M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur Fauchon, monsieur Billout, je ne peux qu’être en total accord avec vous. Je mesure comme vous tous et l’importance de la crise économique qui frappe l’Europe et l’urgence des mesures qui seront discutées cette semaine par les chefs d’État ou de gouvernement.

J’ai passé hier une longue journée à Bruxelles afin de préparer ce Conseil des affaires générales et relations extérieures, et je suis naturellement à la disposition du Sénat et de l’Assemblée nationale pour m’entretenir avec les parlementaires – et moi-même, je l’ai été fort longtemps – de l’ensemble de ces sujets.

Cela étant, monsieur Billout, je puis vous assurer que le Gouvernement n’est aucunement responsable de la façon dont a été organisé ce débat non plus que de son horaire tardif. Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je regrette que celui-ci débute à minuit, car, s’il avait eu lieu à une heure plus raisonnable, il aurait pu intéresser non seulement nombre de vos collègues, mais encore l’ensemble de nos concitoyens. Toujours est-il que le Parlement est souverain et que le Gouvernement est à sa disposition. Pour ma part, je suis là pour répondre à vos questions, et je vous présenterai dans une heure la position du gouvernement français à la veille de ce Conseil européen.

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Débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 mars 2010

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 mars 2010 (demande de la commission des affaires européennes).

J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat sous la forme d’une série de dix questions-réponses réparties à la proportionnelle des groupes avec la réponse immédiate du Gouvernement. La durée de la discussion de chaque question est limitée à 5 minutes réparties de la manière suivante :

- question : 2 minutes 30

- réponse : 2 minutes 30

Puis le Gouvernement interviendra pendant 15 minutes.

La conférence des présidents a décidé d’attribuer quatre questions au groupe UMP, trois questions au groupe socialiste et une question aux groupes UC, CRC-SPG et RDSE.

Nous allons maintenant procéder à l’échange de questions-réponses.

La parole est à M. Richard Yung, pour le groupe socialiste.

M. Richard Yung. Je souscris aux propos qu’ont tenus nos deux collègues. La manière dont sont organisés nos débats soulève un problème d’ordre général. Pour une fois, c’est vrai, le Gouvernement n’y est pour rien.

Parmi de nombreux points importants, la stratégie de Lisbonne visait à l’« amélioration quantitative et qualitative de l’emploi ». Aussi, je ne parlerai pas des aspects économiques et financiers ou du débat avec l’Allemagne, mais je centrerai ma question sur le travail et l’emploi.

Les objectifs en taux d’emploi que les États membres s’étaient fixés en 2000 n’ont pas été atteints. Les taux d’emploi ont certes connu une évolution positive, mais ils restent insuffisants et, surtout, très disparates selon les pays et selon les catégories sociales que l’on considère, qu’il s’agisse des classes d’âge – les seniors ou les jeunes – ou des catégories socioprofessionnelles.

L’objectif visant à créer des emplois de meilleure qualité, second objectif de la stratégie de Lisbonne, est également loin d’avoir été atteint. La hausse des taux d’emploi résulte pour l’essentiel de la croissance des contrats précaires – contrats à durée déterminée et intérim – et du temps partiel. Cette tendance touche tout particulièrement les femmes, les jeunes, les travailleurs âgés de 55 à 64 ans et les migrants.

Pourquoi en est-il ainsi ? Ces résultats relativement médiocres – malheureusement, ils ne sont pas isolés – trouvent leur origine dans l’infléchissement excessivement libéral de la politique européenne et de la stratégie de Lisbonne. L’emploi n’est plus une priorité. La Commission européenne et la plupart des gouvernements ont privilégié l’assouplissement du marché du travail et la réduction des coûts salariaux pour favoriser l’emploi. Je vous renvoie à cet égard au débat actuellement en cours avec l’Allemagne. Conséquence : le nombre de travailleurs pauvres est en hausse.

On a beaucoup parlé de « flexisécurité », mais pour n’en retenir que le préfixe, à savoir la flexibilité. Le suffixe, quant à lui – la sécurité – a été oublié.

M. le président. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.

M. Richard Yung. Au vu de ce bilan critiquable, il est difficile de croire à la position officielle française, qui est l’amélioration de la qualité de l’emploi. Aussi, monsieur le secrétaire d'État, quelles propositions concrètes entendez-vous présenter lors du prochain Conseil européen afin de résoudre le dilemme entre taux et qualité de l’emploi ? Proposerez-vous à nos partenaires de définir des standards européens relatifs à la qualité des emplois, de relancer les négociations sur le temps de travail et de réviser la directive sur le détachement des travailleurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le sénateur, au préalable, je vous remercie du travail que vous avez produit sur la réforme du Quai d’Orsay, plus particulièrement sur la protection de nos concitoyens à l’étranger. Votre contribution a été fort utile.

Vous m’interrogez sur l’équilibre à trouver entre l’objectif d’emploi et la qualité des emplois. La stratégie européenne pour la croissance et l’emploi, la stratégie UE 2020, ne fait pas l’économie d’une réflexion sur le dilemme auquel nous sommes confrontés pour atteindre ces deux objectifs. Les peuples européens attendent en effet de leurs gouvernements un leadership politique et que ceux-ci apportent rapidement des solutions et des réponses claires à leurs attentes.

La commission a proposé, dans sa communication en date du 3 mars, de dédier un des cinq grands objectifs de la future stratégie – je reviendrai sur ces objectifs tout à l’heure –, en mentionnant que 75 % de la population âgée de 20 à 64 ans devait avoir un emploi.

Elle est allée plus loin, notamment parce que les États, dont la France, l’ont poussée dans ce sens, en soulignant l’importance d’adapter le cadre législatif à l’évolution des formules de travail – le temps de travail, le détachement des travailleurs –, à la qualité de l’emploi et aux nouveaux risques pour la santé et la sécurité au travail.

Je rappelle à ce sujet que la qualité de l’emploi fait partie intégrante des objectifs de la France et de la stratégie européenne pour l’emploi s’agissant de la formation, des qualifications, des conditions de travail, de l’égalité entre les hommes et les femmes, de la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, ainsi que de la non-discrimination.

La contribution française à la définition de la stratégie « Europe 2020 » a mis l’accent sur le caractère indissociable de l’objectif d’augmentation du taux d’emploi et de celui de qualité des emplois créés, afin notamment de lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres, que vous avez dénoncé à raison. Il y va de la cohésion de la société, tous les États s’accordent sur ce point.

La difficulté tient moins, vous le savez, aux objectifs que nous nous sommes fixés qu’à la capacité de l’Europe d’imposer sa compétitivité face aux autres grands pôles économiques. Nous reviendrons sur ce point tout à l’heure.

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour le groupe du RDSE.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lancée en 2000, la stratégie de Lisbonne visait à faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 ». Cette promesse n’a pas été tenue et elle ne l’aurait pas été sans la crise.

La Commission européenne a dévoilé son nouveau plan pour la décennie à venir. Il sera au centre des débats du Conseil européen des 25 et 26 mars prochains. Sitôt sa présentation par José Manuel Barroso achevée, le manque d’envergure et l’aspect incantatoire de la stratégie « Europe 2020 » furent flagrants.

Une forte impression de « déjà vu » se dégage en effet du texte de la Commission. Voilà dix ans, déjà, l’investissement de 3 % du PIB dans la recherche et développement, la R&D, était un objectif central de la stratégie de Lisbonne ! Aujourd’hui, nous en sommes encore loin !

En effet, les dépenses dans ce domaine n’ont progressé que très légèrement, passant de 1,82 % en 2000 à 1,9 % en 2008. Aujourd’hui, l’Union s’essouffle loin derrière les États-Unis et le Japon, qui consacrent respectivement 2,7 % et 3,4 % de leur PIB à ce secteur. Il y a de quoi être non seulement sceptique, mais aussi très inquiet !

L’Europe possède pourtant de nombreux atouts – une main-d’œuvre qualifiée, une base technologique et industrielle puissante, un marché intérieur et une monnaie unique qui ont permis de résister aux pires effets de la crise, une économie sociale et de marché qui a fait ses preuves –, mais elle ne pourra tirer avantage de ses atouts et rester compétitive face à ses concurrents traditionnels et aux économies dites émergentes sans investir massivement dans la recherche et les technologies.

Il faut cibler la politique de R&D et d’innovation sur des objectifs multiples. Nous devons tous les concrétiser, en prenant en compte la pollution, l’efficacité énergétique, la santé et les mutations démographiques. La pression budgétaire ne doit pas nous faire renoncer ; elle doit au contraire nous inciter à rationaliser notre action.

Certains de nos partenaires européens l’ont bien compris : ainsi, l’Allemagne, dont la dépense de R&D atteint 2,5 %, ou encore la Finlande et la Suède, avec 3,5 %.

Il semble que lors du Conseil des affaires économiques et financières qui s’est tenu le 16 mars, certains ministres des finances se soient montrés réticents à considérer les dépenses comme un critère de mesure de la R&D et de l’innovation. Le Conseil a d’ailleurs appelé à une réflexion urgente sur un indicateur plus large.

Est-ce à dire que l’objectif chiffré de 3% pourrait ne pas être retenu ? Ce serait une régression par rapport à la stratégie de Lisbonne ! Enfermée dans de trop nombreuses contraintes, la stratégie « Europe 2020 » ne sera-t-elle qu’une nouvelle pétition de principe ?

Je serais heureux, monsieur le secrétaire d’État, que vous nous rassuriez sur ce point.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur de Montesquiou, vous n’avez pas tort de dénoncer le caractère incantatoire des objectifs qui sont affichés et le risque qu’ils ne soient pas observés dans la réalité.

L’objectif de 3 % de la stratégie de Lisbonne n’a pas été respecté. La moyenne actuelle de la dépense de R&D en Europe est en effet de 2 % – c’est insuffisant –, contre 2,6 % aux États-Unis et 3,4 % au Japon. Il est bien évident que si nous perdons le combat sur la R&D et l’innovation, nous ne pourrons qu’être inquiets sur l’avenir des économies européennes.

C'est la raison pour laquelle, dans le cadre de la stratégie « Europe 2020 », au-delà des objectifs quantitatifs, sont mis en place un certain nombre d’instruments sur lesquels nous espérons pouvoir nous appuyer pour conduire des actions concrètes.

D’abord, l’accent est mis sur l’innovation afin de ne pas devoir se limiter à un objectif strictement quantitatif. La nouvelle stratégie doit pouvoir s’appuyer sur des actions concrètes. Je pense, par exemple, à l’adoption d’un agenda de recherche axé sur la sécurité énergétique, les transports, le changement climatique, ou encore sur la santé et le vieillissement.

Je pense également à l’amélioration de la compétitivité des entreprises et, c’est un point très important, à l’harmonisation de la législation en matière de brevet. De ce point de vue, je peux vous assurer que l’élection récente d’un Français, M. Benoît Battistelli, à la présidence de l’Office européen des brevets – nous y avons beaucoup travaillé avec Mme Christine Lagarde – est un véritable succès pour nous tous.

Je pense enfin à la mise en cohérence de tous les instruments financiers de l’Union : les fonds structurels, bien sûr, mais aussi les programmes de la Banque européenne d’investissement, la BEI, qui a joué un rôle majeur pendant la crise financière pour continuer à alimenter en crédits les PME.

J’ajoute que les dépenses européennes de R&D seront, au même titre que la PAC, la politique de cohésion ou les ressources du budget européen, l’un des grands enjeux des prochaines perspectives financières.

Monsieur le sénateur, la France est bien sûr totalement mobilisée sur l’objectif d’innovation. C’est tout le sens de la stratégie du grand emprunt. J’ajoute que le président Van Rompuy a annoncé hier soir son souhait de réunir, au mois d’octobre, un Conseil européen spécialement dédié à l’innovation.

J’espère, comme vous, que ces objectifs quantitatifs seront suivis d’effets.

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe UMP.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la nouvelle stratégie européenne pour l’emploi et la croissance, que l’on appelle stratégie « Europe 2020 », sera au centre des discussions du Conseil européen de cette semaine.

Elle se veut une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive. Qui pourrait critiquer un tel programme ?

Toutefois, elle souffre d’un grave handicap : elle succède à la stratégie de Lisbonne. Or, la seule évocation de la stratégie de Lisbonne a aujourd’hui un effet de repoussoir et ne suscite que scepticisme. Faut-il rappeler que cette stratégie visait à faire de l’Union européenne en 2010 la zone la plus dynamique et la plus compétitive du monde ? On ne sait aujourd’hui s’il faut en rire ou en pleurer.

De toute évidence, l’Union européenne ne doit pas et ne peut pas se tromper une deuxième fois sur un sujet d’une telle importance. C’est pourquoi il est indispensable de dégager les raisons de l’échec de la stratégie de Lisbonne et de vérifier qu’on y apporte des réponses satisfaisantes.

Pour ma part, je vois deux raisons majeures à l’échec de la stratégie de Lisbonne : d’une part, l’absence d’une gouvernance suffisante et, d’autre part, le manque d’une réelle appropriation par chacun des États membres.

Pour ce qui concerne la gouvernance, j’ai cru comprendre que le Conseil européen en serait désormais chargé et qu’il aurait des débats réguliers sur ce sujet afin d’assurer un suivi continu. Cela paraît une bonne réponse.

J’en viens à l’appropriation nationale.

La stratégie de Lisbonne définissait des objectifs généraux alors que la nouvelle stratégie repose aussi sur des objectifs nationaux définis par chaque État membre en fonction de sa situation. Cela devrait favoriser l’appropriation nationale.

Mais, dans le même temps, une question se pose : comment le Gouvernement entend-il fixer les objectifs quantitatifs pour la France ? A-t-il prévu d’organiser un débat sur ce sujet devant l’Assemblée nationale et le Sénat ?

On ne saurait en effet, à mon sens, envisager une véritable appropriation nationale si l’exécutif arrêtait seul ces objectifs sans un véritable débat parlementaire.

On peut d’ailleurs poser la même question pour les objectifs européens de la nouvelle stratégie.

Mme Merkel a écrit aux présidents de la Commission, du Conseil européen et du Parlement européen pour les informer qu’elle ne pourrait souscrire aux objectifs européens proposés sans un débat préalable au sein du Parlement allemand. Il semble que, de ce fait, ces objectifs ne seront pas adoptés cette semaine.

La France ne devrait-elle pas agir de même ? J’irai plus loin : n’y aurait-il pas là un sujet idéal pour un travail parlementaire commun aux parlements français et allemand ? Ce serait une bonne application concrète de la coopération plus étroite entre les parlements de nos deux pays que le conseil des ministres franco-allemand appelait de ses vœux voilà quelques semaines.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Bizet, vous avez souligné à juste titre que la stratégie « Europe 2020 » pour la croissance et l’emploi est une chose que nous devons nous approprier collectivement. Nous devons la prendre très au sérieux à l’heure où nous traversons la crise la plus grave depuis 1929. L’Union européenne, je le dis très solennellement, ne peut pas se permettre d’échouer et de reproduire les erreurs, de nature bureaucratique notamment, qui ont émaillé la stratégie de Lisbonne.

Nous avons donc besoin d’une nouvelle gouvernance, d’une appropriation visible, lisible par nos concitoyens. C'est la raison pour laquelle le président Van Rompuy, en accord bien sûr avec les chefs d’État ou de gouvernement, a adopté une approche qui va du haut vers le bas. Cette démarche privilégie une appropriation politique des objectifs et de la méthode au résultat de compromis bureaucratiques qui remonteraient d’organes plus ou moins légitimes sur le plan démocratique.

Vous soulignez également à raison l’importance de l’appropriation nationale de cette nouvelle stratégie. Pour l’heure, nous n’en sommes, à l’échelon européen, qu’à un stade très préliminaire, s’agissant de l’élaboration des outils, des indicateurs, des modalités de contrôle des objectifs. Le travail ne fait que commencer.

Le Gouvernement considère que la représentation parlementaire doit bien sûr être totalement impliquée dans la définition et le suivi de la nouvelle stratégie. Nous avons besoin, je le dis souvent, de construire une « équipe de France » soudée pour traiter l’ensemble de ces questions.

En qualité de responsable des affaires européennes, j’ai reçu tous les syndicats – c’est assez rare pour être souligné –afin que les formations syndicales soient, si j’ose dire, intégrées dans la boucle et qu’elles contribuent à la préparation de ces objectifs.

L’élaboration d’un rapport parlementaire commun de la France et de l’Allemagne sur la stratégie « Europe 2020 » constitue bien évidemment une excellente idée. Je renvoie la décision à votre assemblée. Mais je rappelle que l’agenda franco-allemand de 2020, adopté par le conseil des ministres franco-allemand, sur lequel mon homologue allemand et moi-même avions beaucoup travaillé, avait « encouragé les parlements [qui sont bien évidemment souverains] à envisager des étapes supplémentaires pour une coopération plus étroite, qui pourraient notamment inclure la rédaction de rapports parlementaires en commun ».

Comme vous l’avez suggéré, la stratégie « Europe 2020 » pour la croissance et l’emploi est le type même de l’exercice en commun qu’il faudra mener. Dans le contexte actuel, ce serait très utile entre la France et l’Allemagne.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour le groupe CRC-SPG.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois encore, l’Union européenne fait le grand écart entre les paroles et les actes en matière de régulation financière.

Toutes les surenchères ont été faites pour dénoncer le système fou de la spéculation déconnecté de la réalité. Mais à l’heure des mesures nécessaires, les dirigeants européens reculent de nouveau. Preuve en est le projet de directive visant à réguler les fonds spéculatifs, retiré pour ne pas froisser les marchés britanniques à l’aube d’élections législatives qui s’annoncent difficiles pour Gordon Brown. Une question simple et légitime s’impose donc : les États membres souhaitent-ils vraiment un accord ?

Pendant que les fonds spéculatifs emplissent les poches de quelques boursicoteurs, les peuples européens sont appelés à se serrer la ceinture, au premier rang desquels nos amis grecs, qui doivent subir des réductions de salaires, de pensions, de services publics, lesquelles engendrent d’importantes manifestations.

Le sommet des 25 et 26 mars sera donc crucial pour la Grèce : soit les chefs d’État s’accordent sur une aide financière à des taux d’intérêt non prohibitifs, car les taux d’intérêt que la Grèce doit aujourd’hui payer pour emprunter sur les marchés et financer ses déficits – plus de 6 % – sont intenables et contribuent à l’enfoncer dans la crise ; soit, devant l’égoïsme de ses partenaires, la Grèce n’aura d’autre recours que de s’adresser au FMI, dont les taux d’emprunt sont plus favorables, marquant ainsi l’échec de la politique monétaire européenne ! Le comble est que le président de la Commission européenne serait favorable à une telle solution !

Quant à l’Allemagne, sa position est encore plus inquiétante puisqu’elle évoque la possibilité d’exclure de la zone euro les pays jugés trop permissifs en matière de déficit, visant en premier lieu la Grèce, mais également le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la France…

Les décisions qui seront prises lors de ce sommet seront donc cruciales pour le peuple grec, mais elles détermineront également la conception que nous souhaitons donner à l’Europe.

Pour le groupe CRC-SPG, il faut rompre avec le dogme de l’Europe libérale, rejetée par la majorité des votants lors des référendums en France, aux Pays-Bas et en Irlande. Ni l’Union européenne ni les gouvernements de ces pays n’ont respecté les décisions des citoyens ; ils ont, au contraire, continué de mettre en œuvre les mêmes orientations, dont les conséquences désastreuses sont aujourd’hui payées par les peuples européens !

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, ne devrions-nous pas tirer les leçons de l’échec de l’Europe libérale, pour porter une Europe des peuples, en proposant de remplacer le pacte de stabilité et de croissance, devenu obsolète, par un pacte de solidarité sociale pour l’emploi et la formation, pour la lutte contre la pauvreté – en garantissant un revenu minimal pour tous – et pour l’arrêt de la flexibilisation du marché du travail ?

Ne serait-il pas temps de redéfinir le rôle de la Banque centrale européenne afin qu’elle intègre, grâce à l’impulsion d’un nouveau type de crédit, des objectifs de croissance, d’emploi, et pas seulement de stabilité des prix ?

Quant aux promesses du G20 de refonte des institutions de la zone euro et du système financier international, ont-elles été jetées aux oubliettes ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Si je ne partage pas vos conclusions sur bien des points, madame David, je vous rejoins en revanche sur le constat que le capitalisme et l’économie de marché ne doivent pas se transformer en casino, qu’ils doivent être encadrés par des règles, et que la cécité, la dérégulation et la rapacité, causes de la crise de 1929, sont également à l’origine de celle de 2008.

Cependant, je ne pense pas qu’il faille remplacer le pacte de stabilité par je ne sais quelle économie…

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. … plus ou moins étatisée.

Mme Annie David. Un pacte social !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Comme l’ont dit la chancelière Merkel et le président de la République française, cette crise de 2008 a fait ressortir le besoin de moraliser le capitalisme, mais surtout d’organiser un système de régulation financière adapté à des transactions mondialisées.

Même s’il reste beaucoup à faire, des progrès non négligeables ont été accomplis depuis 2008, notamment au niveau du G20, réuni pour la première fois sous la présidence française de l’Union, sur l’initiative de Nicolas Sarkozy. Au sein de cette enceinte, que la France présidera en 2011, et dont le premier mérite est de constituer un cadre de discussion, a été décidé l’encadrement des rémunérations, avec en particulier l’interdiction des bonus garantis supérieurs à un an, l’étalement dans le temps des rémunérations variables, l’instauration d’un système de malus, ou encore la limitation des bonus par rapport aux revenus totaux de la banque. Autant de choses qu’il était impensable de réaliser voilà encore deux ans.

Je pense également à la lutte contre les juridictions dites non coopératives. Soulignons l’établissement par l’OCDE d’une « liste noire » et l’adoption de sanctions contre les États qui refuseraient de se soumettre aux standards internationaux, alors que personne ne pensait pouvoir réguler les « paradis fiscaux » il y a deux ans.

Tous les grands centres financiers du G20, y compris les États-Unis, ont également réaffirmé l’engagement pris à Londres de mettre en œuvre, au plus tard le 1er janvier 2011, les accords dits de Bâle 2 en matière de supervision bancaire.

L’Union européenne s’est aussi dotée d’une législation de pointe en la matière, avec l’adoption, sous présidence suédoise, en 2009, d’un nouveau cadre de supervision financière. Le volet macroéconomique de ce cadre a été adopté en octobre, avec la création d’un Comité européen du risque systémique, chargé de dépister les grands risques. Quant au volet microéconomique, il a été adopté en décembre, grâce à la transformation des « comités de superviseurs » en « autorités » dotées de pouvoirs contraignants.

Bien sûr, il reste beaucoup à faire. Je pense à l’adoption de la directive sur l’encadrement des hedge funds, qui a été retardée en raison des difficultés rencontrées à Londres à la veille des élections. Je pense aussi, à la lumière de la crise grecque, à l’adoption rapide d’une législation sur les produits dérivés de crédits, les fameux CDS, comme l’ont demandé la France, le Royaume-Uni, la Grèce et le Luxembourg dans une lettre commune adressée le 11 mars au président de la Commission.

Je suis absolument convaincu que la seule façon de remédier définitivement à ce type d’attaques, qu’elles soient dirigées contre les institutions financières, ce qui était le cas avant 2008, ou contre les États, comme c’est le cas aujourd’hui, est de mettre fin à l’impunité de ce type de spéculateurs. Cela commence par la transparence, et c’est le sens des propositions que la France a présentées hier en vue de la préparation de ce Conseil.

Je vous le redis, madame la sénatrice : sur le constat, sur les formes, nous sommes en phase ; sur les conclusions, nous sommes en droit de diverger.

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour le groupe de l’Union centriste.