M. Jean-Jacques Lozach. Tous les intervenants précédents l’ont répété, la colonne vertébrale de cette réforme, c’est l’instauration du conseiller territorial. C’est le moyen – l’artifice, oserais-je dire – imaginé par le Gouvernement pour réduire tant les pouvoirs locaux que le nombre d’élus. Cette création n’a d’ailleurs été préconisée, demandée ou sollicitée par personne, association nationale d’élus comme formation politique.

Cependant, ces dernières années se dégageait un accord sur la nécessaire clarification entre les collectivités locales, en termes aussi bien de compétences que de financements. Il faut bien admettre que plus personne ne s’y retrouve, et ce constat ne date pas d’hier : on ne sait plus très bien qui fait quoi, qui décide quoi, qui contrôle qui, qui prélève quoi, etc.

C’était d’ailleurs l’objectif premier de cette réforme, quand elle a émergé voilà douze à dix-huit mois. Force est de constater que tel n’est plus le cas aujourd'hui. Loin d’apporter de la lisibilité, ce texte créera de la confusion entre deux échelons, le département et la région, ce qui ne sera pas sans conséquences sur les communes ou les groupements de communes, que ce soit en termes de faisabilité de projets, de coopération entre les exécutifs locaux, de positionnement auprès des administrés ou bien dans les relations quotidiennes avec les services déconcentrés de l’État. Il nous faut redouter un effet domino.

Nous sommes nombreux à craindre que, dans un second temps, la confusion introduite n’entraîne une lutte d’influence, un rapport des forces entre les différents échelons, voire la tutelle ou la mainmise d’un échelon sur l’autre. Dans cette configuration-là, la logique voudrait que les régions l’emportent sur les départements. En réalité, ces dernières ne sortiront pas renforcées de cette réforme. Comme les conseils généraux, elles subissent une asphyxie financière et l’affirmation du fait régional comme pouvoir émergent connaît un brutal coup d’arrêt après vingt-cinq ans de montée en puissance.

En outre, la suppression de la clause de compétence générale concerne aussi bien la région que le département. Bien plus, avec cette réforme, il est à craindre que les présidents de conseil régional ne passent leur temps à arbitrer entre les présidents de conseil général, avec tous les risques de paralysie, voire de polémique qu’une telle situation comporte. Par ailleurs, n’est-ce pas contraire à la libre administration des collectivités, érigée pourtant en principe constitutionnel ?

Personne ne comprend davantage le mode de scrutin à un tour retenu – il n’est qu’à tenter de l’expliquer à son entourage ! –, qui est si éloigné de notre tradition électorale, pas plus que le redécoupage des cantons qui succède au redécoupage inique des circonscriptions législatives. Tout cela crée de la suspicion, tout cela sent la manipulation électorale et la manœuvre politicienne. Nous nous trouvons dans une situation institutionnelle analogue à celle de 1997, qui a vu une certaine dissolution de l’Assemblée nationale dont les conséquences politiques n’ont pas porté chance à leurs auteurs, voire à son auteur.

J’insisterai sur deux points.

En premier lieu, avec cette réforme, c’est la fin de la proximité. Nous mettons le doigt dans un engrenage qui provoquera inévitablement l’effacement de cette notion. C’est sur ce point que divergent le plus la majorité et l’opposition. Pour notre part, nous voulons aller plus loin en matière de décentralisation, c’est-à-dire permettre plus de proximité. Or la disparition programmée des élus locaux de proximité, et leur remplacement par les conseillers territoriaux, traduit une vision des relations entre l’État et les collectivités préméditée, orchestrée, qui va à contresens de l’histoire.

En effet, en cette période de mondialisation, de perte de repères et de références pour nombre de nos concitoyens, la notion de proximité est plus vitale que jamais. Le sort qui l’attend rejoint d’ailleurs tout un ensemble d’autres initiatives, allant malheureusement dans le même sens – disparition des services publics de proximité, changement de statut de La Poste, suppression des pays etc. –,...

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est intéressant, monsieur le président !

M. Éric Doligé. Chacun doit respecter son temps de parole !

M. Jean-Jacques Lozach. ... qui éloigneront les usagers.

En second lieu, s’il a pour objet de créer un nouvel élu et de lui donner les moyens d’exercer son mandat, ce texte est inapplicable. En d’autres termes, mes chers collègues de la majorité, vous prenez la responsabilité d’affaiblir la démocratie locale. C’est pourquoi il est à nos yeux nécessaire de voter contre la création du conseiller territorial ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Guy Fischer applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, sur l’article.

M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parlant du conseiller territorial, l’un de nos collègues a tout à l’heure souligné qu’il serait un élu « génétiquement modifié ». Pour ma part, je considère qu’il apparaîtra à nos concitoyens comme un OVNI, un objet volant non identifié ! (Sourires.)

Ôtons pour quelques instants nos manteaux partisans et faisons taire nos passions et nos émotions pour examiner sereinement le mode de gestion à venir des collectivités territoriales, régionales et départementales. Nous avons une certaine expérience en la matière, ici, au Sénat : nombre d’entre nous ont été ou sont encore conseillers régionaux ou conseillers généraux et connaissent très bien cette matière. Je fus moi-même conseiller régional de Bretagne et suis actuellement vice-président du conseil général d’Ille-et-Vilaine, département qui compte un million d’habitants, en charge de l’action sociale.

Lorsque l’on occupe les fonctions de conseiller régional, on doit appréhender des politiques fortes, les politiques publiques régionales, qui demandent d’autant plus notre attention qu’elles doivent être en cohérence avec les politiques publiques nationales et être croisées avec les politiques départementales. À l’avenir, elles devront en outre l’être avec des réflexions concernant les métropoles. Cela exige une forte attention : il faut créer, comparer, aller sur le terrain, procéder à des auditions, travailler beaucoup.

Parallèlement, les conseillers généraux ont à gérer le domaine de l’action sociale et de la solidarité ; je me cantonne à dessein à ce seul champ auquel nous risquons d’être limités si nous perdons la compétence générale, ce que je ne peux manquer de regretter. Il s’agit de politiques de proximité qui exigent du temps, de la disponibilité et un important travail de terrain.

Il nous faudra certainement continuer à nous occuper de politique familiale, qu’il s’agisse de la petite enfance, de la protection maternelle et infantile, du large problème du vieillissement de la population. Ainsi devrons-nous mettre en place des politiques relatives au maintien à domicile, à la création de places en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Nous aurons également à mettre en œuvre la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées – c’est loin d’être une mince affaire ! –, afin que nos concitoyens handicapés deviennent des citoyens à part entière. Cela suppose la création de maisons départementales des personnes handicapées – nous en connaissons les difficultés ; une proposition de loi sera d’ailleurs déposée sur ce sujet –, mais surtout un très important suivi de la part des conseillers généraux.

Il en va de même pour ce qui concerne le large champ de l’insertion, notamment le revenu de solidarité active, si nous voulons que celui-ci soit une réussite. Il n’en prend malheureusement pas le chemin dans de nombreux départements. Là encore, cela entraîne une charge de travail qui mobilise très fortement chaque conseiller général et qui les mobilisera davantage encore à l’avenir ; je ne vois pas pourquoi il en serait autrement.

En termes de management, pour reprendre une terminologie entrepreneuriale à laquelle sont attachés nos collègues de la majorité, comment la fonction de conseiller territorial est-elle tenable ? Pour ma part, je préfère parler de « métiers ». Les métiers de conseiller régional et de conseiller général sont différents. Certes, du point de vue de l’engagement politique – au sens noble du terme – qu’ils exigent, ils sont proches, mais, en termes de pratique sur le terrain, ils sont très éloignés. Et je ne me m’attarde pas, car d’autres l’ont fait avant moi, sur les distances que le conseiller territorial devra parcourir et qui, on le sait bien, sont à la fois fatigantes et mangeuses de temps.

Si nous raisonnons sereinement et si nous voulons tous faire en sorte que les collectivités territoriales soient à l’avenir au moins aussi bien gérées qu’actuellement, force est de reconnaître que le dispositif que la majorité veut mettre en place, à savoir la création des conseillers territoriaux, est une erreur. Je ne pense pas que la majorité du Sénat s’entêtera à mettre dans le rouge la gestion de nos collectivités territoriales ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l’article.

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur un débat aussi important, qui concerne l’organisation des collectivités territoriales et qui dépend du ministère de l’intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, nous sommes nombreux à déplorer l’absence de Brice Hortefeux. Voilà qui nous semble participer d’une étrange conception de l’administration territoriale.

M. Nicolas About. Le Gouvernement est un !

M. Didier Guillaume. Puisque c’est vous qui êtes présent, monsieur le ministre de l’espace rural, mon intervention portera sur la ruralité.

Ce projet de loi n’est pas anodin, d’une part, parce qu’il concerne tous les territoires et tous les élus, d’autre part, parce qu’il ne veut pas dire son nom. En effet, cela a déjà été souligné, c’est un véritable cheval de Troie : derrière cette réforme avec laquelle on amuse les parlementaires se cache le démantèlement de notre organisation administrative et politique, la remise en cause de la décentralisation amorcée en 1982, la disparition des départements et des régions par la fusion de ces deux échelons. Pour en être convaincu, il suffit d’avoir écouté hier soir le Président de la République, qui a admis que ce qui venait de se passer en Guyane et en Martinique était la préfiguration de ce qui pouvait arriver en métropole.

Vous imaginez bien que notre opposition à ce démantèlement, à cette fusion et à cette disparition des départements ou des régions est totale !

J’axerai mon propos sur la ruralité et la proximité. Dans les départements ruraux, que nous discutions avec les associations de maires ou les conseillers généraux, nous n’avons encore jamais rencontré d’élu de droite favorable à la création du conseiller territorial.

M. Éric Doligé. Si, moi !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un, ce n’est pas mal !

M. Didier Guillaume. À l’exception d’Éric Doligé dans le Loiret ! (Sourires.)

Pour quelle raison ? Parce c’est la fin de la ruralité, la fin de la proximité, la fin du lien entre un élu et un territoire.

Si le territoire d’un conseiller territorial compte 20 000 ou 25 000 habitants, que se passera-t-il dans les départements ruraux, par exemple la Loire, que vous connaissez, monsieur le ministre, mais surtout l’Ardèche ou la Drôme, où la population est très dispersée dans les zones de montagne ? Il devra parcourir cinquante, soixante ou soixante-dix kilomètres dans des cols et des lacets !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Comment font les députés ?

M. Didier Guillaume. Pour les députés, la situation est différente !

C'est une des raisons pour lesquelles nous nous opposons à la création du conseiller territorial !

Au moment où les communes rurales et les cantons ruraux rencontrent des difficultés, où les services publics – gendarmerie, trésorerie, tribunaux – disparaissent, il ne reste que le département et le conseiller général pour les défendre. Avec ce texte, ce sera fini !

Le débat qui est soulevé à l’occasion de la discussion de cette loi est assez clair : voulons-nous poursuivre la décentralisation ? Voulons-nous affirmer que la France, certes, est une et indivisible mais qu’elle est en même temps diverse et décentralisée ?

Les collectivités – communes, intercommunalités, départements, régions – jouent un rôle d’aménagement du territoire, de solidarité territoriale, sociale et humaine. Les départements jouent un rôle d’innovation sans précédent.

Aussi, outre le fait que c’est une manœuvre démagogique et populiste que de sous-entendre que les élus coûtent trop cher, vouloir diminuer de moitié le nombre de conseillers territoriaux est une manière d’imposer une nouvelle conception de la République, M. Pierre Mauroy l’a bien expliqué.

C’est pourquoi tous les membres de notre groupe sont opposés à la création du conseiller territorial. Nous exprimerons cette opposition dans les amendements que nous défendrons et nous voterons contre l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l’article.

M. Pierre-Yves Collombat. Mes chers collègues, je n’avais pas l’intention d’intervenir sur cet article, mais je ne peux pas ne pas réagir après les interventions de MM. Longuet et Maurey.

Selon M. Longuet, nous traiterions avec désinvolture ces questions fondamentales. Mais comment traitez-vous nos travaux ? Que reste-t-il des travaux de la mission Belot et du rapport Krattinger-Gourault ?

Nous avons déposé des amendements qui soulevaient un certain nombre de problèmes et qui visaient à répondre à des lacunes de cette loi. Le rapporteur leur a consacré cinquante-huit secondes !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voyons !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous savez bien que nous n’en avons jamais discuté !

Que les amendements posent des questions fondamentales ou non, ils reçoivent toujours la même réponse : le Gouvernement a déposé un texte, il faut le faire voter !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela me paraît normal, c’est la loi de la majorité !

M. Pierre-Yves Collombat. Si nos interventions vous déplaisent, ne vous en prenez qu’à vous-mêmes !

Je conçois la difficulté qu’éprouve notre collègue Hervé Maurey à ramener dans le giron gouvernemental des brebis égarées. Mais cela ne l’autorise pas à dire n’importe quoi, s’agissant notamment des modes de scrutin applicables aux petites communes de moins de 500 habitants !

Vouloir que le mode de scrutin désormais applicable à toutes les autres communes s’applique aux communes de moins de 500 habitants, ce serait leur faire insulte, dites-vous ? Ce serait donc faire insulte à ces communes que de vouloir qu’elles aient, comme toutes les autres, un maire, une équipe et un programme ? Ce serait leur faire insulte que de ne plus vouloir de ce mode de scrutin qui est un « assassinat entre amis » ?

Vous connaissez le système : dans une commune de 200 habitants où un clan contrôle cinquante voix, on s’inscrit sur la liste du maire sortant, on fait ensuite voter contre lui et on devient maire à sa place ! Vous avez tous vécu cela !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Chez les socialistes, pas chez nous !

M. Pierre-Yves Collombat. C’est pourquoi il faut revenir sur ce mode de scrutin.

On nous dit que les maires ruraux ne veulent pas de cette modification. Mais quels maires ruraux ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas les nôtres !

M. Pierre-Yves Collombat. Certes, monsieur le président de la commission, tous les maires ruraux ne sont pas d’accord sur ce point. En tout cas, l’Association des maires ruraux de France, l’AMRF, est favorable à cette modification, comme elle était, il y a vingt ans, favorable à l’intercommunalité alors que peu l’étaient.

Selon vous, il faudrait donc conserver ce mode de scrutin, qui pose en outre des problèmes en termes de parité.

Je le répète, il faut présenter aux électeurs des équipes constituées avec un maire, pour lesquelles ils pourront voter sans se livrer à l’actuel jeu de massacre !

Vous écoutez les maires ruraux, du moins certains, quand il s’agit de ne pas changer le mode de scrutin. Mais les écoutez-vous quand il s’agit de faire disparaître progressivement le département et la compétence générale pour les départements et les régions ? Les écouterez-vous pour mettre en place le mode de désignation des délégués dans les intercommunalités ? Nous verrons si vous leur prêterez autant d’attention !

Certes, il y débat, mais ne caricaturons pas. Aligner toutes les communes sur le même mode de scrutin nous permettrait d’aller de l’avant. C’est cette position que je défendrai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, sur l’article.

M. Jean-Marc Todeschini. Je reviendrai d’abord sur le rappel au règlement de notre collègue Bruno Sido, selon qui nous ne respecterions pas le règlement. Mais, mon cher collègue, nous faisons de la pédagogie, pas de l’obstruction !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il nous prend pour des imbéciles !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et il dit cela en riant !

M. Jean-Marc Todeschini. Oui, on peut toujours rire ! Il vaut mieux, non ?

Nous essayons de vous faire comprendre que ce n’est pas au canon que vous ferez passer cette réforme, alors que vous connaissez les inquiétudes et les mécontentements des élus sur le terrain. Ce n’est pas en dénonçant les conseils généraux qui, selon vous, utiliseraient des moyens contraires à la loi – que pourrait-on dire de l’Élysée qui prend ses décisions en fonction des sondages ?

Vous n’avez pas fini de nous entendre. À force de pédagogie et de répétition, peut-être en restera-t-il quelque chose.

Nous débattons de la création des conseillers territoriaux qui siégeront à la fois au sein du conseil général du département d’élection et au sein du conseil régional. Pour le moment, on nous dit surtout : « Votez, vous verrez après ! », ce à quoi obéit une partie de cet hémicycle.

Dans son discours de Saint-Dizier, le 20 octobre dernier, le Président de la République présentait ce nouvel élu comme le premier pilier de la réforme, fruit d’un long travail et d’une longue réflexion en réponse à la question : « Faut-il supprimer un niveau de collectivité ? ».

On nous explique que la solution préconisée n’est pas la suppression du département ou de la région mais le rapprochement des deux. Pour nous, il s’agit non pas d’une simplification ou d’une amélioration mais plutôt d’un très mauvais compromis voire d’un contresens.

Si le rapprochement de deux collectivités peut se concevoir, il eut été préférable de distinguer, d’un côté, le bloc des investissements stratégiques avec l’Europe, l’État et la région et, de l’autre, le bloc des partenariats de proximité, composé de la commune, des intercommunalités et des départements.

Rapprocher le conseiller général et le conseiller régional ne correspond à aucune logique. Cela ne répond pas non plus aux attentes de clarification du citoyen, qui ne verra qu’un élu pour deux collectivités qu’il a déjà du mal à distinguer.

Chaque élection fera l’amalgame entre des projets et des bilans contradictoires, défendus par des élus cumulards chargés du département et de la région, qui ne pourront pas être sur le terrain autant qu’ils le sont aujourd’hui. Ils seront, hélas pour eux, toujours sur les routes, entre deux réunions et entre deux commissions. On parlera d’absentéisme alors que c’est la loi qui l’organise !

Ce conflit d’intérêts permanent se traduira inéluctablement par un recul démocratique et un affaiblissement du rôle stratégique de la région, qui, pourtant, depuis la décentralisation de 1982, a su démontrer les atouts formidables de développement qu’elle offrait.

Le conseiller territorial est aussi censé mettre fin aux dépenses redondantes et aux actions rivales. Il me semble important de le rappeler, moins de 10 % des financements des régions sont croisés avec le département, et ce ratio monte à 30 % avec l’État ! Ce dernier est le premier à susciter les collectivités pour financer ses propres investissements, je pense par exemple au TGV-Est dans ma région.

Certes, la création du conseiller territorial réduira de moitié le nombre d’élus locaux dans les régions et les départements : de 6 000 nous passerons à 3 000. Mais est-ce une bonne chose ?

Nous l’avons dit, cette réforme ne permettra pas une meilleure organisation et nous ne sommes pas persuadés qu’elle favorisera des économies.

En effet, une question d’arithmétique se pose. Une région qui, par exemple, compte actuellement 400 conseillers régionaux et départementaux verra le nombre de ses élus divisés par deux. Ainsi, on comptera 200 conseillers territoriaux dans la nouvelle assemblée. Faudra t-il alors construire un nouvel hémicycle ?

Sur le statut de ce nouvel élu des questions se posent également : quelle sera son indemnité ou sa couverture sociale ? Nous en sommes persuadés, cela reviendra aussi cher qu’avant.

La question de la constitutionnalité doit aussi être soulevée.

Tout d’abord, le conseiller territorial, en siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional, est en contradiction avec le principe de non-tutelle d’une institution sur une autre.

Ensuite, l’élection du conseiller territorial se fera, si j’en crois ce que j’entends, au scrutin uninominal à un tour majoritaire pour 80 % d’entre eux. Cela pose un réel problème de légitimité des élus, laissant supposer une volonté de reprise en main des collectivités perdues par la droite. En outre, la parité entre les hommes et les femmes sera mise à mal, malgré toutes les explications que peut nous donner M. Marleix.

Enfin, ce scrutin revient sur le principe des élections à deux tours en vigueur depuis le début de la République et ne respecte pas l’égalité des citoyens devant le vote.

En définitive, nous n’approuvons pas cet article, qui signifie aussi la fin des conseils généraux et régionaux et qui témoigne d’une volonté de recentralisation du pouvoir.

Réformer, oui, mais avant tout il faut faire confiance aux élus, aux territoires, et à l’intelligence territoriale qu’ils représentent ! Bref, il faut continuer la décentralisation et non pas vouloir liquider le moindre contre-pouvoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard, sur l'article.

M. Jean-Jacques Pignard. Quitte à peiner M. Fischer, je ne voterai pas l’amendement de suppression. En effet, je fais peut-être partie des 10 % d’élus de la majorité qui, aux dires de M. Fortassin, approuvent fondamentalement le conseiller territorial.

Ma démarche n’est pas dictée par je ne sais quelle négociation occulte mais par des convictions, puisque j’ai soutenu, lors de la dernière campagne présidentielle, un candidat qui faisait des propositions analogues.

Je comprends parfaitement les interrogations qui se sont exprimées sur ces bancs depuis bientôt huit jours concernant le mode de scrutin, la compétence générale, les diverses compétences… Je partage ces préoccupations mais je voudrais dénoncer le faux procès qui est alimenté ici à chaque instant.

Je veux parler de l’incompatibilité qui existerait entre l’enracinement dans un territoire et le souci de la prospective. À entendre certains orateurs, aujourd’hui en France, il y aurait deux types d’assemblées et deux types d’élus : des conseils généraux qui n’auraient que le souci du local, voire du subalterne, et des conseils régionaux qui auraient le souci de la noblesse et de la prospective.

M. Jean-Jacques Mirassou. Personne n’a dit ça !

M. Jean-Jacques Pignard. Il existerait des élus de cantonniers et des élus d’ingénieurs. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Certains élus auraient les pieds dans la glaise et d’autres la tête dans les étoiles ! (Mêmes mouvements.)

On a entendu parler de la « République des giratoires », de la « cantonisation des régions » ; Mme Christiane Demontès a même affirmé que seuls les conseillers régionaux pouvaient penser globalement !

Je suis conseiller général depuis seize ans et, permettez-moi de le dire, il m’est arrivé parfois de penser globalement, notamment au sujet de grands dossiers culturels que les élus du Rhône connaissent bien et que j’ai en partie initiés. Les conseillers généraux peuvent donc penser globalement, comme les conseillers régionaux peuvent avoir le souci de leur territoire !

M. Jean-Jacques Pignard. Cette opposition doit cesser !

Nous tous ici sommes à la fois parlementaires et élus locaux. C’est une tradition démocratique, républicaine et française – presque exclusivement française puisque, dans la plupart des pays d’Europe, on ne peut pas être élu local et parlementaire en même temps. Le fait que nous siégions à Paris nous empêche-t-il de faire un travail de proximité, de parcourir des dizaines de kilomètres pour aller voir des électeurs, des concitoyens, des maires ? Bien sûr que non ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Le fait d’être élu local et parlementaire cantonalise-t-il, pour reprendre le terme employé par M. Sueur, le Parlement ? Non !

M. Jean-Jacques Pignard. Dès lors, et je fais peut-être entendre une musique discordante dans l’ensemble des propos qui ont été tenus, je suis fondamentalement optimiste et je pense que l’on peut retrouver dans un même homme le souci du territoire, de la proximité et le souci de la prospective. En d’autres termes, ce futur conseiller territorial, qui a été abondamment caricaturé, peut être tout à la fois un peu cantonnier et un peu ingénieur, avoir les pieds dans la glaise et la tête dans les étoiles ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur certaines travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l’article.

M. Guy Fischer. Je voudrais dire pourquoi, au sein de mon groupe, nous sommes totalement opposés à ce projet de loi qui vise, en son article 1er, à la création du conseiller territorial, avec pour conséquence mécanique la réduction de moitié du nombre des élus, qui passerait de 6 000 à 3 000.

On ne peut que dénoncer une politique qui, par le biais d’une loi, tend en fait à opérer une réduction drastique des dépenses publiques ….

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas le sujet !

M. Guy Fischer. … et le démantèlement des trois fonctions publiques que sont la fonction publique d'État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière.

Le Gouvernement affirme qu’il faut lancer cette réforme. Nous, nous sommes absolument contre, parce qu’elle signifie la remise en cause de la démocratie locale, de notre enracinement, notamment en matière de gestion, dans les quartiers, les villes, les départements, les régions, dans leur grande diversité, qui nous permet d’appréhender, par exemple, les problèmes des grands quartiers populaires, trop souvent ignorés, notamment par l’actuelle majorité.

Mon département, le Rhône, compte 293 communes. Comme la plupart des sénateurs, j’ai écrit à tous les maires et j’en ai rencontré autant que possible. Il ressort de tous les contacts que j’ai eus avec eux qu’ils ont de nombreuses interrogations, voire de vives oppositions concernant ce projet, ce qui me paraît tout à fait normal.

La question que je me pose, pour ma part, est de savoir, concrètement, quelles politiques sociales pourront être mises en œuvre avec ce texte qui vise, à terme, la disparition des départements.

Dans ce domaine, qu’il s’agisse du revenu de solidarité active, le RSA, qui a remplacé le revenu minimum d’insertion, le RMI, de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, ou de la prestation de compensation du handicap, la PCH, autrement dit de toutes ces dépenses qui sont supportées par le département au fur et à mesure du désengagement, au fil des ans, de l’État, nous nous apercevons que l’une des questions majeures qui se posent touche les populations les plus défavorisées, les plus pauvres, les plus démunies : comment seront-elles réellement prises en compte ?

Je citerai un exemple. En 2010, chacun le sait, l’un des problèmes majeurs sera le devenir de 600 000 à 1 million de chômeurs qui arriveront en fin de droits.

M. Guy Fischer. Tous ces Français vivent dans la peur du lendemain, et ce n’est pas avec le démantèlement de l’Agence nationale pour l’emploi, l’ANPE, et des Associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, les ASSEDIC, afin de créer Pôle emploi, déjà submergé, que le Gouvernement leur apportera des réponses concrètes. Dès lors, que vont-ils devenir ? Ils vont essentiellement basculer dans la catégorie des bénéficiaires soit de l’allocation de solidarité spécifique, l’ASS, soit du revenu de solidarité active.

Avec le texte qui nous est proposé, les départements auront-ils véritablement les moyens, en termes de budget et d’effectifs, de faire face à ce surcroît de charges ? Certainement pas !

Il y a là une véritable bombe à retardement. Comme le savent les présidents de conseils généraux, nombreux dans cet hémicycle, si l’on analyse la situation des chômeurs en fin de droits, seulement 16 % seront éligibles à l’ASS, 22 % au RSA, de sorte que 600 000 Français risquent de se retrouver sans aucun revenu de remplacement. Je le répète, c’est l’un des problèmes majeurs à résoudre.

Or quelle est la réalité aujourd'hui ? Il n’a échappé à personne que la conférence sur les finances publiques, qui doit se tenir le jeudi 28 janvier, sera en réalité la conférence sur les déficits, ou plutôt le déficit public. Il s’agit, pour le Président Sarkozy, de récupérer 50 milliards d'euros sur 1 000 milliards d'euros de dépenses globales, c'est-à-dire de faire payer aux plus pauvres ce qu’il a donné aux banquiers cet été lors de la crise financière.

Ce mouvement de réduction du nombre de collectivités territoriales aboutira, de toute évidence, à moins de démocratie et moins de proximité pour nos concitoyens les plus défavorisés.

Pour toutes ces raisons, il faut dire « non » à l’article 1er et « non » à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, sur l’article.

M. François Fortassin. Nous assistons à un spectacle tout de même extraordinaire…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est vous qui le faites !

M. François Fortassin. … avec ce projet d’institution du conseiller territorial, dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est plutôt ubuesque.

Ainsi, nous aurons la catégorie des élus qui seront enracinés dans le terrain et celle des conseillers territoriaux hors sol, …

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Comme les conseils régionaux le sont ! On ne peut pas dire tout et son contraire !