Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Christian Cambon, mes premiers mots seront pour vous : vous êtes à l’origine d’une excellente initiative parlementaire, portant sur un sujet tout à fait noble et qui devrait se trouver au cœur de nos politiques.

Je tiens en effet à rappeler que l’absence d’eau et surtout l’eau sale constituent la première cause de mortalité dans le monde : 2,5 milliards de personnes n’ont pas accès à l’assainissement et 2 millions de personnes meurent chaque année du fait du manque d’eau ou de l’usage d’une eau souillée.

Or le droit d’accès à l’eau et à l’assainissement n’est même pas un des objectifs du Millénaire pour le développement : il n’est qu’un sous-objectif du huitième objectif ! C’est d’autant plus étonnant que, sans eau, aucune vie n’est possible.

Lors du dernier forum mondial de l’eau, à Istanbul, nous nous sommes efforcés de nous faire les promoteurs d’une réelle prise en compte de ce problème majeur, mais, faute d’avoir abouti dans cette démarche, nous devrons, ensemble, la poursuivre lors du prochain forum mondial de l’eau, qui aura lieu en France en 2012.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit totalement dans cette logique puisqu’elle consiste à placer la question du droit à l’eau et à l’assainissement à son juste niveau, c’est-à-dire en tête de nos politiques.

Il va de soi que nous devons appliquer à la France ce que nous défendons au niveau international et cette proposition de loi permet de donner une première traduction à un principe établi dans la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, la LEMA : « Chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous. »

Sur ce sujet, il apparaît que la faute par omission est bien une réalité ! On est même en droit de se demander comment on a pu ne pas y penser plus tôt !

Dès lors, il convient de se poser la question suivante : comment réparer cette omission, comment agir ?

Il faut d’abord veiller à éviter les solutions qui paraissent évidentes, mais qui ne sont que simplistes : un service gratuit de l’eau. En effet, même si l’eau est gratuite, le service d’accès et l’assainissement auront toujours un coût. Du reste, aucune association humanitaire ne réclame cette gratuité, qui serait évidemment source de gaspillage et, finalement, aggraverait les difficultés d’approvisionnement.

Nous devons agir avec pragmatisme et à deux niveaux. Le premier niveau est d’ordre préventif : il s’agit de faciliter l’accès à l’eau pour les plus défavorisés, afin d’éviter que la facture d’eau ne représente plus de 3 % de leur revenu. Le deuxième niveau est d’ordre curatif et a trait à la solidarité. La présente proposition de loi s’inscrit dans ce dernier cadre.

Comme cela a été rappelé, le Comité national de l’eau s’est emparé des questions relatives à la prévention, conformément à la demande que j’avais formulée lors du dernier congrès de l’Association des maires de France. Je pense que, sur ce sujet, un consensus fort devrait se dégager très prochainement, car tous les partis se retrouveront sans doute autour de cet enjeu. Nous intégrerons ces décisions dans le premier véhicule législatif qui le permettra, l’essentiel étant de les rendre opérationnelles le plus rapidement possible.

La proposition de loi de M. Cambon a été travaillée et enrichie par la commission de l’économie, dont je veux remercier les membres, et au premier chef M. Michel Houel, qui a produit un rapport extrêmement fouillé et intéressant.

Ce texte tend tout d’abord à créer une nouvelle ligne de financement puisque les distributeurs d’eau, qu’ils soient publics ou privés, devront financer le dispositif de solidarité dans une limite de 0,5 % de la facture d’eau.

En outre, il aura pour effet de consolider le fonds de solidarité pour le logement en le faisant évoluer. Ce fonds sera donc le guichet unique pour les factures d’eau, de loyer ou d’électricité.

À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez noté que 20 FSL ne s’occupent pas encore de l’eau. Néanmoins, dans les 80 FSL restants, ce sont tout de même 55 000 personnes qui sont concernées par des difficultés de paiement de facture d’eau. Le sujet n’est donc pas accessoire pour un grand nombre de familles de notre pays.

Enfin, cette proposition de loi replace bien le maire au cœur du système. C’est important, car le maire est le premier interlocuteur de proximité et de solidarité ; c’est en général à lui que les citoyens s’adressent en cas de difficultés. Il faut donc en faire le premier acteur du dispositif. Le rôle prioritaire que ce texte tend à lui confier est parfaitement en accord avec cette logique.

Je tiens vraiment à remercier M. Christian Cambon d’avoir présenté cette proposition de loi. Elle concerne un sujet qui me tient particulièrement à cœur et constitue un beau signe de solidarité. S’il est adopté, ce texte, complémentaire de la LEMA, nous servira aussi d’appui pour aborder la question du droit d’accès à l’eau et à l’assainissement à l’échelle internationale.

Je me réjouis donc que cette proposition de loi ait fait l’unanimité en commission. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Paul Raoult.

M. Paul Raoult. Madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’accès à l’eau, source de toute vie, est effectivement un droit fondamental, inaliénable, universel, imprescriptible. C’est pourquoi l’utilisation, la disponibilité et la préservation de l’eau doivent être garanties. L’eau est un bien public d’intérêt général qui ne saurait être considéré comme une marchandise. Elle doit être gérée de façon responsable, efficace, solidaire et durable.

Tels sont les principes affichés dans l’introduction de la charte fondatrice du premier réseau européen pour la gestion publique de l’eau.

Cette idée majeure est également sous-jacente dans l’article 1er de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, qui consacre un droit d’accès à l’eau potable pour chaque personne physique, pour son alimentation et pour son hygiène, dans des conditions économiquement acceptables par tous.

Jusqu’à présent, nous n’avions voté aucun texte d’application de cette déclaration de principe. Aujourd’hui, un texte a minima nous est proposé, texte qui s’inscrit dans le droit fil de l’affirmation du droit à l’eau, jusqu’alors restée lettre morte.

Cette proposition a pour vertu majeure de conforter le rôle du FSL, créé par la loi du 31 mai 1990, dite « loi Besson », et dont la gestion est sous la tutelle du département depuis 1995.

Le FSL a déjà la possibilité d’intervenir pour apporter une aide à ceux qui sont en situation d’impayés de facture d’eau. Les éléments nouveaux sont la fixation d’un montant maximal d’aide, correspondant à 0,5 % des montants hors taxe des recettes d’eau et d’assainissement, et la nécessité d’un avis du maire, rendu dans un délai d’un mois.

Mais cette proposition de loi soulève un certain nombre de questions.

L’eau est devenue un bien cher et inaccessible pour les personnes démunies. En incluant l’accès à l’eau et l’assainissement, le coût moyen est compris entre 3 et 4 euros par mètre cube d’eau. Pour une consommation annuelle de 120 mètres cubes, c’est donc une somme de 360 euros à 480 euros – soit 30 à 40 euros par mois – qu’un ménage doit débourser. Une telle somme représente souvent bien plus que 3 % du revenu pour un ménage percevant le RSA ou pour un couple devant vivre avec un smic et qui doit acquitter des charges locatives élevées.

Chacun sait que, aujourd’hui, sur la question de l’eau, le dispositif des FSL ne fonctionne pas toujours correctement : 20 % des départements n’ont pas de FSL et 50 % des FSL existants n’ont pas, jusqu’à présent, pris en compte les problèmes de paiement des factures d’eau, s’occupant exclusivement des factures de gaz et d’électricité.

La question qui nous est posée aujourd’hui est donc la suivante : les FSL, gérés par les départements, sont-ils prêts à s’impliquer plus qu’avant dans le domaine de l’eau ?

Même si les ressources venant des opérateurs publics ou privés sont plus importantes, il faudra que les départements s’engagent plus largement en termes financiers, alors même que ces derniers sont déjà au bord de l’asphyxie budgétaire.

Faut-il prévoir, en plus, une aide des communes ou des centres communaux d’action sociale, les CCAS, comme le prévoit l’article 65 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ? Celui-ci dispose en effet que toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, au regard de son patrimoine et de l’insuffisance de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité pour disposer, dans son logement, de la fourniture d’eau, d’énergie et de services téléphoniques.

Cela suppose évidemment une volonté politique et une capacité financière d’intervention des communes qui n’est pas toujours évidente dans le contexte économique actuel.

Cette proposition de loi, si elle est intéressante, est donc globalement insuffisante.

Le pouvoir d’achat des ménages les plus démunis a baissé sous l’effet de la crise et, dans le même temps, le prix de l’eau continue d’augmenter, et à un rythme plus soutenu que l’inflation. Cette évolution est liée à des facteurs réglementaires – protection de la ressource, normes de traitement, réseaux – et techniques – coûts de production, coûts des canalisations, production des traitements. Mais elle est également due à la très forte progression de la part de la facture d’eau consacrée à l’assainissement, part désormais plus importante que celle de la production et de la distribution d’eau.

Aussi les ménages les plus démunis souffrent-ils de plus en plus. Dans ce contexte, la solidarité doit-elle fonctionner comme on le propose, c'est-à-dire en faisant en sorte que, sur un certain territoire, la facture d’eau de ceux qui ne peuvent pas ou plus la payer soit prise en charge par ceux qui paient la leur ? N’est-ce pas une façon de faire payer les pauvres pour les plus pauvres ?

En outre, la nouvelle dépense conduira inévitablement les distributeurs à augmenter le prix de l’eau, ce qui entraînera d’autres ménages, déjà fragiles, vers une situation d’impayés.

Il me semble donc nécessaire de créer une sorte de bouclier social qui limiterait la part de revenu annuel réservé à la facture de fourniture d’eau et d’assainissement à 3 % du revenu. Cela permettrait de garantir un vrai droit à l’eau, sous la forme d’une allocation semblable à l’aide personnalisée au logement.

Pour éviter les situations dramatiques, peut-être faudrait-il envisager d’autres mesures.

Premièrement, une tarification par tranches pourrait être mise en place, avec un prix très inférieur pour la première tranche. Cette solution, il est vrai, est susceptible de poser d’autres problèmes, notamment en ce qui concerne les familles nombreuses.

Deuxièmement, la mensualisation classique, par voie bancaire, pourrait être développée pour les ménages les plus démunis.

Troisièmement, lorsque l’eau est gérée en régie, le système de relance des factures pourrait être mieux organisé, afin de ne pas laisser les familles s’enfoncer dans l’endettement.

En conclusion, je pense que c’est la création d’une nouvelle allocation qui assurera le droit à l’eau, en compensant le manque de revenu selon un principe de solidarité fixé au niveau national et assis sur le revenu de tous les ménages de notre pays.

Au moins, ce principe aurait pour avantage d’apporter aussi une réponse aux 46 % de ménages qui n’ont pas de facture d’eau et qui paient leurs charges d’eau avec les autres charges collectives générales – gaz, électricité, chauffage et loyer.

En effet, les ménages pauvres ont aujourd’hui des dépenses contraintes qui absorbent la quasi-totalité de leurs revenus. Entre 5 millions et 8 millions de personnes sont concernées. La totalité de cette population vit avec moins de 908 euros par mois, montant correspondant au seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian. Je précise que, dans cet ensemble, 4,28 millions de personnes vivent avec moins de 757 euros par mois, soit 50 % du revenu médian et 3,3 millions sont allocataires de minima sociaux, percevant entre 300 et 700 euros.

Devant cette montée inexorable de la précarité, c’est-à-dire ce que subit toute personne ne disposant pas, de manière stable, d’un revenu suffisant pour s’assurer une vie décente, nous devons attendre les résultats des réflexions du Comité national de l’eau…

Cette proposition de loi, me semble-t-il, perd une partie de son sens si elle ne permet pas d’offrir simultanément des solutions curatives et préventives. C’est pourquoi j’ai le sentiment que la présentation de ce texte, quels que soient ses aspects positifs, revêt un caractère quelque peu précipité. La tarification sociale de l’eau est une problématique importante pour l’ensemble de nos concitoyens. J’attends donc dans les semaines qui viennent des propositions plus complètes et cohérentes, susceptibles de satisfaire l’ensemble des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Christian Cambon. Il s’agit d’une proposition de loi intéressante, que la commission a contribué, par ses travaux, à enrichir fortement. Subsistent, toutefois, un certain nombre de lacunes, que je voudrais pointer.

Nous avons, me semble-t-il, manqué l’occasion de donner à ce texte le grand souffle que le sujet mérite, car il n’est sans doute pas de solidarité plus noble que le partage de l’eau.

Certes, l’accès de toutes les familles à l’eau n’implique pas forcément de s’engager dans la voie d’un partage absolu de cette ressource. Le vrai problème, c’est de disposer d’une eau de qualité, en quantité suffisante et à un prix raisonnable, acceptable pour l’usager, voire pour le contribuable.

L’eau d’origine gravitaire est préférable à l’eau de pompage, car elle provient, en général, de sources situées dans des zones où la qualité de l’eau est supérieure. Son coût, qui est nettement supérieur au moment de la réalisation des travaux, se révèle bien inférieur au bout de vingt-cinq années environ. Si l’on considère que la durée de vie d’un réseau bien entretenu se situe entre cinquante et quatre-vingts ans, le principe de précaution et de prévision doit donc, à l’évidence, nous amener, partout où cela est possible, à choisir l’eau gravitaire plutôt que l’eau de pompage, qui est la solution de facilité. Il est de notre devoir à nous, sénateurs, de le dire.

Or, dans de très nombreux cas, c’est le pompage, beaucoup plus commode à court terme, qui a été retenu, alors qu’il aurait été possible de choisir l’eau d’origine gravitaire.

Mettre les maires au cœur du dispositif est une très bonne chose, mais, faut-il le rappeler, ceux-ci sont, dans leur immense majorité, les otages des sociétés fermières. On le constate lors des renouvellements de contrat, notamment lorsqu’on passe d’une délégation à une régie : les sociétés fermières répugnent le plus souvent à donner les plans des réseaux. Au demeurant, même lorsqu’elles font preuve de bonne volonté à cet égard, les plans, dressés voilà cinquante ou soixante ans, se révèlent de toute façon souvent inexacts. Dans ces conditions, les maires rencontrent d’énormes difficultés pour répondre aux exigences de la population quand les coupures d’eau sont nombreuses et qu’ils n’arrivent pas à les maîtriser.

Par ailleurs, encourager nos concitoyens à économiser l’eau – vieille lune s’il en est ! – est à la fois vain et paradoxal dès lors que, nous le savons, la vétusté des réseaux est à l’origine de 30 % à 50 % des pertes.

M. Yves Pozzo di Borgo. Pas à Paris !

M. François Fortassin. La capitale doit être l’exception, mais je ne suis pas certain qu’il n’y ait pas de pertes dans les réseaux parisiens !

Il est donc important de renouveler les réseaux. Certes, il serait bon que les Français, qui utilisent de 130 à 140 litres d’eau par personne et par jour, ce qui représente au total des milliards de mètres cubes d’eau chaque année, diminuent leur consommation d’une vingtaine de litres par jour. Mais cela représente très peu au regard des pertes liées à l’état des réseaux, ce dont l’opinion publique n’a pas conscience.

Je tiens à évoquer aussi le principe d’égalité républicaine, au respect duquel certains parmi nous sont très attachés. Devrait en découler un prix unique de l’eau. Mais est-il logique de pénaliser les syndicats vertueux par rapport à ceux qui le sont moins ou les zones qui font office de château d’eau, parce qu’elles disposent d’eau en abondance, par rapport aux zones éloignées ne bénéficiant pas d’une eau de qualité ? Ce point doit faire l’objet d’un débat.

Quoi qu'il en soit, il importe de développer une pédagogie de l’eau, de faire accepter par nos concitoyens ce véritable partage, ce qui n’est pas le cas actuellement, et de responsabiliser l’usager. Si certains consommateurs ne peuvent effectivement pas payer leur facture, d’autres font simplement preuve de mauvaise volonté. Mais reconnaissons aussi que certains organismes, voire des syndicats, ne manifestent pas un zèle excessif pour les faire payer !

Le syndicat auquel j’appartiens, qui est l’un des plus importants de France, gère en régie 8 500 kilomètres de canalisations, avec des abonnés dont les plus lointains sont à 130 kilomètres des sources. Son taux de recouvrement atteint 98 %, contre 70 % ou 75 % pour d’autres syndicats. Les habitants du Gers, du Comminges ou de la Barousse ne sont pas plus riches qu’ailleurs, mais nous faisons la chasse aux mauvais payeurs, qui peut aller, en dernier lieu, jusqu’à des réductions de débit. Cette méthode porte ses fruits ! Dans d’autres régions, on estime qu’il est en définitive très commode de faire appel au fonds de solidarité pour le logement.

Le débat promet d’être intéressant. Le groupe RDSE votera cette proposition de loi qui, malgré les réserves que je tenais à exprimer, présente des avantages incontestables. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les élus du groupe CRC-SPG sont pleinement satisfaits que la question du droit d’accès à l’eau vienne en débat dans cet hémicycle. Nous estimons qu’il s’agit là d’un des défis majeurs du xxie siècle, d’un enjeu de civilisation.

À ce titre, la LEMA aurait dû permettre une avancée sensible en affirmant, dans son article 1er, un droit d’accès de tous à l’eau « dans des conditions économiquement acceptables ». Pourtant, cette disposition n’a aujourd’hui qu’une valeur déclaratoire. Force est de constater qu’il existe encore de grandes iniquités territoriales. L’accès à l’eau peut ainsi représenter jusqu’à 10 % des ressources d’un foyer.

Partant de ce constat, un consensus politique semble se dégager pour aller plus loin afin de garantir, par des avancées législatives, le droit à l’eau. Pour mesurer l’intérêt de cette proposition de loi, posons-nous la question : les dispositions prévues permettront-elles de garantir concrètement l’exercice de ce droit ? Je suis au regret de répondre par la négative.

En effet, la proposition de loi telle qu’elle est issue des travaux de la commission reprend des dispositions déjà existantes qui, de par leur caractère optionnel, ont fait la preuve de leur inefficacité. De plus, elle ne vise qu’à renforcer le volet curatif, sans s’attaquer aux véritables causes de dysfonctionnement de ce service public.

Au départ, la proposition de M. Cambon visait, sous couvert de la liberté des collectivités locales à mener les politiques sociales de leur choix, à leur confier la responsabilité du financement des impayés d’eau. Si l’on comprend les élans généreux de cette proposition, au regard du contexte national, elle est insatisfaisante tant les compétences et l’autonomie financière des collectivités ont été rognées par des lois récentes.

En outre, un tel dispositif aurait renforcé le schéma bien connu de la socialisation des pertes et de la privatisation des profits.

La commission s’est donc attachée à réintégrer ce dispositif au sein du fonds de solidarité pour le logement, sans pour autant s’attaquer aux dysfonctionnements, ce qui ne saurait nous satisfaire.

Nous allons finalement nous en tenir une nouvelle fois à des déclarations de principe qui ne trouveront aucune application concrète. Ainsi, la réintégration des logements collectifs dans le FSL-eau, qui est une priorité, dépendra du bon vouloir des départements.

Par ailleurs, et ce point nous semble fondamental, le principe de financement alternatif est déjà prévu par l’article 6-3 de la loi de 1990. Je le rappelle, le contenu de cet article prévoit déjà la faculté ouverte aux délégataires comme aux collectivités de contribuer au financement du fonds de solidarité pour le logement. On connaît le succès de cet appel à la générosité… Aujourd’hui, les délégataires ne sont engagés qu’à hauteur de 3 millions d’euros, par le biais d’abandons de créances, alors même que la facture globale d’eau s’élève à 11 milliards d’euros.

Vouloir nous faire croire que cette proposition de loi apporte une innovation frise donc la malhonnêteté intellectuelle. C’est d’autant plus regrettable qu’il aurait été essentiel de renforcer, à travers ce texte, la participation des entreprises, notamment à la suite du désengagement de l’État.

En effet, depuis 2004, les départements ont reçu la compétence de la gestion et du financement des FSL, dont la situation varie beaucoup d’un département à l’autre. Est ainsi foulée aux pieds la nécessaire péréquation nationale dans la gestion de ce service public national. Ce transfert, vous le savez, a été opéré sans que les moyens correspondants soient eux-mêmes transférés.

Selon le rapport, la compensation s’élève aujourd’hui à seulement 93 millions d’euros, alors même que le financement des aides représentait 220 millions d’euros en 2008. C’est ce qui, entre autres raisons, explique que les sommes consacrées à ces aides restent limitées puisque seuls 72 000 foyers disposent aujourd’hui d’une aide au titre du FSL-eau, et uniquement à hauteur de 8,5 millions d’euros.

Se posent donc clairement des problèmes de financement. À ce titre, par le plafonnement de la contribution des opérateurs à 0,5 % des recettes provenant du service de l’eau, ce texte remanié traduit manifestement un manque d’exigence en termes de responsabilité des opérateurs.

Si nous considérons qu’il faut remédier aujourd’hui à ces dysfonctionnements, notamment en rendant obligatoire un certain niveau de contribution des « majors » de l’eau, nous pensons également que la question fondamentale reste celle de la garantie d’un droit. Or il n’en est nullement question ici.

Je le répète, sous des allures généreuses, le dispositif qui nous est proposé ne remet pas en cause le schéma actuel, qui conduit dans un même mouvement à une tarification trop importante du prix de l’eau pour les usagers et à une explosion des bénéfices des entreprises délégataires. En se voulant uniquement préventif dans le cadre du FSL, la proposition de loi accepte de fait les inégalités d’accès au service public de l’eau et s’apparente finalement davantage, faute de moyens et d’ambition, à un correctif social qu’à la mise en œuvre d’une véritable politique publique.

Or nous considérons que la priorité politique dans le domaine de l’eau ne peut consister dans le simple apport d’un tel correctif. Certes, il est nécessaire de prévoir des dispositifs d’urgence, notamment au regard de la situation sociale particulièrement dégradée, mais la priorité réside bien dans une politique publique différente en la matière.

Nous voulons donc clairement réaffirmer notre position.

Tout d’abord, nous estimons que les dérives que nous subissons concernant la tarification de l’eau démontrent l’absurdité de considérer ce « patrimoine commun de la nation » comme une simple marchandise. Ainsi que l’a affirmé notre collègue Évelyne Didier au nom de notre groupe lors de l’examen du projet de loi sur l’eau et les milieux aquatiques, l’accès pour tous à cette ressource est un droit fondamental.

Ensuite, nous prônons un retour progressif à une gestion intégralement publique de la distribution de l’eau afin que celle-ci soit résolument orientée vers la satisfaction de l’intérêt général et que les ressources financières ainsi dégagées soient exclusivement affectées à l’amélioration de ce service public.

Afin d’opérer un premier pas dans cette direction, nous avons déposé une proposition de loi alliant la définition d’un droit, celui de l’accès à l’eau, à la mise en place de garanties légales, l’allocation de solidarité, tout en respectant les principes fondateurs de la péréquation nationale.

Malgré vos déclarations sur l’intérêt de notre dispositif, vous n’avez pas voulu qu’on en débatte aujourd’hui en déclarant nos amendements irrecevables et en renvoyant cette question à de futurs débats à l’Assemblée nationale. Nous les suivrons bien évidemment avec attention.

Pourtant, légiférer uniquement sur le volet curatif ne répondra pas à l’objectif de la LEMA de donner « le droit d’accéder à l’eau dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

Les sénateurs de notre groupe n’adopteront pas aujourd’hui un dispositif incomplet et redondant avec la législation actuelle sans avoir pu débattre dans notre hémicycle de l’instauration d’un volet préventif, véritable garantie du droit d’accès à l’eau pour tous.

Pour conclure, je voudrais remercier ici l’OBUSASS du remarquable travail de fond qu’il a fourni et de la rigueur intellectuelle dont ont fait preuve celles et ceux qui sont à la direction de cet observatoire.

Je voudrais également dire à Christian Cambon combien nous avons été sensibles à sa proposition – et c’est suffisamment rare pour que je le souligne ! –, qui, au-delà de nos désaccords, a le mérite de poser la question de la solidarité dans le secteur de l’eau et de l’assainissement.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Houpert.

M. Alain Houpert. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Christian Cambon vise à renforcer la solidarité des communes dans le domaine de l’alimentation en eau et de l’assainissement au bénéfice des personnes en situation de précarité résidant en France, sans discrimination entre les usagers, qu’ils soient abonnés directs ou non des services de l’eau et de l’assainissement.

À nos yeux, il s’agit d’un texte important. Nous saluons donc son inscription en séance publique dans le cadre de l’ordre du jour réservé du Sénat.

Cette proposition de loi se situe dans le prolongement de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, qui garantit un droit d’accès à l’eau potable pour chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, dans des conditions économiquement acceptables par tous.

Elle s’inscrit également dans un contexte économique difficile, que tous les élus locaux connaissent. L’eau est en effet une denrée de plus en plus chère pour un nombre croissant de nos concitoyens, notamment en raison de la multiplication des normes environnementales, nationales et européennes de plus en plus exigeantes en matière de qualité.

La mise en place d’un dispositif permettant aux communes de mener, dans le domaine de l’eau, une véritable politique sociale, celle qu’elles auront choisie, afin d’apporter une aide à ceux d’entre nous qui sont les plus fragilisés, doit être soutenue. La reconnaissance d’un droit à l’eau pour tous est une avancée majeure de la loi de 2006. Néanmoins, force est de constater que, sur le terrain, la traduction concrète du droit d’accès à l’eau potable rencontre de réelles difficultés, comme le note Michel Houel dans son excellent rapport.

La proposition de loi vise avant tout à compléter des dispositifs existants dont l’efficacité à été mise en cause. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble de ces dispositifs en matière de solidarité dans le domaine de l’eau et de l’assainissement des particuliers et leurs imperfections actuelles, car ils sont parfaitement décrits dans le rapport de la commission.

En ce qui concerne la mise en place d’un dispositif préventif facilitant l’accès au service public de l’eau, je suis tout à fait d’accord avec le rapporteur pour attendre les résultats de la concertation en cours associant le Comité national de l’eau et le ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer avant d’engager toute modification législative. Cependant, je crois très important d’aboutir dans des délais raisonnables. Il serait opportun que des assurances à ce sujet nous soient données par le Gouvernement.

Aujourd’hui, l’aide aux foyers les plus modestes au titre de la solidarité dans le domaine de l’eau repose essentiellement sur un dispositif dit « curatif », qui permet de faciliter l’aide au paiement des factures d’eau des personnes en situation d’impayés. La proposition de loi que nous examinons tend à compléter ce dispositif.

La solution adoptée par la commission de l’économie nous paraît particulièrement intéressante. Notre conviction est claire : une action en matière de tarification sociale de l’eau est absolument nécessaire.

Un consensus politique existe sur la nécessité d’aider les foyers qui en ont le plus besoin à payer leurs factures d’eau. Le dispositif retenu par la commission s’inscrit dans ce cadre. La nécessaire inscription du mécanisme d’aide dans le cadre des dispositifs existants, afin de maîtriser les coûts de gestion, la mise en œuvre d’une solidarité entre les communes et la référence au FSL, en soulignant le rôle de « chef de file » du département dans le domaine de l’aide sociale, me paraissent particulièrement opportunes. Je crois en effet que, sans exclure bien sûr l’intervention des échelons communal et intercommunal, il est important de renforcer les mécanismes existants à l’échelon départemental, qui relèvent de la pleine et entière responsabilité du département.

Il est souhaitable de ne pas aboutir à créer un nouveau circuit de financement, allant du service de l’eau aux centres communaux ou intercommunaux d’action sociale, sans relation avec le dispositif du FSL, alors même que l’aide aux personnes en situation d’impayés relève des attributions de celui-ci. Avec le texte initial, ce risque était réel.

L’introduction des immeubles collectifs d’habitation dans le périmètre des foyers aidés est également une bonne mesure, car elle comble une véritable lacune du système actuel. Cela rend réellement opérationnel le dispositif d’aide aux impayés de facture d’eau et au paiement des charges d’eau.

Par ailleurs, l’extension du dispositif d’aide aux régies et aux délégataires, qui figure dans la proposition de loi, doit être soutenue. Ceux-ci, sur la base du volontariat, doivent pouvoir participer au financement des aides.

Enfin, point très important pour nous, sénateurs, il y a une reconnaissance du rôle déterminant du maire compte tenu de la connaissance qu’a ce dernier du terrain et des familles démunies.

Le dispositif adopté par la commission de l’économie, à savoir l’information du maire par le gestionnaire du FSL de toute demande reçue et la sollicitation de son avis avant de procéder à l’attribution des aides, nous convient parfaitement. Le maire pourra également saisir le gestionnaire du FSL pour instruction d’une demande d’aide spécifique. Le maire n’est donc pas marginalisé et reste au cœur du dispositif, comme le souhaitait l’auteur du texte initial.

En conclusion, je dirai que ce texte constitue une avancée notable et pragmatique en matière de solidarité. Le groupe de l’UMP ainsi que les sénateurs qui y sont rattachés, comme moi-même, le voteront de manière unanime. C’est un progrès qui montre notre volonté de concrétiser le droit d’accès à l’eau potable pour tous, qui est un droit fondamental et universel. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mahéas.