M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Absolument !

M. Nicolas About. Notre fiscalité y gagnerait en simplicité et surtout en équité !

L’examen du projet de loi de finances sera également l’occasion d’étudier l’efficacité et la pertinence des niches fiscales et sociales, par exemple de la réduction du taux de TVA à 5,5 % pour les services de restauration à table. Dès son adoption, nous avions émis les plus vives réserves quant aux bénéfices attendus de cette mesure, notamment en matière d’embauche. En 2010, elle sera la cinquième niche la plus coûteuse, alors que les doutes sur ses effets réels ne se sont pas dissipés ces derniers mois, bien au contraire. Mais laissons-lui peut-être le temps de vivre…

Enfin, le projet de loi de finances vise à engager une profonde réforme de la fiscalité locale. Sans anticiper sur les débats nourris qui auront lieu à cette occasion, j’aimerais formuler quelques remarques sur ce que nous pensons être les conditions de succès de cette réforme nécessaire.

Premièrement, la révision des bases locatives est un préalable indispensable à la réforme.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. Nicolas About. À défaut d’une telle révision, cette réforme ne pourra pas être menée dans des conditions équitables et justes, notamment vis-à-vis des entreprises industrielles, d’un côté, et des entreprises commerciales, de l’autre. Pour éviter les inégalités que risquerait d’engendrer une révision « au fil de l’eau », les bases locatives devront être révisées en une fois.

La réforme doit offrir l’occasion de mettre en place une fiscalité locale plus juste, non seulement entre contribuables, mais aussi entre collectivités. À cet égard, la définition d’un taux national unique, s’appliquant à une fraction variable de la valeur ajoutée en fonction du chiffre d’affaires, serait un bon levier de péréquation.

Deuxièmement, les recettes qui viendront compenser la suppression de la taxe professionnelle devront être réparties de façon à assurer des ressources suffisantes, prévisibles et dynamiques pour chaque niveau de collectivité territoriale aussi bien que pour chacune d’entre elles. Après Jean Arthuis, je le redis : cela implique de rejeter l’idée d’une spécialisation fiscale par niveau de collectivité, de maintenir la cohérence entre leurs compétences et leurs ressources et de garantir le respect du principe de l’autonomie financière des collectivités.

Nous débattons aujourd’hui des prélèvements obligatoires, mais on ne peut parler d’autonomie financière des collectivités sans évoquer leurs dépenses.

Cette autonomie des dépenses est de plus en plus menacée par la hausse des dépenses contraintes. Les dépenses sociales que les départements ont à leur charge en offrent le meilleur exemple, mais toutes les collectivités sont confrontées de façon croissante à ce problème.

Les collectivités ont besoin de ressources dont la progression soit au moins aussi dynamique que l’évolution spontanée de leurs dépenses, notamment en temps de crise. Elles ont également besoin que le Gouvernement et le Parlement ne renchérissent pas sur l’exercice de leurs compétences par des mesures législatives ou réglementaires sans prévoir le financement de celles-ci, à l’euro près.

Nous veillerons donc attentivement, non seulement à ce qu’elles puissent continuer à disposer de ressources propres suffisantes, mais aussi à ce qu’elles disposent de vraies marges de manœuvre en matière de dépenses. Car c’est là que se situe réellement, pour nous, l’autonomie financière.

Pour conclure, j’aimerais rappeler que l’Europe est le cadre naturel dans lequel notre avenir se dessine. Je souhaite donc redire l’attachement du groupe Union centriste à une meilleure harmonisation des législations fiscales en Europe et, à terme, à la mise en place d’une assiette fiscale consolidée à l’échelon européen. Nous avons bien conscience que, dans nombre de domaines, nous ne pouvons rien faire sans un accord de nos partenaires. Depuis plusieurs années, nous appelons cette consolidation de nos vœux, non seulement parce qu’elle aura un effet majeur en matière de concurrence fiscale, mais aussi parce qu’elle sera un puissant levier d’approfondissement de l’intégration communautaire.

L’Union européenne et l’euro protègent la France ; la crise que nous traversons l’a démontré. La relance et les efforts qu’il nous faudra consentir pour redresser nos comptes publics devront être réalisés avec nos partenaires européens. Mais la construction européenne n’est pas achevée : c’est un projet vivant que nous continuerons à soutenir dans tous les domaines. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales, M. le rapporteur général de la commission des finances et Mme Nicole Bricq applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’hypothèses économiques irréalistes en dépenses sous-estimées, cette majorité n’aura su aligner, en matière de finances sociales, que des budgets insincères.

M. Eric Woerth, ministre. Insincères, non !

Mme Raymonde Le Texier. Le principe de réalité finissant toujours par s’imposer aux bidouillages comptables, ce gouvernement collectionne donc les déficits, leur faisant en outre atteindre des niveaux historiques.

Il faut dire qu’avec un taux de prélèvements obligatoires de 40,7% par rapport au PIB les recettes fiscales se sont effondrées. Ce taux plancher est largement facteur d’inquiétude. En cause : la crise et ses conséquences en matière d’emploi, mais également l’adoption de diverses mesures, telles les baisses d’impôt sur le revenu, d’impôt sur les sociétés, de TVA et l’augmentation des allégements de charges.

La dégradation de la masse salariale est sans précédent, enregistrant une baisse de quatre points, avec une diminution de 1,25% en 2009, ce qui représente 8 milliards d’euros de recettes en moins. Une telle évolution est, bien sûr, liée non seulement à l’augmentation du chômage et à une diminution des heures supplémentaires, mais également à l’explosion du chômage partiel. En effet, celui-ci, exonéré de cotisations patronales, est une variable d’ajustement pratique pour les entreprises, ce qui occasionne de lourdes pertes de recettes pour la sécurité sociale comme pour l’État.

Voilà pourquoi, en 2009, le déficit de l’État devrait atteindre 141 milliards d’euros, soit deux fois et demi le déficit de 2008. En 2010, il devrait s’établir à 116 milliards d’euros. Les mesures fiscales prises pour 2010 ainsi que celles qui ont été prises antérieurement, hors plan de relance, devraient représenter plus de 14 milliards d’euros de manque à gagner.

À ce déficit record s’ajoute celui, sans précédent, du régime général : plus de 23 milliards d’euros en 2009. Mais 2010 devrait vite reléguer ce record aux oubliettes puisque c’est la barre des 30 milliards d’euros qui sera alors franchie. Dans le meilleur des cas, le déficit annuel devrait se stabiliser par la suite à ce niveau.

Conséquence : une explosion de la dette de l’État et de la sécurité sociale. Ainsi, le ratio de dette publique devrait atteindre 84 % du PIB l’année prochaine. Ce chiffre ne tient bien sûr pas compte du fameux « grand emprunt », dont le montant, comme le calendrier, reste flou. Autant dire que l’avenir de nos enfants et la pérennité de notre système de protection sociale sont hypothéqués.

La situation est d’autant plus critique que le Gouvernement fonde la logique de ses projets de finances publiques sur des hypothèses parfaitement irréalistes : un retour de la croissance annuelle du PIB de 2,5 % et de la masse salariale de 5 % à partir de 2011 ! Un scénario aussi peu crédible que les précédents, hélas !

Le président de la Cour des comptes a d’ailleurs critiqué cette propension du Gouvernement à défier les lois du réel en matière de finances et a rappelé qu’« il ne saurait y avoir de démarche crédible de rétablissement des comptes sans un effort accru de vérité sur l’état de nos finances ». Mais il risque de prêcher dans le désert encore longtemps, tant les hypothèses du Gouvernement portent la marque du refus pathologique d’affronter la nécessaire hausse des prélèvements obligatoires.

Peu importe si cette promesse détruit les équilibres sociaux, met en situation critique notre protection sociale et ne sert que les intérêts de ceux dont le patrimoine est suffisamment important pour pouvoir se passer du filet de sécurité tissé par la solidarité nationale. C’est cela, sans doute, la droite décomplexée que nous a promise Nicolas Sarkozy au moment de sa campagne !

En matière de finances sociales, les litanies annuelles sur le « trou de la sécu » ont émoussé la conscience de l’ampleur du problème. Pourtant, les déficits sans précédent de 2009 et de 2010, auxquels s’ajoutent ceux du Fonds de solidarité vieillesse, aggravent encore de près de 64 milliards d’euros le poids de la dette sociale.

Rappelons pour mémoire que la loi Douste-Blazy annonçait l’équilibre des comptes de l’assurance maladie pour 2007. Quant à la réforme Fillon de 2003, elle devait garantir l’équilibre des retraites jusqu’en 2020…

Toutefois, le cruel démenti que le « réalisé » inflige à vos prévisions ne nous réjouit pas pour autant. En effet, derrière les comptes catastrophiques se profile l’abandon des ambitions du système de protection sociale défini en 1945.

Mesure après mesure, les assurés sociaux portent la charge du redressement des comptes. Dans le même temps, ils voient l’âge du départ à la retraite reculer, les pensions baisser, les franchises augmenter, le champ des médicaments non remboursés s’élargir, l’accès aux soins se compliquer, les hôpitaux se raréfier, etc.

Avec l’annonce de tels déficits, ils savent que ce Gouvernement va continuer à s’attaquer à leur protection et creuser encore les inégalités.

Assurer à notre sécurité sociale des recettes stables et pérennes est pourtant plus que jamais indispensable. On a vu, à l’occasion de la crise qui nous frappe, à quel point un tel filet de protection participe au maintien de la cohésion d’une société et est déterminant pour sa capacité à rebondir. Or, faute d’avoir été à la hauteur des enjeux, les PLFSS successifs ont financé les déficits en les faisant porter par la CADES, autrement dit en les faisant reposer sur les générations futures !

Aujourd’hui, la dette restant à amortir est de 91,9 milliards d’euros ; elle devrait, en théorie, s’éteindre en 2025. Voilà deux ans, c’était en 2023 ! Jusqu’où allons-nous reporter le terme ? La dette qui pèse déjà sur nos enfants et nos petits-enfants interpelle notre responsabilité de parlementaire.

Le fait que les ressources de la CADES s’appuient essentiellement sur la CRDS rend d’autant plus choquante la décision de Nicolas Sarkozy de faire entrer les contributions sociales dans le bouclier fiscal.

La gauche s’est insurgée contre ce déni de solidarité qui vise à exempter les plus riches des devoirs qu’assument normalement les membres d’une société. Même le président UMP de la commission des lois de l’assemblée nationale, M. Jean-Luc Warsmann, en convient : d’après lui, la CRDS devrait être retirée des impositions prises en compte dans le bouclier fiscal : « Lutter contre cette dette est une cause nationale qui suppose la solidarité de tous. La CRDS se distingue de l’impôt. Sa seule raison d’être est le remboursement de la dette sociale. »

Cet impératif moral est d’autant plus d’actualité que, pour arrêter le processus sans fin d’accumulation de dettes, il a été décidé, dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, de ne plus transférer de charges sans transférer une ressource équivalente. Or, face à l’explosion des déficits actuels et futurs, donc face à la nécessité de supporter la dette de demain, une augmentation de la CRDS est devenue inévitable.

Tous les spécialistes l’écrivent, les parlementaires le disent, Nicolas Sarkozy le sait, mais, au pied du mur, il choisit de compter les briques ! Pourtant, l’enjeu est de taille, car, au-delà du stock de la dette, qu’adviendra-t-il des nouveaux déficits annoncés si de nouvelles recettes ne sont pas trouvées ? La poussière étant déjà plus épaisse que le tapis, qui supportera les nouvelles dettes ?

« Ce sera l’ACOSS », a décrété le Gouvernement, lequel a relevé son plafond d’emprunt à 65 milliards d’euros. Or l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale n’étant censée supporter que les décalages de trésorerie, lui faire assumer un tel déficit et, à partir de 2011, des déficits annuels qui pourraient se stabiliser à 30 milliards d’euros est une solution aussi dépourvue de sens que d’avenir.

Peut-être se justifierait-elle si les difficultés étaient essentiellement conjoncturelles. Cependant, si la crise a effectivement creusé le déficit, le déséquilibre de nos finances n’est malheureusement pas temporaire : pour l’essentiel, il est ancien et structurel. Même un retour hypothétique de la croissance au niveau antérieur garantirait non pas une baisse des déficits, mais seulement leur stabilisation.

Avec 30 milliards d’euros de déficit annuel, notre système se trouvera bientôt devant l’entrée du service des soins palliatifs !

Voilà pourquoi le débat sur les politiques d’allégements de charges et de cotisations n’est pas une bataille purement technique. En siphonnant une part des recettes de la sécurité sociale, ces politiques pèsent lourd sur les comptes sociaux. S’interroger sur leur efficacité et leur utilité sociale est plus que jamais légitime.

Avec plus de 30 milliards d’euros consacrés, à l’heure actuelle, aux allégements généraux et plus de 46 milliards d’euros aux exemptions d’assiette, les politiques d’exonérations sociales représentent un total annuel d’environ 76 milliards d’euros. Ces dispositifs n’ont cessé de se multiplier. Au nombre de quarante-six dans la loi de finances de 2006, ils sont soixante-cinq dans celle de 2009.

Dans le rapport d’Alain Vasselle, dont le titre, Finances sociales : arrêté de péril, est déjà hautement révélateur, on peut lire : « Cette progression témoigne parfaitement du recours sans cesse croissant au mécanisme d’allégement de charges pour des raisons qui ne tiennent pas uniquement à la politique de l’emploi, mais parfois à la simple commodité ou à l’affichage. » Toujours selon Alain Vasselle, « l’État fait le choix délibéré de mettre à la charge de la sécurité sociale des politiques qui sont de sa responsabilité ».

Un tel choix est d’autant plus critiquable que les dispositifs en cause n’ont en effet guère fait la preuve de leur efficacité en matière d’emploi : dans son dernier rapport, la Cour des comptes souligne leur caractère coûteux comme leurs effets hasardeux, voire contre-productifs. Un quotidien titrait d’ailleurs récemment : « L’invendable bilan de la loi TEPA. Un excellent prétexte pour ne pas embaucher » ; ou comment, en période de crise, l’augmentation des heures supplémentaires permet d’éviter toute embauche.

Mais il existe un autre effet pervers : ces exonérations sont devenues un élément de la politique salariale des entreprises, conduisant ces dernières à figer l’échelle des salaires pour privilégier d’autres formes de rémunération. L’utilisation des heures supplémentaires illustre une telle dérive. Or la perte pour les finances publiques de ces exonérations est supérieure aux gains de pouvoir d’achat obtenus par les salariés.

L’absence de toute contrepartie salariale à de tels allégements pose problème. Et ce n’est pas le simulacre de conditionnalité annoncée par Nicolas Sarkozy qui y répond. En effet, une mesure qui va prochainement entrer en vigueur précise que les entreprises de plus de 50 salariés devront restituer 10 % des allégements accordés l’année précédente en cas de non-engagement de négociations salariales. Cela ne devrait guère produire d’autre effet qu’un effet d’annonce. Outre que l’ouverture de négociations salariales dans ces entreprises constitue déjà une obligation, il suffira de tenir une séance de négociation, sans se soucier d’obtenir de résultat, pour que la restitution demeure lettre morte.

Faire dépendre les allégements de cotisations sociales de la signature effective d’accords salariaux, voilà qui serait un vrai progrès.

Il est ici question non pas de supprimer tous les dispositifs d’exonération de cotisations, mais d’en limiter le nombre comme le poids sur nos finances sociales, en en conditionnant le bénéfice à une obligation de résultat.

C’est l’effet sur l’emploi, les salaires, les conditions de travail et la précarité, qui doit être pris en compte pour décider du maintien ou de la suppression de ces multiples dispositifs. Cette remise à plat est impérative au vu de la situation de nos comptes sociaux. Je gage pourtant que ce n’est pas encore cette année qu’elle aura lieu !

C’est d’autant plus regrettable que des propositions telles que la baisse du seuil de 1,6 SMIC au-dessous duquel certains allégements s’appliquent, la limitation des dispositifs aux entreprises de taille petite ou moyenne ou la mise en place de critères sociaux et environnementaux pourraient faire l’objet d’un consensus.

De même, le développement des taxes comportementales par l’augmentation des droits sur les tabacs et l’alcool ou la création d’une taxe nutritionnelle, ciblée sur les produits diététiquement médiocres, augmenterait les ressources tout en ayant un impact positif en termes de santé publique. Ces propositions sont partagées par les parlementaires de droite comme de gauche. Que faut-il de plus pour qu’elles soient entendues ?

Par ailleurs, alors que les stock-options, retraites chapeaux, parachutes dorés et autres golden hello sont des formes de rémunérations alternatives développées au bénéfice d’un nombre restreint de salariés très favorisés ou de mandataires sociaux, nous demandons que ces salaires déguisés fassent l’objet d’une imposition spécifique à la hauteur des objectifs de justice fiscale que nos comptes sociaux réclament.

Certes, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, il est notamment prévu d’accroître la contributivité des retraites chapeaux, de doubler le taux du forfait social sur l’épargne salariale, de supprimer certaines exonérations sur les assurances vie. Toutefois, cet accroissement est très limité et, surtout, ces dispositions sont mises en place avec un tact et une mesure fort éloignés de la manière dont on taxe les salariés lambda. Le rapporteur général de la commission des affaires sociales affirme lui-même que « des marges de manœuvre peuvent sans doute être trouvées dans la taxation des stock-options ».

Alors que la crise devrait obliger à concevoir un projet de loi de financement de la sécurité sociale ambitieux, celui qui est présenté pour 2010, particulièrement indigent, comprend ainsi quelques aménagements fiscaux destinés à offrir une rampe de communication au Gouvernement. Ce n’est qu’un buisson d’équité au moindre coût pour protéger une forêt de privilèges !

En effet, la crise de nos finances sociales est adossée sur un confortable magot, celui des niches fiscales. La France détient le record en la matière : plus de 470 niches pour un coût budgétaire supérieur à 110 milliards d’euros. Elles permettent notamment de réduire considérablement le taux réel d’imposition des ménages les plus aisés. Ainsi 100 contribuables ont-ils pu, en 2008, économiser en moyenne pas moins de 1,5 million d’euros chacun. Grâce à tous ces aménagements, jamais les plus aisés n’auront aussi peu contribué à l’effort commun !

Les entreprises, quant à elles, ont également vu leur contribution baisser de manière notable. Pourtant, une telle situation n’a jamais tempéré leurs récriminations, à croire que ce n’est pas le niveau de participation à la solidarité nationale qui est en cause, mais bel et bien le principe même de cette participation.

Selon le Conseil des prélèvements obligatoires, la part des entreprises dans le financement de la protection sociale a ainsi diminué de 6 points, passant de 40 % à 34 %, tandis que la part des ménages passait de 31,1 % à 46,6 %. Entre 1983 et 2006, la part des cotisations sociales dans les recettes du régime général a ainsi été ramenée de 92 % à 55 %.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les défis auxquels nos finances sociales doivent faire face deviennent de plus en plus ardus, le Gouvernement continue à faire de la redistribution à l’envers, avec le seul souci de favoriser les siens. Selon l’analyse menée par le groupe socialiste, cette attitude est indécente ! (Mme Nicole Bricq applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Eric Woerth, ministre. À l’issue de ce débat, je vous livrerai brièvement, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques réflexions.

Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, vous avez eu raison d’insister, au début de votre intervention, sur la nécessité d’analyser l’impact de la crise sur notre potentiel de croissance. Il s’agit bien évidemment d’une question que nous nous posons également. Nous le savons, les Britanniques ont révisé à la baisse leur niveau de PIB potentiel. Nous-mêmes, dans les documents annexés au projet de loi de finances pour 2010, n’avons estimé qu’à 1,7 % notre taux de croissance potentielle.

Cela étant, cette question est pour l’instant loin d’être tranchée. Vous l’avez d’ailleurs très bien dit, la manière dont nous sortirons de la crise, que nous ne pouvons pas prévoir aujourd’hui – ni nous ni qui que ce soit d’autre –, influencera fortement le taux de croissance potentielle de notre pays.

Je constate simplement que nos estimations et nos prévisions pour les finances publiques sont supérieures à la croissance potentielle. C’est vrai, le taux de 2,5 % retenu par le Gouvernement pour 2011 et 2012 est supérieur à celui de notre croissance potentielle. Pour 2010, nous tablons sur une croissance de 0,75 %, niveau qui sera peut-être d’ailleurs dépassé.

Nous considérons en effet que l’économie sera plus réactive en sortie de crise, après l’année charnière que sera 2010. C’est une hypothèse de travail, et nous avons quelques mois pour la vérifier. Au demeurant, je tiens à le rappeler, d’autres pays, ayant les mêmes sujets de préoccupation, raisonnent exactement de la même manière en matière de finances publiques.

J’en viens maintenant à la règle de gage, évoquée tant par M. Marini que par Mme Bricq.

Pour ce qui concerne les niches sociales, nous avons respecté cette règle. En effet, en 2009, nous avons en quelque sorte « surgagé » les mesures nouvelles – c’est plutôt positif –, entre les niches créées et les niches supprimées, nous obtenons un solde positif de 29 millions d’euros. C’est plutôt une bonne nouvelle ! Et pour 2010, en tenant compte de ce qui figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons « surgagé » de 303 millions d’euros.

Pour ce qui concerne les niches fiscales, vous avez raison, monsieur le rapporteur général, nous respectons la règle de gage, mais pas dans l’immédiat, seulement au regard de son évolution, c'est-à-dire à l’horizon 2013.

En effet, la baisse de la TVA dans la restauration – mais s’agit-il vraiment d’une niche ? Après tout, le taux réduit de TVA sur la restauration rapide n’a jamais été considéré comme une niche ! –, dont le coût pour l’État atteindra 2,5 milliards d’euros, ainsi qu’un certain nombre d’autres décisions sont gagées par toute une série de mesures. Je pense notamment à la réduction du taux de défiscalisation en faveur des biocarburants, à la suppression de la demi-part octroyée aux parents isolés et à la diminution quasi automatique de la prime pour l’emploi, qui est une niche fiscale, à la suite de la création du RSA, qui est une prestation.

Si vous le souhaitez, monsieur le rapporteur général, madame Bricq, je vous présenterai un tableau détaillé montrant clairement que nous respectons la règle de gage.

Si nous ne la respectons pas tout de suite, c’est parce que la suppression des différentes niches fiscales sera progressive et bénéficiera d’une véritable montée en puissance, dont il faut bien tenir compte. Il n’est donc pas complètement malhonnête de présenter les choses ainsi. Au demeurant, je suis bien évidemment prêt à en débattre avec vous.

M. Marini, M. About et M. Arthuis ont longuement évoqué la « trilogie » chère à la Haute Assemblée. Dans la mesure où nous en reparlerons au cours des semaines qui viennent, je serai bref.

La suppression de l’ISF, c’est une sorte de marqueur politique. On est bien au-delà d’une décision technique.

Mme Raymonde Le Texier. Aucune décision fiscale n’est « technique » !

M. Eric Woerth, ministre. Il s’agit en tout cas d’une décision compliquée, que le Gouvernement ne souhaite pas prendre, n’envisage pas de prendre.

Je ne prétends pas que votre raisonnement ne tient pas. D’ailleurs, puisqu’il est « trilogique », il est donc trois fois logique, ce qui est un gage de solidité ! (Sourires.) Il reste que nous n’entendons pas supprimer l’ISF.

Et nous ne voulons pas non plus supprimer le bouclier fiscal. Cela fait déjà deux éléments de la trilogie dont nous ne voulons pas ! (Nouveaux sourires.)

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il faut considérer l’ensemble !

M. Eric Woerth, ministre. Qu’en est-il, alors, du troisième ? Eh bien, nous n’en voulons pas non plus ! (Rires.) Dans la mesure où nous ne souhaitons pas augmenter les impôts, nous sommes défavorables à la création d’une nouvelle tranche de l’impôt sur le revenu.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Vos propos ont le mérite de la clarté !

Mme Nicole Bricq. Vous êtes dans une nasse !

M. Éric Woerth, ministre. Vous trouvez sans doute que je manque cruellement d’enthousiasme à l’égard de la trilogie mais, rassurez-vous, j’aurai bientôt l’occasion de développer mon argumentation.

Madame Bricq, vous prétendez – vous ne l’avez peut-être pas dit tout à l'heure, mais vous l’avez en tout cas fortement pensé ! (Nouveaux sourires.) – que notre fiscalité n’est pas assez progressive,…

Mme Nicole Bricq. Je persiste et signe !

M. Éric Woerth, ministre. … mais laissez-moi vous rappeler que les 350 000 ménages les plus imposés, soit moins de 1 % des foyers fiscaux, acquittent tout de même près de 39 % de la recette de l’impôt sur le revenu. Il est donc difficile de contester la forte progressivité de cet impôt, même si l’on peut débattre de celle de notre système d’imposition dans son ensemble, dès lors que l’on inclut la TVA ou d’autres prélèvements.

J’attire tout de même votre attention sur la complexité de cette question et sur le fait que, dans notre pays, l’impôt constitue un puissant répartiteur de richesses. En effet, notre système généreux de prestations sociales, qui nous distingue d’autres États et dont nous pouvons être fiers, permet d’atténuer les inégalités entre les ménages.

Mme Nicole Bricq. C’est en effet ce qu’il devrait faire…

M. Éric Woerth, ministre. Il me semble inconcevable de réfléchir à l’équité de nos impôts sans envisager leur dimension redistributive. En tout état de cause, il faudra prolonger ce débat intéressant.

Pour répondre à M. Vasselle et à Mme Dini, je dirai que nous nous sommes efforcés d’être réalistes sur les comptes sociaux. Les chiffres que nous communiquons ne sont pas inexacts, madame Le Texier, mais ils peuvent le devenir en même temps que les prévisions, notamment lorsque des crises surviennent, qui bouleversent ces prévisions.

En 2009, nous avons systématiquement déposé des collectifs budgétaires, ce qui nous a d’ailleurs valu bien des critiques. Nous avons eu le courage de dire que nous nous étions trompés et, dans un environnement aussi chahuté, c’était, me semble-t-il, la bonne attitude à adopter.

Qu’il s’agisse de la dette de l’État à l’égard de la sécurité sociale ou des sous-budgétisations, nous ne voulons rien dissimuler. Vous disiez joliment, madame Le Texier, que la poussière était plus épaisse que le tapis. En l’occurrence, il n’y a rien « sous le tapis » ! Peut-être est-il usé, peut-être faudra-t-il un jour le changer, mais nous ne cachons rien dessous !

Certes, vous avez raison de souligner, madame Dini, que la dégradation des soldes des comptes sociaux est éminemment préoccupante. Il me sera toutefois difficile d’y remédier très efficacement dans la période actuelle.

Tout d’abord, même en nous fondant sur une hypothèse optimiste de croissance de la masse salariale de 5 % après la crise, contre 4 % en moyenne avant celle-ci, nous aurons bien du mal à rééquilibrer les comptes, car nous sommes descendus très bas.

Les années qui viennent resteront difficiles, même si nous maîtrisons aujourd’hui assez correctement les dépenses d’assurance maladie – je ne parle pas des retraites –, grâce à un pilotage fin. Avant la crise, il faut le savoir, nous avions ainsi ramené le déficit de l’assurance maladie à 4,4 milliards d’euros, et espérions le réduire encore. Nous nous sommes efforcés de respecter l’ONDAM et, avec un niveau normal de recettes, le déficit de l’assurance maladie s’élèverait plutôt à 3 milliards qu’à 10 milliards ou 12 milliards d’euros. C’est bien la crise qui est responsable de la dégradation. En 2012, la révision à la baisse de la masse salariale pèsera pour 17 milliards d’euros !

Nous avions également prévu de financer une partie de l’assurance vieillesse par un transfert de cotisations UNEDIC, mais nous devrons vraisemblablement y renoncer dans les années qui viennent, soit un manque à gagner de 6 milliards d’euros, à quoi s’ajoutent les dépenses liées à l’endettement de la sécurité sociale, lequel augmente parallèlement aux déficits.

Le défi est important, mais nous le relèverons, 2010 faisant figure d’année charnière. Nous ne savons pas ce que sera le rythme de la reprise – qui peut prétendre le savoir ? –, ce que sera la recette de l’impôt sur les sociétés, ce que sera l’évolution de la masse salariale ; nous n’avons pas, par conséquent, de visibilité sur les recettes de 2010. Ce n’est donc pas le moment d’augmenter la CRDS, comme d’aucuns le suggèrent. Nous avons encore la capacité de gérer notre dette sociale et la solution temporaire que nous proposons, en utilisant l’ACOSS, ne me semble pas aberrante ; elle est même tout à fait acceptable, car peu onéreuse.

Il faut également élargir le plus possible l’assiette des prélèvements. Nous l’avons déjà fait, notamment en taxant les stock-options, et nous continuerons de le faire.

Sur les allégements de charges, il convient d’agir avec prudence. Revenir sur les 22 milliards d’euros d’allégements reviendrait à augmenter le coût du travail, particulièrement des bas salaires. Cela nuirait inéluctablement à la compétitivité de notre pays et, de surcroît, ferait vraisemblablement augmenter le chômage, ainsi que toutes les études s’accordent à le dire. Ne jouons donc pas avec le feu ! D’ores et déjà, j’ai demandé à mon ancien directeur de cabinet, M. Jean-Luc Tavernier, d’étudier toutes les facettes de ce problème, y compris l’annualisation, et de faire des propositions.

En ce qui concerne les taxes comportementales, on a déjà augmenté de 23 % l’an dernier celle sur les alcools forts, qui rapporte 5 milliards d’euros. Sur le tabac, le produit des taxes s’élève à 13,5 milliards d’euros. Nous n’augmenterons pas leur poids, qui est déjà de 80 %, mais nous allons augmenter de 6 % le prix du tabac, pour répondre à la demande des fabricants. Cette hausse, substantielle en l’absence d’inflation, bénéficiera au futur plan cancer qu’annonceront le Président de la République et Roselyne Bachelot-Narquin.

Je n’entrerai pas, en cet instant, dans le débat sur la taxe professionnelle. Nos échanges à venir nous conduiront à y revenir largement, mais je prends note des excellentes remarques des uns et des autres, notamment du rapporteur général de la commission des finances.

Comme le Président de la République l’a indiqué, nous sommes prêts à nous lancer dans la réforme des valeurs locatives foncières, évoquée par Jean Arthuis. La révision des valeurs locatives des locaux commerciaux prolongerait opportunément la réforme de la taxe professionnelle. Pour les locaux d’habitation, plusieurs méthodes existent ; la question est à l’étude et nous devrons définir un calendrier.

M. Foucaud a critiqué la prime pour l’emploi, dont l’évolution ne peut pourtant plus être analysée indépendamment du RSA, qui représente 1,5 milliard d’euros de plus que tout ce qu’il remplace. Il faut donc regarder l’ensemble du paysage. Il nous a aussi exhortés à ne pas diminuer les impôts. Pourtant, lorsque la gauche a supprimé la part salariale de la taxe professionnelle, il me semble que cela le choquait moins… Quoi qu’il en soit, nous assumons nos décisions.

Je remercie Charles Guené de partager notre stratégie sur la taxe professionnelle et Aymeri de Montesquiou de partager nos objectifs, à défaut d’approuver nos solutions.

Je remercie aussi Nicole Bricq, même si elle ne partage ni nos objectifs ni nos solutions… (Sourires.) Il faut bien admettre que vous ne manquez pas de talent, madame la sénatrice, et je m’efforcerai de vous répondre plus précisément lors de la discussion budgétaire. Nous aurons en particulier un débat sur les collectivités territoriales, auxquelles l’État transfère, tout compris, 90 milliards d’euros. Chacun en conviendra, sans cet apport, le déséquilibre des comptes des collectivités se trouverait accru d’autant. Au lieu de nous lancer dans une bataille de chiffres, tâchons plutôt d’examiner sereinement les ressorts de l’articulation entre l’État et les collectivités locales.

Monsieur About, vous vous êtes notamment inquiété, à juste titre, de la part croissante des dépenses contraintes des collectivités. La rigidité des dépenses de l’État est tout aussi préoccupante. Ainsi, lorsque je demande à la direction du budget de remettre sur le métier le dossier des dépenses, elle commence toujours par me fournir des graphiques de rigidité…

Enfin, Mme Le Texier a soulevé le problème de la caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES : le projet de loi de financement de la sécurité sociale nous donnera l’occasion d’y revenir. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales, M. le rapporteur général de la commission des finances et M. Nicolas About applaudissent.)