de Français, on compte tel pourcentage de cancéreux, qui peut dire que la victime d’une irradiation atteinte d’un cancer n’aurait pas eu ce même cancer quand bien même elle n’aurait pas été irradiée ?...

Je suis donc très inquiet. Voter une loi, c’est bien, mais ce n’est rien si ce grand pas en avant doit se heurter ensuite à l’inertie de l’administration ou à la volonté délibérée de passer outre les décisions arrêtées par le pouvoir législatif.

Si j’estime donc que ce projet de loi – en particulier son article 4, qui institue le comité d’indemnisation – est louable sur le plan des principes, je reste très prudent, pour ne pas dire très sceptique : je n’oublie pas la mauvaise foi opposée pendant trente ans à des personnes qui, manifestement, avaient été irradiées et qui, en définitive, se sont entendu dire qu’elles n’avaient pas à se plaindre, car tout le monde pouvait avoir un cancer !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean Louis Masson. Je souhaite donc que le présent projet de loi soit davantage « bétonné » pour empêcher les dérives qu’inéluctablement causeront ceux qui s’apprêtent déjà à conduire des combats d’arrière-garde pour empêcher l’indemnisation des personnes concernées ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet, sur l'article.

Mme Dominique Voynet. J’ai vraiment eu envie d’applaudir !

Mme Dominique Voynet. Si, de nos travées, nous avions dit la moitié de ce que vient de dire M. Masson, nous nous serions sans doute attiré des critiques sévères !

Monsieur le ministre, vous avez vivement réagi tout à l’heure : vous sembliez trouver étrange et injuste que les victimes éprouvent de la défiance à l’égard de votre ministère. N’y voyez surtout rien de personnel. Nous ne faisons pas de procès d’intention. Nous avons salué, et nous le faisons encore, le travail qui a été accompli et qui a conduit à la présentation de ce projet de loi.

Il faut néanmoins comprendre que l’ampleur de cette défiance s’explique par l’histoire, et par la complexité de celle-ci. Il faut comprendre que les victimes puissent répugner à confier aux responsables de leurs souffrances le soin, par exemple, de fixer de façon unilatérale, sur la foi de données collectées sur la base d’une méthodologie qui n’a pas été établie dans la transparence, le périmètre concerné.

Vous avez refusé tout à l’heure que l’assemblée de Polynésie soit associée à la discussion sur ce périmètre au motif que, sur une telle question, il ne fallait pas faire de politique ; mais, c’est bien connu, l’État ne fait pas de politique, il est impartial et équitable, il ne défend pas d’intérêts partisans ou particuliers…

Arrêtons ! Dans 99 % des cas, la discussion sur le périmètre aurait effectivement pu se passer dans la sérénité. Certaines données manquent peut-être et d’autres doivent être discutées, mais, ce qui est avant tout en jeu, c’est la confiance, une confiance qui est à reconstruire.

Sans revenir sur ce qui a été dit de l’obstruction et du fait que l’État faisait systématiquement appel lorsqu’un tribunal statuait en faveur de personnes malades, je veux insister sur les gages qui doivent être donnés pour reconstruire cette confiance, ce que cet article 4 va nous permettre de faire.

Vous nous avez mis en garde, et j’entends bien que nous ne devons pas passer d’une présomption de causalité à une présomption irréfragable. Il se trouve cependant que cela nous amène très vite à une discussion sur les raisons qui pourraient expliquer des maladies que l’on sait être « sans signature ».

Que faire, vous êtes-vous interrogé, si l’irradié a fumé trois paquets de cigarettes pendant toute sa vie ? Rien, car on ne parviendra pas à trancher cette question qui ne peut que déboucher sur un dialogue de sourds : vous ne parviendrez pas à prouver que le cancer est dû au tabac, et l’irradié n’arrivera pas à prouver que le cancer n’est pas dû au tabac !

Si l’on veut vraiment indemniser les victimes et reconnaître le préjudice qui leur a été fait, on doit se résoudre à ne pas discuter cette question, ne serait-ce que parce qu’en général c’est l’État qui a fourni le tabac – le « tabac de troupe », je le rappelle, faisait partie de la solde jusqu’à une période très récente – aux personnels civils et militaires.

Il faut admettre que, pour ces années-là, nous ne pourrons pas reconstituer le pourquoi du comment, et attribuer aux essais la responsabilité de toutes ces maladies sans signature.

Si l’on transforme en parcours du combattant une démarche présentée comme devant permettre l’indemnisation de personnes à qui l’on reconnaît un nouveau droit, on aura raté la cible.