Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat sur l’application de la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale vient très opportunément devant notre Haute Assemblée aujourd’hui, un an après le rapprochement budgétaire et financier des deux institutions, police nationale et gendarmerie, et près de six mois après la promulgation d’une loi qui avait suscité bien des inquiétudes sur l’ensemble de nos travées.

Que notre collègue Jean-Louis Carrère, que Mme Klès a bien voulu remplacer aujourd'hui, soit remercié d’avoir pris l’initiative de ce débat dont nous attendons qu’il apporte éclaircissements et explications sur certains points et apaise les craintes que nous avons entendu s’exprimer ici et là.

J’étais intervenue dans cet hémicycle, il y a un an, devant le prédécesseur de M. Hortefeux et je l’avais interrogée sur la nécessité de revenir sur un mode de fonctionnement de la police et de la gendarmerie, institué en 1798, qui faisait encore ses preuves avec deux forces distinctes placées sous deux autorités différentes œuvrant de conserve à la sécurité des biens et des personnes. Je m’étais inquiétée de la non-concordance des temps entre l’examen de la loi de finances mettant concrètement en œuvre des dispositions et le vote de ces dispositions qui ne devait intervenir que huit mois plus tard.

Je me dois d’admettre que l’épreuve du terrain donne raison au Gouvernement. Concrètement, le rapprochement, opéré de fait depuis bien longtemps, tend maintenant vers un enrichissement mutuel des cultures dont police et gendarmerie tirent un vrai bénéfice. La mise en commun de compétences et de savoir-faire, le renforcement de la cohérence et de la complémentarité de l’activité des deux forces ne sont plus à démontrer. La mutualisation de certaines formes de logistique contribue également à cette meilleure efficacité opérationnelle. Le spectre de la « fusion », que nous étions nombreux à redouter, s’est quelque peu éloigné. Le statut militaire des gendarmes n’est pas entamé ; la spécificité de la police est respectée comme celle de la gendarmerie.

Mais alors d’où vient ce malaise que font remonter jusqu’à nous certains gendarmes qui nous ont interpellés ?

En effet, certains sous-officiers en fin de carrière et certains officiers prononcent encore mezza-voce le mot « fusion ». S’agirait-il de problèmes statutaires que pourtant le ministre de l’intérieur s’efforce de régler selon les engagements pris ? Les décrets publiés à la fin du mois de décembre sont là pour en témoigner, comme ceux qui sont en préparation ou prêts à être publiés.

D’autres militaires ont cru que leur mode même d’action serait remis en cause dans le cadre de cette recherche d’efficience que le Gouvernement s’est donné pour objectif.

Il faut les rassurer : la quête de l’efficience ne passe pas par un appauvrissement des tâches. Il n’y a pas « doublon » entre police et gendarmerie lorsque, pour une activité donnée, les méthodes d’approche, les moyens, les objectifs sont différents. Le renseignement tel que pratiqué dans nos zones rurales par la gendarmerie n’a rien à voir, chacun s’accorde à le reconnaître, avec le renseignement recueilli par les nouveaux services unifiés de la police.

Je serai aux côtés de ces militaires pour veiller à ce que la spécificité de leur métier soit reconnue et respectée et qu’ils ne soient pas relégués, parce que là est leur crainte, à un rôle de « police des chemins creux ». Cette crainte est d’ailleurs partagée par bon nombre d’élus ruraux, dont je suis.

Nous connaissons les contraintes de la RGPP, nous mesurons la nécessité de réduire les effectifs, mais ne sommes-nous pas en droit de nous inquiéter de cette suppression de 1 303 postes en 2010, succédant à une suppression déjà réalisée de 1 246 emplois en 2009, soit au total 2 500 en deux ans alors que la LOPSI avait fixé à 7 000 emplois les renforts nécessaires ?

N’avons-nous pas raison de faire valoir que la seule prise en compte des statistiques du nombre des plaintes déposées ou du taux d’élucidation des crimes et délits ne doit pas gouverner toute la réflexion sur les conditions du maillage territorial de la gendarmerie ?

Il y a bien peu de temps qu’ont été réorganisées les communautés de brigade, avec leurs conséquences sur l’organisation quotidienne de l’activité de la gendarmerie. Et voilà que l’on se retrouve au pied du mur à chercher comment réparer le non-remplacement de gendarmes dans nos territoires ruraux où s’installe de plus en plus une forme de désespérance, à l’image de celle dont nous gardons tous la mémoire et qui avait atteint il n’y a pas si longtemps le département de la Creuse.

Avec les gendarmes et pour eux, nous avons maintenant, au-delà de la guerre des chiffres, besoin de nouveaux fondements.

M. le ministre de l’intérieur nous a montré qu’il veillait à lutter contre l’instabilité textuelle et je suis assurée de sa volonté de conduire à bonne fin les 147 décrets prévus par la loi.

La paix sociale est au cœur de ses préoccupations. Il le démontre aussi sur le plan statutaire. Néanmoins, il reste beaucoup à faire pour maintenir à bon niveau le fonctionnement des casernes, la part patrimoniale de l’État dans l’immobilier de la gendarmerie.

Mais plus que tout, me semble-t-il, il faut mettre en chantier ce qui jusqu’ici n’a été qu’approche partielle : je pense à la nécessaire répartition des territoires et à la fixation d’objectifs respectueux de la police et de la gendarmerie dans leurs différences en même temps que dans leur complémentarité.

Je suis sûre que M. le ministre saura entendre les inquiétudes des uns et des autres et y répondre. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. Nicolas About applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Faure.

M. Jean Faure. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi relative à la gendarmerie nationale, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur au Sénat, a été adoptée définitivement par le Parlement le 23 juillet 2009 et promulguée par le Président de la République le 3 août dernier.

M. Didier Boulaud. Mais la commission de la défense a voté contre le budget !

M. Jean Faure. À ce jour, sur la quarantaine de décrets nécessaires à sa mise en œuvre, dix-sept décrets et neuf arrêtés ont été pris par le Gouvernement.

Vouloir débattre aujourd’hui de son application, moins de six mois après son adoption, comme nous y invitent nos collègues du groupe socialiste, peut sembler à première vue prématuré.

M. Didier Boulaud. Cette loi est appliquée depuis le 1er janvier 2009 !

M. Jean Faure. Je rappelle en effet que, en vertu de la loi de simplification du droit du 9 décembre 2004, le Gouvernement est tenu de présenter, six mois après l’adoption d’un texte de loi, …

M. Didier Boulaud. Cela fait un an que le rapprochement est opéré !

M. Jean Faure. … un rapport sur sa mise en œuvre portant notamment sur l’état d’avancement des décrets d’application. Il aurait donc été plus logique d’attendre la parution de ce rapport, prévue le mois prochain, pour pouvoir dresser un premier bilan de l’application de la loi relative à la gendarmerie nationale.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Il a raison !

M. Jean Faure. Par ailleurs, je voudrais rappeler que, sur l’initiative du Sénat, une disposition, que vous avez personnellement soutenue, monsieur Boulaud, a été introduite dans la loi aux termes de laquelle « le Gouvernement remet au Parlement, tous les deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, un rapport évaluant, …

M. Didier Boulaud. La loi de programmation militaire prévoyait un rapport qu’on n’a jamais vu venir !

M. Jean Faure. … d’une part, les modalités concrètes du rattachement organique et budgétaire de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur et notamment son impact sur son organisation interne, ses effectifs, l’exercice de ses missions et sa présence sur le territoire […] ». Toutes ces questions ont justement été posées par Mme Klès.

Il est aussi prévu que « ce rapport comporte les éléments relatifs à l’obtention d’une parité globale entre les personnels des deux forces ». Ce point a également été soulevé par Mme Klès.

Enfin, la loi précise que ce rapport « est préparé par une instance extérieure aux services concernés ».

Ainsi, le Gouvernement devra remettre au Parlement, à l’été 2011, un rapport d’évaluation détaillé, comprenant notamment un bilan du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur.

En introduisant cette disposition, nous souhaitions disposer d’une évaluation précise des conséquences du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur afin d’avoir la possibilité d’en corriger éventuellement les effets.

Je le répète, madame Klès, il me semble qu’il aurait été préférable d’attendre que la loi relative à la gendarmerie nationale ait pu produire tous ses effets, y compris ceux que vous dénoncez, …

M. Jean-Jacques Mirassou. Non, justement : il faut empêcher cela !

M. Jean Faure. ... que l’ensemble des mesures réglementaires aient été adoptées et que le rapport d’évaluation ait été publié pour pouvoir débattre sereinement de son application.

Pour autant, en tant que parlementaire et démocrate, je reconnais que, en organisant un tel débat, le Parlement est pleinement dans son rôle en matière de contrôle de l’application des lois. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité y prendre part.

En revanche, la question des effectifs et des moyens consacrés à la gendarmerie me paraît relever davantage du débat budgétaire que d’un débat sur le contrôle de l’application des lois.

M. Didier Boulaud. C’est pourquoi on n’a pas adopté le budget !

M. Jean Faure. Ayant déjà longuement évoqué ce sujet dans mon rapport pour avis sur les crédits de la mission « Sécurité » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010, je ne reviendrai pas ici sur ces aspects. Toutefois, Mme Klès nous ayant laissé entendre qu’on ne lui avait pas communiqué tous les travaux effectués par la commission, en particulier ceux de la commission spéciale créée à l’occasion de l’examen du projet de loi relative à la gendarmerie nationale, je voudrais rappeler l’état d’esprit dans lequel nous avons abordé ce texte.

Ce projet de loi a présenté un caractère « historique », puisque, depuis 1798, le Parlement n’avait jamais légiféré dans ce domaine. En deux siècles, seul un simple décret, datant de 1903, portant règlement sur l’organisation et le service de la gendarmerie a été pris. Pourtant, depuis sa création, la gendarmerie a beaucoup évolué. Le rapprochement spontané avec le ministère de l’intérieur …

M. Didier Boulaud. « Spontané » ! Elle est bien bonne celle-là !

M. Jean Faure. … a eu des conséquences sur le terrain qui ont obligé le ministre de l’intérieur à intervenir. Il fallait donc tenir compte de toutes les modifications qui sont intervenues au cours des années, voire des siècles.

Cette réforme est profonde puisqu’elle organise le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur, conformément, comme vous l’avez rappelé, madame Klès, à la volonté exprimée par le Président de la République dans son discours du 29 novembre 2007. Pour autant, ce n’est pas le Président de la République qui en a arrêté et défini les contours…

M. Didier Boulaud. Bien sûr que si !

M. Jean Faure. … et qui a décidé de tous les dispositifs qui peuvent poser problème.

M. Didier Boulaud. C’est lui et lui seul ! Il avait commencé lorsqu’il était ministre de l’intérieur.

M. Jean Faure. Avant même le dépôt du projet de loi, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait souhaité constituer en son sein un groupe de travail chargé de réfléchir à l’avenir de l’organisation et des missions de la gendarmerie.

Par sa composition, ce groupe de travail, que je présidais, reflétait la diversité politique de notre assemblée. Il était composé de nos collègues Michèle Demessine, Hubert Haenel, Charles Pasqua et, pour le groupe socialiste, qui y était largement représenté, de Philippe Madrelle et André Rouvière, ce dernier ayant été extrêmement actif tout au long de nos travaux.

Nous avons présenté ensemble dix-sept recommandations, qui ont été adoptées à l’unanimité.

Mme Virginie Klès. Je n’étais pas là !

M. Jean Faure. Je le sais, chère collègue, c’est pour cela que je me permets de faire ce rappel.

Nos dix-sept recommandations ont été reprises dans un rapport d’information publié en avril 2008, rapport dont le Gouvernement disposait pour la préparation du projet de loi.

Pour l’examen du projet de loi, je me suis largement fondé sur ces recommandations.

M’inspirant d’une phrase figurant dans le décret du 20 mai 1903 – j’y repensai en vous écoutant présenter vos observations, madame Klès –, j’ai également « cherché à bien définir la part d’action que chaque département ministériel peut exercer sur la gendarmerie, afin de sauvegarder cette arme contre les exigences qui ne pouvaient trouver leur prétexte que dans l’élasticité ou l’obscurité de quelques articles ». On le voit, il y a une continuité dans la réflexion.

Je tiens également à souligner l’excellente collaboration avec le rapporteur pour avis de la commission des lois, notre collègue Jean-Patrick Courtois.

Le texte initial du projet de loi, déposé en premier lieu au Sénat, ne comportait que dix articles. Lors de son examen, j’ai présenté une vingtaine d’amendements, qui ont tous été adoptés par la commission. À l’issue de son adoption par le Sénat en décembre 2008, le projet de loi comportait vingt-deux articles, soit plus du double. Le travail parlementaire a donc été très significatif. Après son adoption par l’Assemblée nationale en juillet dernier, le projet de loi en comportait vingt-six, soit quatre de plus. Quant au texte issu de la commission mixte paritaire, il en comprenait vingt-sept.

M. Didier Boulaud. Comptes d’apothicaire !

M. Jean Faure. Un véritable travail parlementaire, fait d’échanges et de discussions, a donc eu lieu, même s’il y a eu quelques renoncements. Je tiens à souligner, par souci d’honnêteté, que notre collègue Jean-Louis Carrère a parfaitement défendu certaines positions qui ont conduit le groupe socialiste à voter contre le texte.

M. Jean Faure. Je tenais à rappeler le processus d’élaboration du rapport qui avait finalement été adopté à l’unanimité.

M. Jean-Jacques Mirassou. Ce n’était que le rapport !

M. Jean Faure. Quelles ont été les principales modifications introduites par le Sénat ?

Nous avons entièrement réécrit l’article définissant les missions de la gendarmerie nationale afin de consacrer son caractère de force armée, d’y mentionner expressément son rôle, contesté d’ailleurs par certains collègues, en matière de police judiciaire, l’une de ses missions essentielles, d’affirmer son ancrage territorial et de rappeler sa vocation militaire, notamment sa participation aux opérations extérieures.

L’envoi de 150 gendarmes français en Afghanistan, tout comme la présence de gendarmes en Géorgie et en Côte d’Ivoire témoignent, à cet égard, de l’atout que constitue le statut militaire de la gendarmerie pour ce type d’opérations.

Nous avons également introduit un nouvel article afin de consacrer dans la loi le principe du libre choix du service enquêteur par l’autorité judiciaire. On le voit, chaque département ministériel a sa propre feuille de route.

La question des relations avec les préfets avait suscité des interrogations, y compris dans nos rangs et chez votre serviteur. Nous avons longuement débattu de cette question. Il ne s’agissait pas pour nous de remettre en cause le rôle du préfet, qui occupe une place essentielle en matière de coordination des forces de sécurité publique, mais il nous semblait nécessaire de concilier le rôle central du préfet avec le respect de la chaîne hiérarchique consubstantielle au statut militaire de la gendarmerie.

M. Jean Faure. En définitive, nous sommes parvenus, je le pense, à un bon équilibre sur ce point et je constate que, quelques mois après l’adoption de la loi, cet équilibre a été traduit au niveau réglementaire et que chacun a trouvé sa juste place.

La suppression de la procédure de réquisition a constitué un autre sujet délicat, qui a fait l’objet d’un très long débat. Estimant que cette procédure n’était pas compatible avec le rattachement au ministère de l’intérieur, nous avons accepté de la supprimer en prévoyant toutefois deux tempéraments : d’une part, le maintien d’une procédure d’autorisation pour le recours aux moyens militaires spécifiques, comme les véhicules blindés ou certaines armes à feu, et, d’autre part, à la demande du groupe socialiste, l’encadrement de l’usage des armes à feu au maintien de l’ordre, tant par les gendarmes que par les policiers, …

M. Jean Faure. … en particulier afin de garantir la traçabilité des ordres. Nous serons d’ailleurs très attentifs, monsieur le secrétaire d’État, au décret d’application qui sera pris concernant cet article.

Par ailleurs, nous avons adopté d’autres modifications au texte du Gouvernement, notamment afin de reconnaître le rôle essentiel joué par les réservistes de la gendarmerie nationale.

En outre, grâce à ce projet de loi, les militaires de la gendarmerie bénéficieront d’une grille indiciaire spécifique, ce qui permettra d’aller vers une parité globale de traitement et de carrière entre les gendarmes et les policiers, conformément à l’engagement pris par le Président de la République.

En définitive, je pense pouvoir affirmer que, au-delà des clivages politiques, les travaux du Sénat ont été marqués par le souci d’apporter toutes les garanties concernant le maintien du dualisme…

Mme Michelle Demessine. C’est une interprétation exagérée !

M. Jean Faure. … des forces de sécurité publique et le caractère militaire de la gendarmerie.

Je termine, monsieur le président.

Il n’y aura pas de disparition du statut militaire des gendarmes ni de fusion entre la gendarmerie et la police. Peut-être le malaise auquel certains font allusion existe-t-il dans certains cas, mais je peux vous dire, moi qui rencontre les brigades toutes les semaines, que, à la base, la gendarmerie est très satisfaite de ce dispositif. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Didier Boulaud. Ils nous appellent aussi et ce n’est pas ce qu’ils nous disent !

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cinq mois après le vote de la loi organisant le rattachement total de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur, la question posée au Gouvernement par notre collègue Jean-Louis Carrère est tout à fait justifiée.

M. Didier Boulaud. Très bien !

Mme Michelle Demessine. Lors de la discussion de ce texte, j’avais moi-même évoqué, au nom du groupe CRC-SPG, certains de ses dangers et de ses effets pervers.

J’indique que, si nous avons adopté à l’unanimité le rapport et les recommandations de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous avons été très clairs sur les raisons de notre opposition au projet de loi. Il serait très dangereux de faire un amalgame entre ces deux positions, je tenais à le préciser.

M. Didier Boulaud. Absolument !

Mme Michelle Demessine. En premier lieu, nous craignions la concentration en une seule main de tous les pouvoirs et de tous les moyens affectés à la sécurité intérieure. C’est sans doute ce risque qui a motivé l’opposition de tous ceux qui ont vu se profiler derrière ce texte un recul des libertés publiques et des droits individuels, ainsi que la possibilité d’appliquer sans entraves la politique sécuritaire, centralisatrice et répressive du Président de la République.

En second lieu, nous craignions la remise en cause à terme de cette spécificité républicaine et démocratique de notre pays que constitue l’existence de deux forces de police différentes, le risque étant que le statut militaire de la gendarmerie soit subrepticement vidé de sa substance.

Les craintes que nous avions exprimées sur les risques d’une fusion à terme de la police et de la gendarmerie étaient justifiées.

Mme Michelle Demessine. Certaines conséquences concrètes de la loi, comme les réductions d’effectifs et la mutualisation des moyens entre la gendarmerie et la police – les commandes de matériels et la formation leur sont désormais communes –, illustrent cette tendance à faire disparaître la spécificité de chacune des deux forces. À cela s’ajoutent les pressions de toutes parts en faveur d’une convergence des statuts.

Je le rappelle, cette réforme n’était voulue ni par les policiers ni par les gendarmes.

M. Didier Boulaud. Ni par la ministre de la défense de l’époque, devenue ensuite ministre de l’intérieur !

Mme Michelle Demessine. Chacun souhaitait conserver son budget, ses effectifs et son périmètre de missions.

Les élus locaux ne la réclamaient pas non plus. Ils redoutaient surtout – leurs craintes étaient fondées – d’avoir à faire face, du fait de la révision générale des politiques publiques, à des suppressions de brigades, lesquelles suscitent le mécontentement des populations, qui éprouvent alors un sentiment d’insécurité.

Ces réductions d’effectifs – 1 300 emplois seront supprimés dans les gendarmeries en 2010 – conduiront inéluctablement à une diminution de la présence de la gendarmerie dans les zones rurales. Elles laissent présager un démantèlement progressif de ce service public de sécurité intérieure.

Au-delà des réductions d’effectifs, la refonte de la carte des zones de compétence entre la police et la gendarmerie me semble s’effectuer concrètement au détriment de la gendarmerie.

Ainsi, M. le ministre souhaite étendre les polices d’agglomération à Marseille, à Lyon et à Paris, sur le modèle lillois, bien que cette nouvelle structure ait à Lille suscité le mécontentement tant des policiers et des gendarmes que des élus locaux de toutes appartenances politiques. Un rassemblement de fonctionnaires de police est d’ailleurs prévu aujourd’hui même devant la préfecture du Nord.

Cet été, les cinq maires de mon département qui dépendent de la brigade de Quesnoy-sur-Deûle, Frelinghien, Warneton, Verlinghem et Deûlémont vous ont écrit pour protester d’avoir appris par la presse le transfert en secteur de police de leurs communes situées actuellement en zone de gendarmerie. On a bien tenté de les rassurer en leur répondant que ce transfert n’était pas opportun dans l’immédiat, mais l’absence de concertation en amont est révélatrice d’intentions inavouées. Elle ne peut que conforter ceux qui, comme moi, estiment que, à terme, cette loi aboutira à la fusion de nos deux forces de sécurité.

Une autre conséquence concrète de la loi est la mutualisation des moyens de la gendarmerie et de la police. Ainsi 90 % des marchés d’armement sont-ils mutualisés. Les équipements, l’entretien et la réparation automobile le sont également, de même que sont combinés les ateliers de soutien des deux forces. Il en va de même dans le domaine de la formation des unités chargées du maintien de l’ordre, policiers et gendarmes pouvant être formés dans les mêmes centres. Dans le domaine des systèmes d’information et de communication, une réflexion sur l’unification des matériels et des systèmes est également engagée.

Cette rationalisation n’est pas une mauvaise chose en soi, mais elle créera à la longue des habitudes et une uniformisation qui contribueront aussi à faire disparaître l’identité de chaque force. La mutualisation des moyens et le rapprochement institutionnel ne peuvent que créer des conflits entre les deux institutions.

À cet égard, les moyens octroyés à la gendarmerie dans la dernière loi d’orientation ont été de 20 % inférieurs aux prévisions alors que ceux de la police nationale étaient, eux, bien supérieurs. Le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur risque donc de tourner à la mise en concurrence des deux forces.

Enfin, dans la réalité du terrain, les gendarmes ont l’impression de n’avoir plus que les inconvénients du statut militaire, sans en avoir les avantages. On espère sans doute de cette façon que les gendarmes en viendront eux-mêmes à revendiquer une harmonisation statutaire.

En outre, la coexistence au sein d’un même ministère de deux systèmes, la représentation syndicale pour les policiers et la concertation propre aux militaires pour les gendarmes, incitera tôt ou tard, de facto, les uns et les autres à vouloir aligner leurs statuts.

M. Didier Boulaud. C’est évident !

Mme Michelle Demessine. En valorisant autant l’intérêt de la tutelle unique, vous suscitez des aspirations à une convergence accrue, ce qui est, il faut en convenir, extrêmement habile.

Le rapprochement mis en place par la loi aboutira donc à des revendications croissantes de la part des gendarmes en matière de rémunérations, de temps et de conditions de travail, voire de droit de grève ou de liberté syndicale.

La tendance à l’uniformisation des deux forces ne peut qu’inciter les gendarmes à comparer leur statut à celui des policiers, en particulier sur l’un des principes fondamentaux du statut militaire : celui de la disponibilité.

Il est évident que les principes du statut militaire et les contraintes qui en découlent sont un obstacle à l’établissement d’une « parité globale » avec le statut des fonctionnaires de police.

Or, la disponibilité permanente est l’une des caractéristiques essentielles du statut militaire. En garantissant une présence à faible coût sur tout le territoire, ce statut militaire permet à la gendarmerie, grâce à sa disponibilité, d’assurer l’égalité des citoyens en matière de sécurité.

Ainsi, je reste persuadée, cinq mois après, que, s’il avait été uniquement question de moderniser et de mutualiser les moyens, d’améliorer les conditions d’emploi de ces deux forces et d’assurer une meilleure coopération entre elles, le rattachement auprès de votre ministère ne s’imposait pas.

M. Didier Boulaud. Absolument !

Mme Michelle Demessine. Les exemples donnés par notre collègue M. Carrère, ainsi que par Mme Klès à l’instant, et la demande qu’ils ont faite à M. le ministre d’établir un bilan d’étape des conséquences de la loi, prennent ainsi tout leur sens. Nous espérons obtenir des réponses précises. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud. Ce qu’a fait une loi, une autre loi peut le défaire ! Et elle le défera !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Ça m’étonnerait !

M. Didier Boulaud. Cela se fera sans vous !

M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris.

M. Joseph Kergueris. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question soulevée par notre collègue Mme Klès témoigne de la vigilance du Sénat et de l’attention que les membres de notre assemblée portent à l’application des lois.

Cette même question nous a logiquement amenés à examiner l’état d’avancement de la mise en œuvre de la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale.

Ce faisant, nous avons constaté que de nombreux décrets prévus par ce texte étaient en attente de publication et que, pour cette raison, d’importantes dispositions n’étaient pas encore entrées en vigueur.

Les mesures réglementaires prises par le Gouvernement ont été publiées il y a moins d’un mois. Je crains donc qu’il ne soit un peu tôt pour évaluer les conséquences du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur. (Marques d’approbation sur les travées de lUMP.)

Quoi qu’il en soit, la date de promulgation du texte constitue une contrainte dont nous devons tenir compte.

Pour prématurée qu’elle soit, cette question orale n’en est pas moins intéressante puisqu’elle nous offre l’occasion de demander à M. le ministre de l’intérieur où en est la mise en œuvre de ce texte que nous considérons comme important.

Peut-être pouvez-vous nous indiquer si le rattachement organique et budgétaire de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur produit effectivement les bénéfices attendus.

L’unicité de commandement permet-elle effectivement de renforcer la coopération entre la police et la gendarmerie en matière de lutte contre la criminalité ? Les échanges d’information entre les deux forces de sécurité sont-ils plus nombreux et plus rapides ?

J’ai constaté avec satisfaction qu’à la suite de l’interpellation en flagrant délit par les gendarmes de Haute-Corse d’un individu qui cambriolait les locaux d’un restaurant le 27 décembre dernier, la cellule anti-cambriolage de ce département a procédé à des recoupements qui ont permis d’imputer pas moins de trente cambriolages à deux individus, pour un butin d’environ 100 000 euros.

Doit-on penser, à la lumière de cet exemple, que ces recoupements ont été facilités par une circulation plus fluide des informations entre policiers et gendarmes ? Y a-t-il des éléments concrets permettant de mesurer les premiers effets du rapprochement ?

Engagée depuis le décret du 19 septembre 1996, la mutualisation des moyens entre la police et la gendarmerie est récente. A-t-elle progressé grâce au rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur ?

Pourrait-on nous indiquer comment son application s’articule avec la révision générale des politiques publiques, mais aussi avec la loi de programmation militaire ?

M. Didier Boulaud. Ce n’est pas compliqué, ce sont des pourcentages !

M. Joseph Kergueris. Je salue également la question présentée par Mme Klès en ce qu’elle m’offre l’occasion de faire part de mon étonnement. En effet, j’ai cru observer - mais je suis sûr que l’on va me rassurer - des mouvements de crédits quelque peu surprenants en fin d’année dernière.

Ainsi, un décret du 15 décembre dernier a affecté 23,5 millions d’euros initialement dévolus au programme 152 de la mission «  Sécurité » de la gendarmerie nationale au programme 176 de la police nationale, afin de satisfaire un besoin pressant de rémunérations.

Faut-il y voir un exemple de mutualisation ?

M. Didier Boulaud. C’est le principe des vases communicants ! Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Joseph Kergueris. C’est un principe constant de physique, cher collègue, efficace en matière de châteaux d’eau !

Je profite enfin de notre discussion pour redire l’attachement de notre groupe à trois principes très importants, attachement que M. le ministre partage assurément.

Je pense tout d’abord au maintien du statut militaire de la gendarmerie nationale. L’aboutissement du rapprochement issu de la loi du 3 août dernier doit permettre d’accélérer la complémentarité et la coordination de nos deux forces de sécurité.

Ce cheminement ne doit en aucun cas aboutir à une fusion. Toute remise en cause du statut militaire de la gendarmerie serait, à nos yeux, inacceptable, nous souhaitons le réaffirmer ici.

Deuxièmement, nous devons progresser vers une parité globale de traitement et de carrière entre gendarmes et policiers, comme notre collègue Jean Faure l’a évoqué à l’instant. Je crois que les progrès qui doivent être accomplis sur cette voie sont importants à double titre : d’abord, pour une question d’équité, ensuite, parce que c’est l’une des conditions de la pérennité du statut militaire.

Enfin, le principe du libre choix du service enquêteur par l’autorité judiciaire doit être pleinement appliqué et respecté.

Voilà, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, les questions et les attentes qui sont les nôtres quelques mois après l’adoption de la loi relative à la gendarmerie nationale.

Notre collègue souhaitait que soit établi un rapport d’étape sur l’application de la loi. Je conviens que l’exercice n’est pas aisé, dans la mesure où l’étape a été brève. S’il nous fallait établir une comparaison entre ce dont nous débattons aujourd’hui et le Tour de France, je dirais que nous n’en sommes qu’au prélude qui précède généralement les grandes étapes.

En tout état de cause, l’exercice n’en est pas moins intéressant et ce débat a de la valeur. Il me permet, pour conclure, outre de faire état des préoccupations de notre groupe, de saluer le dévouement et la compétence de nos policiers et gendarmes, tout particulièrement de ceux qui veillent, entre ces murs, à la sérénité de nos débats. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)