M. Bernard Frimat. Cette présence est importante. Et s'agissant des délégations de vote, vous me permettrez, mes chers collègues, de considérer qu’il faut aussi examiner l’usage qui en est fait dans la pratique.

Trop souvent, le recours aux délégations de vote est une solution de facilité. Celles-ci doivent être utilisées essentiellement en cas de force majeure. C’est d'ailleurs l’argument qui est invoqué systématiquement quand nous y recourons lors des réunions des commissions du Sénat.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Pas seulement !

M. Bernard Frimat. Or nous avons tous le souvenir de collègues absents pour cas de force majeure qui ouvrent tout à coup la porte de la salle où se réunit la commission, participent aux travaux pendant un quart d’heure, puis, les contraintes qui pèsent sur eux recommençant à s’exercer, s’absentent de nouveau, ce qui rend possible l’utilisation de la délégation de vote.

De grâce, cessons de transformer les cas de force majeure en cas de force mineure ! Nous devons avoir une éthique plus poussée en matière de délégation de vote. Peut-être ce problème doit-il être réglé dans notre règlement, mais je pense qu’il s'agit bien davantage d’une question de pratique. L’usage des délégations de vote au Parlement peut être expliqué et compris, mais y recourir systématiquement les dévalorise, ce qui est tout à fait détestable à mes yeux.

Au demeurant, mon groupe soutiendra la position de M. le rapporteur par simple respect pour la Constitution : je ne vois pas pourquoi, dès lors que cette dernière autorise le vote par délégation, une instruction du bureau d’une assemblée pourrait l’interdire à propos d’un avis.

Je souhaite, parce que la solution de ce problème ne dépend pas seulement de nous, bien sûr, que les groupes majoritaires des deux assemblées parviennent à développer une confiance mutuelle minimale et à trouver un accord, afin que les députés membres de ce qui était auparavant la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire de l’Assemblée nationale ne vivent plus dans la crainte de voir leurs collègues sénateurs s’opposer à eux ! Toutefois, les histoires de famille sont toujours complexes ! (Sourires.)

Monsieur le ministre, vous avez eu l’intelligence de ne pas poser ce problème dans le projet de loi. Nous vous rejoignons tout à fait sur ce point – je vous rassure, cette attitude restera exceptionnelle chez moi (Sourires.) ! –, puisque nous entendons revenir au silence du texte initial.

En ce qui concerne le projet de loi ordinaire, monsieur le rapporteur, nous avions un différend qui, de fait, a été tranché par la pratique.

Contrairement à notre collègue Pierre Fauchon, nous sommes partisans d’auditions publiques. Nos collègues députés socialistes ont introduit le terme « auditions » lors de la deuxième lecture de ce texte ; nous souhaitons pour notre part que ces rencontres soient publiques.

En effet, comme je l’ai souligné hier quand nous recevions Hubert Haenel lors de la première partie des deux auditions que nous avons organisées, la publicité, qui implique forcément une retransmission par les chaînes parlementaires, permet à tous les Français de faire connaissance avec les candidats et donc, d’une certaine façon, de se les approprier, dans un réflexe démocratique.

Nos concitoyens peuvent ainsi avoir accès, ne serait-ce que le temps d’une audition, à la personnalité pressentie pour exercer une responsabilité extrêmement importante, ce qui est tout à fait positif, car je doute qu’ils seront nombreux à pouvoir aisément la rencontrer, l’écouter ou discuter avec elle une fois qu’elle aura été nommée.

Ils bénéficient donc à la fois d’un éclairage sur la personnalité pressentie et d’un lien direct avec elle. Non que la liaison permise par les médias soit mauvaise – j’ai noté que la presse d’hier consacrait de longues pages aux nouveaux membres du Conseil constitutionnel, en leur accordant d'ailleurs des volumes de commentaires qui n’étaient guère proportionnels à leurs futurs apports respectifs (Murmures sur les travées de lUMP. – Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.), mais il y a dans la publicité de l’audience un élément essentiel.

Je ne voyais vraiment pas quels arguments pouvaient être opposés à cette publicité. Mes chers collègues, chaque fois que nous pouvons faire prendre conscience aux citoyens de la réalité de la vie parlementaire, remettre en cause des clichés, rendre compte de notre travail, montrer quelles questions nous posons à des responsables, nous ne devons pas laisser passer l’occasion !

Bien entendu, le mécanisme qui a été appliqué hier était tronqué, puisqu’il ne s’est pas conclu par un vote, mais la publicité de l’audition constituait, à mon avis, la principale avancée permise par cette procédure.

En effet, cette publicité sera l’un des éléments qui guideront la réflexion de ceux qui désigneront des responsables importants. Nous nous souvenons que Caligula avait nommé son cheval à de hautes fonctions. La publicité devrait nous éviter pareilles mésaventures…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il l’avait nommé sénateur ! (Sourires.)

M. Bernard Frimat. C’est pour cette raison que j’évoquais de hautes fonctions, monsieur le président de la commission des lois.

Toutefois, l’histoire ne nous dit pas si le cheval de Caligula accordait des délégations de vote. (Nouveaux sourires.)

M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est un mystère !

M. Bernard Frimat. Sur ce point, des recherches historiques importantes doivent être faites, que certains d’entre nous mèneront peut-être.

Je me réjouis donc que la majorité de la commission des lois, après l’avoir refusée, ait accepté la publicité des auditions.

Le projet de loi ordinaire se résumant à la définition des commissions compétentes et aux ajouts relatifs à la publicité des auditions que je viens d’évoquer, nous n’avons aucune raison de nous y opposer.

Toutefois, nous maintiendrons notre abstention sur le projet de loi organique pour des raisons de principe En effet, même si nous en prenons acte, le progrès accompli nous semble très insuffisant. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Pierre Fauchon. Madame la présidente, j’ai été mis en cause et je demande donc la parole pour fait personnel !

Mme la présidente. Mon cher collègue, vous pourrez intervenir en fin de séance.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous n’avons pas entendu de mise en cause !

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les deux projets de loi dont nous sommes aujourd’hui de nouveau saisis constituent une avancée majeure pour notre État de droit, comme cela a déjà été souligné en première lecture. Ils participent du profond élan de rénovation de nos institutions qu’a permis d’insuffler la révision constitutionnelle du mois de juillet 2008. En rééquilibrant les pouvoirs au profit d’un Parlement plus fort, la nouvelle donne institutionnelle alloue un droit de regard renforcé de la représentation nationale pour la nomination à certains des plus hauts postes de la République. Les auditions relatives aux futurs membres du Conseil constitutionnel auxquelles a procédé hier notre commission des lois ont largement préfiguré cette nouvelle configuration, dans l’attente de la promulgation de ces deux textes.

Les autorités administratives indépendantes ont pris, nous le savons, un essor considérable dans notre paysage institutionnel depuis une quinzaine d’années. À l’origine, véritables objets administratifs mal identifiés, elles sont désormais incontournables. Le champ de compétences de ces instances s’élargit au fur et à mesure que leur nombre augmente, au point qu’il est même difficile de les recenser de façon exhaustive. Elles participent néanmoins de la transformation de l’action publique en s’érigeant, à côté de l’État opérateur, en vigies chargées de préserver l’intérêt général en toute impartialité. C’est ainsi que sont concernés des domaines aussi vitaux que la protection des libertés fondamentales ou la régulation économique.

La volonté de transparence et l’approbation du Parlement guident ainsi la nouvelle procédure de nomination. Je m’en félicite.

Dans sa nouvelle rédaction, l’article 13 de la Constitution opère une distinction entre les emplois régaliens, pour lesquels la procédure en vigueur depuis 1958 sera maintenue, et ceux qui ont une « importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation », pour lesquels la procédure nouvelle rend obligatoire une audition par la commission permanente compétente de chaque assemblée, suivie d’un vote. Cette innovation permettra d’introduire une réelle transparence dans les procédures de nomination. Les commissions parlementaires devront ainsi vérifier la compétence, l’éthique et l’indépendance des personnes proposées. La publicité de la procédure donnera aux auditions une dimension nationale qui garantira la crédibilité et l’autorité de la personnalité finalement nommée.

Mes chers collègues, les nominations à la discrétion du Président de la République qui étaient effectuées sous l’empire de l’ancien article 13 n’ont pas honoré l’histoire de notre République. Cette survivance du xixe siècle a parfaitement su être utilisée par les majorités successives à des fins qui avaient souvent peu à voir avec le seul intérêt général. Notre pays a toujours refusé l’instauration d’un spoil system à l’américaine, mais force est de constater que l’opacité qui a présidé à nombre de ces nominations a joué en faveur de l’émergence d’un État trop souvent partisan. Je me réjouis donc que la nouvelle rédaction de l’article 13 mette fin à ces abus.

L’importance des fonctions concernées par le champ de la loi organique justifie naturellement cette transparence. L’unification de régimes de nominations disparates que permettent ces deux textes contribue à la clarification de la procédure.

Cela a d’autant plus d’importance qu’un certain nombre d’autorités visées interviennent dans le champ des libertés fondamentales, pour lequel le Parlement doit exercer pleinement son rôle de protecteur et de vigie. Notre commission des lois peut d’ailleurs revendiquer d’avoir encore enrichi cette liste, sans que nos collègues députés y trouvent à redire.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

M. Aymeri de Montesquiou. D’aucuns regretteront que certaines autorités n’aient pas été incluses dans le périmètre de la loi organique, comme l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, la Commission consultative du secret de la défense nationale ou la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. S’agissant de ces deux dernières autorités, elles disposent déjà d’un mode de nomination spécifique, destiné à renforcer les garanties entourant les nominations et se conciliant très bien avec la spécificité de leur champ de compétences particulièrement sensible.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

M. Aymeri de Montesquiou. Je ne partage donc pas l’inquiétude de certains de mes collègues sur cette matière.

Je regrette que ces deux projets de loi nous reviennent en deuxième lecture. Un désaccord subsiste entre les deux assemblées, à l’article 3 du projet de loi organique, sur l’interdiction rétablie par l’Assemblée nationale des délégations de vote lors d’un scrutin destiné à recueillir l’avis d’une commission sur un projet de nomination.

À l’instar des collègues de mon groupe, je me range à la position de notre commission des lois qui a maintenu la suppression de cet article. Je considère en effet que nos collègues députés ont introduit en l’espèce un obiter dictum qui va au-delà des dispositions de la Constitution et qui encourt de ce fait la censure du Conseil constitutionnel.

Il est de surcroît d’interprétation constante, y compris dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que les dispositions de l’article 27 de la Constitution, aux termes desquelles « la loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote », n’ont pas vocation à être utilisée pour prévoir la délégation par type de scrutin, mais sont simplement destinées à prévenir les cas d’empêchement pouvant frapper un parlementaire. Nous soutiendrons par conséquent la suppression de l'article 3.

Forts de cette dernière remarque, les membres du RDSE confirmeront le vote qu’ils ont émis en première lecture en apportant massivement leur soutien à ces textes. Une minorité s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. René Garrec. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs à l’application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Nous ne savons pas quand ces textes seront votés définitivement. Peut-être y aura-t-il d’autres lectures ? Pour le moment, nous sommes obligés de répéter notre position.

En son temps, le groupe CRC-SPG s’est opposé au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Celui-ci assortit le pouvoir de nomination du Président de la République de l’« avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée ».

Cette disposition nouvelle est présentée comme significative d’un renforcement des droits du Parlement. Tel n’est pas notre avis !

Elle ne serait telle en effet que si le pouvoir de nomination était réellement partagé entre le Président de la République et le Parlement et que ce dernier jouât alors un rôle essentiel. Or les nominations du Président de la République aux responsabilités les plus importantes de l’État et des secteurs économiques dans lesquels l’État intervient sont nombreuses. Vous le savez, nous sommes hostiles à la présidentialisation de nos institutions.

Elle ne serait telle que si le Parlement pouvait exercer un véritable droit de véto. Or celui-ci suppose que « l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions », ce qui est quasiment impossible dans le système politique qui est aujourd’hui le nôtre, sauf cas rarissime. En revanche, l’audition des nominés par les deux commissions permanentes compétentes crée l’illusion d’un pouvoir du Parlement en la matière, ce qui est abusif.

Il aurait été nécessaire d’oser la démocratie en procédant à la consultation des commissions réunies, lesquelles auraient pu se prononcer à la majorité des trois cinquièmes. Voilà qui aurait donné du sens à la vie du Parlement ! Vous l’avez refusé.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela aurait donné le droit de veto à l’opposition !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par conséquent, c’est logiquement que nous sommes conduits à voter contre ces textes d’application de l'article 13 de la Constitution.

J’en viens à la question relative à la délégation de vote, qui reste en suspens. Il va de soi que nous sommes favorables à cette possibilité quand il s’agit d’un cas de force majeure. (M. le ministre s’exclame.) En effet, il serait regrettable que les parlementaires manifestent leur désintérêt face aux nominations.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas plus qu’au reste d’ailleurs !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dans la mesure où la délégation de vote n’est explicitement proscrite que pour la destitution du chef de l’État et reste de facto possible pour tous les autres votes, y compris celui sur la révision constitutionnelle, la position de l’Assemblée nationale est difficilement soutenable. J’espère que la sagesse finira par l’emporter.

Je formulerai quelques remarques sur l'article 2 bis A du projet de loi ordinaire relatif à l’application de l’article 56 de la Constitution. Il prévoit que les nominations des membres du Conseil constitutionnel sont soumises à l’avis des commissions des lois du Parlement.

Il est tout à fait regrettable que, pour des raisons bien peu compréhensibles pour le commun des mortels mais que notre train de parlementaire nous permet de comprendre, nous soyons amenés à voter ce texte au lendemain même des auditions de MM. Michel Charasse et Hubert Haenel, nommés au Conseil constitutionnel.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Bravo !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Leur nomination effective devant intervenir plus tard, il aurait été opportun de tout faire concorder. Cela aurait évité ce simulacre de consultation publique, qui est sans effet aucun et qui a encore moins d’effet que les auditions qui auront lieu une fois le projet de loi adopté.

Encore une fois, j’insiste sur le problème posé par la composition du Conseil constitutionnel et le mode de désignation retenu. Je rappelle que cette instance verra ses pouvoirs considérablement renforcés dès le 1er mars prochain puisque, avec la nouvelle exception d’inconstitutionnalité, elle se transforme en véritable juridiction de droit privé et de droit public pouvant de fait exercer sa tutelle sur la Cour de cassation et le Conseil d’État. Ainsi un organisme émanant directement du pouvoir politique, dans le cadre d’un système présidentialiste où la majorité procède de l’élection présidentielle et où le fait majoritaire pousse à la bipolarisation, se trouve-t-il érigé en une sorte de cour suprême.

Voilà qui n’est pas sans soulever la question de la séparation des pouvoirs. En outre, cela pose de façon accrue celle de la légitimité démocratique du Conseil constitutionnel. Le mode de désignation en vigueur ne peut subsister encore longtemps.

Les arguments employés pour contourner cette difficulté ne sont pas convaincants. Le Conseil constitutionnel doit être représentatif du pluralisme politique et de la représentation nationale, c’est-à-dire des courants d’opinion. Par conséquent, il doit procéder du Parlement, ce qui ne signifie pas qu’il doit être composé de parlementaires. Il est d’ailleurs assez amusant qu’aient été nommés hier trois parlementaires, trois hommes qui plus est. Si le Parlement avait eu un véritable pouvoir, je doute qu’il eût osé procéder à de telles nominations !

Le peuple fait la loi et la Constitution par l’intermédiaire de ses représentants élus. L’organisme chargé du contrôle de constitutionnalité non seulement ne saurait émettre que des avis mais surtout ne devrait pas pouvoir surreprésenter telle ou telle opinion.

Par conséquent, il y a lieu non pas seulement de renforcer les possibilités pour le Parlement de se prononcer sur les nominations des membres du Conseil constitutionnel, mais aussi, et bien plus, de changer le mode de désignation et la composition du Conseil constitutionnel en faisant preuve de courage et en supprimant la disposition permettant aux anciens présidents de la République de devenir, à vie, des membres de droit.

Pour toutes ces raisons, c’est tout à fait logiquement que le groupe CRC-SPG votera contre le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture deux textes qui constituent un apport tout à fait novateur et important de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Ainsi l’article 13 de la Constitution prévoit-il dorénavant que l’exercice du pouvoir de nomination du Président de la République fera préalablement l’objet, pour certains emplois ou fonctions, d’un avis public des commissions compétentes des deux assemblées.

Nous sommes bien entendu extrêmement favorables à cette innovation.

Se pose assez vite, en effet, le problème de la publicité des auditions, sur lequel je partage quelque peu, à titre personnel en tout cas, l’opinion de Pierre Fauchon.

Mais je dois dire que, après examen, puisque nous avons eu la chance hier d’assister à l’examen blanc qu’ont subi nos collègues Hubert Haenel et Michel Charasse,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est exactement cela !

M. Laurent Béteille. … finalement les choses se passent de manière tout à fait acceptable.

Et même si l’on pouvait imaginer un autre système dans lequel on ait un compte rendu intégral des entretiens, au final, la publicité totale et directe n’est pas en soi gênante, bien au contraire.

Cette audition permet ensuite au Parlement de s’opposer à une nomination du Président de la République lorsque l’addition des votes négatifs des commissions représentera au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

J’ai bien entendu un certain nombre de réserves aux termes desquelles le Président de la République pourrait par conséquent nommer quelqu’un qui n’aurait reçu l’approbation que de 40 % des parlementaires concernés.

Permettez-moi de vous faire observer que si c’est vrai en pratique, pour autant je ne peux pas imaginer qu’une nomination intervienne dans ces conditions et personne ne peut croire que, s’agissant de postes comme celui de Médiateur de la république, on puisse être désigné alors que l’on n’aurait reçu l’approbation que de 40 % des parlementaires. Je pense que ce serait aller à un affaiblissement de la crédibilité de l’institution, et personne ne se livrera à cela.

C’est dire que notre vote est extrêmement important, et même si on laisse une marge d’appréciation au Président de la République dans cette zone qui va de la majorité aux trois cinquièmes, j’estime que l’appréciation que nous aurons donnée aura une force qui sera, dans certains cas, assez irrésistible.

Suivant ce même principe, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat ne pourront procéder aux nominations qui relèvent de leur compétence, à savoir celles des membres du Conseil constitutionnel et des personnalités qualifiées membres du Conseil supérieur de la magistrature, lorsque les votes négatifs au sein de la commission permanente compétente de l’assemblée concernée représentent au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Il va de soi que ce nous imposons à l’exécutif, nous devons l’appliquer à nos propres assemblées.

Cette nouvelle prérogative conférée au législateur a, vous le savez, une double ambition : d’abord, assurer la transparence du choix des personnalités appelées à exercer des fonctions éminentes pour « la garantie des droits et libertés » et pour « la vie économique et sociale de la Nation » ; ensuite, garantir l’indépendance des candidats à l’égard du pouvoir exécutif en encadrant, de la manière que j’ai indiquée, la compétence du Président de la République.

Par ailleurs, le constituant a confié au législateur organique le soin d’arrêter une liste des emplois et fonctions soumis à cette nouvelle procédure.

Sur l’initiative de notre commission et sur proposition de notre excellent rapporteur, cette liste a été complétée à des fins d’exhaustivité.

En outre, sur l’initiative de notre collègue Hugues Portelli, la compétence de la commission des lois pour donner l’avis sur la nomination du Défenseur des droits et des personnalités qualifiées membres du Conseil supérieur de la magistrature est dorénavant précisée.

Le groupe UMP se réjouit que les députés aient adopté, en deuxième lecture, le texte ainsi opportunément complété par notre commission.

Cependant, tout en retenant le principe, proposé par les députés, de simultanéité du dépouillement du scrutin portant sur l’avis concernant les nominations, c’est à juste titre que la commission des lois a, une nouvelle fois, supprimé l’article 3 du projet de loi organique.

Cet article, que l’Assemblée nationale persiste à vouloir introduire, interdit les délégations de vote lors du scrutin destiné à recueillir l’avis de la commission compétente.

Or, selon nous, la fixation des modalités d’exercice de la délégation de vote relève clairement du domaine des règlements du Sénat et de l’Assemblée nationale.

De plus, ni la lettre de la Constitution ni les travaux préparatoires ne permettent de penser qu’une procédure strictement identique – et là, je rejoins de nouveau Pierre Fauchon, qui voudra bien me pardonner de quasiment paraphraser ses propos !…

M. Pierre Fauchon. Et réciproquement !

M. Laurent Béteille. … – doive être retenue dans les deux assemblées pour prononcer l’avis prévu à l’article 13 de la Constitution, pas plus que pour les textes que nous votons quotidiennement.

Toutefois, si nous estimons que le constituant a souhaité laisser aux règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat la détermination de ces dispositions conformément au principe d’autonomie des assemblées, nous souhaitons vivement qu’un accord puisse être trouvé par les deux assemblées sur ce point.

Nous partageons pleinement les doutes de notre rapporteur quant au caractère constitutionnel de cette disposition. En effet, comme le montrent le choix du législateur organique en 1958 et l’interprétation continue qui en a été faite, le dernier alinéa de l’article 27 de la Constitution n’a pas vocation à permettre d’interdire les délégations de vote pour tel ou tel type de scrutin.

Le seul et unique type de scrutin pour lequel les délégations de vote sont explicitement proscrites par le constituant concerne, cela a été dit, la destitution du chef de l’État. C’est suffisamment exceptionnel pour que cette disposition le soit aussi.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà !

M. Laurent Béteille. S’agissant de l’empêchement légitime, j’ai bien entendu les propos tenus tout à l'heure par Bernard Frimat sur la légitimité des empêchements, mais, à mon sens, priver de droit de vote celui qui a un empêchement légitime ne me paraît pas forcément constituer une avancée démocratique.

Sous réserve de ces observations, le groupe UMP considère que l’adoption de ces deux textes d’application de la révision constitutionnelle apporte une nouvelle pierre à l’édifice de la « République irréprochable » souhaitée par le chef de l'État.

Elle est, je le répète, une avancée pour l’émergence d’un Parlement revalorisé et participe au rééquilibrage des institutions de la Ve République, que nous appelons de nos vœux.

Vous ne serez pas surpris que, au terme de cet exposé, je vous annonce que le groupe UMP votera en faveur de ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Pierre Fauchon. Je demande la parole.

Mme la présidente. Monsieur Fauchon, je comptais vous donner la parole à la fin de la séance, mais puisque vous souhaitez vous exprimer dès à présent, je vous la donne bien volontiers.

M. Pierre Fauchon. Madame la présidente, je veux simplement préciser un point pour éviter une équivoque.

S’agissant de la publicité des auditions par les commissions des candidats aux nominations, notre excellent collègue Bernard Frimat a dit tout à l’heure que son avis était contraire au mien.

Or je ne suis pas opposé à la publicité, j’ai simplement émis des réserves. Par conséquent, nos avis sur le principe de publicité ne sont pas différents, mais, à titre personnel, je ne suis pas sûr que cela ne produise pas des effets regrettables.

C’est donc seulement sur ce point qu’il y a une légère divergence entre notre excellent collègue Bernard Frimat et moi-même.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…

La discussion générale commune est close.

projet de loi organique

 
 
 

Mme la présidente. Nous passons à la discussion des articles du projet de loi organique, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

Je rappelle que, aux termes de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.

 
Dossier législatif : projet de loi organique relatif à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution
(Article 1er non modifié)

Article 1er et annexe