Sommaire

Présidence de Mme Monique Papon

Secrétaires :

MM. François Fortassin, Jean-Noël Guérini.

1. Procès-verbal

2. Scrutin pour l’élection de juges à la Cour de justice de la République

3. Débat sur la protection des jeunes sur les nouveaux médias

MM. Jacques Legendre, président de la commission de la culture ; David Assouline, au nom de la commission de la culture.

Mmes Françoise Laborde, Marie-Agnès Labarre, Catherine Morin-Desailly, MM. Bruno Gilles, Serge Lagauche, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Claudine Lepage.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité.

4. Élection de juges à la Cour de justice de la République

5. Prestation de serment de juges à la Cour de justice de la République

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

6. Questions cribles thématiques

éducation et ascension sociale

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.

MM. Daniel Dubois, le ministre.

MM. Jean-Pierre Chevènement, le ministre.

MM. Jacques Legendre, le ministre.

Mme Françoise Cartron, M. le ministre.

MM. Christian Demuynck, le ministre.

MM. Jean-Luc Fichet, le ministre.

MM. Jean Louis Masson, le ministre.

7. Candidatures à une mission commune d'information

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

8. Débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance

MM. Jean-Patrick Courtois, au nom de la commission des lois ; Charles Gautier, au nom de la commission des lois.

M. Alex Türk, Mmes Éliane Assassi, Anne-Marie Escoffier, M. Jean-Paul Fournier, Mme Virginie Klès, MM. Jean-Paul Alduy, Louis Nègre.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

9. Nomination des membres de la mission commune d’information sur la tempête Xynthia

10. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Monique Papon

vice-présidente

Secrétaires :

M. François Fortassin,

M. Jean-Noël Guérini.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Scrutin pour l’élection de juges à la Cour de justice de la République

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République, en remplacement respectivement de M. Hubert Haenel, nommé membre du Conseil constitutionnel, et de M. Bernard Saugey, qui a démissionné de sa fonction de juge suppléant.

Le groupe UMP a présenté la candidature de M. Bernard Saugey comme juge titulaire et de M. Jean-Patrick Courtois comme juge suppléant.

Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour cette élection.

Le scrutin aura lieu dans la salle des conférences, où des bulletins de vote sont à votre disposition.

Pour être valables, les bulletins ne doivent pas comporter plus d’un nom comme juge titulaire et plus d’un nom comme juge suppléant, le nom du juge titulaire devant obligatoirement être assorti du nom de son suppléant. Ne sont comptabilisés ensemble que les suffrages portant sur le même titulaire et le même suppléant.

Le juge titulaire nouvellement élu et son suppléant seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.

Je prie MM. Jean-Noël Guérini et François Fortassin, secrétaires du Sénat, de bien vouloir présider le bureau de vote et de superviser les opérations de dépouillement.

Le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République sera ouvert pendant une heure.

Mes chers collègues, il est quatorze heures trente-cinq. Je vous annonce l’ouverture du scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République. Il sera clos à quinze heures trente-cinq.

3

Débat sur la protection des jeunes sur les nouveaux médias

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur la protection des jeunes sur les nouveaux médias, organisé à la demande de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

La parole est à M. le président de la commission de la culture.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, compétente pour les questions relatives à la jeunesse, s’est particulièrement impliquée depuis deux ans dans ce domaine, d’abord en confiant à M. David Assouline un rapport d’information sur l’impact des nouveaux médias sur la jeunesse, puis au travers de la participation à la mission commune d’information créée par le Sénat sur la politique en faveur des jeunes, dont M. Christian Demuynck était le rapporteur.

Le rapport de M. David Assouline, présenté à la commission en 2008, a fait l’objet d’échanges passionnants et a été adopté à l’unanimité. Il comportait un grand nombre de propositions ambitieuses pour accompagner la « génération numérique », à l’heure où, rappelons-le, un jeune sur trois a un blog, un sur deux se sert d’une messagerie instantanée, deux sur trois jouent sur un ordinateur et plus de neuf sur dix naviguent sur Internet et possèdent un téléphone mobile. Voilà des chiffres impressionnants !

C’est pourquoi j’ai souhaité, au travers de ce débat que la réforme constitutionnelle nous permet désormais d’organiser dans le cadre de la semaine sénatoriale de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, faire le point sur les réponses que le Gouvernement a d’ores et déjà pu nous apporter et connaître les suites qu’il entend donner aux recommandations que nous avons formulées.

Je crois utile de pouvoir faire entendre la voix de la commission de la culture à la veille de l’examen par le Sénat du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit LOPPSI 2. Ce texte, qui ne relève pas de notre compétence, pourra en effet utilement servir de véhicule législatif à un certain nombre de dispositions dans ce domaine. À cet égard, j’approuve les dispositions prévues à son article 4, qui visent notamment à empêcher l’accès aux sites pédopornographiques.

Par ailleurs, les 7 et 8 avril prochains, le ministre de l’éducation nationale réunira à la Sorbonne des états généraux de la sécurité à l’école. Nous le savons tous, nombre d’incidents qui se sont produits au cours des derniers mois sont souvent liés à l’utilisation de téléphones portables. Je pense, par exemple, à la circulation d’informations sur des jeux violents comme celui du foulard ou de la tomate – jeux de strangulation, d’apnée ou conduisant à freiner l’irrigation sanguine du cerveau –, aux scènes d’attaques d’enseignants filmées par les élèves ou aux rendez-vous de bandes organisées à la sortie des établissements.

Je souhaite que les problèmes liés à l’utilisation des nouveaux médias puissent être étudiés dans le cadre de ces rencontres. Je salue d’ailleurs l’initiative du ministre de l’éducation nationale : la constitution d’un conseil scientifique chargé d’apporter une expertise et la dimension interministérielle des débats me paraissent essentielles.

Madame la secrétaire d’État chargée de la famille et de la solidarité, vous représentez aujourd’hui le Gouvernement, mais nous sommes bien conscients que les responsabilités sont partagées avec vos collègues de l’éducation, de la communication, de l’économie numérique, et même de l’intérieur. Je ne doute pas que le débat qui nous occupe favorisera la nécessaire coordination interministérielle et permettra de faire avancer les choses.

Je n’entrerai pas dans le détail des constats et propositions du rapport d’information que M. David Assouline présentera dans un instant. Je vous ferai part, dans cette intervention liminaire, de deux convictions.

D’une part, les nouveaux médias sont une immense chance pour les jeunes. Même si nous avons centré ce débat sur leur protection, il ne faut pas nier tous les avantages que cette révolution numérique comporte en termes d’information, de diffusion de la culture, de support pédagogique, au travers du tableau numérique ou du développement du e-learning, qui est aussi une solution pour l’aménagement du territoire, sans compter le développement des réseaux sociaux, tels Facebook ou Twitter. Ces derniers sont un formidable outil de communication, permettant la socialisation et l’expression de jeunes, qui, autrefois, seraient restés solitaires ou sous-informés.

D’autre part, je me dois de rappeler que, lors des débats au sein de la commission, un constat a été partagé : celui de la démission de la famille et de l’école, liée souvent à l’ignorance des dangers représentés par ces nouveaux médias, notamment Internet. C’est pourquoi je considère qu’il appartient aux responsables politiques d’agir pour que les bienfaits de ces nouvelles technologies l’emportent sur leurs dangers.

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État chargée de la famille et de la solidarité. C’est vrai !

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Nous avons malheureusement tous à l’esprit les addictions numériques, notamment aux jeux vidéo, les comportements violents conduisant des adolescents à des agressions avec des armes blanches ou des bouteilles d’acide, ou les déviances sexuelles dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences sur les générations futures.

Nous sommes parvenus pour la télévision, média traditionnel, à instaurer une régulation. À cet égard, je tiens à saluer l’action du CSA, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui a lancé une campagne de protection des mineurs à la télévision, ainsi que celle de Mme Françoise Laborde, menée dans le cadre d’un groupe de travail qu’elle préside sur ce sujet. Des propositions ont été avancées sur les publications destinées à la jeunesse. À l’occasion de l’examen de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, notre commission se penchera sur la nécessaire réforme de la loi de 1949 ; celle-ci a en effet bien vieilli et est désormais inadaptée au monde numérique.

À l’heure où les jeunes regardent le plus souvent la télévision sur leur ordinateur, une telle mobilisation demeure indispensable, surtout lorsque l’on mesure l’influence de la télévision sur les comportements, y compris chez les adultes, comme l’a montré un récent documentaire sur un jeu de télé-réalité.

Reste le domaine de l’internet. Lors de la présentation de ses vœux pour 2010, M. Michel Boyon, président du CSA, a une nouvelle fois déploré que la loi ne permette pas de réguler les vidéos diffusées sur des sites de partage lorsqu’elles ont des contenus illégaux, c’est-à-dire lorsqu’elles ont un caractère pornographique, attentatoire à la dignité de la personne humaine ou bien lorsqu’elles comportent des appels à la haine, à la violence, au racisme ou à l’antisémitisme. Je partage sa conviction : il faudra envisager de réguler ce domaine et ne pas s’abriter derrière la mondialisation pour se déclarer impuissants. Notre commission ouvrira ce chantier, car la liberté sur Internet n’exclut pas la protection des droits fondamentaux !

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’espère que notre débat au Sénat contribuera à avancer rapidement dans tous ces domaines ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline, au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dix-huit mois après l’adoption du rapport de la mission commune d’information sénatoriale sur l’impact des nouveaux médias sur la jeunesse, que j’ai eu l’honneur de rédiger, je me félicite de l’organisation d’un tel débat sur ce thème, qui est à la fois un sujet d’avenir et une source d’inquiétude. Je remercie à cet égard la commission de la culture et son président d’avoir soutenu son inscription à l’ordre du jour de notre assemblée.

Dix-huit mois, c’est long. Dans le domaine des nouveaux médias, c’est même une éternité. Si j’avais à refaire ce rapport, j’apporterais d’importants compléments. Mais cela permet aussi de faire le point sur les mesures qu’a pu prendre le Gouvernement en la matière. Avançons-nous sur ces sujets ? Si oui, allons-nous dans la bonne direction ? Que reste-t-il à faire ? Je souhaite que le débat éclaire ces enjeux.

Madame la secrétaire d’État, je vous avais rencontrée à l’occasion de cette mission et vous m’aviez alors annoncé une LOPPSI 2 imminente et déterminante. Imminente, elle ne l’a pas été ; heureusement, pourrait-on dire... Déterminante, elle ne le sera a priori pas, sauf si le Gouvernement change radicalement de point de vue. Mais peut-être le fera-t-il à la suite de ce débat, qui est susceptible d’accélérer les choses : soyons optimistes !

Cela étant, revenons à la problématique qui nous occupe.

La jeunesse se situe au cœur de la révolution numérique. En effet, non seulement les jeunes n’ont pas échappé au bouleversement numérique, mais ils en constituent les fers de lance en tant que principaux utilisateurs des nouvelles technologies ; je pourrais nourrir l’hémicycle de chiffres sur cette question, mais ils figurent déjà dans le rapport et le président Legendre en a livré un certain nombre tout à l’heure.

Les jeunes ont tendance à utiliser les nouveaux médias de manière combinée, regardant la télévision en même temps qu’ils « chattent » avec leurs copains et qu’ils envoient des SMS aux énoncés cryptiques. Ils ont créé d’ailleurs des usages originaux, à tel point que leurs pratiques médiatiques contribuent de manière essentielle à la définition d’une « culture jeune ».

Le rapport faisait ressortir que les nouveaux médias étaient à la fois des outils de socialisation, des catalyseurs de compétences, des diffuseurs de culture, des sources de créativité et des supports pédagogiques efficaces. Voilà autant de vertus qu’on peut leur accorder et qui sont probablement à l’origine de leur succès.

Il reste que de tels effets positifs sont fragiles et susceptibles d’être remis en cause selon la manière dont on les utilise. Un débat similaire avait d’ailleurs eu lieu au moment de l’arrivée massive de la télévision dans tous les foyers de France.

Le constat que j’avais pu faire à cet égard était relativement simple : les jeunes éprouvent un sentiment de liberté du fait de leur maîtrise des nouveaux médias, ce qui est un point très positif, mais cette liberté n’est absolument pas accompagnée ou mise à profit par les pouvoirs publics.

En effet, dès lors que l’on parle d’Internet, on évoque les amis, le réseau social, les blogueurs, ceux qui « twittent » toute la journée, le dernier « buzz » sur Skyblog, mais l’on constate aussi l’absence frappante de la famille et de l’école qui laissent les jeunes abandonnés, sans repères, dans un monde multimédiatique omniprésent.

Je suis pourtant convaincu que la République peut jouer un rôle d’émancipation et d’éducation, un rôle réel de libération, c’est-à-dire de responsabilisation, des jeunes, grâce à l’aiguisement de leur regard critique sur leurs pratiques dans le domaine des nouveaux médias et sur le monde numérique en général.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le premier thème que j’aborderai a trait à l’éducation. Oui, l’éducation aux médias est un impératif.

Alors que la fracture numérique ne se creuse plus grâce, notamment, à un effort important des collectivités territoriales en matière d’équipement, c’est une double fracture culturelle et intellectuelle qui menace aujourd’hui les enfants. Il faut leur apprendre les bons usages de l’internet, comme on leur apprenait au siècle dernier à bien manier les livres et les concepts. Le fait que le support soit nouveau n’est pas anodin lorsque l’on parle de l’internet. Puisqu’il s’agit d’une véritable révolution culturelle, il importe, à ce titre, de l’accompagner par des politiques très ambitieuses.

C’est à ce défi que doit répondre, d’abord, l’école, soumise à une double obligation : donner aux élèves les moyens d’adopter une posture critique à l’égard des nouveaux médias, de l’information, de la publicité et des contenus qu’ils diffusent ; démontrer que les médias, notamment Internet, ne sont pas les seuls transmetteurs d’un savoir indiscutable, que la médiation est humaine, multiple et doit pouvoir être discutée et contestée.

L’éducation aux médias devient, dans cette optique, non plus seulement une discipline scolaire supplémentaire, mais bien un « impératif démocratique », qui doit être mis au cœur de tout et considéré comme support et sujet dans l’ensemble des disciplines.

J’avais, par ailleurs, proposé de mettre en place, au collège, un module d’heures spécifiquement dédiées à l’éducation aux médias, avec un travail en faible effectif, faute de quoi on ne pourra ni dispenser cet enseignement ni l’évaluer correctement. Bien évidemment, les heures consacrées à ce sujet seraient prélevées sur le quota horaire annuel et ne viendraient pas alourdir l’emploi du temps, déjà très chargé, des élèves.

En outre, j’avais émis l’hypothèse que l’on puisse confier aux professeurs documentalistes une grande partie de cet enseignement. Ceux-ci pourraient, du reste, être le référent ou le coordinateur pédagogique dans chaque établissement scolaire interdisciplinaire pour l’utilisation de ces supports dans toutes les matières.

En effet, alors qu’ils sont détenteurs du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré, le CAPES, ces documentalistes ne sont jamais des professeurs, parce que l’éducation nationale ne leur donne aucun rôle de ce type, ce qui suscite d’ailleurs un malaise au sein de la profession.

Lors de la rédaction de mon rapport, j’avais rencontré M. Xavier Darcos, alors ministre de l’éducation nationale, qui m’avait paru particulièrement peu concerné par l’avenir de cette catégorie de personnels : composée essentiellement de femmes, elle se réduit comme peau de chagrin année après année.

Or ces personnels pourraient, à mon sens, jouer un rôle extrêmement intéressant à l’école grâce à leurs compétences spécifiques et à leur connaissance des médias.

Qu’en pensez-vous, madame la secrétaire d’État ? Comment vous-même et le Gouvernement dont vous êtes membre comptez-vous faire vivre l’éducation aux médias dans un contexte général favorisant plutôt la réduction des moyens et des effectifs et singulièrement peu adapté à nos besoins nouveaux ?

Par ailleurs, tous les outils doivent être mis à contribution. Dans le cadre de la réforme de France Télévisions, j’avais émis le souhait que, au lieu de supprimer la publicité sur la télévision publique, on insère dans le cahier des charges du groupe l’obligation de diffuser une émission d’analyse des effets de la publicité et de décryptage du rôle des médias et de l’image. On pourrait toujours le faire, même si la publicité est supprimée.

À l’heure où l’indépendance des médias traditionnels est contestée au point que les jeunes s’en détournent pour explorer l’information sur Internet produite avec plus ou moins de professionnalisme, mais sans tabous, à l’heure où l’on réalise des émissions de « télé trash » avec le désormais célère Jeu de la mort sur France Télévisions, il faut plus que jamais insister sur l’intérêt de ces émissions critiques de décryptage sur les médias, qui ont disparu de la télévision publique.

Que contient le cahier des charges de France Télévisions sur ce sujet ? Pas grand-chose ! Qu’est-ce qui est fait concrètement ? Presque rien !

Réveillons-nous, sinon les jeunes se détourneront définitivement de l’information traditionnelle, au risque de voir la transmission générationnelle se gripper sérieusement.

J’avais proposé, en outre, que l’on instaure une signalétique positive sur certains programmes « jeunesse », suivant un cahier des charges précis faisant état, par exemple, de non-discrimination entre les genres, d’ouverture à un public élargi, de diffusion de valeurs citoyennes, s’agissant notamment des droits de l’homme.

Que pensez-vous, de cette proposition, madame la secrétaire d’État ? La plupart du temps, les signalétiques traduisent une interdiction. Ne pourrait-on en imaginer certaines qui encouragent à regarder telle ou telle émission ?

J’évoquerai ensuite les problématiques d’encadrement de l’utilisation d’Internet, parce qu’il s’agit de la priorité affichée par le Gouvernement, mais aussi de la stratégie la plus simple et la plus intuitive à mettre en œuvre.

Pour lutter contre les problèmes, luttons contre la source des maux, c’est-à-dire contre tous ceux qui diffusent de mauvais messages sur Internet. Si l’on prend ainsi le risque d’être simpliste, risque auquel nous n’échappons pas plus que le Gouvernement, on répond à une partie du problème.

J’avais formulé, dans mon rapport, un certain nombre de préconisations sur l’utilisation de listes blanches pour les jeunes enfants et de listes noires pour les adolescents. Il apparaît que les fournisseurs d’accès ont progressé sur ces questions, grâce à la livraison de logiciels de contrôle parental de plus en plus efficaces intégrant lesdites listes. Je sais, madame la secrétaire d’État, que vous y avez contribué.

Cependant, le problème majeur, très concret, n’est pas résolu : il est lié à la gestion des profils, les parents ayant des difficultés à créer des mots de passe spécifiques et à privatiser leurs sessions sur Internet.

À cet égard, nous avons affaire à un problème de culture et de communication. Si les campagnes de prévention télévisuelle ont un grand intérêt, le renforcement des outils pédagogiques et explicatifs à destination des parents est aujourd’hui un impératif. Or la mise en place et la fonction de ces listes de sites sont importantes, notamment sur la question de la pornographie ; dans mon rapport, j’en soulignais l’impact particulièrement néfaste sur les comportements adolescents présents et futurs.

Madame la secrétaire d’État, où en est le Gouvernement sur cette question très pratique ?

J’avais également émis quelques propositions élémentaires, telles que la régulation dans les messageries instantanées de l’utilisation de la webcam par les mineurs, notamment les plus jeunes, qui ne savent pas qu’ils sont exposés dans leur environnement personnel, leur chambre. Il doit y avoir au moins l’obligation de diffusion d’un message de prévention et d’alerte en page d’accueil des plateformes de blogs et des sites de réseaux sociaux.

Je n’ai rien vu venir, me semble-t-il, sur ce sujet, et je le regrette. Mais peut-être est-ce en voie ?

On me dira, je l’anticipe, que le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit LOPPSI 2, répondra à un certain nombre de questions que j’évoque ici. Admettons…

De même, des dispositifs spécifiques ont été adoptés dans le cadre de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, ou loi HADOPI, et du projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

La proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, votée au Sénat alors que le Gouvernement freinait étrangement des quatre fers – vous me l’expliquerez peut-être, madame la secrétaire d’État –, représente également une avancée dans la protection des jeunes, dont il faut se réjouir, alors que la sphère de l’intime est de plus en plus réduite.

À cet égard, sur Internet, paradoxalement, c’est souvent le masque qui libère et la transparence qui enferme.

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État. Absolument !

M. David Assouline, au nom de la commission de la culture. Les pseudos et avatars sont extrêmement protecteurs. L’étalement de l’intimité sur les sites de réseaux sociaux et la diffusion à l’envi des données personnelles par les gérants des réseaux sociaux, qui en font un argument commercial majeur, sont extrêmement pernicieux pour les libertés.

Il n’en demeure pas moins que, fondamentalement, quels que soient les textes que l’on voit poindre à l’horizon, le Gouvernement est confronté à un obstacle majeur lié à une approche, à mon avis, partielle et parcellaire de la problématique.

Les questions sur les nouveaux médias, bien que transversales et interministérielles, méritent une politique cohérente prenant en compte les défis relatifs à la protection des jeunes ou à la neutralité de l’internet.

À l’heure actuelle, chaque ministère agit à cet égard dans son domaine spécifique. Il faudra bien à un moment donné envisager une vision globale et cohérente pour mener une politique ambitieuse, à la hauteur des enjeux.

J’attends donc des propositions qui s’inscrivent dans une politique globale et cohérente. Un projet de loi spécifique et ambitieux serait à mon sens le bienvenu. La transposition du « paquet télécom » pourrait, par exemple, s’accompagner de dispositifs pertinents, notamment d’une modification de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui, en partie obsolète, ne répond plus aux objectifs de protection de la jeunesse.

Y avez-vous réfléchi, madame la secrétaire d’État ? Est-ce là l’un de vos axes de travail, ou prévoyez-vous une transposition a minima ? Avez-vous d’autres ambitions sur ce point ?

J’aborderai à présent l’une des questions centrales que vous ne traitez pas : celle des modalités de régulation d’Internet.

Bien que très contrôlée, la télévision est de plus en plus dépassée par les usages numériques des jeunes. Or rien n’est fait sur ce sujet, alors même que la convergence numérique brouille tous les usages. Il est ainsi possible à un jeune d’accéder en VOD, ou vidéo à la demande, à un programme qui lui serait interdit ou qui ne pourrait être diffusé à la télévision qu’à certaines heures, sous le contrôle du CSA. Quel paradoxe ! On pourrait multiplier les exemples de ce type en ce qui concerne les téléphones mobiles et Internet.

Aujourd’hui, Internet est aussi une jungle, avec tout ce qu’il apporte en termes de luxuriance d’information, d’oxygène intellectuel et de diversité culturelle, mais aussi avec ses corollaires plus négatifs : la dangerosité de certaines espèces, la difficulté d’accès aux lieux intéressants et la loi du plus fort.

Face à cela, certains seraient tentés de remplacer la jungle par un zoo ! Grillager, encadrer, réprimer… Entre la jungle et le zoo, il existe tout simplement un espace de nouvelle civilisation qu’il faut progressivement construire ensemble.

En résumé, à quand un organe de régulation ou de corégulation efficace, un « CSA de l’internet » ?

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Voilà !

M. David Assouline, au nom de la commission de la culture. Telle est la proposition que j’avais formulée dans mon rapport, mais qui ne semble pas rencontrer d’écho, même sous la forme d’une cacophonie. Sur ce sujet, j’ai l’impression que c’est le « silence radio ».

Lorsque l’on pose cette question au CSA, ce dernier répond qu’il ne dispose absolument pas des moyens de prendre en charge une telle mission et qu’il refuse de se la voir confier sous peine d’exploser et de ne plus pouvoir travailler. Mais il n’existe aucune instance parallèle spécifique.

Quelle est, madame la secrétaire d’État, la philosophie du Gouvernement sur cette question ? Peut-être auriez-vous vous-même une perspective, un calendrier, voire une simple promesse qui pourrait engager le présent Gouvernement ?

On pourrait gloser à l’infini sur les meilleurs moyens de répression, de contrôle, de régulation, de limitation de l’exploration d’un espace numérique sans limites. On ne viendrait pas pour autant au bout de la question, car, précisément, le contrôle absolu sur Internet n’existe tout simplement pas et ses effets pernicieux pour nos libertés sont majeurs.

Pour en revenir au début de mon intervention, la priorité doit être donnée à l’éducation, qui responsabilise, émancipe et libère.

Je conclurai par plusieurs interrogations.

Chacun l’admet, nous vivons une révolution technologique et culturelle, qu’il nous faut accompagner sérieusement. Le Gouvernement doit en prendre conscience, s’y employer activement et faire en sorte que l’ensemble de la société se saisisse de cette question à la hauteur de l’enjeu.

Si cette prise de conscience a eu lieu au sein de votre gouvernement, je ne suis pas certain qu’elle soit suivie de décisions permettant de dégager des moyens suffisants. Or le chantier est gigantesque.

J’ai bien compris que le Gouvernement allait investir dans les réseaux par le biais du grand emprunt, mais quid du service après-vente, de l’accompagnement de la révolution technologique, de l’éducation ?

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous me dire, à peu près, quels sont les moyens consacrés à la prévention et à la régulation des risques liés à Internet ? Pouvez-vous détailler les sommes consacrées à la protection de la jeunesse ? Pensez-vous, plus généralement, que le Gouvernement doive augmenter ses investissements en la matière ?

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sous la pression du développement de la société de l’information, Internet est devenu le moyen de communication le plus sollicité. Comment, dès lors, peut-il profiter aux plus jeunes sans pour autant les mettre en danger ?

Si les technologies de l’information et de la communication, telles qu’Internet, constituent indéniablement un outil pédagogique et de communication bénéfique pour les enfants, les jeunes et leurs familles, elles n’en demeurent pas moins des vecteurs potentiels de dangers qui posent la question de la protection de l’enfant, notamment en termes de contenus inadaptés à de jeunes publics : images violentes et traumatisantes, dégradantes, pornographiques et pédopornographiques.

Internet regorge de ces communications manifestement immorales et illicites. Des actes apparemment légers et de divertissement peuvent avoir des conséquences importantes. Je pense, par exemple, au sexting, phénomène nouveau et dramatique, consistant, pour des adolescents, à transmettre, grâce à leurs téléphones portables, des images érotiques personnelles.

Je ne peux que me réjouir d’entendre que l’éducation aux nouvelles technologies a été intégrée dans le socle commun de connaissances et de compétences à maîtriser par tout élève à l’issue de la scolarité obligatoire. Actuellement, cet enseignement reste avant tout centré sur l’apprentissage matériel de l’outil Internet, sans véritable identification des contraintes juridiques et sociales dans lesquelles s’inscrivent ses différentes utilisations. Il est pourtant indispensable de dissocier la maîtrise technique des outils numériques de leur usage éthique et responsable. Il s’agit aujourd’hui de définir ce qu’il est convenu d’appeler sur le réseau la « néthiquette ».

Faciliter l’accès à l’outil informatique, c’est non seulement permettre l’éveil aux nouveaux médias dès le plus jeune âge, mais aussi et avant tout, me semble-t-il, faire en sorte de développer l’esprit critique des générations futures à leur égard.

Cette précaution est incontournable pour que nos enfants ne soient pas à l’avenir aliénés à ces nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Il faut aider les plus jeunes à décoder les messages reçus, notamment les messages publicitaires, à analyser des images fixes ou animées. Il faut aussi les alerter contre les dangers potentiels des sites en ligne de rencontre et d’échange ou de certains blogs.

Pour cela, il est urgent de mettre en place une véritable et concrète éducation aux médias.

L’État, au travers de l’école, mais aussi la société tout entière doivent prendre leurs responsabilités face à la révolution numérique. Si nous sommes conscients des immenses progrès réalisés grâce au formidable outil qu’est Internet, nous savons aussi que, sans une éducation appropriée destinée à les protéger, les jeunes seront les premières victimes d’un fléau dramatique.

La semaine dernière, notre assemblée a voté à l’unanimité une disposition à ce sujet. L’article 1er de la proposition de loi coécrite par ma collègue du groupe du RDSE, Anne-Marie Escoffier, visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, confie désormais à l’éducation nationale une mission de prévention et de sensibilisation des jeunes quant à l’utilisation des services de communication au public en ligne et aux conséquences qu’elle peut avoir sur leur vie privée.

Aux termes de cet article, est donc insérée, dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique, une formation destinée à développer le sens critique des jeunes internautes à l’égard de l’information disponible et des comportements de chacun en ligne.

C’est un premier pas dans la bonne direction. Je m’en réjouis, car il était fondamental d’intervenir rapidement pour protéger la vie privée face au développement massif d’espaces dits « sociaux » sur Internet, tels que Facebook ou les blogs personnels.

Mais il ne faut pas s’arrêter là. Il est essentiel de poursuivre l’effort engagé en s’assurant, notamment, que les moyens nécessaires à la bonne mise en œuvre de ces dispositions seront déployés dans une période où les moyens alloués à l’éducation nationale sont malheureusement déjà en constante diminution. Je suis, bien sûr, favorable à une ouverture en direction des documentalistes, aptes à prendre le relais en la matière.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ne sacrifions pas une génération sur l’autel du progrès technologique à tout prix ! Ne soyons pas pour autant liberticides !

Dans son rapport d’information fait au nom de la commission de la culture, David Assouline propose la création d’un organisme chargé de la protection de l’enfance sur les médias. Il se substituerait à l’ensemble des commissions existantes et verrait sa composition élargie à la société civile. Par ailleurs, il souhaite, comme nous, un renforcement de la coopération européenne et internationale, s’agissant notamment de la constitution de listes blanches et noires.

Je ne citerai pas toutes les propositions de la mission, avec lesquelles nous ne pouvons qu’être d’accord. À l’évidence, notre société doit se donner les outils pour rétablir l’équilibre entre répression et éducation, pour responsabiliser chacun d’entre nous, les jeunes aussi bien que les adultes qui les entourent, dans l’usage qu’ils font d’Internet.

C’est cet équilibre qu’appellent de leurs vœux les sénateurs radicaux de gauche et tous les membres du groupe RDSE. Nous attendons, madame la secrétaire d’État, des propositions concrètes du Gouvernement.

Mes chers collègues, n’oublions jamais la célèbre formule de Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » (Applaudissements sur le banc de la commission.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.

Mme Marie-Agnès Labarre. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure du développement des technologies numériques et alors que l’usage des ordinateurs, des téléphones portables et d’Internet est généralisé tant chez les adultes que chez les enfants, il est important de s’interroger sur la nécessité de protéger les jeunes des risques qu’ils encourent face à ces nouveaux médias susceptibles de véhiculer des contenus dangereux et de susciter des comportements qui le sont tout autant.

Il est nécessaire de réfléchir aux moyens de réguler et de réglementer, dans ce domaine comme dans les autres, pour protéger les utilisateurs.

Les nouveaux médias sont une chance dans la mesure où ils permettent une meilleure circulation des informations, un accès facilité à la connaissance et créent de nouvelles opportunités de s’exprimer. Néanmoins, ces dernières sont également porteuses de dangers réels, que nous ne devons pas exagérer, mais dont nous avons le devoir de tenir compte. Si les risques concernent l’ensemble des utilisateurs de ces nouveaux médias, les jeunes, notamment les enfants, y sont beaucoup plus exposés.

La Convention internationale des droits de l’enfant consacre le droit à l’information, le droit au loisir et au jeu. En ce sens, les nouveaux médias facilitent l’exercice de ces droits. Mais la Convention consacre également le droit à une protection particulière des enfants ; or, nous devons le reconnaître, il est bien difficile de définir les conditions de son exercice.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les dangers sont pourtant bien réels.

La thématique et les enjeux semblent désormais être compris par tous. Il ne s’agit en aucun cas de diaboliser les nouveaux médias, qui représentent a priori un progrès formidable pour la communication, la diffusion de l’information, de la connaissance et de la culture, mais il faut néanmoins « se méfier raisonnablement » d’Internet.

Il ne s’agit pas non plus de porter un jugement moral sur ce qui fait, de toute manière, partie de notre réalité, qu’on la condamne ou non. Cependant, il nous revient de réfléchir à une manière pertinente d’encadrer ce phénomène encore relativement nouveau.

Je le répète, les risques existent. S’ils ne concernent pas exclusivement les jeunes, ils les affectent de manière plus importante : c’est ainsi que les risques de dépendance, notamment, sont à prendre en compte au premier chef. Les jeux vidéo et Internet engendrent des formes d’addiction, qui placent souvent l’adolescent en situation d’isolement psychique et physique.

Lorsqu’il devient compulsif, l’usage de l’ordinateur affecte le comportement de l’enfant dans son ensemble, bouleversant son humeur et ses relations sociales. Et il peut apparaître chez l’adolescent instable des attitudes dangereuses pour lui-même ou pour autrui. Il y a là matière à agir de façon préventive.

L’exposition des enfants à des contenus choquants, violents ou pornographiques est également courante. Elle est facilitée par les nouveaux médias, qui sont, en cela, porteurs de dangers. Les protections mises en place se révèlent faibles et faciles à contourner.

La diffusion et la récupération de données personnelles sur Internet affectent la sphère de l’intimité, avec un risque de manipulation des jeunes, qui ne se rendent pas nécessairement compte de l’impact qu’elles peuvent avoir. Celles-ci sont d’ailleurs souvent utilisées à des fins publicitaires : c’est d’autant plus inadmissible qu’il s’agit d’enfants, par nature influençables.

Le public, notamment le plus jeune, est exposé à des contenus que l’on assimile à de l’information journalistique, c’est-à-dire fondée, vérifiée, y compris lorsque ce n’est pas le cas. Contre les risques de désinformation, nous devons en appeler à l’éveil de l’esprit critique.

Malheureusement, les récents débats n’ont pas eu véritablement de suite.

La prise de conscience est, certes, opérée. En atteste la tenue d’un atelier organisé par Mme la secrétaire d’État à l’économie numérique en novembre dernier sur le droit à l’oubli numérique, ainsi que la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, examinée la semaine dernière par notre assemblée.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne peux que me réjouir de ce débat qui nous réunit aujourd'hui, mais comprenez que je vous exprime mes doutes quant aux effets concrets qu’il produira effectivement.

En effet, si la thématique et la nécessité de protection semblent acceptées assez largement depuis quelques années – à l’exception des entreprises qui y voient un obstacle potentiel à leurs intérêts financiers –, force est de constater que les réponses apportées sont assez peu probantes : soit les moyens techniques appropriés font défaut, soit les acteurs concernés manquent du courage nécessaire pour porter ces propositions jusqu’au bout.

La solution actuellement retenue, l’élaboration de chartes professionnelles de bonne conduite, n’est pas satisfaisante. Une charte se réduit à une déclaration de bonnes intentions : c’est un peu court !

Sur la récente proposition de loi de nos collègues de l’Union centriste et du RDSE, je dirai ceci : elle est louable dans son principe, mais nous ne pouvons que déplorer le caractère peu contraignant des mesures qu’elle édicte, d’autant que l’adoption de certains amendements l’a peu à peu vidée d’une partie de sa substance.

Faut-il légiférer ? Et si oui, comment ? Cette proposition de loi, adoptée par le Sénat, renvoie la protection des plus jeunes à une sensibilisation de ces derniers aux dangers d’Internet dans le cadre des cours d’éducation civique.

Les jeunes doivent effectivement être informés et sensibilisés à ces problématiques dans la mesure où ils n’ont pas toujours conscience de l’utilisation susceptible d’être faite des données personnelles, notamment des photos, qu’ils publient sur les sites de réseaux sociaux ou les blogs.

Cela n’est cependant pas suffisant. Le jeune utilisateur ne maîtrise pas toujours la technologie qu’il manipule et n’identifie pas systématiquement les dangers auxquels il s’expose. La responsabilité de sa protection ne lui incombe pas seulement, ni à ses parents d’ailleurs : elle relève aussi de l’hébergeur de contenus, dont le champ d’action mérite d’être encadré et qui doit se voir imposer une réglementation respectueuse de ses usagers.

Introduire cette sensibilisation dans les cours d’éducation civique, comme le suggèrent les auteurs de la proposition de loi, est une bonne idée. Cela étant, pour que l’impact d’une disposition centrée sur la sensibilisation soit optimal, il faut que les professeurs d’histoire et de géographie chargés des cours d’éducation civique bénéficient à la fois d’une formation sur ces enjeux et du temps effectif pour dispenser ces heures sans sacrifier le programme scolaire qu’ils doivent terminer.

Les solutions existantes sont, par ailleurs, insuffisantes.

Certes, l’article 227-24 du code pénal précise : « Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. » Toutefois, dans les faits, on constate une absence de contrôle effectif de l’application de ce principe sur Internet.

Le système d’avertissement est, en outre, bien trop faible : sur certains sites de vente d’alcool ou au contenu pornographique, un simple message demandant à l’utilisateur de confirmer qu’il est majeur permet d’y accéder.

De manière générale, le système d’avertissement et de signalement, qui est au demeurant appliqué à la télévision, semble assez peu efficace sur Internet dans la mesure où l’usage d’un ordinateur est individuel et discrétionnaire.

Les logiciels de contrôle parental ont une efficacité limitée : dans la mesure où ils ne bloquent l’accès qu’à certains mots, il est facile de les contourner et, partant, impossible de tout contrôler, notamment sur les sites étrangers. Leur mise en œuvre requiert, du reste, une certaine maîtrise technique, que tous ne possèdent pas. On ne peut que souhaiter, dans ce domaine, comme dans d’autres, une véritable sensibilisation des parents, une réelle éducation à l’art d’être parent.

Par ailleurs, l’absence d’obligation pour les hébergeurs de surveiller les contenus des sites qu’ils accueillent, hormis en ce qui concerne l’apologie de crimes et la pédophilie, pose problème, même si la réglementation nationale se heurte à des frontières qu’Internet ne connaît pas.

Il faut donc renforcer la réglementation, mais sans porter atteinte à la liberté.

Nous ne devons pas prendre le prétexte des difficultés rencontrées dans la construction d’une norme protégeant les utilisateurs, spécifiquement les jeunes, pour céder à la tentation de tout interdire a priori dans le but de mieux prévenir. Ce serait une forme de censure intolérable. « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté », écrivait Rousseau. Il est simplement temps pour nous de choisir les règles auxquelles nous voulons soumettre l’usage d’Internet, dont l’encadrement est actuellement insuffisant et qui bafoue de nombreux droits, notamment le respect de la vie privée et la garantie des droits d’auteurs.

Dans ce secteur des nouveaux médias, encore relativement récent et en perpétuelle évolution, nous peinons parfois à réguler ce qui nous est présenté comme une affaire de spécialistes, que seuls les professionnels seraient à même de comprendre, s’arrogeant de ce fait le monopole de la pensée en avançant des critères techniques que nous ne pourrions saisir.

Nous devons dépasser cet état de fait et nous attribuer le droit de penser les conséquences de l’usage de ces nouveaux médias d’un point de vue moral et de mesurer leur impact sur la vie publique ; nous devons refuser cette détention du savoir au nom d’un « progrès » dont nous serions les esclaves.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour conclure, je proposerai quelques pistes de réflexion.

Pourquoi ne pas créer une autorité spécifique relative à la protection des jeunes, dotée des moyens de contrôle et d’application figurant dans les dispositions pénales, déjà existantes, relatives à la protection de l’enfance et de la jeunesse ?

Pourquoi ne pas définir précisément la nature des contenus à interdire en raison de leur caractère choquant ou violent selon des critères précis, afin d’éviter le risque de censure, d’une part, et de faciliter le recours à la sanction, d’autre part ?

Je souhaite également que nous réfléchissions à un renforcement des obligations des hébergeurs concernant les contenus qu’ils éditent. Une législation franco-française sur l’usage d’Internet n’étant pas à même, par nature, d’assurer la protection nécessaire de nos enfants, nous pourrions œuvrer à l’universalisation de certaines dispositions protectrices de l’usager.

Enfin, parce qu’il n’y a pas de liberté sans responsabilité, donc sans éducation, et parce que cette dernière constitue le moyen le plus efficace, ayant potentiellement l’impact le plus fort dans l’immédiat et apparaissant comme le plus facile à mettre en œuvre, nous devons donner une véritable place à la sensibilisation des parents à l’usage de l’ordinateur en général et d’Internet en particulier, et informer également les enfants sur ces sujets dès l’école primaire. (Mme Françoise Laborde applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et son président d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour.

Cette initiative nous permet de prolonger le travail de fond que nous effectuons en commission et de revenir sur le rapport d’information de notre collègue David Assouline un an et demi après sa publication.

La question de la protection des jeunes face aux nouveaux médias est fondamentale à l’heure où ces derniers bouleversent tous nos repères et toutes nos habitudes. Elle a d’ailleurs été déjà évoquée la semaine passée, ici même, lors du vote de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique.

Aujourd’hui, bien sûr, le sujet est plus large et nous invite à réfléchir à l’ensemble des moyens, qu’ils soient ou non d’ordre législatif, afin de mieux protéger nos jeunes face à certains dangers liés aux nouveaux médias.

À la fin de l’année 2008, a eu lieu, aux États-Unis, le procès de Lori Drew, une Américaine de quarante-neuf ans qui s’était fait passer pour un jeune garçon sur MySpace, avec l’aide de sa fille Ashley. Cet adolescent fictif avait flirté en ligne avec une « amie » de sa fille, avant de la rejeter après plusieurs semaines par l’envoi d’un e-mail lapidaire : « Le monde serait meilleur si tu n’existais pas. ». L’après-midi même, la jeune adolescente était retrouvée pendue dans sa chambre. Lori Drew a été condamnée pour des délits de fraude informatique et harcèlement relatifs à la violation des conditions d’utilisation du site MySpace.

Ce fait, particulièrement tragique, met en exergue les dérives possibles des nouveaux médias.

Mes chers collègues, avant de vous livrer quelques pistes de réflexions en matière de protection, je pense utile de rappeler comment vit celle que l’on appelle la « génération digitale », en d’autres termes ces jeunes qui ont grandi dans le monde numérique.

Leur quotidien s’organise autour des sites de réseaux sociaux, des jeux en ligne, des sites de partage de vidéos, des MP3 et des téléphones mobiles. Ils écoutent rarement la radio, préfèrent programmer leur liste de musique sur leur iPod, regardent peu la télévision, qu’ils considèrent désormais comme dépassée, et retiennent plutôt le Web pour suivre leurs séries préférées. Ils téléchargent des films, « chattent » avec leurs amis via MSN, Facebook, et maintenant Twitter.

C’est au travers de ces nouveaux modes de communication, de ces nouvelles formes de culture, d’amitié, de jeu et d’auto-expression qu’ils arrivent à l’âge de la conquête de leur autonomie et qu’ils construisent leur identité. L’enjeu est donc de taille.

Différentes études menées sur le sujet permettent de dégager les grandes tendances des relations que les jeunes Français entretiennent avec les nouveaux médias.

La pratique s’est massivement généralisée et les usages se sont ancrés autour de deux pôles : la fréquentation de sites, principalement pour les travaux scolaires, et la communication à distance, près de 60 % des jeunes estimant important d’être connectés en permanence avec leurs amis.

Les jeunes ont intégré ces médias dans leur vie quotidienne, de façon régulière mais modérée, comme des services disponibles en fonction des priorités du moment. Ils n’ont en revanche pas d’idée précise sur leur impact sociétal.

En termes d’accès, près de sept jeunes sur dix utilisent Internet à la maison et 65 % déclarent ne jamais y avoir accédé depuis l’école.

Malgré leurs pratiques intenses et leur intérêt pour ces médias, ils se révèlent moins compétents qu’ils ne le pensent et ne le prétendent.

Enfin, dernier chiffre marquant, 85 % des jeunes souhaitent un contrôle accru sur le Net ; ils étaient 67 % à se prononcer en ce sens en 2000.

Les trois dernières données que je viens de citer indiquent les points sur lesquels il nous faut travailler.

Il n’est évidemment pas question de nier les apports des nouveaux médias que constituent la libération de la parole, la socialisation accrue, les sources diversifiées d’information, l’autonomie, le développement de certaines facultés artistiques ou scientifiques, mais il s’agit d’être attentif aux dangers que ceux-ci représentent.

Les premières conséquences peuvent porter sur la santé – manque de sommeil, exposition prolongée aux ondes, addiction – et favoriser à la fois la banalisation d’images violentes ou pornographiques et la déconnexion entre vie réelle et vie virtuelle.

J’ai eu l’occasion récemment de discuter de ce sujet avec le professeur responsable du centre de lutte contre les addictions au CHU de Rouen. Il me disait recevoir de plus en plus de jeunes frappés de dépendance sévère, phénomène pouvant mener jusqu’au suicide.

Mme Nadine Morano, secrétaire d’État. C’est vrai !

Mme Catherine Morin-Desailly. Les nouveaux médias ont aussi un impact sur le rapport aux valeurs par le biais de la consommation de biens gratuits, légale ou non, par l’exposition permanente à la publicité ou encore par le rétrécissement de la sphère privée.

À titre d’exemple, aux États-Unis, un adolescent sur cinq et un jeune adulte sur trois ont déjà envoyé des photos ou des vidéos d’eux-mêmes nus ou à moitié nus par Internet ou par téléphone, et la plupart d’entre eux l’ont fait en toute conscience.

Pour résumer, comme le souligne M. Rossi : « [Les adolescents] ne semblent plus percevoir la valeur des biens. Leur consommation des médias est très fragmentée. ». Aussi, dans un environnement technologique qui, on le voit, brouille les pistes, il faut renforcer plus que jamais la protection et la prévention, et instaurer une vraie régulation.

Il existe aujourd’hui une délégation aux usages de l’Internet, la DUI, créée en 2003 et rattachée au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. On peut saluer les différentes actions mises en place par cette institution, telles que la charte NetPublic et le projet Confiance. Grâce à ce dernier, élaboré en collaboration avec la Commission européenne dans le cadre du plan d’action pour un Internet plus sûr, un site Internet a été développé, une campagne de sensibilisation a été menée et le 9 février est devenu la « journée pour un Internet plus sûr ».

Les initiatives en termes de prévention, d’information et de sensibilisation sont nombreuses. J’évoquerai, notamment, le Forum des droits sur l’internet, réel trait d’union entre le public et le privé en matière de régulation, mais aussi le remarquable travail de veille législative, d’information et de communication qu’effectue la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Il est bien sûr impératif que toutes ces initiatives soient encouragées et poursuivies avec l’ensemble des acteurs concernés. Comme l’a souligné le président de la commission, c’est un sujet si transversal qu’il doit être conduit par tous les ministères impliqués.

Cela étant dit, la protection pourrait se renforcer grâce à de nombreux dispositifs techniques. Un rapport de l’université d’Harvard a examiné une quarantaine de technologies susceptibles de contribuer à la protection des mineurs sur Internet, qui vont du filtrage et de la surveillance à la biométrie et à l’identification individuelle. Selon les experts, ces technologies commencent à prouver leur efficacité, mais elles posent également des problèmes comme le respect de la vie privée. Reste donc à savoir où placer le curseur.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur une autre question, que j’avais déjà évoquée en tant que corapporteur sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision : celle de la régulation.

À cet égard, j’insisterai sur le rôle que devrait pouvoir exercer le CSA. Cette instance de régulation, dont, je le rappelle au passage, Michel Thiollière et moi-même avions souhaité renforcer les pouvoirs de contrôle lors de la discussion dudit projet de loi, ne dispose pas, à l’heure actuelle, d’outils de régulation sur Internet. Nous avions envisagé, à l’époque, la création d’un « CSA de l’internet ».

Dans la droite ligne de ce qu’a proposé la défenseure des enfants, Dominique Versini, il faut, me semble-t-il, adapter les règles audiovisuelles de protection de l’enfance aux nouveaux écrans : Internet, télévision mobile personnelle, télévision de rattrapage. Il paraît totalement absurde que les programmes diffusés sur ces supports ne disposent pas d’une vigilance et, donc, d’une signalétique identiques à celles qui leur sont appliquées à la télévision. Quoi qu’il en soit, il est grand temps aujourd’hui qu’une mission spécifique soit confiée au CSA de manière à réguler les contenus diffusés sur les nouveaux médias.

Par ailleurs, je suis en tout point d’accord avec l’ensemble des propositions formulées par M. David Assouline dans son rapport, fait au nom de la commission, sur l’impact des nouveaux médias sur la jeunesse.

Fondamentalement, la protection des jeunes dans ce domaine est à refonder sur l’impératif éducatif. Plutôt que de leur inculquer des compétences techniques, il conviendrait de développer leur esprit critique et de les responsabiliser dans leur utilisation d’Internet, que ce soit pour rechercher des informations ou pour échanger du contenu et dialoguer avec leur cercle d’amis. Cet objectif fait d’ailleurs partie intégrante du socle commun de connaissances et de compétences que chaque élève doit maîtriser à l’issue de la scolarité obligatoire.

C’est dans cet état d’esprit que j’avais souhaité, par le biais d’un amendement défendu lors de l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, que soient intégrés dans la formation délivrée pour le Brevet informatique et Internet des éléments d’information sur les dangers du téléchargement illicite et du piratage des œuvres sur Internet.

Mes chers collègues, je le rappelle à mon tour, la semaine dernière, lors de l’examen de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, présentée par nos collègues M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier, nous avons retenu que les collégiens disposeraient désormais, dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique, d’informations sur les dangers de l’exposition de soi et d’autrui sur Internet, ainsi que sur les droits d’accès, d’opposition, de rectification et de suppression des données personnelles.

Je vous rappelle également qu’il a été décidé à l’issue de ce débat que les futurs enseignants se verraient désormais dotés d’une formation spécifique dans le cadre de leur masterisation.

Si l’école doit être un lieu de formation aux nouveaux médias et d’information sur le sujet, les parents ont également un rôle à jouer, notamment en expliquant qu’une information de qualité a un coût, que l’on ne peut pas tout mettre sur le même plan, que Wikipédia n’est pas forcément la référence absolue et qu’il faut faire preuve d’esprit critique dans l’utilisation des informations recueillies.

En effet, ce n’est pas tant l’outil qui est dangereux que le fait de laisser un enfant l’utiliser seul. De la même manière que l’on éduque les jeunes à se comporter en société, il faut les accompagner dans l’utilisation des outils numériques.

Il convient, en particulier, de les aider à comprendre que ce qu’ils font sur Internet a des conséquences et que c’est à eux d’en être maîtres. Si l’information qu’ils « postent » aujourd’hui sur le Web leur semble insignifiante ou amusante, il n’en sera peut-être pas de même demain. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si se développe aujourd’hui tout un commerce autour de l’effacement des informations personnelles sur Internet ; on parle à ce sujet des « nettoyeurs du Net ».

Par ailleurs, comme je l’ai déjà évoqué dans cet hémicycle, les pouvoirs publics doivent faire preuve d’une grande vigilance par rapport à la qualité et à la diversité des contenus disponibles sur le Net. L’objectif de la loi HADOPI, dont l’efficacité n’est pas encore démontrée aujourd’hui, a été de faire prendre conscience que la gratuité est à double tranchant : si celle-ci est séduisante, elle pose le problème du financement des contenus, mais aussi des médias. À force de ne pas payer pour regarder un film que l’on télécharge illégalement ou pour lire son journal, ne risque-t-on pas de se retrouver avec des programmes médiocres, une production médiatique et un pluralisme affaiblis ? En définitive, les jeunes seraient les principales victimes de cette situation : il leur revient de prendre conscience de la manière dont se finance l’ensemble du système.

En outre, il importe de continuer à développer de nouveaux modèles économiques d’offre légale. C’est un champ que les pouvoirs publics ne sauraient laisser à la quasi-discrétion des industries culturelles et dans lequel ils doivent également être force de proposition pour une offre qualitative et accessible.

À cet égard, la télévision publique a une vraie responsabilité dans le cadre de la mise en œuvre du média global.

Mes chers collègues, je reste convaincue que seule une combinaison de moyens technologiques et humains au travers de l’accompagnement parental, éducatif, social, législatif et politique pourra réellement protéger nos jeunes. Vous constatez, tout comme moi, à quel point ce débat est important aujourd’hui et combien les possibilités d’évolution sont nombreuses.

Un tel débat n’est d’ailleurs pas particulier à l’Hexagone. À la suite de la fusillade qui a eu lieu l’année dernière au lycée de Winnenden, les parlementaires allemands se sont également penchés sur la question de la protection des jeunes.

Cet exemple m’amène à affirmer que c’est aussi, et surtout, aux niveaux européen et international que doivent s’envisager les mesures à prendre, car Internet, vous le savez, n’a pas de frontières.

Nous devons donc, d’ores et déjà, investir ce secteur. En effet, comme le souligne le psychologue Yann Leroux, « les enfants ne s’éduquent pas seuls. Dans les mondes numériques comme ailleurs, ils ont besoin du soutien et de l’appui des adultes ». (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République sera clos à quinze heures trente-cinq. Je vous invite, si vous ne l’avez déjà fait, à participer à ce scrutin.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Bruno Gilles.

M. Bruno Gilles. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les nouveaux médias constituent un monde dense et en pleine évolution. Ils englobent l’internet, la télévision avec l’afflux de nouvelles chaînes, et leur mode de diffusion, en direct et en différé. Ils comprennent encore la téléphonie mobile et les applications multiples qu’elle offre et, bien évidemment, tous les enregistrements de films, séries télévisées et jeux accessibles par téléchargement ou sous forme de DVD.

L’objet de notre débat nous dispense de répertorier les avantages offerts par ces nouvelles technologies. En revanche, il nous revient d’en évaluer les dangers pour les jeunes afin de mieux en imaginer la parade.

Nos jeunes sont incontestablement « branchés ». Selon une enquête du CREDOC de décembre 2009, 94 % des adolescents disposent d’un ordinateur à domicile. Seuls 9 % des jeunes âgés de 12 à 17 ans ne possèdent pas de mobile, et près de neuf adolescents sur dix sont connectés à Internet chez eux. Enfin, plus on est jeune et plus on dispose de moyens d’accéder à la télévision. Tel est le cas de 61 % des jeunes âgés de 12 à 17 ans.

Il est tout aussi indéniable que leur jeune âge prive nos enfants du sens critique qui leur permettrait d’éviter les pièges. Le bombardement d’images et d’informations, les pressions psychologiques, sociales et commerciales exercées sur eux via ces technologies nouvelles les mettent dans une situation de fragilité, encore inconnue il y a peu.

De ce fait, il semble aujourd’hui qu’à l’inverse de ce que nous observons dans d’autres domaines leur maîtrise quasiment innée de ces nouveaux outils constitue plus une faiblesse qu’une force. En effet, plus leur habileté est grande, plus ils risquent de côtoyer des dangers ou d’être confrontés à des contenus préjudiciables pour eux et bien souvent, par ricochet, pour leur entourage.

Le risque d’addiction des jeunes aux nouveaux médias est préoccupant. Ils passent sur Internet 1 500 heures par an, indique le rapport d’information de 2008 de notre collègue David Assouline. Et l’on observe, au moment de l’adolescence, le même usage excessif de la télévision et des jeux vidéo, auxquels « 51 % des garçons de 15-17 ans déclarent jouer régulièrement en cachette la nuit », selon un sondage IPSOS de mars 2009.

Le comportement à risque des jeunes rend dangereuse leur participation aux réseaux sociaux sur Internet.

Un adolescent sur deux de plus de 13 ans fait partie d’un réseau social, selon une enquête de TNS Sofres de mars-avril 2009. Ces réseaux leur permettent de partager des informations ou des passions communes...

En février 2010, l’étude commandée par Trend Micro, leader mondial en matière de sécurité de contenu internet, à l’institut Opinion Matters montre que les principales informations partagées par les jeunes sur le Web sont : leurs adresses courriel pour 68 % d’entre eux, leurs photos pour 44 %, leur adresse postale pour 24 %.

Plus les jeunes grandissent, plus la situation s’aggrave. Si 99,2 % des enfants se connectent depuis leur domicile, les adolescents, quant à eux, privilégient de plus en plus leur téléphone mobile et le PC de leurs amis, à l’abri des regards des adultes... Il s’ensuit le risque d’une exposition de plus en plus dangereuse de la vie privée.

Ces dangers ne sont pas virtuels. L’association e-Enfance a publié une étude réalisée en avril-mai 2009 auprès d’un échantillon de 2 670 enfants âgés de 13 à 18 ans sur Facebook. Il en ressort que 53 % d’entre eux déclarent avoir été exposés à des images choquantes, qu’il s’agisse de violence ou de pornographie. Près d’un sur deux a reçu une proposition de rendez-vous d’un inconnu ; 20 % déclarent avoir accepté ce rendez-vous. Enfin, 29 % ont reçu des propositions sexuelles ; chez les filles de 13-14 ans, cette proportion est de 43 %. Au total, près de 90 % des jeunes de 13 à 18 ans ont été confrontés au moins une fois à des situations à risque.

Les jeunes n’ont bien souvent pas conscience qu’ils peuvent être observés par le monde entier sur Internet. Les risques liés à la pédophilie sont donc bien réels. Autres dangers d’Internet : les jeunes peuvent devenir la proie de publicités déguisées sous forme de divertissement et se laisser tenter par des achats en ligne non sécurisés.

Les jeunes sont aussi exposés de plus en plus souvent à des scènes de violence. Ils ont facilement accès à des jeux vidéo au contenu d’une violence « sans pitié et explicitement décrite », indique le site du réseau Éducation-Médias.

À la télévision, on assiste à une progression inquiétante, dès le début de la journée, sur les grandes chaînes et sur les nouvelles chaînes de la télévision numérique terrestre, d’émissions déconseillées aux enfants, « c’est-à-dire des séries télévisées, des émissions de télé-réalité et des documentaires pouvant perturber les mineurs par leur thématique ou par la violence de leurs images. [...] Et l’on constate malheureusement que les enfants regardent ces programmes ». Tel est le constat accablant dressé, en octobre 2009, par Michel Boyon, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA.

Aujourd’hui, tous les contenus visibles à la télévision le sont également, d’une manière ou d’une autre, sur Internet. Surtout, de nombreuses images très violentes, qui ne sont pas montrées sur le petit écran, y sont visibles : exécutions, automutilations en direct, films interdits à la télévision. De nombreuses études indiquent clairement, depuis plusieurs années, qu’il existe une corrélation entre la violence des jeunes et leur exposition répétée à la violence.

Les images pédopornographiques et pornographiques sont dévastatrices pour la construction de la personnalité des jeunes. Or le risque de voir sur Internet des images pédopornographiques ou pornographiques sans l’avoir souhaité est réel pour un enfant sur trois. À la télévision, en raison du nombre de chaînes et de l’absence de cryptage, l’accès des jeunes à des films ou spots à caractère pornographique, qui sont une forme de violence particulièrement ravageuse chez les jeunes, est également possible.

Il en est de même avec les cassettes ou DVD de films X. À l’heure actuelle, il semble qu’il n’existe pas de réelles contraintes permettant d’empêcher un vendeur ou un loueur de vidéos de procurer à un mineur de moins de 12 ans un film interdit en salles aux jeunes âgés de moins de 12 ou 16 ans, voire aux moins de 18 ans.

Quelles parades mettre en place pour protéger nos jeunes ?

Bien sûr, en premier lieu, la vigilance des parents et des éducateurs doit s’accroître. Mais ce contrôle devient bien difficile. Si plus de 95 % des enfants font état de consignes parentales destinées à encadrer leur utilisation d’Internet, plus d’un enfant sur deux a le sentiment de pouvoir y faire ce qu’il veut sans que ses parents le sachent. D’ailleurs, 65 % des enfants avouent ne pas respecter au moins l’une des règles édictées par leurs parents, comme le rapporte le sondage IPSOS de mars 2009.

Si une seule règle devait être absolument inculquée aux enfants par les parents et les éducateurs concernant ce média, ce serait celle de l’anonymat.

II faut que les adultes aient les moyens de contrôler ce que regardent les jeunes. Des systèmes de « contrôle parental » existent mais leur contournement est fréquent, car ces mêmes jeunes font preuve en la matière d’une ingéniosité redoutable. Ces systèmes doivent donc être perfectionnés et s’appliquer également à la téléphonie mobile et à la télévision.

Il est de la responsabilité de l’État de sauvegarder l’ordre public et donc d’édicter des règles de protection des mineurs dans le domaine des médias. L’État doit également garantir la qualité culturelle des contenus. Mais les défis qui se présentent à nous aujourd’hui avec le développement du numérique, de l’internet et de l’interactivité compliquent sérieusement la tâche des pouvoirs publics.

Le pire fléau que l’on observe est la diffusion d’images pédophiles, qui sont en progression constante sur Internet. Actuellement, les systèmes de filtrage sont encore insatisfaisants : ils ne recensent pas tous les sites « à risque », ou bien empêchent la consultation de sites ne présentant pas de danger.

Il conviendrait que notre pays, à l’instar d’un certain nombre de ses voisins européens, exige la suppression des sites pédophiles et donc implique en amont les hébergeurs sous peine de sanctions et impose a fortiori les mêmes obligations aux fournisseurs d’accès à internet, les FAI. Dès que l’on demande quelque chose à un FAI, son premier réflexe est de répondre que ce n’est techniquement pas possible, alors même que ça l’est. Pour mettre toutes les chances de notre côté, il faut renforcer parallèlement la coopération internationale en ce domaine, puisque nombre de ces sites sont hébergés à l’étranger.

En ce qui concerne la télévision, il conviendrait que les cahiers des charges des chaînes, publiques et privées, soient plus stricts sur les contenus diffusés. Mme Dominique Versini, défenseure des enfants, dénonce à juste titre le fait que de nombreuses émissions soient sous-classifiées et que les chaînes soient peu réceptives aux observations.

On n’empêchera personne de diffuser et de consulter une multitude d’images par l’intermédiaire des téléphones ou des ordinateurs... C’est justement pour cela qu’il faut renforcer les chaînes de référence, en exigeant d’elles de présenter une vision du monde moins violente et moins sordide. Nous avons besoin de chaînes qui suscitent la réflexion et favorisent l’émulation de l’intelligence par une diffusion culturelle de qualité. De plus, la promotion d’une programmation télévisuelle destinée au jeune public constitue l’un des moyens les plus adaptés de lutte contre les dangers que les nouveaux médias font peser sur nos enfants.

Des dispositions sont prises et des dispositifs utiles, heureusement, sont prévus. Mais pour qu’ils deviennent réellement efficaces, il faudrait qu’un organisme unique compétent pour tous les nouveaux médias, doté d’un vrai pouvoir et de moyens suffisants, puisse contrôler le respect des règles définies et impulser la création de nouveaux systèmes protégeant les mineurs des contenus les plus choquants et de ceux qui leur sont préjudiciables. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ils sont la génération MSN, Facebook, peer to peer et autres plates-formes d’échanges... Le réseau internet est bel et bien la nouvelle cour de récréation de nos enfants et de nos adolescents.

Cette immense ouverture sur le monde et la sphère publique n’est pas sans risques. Sans nier les bienfaits des nouveaux médias, il nous faut néanmoins constater que les enfants sont tout aussi vulnérables en étant seuls devant un écran d’ordinateur ou un mobile que seuls dans la rue.

En ligne de mire : l’exposition involontaire à des images choquantes, les pressions psychologiques, les blogs à caractère diffamatoire, la divulgation des informations personnelles, les fausses identités virtuelles, les rendez-vous suspects, les cyberprédateurs, la consommation excessive...

Il est de bon ton de renvoyer les parents à leurs responsabilités... Pour autant, les parents ont rarement conscience de ces dangers. L’an dernier, le Norton Online Living Report révélait que 53 % des parents pensent que leurs enfants ne courent aucun danger en surfant sur le Net. Par ailleurs, 51 % des adolescents se connectent à Internet sans aucun contrôle parental !

La répression et l’interdiction trouvent rapidement leurs limites. Par définition, la supervision du monde en ligne est difficile. Non seulement le contenu du Web est accessible à tous ceux qui disposent d’un moteur de recherche, mais il est facile pour les enfants d’échapper à leurs parents en se connectant à l’extérieur du foyer familial.

Quant à définir ce que l’on peut mettre en ligne en toute sécurité, il semble que, là aussi, le plus grand flou prévale... La majorité des enfants de moins de 15 ans s’adressent à leurs parents ou à leurs amis. Mais pour plus d’un parent sur trois, Internet est justement l’une des principales sources de conseils, avec leurs amis et le bouche à oreille. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, 15 % des parents d’enfants de 15 ans demandent conseil à leurs propres enfants... Et 21 % des parents avouent même ne pas savoir où s’informer.

Certes, de nombreuses structures publiques, indépendantes, associatives, œuvrent en faveur de la protection et de l’éducation des jeunes face aux nouveaux médias. On peut toutefois regretter que, malgré la qualité de leurs interventions, leur action soit souvent disparate, parfois redondante. Il est d’ailleurs malaisé d’effectuer un bilan exhaustif des différentes initiatives.

Au sein du ministère de l’éducation, notamment, coexistent plusieurs entités œuvrant dans le sens de la formation et de la sensibilisation des jeunes aux dangers de l’internet ; leurs missions recoupent celles d’organismes « satellites » à vocation éducative qui se sont saisis des questions ayant trait à Internet.

Il est donc plus qu’urgent de mettre en œuvre une politique publique cohérente, structurée et forte en direction des jeunes, afin de leur permettre d’acquérir les bases d’une éducation numérique. La protection, c’est d’abord la responsabilisation des individus. Et l’internaute, même jeune, doit être acteur de sa propre protection.

Récemment, le Sénat a adopté une mesure en matière d’éducation aux nouveaux médias. Ainsi, l’article 1er de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, déposée sur l’initiative de nos collègues M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier, et votée, en première lecture, par le Sénat le 23 mars dernier, pourrait constituer un premier pas vers une éducation nationale des jeunes à l’égard des nouveaux médias.

Il pourrait consacrer l’engagement et l’implication de l’État à accompagner et à responsabiliser les jeunes utilisateurs d’Internet, à les former à la maîtrise de leur image publique, à l’analyse réfléchie et critique des informations circulant sur la Toile et à l’utilisation responsable des réseaux sociaux et des applications interactives.

Mais une telle action est-elle possible dans un contexte de forte diminution des moyens octroyés à l’éducation nationale ? Ainsi que notre collègue David Assouline l’a noté dans son rapport d’information, ni la circulaire Haby, ni l’intégration de l’éducation aux médias dans le socle commun de compétences, ni le cahier des charges de la formation des enseignants en IUFM n’ont jusqu’à présent suffi à pleinement intégrer dans le cursus scolaire cette éducation critique aux nouveaux médias. Aussi, comme lui, je souhaite souligner la nécessité de redéfinir le rôle du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information dans cette mission et l’importance de stabiliser ses moyens.

Par ailleurs, l’instauration du brevet informatique et Internet, le B2i, ouvert aux élèves des collèges n’a pas tenu toutes ses promesses. Cette validation d’acquis est généralement limitée au plus strict nécessaire, c’est-à-dire à la maîtrise des outils de base. Les sujets tels que les dangers de l’internet et l’utilisation d’un internet responsable ne sont éventuellement abordés que lors de la validation des autres niveaux du B2i, à la fin du cycle du collège puis au lycée et, encore, très succinctement, selon les dires des jeunes concernés.

En outre, la préparation au B2i se fait de façon extrêmement aléatoire, aucun horaire spécifique n’étant prévu dans les programmes.

Je reprendrai en cet instant deux propositions formulées par David Assouline dans son rapport d’information pour répondre à ces insuffisances : la nécessaire mise en place d’un module d’éducation aux médias de dix heures annuelles en quatrième et en seconde et l’utilisation des nouveaux médias de manière prioritaire comme support pédagogique des cours d’éducation civique.

Enfin, interrogeons-nous sur les modalités de formation des enseignants eux-mêmes, bien souvent moins familiers des usages les plus contemporains d’Internet, notamment des réseaux sociaux, que leurs élèves. De surcroît, ils ne disposent pas toujours du matériel pédagogique adéquat pour enseigner la protection des données personnelles.

Dans le cadre de la mastérisation, la validation d’un certificat informatique et Internet – C2i – comprenant un volet relatif aux problématiques du droit à la vie privée et à la protection des données personnelles serait très utile. À cette occasion, l’expertise de la CNIL pourrait être sollicitée.

En conclusion, la mise en place d’une éducation critique aux nouveaux médias dans la formation des citoyens de demain ne correspond pas à l’introduction d’une simple matière nouvelle, mais constitue bien un « impératif démocratique ». Comme l’écrivait David Assouline dans son rapport d’information, « l’école doit démontrer que les médias ne sont pas les seuls transmetteurs d’un savoir indiscutable mais que la médiation est humaine, multiple et doit pouvoir être discutée et contestée ».

La réussite de cette éducation critique ne sera entière que si elle permet également d’ouvrir le débat aux parents eux-mêmes et d’améliorer les synergies entre le monde de l’éducation et celui des internautes, ainsi que, in fine, l’information du grand public, à l’image de ce qui a été fait dans certains pays européens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans l’introduction du rapport d’information intitulé Les nouveaux médias : des jeunes libérés ou abandonnés ? qu’il a remis, au nom de commission des affaires culturelles, en 2008, David Assouline soulignait : « c’est surtout la question des relations que la jeunesse entretient avec ces médias qui inquiète ou qui réjouit : les nouveaux médias exposent-ils nos jeunes à des dangers majeurs tels que la perte de repères, la dépendance cybernétique ou la dissolution du sens critique ? Ou la révolution numérique va-t-elle rendre radieux l’avenir de nos enfants en facilitant leur apprentissage et en favorisant la démocratie à travers le droit donné à chacun de s’exprimer sur la Toile ? »

Près de deux ans après la publication de ce rapport, la question, cruciale, se pose toujours dans les mêmes termes. Qu’en est-il aujourd’hui de la relation entre les jeunes et les médias ? Cette relation fusionnelle représente-t-elle une chance ou un danger ? L’outil risque-t-il de devenir le maître ? Ne l’est-il pas déjà lorsqu’il conduit des jeunes à s’enfermer ? Pour s’en convaincre, il suffit d’observer certains jeunes dans le métro ou d’écouter certains parents relater l’enfermement de leurs enfants les conduisant parfois jusqu’à la dépression. Le professeur Batel, qui dirige le service d’addictologie de l’hôpital Beaujon, me faisait récemment observer que l’addiction aux médias était une pathologie de plus en plus fréquente.

Le Sénat a organisé de façon tout à fait opportune un débat sur la protection des jeunes face aux nouveaux médias, à l’heure de la génération numérique, où un jeune sur trois tient un blog, un sur deux se sert d’une messagerie instantanée, deux sur trois jouent sur ordinateur et plus de neuf sur dix naviguent sur Internet et détiennent un téléphone mobile. L’utilisation des nouveaux médias constitue leur troisième activité, après le sommeil et l’école.

Certes, le développement d’Internet représente un progrès dans l’accès à la communication. Ce qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est la protection des enfants face au caractère choquant que peuvent revêtir certains contenus d’Internet pour eux et face à la cybercriminalité. Cette dernière peut être définie comme l’ensemble des infractions pénales commises via le réseau Internet. Plus précisément, elle est l’œuvre de délinquants qui utilisent les systèmes et les réseaux informatiques soit pour commettre des infractions spécifiques à ces systèmes et réseaux informatiques, soit pour développer ou pour faciliter des infractions qui existaient avant l’apparition de l’internet.

Aujourd’hui, des faits divers sordides impliquant des mineurs ayant été abusés par des adultes rencontrés sur Internet ou exerçant entre eux des pressions psychologiques insoutenables par le biais de la diffusion de films dégradants tournés ou non sous la contrainte sont encore monnaie courante.

En dehors de cela, l’accès direct des enfants à des images à caractère violent, pornographique continue de poser problème, en dépit des systèmes de logiciels de contrôle parental.

Enfin, la problématique de l’addiction de jeunes à des jeux de rôle violents effectués en réseau et de leur perte de repères réels est toujours d’actualité, comme celle de la protection des données personnelles des mineurs, qui, plus que tout autre, étalent bien souvent leur vie privée sur la Toile.

Serge Tisseron, dans son ouvrage intitulé Enfants sous influence Les écrans rendent-ils les jeunes violents ?, indique que « les images violentes perturbent les enfants. Même s’il n’est pas prouvé qu’elles favorisent le passage à l’acte, elles créent de l’angoisse, suscitent de la honte et, surtout, encouragent l’agressivité du groupe. » Pendant l’enfance, le jeune entre souvent dans un espace potentiel de jeu ; il risque ensuite de commettre les violences.

Les travaux réalisés par Marcel Frydman sur des groupes d’enfants sont intéressants. D’abord, la projection de films violents augmente la fréquence de comportements agressifs de manière immédiate, puis cet effet faiblit. Ensuite, les enfants déjà habitués, voire soumis à l’agressivité dans leur milieu environnemental sont les plus sensibles à la violence des films. Enfin, dernier élément tout aussi important, l’influence de cette violence sur le comportement des jeunes par l’intermédiaire de l’écran est annulée si la vision de ce qu’ils ont vu sur l’écran est suivie d’un temps d’échange avec leurs parents. C’est dire si la vulnérabilité face à la confusion entre le réel et l’imaginaire est d’autant plus grande lorsque les institutions de la transmission, à savoir la famille et l’école, n’ont pas joué leur rôle.

Madame la secrétaire d’État, nous vous savons concernée par ce sujet et nous saluons les actions que vous avez menées jusque-là,…

Mme Marie-Thérèse Hermange. … telle la diffusion d’une campagne d’information à la télévision intitulée Où est Arthur ?, mettant en garde les parents sur les dangers que leurs enfants peuvent rencontrer sur Internet. Cependant, je demeure persuadée que beaucoup reste encore à faire.

Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est des quinze propositions figurant dans le rapport d’information de la commission des affaires culturelles ?

En réponse à la question écrite que j’avais posée au mois de mai 2008 sur la protection des mineurs face à Internet, vous avez indiqué que vous engagiez une action forte en ce sens, comportant trois priorités : le blocage des sites pédopornographiques, l’amélioration de la performance des logiciels de contrôle parental ainsi que la sensibilisation des parents. Nous vous suivons tout à fait pour ce qui concerne ces sages mesures. Mais où en est leur application et quel bilan peut-on en dresser aujourd’hui ?

Il est urgent de faire face à cette situation car l’enfant, de par son statut de personne vulnérable, de par la nécessité qu’il a d’être éduqué, aimé et entouré, requiert une véritable action, face à cette maltraitante insidieuse et multiforme. Si tel n’était pas le cas, les établissements d’aide sociale à l’enfance verront arriver une nouvelle catégorie d’enfants.

En effet, ce n’est pas parce que l’enfant est présent dans un nombre important de publicités qu’il est célébré et respecté, bien au contraire. L’enfant prétendument roi est tout d’abord un enfant victime s’il est condamné à trôner des heures durant, dès son retour de l’école, sans surveillance, devant Internet, comme si celui-ci était parfois devenu une solution de garde à domicile, une nouvelle sorte de crèche ou d’assistante maternelle.

Le problème de la sécurité des mineurs surfant sur Internet ne peut donc être esquivé, ni dissocié de l’éducation donnée par la famille.

L’État doit mettre en place le plus grand nombre de mesures possible pour protéger les citoyens, notamment les plus vulnérables, comme les enfants, mais aucune structure ni aucune politique ne remplacera le rôle des parents, premiers protecteurs de leurs enfants. C’est sur ce point que mes conclusions et celles de M. Assouline divergent. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la secrétaire d’État, la commission d’enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A/H1N1, dont je suis membre, étant actuellement réunie, je vous prie de bien vouloir m’excuser de ne pouvoir rester en séance jusqu’à la fin de ce débat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, qui songerait à remettre en question le formidable potentiel offert par les nouveaux médias et, par là même, la place essentielle qu’ils tiennent dans notre vie quotidienne ? Personne, bien sûr ! De nombreuses voix s’élèvent cependant pour mettre en garde contre le « revers de la médaille » de cette révolution numérique.

Notre collègue David Assouline, au nom de la commission de la culture, dans son excellent rapport d’information consacré aux incidences des nouveaux médias sur la jeunesse a parfaitement relevé la profonde ambiguïté qui existe dans notre relation avec les nouvelles technologies, avec Internet en particulier.

Notons que 95 % des jeunes âgés de douze à dix-sept ans sont internautes et surfent, en moyenne, douze heures par semaine ; 70 % des enfants de moins de onze ans utilisent aussi Internet, et ce depuis leur plus jeune âge, puisque 44 % des petits de six à huit ans sont concernés. Par ailleurs, plus d’un adolescent sur deux aurait créé son profil sur Facebook. La réalité de l’immersion totale de cette génération digital native dans la culture numérique suffit à nous conduire à nous interroger sur le rapport entre les bienfaits et les dangers, réels ou fantasmés, de l’usage d’Internet.

Les atouts des nouveaux médias pour la société, en général, et pour la jeunesse, en particulier, sont indiscutables, ne serait-ce qu’en termes d’accès au savoir, ainsi que de socialisation et d’intégration dans la vie publique. Ces exemples font partie de nombreux autres.

D’un point de vue pédagogique, d’abord, l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication est positive, au moins en raison de la motivation supplémentaire qu’elle induit chez l’élève.

L’utilisation de l’ordinateur est, sans aucun doute, un facteur d’amélioration du plaisir d’apprendre si nécessaire à un apprentissage efficace. L’appréhension de nouvelles compétences doit également être soulignée, même si les professeurs se plaignent, avec raison, des « copier-coller » détectés sur nombre de copies.

Relevons aussi les vertus des nouvelles technologies pour les élèves isolés. Je pense particulièrement aux enfants dont la famille est établie à l’étranger et qui, parfois, n’ont d’autres choix, pour suivre un enseignement français, que de le faire à distance.

Du point de vue de la construction psychique de l’adolescent, les nouveaux médias jouent, de fait, un rôle très positif. En effet, derrière son écran d’ordinateur, l’adolescent se sociabilise tout en restant à l’abri du regard des autres. Les différents réseaux sociaux qu’il fréquente ou les blogs qu’il tient lui permettent également de cultiver une image extrêmement valorisante, de développer sa confiance en lui et d’être reconnu socialement, notamment par le nombre, généralement très élevé, de ses amis. Tout cela est très intéressant, à condition, bien sûr, que sa socialisation ne s’arrête pas là !

Pourtant, ces exemples ne doivent pas masquer les possibles dangers d’un usage sans protection des nouveaux médias.

Les premiers risques que j’évoquerai, sans doute ceux qui suscitent le plus de craintes, sont l’exposition des jeunes à des contenus inappropriés, parce que violents ou à caractère pornographique, impactant le développement de leur personnalité, ainsi que les sollicitations à caractère sexuel auxquelles ils pourraient être confrontés.

Dans le même domaine, un phénomène nouveau, le « sexting », se développe de façon inquiétante. Ce nouveau « jeu » – ou tout au moins perçu comme tel – consiste en la diffusion, consentie ou non, entre les adolescents et via les téléphones mobiles, d’images personnelles à caractère sexuel.

Il pose clairement la question de la responsabilisation des adolescents. En effet, dans ce cas particulier, et comme le relève un récent rapport publié par l’Internet Safety Technical Task Force, ou ISTTF, et l’université de Harvard, les adolescents agissent en toute conscience.

Ils envisagent parfaitement que les images seront sans doute partagées avec d’autres personnes que les destinataires initiaux, et, surtout, les trois quarts des jeunes sont conscients de l’impact négatif que peuvent avoir ces photos. Ce qu’ils ne perçoivent pas, ce sont les conséquences sociales de tels comportements.

Le même raisonnement peut être appliqué à la divulgation d’informations personnelles sur les réseaux sociaux. Le profil pouvant, en effet, servir de véritable exutoire. En outre, via le « mur », des conversations de nature privée sont tenues en public. C’est ici la distinction entre la vie intime et la sphère publique qui est balayée.

À ce propos, l’universitaire américaine, spécialiste des réseaux sociaux, Danah Boyd, formule une métaphore très pertinente que je vous livre : « À l’occasion d’une fête, des petites conversations peuvent se nouer à droite ou à gauche, elles sont couvertes par la musique. Mais avec les réseaux sociaux, on peut toujours éteindre la musique… »

Ce déferlement d’informations intimes, accessibles au plus grand nombre, présente le risque d’intimidation ou de harcèlement par les jeunes entre eux, puisque les réseaux sociaux regroupent, le plus souvent, des adolescents qui entretiennent déjà des relations sociales non virtuelles et potentiellement conflictuelles.

Il constitue aussi une véritable mine d’or pour les publicitaires, les enfants internautes devenant de véritables cibles de marketing. Quoi de plus facile en effet que d’utiliser les informations personnelles pour affiner le ciblage de cette catégorie de population, particulièrement réceptive à ce genre de sollicitations ? Le groupe Sony BMG a d’ailleurs été condamné par la justice américaine, il y a quelques mois, pour avoir recueilli illégalement, c’est-à-dire sans l’accord exprès des parents, des données personnelles d’enfants via des sites d’artistes.

Pour rester dans le domaine de la publicité, il me semble important également d’alerter sur l’absence de responsabilité de certains éditeurs de contenus pour la jeunesse. En effet, même sur ces sites spécialement dédiés aux jeunes, voire aux très jeunes internautes, peuvent apparaître des publicités pour des produits ou des liens renvoyant sur des pages assurément non adaptées aux mineurs, ou même vantant des produits dont l’usage leur est interdit, comme les jeux d’argent.

Alors que le projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, qui va occasionner l’afflux d’une multitude de sites de jeux d’argent sur le Web, est en cours de deuxième lecture à l’Assemblée nationale, il me semble important de souligner les dangers que présentent ces jeux pour les jeunes internautes.

Certes, le texte confirme l’interdiction pour les mineurs de participer à ces jeux, qu’ils soient en ligne ou non. Toutefois, le péril demeure, puisque les méthodes de protection des mineurs sur Internet donnent un résultat très illusoire, comme nous allons le constater maintenant.

Les outils de protection existant pour les médias traditionnels sont totalement dépassés et, de toute façon, inadaptés aux nouveaux médias. À titre d’exemple, je citerai les services de médias audiovisuels à la demande qui ont rendu absolument obsolète la réglementation mise en place par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, ou CSA.

En effet, comment appliquer à la vidéo à la demande – VOD – un dispositif de protection qui repose sur des contraintes horaires de diffusion fixées par tranche d’âge ? Malgré l’adoption de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision qui prévoit une réglementation ad hoc, rien n’a encore été proposé.

Un an après, où en est-on, madame la secrétaire d’État ?

De multiples organismes, qu’ils soient étatiques, indépendants ou de type associatif, participent, plus ou moins harmonieusement, à la protection des mineurs face aux risques des nouveaux médias. Ainsi le CSA est-il compétent pour veiller à la protection de l’enfance à la télévision et à la radio.

Certes, sa compétence s’étend naturellement aux diffusions via les téléphones mobiles ou Internet, mais uniquement sur les contenus des émissions télévisées ou radiophoniques : une goutte d’eau, comparativement à l’ensemble des contenus potentiellement diffusables sur la Toile !

Bien plus, l’exemple de la vidéo à la demande, exposé à l’instant, révèle l’inadéquation actuelle des techniques de contrôle dont dispose le CSA et, par là même, le retard pris pour la mise en place par l’État d’une réelle protection des mineurs, quel que soit le support de diffusion utilisé.

À cet égard, l’on ne peut que souscrire entièrement à la proposition de David Assouline visant à créer un organe de corégulation « enfance et médias » compétent pour assurer la protection de l’enfance sur l’ensemble des médias, qu’ils soient écrits, télévisuels, cinématographiques ou électroniques.

Dans le souci d’efficacité qui doit guider l’action de l’État dans ce domaine, il importe en effet d’apporter une réponse globale à cette question. La recherche d’une démarche concertée est extrêmement positive, au regard de l’action importante, mais souvent dépourvue de coordination, de nombreuses structures, en termes de prévention et d’éducation des jeunes dans le secteur des nouveaux médias.

Plus largement, et cela va s’en dire, au regard du caractère transfrontalier d’Internet, une approche internationale est souhaitable. La proposition de la Défenseure des enfants, Dominique Versini, de mettre en place « un petit “ONU” de l’internet », véritable instance de contrôle international, est, de ce point de vue, très intéressante.

À l’échelon européen, diverses démarches de la Commission visent à responsabiliser les opérateurs et à sensibiliser les jeunes. Déjà en 2009, la Commission a signé un accord avec une vingtaine de sociétés afin qu’elles s’engagent à rendre les réseaux sociaux plus sûrs. Le bilan dressé au bout de quelques mois est relativement prometteur, mais beaucoup reste à faire, notamment quant au principe de la non-accessibilité, au-delà des amis, des informations personnelles des mineurs.

Cette approche est nécessaire mais doit s’accompagner d’une véritable prise de conscience des jeunes. Dans le cadre de la dernière édition de la Journée pour un internet plus sûr, en février dernier, la Commission a lancé un appel aux jeunes internautes : « Tu publies ? Réfléchis ! ».

En effet, il importe de les avertir de toutes les implications, y compris à long terme, des informations personnelles qu’ils mettent en ligne. Voyez, par exemple, combien d’employeurs potentiels accèdent à des données que je qualifierai sobrement d’inadéquates, en quelques clics !

Cette sensibilisation des jeunes est, sans doute, le meilleur rempart contre les risques inhérents aux nouvelles technologies.

Aux côtés de l’école qui doit améliorer son rôle éducatif dans le domaine, notamment par une véritable intégration de cette discipline dans les programmes, ce sont bien sûr les parents qui sont les mieux placés pour alerter et, ai-je envie de dire, simplement pour éduquer leurs enfants.

Les chiffres de récents sondages laissent songeurs et témoignent du chemin qu’il reste à parcourir dans, si je puis dire, l’éducation initiale des parents ! Une récente étude de l’association e-Enfance et de l’institut IPSOS révèle que 53 % des parents pensent que leurs enfants ne courent aucun risque sur Internet, 78 % considèrent qu’ils ne communiqueront pas de données personnelles de façon non protégée ou encore 43 % reconnaissent ne pas donner systématiquement de règle à leur enfant pour l’usage d’Internet.

Cette insouciance des parents est inquiétante, d’autant que les systèmes de contrôle parental, qui pourraient sembler la parade idéale, montrent leurs limites.

Limites, ne serait-ce qu’en raison des connaissances techniques minimales que leur installation nécessite. Et je sais combien les compétences des jeunes en la matière surpassent souvent largement celles de leurs parents !

La meilleure arme de protection des jeunes sur Internet passe donc bien par la responsabilisation des parents, qui requiert, d’abord, leur sensibilisation puis leur information.

Ne nous y trompons pas : ce qui est dangereux, ce n’est pas Internet, c’est l’usage que l’on en fait. J’approuve, d’ailleurs, les propos de Viviane Reding, alors commissaire européenne chargée de la société de l’information et des médias, qui déclarait : « L’internet est devenu indispensable à nos enfants, et il est de notre responsabilité à tous de le rendre plus sûr ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde et M. Jean-Jacques Pignard applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, dès ma prise de fonction, il y a deux ans, j’ai effectué mon premier déplacement au centre de la gendarmerie de Rosny-sous-Bois, plate-forme qui « chasse » les pédophiles sur Internet. J’avais en effet mesuré combien l’évolution des nouveaux médias et d’Internet mettait en danger nos enfants, qui les utilisent et qui en sont les victimes.

On m’avait prévenue que j’allais voir des images difficilement soutenables, ce fut le cas ! J’ai vu des images mettant en scène des enfants non seulement mineurs mais tellement jeunes – presque des bébés – que c’en était terrifiant. J’ai compris à quel point ce combat devait être celui de l’ensemble de la société.

Nos enfants passent aujourd’hui 900 heures à l’école et 1 200 devant les écrans. Les ménages disposent en moyenne de huit écrans, tous types confondus – télévision, ordinateur ou console de jeux. La consommation d’images a explosé ; nos modes de vie, de pensée et d’être ont été bouleversés.

Avec Internet, tout va plus vite et plus loin. Ce réseau n’a pas de frontière !

Lorsque j’ai effectué le déplacement que j’évoquais à l’instant et visionné ces images terrifiantes de jeunes enfants, j’ai compris que nous devrions agir dans notre pays, certes, mais également favoriser la mobilisation à l'échelle internationale, car celle-ci est nécessaire. Je me suis rendue à Londres et en Norvège, j’ai discuté avec mes collègues européens. Dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, j’ai consacré, en lien avec l’ensemble de nos partenaires européens, un atelier entier à ce sujet, sur lequel nous devons définir notre position.

Comme Mme Claudine Lepage le soulignait en une formule très pertinente, qui, aujourd’hui, songerait à remettre en question les nouveaux médias ? Personne ! Nous ne reviendrons pas en arrière ! Qui voudrait remettre en cause les voitures ? Nous avons besoin de ces dernières, mais nous avons appris à les utiliser et nous nous sommes dotés d’un code de la route. Or, ici, nous nous apercevons que nous sommes totalement dépassés par les usages de l’internet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous cité des chiffres révélateurs des comportements actuels : 96 % des adolescents surfent sur Internet tous les jours ; 80 % des parents ne savent pas que leur enfant détient un blog ; 72 % d’entre eux reconnaissent qu’ils laissent leur progéniture surfer seule sur Internet, mais ils ne prennent pas véritablement conscience des dangers que cette attitude implique.

M. Assouline a souligné les problèmes posés par l’utilisation des webcams, qui suscitent de nouveaux comportements, au sein même des foyers. Naguère, le danger se trouvait à l’extérieur des maisons, et nous éduquions nos enfants en conséquence ; aujourd'hui, il se situe à l’intérieur de celles-ci. Pis, il peut résider dans la chambre même de nos enfants, si nous laissons à leur disposition un ordinateur connecté à Internet !

Mme Brigitte Bout. C’est vrai !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. À l’évidence, nous devons réagir, en favorisant l’éducation, la maîtrise des outils, mais aussi, je le répète, une mobilisation internationale, afin de surmonter les difficultés posées par les webcams. En effet, – on m’a décrit de tels comportements en Norvège, mais ils se produisent également dans notre pays – certains jeunes aujourd'hui se déshabillent devant ces caméras, parfois en monnayant une telle pratique.

Nous devons faire face à ce phénomène, mais aussi lutter contre les comportements d’addiction qui mettent en péril la santé de nos enfants. De même, nous devons être vigilants face aux nouveaux contacts permis par Internet, que nous pourrions juger de prime abord fabuleux.

Certes, il est magique de pouvoir communiquer à travers le monde, trouver des informations dans d’autres pays ou, tout simplement, « chatter ». Mais quelle catastrophe quand une gamine de onze ans entre en contact avec un prédateur, sans en avoir le moins du monde conscience, parce que, de l’autre côté de son écran, un adulte, pédophile en puissance, cache son identité derrière le pseudonyme d’un jeune du même âge !

Mme Brigitte Bout. C’est clair !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Nous voyons combien il est nécessaire de sensibiliser à ce problème les parents, certes, mais aussi les nombreuses sociétés qui fleurissent sur Internet pour faciliter les contacts et les « chats » entre les adolescents, car, à l’évidence, leurs modérateurs n’ont presque aucune responsabilité ; vous m’avez d'ailleurs tous interpellée sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs.

Il arrive que les modérateurs de ces sites soient des machines, ou qu’ils ne se trouvent pas présents devant les écrans au moment où un pédophile se connecte parce qu’ils sont partis déjeuner !

Par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la difficulté de réguler l’internet tient non pas seulement à l’absence de frontières, mais aussi au caractère éphémère de ce réseau : les sites, notamment pédopornographiques, disparaissent parfois quelques jours, voire quelques heures après leur naissance.

Certes, le monde a changé. Internet est entré dans nos vies et il constitue un fabuleux outil d’échange. Il n’est pas question de faire le procès de ce réseau en général, mais seulement de chercher à nous en servir tout en nous protégeant de ses effets pervers.

Dans le combat que nous avons à mener, plusieurs acteurs doivent nécessairement jouer un rôle, notamment l’éducation nationale, qui constitue notre premier allié. Monsieur Lagauche, vous avez cité le B2i, le brevet informatique et Internet. Celui-ci, je le rappelle, figure de manière obligatoire depuis 2008 au programme des collèges – il est nécessaire à l’obtention du brevet des collèges –, avec l’apprentissage des « chartes d’usage », qui indiquent clairement les droits et les devoirs prévus par la loi.

En outre, la semaine dernière, le Sénat a adopté une proposition de loi dont l’article 1er prévoit que : « Dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique, les élèves sont formés afin de développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible […] ». Il est en effet crucial que les élèves adoptent « un comportement responsable dans l’utilisation des outils interactifs, lors de leur usage des services de communication au public en ligne ».

Par ailleurs, de nombreuses actions ont été menées en partenariat avec les associations de protection de l’enfance, comme e-Enfance ou Action innocence. Celles-ci sont très impliquées dans le développement de l’application mobile « Vidéo info parents » qui apporte aux parents des informations complètes sur plus de cinq cents jeux vidéo.

Je pourrais citer également la Délégation aux usages de l’internet, qui s’inscrit dans le programme européen « Internet sans crainte » et propose sur son site des « foires aux questions », des kits de sensibilisation et un numéro vert destiné aux parents, de même qu’un serious game dont la vocation est de sensibiliser les enfants et les adolescents à la protection de la vie privée. En effet, celle-ci est très souvent mise en péril par les jeunes eux-mêmes ou par des tiers peu scrupuleux.

Nathalie Kosciusko-Morizet a réuni de nombreux acteurs de la Toile, afin de trouver une réponse aux problèmes posés par la publication d’éléments de la vie privée des internautes, que ceux-ci soient majeurs ou mineurs. La cause que nous défendons ici est essentielle, j’y insiste, puisqu’il s’agit du droit à l’oubli.

De nombreuses pistes sont apparues, en ce qui concerne la pédagogie, la facilité d’usage des outils de protection des données personnelles ou encore les voies de recours en cas de problème.

Enfin, les nombreux efforts qui sont actuellement déployés pour favoriser le développement d’une offre légale de contenus en ligne sécurisée, en ce qui concerne le respect tant de la propriété intellectuelle que du droit des usagers, dans la continuité, notamment, des travaux menés par la mission Zelnik, permettront de progresser vers un Internet plus civilisé pour les adolescents. Le projet de « carte musique » destinée aux jeunes va également dans le sens d’une promotion d’Internet comme mode d’accès à la culture.

Toutefois, ces actions ne porteront leurs fruits que si nous proposons à nos enfants une véritable éducation positive aux médias.

Éduquer aux médias, c’est d’abord – vous avez été nombreux à le souligner, mesdames, messieurs les sénateurs – réinvestir les parents d’une mission essentielle, à savoir la protection de leurs enfants. C’est aussi créer une dynamique positive, dans laquelle le jeune devient acteur de ses propres consommation et protection.

Afin d’aider les familles dans cette tâche, en 2008 j’ai demandé aux fournisseurs d’accès de proposer gratuitement un logiciel de contrôle parental à tous leurs abonnés. Quelque 95 % des parents connaissent désormais l’existence de ces programmes, mais ils sont seulement 40 % à les utiliser. Ce dernier chiffre est nettement insuffisant – j’y insiste ! –, d’autant que nous évaluons régulièrement les dispositifs de contrôle parental et avons établi un classement de ces outils selon leur performance.

Bien qu’ils connaissent ce logiciel et l’aient à leur disposition, les parents ont tendance à ne pas le faire fonctionner ou à le désactiver à certains moments de la journée, mettant ainsi en péril leurs enfants. Il faut donc communiquer fortement sur la nécessaire activation de ces dispositifs.

J’ai chargé l’an dernier l’Agence française de normalisation, l’AFNOR, de créer une norme d’évaluation des performances des logiciels de contrôle parental offerts gratuitement par les FAI, les fournisseurs d’accès à internet. Issu d’un travail de concertation entre les acteurs industriels, les associations de protection de l’enfant et les pouvoirs publics, ce standard expérimental a été publié en janvier dernier. Il fera prochainement l’objet de tests, qui serviront de base à la réalisation d’une norme française dans le courant du second semestre 2010.

Aujourd’hui, je le répète, 72 % des parents admettent laisser leurs enfants surfer seuls sur Internet. En lien avec le ministère de l’éducation nationale, nous avons élaboré une plaquette pédagogique d’information, qui a été tirée à quatre millions et demi d’exemplaires et diffusée lors de la dernière rentrée dans toutes les classes de CM2, afin de donner aux parents « Huit conseils destinés à mieux protéger [leurs] enfants sur Internet ». Ce document propose des gestes simples pour permettre aux enfants de naviguer sur le Web en toute sécurité.

Afin de faire entrer ce sujet dans les conversations des familles, nous avons aussi diffusé le clip Où est Arthur ? sur l’ensemble des chaînes télévisées. Je rappelle que j’ai fait traduire ce spot de l’allemand, puisqu’il s’appelait à l’origine Wo ist Klaus ? Nous avons décidé, avec nos partenaires européens, de le diffuser dans l’ensemble des pays de l’Union – le Luxembourg l’a fait récemment –, parce que nous devons développer une communication cohérente, dynamique et percutante en direction de toutes les familles.

Cette large diffusion intervient en complément des dispositifs qui existent déjà, en matière d’éducation, dans les médias dits « traditionnels », notamment sur le service public de l’audiovisuel.

À cet égard, je tiens à saluer le travail mené par les médiateurs de France Télévisions, de même que certaines émissions emblématiques, telles que Toutes les télés du monde, qui fut lancée voilà cinq ans sur Arte.

Hors antenne, nous soutenons bien entendu les initiatives qui contribuent à former le regard des jeunes sur les médias. Je pense notamment au programme Télémaques, créé par l’association Savoir au Présent. Au cours de l’année scolaire 2009-2010, 9 000 jeunes issus de quatre-vingt-dix établissements y participent, dans trente départements répartis dans six régions.

Afin de coordonner l’ensemble des actions d’éducation aux médias, j’ai chargé Mme Agnès Vincent-Deray, ancien membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui est à l’origine de la signalétique destinée aux enfants à la télévision et qui a rédigé le rapport Famille, éducation aux médias, de mettre en place une fondation public-privé dédiée à l’éducation aux médias. Ce nouvel outil de pilotage servira de véritable tour de contrôle de l’éducation aux médias dans notre pays.

Je souhaite que cette fondation soit chargée, notamment, d’assurer une veille autour des actions d’éducation aux médias et d’organiser les actions d’information, de communication et de formation de personnel aux médias, notamment à destination des éducateurs.

Notre objectif est de lutter contre les dangers d’Internet tout en proposant une éducation positive aux médias. Il pourra être atteint grâce à cette mobilisation. Cette fondation, je le précise, sur laquelle un rapport m’a déjà été rendu, sera mise en place d’ici à la fin du premier semestre de l’année 2010.

Cette réflexion pourra s’appuyer sur des mécanismes qui existent déjà et qui font leurs preuves. Je pense en particulier, madame Morin-Desailly, au système de classification et de signalétique en vigueur pour la diffusion d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Les dispositifs de protection de l’enfance mis en place pour la diffusion linéaire de ces œuvres et programmes doivent être étendus, notamment, à la télévision de rattrapage et à la vidéo à la demande. Sur ces deux thématiques essentielles, le CSA adoptera dans les prochaines semaines un projet de délibération, qui sera soumis ensuite aux acteurs du marché pour consultation.

Afin de faire face aux nouveaux dangers qui peuplent Internet, le Gouvernement doit poursuivre une politique active en matière de prévention, certes, mais aussi dans le domaine de la répression.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais citer l’exemple de la division de lutte contre la cybercriminalité de la gendarmerie nationale de Rosny-sous-Bois ; j’ai pu observer son travail, qui n’a fait que me conforter dans l’idée qu’il était nécessaire de bloquer les sites pédopornographiques, comme le fait déjà la Norvège. Je rappelle que le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit « LOPPSI  2 », prévoit, en son article 4, un tel blocage.

Enfin, un système de veille global a été mis en place, avec la création de la plate-forme de signalement du ministère de l’intérieur, qui, en 2009, a permis d’enregistrer environ 20 000 alertes mettant en cause des sites à caractère pédopornographique, hébergés à l’étranger et gérés par des trafiquants de l’internet.

Parallèlement, depuis un an, certains policiers et gendarmes sont autorisés à réaliser des « cyberpatrouilles » : grâce à l’utilisation de pseudonymes, qui leur permettent de se faire passer pour des mineurs, ils ont pu traiter une vingtaine de dossiers et déférer les coupables devant la justice. Le Gouvernement s’en félicite et prévoit d’ores et déjà la formation d’un plus grand nombre de policiers et de gendarmes qui viendront grossir les rangs de ces cyberpatrouilles, et ce dès 2010.

Ajoutons que nous disposons aussi d’une législation qui permet de sanctionner les auteurs de sites pédopornographiques sévissant sur Internet : le code pénal punit de peines de cinq ans d’emprisonnement le fait de diffuser, d’enregistrer ou de transmettre l’image d’un mineur lorsque celle-ci présente un caractère pornographique.

Mais un nombre croissant d’infractions sont commises depuis des pays étrangers, par le biais d’Internet, notamment pour ce qui concerne la pédopornographie. Nous avons l’obligation morale d’adapter la loi pour y faire face.

Le dispositif de protection contre les contenus illicites, institué par la loi du 21 juin 2004, ne peut s’appliquer qu’aux sites hébergés en France. Nos outils juridiques actuels ne sont pas adaptés à la protection contre les sites hébergés à l’étranger et la coopération internationale n’a pas encore permis d’aboutir à une solution globale.

C’est pourquoi le Gouvernement a souhaité mettre en place un dispositif pragmatique et réactif pour lutter contre les expositions non intentionnelles à des sites pédopornographiques. En effet, ces sites utilisent souvent des adresses que l’on peut facilement confondre avec celles de sites légaux.

J’observe que de nombreux pays ont déjà mis en œuvre ces dispositifs de blocage. J’observe également que le Président de la République a tenu ses engagements en ce domaine, le blocage des sites pédopornographiques faisant l’objet de l’article 4 de la LOPPSI.

La France a, en outre, pris l’initiative de la création d’une plate-forme de signalement européenne, qui sera opérationnelle en 2011. Cela permettra aux différents pays d’échanger plus aisément les listes de blocages des sites pédopornographiques.

Si Internet ne connaît pas de frontière, il en est de même pour les nouvelles formes de criminalité. J’appelle de mes vœux une coopération internationale, qui, seule, permettra d’en venir à bout. À cet égard, je suis favorable à la proposition de Mme Najat M’jid Maalla, auteur d’un excellent rapport de l’ONU, laquelle préconise une mobilisation onusienne sur ce sujet. En effet, Internet pose des problèmes de niveau mondial. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une législation nationale, ni même d’une coopération européenne. Il nous faut aller beaucoup plus loin, pour encadrer la société virtuelle. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, je suis profondément convaincue qu’une police internationale devra être spécifiquement dédiée à Internet.

Monsieur Assouline, je vous rappelle que les collectivités territoriales ne sont pas les seules à contribuer à la réduction de la fracture numérique. Le Gouvernement a prévu de consacrer 2 milliards d’euros de l’emprunt national aux infrastructures, afin que l’ensemble du territoire puisse bénéficier du très haut débit.

Vous m’avez également interrogée sur un « CSA de l’internet ». Je l’ai rappelé tout à l’heure, la Toile est un réseau mondial. N’importe qui peut mettre en ligne du contenu. À la différence de l’audiovisuel, dans lequel le nombre d’émetteurs est limité et où chacun d’eux doit détenir une autorisation, il est impossible de réguler a priori. Seule est envisageable une régulation a posteriori. Celle-ci fait l’objet aussi bien de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui détermine les responsabilités des hébergeurs et des éditeurs, que de la LOPPSI 2, laquelle permettra de bloquer les sites pédopornographiques.

Vous vous êtes aussi interrogé, monsieur Assouline, sur les intentions du Gouvernement en ce qui concerne la transposition du « paquet télécom » et une éventuelle modification de la loi pour la confiance dans l’économie numérique.

Le Gouvernement travaille à la transposition de cette directive, qui a été adoptée à la fin de 2009 et devra être transposée avant la fin de l’année 2011. Le texte, qui modifiera, en tant que de besoin, la loi pour la confiance dans l’économie numérique et la loi informatique et libertés, est en préparation dans les services.

Pourquoi le Gouvernement est-il opposé à la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique ? Certes, nous souhaitons mieux protéger la vie privée sur Internet et nous soutenons à cet égard certaines des mesures proposées. Toutefois, d’autres dispositions prévues s’avèrent inopportunes. Je pense notamment à la transposition partielle du « paquet télécom », qui ne permettrait pas d’adapter l’ensemble de la directive de façon cohérente. Je pense également aux dispositions sur les fichiers de police, sans lien avec celles qui ont été adoptées à l’Assemblée nationale. Je pense encore à l’obligation de mettre en place un correspondant informatique et libertés, mesure dont l’impact n’a pas été mesuré et qui présente plus d’inconvénients que d’avantages.

Vous avez aussi évoqué la régulation de l’usage des webcams. Techniquement, une telle mesure est irréalisable. Il convient donc d’informer et de sensibiliser les parents à l’utilisation de ces nouvelles technologies.

Quant à la mise en œuvre d’une signalétique positive, je vous rappelle, monsieur le sénateur, que les jeux vidéo en bénéficient d’ores et déjà, grâce à un partenariat entre le Gouvernement et les associations de protection de l’enfance. Au demeurant, je suis favorable à votre idée. Pourquoi ne pas guider les parents dans le choix des programmes télévisuels de leurs enfants ? Certaines émissions sont extrêmement intéressantes ! Il nous faut mener une telle réflexion, notamment dans le cadre de la Fondation famille, éducation aux médias.

Enfin, sur les filtrages, qui font l’objet de l’article 4 de la LOPPSI, la Commission européenne, vous le savez, envisage de rendre obligatoire le blocage des sites pédopornographiques au niveau européen, et je m’en réjouis car nous ne pourrons réussir seuls dans ce domaine.

Comme la télévision au siècle dernier, Internet a bouleversé nos modes de vie et de représentation, et nous a fait entrer dans une nouvelle ère, qui n’est plus seulement celle de l’image.

À chaque tournant de notre histoire, à chaque découverte, qu’elle soit mirifique ou terrifiante, nous avons réagi par la sidération, avant d’inventer une nouvelle codification juridique et culturelle.

Il est temps aujourd’hui de sortir du silence et d’agir. Rendons-nous maîtres de notre propre création. C’est l’honneur de l’homme que de protéger ses enfants, qu’il s’agisse d’Internet, des consoles de jeux ou des téléphones portables.

Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de ce débat, qui n’est cependant pas clos. En effet, nous avons un important travail à mener : nous devrons continuer à faire face aux évolutions technologiques, à sensibiliser les parents, à adapter les moyens de sécurité et notre législation. Surtout, nous devons comprendre que ce sont essentiellement nos enfants qui sont menacés sur Internet. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la protection des jeunes sur les nouveaux médias.

4

Élection de juges à la Cour de justice de la République

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.

Ce scrutin a été supervisé par les deux secrétaires de séance, MM. Jean-Noël Guérini et François Fortassin.

Nombre de votants 202
Nombre de suffrages exprimés 184
Majorité absolue des suffrages exprimés 93

MM. Bernard Saugey et Jean-Patrick Courtois ont obtenu 184 voix.

MM. Bernard Saugey et Jean-Patrick Courtois ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, ils sont respectivement proclamés juge titulaire et juge suppléant à la Cour de justice de la République. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP. – MM. Jean-Jacques Pignard et François Fortassin applaudissent également.)

5

Prestation de serment de juges à la Cour de justice de la République

Mme la présidente. M. Bernard Saugey, juge titulaire à la Cour de justice de la République, et M. Jean-Patrick Courtois, juge suppléant à la Cour de justice de la République, vont être appelés à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.

Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu’elle figure dans la loi organique. Je prie M. Bernard Saugey, juge titulaire, et M. Jean-Patrick Courtois, juge suppléant, de bien vouloir se lever et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure ».

Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».

(Successivement, M. Bernard Saugey, juge titulaire, et M. Jean-Patrick Courtois, juge suppléant, se lèvent et disent, en levant la main droite : « Je le jure ».)

Mme la présidente. Acte est donné par le Sénat des serments qui viennent d’être prêtés devant lui. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-sept heures pour les questions cribles thématiques.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

6

Questions cribles thématiques

éducation et ascension sociale

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur « l’éducation et l’ascension sociale ».

L’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été mis à la vue de tous.

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le ministre, avec les enseignants, les parents et les élèves, fortement mobilisés ces derniers mois contre les réformes de l’éducation nationale, je partage l’aspiration populaire à une école de l’égalité, de la justice et de la réussite pour tous.

Enjeu de société, le devenir de l’école publique doit être pensé pour relever le défi d’émancipation de tous, sans exclusive.

Or on nous enferme dans des débats stériles. Il en est ainsi de l’égalité des chances, qui ne valorise en réalité que le mérite individuel. Loin de faire reculer les inégalités devant l’éducation, elle laisse de côté l’immense majorité des élèves issus des milieux populaires.

Stigmatisante, même, pour ceux qui ne s’en sortent pas, cette politique nie la possibilité pour le plus grand nombre de se construire un avenir, chacun à son rythme.

Car faire reculer les inégalités devant l’éducation, c’est offrir à chacun les moyens de construire sa propre vie scolaire et intellectuelle, sans que les conditions économiques d’origine et de position sociale la déterminent.

C’est donc bien à l’État de garantir, sur l’ensemble du territoire, la présence et le développement d’un service public de l’éducation, dont l’ambition est l’égalité d’accès pour tous à un haut niveau de culture.

Mais faire cela, c’est aller à l’exact opposé de votre politique favorisant l’école privée, renforçant l’élitisme et réduisant des voies de l’insertion aussi indispensables que l’enseignement professionnel et agricole.

Il faut stopper la réduction du nombre de fonctionnaires, refuser leur précarisation et l’amenuisement de l’offre éducative.

Monsieur le ministre, allez-vous fournir aux parlementaires un bilan de la loi dite « d’égalité des chances » et engager une réforme digne de ce nom, celle qui doit réfléchir au rôle nouveau et à la transformation de l’éducation nationale comme outil d’égalité, de gratuité sur l’ensemble du territoire ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Madame le sénateur, je crains que deux minutes ne me suffisent pas pour évoquer l’ensemble des sujets que vous avez abordés dans votre question.

M. le président. Vous pourrez y revenir !

M. Luc Chatel, ministre. En effet, monsieur le président, j’aurai l’occasion de revenir sur ces sujets dans les réponses que j’apporterai aux différents orateurs.

Madame le sénateur, vous appelez à une mobilisation en faveur de l’égalité des chances. Aujourd’hui, d’un point de vue sociologique, si la proportion de fils et de filles d’employés et d’ouvriers dans les classes de sixième correspond fidèlement à la structure de la population active française, il n’en est plus de même dans les classes de terminale, en fin de cycle. Dans ces conditions, il est bien difficile de parler d’égalité des chances.

J’ai dénoncé cette situation dès ma prise de fonctions. C’est pourquoi il faut renforcer le brassage social, et c’est précisément l’objet des réformes que nous mettons en œuvre.

M. René-Pierre Signé. C’est un problème social !

M. Luc Chatel, ministre. Par exemple, quand on réforme le lycée professionnel pour une meilleure insertion professionnelle, donc pour qu’il débouche davantage sur un emploi, on travaille pour l’égalité des chances. De même, lorsqu’on améliore l’orientation au lycée afin que chacun puisse trouver sa voie plus facilement tout au long de son parcours, l’orientation ne tombant plus comme un couperet, on travaille également pour l’égalité des chances.

Pour autant, je ne souhaite pas opposer égalité des chances et excellence. Je suis pour une école de la République qui soit une école de l’excellence, de l’élitisme – je n’ai pas peur des mots. Oui, je suis favorable à ce qu’une élite scolaire accède au meilleur niveau, mais, en même temps, je veux que chaque élève trouve sa voie dans le système éducatif.

L’action que nous menons et les réformes que nous mettons en œuvre ont pour objectif de diminuer progressivement le nombre des élèves quittant le système éducatif sans aucun diplôme.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour la réplique.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Confrontés à l’explosion des exigences et de la colère des banlieues, vous aviez fait adopter, en 2006, la loi dite « d’égalité des chances ».

Quatre ans après, le bilan est plutôt maigre. Outre le fait que le contrat première embauche, ou CPE, a été massivement rejeté, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, pointe aujourd’hui la persistance de fortes inégalités de toutes sortes, qui font que, à diplôme égal, on n’accède pas aux mêmes catégories socioprofessionnelles.

La discrimination positive, que vous mettez en œuvre et qui vise à instaurer des politiques de quotas et des internats d’excellence, n’est pas la réponse aux exigences d’acquisition du plus haut niveau de connaissance pour tous.

Il faut des moyens supplémentaires, ce que les acteurs de l’éducation ne cessent de réclamer, comme ils l’ont encore redit ces derniers jours.

Il faut des enseignants supplémentaires, il faut des RASED, les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, il faut des infirmières, il faut des médecins à l’école, il faut des CO-PSY, les conseillers d’orientation psychologues, il faut des CIO, les conseillers d’information et d’orientation !

En parallèle, il faut aussi réfléchir à l’offre pédagogique du troisième millénaire.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Aussi, je réitère ma demande qu’un bilan de la loi de 2006 soit dressé.

M. René-Pierre Signé. Et il ne faut pas supprimer de postes !

M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.

M. Daniel Dubois. Monsieur le ministre, le lien entre éducation et réussite professionnelle, c’est sans aucun doute la réussite scolaire et la bonne orientation.

Comment améliorer ces résultats, en particulier dans le domaine scolaire, alors que, depuis vingt ans, dans notre pays, il n’y a jamais eu autant de dépenses pour l’éducation, alors que notre système scolaire continue à engendrer de l’échec, 150 000 jeunes le quittant sans maîtriser la lecture ?

Nous savons tous que la réussite se joue dès le plus jeune âge et que l’école élémentaire, selon la Cour des comptes, « constitue le socle sur lequel tout repose pour réussir cet enjeu majeur ».

Face à ce défi, j’ai engagé sur mon territoire de 8 000 habitants, la communauté de communes du Haut-Clocher, le regroupement de treize écoles en trois sites uniques, reliés à la fibre optique, équipés de tableaux blancs interactifs, de trente ordinateurs portables, animés par un espace numérique de travail, ainsi que tous les services périscolaires qu’attendent les parents.

Je souhaite également bâtir un conseil local de l’éducation qui regrouperait enseignants, parents, élus, services sociaux, pour sans cesse améliorer les résultats scolaires en lien avec le collège.

Monsieur le ministre, ma question, sous forme de triptyque, est la suivante.

Tout d’abord, comment envisagez-vous de participer au financement de l’école du XXIe siècle, moderne, adaptée au défi pour les prochaines générations ?

Ensuite, comment envisagez-vous de faciliter la mise en œuvre d’une véritable synergie locale entre équipe pédagogique, parentalité – c’est un enjeu majeur – et élus locaux responsables ?

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Daniel Dubois. Enfin, comment envisagez-vous de rendre plus transparents et, ainsi, d’optimiser les résultats des évaluations pour les rendre utiles à la décision publique ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, il est essentiel de le rappeler, comme vous l’avez fait fort justement, jamais autant de dépenses n’ont été engagées en faveur de l’école. Cela montre la volonté du Gouvernement d’investir dans l’avenir de nos enfants, comme le font l’ensemble des grands pays développés.

Cette remarque étant faite, se pose immédiatement la question de l’efficacité de la dépense publique et de l’organisation de l’offre scolaire sur l’ensemble du territoire.

Monsieur le sénateur, je vous félicite de votre sens des responsabilités. Les investissements que vous avez réalisés sur votre territoire attestent votre volonté de moderniser l’offre de votre structure intercommunale, notamment dans le domaine du numérique.

Dans le cadre du plan de relance, nous avons décidé de mettre 6 700 écoles de notre pays à l’heure du numérique et de les équiper, progressivement au cours des prochains mois, en matériels adéquats. Je me réjouis que votre communauté de communes ait pu bénéficier de ce plan de relance. J’aurai d’ailleurs l’occasion d’annoncer, dans quelques semaines, un plan numérique beaucoup plus vaste pour faire véritablement de l’école française l’école du XXIe siècle.

Vous soulevez la question de la synergie locale entre les différents acteurs. C’est un sujet important, sur lequel plusieurs de mes prédécesseurs avaient eu l’occasion de travailler. Il avait été question, un moment, de créer des conseils de concertation non pas départementaux, mais locaux. On y a renoncé car il a été considéré que de tels conseils n’auraient été qu’une structure supplémentaire sans réelle efficacité.

La question de l’interactivité entre les directeurs d’école, les enseignants et les familles est posée, comme l’est celle de la direction des établissements scolaires comptant de nombreuses classes.

Le Premier ministre vient de confier sur ce sujet une mission parlementaire à votre collègue député Frédéric Reiss. Les propositions des parlementaires permettront d’enrichir les réflexions visant à améliorer, localement, le mode de concertation entre l’éducation nationale, les collectivités locales et les familles, pour un meilleur fonctionnement de l’école. C’est ainsi que nous adapterons au mieux notre système éducatif.

M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour la réplique.

M. Daniel Dubois. Monsieur le ministre, je vous remercie des indications que vous nous avez données.

Force est de constater que, bien souvent, nous en sommes restés à l’école de Jules Ferry. Or nous sommes tous conscients que l’intelligence sera demain un levier de croissance et c’est pourquoi la réussite scolaire doit être au rendez-vous. À cette fin, notre pays doit s’engager sur la voie de l’innovation, qui est un enjeu déterminant, car il est au commencement de tout.

Monsieur le ministre, vous devez rapidement développer les synergies et faire en sorte que les équipes éducatives, les parents et les territoires, qui forment un triptyque, travaillent mieux ensemble. Vous en prenez la direction, mais je vous invite à avancer avec rapidité.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, l’école ne joue plus, depuis longtemps déjà, son rôle de promotion sociale. Pourtant, depuis les zones d’éducation prioritaires, ou ZEP, les dispositifs correcteurs ont été multipliés, soit dans le cadre de l’éducation nationale, soit dans celui de la politique de la ville. Certains se sont révélés heureux, mais, globalement, ils n’ont pas enrayé le déclin de l’école comme outil de promotion sociale.

En effet, ces dispositifs manquent l’essentiel : l’amélioration des apprentissages fondamentaux à l’école primaire – lecture, écriture, calcul. Ceux-ci, depuis longtemps, ne sont plus assurés correctement, et ces insuffisances, qui frappent d’abord les enfants les moins favorisés, se répercutent ensuite en inégalités croissantes à tous les niveaux de l’enseignement.

Cette véritable destruction des fondements de l’école républicaine vient de loin, monsieur le ministre ; elle procède du triomphe des pédagogies dites « nouvelles » ou encore « constructivistes », parce que l’élève est censé construire lui-même son savoir, tel un petit Champollion devant les tablettes hiéroglyphiques.

Ces doctrines ont fait la preuve de leur inefficacité : la méthode globale, par exemple, n’a jamais remplacé, pour l’apprentissage de la lecture, la méthode syllabique, qui doit rester un élément essentiel de cet apprentissage.

Toute l’expérience historique montre que les enfants des couches populaires ont d’abord besoin d’une école structurée et d’un bon enseignement dans les matières de base. Quelles directives fermes allez-vous donner en ce sens ?

Votre prédécesseur avait laissé s’instaurer, à l’école élémentaire, la semaine de quatre jours, pour ne pas dire la semaine des quatre jeudis ! (Sourires.) Or, votre circulaire de rentrée visant à « encourager le retour à la semaine de neuf demi-journées chaque fois qu’elle rencontre l’adhésion » sonne comme un renoncement. On n’a jamais vu, monsieur le ministre, que les élèves puissent apprendre mieux en travaillant moins ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre. Je souscris dans une large mesure aux propos que vous venez de tenir, monsieur le sénateur.

Le Gouvernement a tout d’abord mis en œuvre une réforme de l’école primaire visant à la recentrer sur les fondamentaux. Elle comporte notamment de nouveaux programmes et la mise en place d’une aide personnalisée de deux heures pour les élèves qui rencontrent des difficultés, afin de leur permettre d’entrer en sixième en maîtrisant ces compétences de base que sont, en particulier, la lecture et l’écriture.

De plus, j’ai annoncé hier un plan de prévention de l’illettrisme, replaçant la maternelle au cœur du dispositif, avec un retour à certains fondamentaux tels que la connaissance du vocabulaire. Aujourd’hui, à l’entrée en cours préparatoire, on constate des différences majeures entre certains élèves issus de milieux défavorisés, qui maîtrisent quelque 150 mots, et d’autres vivant dans un environnement plus favorisé, qui en connaissent environ 700. Or, on sait qu’il est très difficile de combler cet écart par la suite.

M. Luc Chatel, ministre. De même, le retour à l’apprentissage par cœur de textes ou de poésies fait l’objet d’une directive que j’ai mise en œuvre et est visé dans ma circulaire de rentrée. C’est à mon sens un point très important. J’ai également décidé que les élèves devraient travailler précocement sur les grands textes de la littérature.

Il me semble essentiel d’en revenir à ces fondamentaux pour combattre l’illettrisme et permettre que l’école de la République redevienne celle que nous avons connue. La création des internats d’excellence, par exemple, s’inscrit également dans cette perspective. Il s’agit de donner aux élèves méritants la possibilité d’accéder au meilleur, et donc de permettre l’ascension sociale par le travail. C’est en tout cas l’objectif du Gouvernement.

M. René-Pierre Signé. Il faut commencer tôt et renoncer à mettre en place des jardins d’enfants !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, j’approuve nombre des orientations que vous venez de rappeler ; j’observe néanmoins que, pour les enfants de maternelle, l’acquisition du vocabulaire passe tout de même par l’apprentissage de l’écriture : on ne peut pas apprendre le vocabulaire si l’on n’a pas appris à lire et à écrire. C’est fondamental ! Le mot, disait Jaurès, c’est l’idée.

J’ai évoqué le retour à la semaine de neuf demi-journées. Les chronobiologistes, l’Académie nationale de médecine et la FCPE, rejointe sur ce point par d’autres fédérations de parents d’élèves, sont tout à fait formels : une telle organisation de la semaine respecte les rythmes de l’enfant et donne plus de temps pour l’acquisition des savoirs fondamentaux. Mais votre circulaire, monsieur le ministre, n’a aucun sens, excusez-moi de vous le dire ! En effet, s’il y a adhésion des conseils d’école à la semaine de neuf demi-journées, vos encouragements ne sont pas nécessaires ; dans le cas contraire, vous prenez acte du fait accompli.

Encouragez donc dans tous les conseils d’école, monsieur le ministre, y compris ceux qui ont choisi la semaine de quatre jours,…

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Chevènement. … ceux qui, soucieux avant tout des intérêts de l’enfant, ne demanderaient qu’à vous obéir pour revenir à la semaine de neuf demi-journées ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.

M. Jacques Legendre. Je remets aujourd’hui ma casquette de président de la mission d’information que la commission des affaires culturelles avait conduite en 2007 sur la diversité sociale et l’égalité des chances dans la composition des classes préparatoires aux grandes écoles, dont M. Bodin était d’ailleurs le rapporteur.

Nous avions alors, à l’unanimité, dénoncé le caractère socialement fermé des classes préparatoires aux grandes écoles dans un rapport au titre significatif : « Halte au délit d’initié ». Nous constations d’ailleurs avec inquiétude que cette fermeture, et donc celle des grandes écoles, qui préparent une bonne partie des élites de notre pays, tendait à s’accentuer.

Nous avions attiré l’attention du Gouvernement sur ce point, et je me réjouis que le Président de la République, le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre, ayez marqué votre volonté de réagir, en particulier en fixant un objectif de 30 % de boursiers dans les classes préparatoires aux grandes écoles. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Je crois cependant qu’il ne peut s’agir là que d’un indicateur, et non de la solution au problème.

Ce qui écarte les jeunes gens issus de milieux modestes de ces classes préparatoires, c’est d’abord l’impression que « ce n’est pas pour eux » (M. Yvon Collin opine), ensuite un problème d’orientation, souvent aussi des difficultés de logement, enfin l’inégale répartition des classes préparatoires sur le territoire national, 17 % d’entre elles étant situées dans la seule ville de Paris, tandis que vingt départements en sont totalement dépourvus.

M. Yvon Collin. Eh oui !

M. Jacques Legendre. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser quelles mesures globales vous comptez prendre pour favoriser l’accès de tous les jeunes gens qui ont la capacité de suivre de telles études aux classes préparatoires, et donc aux fonctions de direction dans notre pays ? (Mme Muguette Dini applaudit.)

M. René-Pierre Signé. Il y a des classes privées parallèles !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, nous partageons le même objectif. Le 11 janvier dernier, le Président de la République a demandé aux grandes écoles, quintessence de l’élitisme républicain, de jouer leur rôle dans le renouvellement et la diversification des élites. Si nous voulons que davantage de jeunes issus de milieux défavorisés accèdent au meilleur, ce n’est pas en abaissant le niveau que nous y parviendrons,…

M. Jacques Legendre. Bien sûr !

M. Luc Chatel, ministre. … ni en créant des concours différenciés, mais en assurant un bon brassage et le bon fonctionnement de notre système fondé sur le mérite républicain.

Depuis 2007, nous avons beaucoup avancé dans cette voie. Nous avons d’abord inventé plusieurs dispositifs destinés à accompagner les élèves issus de milieux défavorisés vers les filières d’excellence de l’enseignement supérieur. L’objectif de 30 % de boursiers dans les classes préparatoires a été atteint en ce début d’année, avec un an d’avance.

L’éducation nationale s’est également fixé pour objectif, dès à présent atteint, que chaque lycée propose la candidature d’au moins 5 % de ses élèves aux classes préparatoires.

Enfin, pour accompagner et guider les élèves provenant de milieux défavorisés et assurer le lien entre lycées et classes préparatoires, Mmes Pécresse et Amara ont créé le dispositif des « cordées de la réussite ».

Le comité interministériel sur l’égalité des chances qui s’est tenu en novembre dernier a décidé d’accroître fortement l’offre de classes préparatoires, notamment dans la filière technologique. Nous avons ainsi ouvert, à la rentrée dernière, la première classe préparatoire professionnelle. Je crois que diversifier les voies d’accès à l’excellence est aussi un moyen de faire parvenir au meilleur niveau des élèves issus de milieux défavorisés. Nous continuerons à travailler dans cette direction.

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour la réplique.

M. Jacques Legendre. J’approuve dans une large mesure vos propos, monsieur le ministre, mais je souhaiterais tout de même insister sur la nécessité de déployer de nouvelles classes préparatoires, y compris en zones rurales.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jacques Legendre. On parle souvent du handicap subi par les élèves issus des banlieues, et il est vrai qu’il faut y être attentif, mais je souligne à nouveau que vingt départements ne comptent aucune classe préparatoire. Il est plus difficile, je le sais, de créer des « prépas » que d’organiser des internats d’excellence, mais je crois cet effort nécessaire. C’est un complément à l’action que vous menez, monsieur le ministre, et je compte sur vous.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. Ma question portera sur la carte scolaire, son assouplissement et les résultats aujourd’hui constatés.

Ces dernières années, les inégalités sociales se sont accentuées et, par effet de miroir, la carte scolaire les reflète, les cristallise, conduisant à une concentration des difficultés dans un certain nombre d’établissements scolaires. C’est pourquoi la sectorisation telle qu’elle existait connaissait des dysfonctionnements, avec par exemple les stratégies de contournement utilisées par certaines familles, inquiètes pour l’avenir de leurs enfants.

Devant ce constat, le Gouvernement a fait le choix de l’assouplissement de la sectorisation et de l’autorisation de son contournement, instituant ainsi les inégalités scolaires, ghettoïsant encore plus certains établissements. En effet, il ne suffit pas de « détricoter » l’existant, certes imparfait, pour mettre en place une politique plus juste. Il ne suffit pas non plus de quelques mesures censées aider les plus méritants pour permettre plus d’égalité.

L’enquête PISA de l’OCDE montre clairement que l’écart excessif entre établissements constitue un des éléments les plus défavorables à la performance du système éducatif français. De même, le rapport de la Cour des comptes de novembre 2009 indiquait que l’abandon de la carte scolaire s’est traduit par une plus grande concentration des facteurs d’inégalité dans les collèges classés en zones sensibles. Au nom du libre choix, c’est l’égal accès à l’éducation pour tous les jeunes qui est remis en cause.

Monsieur le ministre, allez-vous poursuivre cette politique de désectorisation de l’école, sacrifiant ainsi de nombreux enfants « captifs » de leur quartier, ou allez-vous mettre en œuvre une politique ambitieuse, dotée des moyens nécessaires pour permettre à tous ces établissements dits « sensibles » de devenir des lieux d’excellence pédagogique pour tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yvon Collin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre. Madame la sénatrice, je ne crois pas que l’on sacrifie les élèves en assouplissant la carte scolaire. Vous-même avez d’ailleurs reconnu les limites d’un système qui a été instauré dans les années soixante. Il était alors considéré comme un outil de régulation nécessaire au regard d’une forte augmentation de la population et de la construction de villes nouvelles ou de quartiers périphériques.

Vous avez raison de dénoncer les effets pervers de pratiques de contournement qui avaient conduit à l’apparition d’un système à deux vitesses. Afin de remédier à cette dérive, nous avons assoupli, depuis 2007, la carte scolaire, en mettant en place des critères de priorité très rigoureux au bénéfice des élèves handicapés, boursiers, faisant l’objet d’une prise en charge médicale, devant suivre un parcours scolaire particulier ou concernés par un rapprochement de fratrie. Au regard de ces critères, deux demandes sur trois ont pu être satisfaites.

Notre objectif est d’aller plus loin, en évitant de retomber dans le phénomène de ghettoïsation qui caractérisait le système précédent. Nous devons donc maintenir les moyens dans les établissements qui pourraient être amenés à perdre des effectifs, de manière à donner aux équipes concernées la possibilité de mettre en place des projets pédagogiques attractifs. Comme je l’ai indiqué devant la commission des finances de votre assemblée, nous envisageons un traitement particulier pour les établissements des réseaux « ambition réussite », qui permettrait de recruter des enseignants sur profil, de mettre en œuvre de véritables projets pédagogiques et d’inciter, y compris financièrement, des enseignants à exercer dans ces établissements.

Nous travaillons donc dans cette direction, en menant une concertation avec les fédérations de parents d’élèves et les syndicats sur le sujet, avec la volonté de ne pas ghettoïser l’école et de remédier aux dérives de la carte scolaire que l’on a pu observer ces dernières années

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour la réplique.

Mme Françoise Cartron. Monsieur le ministre, l’intention est certes louable, mais les faits la contredisent. La désectorisation a ghettoïsé un peu plus certains établissements, comme le montre l’exemple des collèges des réseaux « ambition réussite », qui ont perdu plus de 10 % de leurs meilleurs élèves, pourcentage bien supérieur à celui que l’on observe dans d’autres collèges. Pour l’heure, la volonté que vous affichez n’a pas été suivie d’effet.

Plutôt que d’abolir la carte scolaire, il conviendrait à mon sens d’en redéfinir les contours. Ceux-ci ne sont pas intangibles ; il faut aujourd’hui prendre en considération des mutations de population, afin d’instaurer une véritable mixité sociale dans tous les établissements scolaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Yannick Bodin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.

M. Christian Demuynck. Monsieur le ministre, en présentant, le 14 décembre 2009, les dépenses d’avenir du grand emprunt national, le Président de la République a annoncé la création de 20 000 places d’internats d’excellence dans les prochaines années.

Pour atteindre cet objectif ambitieux, le Gouvernement a dégagé des moyens importants, 500 millions d’euros ayant été réservés au titre de l’égalité des chances et des internats d’excellence.

Ce programme éducatif original, conçu en lien avec la politique de la ville, a été créé dans le cadre de la dynamique Espoir banlieues.

Ces internats d’excellence doivent permettre aux élèves concernés d’être accueillis au titre d’un projet éducatif créant les conditions de la réussite scolaire. Ils offrent ainsi un cursus complet à des jeunes motivés, qui ne bénéficient pas d’un environnement favorable pour réussir leurs études, et favorisent la mixité sociale.

Le premier internat d’excellence a ouvert en Seine-et-Marne, à Sourdun. Ainsi que le Président de la République l’a annoncé en décembre dernier, le Gouvernement s’est engagé à poursuivre dans cette voie. Le bilan de la première étape est plus qu’encourageant : près de 1 600 élèves ont bénéficié de ce dispositif depuis la rentrée de 2009. Les effectifs des internats de réussite éducative ont ainsi plus que doublé en une seule année, et le nombre de places devrait être proche de 4 000 à la rentrée de 2010.

J’espère que la Seine-Saint-Denis, dont je suis élu, pourra elle aussi avoir son internat d’excellence, et ainsi faire émerger de nouvelles élites issues de ses quartiers difficiles.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer la volonté du Gouvernement de s’engager pleinement pour la multiplication de ces internats d’excellence ? Pouvez-vous faire un point d’étape sur la rentrée de 2010 et nous exposer votre feuille de route en ce qui concerne l’utilisation des fonds du grand emprunt destinés à ce dispositif ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, les internats d’excellence constituent effectivement un projet prioritaire pour le Gouvernement. Il s’agit d’un modèle éducatif nouveau, qui vise à renouer avec l’esprit de l’école de la République, en offrant à des jeunes méritants et prometteurs issus de milieux modestes des conditions de travail optimales pour les conduire vers la réussite et l’excellence.

Ces établissements proposent une pédagogie personnalisée. Les enseignants sont recrutés sur profil, et des assistants d’éducation accompagnent les élèves, notamment après la classe, dans leurs devoirs ou dans des activités culturelles et sportives.

Le premier internat d’excellence a ouvert ses portes à Sourdun, à la rentrée dernière, et notre objectif est de créer 20 000 places dans des établissements de ce type, grâce au grand emprunt. Pour ce faire, 200 millions d’euros ont déjà été mobilisés à ce jour, et nous avons décidé d’ouvrir dès la prochaine rentrée onze internats d’excellence répartis sur l’ensemble du territoire. Des élèves originaires de Seine-Saint-Denis sont d’ores et déjà accueillis à l’internat de Sourdun, monsieur Demuynck, et je suis tout à fait disposé à envisager avec vous, pour la rentrée de 2011, la création d’un tel établissement dans votre département.

Ce dispositif me semble de nature à répondre aux préoccupations que vous avez exprimées en matière d’égalité des chances, mesdames, messieurs les sénateurs. Notre volonté est d’offrir le meilleur à des élèves méritants et travailleurs issus de milieux modestes ou défavorisés. L’école de la République doit guider ces élèves prometteurs sur le chemin de la réussite scolaire.

M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck, pour la réplique.

M. Christian Demuynck. Je ne peux que me réjouir de vos propos, monsieur le ministre, s’agissant notamment de l’annonce de la création d’un internat d’excellence en Seine-Saint-Denis à la rentrée de 2011. (M. le ministre sourit.)

Lors des auditions auxquelles a procédé la mission d’information sur la politique en faveur des jeunes mise en place par le président Larcher, il est apparu que les internats d’excellence étaient considérés comme un moyen de permettre à des élèves prometteurs issus de quartiers difficiles de réussir. Leur volonté et leurs capacités ne sont nullement moins grandes que celles des jeunes venant de milieux plus favorisés.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le ministre, les carences de plus en plus criantes de notre enseignement public laïc conditionnent la réussite des élèves à la fréquentation de cours privés. Ce nouvel engouement, inquiétant à bien des égards, entraîne une ségrégation sociale entre les parents qui peuvent payer des cours particuliers à des tarifs prohibitifs et ceux dont les ressources leur permettent au mieux de faire vivre leur famille.

À cela s’ajoute une ségrégation géographique entre les élèves des établissements en difficulté, qui n’ont pas accès aux services de ces organismes de soutien scolaire, et ceux qui fréquentent les collèges des centres-villes, situés à proximité d’établissements d’enseignement privé.

Les élèves qui reçoivent des cours payants accèdent plus facilement aux classes préparatoires, puis aux grandes écoles. Ainsi, 55 % des élèves des classes préparatoires sont des enfants de cadres ou de membres de professions libérales, tandis que 16 % d’entre eux seulement ont des parents ouvriers, inactifs ou employés.

Certes, des mesures ont été prises. Ainsi, un crédit d’impôt a été institué en 2007 pour les familles non imposables : cette disposition constitue en quelque sorte le pendant de la possibilité ouverte aux familles imposables de déduire de leurs impôts 50 % des sommes consacrées à la rémunération brute d’un salarié à domicile.

Le marché du soutien scolaire privé s’élèverait a minima à 800 millions d’euros, et même beaucoup plus si l’on prend en compte le soutien à domicile. Sachant que 50 % de ce montant est remboursé aux familles par le biais de la réduction ou du crédit d’impôt, le soutien scolaire privé coûte donc quelque 400 millions d’euros à l’État. Cette somme suffirait à elle seule à financer les postes d’enseignants qui font tant défaut à l’enseignement public.

M. Jean-Luc Fichet. Cette stratégie d’excellence est injuste et inégalitaire, contraire aux fondements de la République. Un autre choix doit être fait, en utilisant cet argent pour financer des postes d’enseignants et de salariés de l’éducation nationale, mesure qui profiterait à tous les élèves.

Quelles dispositions comptez-vous prendre, monsieur le ministre, pour permettre un juste accès de tous à une éducation de qualité, et mettre fin à l’abonnement presque systématique des milieux ouvriers à l’échec scolaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, j’ai moi-même évoqué les chiffres que vous avez cités lors d’un récent entretien sur l’inégalité des chances dans le système éducatif.

Je ferai tout d’abord observer que le soutien scolaire a toujours existé : nous nous souvenons tous d’enseignants qui donnaient quelques heures de cours particuliers.

M. René-Pierre Signé. Ce n’était pas à la même échelle !

M. Luc Chatel, ministre. Je reconnais que cette activité, hier artisanale, est en quelque sorte passée au stade industriel. La meilleure réponse à cette évolution, c’est le soutien scolaire public, monsieur Fichet.

M. René-Pierre Signé. Pour cela, il faut des enseignants !

M. Luc Chatel, ministre. L’école a décidé d’être son propre recours.

C’est la raison pour laquelle nous avons créé en primaire une aide personnalisée de deux heures par semaine, gratuite, assurée par de vrais professeurs, pour tous les élèves qui rencontrent des difficultés.

De même, nous avons mis en place l’accompagnement éducatif au collège, qui permet de prendre en charge les enfants que leurs parents souhaitent laisser dans l’établissement entre 16 heures et 18 heures. Un tiers de ces élèves bénéficient d’un soutien scolaire dans ce cadre.

Enfin, à la rentrée prochaine, nous allons mettre en place un accompagnement personnalisé de deux heures par semaine au lycée, destiné à tous les élèves et assuré par de vrais professeurs, dans le cadre du temps scolaire. Il s’agit à la fois de permettre aux élèves les plus en difficulté de rattraper leur retard et d’aider les meilleurs à préparer leurs examens et à aller le plus loin possible dans leurs études, conformément à notre souhait de viser l’excellence.

À la question très légitime que vous posez sur le soutien scolaire, monsieur le sénateur, nous apportons donc, depuis maintenant trois ans, une réponse interne au système éducatif public. Telle est la volonté du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.

M. Jean-Luc Fichet. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je crois comme vous qu’il vaut mieux améliorer les conditions d’enseignement au sein de l’école que favoriser le soutien scolaire par le biais de cours privés. Reste que le soutien scolaire au sein de nos établissements est encore tout à fait insuffisant aujourd’hui.

De surcroît, il faut savoir que ce soutien est généralement dispensé en dehors du temps scolaire. Une fois de plus, les enfants des milieux défavorisés ne peuvent en bénéficier, dépendants qu’ils sont des transports scolaires.

Cela étant, je suis satisfait des orientations que vous avez tracées, monsieur le ministre. J’espère que nous pourrons constater dans les mois et années à venir une régression des cours payants, au bénéfice du soutien scolaire dispensé au sein de l’enseignement public.

M. Jacques Legendre. Espérons-le !

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, tous les partis, de droite comme de gauche, se déclarent favorables à la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur.

Or, au cours des dernières décennies, on a constaté une aggravation de la ségrégation selon l’origine sociale pour l’accès à l’enseignement supérieur, cette évolution étant presque parallèle à l’augmentation des frais d’inscription et du coût des études.

On me rétorquera que l’État octroie des bourses, mais c’est une sombre plaisanterie ! En effet, lequel d’entre nous ne connaît des familles qui ne peuvent prétendre à aucune aide, leurs revenus étant à peine supérieurs au plafond, et dont les enfants sont amenés, faute de moyens, à exclure a priori certains choix d’orientation ?

Ainsi, monsieur le ministre, la seule inscription dans une école de commerce coûte de 10 000 à 20 000 euros par an. C’est un véritable scandale ! C’est bien sûr dans cette filière que la ségrégation sociale est la plus forte : toutes les statistiques montrent qu’elle accueille le plus faible pourcentage de jeunes issus de milieux modestes, et ce uniquement pour des raisons financières.

À l’époque où j’ai fait mes études, les grandes écoles scientifiques étaient véritablement gratuites. C’était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les étudiants issus de milieux modestes les choisissaient, plutôt que les écoles de commerce.

On assiste aujourd’hui à une véritable farce : le directeur de Sciences-Po fait de grands discours sur sa volonté d’ouvrir plus largement son établissement aux jeunes issus des quartiers,…

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Masson.

M. Jean Louis Masson. … mais, dans le même temps, il fixe le montant des frais d’inscription à 10 000 euros par an, comme dans les écoles de commerce ! C’est une honte !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Chatel, ministre. Monsieur Masson, ce sujet ne relève pas directement de mon champ de compétence, mais plutôt de celui de Mme Pécresse. Je vais néanmoins vous répondre, au nom du Gouvernement.

Je n’ai pas le sentiment que la politique du Gouvernement en matière de bourses représente une sombre plaisanterie aux yeux des 80 000 boursiers supplémentaires qui entrent chaque année dans l’enseignement supérieur grâce au relèvement du plafond de ressources de 27 000 à 32 000 euros auquel nous avons procédé. J’ajoute que le montant des bourses a connu une augmentation de 6,5 % en trois ans, et même de 13 % pour les 100 000 étudiants les plus défavorisés.

Le Gouvernement a donc vraiment eu la volonté d’améliorer le dispositif. Certes, il reste encore des progrès à accomplir, notamment dans les écoles de commerce, où la proportion de boursiers est actuellement de l’ordre de 20 %, mais l’effort consenti depuis deux ans par ma collègue chargée de l’enseignement supérieur est sans précédent.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique.

M. Jean Louis Masson. La question que j’ai soulevée est celle non pas des bourses, monsieur le ministre, mais du niveau scandaleux des frais d’inscription dans certaines filières.

Voilà trente ou quarante ans, notre pays était exemplaire en la matière, car un jeune pouvait faire des études supérieures presque gratuitement. Aujourd’hui, cela coûte de plus en plus cher ! Il est honteux de cautionner les pratiques de Sciences-Po !

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques.

Au nom du Sénat, je voudrais remercier M. le ministre de sa participation.

7

Candidatures à une mission commune d'information

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-cinq membres de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été affichées.

Elles seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures, sous la présidence de Mme Monique Papon.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

8

Débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur l’encadrement juridique de la vidéosurveillance, organisé à la demande de la commission des lois.

La parole est à M. Jean-Patrick Courtois, au nom de la commission des lois.

M. Jean-Patrick Courtois, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a décidé, le 16 avril 2008, la création d’un groupe de travail sur la vidéosurveillance, composé de notre collègue Charles Gautier et de moi-même.

De nombreux déplacements et auditions ont nourri notre réflexion sur le régime juridique et sur la pertinence de la vidéosurveillance, au moment où celle-ci commençait à connaître un développement accéléré.

Avant de vous présenter quelques-unes des conclusions auxquelles nous avons été conduits à l’issue de ces travaux, il me paraît important de faire un bref état des lieux de l’utilisation de cette technologie.

Il est clair que si la vidéosurveillance fait toujours l’objet de débats, ceux-ci ont quelque peu changé de nature.

En effet, lors de la mise en place des premiers systèmes, au cours des années quatre-vingts, puis lorsque certaines communes ont décidé d’utiliser cet instrument pour surveiller la voie publique afin de lutter contre la délinquance, les débats ont été vifs : cette technologie ne menaçait-elle pas les libertés individuelles et collectives, en particulier la vie privée et la liberté d’aller et venir ? N’allait-on pas vers une société de surveillance généralisée, au point de donner vie, à peu près à la date imaginée par son créateur, au fameux Big Brother ?

Plusieurs éléments ont cependant contribué à apaiser ces craintes, au moins en partie. Est tout d’abord intervenue la création d’un cadre juridique spécifique, par la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité de 1995, qui instaure un régime d’autorisation préfectorale de la vidéosurveillance sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public. Parallèlement, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, est compétente pour les lieux privés et lorsque les enregistrements sont utilisés dans un traitement automatisé.

Le fonctionnement et l’usage concrets des systèmes de vidéosurveillance ont également quelque peu rassuré. Ainsi, nous avons demandé aux personnes entendues lors de nos travaux si elles avaient eu connaissance de dérapages ou d’utilisations abusives de la vidéosurveillance, qui auraient en particulier porté atteinte au respect de la vie privée. Or, aucune utilisation manifestement abusive ne semble avoir été constatée dans les espaces publics.

Ainsi, la vidéosurveillance est aujourd’hui une pratique assez largement acceptée par nos concitoyens et mise en œuvre par des élus locaux de tous bords.

Fort de ce constat, l’État a décidé de s’impliquer davantage aux côtés des collectivités pour la développer dans les espaces publics. Il a ainsi prescrit des normes techniques minimales pour homogénéiser les systèmes et rendu possible le report des images vers les services de police et de gendarmerie.

Ces ajustements législatifs, qui n’ont toutefois pas modifié le cadre légal général de la vidéosurveillance dans les espaces publics, ont été suivis d’un engagement financier et politique en faveur de cette technologie : lancement, à l’été 2007, d’un plan national de développement de la vidéoprotection, avec comme objectif de passer de 20 000 à 60 000 caméras surveillant la voie publique en deux ans ; création sur l’initiative du ministre de l’intérieur d’une commission nationale de la vidéosurveillance en novembre 2007 ; mise en place d’un comité de pilotage stratégique chargé de concevoir et de promouvoir de nouvelles mesures.

Le Président de la République, quant à lui, a accéléré en 2009 la mise en place du plan national de la vidéoprotection. Aux projets financés chaque année sur les crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance s’ajoute ainsi en 2009 et en 2010 un programme comprenant notamment la mise en place de systèmes municipaux « types » de vidéosurveillance urbaine qui tirent les leçons de certains échecs passés, en prévoyant une densité de caméras significative, l’existence d’un centre de supervision urbain et son raccordement aux forces de l’ordre.

Enfin, le plan « 1 000 caméras » a été adopté à Paris. Issu d’une collaboration entre la préfecture de police et la mairie de Paris, il prévoit la mise en place de plus de 1 200 nouvelles caméras en plus des quelque 300 déjà présentes.

Au total, on comptait en 2007 environ 340 000 caméras autorisées dans les espaces publics au titre de la loi de 1995, ce nombre étant bien sûr aujourd’hui très largement dépassé. La grande majorité d’entre elles sont installées dans des établissements privés recevant du public, le reste dans les transports et sur la voie publique.

Cette implication accrue de l’État ne doit cependant pas occulter les nombreuses questions qui se posent encore et que nos travaux ont permis de soulever.

D’abord, le débat sur la conciliation de la vidéosurveillance avec les libertés individuelles n’est pas clos. Au contraire, l’émergence de formes plus évoluées de cette technologie le rend peut-être plus nécessaire qu’auparavant. Aux caméras défaillantes et aux images floues des premiers temps ont en effet succédé des systèmes plus performants, en attendant la vidéosurveillance dite « intelligente », capable de détecter dans une foule des mouvements ou des sons anormaux. La biométrie, c’est-à-dire au premier chef la reconnaissance faciale, est également en cours d’expérimentation.

En outre, les usages de la vidéosurveillance se diversifient : de plus en plus de véhicules des forces de l’ordre sont équipés de caméras embarquées, afin notamment de fournir à l’autorité judiciaire des précisions sur les conditions des interpellations. (M. René-Pierre Signé s’exclame.) La mise en œuvre du système de lecture automatisée de plaques d’immatriculation, dite LAPI, automatisé et couplé à des traitements informatiques, est un autre exemple de cette diversification.

Face à ces évolutions, le Conseil constitutionnel a récemment rappelé, au travers de sa décision du 25 février 2010 sur la loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public, que le législateur ne pouvait créer de nouveaux usages en matière de vidéosurveillance sans prévoir les garanties nécessaires à la protection de la vie privée.

Parallèlement au débat sur les libertés, celui sur l’efficacité de la vidéosurveillance se poursuit. À cet égard, l’expérience anglaise doit nous servir d’avertissement, car elle révèle les quatre erreurs à ne pas commettre : prévoir une phase de conception trop courte ; installer des caméras ne fournissant que des images de mauvaise qualité ; ne pas former les policiers et les gendarmes à l’utilisation de ces images ; enfin et surtout, ne pas permettre aux forces de sécurité d’exploiter suffisamment les images à des fins d’investigation et à l’autorité judiciaire de les utiliser comme preuve au procès pénal.

Nous avons cependant pu constater que certaines collectivités essayaient déjà d’éviter ces écueils et visaient d’emblée la qualité. Nous avons ainsi été frappés par l’expérience de la communauté d’agglomération de la vallée de Montmorency, qui a mis en place un système de vidéosurveillance à l’échelle intercommunale, au terme d’une réflexion de quatre ans menée dans le cadre du conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance.

Après ce rapide état des lieux de la vidéosurveillance, j’en viens maintenant au cadre juridique.

Il résulte de nos travaux que ce cadre ne permet plus de satisfaire à la double exigence d’efficacité et de préservation des libertés publiques que j’ai évoquée.

Les problèmes sont multiples : il existe des conflits de compétence non tranchés entre la CNIL et les préfets, selon le lieu et la technologie utilisée ; le contrôle n’est pas homogène sur le territoire national et les nouvelles utilisations de la vidéosurveillance sont mal prises en compte par les textes, qui n’autorisent pas la souplesse nécessaire, en particulier pour les petites communes qui souhaitent développer des systèmes d’ampleur limitée ou temporaires.

C’est pourquoi, en suivant pour l’essentiel les conclusions de notre rapport, mais en m’en éloignant quelque peu sur un point, car ma réflexion a évolué depuis sa publication voilà déjà plus d’un an, j’aimerais suggérer une évolution de ce cadre vers un dispositif à trois niveaux : réflexion et conception, autorisation, contrôle. Chacun de ces niveaux impliquerait une autorité différente, de manière à assurer un équilibre favorable à la préservation des libertés.

En premier lieu, le développement de l’expertise sur les caractéristiques techniques et sur les bonnes pratiques en matière de vidéosurveillance, l’évaluation de la performance des technologies existantes et à venir sont indispensables pour améliorer l’efficacité de cet outil dans la lutte contre la délinquance.

Ce rôle pourrait être tenu par une commission nationale de la vidéosurveillance renforcée, qui l’exercerait au bénéfice de l’État, des collectivités et des entreprises. Cette commission participerait ainsi notamment à l’actualisation des normes techniques en la matière.

En deuxième lieu, l’autorisation des systèmes de vidéosurveillance resterait une compétence de l’État, exercée au travers de ses préfets. Sur ce point, il n’y aurait donc pas d’évolution par rapport au droit actuel.

En troisième lieu, et je développerai un peu plus longuement ce point, le contrôle des dispositifs de vidéosurveillance de la voie publique et des lieux ouverts au public pourrait être confié à la CNIL, qui l’exerce déjà pour les lieux privés et pour les dispositifs combinés à des traitements automatisés de données. En effet, tout le monde s’accorde à reconnaître que le contrôle aujourd’hui exercé par les commissions départementales de vidéosurveillance est à la fois insuffisant et morcelé, notamment du fait de la non-permanence de ces commissions et de leur manque d’expertise technique.

L’attribution de cette fonction de contrôle à la CNIL serait de nature à améliorer considérablement la situation. En effet, comme nous l’avons souligné dans notre rapport, la technicité de la matière requiert des contrôleurs professionnels, crédibles face aux responsables des systèmes, aux collectivités et aux entreprises. La CNIL dispose de la compétence et de l’expérience nécessaires pour avoir cette crédibilité.

En outre, elle jouit d’une certaine notoriété et sa visibilité est susceptible d’inciter les personnes constatant des abus à les signaler davantage. La CNIL est d’ailleurs déjà souvent saisie de demandes émanant de personnes qui ne savent pas nécessairement – peut-on le leur reprocher ? – que le contrôle de la vidéosurveillance varie selon les lieux, ouverts au public ou privés, dans lesquels les systèmes sont installés, et selon la technologie mise en œuvre.

Cette option préserverait également les deniers publics. En effet, la CNIL pourra, lors d’une même opération de contrôle et sans augmentation significative de ses coûts de fonctionnement, vérifier la licéité des traitements de données à caractère personnel et contrôler la conformité des systèmes de vidéosurveillance aux arrêtés préfectoraux les autorisant. Elle ferait ensuite parvenir au préfet et au responsable du système, c’est-à-dire souvent au maire, un rapport faisant état des résultats de ce contrôle et pourrait demander au préfet la suspension ou même la suppression d’un système non conforme à l’autorisation de création. De plus, les maires pourraient solliciter directement la CNIL afin de faire valider leur système de vidéosurveillance. La commission interviendrait alors dans un esprit de conseil et de prévention, et non de répression.

Par ailleurs, la CNIL pourrait s’appuyer, dans l’exercice de cette nouvelle mission, sur le réseau des correspondants informatique et libertés au sein des entreprises et des collectivités locales, correspondants dont la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, récemment adoptée par la Haute Assemblée, tend d’ailleurs à généraliser la présence dans les grandes organisations.

Ainsi, pourquoi confier à une nouvelle instance le rôle de préserver les libertés publiques en matière de vidéosurveillance, alors qu’une autorité administrative indépendante qui existe déjà et fonctionne très bien en a parfaitement la capacité ?

D’autres évolutions préconisées par notre rapport concernent la souplesse de mise en place et d’utilisation de la vidéosurveillance.

Afin de faciliter l’adaptation des systèmes dans le temps, il serait ainsi préférable, plutôt que de délivrer une autorisation pour chaque caméra installée, de pouvoir délimiter des zones vidéosurveillées, à l’intérieur desquelles le responsable du système pourra déplacer librement des caméras et en moduler le nombre dans la limite d’un plafond, après simple notification au préfet. En effet, il n’est pas raisonnable que la moindre modification du mobilier urbain rendant nécessaire de déplacer une caméra de quelques mètres oblige le maire à demander une nouvelle autorisation. Dans ce domaine, le décret du 22 janvier 2009 représente une avancée, mais il faut aller encore plus loin.

Dans le même esprit, nous avons pu constater l’excessive lourdeur de la procédure d’autorisation, qui était la même pour une petite mairie souhaitant installer quelques caméras et pour une agglomération mettant en place un réseau complet de vidéosurveillance exploité en temps réel. Là encore, les avancées du décret du 22 janvier 2009 semblent insuffisantes.

Une plus grande souplesse est également nécessaire pour que les élus locaux puissent assurer la sécurité lors des manifestations sportives ou d’autres rassemblements de grande ampleur. Pourquoi ne pas créer une autorisation permanente d’installer des caméras sur un site défini, chaque fois que la nécessité s’en fera sentir et seulement pour la durée de la manifestation, de sorte que les démarches administratives soient faites une fois pour toutes ?

En contrepartie de cette souplesse accrue, les zones de vidéosurveillance devraient être plus clairement signalées au public. Dans un esprit de transparence, un compte rendu du fonctionnement des systèmes de vidéosurveillance pourrait figurer parmi les annexes au budget primitif ou, plus exactement, au compte administratif de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale, au même titre, par exemple, que la liste des délégataires de service public. Ce compte rendu serait publié.

J’espère, mes chers collègues, que ces quelques propositions pourront contribuer à alimenter nos débats lors de l’examen, dans quelques semaines, du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, ou LOPPSI. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles Gautier, au nom de la commission des lois.

M. Charles Gautier, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour débattre de l’encadrement juridique de la vidéosurveillance. Ce débat a lieu, je tiens à le préciser, à la demande de la commission des lois du Sénat et fait suite au rapport que Jean-Patrick Courtois et moi-même avons présenté en décembre 2008.

Je tiens à saluer, à cet instant, le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, qui, sur la question de la vidéosurveillance, a toujours fait preuve d’une grande ouverture d’esprit. Je profite également de cette occasion pour remercier les membres de la commission, qui ont adopté notre rapport à l’unanimité. Ce fait a son importance, car, voilà quelques années encore, les débats sur cette question étaient particulièrement passionnés. Ils opposaient les « anti » et les « pro », chacun restant sourd aux arguments des autres. Il semble aujourd’hui que nous sortions de cette confrontation stérile. C’est donc l’occasion pour le législateur de se poser la seule question qui compte : celle de l’encadrement juridique de la vidéosurveillance.

Le groupe socialiste est particulièrement attaché aux garanties fondamentales, ainsi qu’à la mise à la disposition des élus locaux d’instruments nouveaux pour assurer une plus grande sécurité à nos concitoyens. La vidéosurveillance peut être au nombre de ces instruments. Loin d’être l’équipement magique qui résoudrait tous les problèmes de sécurité, il doit être envisagé comme un outil parmi tant d’autres au service des élus et de la sécurité des Français.

Contrairement à ce que d’aucuns affirment, la prévention ne peut se limiter à la vidéosurveillance. Celle-ci n’est qu’un moyen : elle ne peut pas remplacer tous les acteurs, et elle ne peut pas tout. C’est pourquoi je milite pour que le Fonds interministériel de prévention de la délinquance ne se limite pas au financement de la mise en place de systèmes de vidéosurveillance dans les communes. Je n’ai pas le temps de revenir en détail sur le sujet, mais j’ai déjà plusieurs fois souligné le désengagement de l’État du financement des politiques de sécurité publique, au détriment des finances locales.

Revenons donc à notre rapport.

La vidéosurveillance doit être considérée comme un instrument à la disposition des élus dans le cadre d’une politique publique de sécurité et de prévention de la délinquance. Comme pour tout instrument, des dérives sont possibles. Il est donc important d’en encadrer l’usage. C’est là, précisément, l’objet de la grande majorité des préconisations formulées dans le rapport. Sans vous livrer un inventaire à la Prévert, je voudrais insister sur celles qui me semblent essentielles.

Notre première recommandation, la plus importante à mes yeux, est de confier le contrôle a priori et a posteriori de la vidéosurveillance à la CNIL. Nous souhaitons qu’une seule et même autorité soit compétente à la fois pour les autorisations et pour le contrôle des systèmes de vidéosurveillance. On nous oppose parfois le criant manque de moyens dont souffre la CNIL, mais nous insistons, précisément, pour que ces compétences supplémentaires s’accompagnent des moyens nécessaires. Cette solution serait de toute façon moins coûteuse que la création d’une autorité ad hoc, à laquelle il faudrait aussi accorder des moyens !

Notre deuxième recommandation est de ne pas filmer des individus en catimini : la vidéosurveillance ne doit être ni du voyeurisme ni du flicage. Il nous est apparu essentiel que les citoyens soient informés. Les sites aujourd’hui placés sous vidéosurveillance ou appelés à l’être doivent donc être mieux signalés au public susceptible d’y être filmé. C’est une condition primordiale et un facteur de prévention : nos concitoyens ne doivent pas être filmés à leur insu.

Troisième recommandation, il convient de conserver le caractère public de la vidéosurveillance. Nous voulons empêcher que tant sa gestion que son contrôle puissent être un jour délégués à des prestataires privés. Le caractère public de la vidéosurveillance permet aux autorités publiques de conserver la maîtrise, et donc le contrôle, des systèmes et de leur utilisation, ainsi que des données. Nous serons particulièrement vigilants sur ce point lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dont le texte, dans certaines de ses versions, semblait aller à l’encontre de cette exigence.

Notre quatrième recommandation découle de la précédente, puisque nous demandons que soit améliorée la formation des personnels qui visionnent les images. Ces opérateurs devraient en outre être assermentés : cela permettrait à la fois de leur conférer un rôle plus central dans les politiques de sécurité et de mieux garantir les droits des citoyens, par un contrôle de la Commission nationale de déontologie de la sécurité – ou de ce qu’il en restera dans quelques mois… Le Centre national de la fonction publique territoriale peut parfaitement remplir ce rôle de formation.

Enfin, je voudrais insister sur notre sixième recommandation : qu’il soit fait un usage raisonné de la vidéosurveillance, en visant la qualité des systèmes plutôt que la quantité de caméras. Cette préconisation nous a paru s’imposer, notamment à la suite de notre visite à Londres et des critiques qui ont pu être émises à l’encontre du système londonien. Trop d’images tuent l’image, et les images ne servent à rien si, faute de moyens, elles ne peuvent ensuite être exploitées.

Mme Alliot-Marie, lorsqu’elle était ministre de l’intérieur, a mis l’accent à de nombreuses reprises sur l’importance toute particulière que le Gouvernement accordait à la vidéosurveillance comme outil d’une politique de prévention de la délinquance. En octobre 2007, elle annonçait le triplement du nombre de caméras en deux ans. Le projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure a été examiné par l’Assemblée nationale voilà maintenant quelques mois. Sa discussion par le Sénat est annoncée, mais aucune date n’a encore été fixée.

En octobre 2009, M. le Premier ministre a présenté le plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes. La vidéosurveillance y est décrite comme un outil essentiel de la politique du Gouvernement en la matière.

Or, notre rapport d’information sur l’encadrement juridique de la vidéosurveillance – adopté, je le rappelle, à l’unanimité de la commission des lois du Sénat – a montré la profonde complexité et l’alarmante désuétude des règles applicables à la mise en place et au contrôle des systèmes de vidéosurveillance. À l’heure de la maturité de cet outil technologique et des systèmes de reconnaissance faciale, notre rapport a mis en évidence que le régime juridique actuel de la vidéosurveillance est dépassé. Les onze recommandations qu’il contient permettraient d’améliorer le contrôle et l’information du public, mais aussi l’efficacité même des systèmes. Constatant la volonté du Gouvernement de multiplier les systèmes de vidéosurveillance, je souhaite vivement connaître ses intentions quant à la nécessaire réforme de la législation applicable en ce domaine.

Il me paraît tout à fait essentiel – et je doute que mon collègue Jean-Patrick Courtois me contredise – que le Parlement ne fasse pas l’impasse sur cette question lors du débat sur la LOPPSI. Il y va de la garantie de certaines des libertés fondamentales de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alex Türk.

M. Alex Türk. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est effectivement nécessaire de mener rapidement une réflexion sur la vidéosurveillance, car l’utilisation de cette technique connaît un développement massif, qui s’opère sur un terrain juridique complexe. En outre, la vidéosurveillance, de plus en plus fréquemment couplée à d’autres technologies, s’insère aujourd’hui dans des dispositifs d’aménagement de l’espace et du cadre de vie. Tout cela doit donc être bien encadré sur le plan législatif.

Avec l’indépendance et le professionnalisme qui la caractérisent, la CNIL est en mesure d’assurer sans délai une harmonisation du contrôle a posteriori. Pour qu’elle puisse intervenir a priori, comme cela a été évoqué, il conviendrait d’accroître considérablement les moyens dont elle dispose. Je rappelle que les contrôleurs de la CNIL sont habilités par le Premier ministre.

Il s’agirait donc d’harmoniser l’ensemble de la politique de contrôle visant à vérifier que la loi est respectée sur le terrain. La CNIL pourrait établir un rapport annuel spécial, dans lequel elle formulerait des préconisations à l’adresse du ministre de l’intérieur, des préfets et des maires. Cela me paraît tout à fait envisageable. Il est essentiel de bien distinguer l’activité de contrôle exercée au regard de la garantie des libertés individuelles de l’analyse de la performance et de l’efficacité des systèmes.

Par ailleurs, à l’instar de nos collègues Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier, je considère, en tant que sénateur, qu’il ne serait pas raisonnable de créer de toutes pièces une autorité de contrôle pour remplir une mission que la CNIL serait très rapidement en mesure d’assumer pour peu que l’on développe son service des contrôles.

Selon un sondage réalisé voilà quelque temps, 71 % des Français sont favorables à la vidéosurveillance et 79 % d’entre eux considèrent qu’y recourir doit permettre d’améliorer le niveau de sécurité collective tout en garantissant la protection des libertés individuelles. À cet égard, les propos tenus par MM. Courtois et Gautier vont tout à fait dans le bon sens. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà une dizaine de jours, cinq pompiers catalans ont été jetés en pâture aux téléspectateurs. Filmés à leur insu dans un supermarché, ils ont été présentés comme des terroristes de l’ETA, membres du commando responsable d’une fusillade ayant coûté la vie à un brigadier français.

Cet exemple édifiant des méfaits de la vidéosurveillance nous oblige à le rappeler : la vidéosurveillance est liberticide. (M. le ministre s’exclame.) Elle porte atteinte à la présomption d’innocence, comme à bien d’autres droits fondamentaux, qu’il s’agisse de la liberté d’aller et venir ou du droit au respect de la vie privée. En outre, elle est inefficace.

Cependant, comme le dénonçait, en juillet dernier, le Syndicat national de la magistrature, le Gouvernement refuse de prendre acte de l’inefficacité de l’arsenal répressif qu’il a mis en place. Au contraire, il encourage davantage encore l’installation de ces dispositifs dans le cadre du plan de développement de la vidéosurveillance, dont l’objectif est de faire passer de 20 000 à 60 000 le nombre de caméras installées d’ici à la fin de l’année 2011.

Pourtant, aucune étude sérieuse n’a, pour l’heure, pu démontrer l’efficacité de ces dispositifs. Au contraire, une récente étude britannique a souligné les limites de la vidéosurveillance : malgré la multiplication du nombre des caméras – on en compte 90 000 sur l’ensemble du territoire du Royaume-Uni –, celles-ci n’ont, à long terme, aucun effet dissuasif, et 80 % des images sont inutilisables ; de plus, les caméras installées à Londres n’ont permis de résoudre que 3 % des affaires de vol. Un responsable de Scotland Yard a même conclu à un « véritable fiasco » d’une politique sécuritaire qui a mobilisé des millions de livres sterling.

Quant à l’étude française sur laquelle vous vous fondez, monsieur le ministre, et qui paraît plaider en faveur de la vidéosurveillance, force est de constater que de nombreux experts, notamment ceux de l’Institut national des hautes études de sécurité, en contestent la pertinence. Vous avez d’ailleurs vous-même fini par concéder que le nombre des actes de délinquance avait cessé de diminuer, malgré le nombre croissant de sites surveillés.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Pas du tout !

Mme Éliane Assassi. Néanmoins, malgré ce constat et le danger potentiel que représente la vidéosurveillance, les Français semblent favorables à ce dispositif.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Eh oui ! Alors que fait-on ?

Mme Éliane Assassi. Comme le rappelle régulièrement le Gouvernement, un sondage de mars 2008 confié par la CNIL à IPSOS a ainsi montré que 71 % des personnes interrogées étaient favorables à la présence de caméras de vidéosurveillance dans les lieux publics et que 65 % d’entre elles estimaient que la multiplication du nombre des caméras permettra de lutter efficacement contre la délinquance et le terrorisme.

Cependant, ces chiffres perdent tout leur sens si l’on omet de préciser que 79 % des sondés considèrent que les dispositifs de vidéosurveillance doivent être placés sous le contrôle d’un organisme indépendant. Si les Français sont soucieux de leur sécurité, ils le sont donc encore plus, avec raison, des garanties offertes par l’encadrement juridique des systèmes de vidéosurveillance.

Face aux objectifs du Gouvernement, qui entend voir tripler le nombre de caméras installées sur le territoire d’ici à un an, nous dénonçons l’absence de garanties suffisantes offertes par l’encadrement juridique actuel des dispositifs de vidéosurveillance.

Les carences de cet encadrement juridique ont d’ailleurs été parfaitement mises en lumière par le rapport d’information de nos collègues Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier ; trois d’entre elles méritent d’être soulignées.

La première concerne le manque de clarté. Suivant les lieux – publics ou privés – et les technologies utilisées –analogiques ou numériques –, les systèmes de vidéosurveillance relèvent soit du régime prévu par la loi Informatique et libertés de 1978, soit du régime mis en place par la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité. Or, l’autorité chargée du contrôle de ces systèmes varie en fonction de la loi applicable.

En effet, le contrôle relève de la CNIL lorsqu’il s’agit d’un système soumis aux dispositions de la loi de 1978 et de commissions départementales lorsqu’il relève de la loi de 1995. Les citoyens s’y perdent et ne savent plus vers quelle autorité de contrôle se tourner. La multiplicité des plaintes et des demandes adressées à la CNIL concernant des systèmes pour lesquels elle n’est pas compétente en atteste.

Dès lors, peut-on raisonnablement considérer que le respect des libertés fondamentales est assuré quand l’autorité chargée de les garantir est difficilement identifiable ? Pour notre part, nous ne le pensons pas.

Une deuxième faiblesse du régime juridique de la vidéosurveillance réside dans l’inadéquation des mécanismes de contrôle prévus par la loi de 1995.

Par cette loi, sont confiés à des commissions départementales le contrôle des demandes d’autorisation d’installation de systèmes de vidéosurveillance sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public et celui des installations déjà en place. Or, les décisions prises par ces commissions ne sont harmonisées par aucune autorité nationale et souffrent d’un défaut de publicité. Elles sont donc sans cohérence d’un département à l’autre et n’ont aucun caractère dissuasif puisqu’elles ne sont pas portées à la connaissance du public. Elles n’offrent ainsi aux citoyens aucune des garanties qu’ils sont en droit d’exiger.

La troisième faiblesse du régime juridique de la vidéosurveillance tient à son obsolescence.

À l’heure actuelle, on assiste, par exemple, à un développement massif de dispositifs mobiles ou provisoires de vidéosurveillance. Il est ainsi prévu que la police et la gendarmerie se dotent, dans les prochaines années, de systèmes de vidéosurveillance mobiles destinés à équiper leurs véhicules ou leurs agents. Or, le régime juridique actuel de la vidéosurveillance ne comporte aucune disposition permettant d’informer le public de la présence de ces systèmes et de l’identité de leur responsable. L’encadrement juridique de la vidéosurveillance doit être réformé pour garantir le respect des droits fondamentaux des citoyens.

Cependant, aucune des modifications envisagées qui nous ont été soumises jusqu’à présent ne vont dans le sens d’un renforcement des garanties nécessaires.

Il suffit, pour s’en convaincre, d’évoquer les dispositions de l’article 5 de la proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public. Ces dispositions modifiaient le régime de la vidéosurveillance en permettant la transmission aux services de police et de gendarmerie nationale, ainsi qu’à la police municipale, d’images captées par des systèmes de vidéosurveillance dans des parties non ouvertes au public d’immeubles d’habitation. Clairement attentatoires aux libertés, ces dispositions ont heureusement été censurées par le Conseil constitutionnel en février dernier.

De la même façon, les modifications à venir ne permettent pas d’être optimistes. On peut d’ores et déjà entrevoir les limites et les dangers des changements que vise à apporter la LOPPSI II, dont nous aurons à débattre prochainement.

En effet, avec ce texte, « le Gouvernement réaffirme sa volonté de favoriser le développement massif de la vidéosurveillance comme outil de lutte contre la délinquance », au détriment du tissu associatif et des actions ayant des fins éducatives ou médicosociales.

La réforme envisagée pose trois problèmes majeurs.

En premier lieu, l’idée qui la sous-tend est d’accroître encore la surveillance visuelle des espaces publics, en la déléguant aux personnes privées. Les dangers d’une telle délégation avaient pourtant été soulignés dans le rapport d’information de 2008.

En effet, grâce à un tel système, également dénoncé par le Syndicat national de la magistrature, « les citoyens, déjà étroitement cernés par les caméras déployées à grand frais par la puissance publique, verront leurs faits et gestes épiés par les sociétés privées, au nom de la “protection” de celles-ci ».

En deuxième lieu, le projet de loi n’apporte aucune clarification sur le régime juridique de la vidéosurveillance et ne prévoit pas de confier à une autorité réellement indépendante le contrôle des violations.

Il est prévu que perdure la concurrence des régimes édictés par les lois de 1978 et de 1995, que j’ai dénoncée tout à l'heure. En outre, le projet de loi confie le contrôle des systèmes de vidéosurveillance à la Commission nationale de vidéoprotection, directement rattachée au ministre de l’intérieur, qui pourrait donc devenir juge et partie… L’attribution de la mission de contrôle à la CNIL, que le rapport d’information appelait de ses vœux et que la CNIL espérait pour garantir l’indépendance de ce contrôle, a donc été écartée.

En dernier lieu, le projet de loi reste silencieux sur les nouvelles technologies, telles que la vidéo-intelligence et la biométrie, et muet sur le croisement des méthodes de surveillance et des données collectées. Pourtant, le recours à ces nouvelles technologies est potentiellement, lui aussi, extrêmement attentatoire aux libertés.

À l’instar de nos collègues Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier, nous nous joignons à la CNIL, qui, en février dernier, réitérait « son souhait de voir le régime juridique de la vidéosurveillance revu et harmonisé de façon à assurer un contrôle véritablement indépendant de ces dispositifs, contrôle placé sous son égide ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la vidéosurveillance, qui fait l’objet de l’excellent rapport d’information de nos collègues Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier, n’est pas véritablement une nouveauté. Elle est en effet connue depuis des décennies, plus précisément depuis 1942, année où l’Allemagne hitlérienne la mit au point pour observer le lancement des célèbres fusées V-2.

En revanche, sa généralisation plus ou moins systématique constitue une innovation, ce qui ne peut qu’attirer l’attention du législateur, généralement placé sous les feux croisés de ceux pour qui, en matière de sécurité, la vidéosurveillance est la panacée, et des détracteurs de ces dispositifs, qui leur reprochent, parfois à juste titre, leur inefficacité, leur coût et les atteintes à la vie privée que leur utilisation est susceptible d’induire.

C’est dire si cette question compte parmi les plus complexes qui se posent aujourd’hui à notre société. Aussi tenterai-je d’éviter les partis pris et chercherai-je à comprendre comment, en une trentaine d’années, on est passé d’un système de protection de certains lieux très spécifiques relevant, par exemple, du monde assez clos de la haute joaillerie ou des grands musées de la planète, à la surveillance de lieux publics entiers où, à toute heure, déambulent des foules.

Contrairement à d’autres pays, la France a réglementairement défini l’encadrement de la vidéosurveillance dans les lieux publics en 1995. Cette question revêt une importance certaine à l’heure où l’État ne se contente plus de contrôler a priori les demandes d’installation de dispositifs de vidéosurveillance, mais encourage directement à mettre en place de tels équipements, en particulier par l’attribution d’aides financières au titre du FIPD, le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, et en facilitant l’octroi des autorisations.

Les professionnels reconnaissent installer chaque année entre 25 000 et 30 000 nouveaux systèmes de vidéosurveillance. À la fin de 2007, le nombre de caméras autorisées sur la voie publique était estimé à 340 000, l’objectif clairement affiché étant de parvenir à tripler ce chiffre d’ici à l’année 2010, en répartissant les équipements dans les aéroports, les gares, autour des routes et dans les transports publics. C’est beaucoup – beaucoup trop si ce n’est pas utile !

Au reste, le décret du 22 janvier 2009 modifiant le décret initial de 1996 n’a-t-il pas créé des conditions propices à un traitement plus rapide des dossiers et, ainsi, à un tel essor ? Il est évident que le Gouvernement a choisi d’accélérer le rythme d’installation des caméras, mais a-t-il réalisé des études pour déterminer si cela est vraiment utile ?

Selon les partisans de la vidéosurveillance, ce système permet, en principe, de prévenir efficacement la criminalité. Je dis bien « en principe », car, en Grande-Bretagne par exemple, où la vidéosurveillance est très développée – plus qu’en France en tout cas ! –, on s’est très rapidement heurté au manque de personnel pour analyser les images collectées. Les surcoûts importants qui en ont résulté ont conduit Scotland Yard à parler, en 2008, d’un « utter fiasco », c’est-à-dire d’un échec complet !

Ainsi, alors que la Grande-Bretagne a investi des sommes fabuleuses pour s’équiper du plus vaste système de surveillance d’Europe, 3 % seulement des délits seraient résolus à l’aide des caméras de surveillance.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est déjà pas mal, d’autant que ce n’est pas fait pour cela !

Mme Anne-Marie Escoffier. Cela devrait nous engager à être prudents pour l’avenir et à faire en sorte que la vidéosurveillance joue un rôle véritable dans la lutte contre le terrorisme, la criminalité ou la délinquance, mais qu’elle ne soit pas un alibi rassurant la population, sans effet direct.

Avec 500 000 caméras, Londres est la capitale la mieux pourvue au monde, mais pas la plus sûre. En effet, la vidéosurveillance est rapidement détectée et sa présence ne fait souvent que déplacer les délits vers des zones non surveillées, où il faut alors envoyer patrouiller des policiers, ce qui est toujours plus efficace. En outre, la vidéosurveillance n’a pas d’effet dissuasif sur les comportements impulsifs, tels ceux qui sont provoqués par l’alcool.

Si cet outil est d’une grande utilité durant les phases d’enquête, notamment dans les lieux clos- les parkings, les centres commerciaux ou encore les commerces -, il est peu probant dans l’identification ou le suivi des délinquants qui opèrent dans des espaces étendus et complexes, comme les voleurs à la tire et les violeurs en série.

À ce titre, je crois utile de rappeler qu’il n’existe à ce jour en France qu’un seul rapport sur l’efficacité de la vidéoprotection. Il a été réalisé par votre ministère en juillet 2009, monsieur le ministre. Cela n’est pas suffisant pour généraliser l’usage de la vidéoprotection.

Ensuite, au coût de 15 000 euros en moyenne par caméra, il faut ajouter l’embauche des personnels chargés de regarder les écrans de contrôle en permanence. Ils sont, dit-on, 30 000 pour les 40 000 caméras dont le déploiement est prévu d’ici à 2011. Au mois d’octobre 2009, cela a conduit le gouvernement britannique à proposer aux citoyens de visionner chez eux les flux d’images de la vidéosurveillance, avec l’attribution d’une prime au meilleur « visionneur »…

Ce projet, qui incite au voyeurisme, est critiqué par beaucoup comme étant malsain et attentatoire. Si besoin était, cela montre que l’utilisation de la vidéosurveillance pose donc naturellement la question de l’éthique. C’est ce que fait régulièrement remarquer l’association Souriez, vous êtes filmés, en dénonçant, à juste titre, l’usage abusif des caméras, et posant ainsi un certain nombre de questions quant à l’intégrité physique et morale des personnes filmées, leur information sur ces images, le droit d’accès et la conservation de ces mêmes images, ainsi que les recours possibles en cas de difficultés d’accès auprès des commissions départementales de vidéosurveillance, lesquelles, le plus souvent, ont du mal à répondre aux demandes compte tenu de l’insuffisance de leurs moyens, humains et financiers.

Un certain nombre de textes sont actuellement en cours d’examen, en particulier le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit « LOPPSI », qui a été transmis au Sénat le 16 février dernier.

Ce texte vise, d’une part, à étendre les cas d’autorisation de vidéosurveillance par des personnes privées filmant les abords de leurs bâtiments, afin de prévenir les atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans les lieux les plus exposés, et, d’autre part, à doter la Commission nationale de la vidéosurveillance d’une mission nationale de contrôle.

Il est vrai que la dualité des régimes juridiques et des organes de contrôle constitue une difficulté majeure non seulement pour les utilisateurs de la vidéosurveillance, qui ont parfois du mal à saisir la distinction entre lieux privés et lieux publics, mais aussi pour les citoyens qui souhaitent exercer leurs droits. À mes yeux, la Commission nationale de l’informatique et des libertés demeure la plus à même de se prononcer sur cette question.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà du positif !

Mme Anne-Marie Escoffier. Une question, certes d’ordre plus général, se pose néanmoins : la vidéosurveillance va-t-elle transformer chacune de nos villes en un gigantesque « Loft Story », où chacun d’entre nous sera prisonnier et où seront chaque jour épiés nos moindres faits et gestes, nos moindres déplacements et – pourquoi pas ? – nos moindres conversations par des milliers de surveillants invisibles constituant un anonyme et omniprésent Big Brother ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est surtout M 6 ou Canal + dont il faut se méfier !

Mme Anne-Marie Escoffier. Au-delà de ces considérations, je souhaite rappeler combien le groupe du RDSE entend demeurer vigilant face à une prolifération potentiellement anarchique de la vidéosurveillance, à son développement systématique et à un assouplissement de son cadre juridique qui, en l’état, ne semble pas justifié. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Fournier.

M. Jean-Paul Fournier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat du jour s’inscrit plus que jamais dans l’actualité. Les récentes élections ont dessiné des inquiétudes et des aspirations. L’une d’elles est précisément le besoin de sécurité.

Non moins d’actualité, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure consacre une section entière à la seule vidéoprotection.

En conséquence, dans le débat que nous avons aujourd’hui sur l’encadrement juridique de la vidéosurveillance, nous ne saurions ignorer les orientations du texte à venir.

D’abord, la future loi consacrera l’appellation de « vidéoprotection ». Même si les peurs d’un usage liberticide de cet outil technique se sont sensiblement estompées grâce à un encadrement judicieux, le terme réaffirme les intentions des opérateurs, à savoir protéger le citoyen et ses biens, la surveillance n’étant qu’un moyen d’y parvenir.

Jusqu’à présent adapté à la situation, cet encadrement juridique peut-il être pérenne ou doit-il évoluer en fonction non seulement des objectifs de sécurité, mais aussi des techniques ?

Je m’en tiendrai aux seules installations de protection de voie publique et des lieux ouverts au public pour examiner trois questions.

Première question, l’encadrement juridique actuel est-il adapté à la montée en puissance quasi planifiée de cet outil ?

Depuis 1995, il a très peu évolué ; le régime d’autorisation préfectorale après avis de la commission départementale reste la règle.

D’abord, ce contrôle a priori permet-il, concrètement, d’absorber convenablement la recrudescence des dossiers ?

Bien plus que l’État, les élus sont sous la pression directe des victimes et du sentiment d’insécurité très prégnant chez certains administrés. De ce fait, dès que le choix d’investir est fait, la durée de la procédure ne doit en aucun cas perturber sa mise en œuvre. Le délai de consultation de la commission est de trois mois maximum, plus un mois. Il faut s’y tenir.

Même si, aujourd’hui, il est excessif de considérer qu’il existe un engorgement dans le traitement des demandes, cette éventualité ne peut être écartée dans tel ou tel département. Dans ce cas, il devra revenir aux préfets d’augmenter la périodicité des réunions de la commission. Nous le savons tous, si la lutte contre la délinquance est un combat de longue haleine, elle exige de la réactivité dans ses applications locales.

Compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel de 1994, qui impose un régime d’autorisation expresse, la souplesse pourrait venir d’une pratique plus courante et étendue de la demande d’autorisation de périmètre vidéoprotégé prévue par le décret du 22 janvier 2009. À ce sujet, bien que la circulaire ministérielle du 12 mars 2009 ait tenté d’apporter des précisions, cette notion de périmètre mériterait d’être approfondie.

Enfin, si, depuis 2006, le préfet peut prescrire la vidéoprotection pour des motifs de défense nationale ou encore dans les transports collectifs et leurs infrastructures, plus récemment, nos collègues députés ont modifié le texte initial du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure qui étendait le droit de prescription aux caméras urbaines. Malgré les intentions louables du Gouvernement, le libre arbitre de l’élu doit demeurer. Je ne doute pas un instant que notre assemblée aura la sagesse d’y veiller à son tour.

J’en viens à ma deuxième question : l’encadrement juridique permet-il une utilisation optimale des sources vidéo par les autorités policières et judiciaires ?

Le rapport de l’Institut national des hautes études de sécurité, l’INHES, est clair : la dissuasion, la prévention situationnelle se délitent très rapidement si la vidéoprotection ne démontre pas ses vertus coercitives. Son efficacité tient donc à deux éléments.

Il est d’abord nécessaire d’avoir des images de qualité. À cet égard, la loi de 2006 et les arrêtés subséquents ont fixé une norme de très haute qualité, à laquelle chaque opérateur est tenu. Il ne faut pas y revenir, mais une actualisation au gré de l’évolution des technologies s’imposera.

Ensuite, une bonne image ne sert à rien si personne n’est capable de la traiter. Sur ce point essentiel, l’engagement des acteurs l’emporte sur le cadre juridique. Le traitement des images dans le cadre de la police administrative et des procédures judiciaires relève non pas des collectivités opératrices, mais bel et bien de l’État. Or l’État n’a marqué que récemment son intérêt pour la vidéoprotection.

Il convient toutefois de reconnaître qu’il rattrape son retard, notamment depuis 2007, avec la mise en place du Fonds interministériel de prévention de la délinquance, le FIPD, et sa contribution financière au raccordement des gendarmeries et des commissariats aux centres de supervision urbaine, les CSU. Il serait souhaitable que les contrats locaux de sécurité, les CLS, formalisent l’utilisation optimale de la vidéoprotection pour une automaticité de son usage.

Par ailleurs, la prescription de l’accès des policiers et des gendarmes aux images et aux enregistrements dans le cadre de la police administrative devrait être une disposition obligatoire de l’arrêté d’autorisation.

Dans le même temps, peut-être faut-il s’interroger sur l’opportunité de créer une classification judiciaire spéciale pour une partie des agents opérateurs des CSU. Aujourd’hui, certains sont détachés et affectés à une tâche de repérage et de sélection des images. Dans ma ville, Nîmes, deux opérateurs œuvrent en permanence à la demande des services de l’État.

La réglementation doit aussi accompagner la diversité d’utilisation de la vidéoprotection. Si, en matière de contravention routière, la vidéo devient un outil utile pour les contraventions à la volée, la procédure de verbalisation demeure trop lourde : convocation du contrevenant, transmission au parquet, etc. Ne pourrait-on pas calquer ces procédures sur celles qui prévalent pour les infractions constatées par radar ?

J’en arrive à ma troisième question : l’encadrement juridique actuel prévient-il efficacement les éventuelles atteintes à la vie privée ?

Le sérieux de la procédure d’autorisation plaiderait pour son maintien en l’état. Peu de plaintes, aucune gravité. Pour autant, l’évolution des technologies doit conduire à une évolution de la réglementation ou, plus précisément, des organes de contrôle.

Comme le précisaient les auteurs du rapport d’information de décembre 2008, la compétence de la Commission nationale de l’informatique et des libertés pourrait fort bien être consacrée avec la « vidéo intelligente », voire biométrique, sans qu’il y ait à redire à cela, sauf, bien entendu, à prendre en compte les récents commentaires du Conseil constitutionnel rappelant que la loi de 1978 ne s’appliquait pas dans le cas d’espèce d’images tirées de parties communes d’immeubles non liées à un fichier à caractère personnel.

Monsieur le ministre, nul n’ignore votre souhait d’attribuer par la loi la compétence de contrôle a posteriori à la Commission nationale de la vidéosurveillance, dans le droit fil de la pensée constitutionnelle. Pour autant, à l’heure de la révision générale des politiques publiques, pourquoi un organisme supplémentaire, alors que la Commission nationale de l’informatique et des libertés peut offrir ses compétences éprouvées ?

Une troisième voie ne consisterait-elle pas à combiner l’acceptabilité juridique et la rationalité de la charge et de l’organisation publique ? Penser à faire entrer les missions de la Commission nationale de la vidéosurveillance dans le giron du futur Défenseur des droits présenterait peut-être un double avantage : le premier, hautement protecteur des libertés publiques et individuelles, lié à son statut constitutionnel ; le second, plus prosaïque, de rationalité et de lisibilité.

Dans tous les cas de figure, continuons à séparer l’autorisation et le contrôle. Dans un domaine où le préfet est à même de prendre en compte, dans sa décision, le ressenti des réalités du terrain, un éloignement de l’autorité compétente ne doit pas être négligé.

En conclusion, la réglementation actuelle ne présente pas de failles ou de défauts substantiels, notamment pour ce qui est de la vigilance qu’impose le respect de la vie privé. Il s’agira de l’adapter à l’évolution des techniques, à une présence généralisée dans la sphère publique et à son utilisation accrue dans ses applications originelles mais aussi nouvelles. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas viscéralement, définitivement, contre la vidéosurveillance, mais, comme mes collègues de gauche, je suis viscéralement, définitivement, contre le dogme, contre le laxisme, notamment en matière de sécurité, et pour l’amélioration de la sécurité publique et le parler vrai.

Je suis donc venue vous dire quelques vérités, en tout cas pour mes collègues et moi, vous poser quelques questions et affirmer quelques convictions et principes démocratiques.

Pour parler vrai, il importe tout d’abord de ne pas confondre la sécurité, ou l’insécurité, avec le sentiment de sécurité, ou d’insécurité, et de ne pas entretenir la confusion en la matière.

Un exemple suffira à illustrer mon propos. Deux de mes amies ayant emprunté à New York le métro à une certaine heure ont éprouvé un fort sentiment d’insécurité. Un autre de mes amis, qui se trouvait dans le même métro au même moment, s’est quant à lui senti en parfaite sécurité. Je précise qu’aucun d’entre eux ne s’est fait agresser.

Monsieur le ministre, comme, dans votre ministère, on aime les chiffres et les statistiques, et comme un exemple ne vaut pas démonstration, je reprendrai les résultats des enquêtes sur la délinquance et sur le sentiment d’insécurité des femmes. Alors que, statistiquement, celles-ci sont moins agressées que les hommes dans l’espace public, c’est là qu’elles se sentent le moins en sécurité. En revanche, c’est dans la sphère privée qu’elles se sentent le plus en sécurité, alors que c’est précisément là qu’elles sont le plus exposées.

Il me semble donc extrêmement important d’établir une distinction claire entre le sentiment de sécurité et la sécurité : des caméras peuvent sans doute susciter le premier, mais elles ne sauraient créer la seconde. Les deux plans sont fondamentalement différents.

C’est également pour cette raison que je m’oppose au changement de dénomination et au remplacement du terme « vidéosurveillance » par celui de « vidéoprotection ». Appelons les choses par leur nom : jamais une caméra n’a protégé personne, cela se saurait ! Une caméra est là pour surveiller. Certes, cette surveillance peut avoir pour objectif de protéger, de prévenir, d’élucider ou de contribuer à élucider, mais faire de la caméra un outil de protection, c’est confondre la fin et les moyens.

Par « vidéosurveillance », on entend un dispositif qui contribue à donner un sentiment de sécurité et qui, éventuellement, participe à la protection des citoyens, en permettant des interventions humaines subséquentes. Mais ce n’est en aucun cas la caméra elle-même qui assure cette protection !

Faudra-t-il alors donner des noms différents à ces dispositifs selon la finalité qu’ils remplissent ? Pour les caméras servant à réguler la fluidité du trafic routier, on parlera bien de « vidéosurveillance », à moins de prétendre, mais cela sera difficile à prouver, que la circulation doit faire en elle-même l’objet d’une « protection » ! Il en ira de même pour les dispositifs installés aux abords de bâtiments publics, qui relèveront encore de la « vidéosurveillance ». Mais quid en cas de manifestation ? S’agira-t-il alors de « vidéoprotection » ?

Non, encore une fois, appelons les choses par leur nom et restons-en à la notion de « vidéosurveillance ».

Le citoyen a droit à une information pleine et entière. Au sein de la commission des lois s’est dégagé un consensus autour de la nécessité d’informer et de former les citoyens, notamment les plus jeunes, sur toutes les restrictions aux libertés individuelles auxquelles peut conduire l’utilisation d’internet. Je pense au pistage dont on peut faire l’objet lorsque l’on est connecté, aux problèmes de traçabilité. Tous s’accordent sur le nécessaire droit à l’oubli et sur le respect de la vie privée. Ce qui est valable pour internet l’est également dans d’autres domaines, notamment la vidéosurveillance.

Il convient de donner au citoyen les moyens de comprendre ce qu’il y a derrière les termes employés et les technologies utilisées, surtout aujourd’hui.

Les évolutions technologiques et notamment l’apparition du numérique permettent en effet une véritable révolution dans l’utilisation des caméras et de la vidéosurveillance. Ce qui était vrai hier ne l’est plus aujourd'hui. Ce qui était vrai avec le minitel ne l’est plus avec internet.

Donnons aux citoyens la véritable information.

Disons-leur que le fait d’enregistrer des images en numérique rend possibles les identifications, par le croisement de fichiers, de mesures biométriques, par les dispositifs de géolocalisation. Ne pas le leur dire revient à leur cacher la vérité et les empêcher de se positionner en adultes responsables. Cessons de les prendre pour des moutons que l’on peut effrayer par des mots et forcer à adhérer à des idées ou à des concepts qui ne leur ont pas été correctement expliqués.

J’abonderai dans le sens de nos collègues coauteurs du rapport d’information, il faut une information visible et lisible quand on installe des caméras de surveillance, et ce où que ce soit. Ce point ne fera pas débat, je pense, entre nous. Mais, pour être visible et lisible, l’information doit également être comprise.

Voilà pourquoi, j’y reviens, il faut parler de « vidéosurveillance » et expliquer aux citoyens toutes les possibilités d’atteintes à la vie privée que recèle le numérique. À eux alors de mesurer le rapport entre l’atteinte à la vie privée et les objectifs de sécurité fixés par l’utilisation de cet outil technologique. Oui, il faut quelquefois porter atteinte à la vie privée pour assurer la sécurité et la protection des personnes, mais cela se mesure et c’est l’appréciation du rapport entre ces deux intérêts contradictoires qui justifiera ou non l’emploi de la vidéosurveillance.

J’en viens à l’exploitation des images enregistrées. Qui en sera chargé ? De quels personnels parlons-nous ? De la police nationale, de la police municipale, de la gendarmerie ? Faudra-t-il des officiers de police judiciaire derrière chaque caméra ? Et quelle sera la formation ? N’est-ce pas là l’occasion de créer de nouveaux métiers, qui s’appuieraient sur une vraie formation, une formation éthique, et d’assigner aux personnels ainsi formés, en toute transparence, des objectifs affichés, et non pas cachés ?

Qui se demande aujourd'hui s’il est licite ou légitime de détourner l’usage d’une caméra, dont la finalité première est de permettre la surveillance aux abords d’un bâtiment public, pour filmer une manifestation qui viendrait à s’y dérouler ? Qui déterminera s’il est licite ou légitime d’enregistrer des images ? Qui déterminera s’il est licite ou légitime de zoomer sur des individus dont le comportement peut amuser, intriguer, inquiéter ?

Qui contrôlera les manipulations de caméras et les enregistrements d’images ? Qui s’occupera de la durée de la conservation de ces images et, le cas échéant, de leur destruction ? Qui vérifiera le droit d’accès à ces images enregistrées ?

En d’autres termes, qui garantira cet équilibre entre le respect du droit à la vie privée, qui a désormais une valeur constitutionnelle, et l’atteinte à cette même vie privée, parfois inévitable en fonction des objectifs ?

Sur ce sujet, je rejoins la position de Jean-Patrick Courtois et de Charles Gautier : la CNIL est une autorité administrative indépendante dotée de toutes les compétences nécessaires, mais aussi de l’expérience et des moyens. Elle est l’institution de référence dont nous devons consacrer la légitimité pour intervenir en matière de vidéosurveillance. Je ne réitérerai pas les propositions formulées en faveur de cette autorité ; elles ont été suffisamment détaillées pour que je n’aie pas à y revenir.

La CNIL doit avoir accès aux rapports et exercer son pouvoir de contrôle. Il faut que le citoyen lambda qui se sent bafoué dans ses droits puisse la saisir. Il faut que les avis qu’elle formule sur les autorisations ne soient pas seulement consultatifs mais qu’ils lient les autorités et qu’un avis conforme soit délivré avant l’installation de tout nouvel appareil ou de tout nouveau dispositif, bien entendu en lien avec les préfets.

Laissez-moi exprimer quelques doutes sur les objectifs chiffrés, quantitatifs, qui sont aujourd’hui affichés. Le Gouvernement entend multiplier par trois en deux ans le nombre de caméras. Pourquoi par trois ? Pourquoi pas par quatre, par dix ou par deux et demi ?

Rien, à ma connaissance, ne justifie cette multiplication du nombre de caméras. À quoi serviront-elles ? On les multiplie, mais pour les installer où ?

Pourquoi l’équipement et les achats de matériels sont-ils seuls à être budgétés ? Pourquoi n’est-il jamais question des moyens humains à mettre devant et derrière ces caméras ? Pourquoi ne parle-t-on jamais de l’usage qui sera fait des images ?

Ces caméras seront-elles installées dans les grandes villes, dans les petites villes, jusque dans les coins les plus reculés de nos campagnes ? Pourquoi pas, après tout, car les routes de campagne sont parfois dangereuses, on s’y fait agresser aussi.

Je m’explique d’autant moins cet objectif de multiplier par trois le nombre de caméras en deux ans que l’expérience de la Grande-Bretagne est riche d’enseignements à cet égard : un très grand nombre de caméras ont été installées un peu partout chez nos voisins, mais sans que cela fasse l’objet d’une réflexion approfondie, et, aujourd'hui, on ne sait que faire des images enregistrées, au point que 80 % des images ainsi collectées ne sont pas traitées par les services publics britanniques. C’est considérable, monsieur le ministre, mes chers collègues.

Puisqu’il est question de sécurité, pourquoi les crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance sont-ils consacrés à plus de 50 % à ce projet d’équipement en caméras ?

Et pourquoi une telle précipitation, alors que les études ont démontré que ces dispositifs n’étaient efficaces qu’au prix d’une étude en amont longue, de plusieurs mois à quatre ans parfois, afin de déterminer précisément où implanter les caméras ?

Pendant ce temps qui aurait dû être consacré à la nécessaire maturation du plan, pourquoi « geler » les autres projets, par exemple la présence de travailleurs sociaux dans les gendarmeries pour accueillir les femmes victimes de violences ? Ces projets existent, ils ont reçu l’aval du Gouvernement, mais ils sont « gelés » au profit du financement de l’équipement en caméras…

Encore une fois, pour faire quoi ? Qui sera derrière ces caméras ? Où les mettra-t-on ? Quelles sont les zones qui seront surveillées ? Ne risque-t-on pas ainsi de déplacer la délinquance ? Quels sont les espaces publics ou privés ouverts au public qui nécessitent d’être équipés ?

Mais non, tous ces aspects doivent être traités en quelques semaines, avant que l’on ne signe les bons de commande de matériels !

Maire d’une petite commune de 6 000 habitants, j’ai déjà reçu plusieurs propositions de fabricants. Cède-t-on au lobbying, aux pressions des fabricants de caméras, à l’attrait de l’argent ou tout simplement à la fascination pour un nouvel outil technologique ? Je m’interroge.

L’extension de la vidéosurveillance qui se dessine ici risque d’être, au mieux, inefficace, au pire, dangereuse. On installera des caméras partout sans avoir rien préparé en amont. On déléguera peut-être même à des sociétés privées la gestion des dispositifs et des images, c'est-à-dire, mes chers collègues, la gestion de la sécurité publique… Voilà un réel danger pour notre démocratie.

Le même prestataire qui vendra le matériel, et le projet écrit afférent, assurera la maintenance et exploitera des données qui sont pourtant considérées comme personnelles.

Nous préparons l’avènement de la société de Big Brother – ce n’est pas moi qui ai employé cette expression la première –, voire de petits Big Brothers, pour reprendre les termes d’une personnalité dont je tairai le nom et qui n’est pas de gauche.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, attachée à la sécurité, à la prévention et à la répression de la délinquance, mais aussi à la protection qui est due à tout individu, je nourris de grandes inquiétudes face à l’utilisation de cet outil. La vidéosurveillance nous est en effet présentée comme la panacée, au détriment de tous les autres moyens, notamment humains, indispensables pour assurer la sécurité de tous sur notre territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.

M. Jean-Paul Alduy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage les conclusions du très bon rapport de Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier et fais miennes les onze recommandations qui y sont formulées. Ce rapport devrait permettre de dépassionner le débat.

Les évolutions rapides des technologies nous obligent à revoir sans cesse l’encadrement juridique, pour apporter la souplesse nécessaire mais aussi pour garantir les libertés individuelles.

Je l’ai entendu dire, il serait pour certains préférable, plutôt que de multiplier les instances, de recourir tout simplement à la CNIL, avec tout ce que représente aujourd'hui cette autorité, à la fois pour la délivrance de l’autorisation et l’exercice du contrôle et, j’y insiste, pour les deux volets. Si en effet on limitait sa compétence au seul contrôle, la CNIL perdrait toute l’information en amont de l’autorisation, sur la genèse des projets. D’où la nécessité de la doter également de la compétence d’autorisation. À partir de cette double compétence, une jurisprudence peut se construire peu à peu, permettant au cas par cas de faire évoluer la réglementation et de mieux maîtriser ces technologies.

Mais il me semble que le débat s’est déplacé. Aujourd'hui, il n’est plus temps de s’effrayer de la menace que feraient peser ces technologies sur les libertés individuelles ; en revanche, il convient de s’inquiéter dans une plus large mesure de l’efficacité même des dispositifs de vidéosurveillance.

Permettez-moi de vous livrer mon sentiment sur ce sujet à partir de mon expérience d’une quinzaine d’années d’animation de la ville de Perpignan.

Tout d’abord, lorsque l’on parle de vidéoprotection, on ne joue pas sur les mots, on tend au contraire à « coller » à la réalité du sujet. Il s’agit non pas seulement d’exercer une surveillance aux fins de protéger des méfaits de la délinquance, de la criminalité ou du terrorisme, mais tout simplement d’observer tous les incidents intervenant dans l’espace public.

À Perpignan, par exemple, le dispositif a permis de sauver des vies humaines. Alors qu’un pyromane s’apprêtait à faire sauter une parfumerie, les personnes dans les étages ont pu être sauvées grâce à l’appel très rapide des pompiers.

En revanche, permettez-moi d’évoquer devant vous les émeutes récentes dans cette même ville, déclenchées à la suite d’un assassinat que l’on avait d’abord cru de nature raciste, mais qui s’est révélé être un crime de jalousie. Une caméra était bel et bien installée depuis un an, et précisément au-dessus du lieu du crime, mais elle ne fonctionnait pas, faute d’autorisation…

Cet exemple renvoie au problème de la souplesse et de la rapidité des décisions en matière d’installation des mécanismes de vidéoprotection.

Personnellement, je pense qu’il faut en quelque sorte troquer la rigueur dans la planification de la politique de protection contre une certaine souplesse pour l’adaptation du système au coup par coup, permettant, par exemple, de déplacer ou d’ajouter une caméra, si nécessaire.

En d’autres termes, il faut à tout prix obliger les collectivités locales à bâtir de vrais plans, qui soient complets, c'est-à-dire qui intègrent, au-delà de la simple vidéoprotection, l’ensemble de leur politique de prévention et de lutte contre la délinquance, ainsi que tous les éléments devant contribuer à l’information du citoyen et permettre le contrôle, l’évolution, le suivi du système.

Une fois la planification soumise au regard attentif de la CNIL et validée par cette dernière, pour reprendre la proposition de nos deux corapporteurs, il importe alors de se montrer souple pour pouvoir déplacer les installations en cas de besoin.

D’ailleurs, l’idée de « zones vidéosurveillées » pourrait être très judicieuse. Ainsi, dans la lutte contre le deal, il faut pouvoir se déplacer en même temps que les dealers. À l’heure actuelle, dès qu’un système de vidéoprotection est installé, ces derniers quittent les lieux.

Cela montre bien la nécessité d’introduire de la souplesse dans l’utilisation de ces technologies et donc d’adapter l’encadrement juridique à cet effet.

Ensuite, l’efficacité dépend du fonctionnement de la chaîne des acteurs.

La coordination entre la police municipale et la police nationale donnera une véritable efficacité à ces investissements. Selon les faits constatés, il faut mobiliser soit la police municipale, soit la police nationale lorsqu’il s’agit de solliciter les moyens dont elle est seule à disposer, notamment juridiques ou de formation.

Mais la chaîne des acteurs comprend également le parquet. Grâce à la vidéosurveillance, demain la vidéoprotection, il dispose d’éléments d’information permettant d’établir le constat du flagrant délit et de procéder à des comparutions immédiates. Ces dernières sont appelées à se développer, y compris pour les mineurs, puisque la loi a mis en place des mécanismes comparables pour ces derniers.

Enfin, j’en viens au problème du coût du dispositif. Il serait erroné de croire que la vidéoprotection limiterait le nombre de policiers nationaux ou de policiers municipaux. Au contraire, plus on déploiera ces instruments, plus il faudra disposer de moyens d’intervention rapides, donc situés à proximité des lieux de constatation.

Par conséquent, outre les investissements matériels, pour lesquels vous avez mis en place un système de subvention, monsieur le ministre, le coût sera élevé.

Par exemple, dans le cas d’une ville de 120 000 habitants, assurer la présence de quinze personnes devant les écrans pour observer les quatre-vingts caméras installées représente chaque année une dépense de 450 000 euros…

Donc, compte tenu des sommes importantes en jeu, je demande que, sur ce sujet, on raisonne en coût global, c'est-à-dire fonctionnement et investissement, et en coût partagé entre l’État et les collectivités locales.

Si j’ai largement dépassé le thème aujourd’hui en débat, c’est que la question de l’encadrement juridique de la vidéosurveillance ne peut plus être dissociée de celle de l’amélioration de l’efficacité de ces dispositifs. Ne l’oublions pas, aujourd'hui, le vrai sujet, ce sont les résultats !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure actuelle, la vidéoprotection est non seulement acceptée, mais elle est demandée. Il ne faut donc pas décevoir.

Pour me résumer, il faut certes revoir l’encadrement juridique, qui date de 1995, tout en améliorant le mécanisme d’information de nos concitoyens, la coordination de la chaîne des acteurs et les mécanismes de financement.

Je terminerai en citant l’une des recommandations formulées par nos collègues dans leur rapport d’information, qui me paraît essentielle et qu’il convient de ne pas sous-estimer : « Ne pas déléguer la vidéosurveillance de la voie publique à des personnes privées, ni permettre aux autorités publiques de vendre des prestations de vidéosurveillance de la voie publique à des personnes privées. »

J’insiste sur ce point dans l’ultime phrase de mon intervention, parce que je crois que c’est une ligne jaune à ne pas dépasser si l’on veut donner aux pouvoirs publics l’entière maîtrise de l’évolution de ces technologies au service de la sécurité de nos concitoyens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre.

M. Louis Nègre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme mon collègue Jean-Paul Alduy, je m’exprimerai en tant que maire. Je m’appuierai non pas sur les rapports élaborés, y compris par les Britanniques, mais sur ce que je suis à même de constater personnellement sur le terrain dans le domaine qui nous occupe.

Je me réjouis que le débat d’aujourd'hui, dans le cadre de la semaine de contrôle de l’action du Gouvernement, porte sur l’encadrement juridique de la vidéosurveillance.

Cette technologie, devenue aujourd’hui un véritable sujet de société, permet, de façon moderne, pragmatique et pacifiée, de lutter efficacement contre certains agissements contraires à la loi. Et je tiens à féliciter tout particulièrement MM. Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier de la qualité de leur rapport d’information, particulièrement détaillé, qui porte, vous le savez tous, sur un sujet incontestablement sensible et qui, dans le passé, bien sûr, a souvent suscité de vraies polémiques !

Mais je crois que, aujourd'hui, il faut regarder la réalité en face : la vidéoprotection est demandée par les Français. Dans un récent sondage, 81 % d’entre eux estiment que l’installation de caméras peut améliorer la sécurité. Ils la demandent, parce qu’ils la perçoivent, non sans raison, comme efficace.

En effet, selon le rapport de l’Inspection générale de l’administration de juillet 2009, les crimes et délits chutent deux fois plus vite dans les villes équipées que dans celles où aucun dispositif n’est installé.

Les principales constatations que l’on peut faire sont les suivantes.

Premièrement, la vidéoprotection n’est pas une fin en soi ; c’est clair.

Deuxièmement, elle n’a un véritable impact répressif et dissuasif, j’y insiste, que si une sanction pénale est prononcée par une juridiction à la suite de la constatation d’une infraction et de l’arrestation de ses auteurs.

Troisièmement, le constat a été établi que la délinquance a baissé en moyenne plus fortement dans des communes équipées de vidéoprotection que dans celles qui n’en disposent pas.

Quatrièmement, le taux d’élucidation global ne progresse significativement que dans les villes où il y a une forte densité de caméras installées.

Cinquièmement, la localisation des caméras, la qualité des images et des enregistrements – les corapporteurs nous l’ont dit tout à l’heure – sont effectivement déterminants pour une utilisation à des fins d’enquête judiciaire, pour la collecte d’éléments de preuve.

Aujourd'hui, on compte un peu plus de 350 000 caméras autorisées, dont à peine 20 000 sont installées sur la voie publique ; d’où l’objectif de triplement d’ici à 2011. Je ne peux que m’en féliciter, monsieur le ministre.

Par ailleurs, grâce à la création du Fonds interministériel de prévention de la délinquance par la loi du 5 mars 2007, l’État a aidé les communes à hauteur de 42 millions d'euros et financé 1 200 projets.

L’État apporte une contribution de 40 % en moyenne aux dépenses d’investissement nécessaires pour installer ces caméras.

Dans le département des Alpes-Maritimes, Christian Estrosi, maire de Nice – je suis le premier vice-président de la communauté urbaine –, a mis concrètement l’accent sur la sécurité des personnes en déployant un système de vidéoprotection extrêmement développé et performant, qui a rapidement montré son intérêt.

Pour parler de la ville de Cagnes-sur-Mer, dont je suis le maire, l’arrêté préfectoral du 8 juillet 2008 autorise la commune à installer quarante-deux caméras vidéo et un centre de supervision urbaine, ou CSU. Ce centre opère vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours de l’année et, désormais, trente caméras fonctionnent.

De plus, j’ai récemment signé une convention avec le président du conseil général afin que les caméras installées en protection des collèges par le département puissent être reliées au CSU, qui prend le relais après la fermeture des établissements. Cette coordination des pouvoirs publics renforce à l’évidence l’efficacité du système.

De même, ce centre de supervision urbaine regroupe l’ensemble des images et concourt largement à la sécurité publique. C’est d’ailleurs devenu un appui recherché des forces de police et de gendarmerie. Quarante-trois réquisitions de la police nationale ou de la gendarmerie ont été effectuées en 2009.

J’ai entendu certains, à cette tribune, parler de dispositif liberticide, inefficace et sans effet dissuasif. En tant que maire, je m’inscris en faux contre ce tableau, excessivement négatif.

Au contraire, le centre de supervision urbaine de ma ville a pu déclencher avec efficacité – ce sont des faits, chers collègues ! – l’action de la police, permettant ainsi d’interpeller en flagrant délit les auteurs de différentes infractions graves : trafic de stupéfiants devant des établissements scolaires, agressions sexuelles, un vol à main armée et des vols à la portière.

Donc, contrairement à ceux qui paraissent douter de la vidéoprotection, au vu des résultats obtenus dans ma commune et à l’appui décisif de cette technologie nouvelle pour résoudre certaines affaires de délinquance, je ne peux qu’être favorable au développement maîtrisé de ces systèmes.

Cette efficacité, mes chers collègues, est ressentie positivement par la population.

Dans le strict respect du cadre légal qui s’impose à nous – d’autres pays, même très démocratiques, ne sont pas aussi contraints que nous à ce titre – et au vu des résultats que nous avons obtenus, la population se déclare très favorable, elle aussi, au développement de la vidéoprotection dans ma ville.

La pertinence de notre dispositif est telle que le conseil municipal a, sur mon initiative, approuvé hier soir un projet complémentaire d’extension. En effet, en accord et en coordination la plus étroite avec la police nationale, trente-quatre caméras supplémentaires seront implantées sur des sites qui ont fait l’objet d’une étude préalable approfondie.

Compte tenu de ce résultat, et puisqu’aucun de mes concitoyens n’a eu à subir le moindre désagrément, la moindre atteinte à ses libertés individuelles, je suis favorable à la plupart des recommandations contenues dans le rapport de nos collègues.

Permettez-moi de revenir plus en détail sur ces recommandations.

Je suis entièrement d’accord avec les recommandations nos 2 et 3, qui préconisent de mieux informer le public et de ne pas déléguer la surveillance de la voie publique à des personnes privées.

J’émets, en revanche, une réserve sur la recommandation n° 1. Il s’agirait de réunir pour les confier à une seule autorité, en l’occurrence la CNIL, les compétences d’autorisation et de contrôle en matière de vidéosurveillance. Ne croyez pas que je doute de la CNIL, bien au contraire ! Je pense que la CNIL est une institution très importante, mais assez parisienne et bureaucratique. Je souhaiterais donc que cette autorité un peu lointaine partage le pouvoir d’autorisation et de contrôle avec les préfets des départements qui sont, eux, en prise directe avec les spécificités locales.

J’approuve entièrement la recommandation n° 4, visant à former les opérateurs chargés de visionner les images de la voie publique. Permettez-moi néanmoins d’apporter un bémol : il serait, à mon sens, tout à fait excessif de placer sous la surveillance de caméras contrôlées par la police et la gendarmerie les opérateurs municipaux eux-mêmes. Je le rappelle, ces personnels sont de qualité et, par ailleurs, assermentés.

Je tempère de même mon adhésion aux recommandations nos 5 et 6 par un autre bémol. Monsieur le ministre, je conviens que le développement des systèmes de vidéosurveillance au niveau des bassins de vie est de nature à favoriser une coordination de ces systèmes, mais je suis extrêmement réservé quant au transfert « automatique » aux EPCI, car cela met en cause le pouvoir de police des maires. Et je tiens au pouvoir de police des maires !

Si donc j’approuve la coordination, je suis beaucoup plus réservé à l’égard du transfert « automatique ».

Les recommandations nos 7, 8 et 9, visant à mettre en place une procédure simplifiée, à délivrer une autorisation pour des zones plutôt que pour chaque caméra et à soumettre à une procédure simplifiée les dossiers de renouvellement d’autorisations, me paraissent relever du bon sens.

En définitive, la vidéoprotection est un outil supplémentaire qui, sans être la panacée, peut se révéler efficace.

Telle est la raison pour laquelle, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je pense nécessaire de faire évoluer l’encadrement juridique de la vidéosurveillance selon les pistes qui ont été tracées par la commission des lois, sous réserve des aménagements et des bémols que j’ai évoqués. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis naturellement heureux de participer à ce débat sur l’encadrement juridique de la vidéosurveillance. Je m’en réjouis d’autant plus que la commission des lois va se saisir dans quelques jours du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Il est possible de voir dans notre échange d’aujourd’hui une sorte d’anticipation du débat que nous aurons sur les articles du projet de loi consacrés à la vidéoprotection. Croyez-le bien, je serai attentif aux analyses et aux propositions que vous avez développées à cette occasion.

Je profite de ma présence dans cette enceinte pour remercier les sénateurs Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier, qui ont effectué, à l’évidence, un véritable travail de fond sur la vidéoprotection. J’ai compris qu’ils partageaient beaucoup d’analyses, ce dont je les félicite. (Sourires.)

Vous le savez, la vidéoprotection est au cœur de la politique de sécurité voulue par le Président de la République. Je le dis à l’attention de Mme Klès, elle constitue, en effet, un outil de prévention, de dissuasion et d’élucidation des crimes et délits. Parce qu’il s’agit donc d’un outil protecteur, nous avons la volonté de parler de « vidéoprotection ». Au-delà d’une bataille sémantique, le terme correspond à une réalité.

Aujourd’hui, où en sommes-nous ?

La France compte globalement un peu plus de 400 000 caméras autorisées. Ces caméras peuvent être situées dans des espaces publics et soumises à la procédure de la loi du 21 janvier 1995, qui organise la protection de la liberté individuelle. J’ai noté que Mme Escoffier y est particulièrement attentive.

Ces caméras sont également installées dans des lieux ouverts au public – aux alentours de 320 000 – et dans les transports, pour plus de 60 000. Sur la voie publique, elles sont à peine plus de 20 000, chiffre, à l’évidence, un peu faible.

C’est pourquoi le Président de la République et le Gouvernement ont placé au rang de priorité le déploiement effectivement massif de la vidéoprotection sur la voie publique avec, pour objectif – cela a été rappelé à juste titre – le triplement du nombre des caméras, qui devrait donc passer de 20 000 à 60 000 avant la fin de l’année 2011.

J’insiste sur le fait que, parallèlement, l’équipement des établissements scolaires les plus sensibles, des moyens de transports et des parties communes d’immeubles collectifs doit être poursuivi et amplifié. Cet équipement ne saurait remplacer la présence humaine, notamment des policiers et des gendarmes, mais il constitue l’un des moyens - certes, pas le seul - de ne laisser aucun répit aux délinquants.

Contrairement à ce que j’ai entendu, nous ne présentons pas cet outil comme la panacée ! Nous savons que tel n’est pas le cas, mais c’est pour nous l’un des moyens de lutter efficacement contre la délinquance.

Il est vrai, vous avez été plusieurs à le rappeler, que nos concitoyens plébiscitent la vidéoprotection. Si les chiffres cités illustrent, par leur grande variété, les différentes lectures des sondages, ils vont tous dans la même direction.

Je connais, pour ma part, une enquête parue en août dernier au terme de laquelle 81 % des Français interrogés estimaient que l’installation de caméras pouvait améliorer la sécurité. Si nos compatriotes la demandent, c’est au nom du bon sens : ils ont parfaitement compris qu’elle est efficace. Ils ne la réclameraient pas à 81 % si elle était inefficace, inutile, dangereuse ou liberticide, mesdames, messieurs les sénateurs !

Selon un rapport de l’Inspection générale de l’administration du mois de juillet 2009, les crimes et délits chutent, en effet, deux fois plus vite dans les villes équipées que dans celles où aucun dispositif n’est installé. À Cagnes-sur-Mer comme à Perpignan – et ce n’est pas l’ancien maire de Perpignan qui me contredira ! – des utilisations novatrices ont été engagées qui ont eu des résultats.

Il est très intéressant, et réconfortant, de constater que beaucoup de ses détracteurs d’hier sont devenus, aujourd’hui, des partisans de la vidéoprotection. Disant cela, je me place non sur le terrain de l’idéologie, mais sur le terrain du pragmatisme, refusant le déni de réalité

Je pense notamment à certains élus locaux, qui sont, à l’évidence, aujourd’hui ravis que l’État apporte son soutien financier à la vidéoprotection dans leurs communes. Entre 2007 et 2009, le Gouvernement a ainsi soutenu 1 169 projets, pour 42 millions d’euros, prenant souvent en charge jusqu’à 50 % du coût total.

Grâce à la dotation du Fonds interministériel de prévention de la délinquance, en 2010, je dispose de 30 millions d’euros pour soutenir les projets des communes, contre seulement 12 millions en 2008 et 17 millions en 2009.

Monsieur Alduy, j’ai bien compris l’habileté dialectique par laquelle vous avez suggéré que l’État, dont chacun sait qu’il dispose de moyens illimités - particulièrement en ce moment ! - aille plus loin que le seul investissement et couvre éventuellement une partie du fonctionnement…C’était bien essayé, monsieur le sénateur, mais je crains malheureusement de ne pouvoir vous suivre ! (Sourires.)

J’ai déjà engagé 14 millions d’euros pour 280 projets représentant plus de 3 500 caméras, et les préfets instruisent chaque jour de nouvelles demandes qui seront honorées dans l’année.

Bien entendu, il n’est pas question, madame Klès, d’étendre la vidéoprotection à n’importe quel prix ! Je suis, comme vous, comme la totalité d’entre vous, attaché à la préservation de la liberté individuelle. L’efficacité des moyens donnés aux forces de l’ordre, d’une part, aux magistrats, d’autre part, pour la prévention et la résolution des crimes et délits, doit aller de pair avec la légitime protection de nos compatriotes contre les abus.

J’entends vos observations concernant le contrôle de l’installation et du fonctionnement des caméras de vidéoprotection. Je pense, comme vous, que des améliorations sont possibles, mais, je le dis très clairement, elles ne devront pas venir freiner ou hypothéquer le déploiement de la vidéoprotection si nécessaire.

Vous aviez déjà fixé le régime de la vidéoprotection dans la loi du 21 janvier 1995 complétée par la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme. Je pense sincèrement que ce régime est efficace et qu’il assure déjà une protection effective de la liberté individuelle.

J’en veux pour preuve deux séries de chiffres.

La première illustre l’efficacité de ce régime juridique pour permettre un développement dynamique de la vidéoprotection. C’est ainsi que 114 468 autorisations d’installation de caméras ont été délivrées par les préfets depuis 1995. Le nombre annuel des autorisations est en augmentation constante, passant de 4 681 en 1999 à 10 853 en 2008 et à 13 240 en 2009. Entre 2008 et 2009, l’augmentation est donc de 24 %.

La seconde série de chiffres apporte une preuve de la solidité juridique des décisions prises : le nombre des plaintes et recours contentieux demeure très faible année après année. En 2008, vingt-neuf plaintes ont été adressées aux préfets sur des systèmes défaillants, contre quatorze en 2007. Seulement deux recours contentieux ont été déposés en 2008, contre quatre en 2007. Moins de cent recours gracieux ont été déposés durant ces mêmes années. En 2009, le nombre de plaintes demeure très réduit, dix-neuf, soit une baisse de 34 % par rapport à 2008, et le nombre de recours contentieux est à nouveau de deux. Cela démontre la solidité du système.

J’en tire deux conclusions, en forme de recommandations.

La première est que le volume des dossiers de demande d’autorisation déposés dans les départements ne pourrait certainement pas être traité directement par une instance nationale, quelle qu’elle soit, dans des délais raisonnables.

J’ai bien noté la très grande solidarité qui anime la Haute Assemblée, toutes familles politiques confondues, mais je suis encore plus heureux de constater que le président de la CNIL, votre collègue Alex Türk, opine quand j’évoque cette situation. J’y suis très sensible ! (Sourires.)

Je vais même un peu plus loin : je suis convaincu que l’embolie inévitable d’un dispositif d’autorisation établi sur le plan national hypothéquerait sensiblement le déploiement des caméras de voie publique dans lequel de très nombreuses communes s’engagent.

Quant au système intermédiaire, avancé par certains, consistant à faire traiter une partie seulement des autorisations au niveau national, je ne suis, à vrai dire, pas persuadé de la constitutionnalité d’un tel dispositif, au regard du principe d’égalité.

La seconde conclusion à laquelle j’arrive est que le dispositif actuel d’autorisation sur le plan départemental est suffisamment protecteur de la liberté individuelle parce qu’il est bien adapté aux besoins. Je le rappelle, le préfet doit, avant toute décision, consulter une commission départementale dont le président est un magistrat du siège. Par ailleurs, les décisions du préfet sont, bien évidemment, soumises aux voies de recours habituelles.

Le système actuel d’autorisation préalable des dispositifs de vidéoprotection établis dans les lieux ouverts au public ou sur la voie publique a donc, à mon sens, prouvé toute son efficacité. Je ne pense pas qu’il y ait lieu de le modifier, en tout cas, pas en profondeur.

Monsieur Fournier, je veux vous rassurer : j’ai demandé aux préfets de réunir les commissions départementales aussi souvent que nécessaire pour éviter les « files d’attente » dans le traitement des dossiers.

L’expérience montre, en revanche, que le dispositif de contrôle a posteriori du respect des autorisations délivrées mérite, lui, d’être adapté.

Je le dis clairement, le nombre des contrôles effectués sur des installations existantes est insuffisant. Cela démontre une faiblesse du système actuel : 483 contrôles avaient ainsi été effectués en 2007 ; 2 863 l’ont été en 2008, dont 2 166 dans un seul département, les Hauts-de-Seine. Le nombre des contrôles effectués en 2009 revient au niveau de 2007.

Le volume est donc clairement insuffisant alors que, dans notre pays, plus de 100 000 systèmes ont été autorisés depuis 1995 et que des caméras sont installées chaque jour.

Par ailleurs, comme l’a remarqué l’un d’entre vous, la coexistence de cent commissions départementales rend évidemment nécessaire une harmonisation des pratiques et la mise en ordre de la doctrine juridique.

C’est pourquoi, conformément à la proposition du Gouvernement, l’Assemblée nationale a donné un statut législatif à la Commission nationale de la vidéoprotection.

Les traits marquants de son organisation sont d’abord une composition large, puisque des parlementaires, dont deux sénateurs, y siégeront, ainsi que des magistrats et un représentant de la CNIL.

La saisine sera ouverte, puisque la Commission nationale de la vidéoprotection pourra être saisie par un parlementaire, une commission départementale de la vidéoprotection ou le ministre de l’intérieur.

Les pouvoirs en matière de contrôle seront renforcés : la Commission nationale de la vidéoprotection pourra directement faire effectuer des contrôles ou solliciter les commissions départementales dans le même objectif.

Enfin, de réelles prérogatives lui seront accordées pour assurer la cohérence de l’action des préfets et des commissions départementales. Cette commission nationale pourra ainsi émettre des recommandations sur tous les aspects de la vidéoprotection et assurer, selon les termes de M. Jean-Patrick Courtois, « le développement de l’expertise sur les caractéristiques techniques et sur les bonnes pratiques en matière de vidéosurveillance, l’évaluation de la performance des technologies existantes et à venir. »

J’ajoute – parce que, ici aussi, il faut éviter le malentendu – qu’il ne s’agit pas de créer une nouvelle autorité administrative indépendante et donc de nouvelles dépenses publiques. La Commission nationale de la vidéoprotection s’appuiera sur les services et les inspections du ministère de l’intérieur pour exercer les prérogatives qu’elle aura reçues de la loi.

J’ai conscience que, si je m’arrêtais là, il y aurait sur ces travées une certaine déception. J’ai bien compris que le Sénat souhaitait étudier d’autres pistes de travail.

Je suis naturellement attentif aux propositions qui ont été faites à l’instant. Je souligne, toutefois, que nous ne partons pas de rien en la matière et que l’Assemblée nationale a déjà longuement délibéré sur les articles 17 et 18 du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Je suis certain que le Sénat et l’Assemblée nationale pourront trouver un accord qui convienne à tous, dans le cadre de la navette parlementaire.

J’ai aussi entendu le souhait exprimé par certains d’entre vous de confier le pouvoir d’autorisation et le contrôle de la vidéoprotection à la Commission nationale de l’informatique et des libertés. De façon générale, je rappelle que la loi du 6 janvier 1978, modifiée en 2004, ne confie pas à la CNIL de compétences en matière de vidéoprotection. Une telle prérogative ne figure nulle part dans la loi.

Je signale à cet égard que le commentaire publié par le Conseil constitutionnel à l’appui de sa décision du 25 février dernier, qui concerne notamment le statut de la vidéoprotection dans les parties communes des immeubles, confirme que « ne s’y applique pas non plus de manière automatique la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dite “informatique et libertés”, dans la mesure où des traitements automatisés de données à caractère personnel n’y sont pas systématiquement mis en œuvre ».

Cette hypothèse est néanmoins vérifiée, et déjà prévue par la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité, par exemple dans le cas de la « vidéo intelligente », c’est-à-dire quand les images des caméras font appel à des éléments biométriques – c’est-à-dire, en clair, la reconnaissance faciale – et sont couplées à des traitements de données à caractère personnel.

Par ailleurs, j’attire votre attention sur le risque qu’il y aurait d’encombrer la CNIL, qui se consacre, avec le succès que l’on connaît – nous avons pu l’apprécier au cours des derniers mois encore -, à la protection des libertés dans le domaine des bases de données informatiques.

J’ai bien compris également le sens de la proposition de M. Courtois quant au rôle de la CNIL, proposition qui, je crois, ne choque pas le sénateur Türk. S’éloignant un peu des conclusions du rapport du 10 décembre 2008, M. Jean-Patrick Courtois a rappelé à juste titre la pertinence du dispositif actuel, qui confie au préfet de département le soin d’autoriser les systèmes de vidéoprotection.

Permettez-moi enfin de revenir sur les questions que vous avez soulevées concernant le fonctionnement et le déploiement des systèmes de vidéoprotection.

Certains d’entre vous l’ont rappelé également à juste titre, il s’agit d’un outil en permanente évolution technologique. Il revient donc au Gouvernement et au Parlement de construire une réponse juridique qui soit la plus adaptée possible.

Je voudrais préciser d’abord la portée de certaines dispositions contenues dans le projet de loi « LOPPSI » telles que l’Assemblée nationale les a adoptées et qui vont toutes – toutes, mesdames, messieurs les sénateurs ! – dans le sens du renforcement de l’efficacité de la vidéoprotection.

En effet, comme l’a indiqué dans son rapport l’Inspection générale de l’administration, la vidéoprotection est efficace, madame Escoffier, mais à condition tout d’abord qu’elle soit déployée à bon escient. C’est la raison pour laquelle le Royaume-Uni ne saurait constituer un bon exemple, puisque le déploiement de la vidéoprotection ne se fait absolument pas dans les mêmes conditions que celles qui prévalent en France. On ne peut donc pas comparer les deux systèmes. Vous arrivez d’ailleurs à la même conclusion après étude du cas.

Pour que la vidéoprotection soit efficace, il faut donc qu’elle soit déployée à bon escient. Le visionnage doit en outre être effectif et facilité par des prises de vue de qualité, et les images enregistrées doivent pouvoir être facilement exploitées par la police et la gendarmerie à des fins d’investigation, sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

Pour parvenir à cette efficacité, il est nécessaire, dans les communes les plus importantes, de réunir les images dans des centres de supervision et de raccorder ceux-ci à la police ou à la gendarmerie, comme cela se fait déjà beaucoup.

Le projet de loi « LOPPSI » permettra donc concrètement de mutualiser le visionnage d’images provenant de plusieurs personnes morales au sein d’un même centre de supervision urbaine. Cette mutualisation a l’avantage de constituer un gain en termes de coûts de fonctionnement et de frais de raccordement aux forces de l’ordre.

Plus de 200 raccordements ont été effectués depuis 2007 et l’État soutient très fortement leur réalisation par des subventions importantes allant, dans certains cas, jusqu’à 100 % du coût. Je précise que, dans un souci d’efficacité opérationnelle bien compréhensible, le soutien de l’État est réservé aux projets de vidéoprotection qui prévoient un visionnage des images, pas seulement leur enregistrement, et une liaison avec les forces de l’ordre ; il faut naturellement que ce soit équilibré.

Un autre dispositif du projet de loi « LOPPSI » permet aux personnes morales de recueillir des images et de les faire visionner par des opérateurs publics ou privés dont c’est le métier. Je le rappelle, le projet de loi prévoit que des personnes privées ne peuvent en aucun cas avoir accès aux enregistrements, qui sont réservés à l’exercice de la police judiciaire. Elles peuvent seulement visionner les images, c’est-à-dire, comme tout citoyen, être conduites à signaler une infraction aux forces de l’ordre. Par ailleurs, des conditions d’agrément préalable sont prévues.

J’en viens à l’observation de Jean-Paul Alduy concernant les coûts de fonctionnement induits pour les communes par l’exploitation de ces systèmes de vidéoprotection. Il est vrai que le Gouvernement conçoit les mesures que je viens de rappeler comme un moyen de réduire ces coûts par la mutualisation des moyens, par exemple à l’intérieur d’une commune ou sur un plan intercommunal.

Comme vous le savez, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance autorise les intercommunalités à exploiter des systèmes de vidéoprotection. Cette loi et les mesures à venir répondent en partie à votre préoccupation, monsieur Alduy.

Dans le même souci d’efficacité, je proposerai au Sénat de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel relative à la vidéoprotection dans les parties communes des immeubles. Comme l’a demandé le Conseil constitutionnel, un amendement précisera les garanties attachées au transfert d’images prises dans ces parties communes vers un centre de supervision urbaine géré par la police municipale ou directement vers le commissariat ou la brigade.

Ainsi, ce transfert d’images ne pourra pas intervenir tant qu’une convention n’aura pas été conclue avec le préfet et, si le transfert est fait vers la police municipale, avec le maire de la commune.

La convention devra préciser les modalités d’information des usagers et la durée de conservation des images. La commission départementale de la vidéoprotection donnera un avis préalable au préfet, qui pourra, avant de signer la convention, renforcer, si c’est nécessaire, les dispositions de celle-ci.

Une autre condition de l’efficacité de la vidéoprotection est d’assurer un continuum de la prise d’images dans l’espace. Concrètement, il ne doit pas y avoir de rupture dans un secteur que l’on sait sensible. C’est pourquoi le projet de loi « LOPPSI » étend la capacité des personnes privées – les entreprises, par exemple – à visionner les abords de leurs bâtiments, et non plus seulement les abords immédiats, pour assurer une meilleure liaison avec les systèmes municipaux de voie publique.

J’ai bien entendu les demandes de simplification des procédures d’autorisation que MM. Courtois et Fournier ont formulées. Louis Nègre était d’ailleurs lui aussi sur cette ligne. Ces suggestions vont dans le sens d’une accélération du déploiement de la vidéoprotection. J’y souscris donc, naturellement, et ferai des propositions très précises dans le cadre des travaux que la commission des lois entamera la semaine prochaine sur le projet de loi « LOPPSI ». J’ai d’ores et déjà demandé à mes services d’examiner la faisabilité d’un certain nombre de propositions de la mission d’information, au regard notamment – c’est la limite de l’exercice – de la jurisprudence constitutionnelle, qui est très exigeante dans ce domaine.

Une seule proposition me paraît d’emblée assez difficile à satisfaire, celle qui concerne le contenu du dossier de renouvellement d’autorisation. Il est en effet nécessaire que le préfet et la commission départementale puissent examiner le dossier au regard de l’ensemble des changements qui auront pu intervenir dans le secteur concerné depuis la première autorisation. Une telle modification me paraît donc compliquée à mettre en œuvre.

Je voudrais revenir un instant sur le pouvoir de substitution du préfet aux communes. Il est indispensable dans trois cas très précis, et je les mentionne en considération des communes qui refuseraient obstinément la vidéoprotection pour des raisons idéologiques : la prévention des actes terroristes, la protection des installations sensibles – on pense aux centrales nucléaires - et la protection des intérêts fondamentaux de la nation. L’idée est d’assurer une continuité, une efficacité entre les systèmes de protection que les exploitants de sites sensibles ont l’obligation de mettre en place –  par exemple, dans les gares – et les systèmes qui sont aménagés sur la voie publique par les communes.

Je l’indique dès maintenant, il n’y aura pas de dépense obligatoire à la charge des communes. Il est cependant nécessaire que le préfet puisse imposer l’installation de caméras à une commune. Cet investissement se ferait aux frais de l’État, la commune pouvant bien évidemment accorder sa contribution financière.

Enfin, vous avez évoqué les évolutions que pourraient entraîner les progrès technologiques en matière de vidéoprotection. Il est vrai que, dans ce domaine, rien n’est figé et que les techniques changent rapidement. Certains développements technologiques comme le système de lecture automatisée des plaques d’immatriculation, ou LAPI, ont déjà fait l’objet de dispositions législatives. Nous faisons des efforts très importants sur ce plan. Nous avons décidé cette année d’ajouter 500 dispositifs de lecture de ce type.

Ces évolutions sont extrêmement rapides. Je fais étudier actuellement un régime propre aux caméras embarquées. Je rappelle d’ailleurs que les images provenant de ces caméras sont prises uniquement au cours d’interventions de la police ou de la gendarmerie et sont destinées à être utilisées dans le cadre d’une procédure et non pas à tout va. Elles ne sont pas reliées à une base de données.

Mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président de la commission des lois, la vidéoprotection connaît un développement sans précédent, qui est justifié. Je suis convaincu qu’il s’agit d’un outil majeur au service de la protection des honnêtes gens.

Ce développement doit bien évidemment s’accompagner d’une adaptation du système de contrôle, au nom d’une bonne appréciation des situations au plan local et, encore une fois, de la protection de la liberté individuelle.

Le Gouvernement a fait des propositions, l’Assemblée nationale les a retenues. Il est aujourd’hui à l’écoute du Sénat. Nous sommes tout à la fois déterminés à mener une lutte implacable contre les délinquants et profondément attachés aux libertés individuelles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas l’un ou l’autre, ce n’est pas l’un sans l’autre, c’est tout simplement l’un et l’autre. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec ce débat sur l’encadrement juridique de la vidéosurveillance.

9

Nomination des membres de la mission commune d’information sur la tempête Xynthia

Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.

La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, elles sont ratifiées et je proclame :

M. Alain Anziani, Mme Marie-France Beaufils, M. Claude Belot, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Michel Boutant, Philippe Darniche, Yves Dauge, Éric Doligé, Michel Doublet, François Fortassin, Charles Gautier, Mme Gisèle Gautier, M. Pierre Jarlier, Mme Fabienne Keller, MM. Ronan Kerdraon, Daniel Laurent, Gérard Le Cam, Dominique de Legge, Jean Claude Merceron, Albéric de Montgolfier, Paul Raoult, Bruno Retailleau, Daniel Soulage, Mmes Catherine Troendle et Dominique Voynet, membres de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia.

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Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 31 mars 2010, à quatorze heures trente :

1. Débat sur le coût des 35 heures pour l’État et la société.

2. Question orale avec débat n° 58 de Mme Bariza Khiari à M. Éric Besson, ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire sur les dispositifs de lutte contre les discriminations.

« Le 18 mars 2010 - Mme Bariza Khiari appelle l’attention de M. le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire sur le fait que les pratiques discriminatoires sont légions. Elles constituent de nouvelles inégalités. Les premières victimes sont notamment les jeunes issus de l’immigration. Ils subissent le cumul des handicaps : âge, patronyme, confession, domiciliation, couleur de peau. Toutes ces caractéristiques pourtant fort éloignées des compétences jouent en leur défaveur. Confrontés à une véritable relégation sociale et territoriale, ces jeunes considèrent le pacte républicain, socle de notre cohésion sociale, comme un “miroir aux alouettes”. Les territoires perdus de la République prospèrent sur fond de précarité, de chômage.

« Lors d’un discours prononcé le 17 décembre 2008 à l’École polytechnique, le Président de la République avait annoncé de grandes avancées dans la lutte contre les discriminations. Reprenant nombre de propositions du groupe socialiste du Sénat, il avait présenté un programme destiné à améliorer la situation des populations exclues.

« Seulement, plus d’un an après ce discours, elle s’interroge sur les réalisations concrètes censées donner corps au verbe présidentiel. Le débat sur l’identité nationale a visiblement davantage stigmatisé les populations discriminées qu’il n’est venu les aider. Aucun train de mesures concrètes visant à renforcer la lutte contre les discriminations n’a été observé.

« La disposition législative de 2006 sur le CV anonyme attend toujours son décret d’application. La situation est similaire concernant les Chibani, ces vieux travailleurs maghrébins venus en France dans les années soixante et soixante-dix. Une disposition a été votée afin qu’ils puissent percevoir intégralement le minimum vieillesse tout en ayant la possibilité de passer leur retraite au pays, le décret reste là aussi en attente. Par ailleurs, la proposition de loi adoptée à l’unanimité des groupes au Sénat sur les emplois fermés, reprise partiellement dans la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, n’a toujours pas été portée à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il suffit donc de peu de chose pour que des pas significatifs soient accomplis.

« Aussi, elle souhaiterait connaître les raisons pour lesquelles ces dispositions, votées par le législateur, sont restées lettre morte, faute de décret. Par ailleurs, elle aimerait connaître les intentions du Gouvernement pour traduire dans les faits les engagements présidentiels. Les parlementaires de tous bords se sont montrés soucieux par leurs votes de rendre effectifs les principes de cohésion nationale et d’égalité ; ils ont voulu s’attaquer aux discriminations faites aux jeunes et aux anciens, ils attendent désormais de l’exécutif qu’il prenne ses responsabilités. »

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

Le Directeur adjoint

du service du compte rendu intégral,

FRANÇOISE WIART