M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il nous est aujourd’hui demandé d’adopter un texte autorisant l’approbation d’un accord signé entre la France et la Roumanie, voilà trois ans, relatif à la protection des mineurs roumains isolés dans notre pays, à leur retour dans leur pays d’origine et à la lutte contre les réseaux qui les exploitent. Ce projet de loi traite de situations humaines dramatiques, qui concernent également nombre de nos voisins européens.

Le nombre de mineurs étrangers isolés, toutes provenances confondues, est de l’ordre de 4 000 à 6 000 en France, et de près de 100 000 en Europe.

Avec ce texte, il devrait avant tout s’agir de protéger des enfants en danger physique et moral et de les soustraire à des filières maffieuses qui organisent leur exploitation en les contraignant à la mendicité, au vol ou à la prostitution. Or la façon dont il tend à répondre au problème spécifique posé par la présence de mineurs roumains sur notre territoire soulève des questions touchant aux valeurs mêmes de notre République et aux principes fondamentaux de notre droit national. Voilà pourquoi il était absolument nécessaire d’examiner ce projet de loi en séance publique, et non en catimini, selon la procédure simplifiée.

L’accord signé en 2007 entre la France et la Roumanie reprend l’essentiel des dispositions d’un précédent accord, conclu en 2002 pour une durée de trois ans et qui est donc arrivé à échéance. Ce dernier prévoyait le repérage et la protection du mineur sur le sol français, et précisait que seul le juge des enfants pouvait décider le raccompagnement du mineur dans son pays d’origine, s’il estimait que cela pouvait être la meilleure solution. Il établissait aussi une procédure de retour du mineur associant les autorités roumaines et organisait la coopération interministérielle entre les deux pays.

Il convient de relever que, dans l’esprit de cet accord, le raccompagnement n’était pas l’objectif premier : il visait essentiellement la protection des mineurs isolés.

M. Michel Billout. Bien que son efficacité ait été fortement contestée, notamment par les associations dont vous avez loué l’action, madame le rapporteur, en particulier eu égard au manque de suivi des jeunes lors de leur retour et à l’absence d’évaluation réelle de leur réinsertion, cet accord témoignait pourtant d’une certaine volonté, de part et d’autre, de résoudre humainement cette question.

Que s’est-il donc passé, lors de sa renégociation, pour que son esprit soit si profondément changé ?

Nous savions pourtant pertinemment que la Roumanie, malgré son adhésion à l’Union européenne, était loin de répondre aux normes communément admises en matière de protection de l’enfance. Il y a en effet encore beaucoup de travail à réaliser dans ce pays, même si les Roumains se sont attelés à la tâche.

Je ne me contente donc pas de l’argument selon lequel le premier accord étant arrivé à échéance, il fallait absolument en conclure un second pour poursuivre la coopération policière et judiciaire avec la Roumanie.

Je n’accepte pas davantage que l’on nous dise aujourd’hui que le gouvernement roumain s’impatiente et qu’il ne comprend pas que nous tardions à approuver ce nouvel accord.

Je crois surtout que le Gouvernement a durci sa politique en matière de régulation des flux migratoires.

Pour se fonder une opinion, il convient de s’en tenir au texte qui nous est présenté, puisqu’il n’est pas amendable.

La partie la plus contestable de cet accord réside bien évidemment dans la nouvelle répartition des prérogatives entre le siège et le parquet dans la procédure de raccompagnement établie à l’article 4, au profit du second, alors que le précédent accord confiait la responsabilité de décider le raccompagnement du mineur au seul juge des enfants, dont la compétence principale porte sur l’assistance éducative. L’article 4 prévoit ainsi que « si le Parquet des mineurs ne saisit pas le juge des enfants, il peut, dès réception de la demande roumaine de raccompagnement, la mettre à exécution, s’il estime, eu égard notamment aux données fournies par la partie roumaine, que toutes les garanties sont réunies pour assurer la protection du mineur ».

Il est donc regrettable que la saisine du juge des enfants ne soit plus obligatoire. Mme le rapporteur a d’ailleurs fait part de son souhait que le ministre de la justice veille à ce que le parquet saisisse systématiquement le juge des enfants. Or il est indispensable que l’intérêt de l’enfant soit inscrit dans l’accord lui-même, et non dans une hypothétique instruction ministérielle.

De plus, l’article 4 contredit plusieurs règles protectrices des droits fondamentaux de la personne, en particulier de l’enfant.

Tout d’abord, il méconnaît la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. En effet, aux termes de l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles, « la protection de l’enfance a […] pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge ». On ne peut, dès lors, effacer une mesure de protection par une décision de rapatriement, sans autre garantie de suivi social et éducatif.

Ensuite, selon l’article 375-6 du code civil, tout enfant faisant déjà l’objet d’une mesure d’assistance éducative ne peut en être distrait que par une décision du juge des enfants.

En outre, le fait de permettre au parquet de décider seul de mettre à exécution le rapatriement d’un mineur constitue une atteinte aux droits de la défense et à un procès équitable. En effet, aucun débat judiciaire devant un magistrat indépendant n’est prévu : absence d’audition, absence de débat contradictoire, absence de motivation ! Ces garanties constitutionnelles ne peuvent à mon sens être écartées par un accord bilatéral, sans oublier qu’un tel dispositif viole également l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Enfin, la décision de rapatrier un mineur dans cette circonstance constitue une mesure d’éloignement du territoire prohibée par les articles L. 511-4 et L. 521-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui disposent qu’il ne peut y avoir ni reconduite à la frontière ni expulsion d’enfants mineurs.

Tous ces points ne sont donc pas l’objet d’un faux débat, monsieur le secrétaire d’État, bien au contraire ! Cet accord crée une exception, pour ne pas dire une discrimination entre les mineurs selon leur nationalité. Le principe d’égalité, qui a valeur constitutionnelle, est lui aussi remis en cause ; on semble vouloir donner à penser que certains mineurs seraient meilleurs que d’autres.

Par ailleurs, notons que dans la mesure où le parquet est autorisé à se prononcer « dès réception de la demande roumaine », la vérification des garanties n’est pas assurée, alors que les principes qui régissent la protection de l’enfance devraient contraindre les autorités à prendre toutes les précautions. Le parquet est ainsi invité à « faire confiance » aux autorités roumaines, sans qu’aucune garantie ne soit apportée.

Cette modification affecte profondément les principes fondamentaux sur lesquels sont fondés nos dispositifs de protection des mineurs et va à l’encontre de nos obligations internationales. Le dispositif s’appliquera au détriment de la sécurité et de l’intérêt des enfants, puisque l’on sait que de bonnes conditions de retour ne leur sont pas assurées.

Cette nouvelle version change donc fondamentalement l’esprit du premier accord en mettant subrepticement en place une procédure d’expulsion des mineurs délinquants qui n’ose pas dire son nom.

Cet accord, par le biais de l’instauration d’une procédure de rapatriement qui s’apparente en fait à une mesure d’éloignement sans aucune garantie de suivi social et éducatif, ignore fondamentalement notre principe républicain de protection accordée aux mineurs. Notre pays s’est pourtant imposé le devoir de protéger tous les mineurs présents sur son territoire, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Cette conception républicaine des droits de l’enfant est constitutive de l’honneur et de la grandeur de notre pays. À mes yeux, le renvoi de mineurs roumains dans les conditions prévues par ce nouvel accord signifierait que nous renonçons à ce devoir de protection.

La question de l’avenir de ces enfants est trop grave pour qu’elle soit maintenant traitée du seul point de vue de la « répression » de mineurs délinquants dont on voudrait se débarrasser. Je n’accepte pas non plus l’idée que cet accord puisse ainsi devenir un nouvel instrument de gestion des flux migratoires entre pays de l’Union européenne et que, selon la juste formule du directeur de l’association Hors la Rue, « on bascule de la protection de l’enfance vers la gestion des flux migratoires ».

Au-delà des critiques sur le contenu même de cet accord, je m’interroge sur son efficacité, et davantage encore sur son utilité, ainsi que sur l’opportunité de l’approuver dans de telles conditions.

Je le répète, du strict point de vue de la protection de l’enfance, quelle est l’efficacité du rapatriement s’il est si mal préparé ? Mais surtout, pourquoi approuver un accord bilatéral si critiquable, quand on sait que les mineurs isolés en danger en France ne sont pas uniquement roumains ? Ils proviennent en effet d’un grand nombre d’autres pays, comme l’a rappelé Mme le rapporteur, et ce phénomène concerne toute l’Europe. Ce problème devrait donc être traité dans le cadre de l’Union européenne. Vous avez vous-même évoqué cet impératif dans votre second rapport, madame Garriaud-Maylam.

Dès lors, dans le contexte de libre circulation des personnes au sein de l’espace européen qui est désormais le nôtre, cette approche strictement bilatérale est, elle aussi, inefficace, à moins que l’on ne considère qu’il existe des citoyens européens de seconde zone. Nous nous accordons tous à dire que cette question ne peut trouver de réponse satisfaisante qu’à l’échelle européenne.

La mise en œuvre d’une telle réponse passe, on le sait, par l’établissement d’une politique commune en la matière ainsi que par l’harmonisation des législations et des procédures, permettant une réelle coopération entre les pays concernés. Elle passe également par une volonté plus affirmée de lutter en priorité contre les réseaux d’exploitation de ces enfants, sauf à traiter les effets sans se donner véritablement les moyens de s’attaquer aux causes, à l’instar du texte qui nous occupe.

Aujourd’hui même, la Commission européenne présente un plan d’action sur cette grave question. Ce plan prévoit non seulement de garantir une représentation légale pour les mineurs non accompagnés, de leur éviter, sauf cas exceptionnel, toute mesure de détention, mais aussi d’axer les efforts sur le retour dans le pays d’origine. Quand on connaît les problèmes de ces enfants et la situation concrète des pays dont ils sont originaires, on mesure l’écart entre ces déclarations de principe et la réalité des moyens mis en œuvre. C’est d’ailleurs ce qu’ont immédiatement relevé, en France, les associations concernées, déplorant l’absence de mesures concrètes et de moyens financiers.

J’espère néanmoins que notre pays pèsera de tout son poids auprès de nos partenaires européens afin que ce plan soit précisé et qu’il voie rapidement le jour.

J’ai bien conscience que, dans l’attente de la définition d’une politique commune de l’Union, l’urgence et la gravité de la situation nous imposent de faire avec ce qui existe. Je ne pense pourtant pas que, faute de mieux, nous soyons obligés de nous satisfaire d’un très mauvais accord qui remet en cause des principes républicains fondamentaux, au risque de créer de graves précédents, et qui n’apportera pas de réponse efficace à des situations dramatiques.

Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche votera résolument contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas About.

M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le plus souvent, l’approbation d’une convention internationale par le Parlement ne pose pas de problème et s’apparente à une formalité. Mais, en l’occurrence, tel n’est pas le cas.

Ne tournons pas autour du pot : le nœud du problème réside dans la substitution du parquet au juge du siège pour la mise à exécution des demandes de raccompagnement des mineurs roumains émanant des autorités de leur pays d’origine.

Ne passe-t-on pas d’une logique de protection de l’enfance à une pure logique de lutte contre l’immigration clandestine ? Le traitement réservé aux enfants roumains isolés en France s’inscrirait, par ce biais, dans le cadre d’une politique volontariste de reconduite à la frontière.

D’un autre côté, depuis l’arrivée à échéance du précédent accord, signé en 2002, la coopération franco-roumaine en la matière est abandonnée, ce qui est très dommageable, je le reconnais, compte tenu de l’ampleur du phénomène considéré et de la nécessité de renvoyer ces jeunes au sein de leur famille, en les arrachant au plus vite des mains des réseaux maffieux.

La question est donc la suivante : la reprise au plus vite de cette coopération, dans l’intérêt des enfants roumains et de nos bonnes relations avec la Roumanie, doit-elle primer sur le respect des principes fondamentaux qui semblent heurtés par l’article 4 de l’accord ? À moins, monsieur le secrétaire d'État, que la rédaction qui nous est soumise ne réponde après tout à ces deux préoccupations.

Devant une telle question éthique, mettant en jeu l’intime conviction et la conscience de chacun, la politique du groupe de l’Union centriste a toujours été la même : la liberté de vote. C’est pourquoi certains membres de mon groupe voteront l’approbation de l’accord, contrairement à d’autres. Je me bornerai à présenter les raisons, tout à fait légitimes, des uns et des autres.

Pour justifier l’approbation de l’accord, on peut se rallier à l’argument central de notre rapporteur, à savoir la nécessité d’adopter un texte dont la ratification se fait attendre depuis trois ans, d’autant que, en pratique, le juge des enfants sera très vraisemblablement amené à intervenir dans la procédure et à autoriser le raccompagnement des mineurs concernés.

J’insisterai sur deux points connexes fondamentaux.

Si des mineurs étrangers isolés sont présents sur notre sol, c’est parce que des réseaux se sont chargés, peu ou prou, de les y amener. Si retour de ces mineurs il y a, encore faut-il que, sur place, on les aide à réellement se réinsérer.

En d’autres termes, cet accord n’a de portée que si on l’envisage dans sa globalité, en tenant compte de l’amont et de l’aval.

En amont, cette convention n’a de sens que si les gouvernements se sont dotés d’un outil, le groupe de liaison opérationnel, qui renforce vraiment la lutte contre les réseaux.

Ces réseaux, au demeurant multiformes, bénéficient trop souvent de la complaisance de certaines autorités, à l’échelon local ou au-delà. S’ils alimentent bien évidemment le marché de la prostitution, ils sont aussi présents dans bien d’autres domaines, jouant alors de la complaisance de certains mêmes de nos concitoyens : une jeune fille roumaine faisant le trottoir choquera les habitants d’un quartier, mais certains d’entre eux n’hésiteront pas à embaucher une de ses compatriotes pour en faire une employée de maison payée au noir…

Mme Catherine Tasca. Très juste !

M. Nicolas About. Un jeune homme provoquera l’exaspération en commettant de petits délits, mais il exaspérera certainement moins celui qui le chargera d’exécuter en parfaite illégalité des travaux saisonniers dans son exploitation… (Mme Alima Boumediene-Thiery approuve.)

Renforcer la lutte contre ces réseaux est donc à mes yeux un impératif majeur, un devoir impérieux, car il ne servirait à rien de s’interroger sur la reconduite de ces enfants si, tous les jours, de nouvelles victimes arrivaient sur notre sol, d’autant que les ressortissants roumains bénéficient de la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne.

En aval, c'est-à-dire après le retour des mineurs dans leur pays d’origine, se pose la question de la réinsertion.

À cet égard, la Roumanie revient de loin. Il y a vingt ans encore, les structures d’accueil, héritées de l’ère Ceaucescu, ressemblaient davantage à des bagnes qu’à des maisons de l’enfance. Il faut reconnaître que d’indéniables progrès ont été réalisés, même si, en ce domaine comme en tant d’autres, la bonne volonté se heurte aux contingences financières.

Puisqu’il s’agit de coopération, celle-ci ne pourrait-elle pas s’étoffer aussi dans le domaine de la réinsertion sur place des jeunes revenus au pays ? La Roumanie n’a pas besoin que de nos seules incantations, elle peut aussi avoir besoin de notre aide, de notre expertise.

Telles sont les raisons d’approuver cette convention.

D’un autre côté, il est bien évident que la substitution du parquet au juge des enfants n’est pas innocente. C’est une logique d’efficacité qui est recherchée. Si le procureur travaillait de la même manière que le juge, cela se saurait ! Encore une fois, je me référerai à notre rapporteur, Mme Garriaud-Maylam, mais en l’occurrence pour justifier l’opposition au texte de certains d’entre nous. Les réserves qu’elle a émises sur l’accord me semblent frappées au coin du bon sens. Elles rejoignent d’ailleurs celles qui ont été exprimées par la Défenseure des enfants, Dominique Versini. Je me bornerai donc à citer cette phrase du rapport, qui résume bien nos doutes : « ni l’ampleur actuelle du phénomène des mineurs roumains, ni l’efficacité d’un retour non consenti dans un espace de libre circulation ne permettraient de justifier de déroger au principe de l’intervention du juge des enfants ».

Voilà pourquoi, mes chers collègues, certains membres du groupe de l’Union centriste ne voteront pas ce texte. Je souhaite que, dans sa sagesse légendaire, le Sénat fasse tout à l’heure le bon choix. (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, le parcours de ce projet de loi d’approbation aura été pour le moins chaotique. Signé le 1er février 2007, l’accord franco-roumain relatif à la protection des mineurs roumains isolés, déposé sur le bureau du Sénat le 27 août 2008, aura connu deux passages en commission, pour ne venir en discussion devant la Haute Assemblée que ce jeudi 6 mai, plus de trois années après sa signature. Par ces quelques rappels chronologiques, je n’exprime pas notre regret de voir ce texte débattu si tardivement au sein de notre assemblée ; je souhaite plutôt mettre en lumière les raisons qui ont conduit à cette situation, tenant aux préoccupations que suscitent chez beaucoup d’entre nous un accord qui, depuis sa signature, aura soulevé de très nombreuses critiques.

En comparaison avec l’accord de 2002, dont le bilan de l’application doit sans doute être nuancé, notamment s’agissant de la réalité et de la qualité des mesures de protection des mineurs isolés une fois raccompagnés sur le territoire roumain, l’accord de 2007 marque un repli en matière de garanties offertes, pour sa protection, au mineur isolé roumain, qui est le plus souvent issu d’une minorité, les Roms, mal intégrée dans bien des pays, dont la Roumanie et plusieurs États de l’ex-Yougoslavie.

Ainsi disparaît de l’accord l’intégration du groupement d’ONG françaises au dispositif de prise en charge des mineurs roumains en difficulté sur notre territoire. Pourtant, atteindre véritablement les objectifs assignés à cette prise en charge –prise de contact, instauration d’un lien de confiance, élaboration d’un projet d’accueil – nécessite l’implication d’acteurs de terrain qui bénéficient d’une expertise et d’une réelle légitimité. Leur exclusion du dispositif laisse craindre une régression des ambitions affichées, s’agissant non seulement de la qualité de la prise en charge du mineur sur le territoire national, mais surtout du sérieux de sa préparation au retour.

Disparaît également l’enquête sociale, du moins telle qu’elle était prévue par l’article 3 de l’accord de 2002. Les « diligences nécessaires » destinées à obtenir « les éléments pertinents » sur la « situation personnelle et administrative » du mineur roumain isolé sont en effet loin de constituer l’enquête sociale qui était explicitement prescrite par l’accord de 2002. L’enquête sociale subsisterait en pratique, indique Mme le rapporteur, qui précise qu’elle devient désormais un élément de procédure interne à la Roumanie, dont le juge français n’aurait pas à avoir pleinement connaissance.

Je prends acte du maintien d’une enquête sociale, mais je ne souscris pas à l’explication de Mme le rapporteur au sujet du retrait de sa mention explicite dans l’accord. On ne peut raisonnablement pas à la fois insister sur la nécessité d’accentuer les modalités de la coopération entre les parties française et roumaine et considérer comme acceptable que les deux parties ne bénéficient pas des mêmes informations, car c’est bien à cela que revient le fait de restreindre l’enquête sociale à un simple élément de procédure de droit roumain.

Au-delà de l’aspect procédural de cette question, gommer toute référence explicite à l’enquête sociale témoigne d’un véritable recul, en termes d’ambitions, que la mise en conformité toute récente du dispositif roumain de la protection de l’enfance aux standards de l’Union européenne ne saurait justifier, d’autant que, sans contester la volonté réelle de la Roumanie de se doter d’un système de protection à la hauteur des exigences européennes et sans méconnaître les progrès qui ont été accomplis par ce pays en la matière, on ne peut que constater que la traduction effective de ces dispositifs juridiques reste en pratique inachevée.

Disparaît aussi – et ce n’est pas la moindre de nos préoccupations – la saisine systématique du juge des enfants. L’accord, en son article 4, ouvre désormais au parquet la possibilité d’autoriser lui-même le rapatriement du mineur. Cette dépossession du juge des enfants constitue un grave recul, symptomatique d’une dérive plus générale de transfert des pouvoirs judiciaires au parquet, qui laisse en l’espèce à celui-ci la possibilité d’organiser le retour du mineur en l’absence de toute procédure réellement contradictoire.

C’est encore plus vrai dans l’hypothèse nouvelle, inscrite dans l’accord de 2007, d’un rapatriement à la suite d’une nouvelle interpellation du mineur isolé consécutive à son inscription au système d’information Schengen.

Disparaît dès lors – c’est le quatrième recul marqué par ce texte – le consentement du mineur isolé roumain à son retour. Je n’insisterai pas sur les préoccupations exprimées, sur cette question, par la Défenseure des enfants, afin de ne pas donner au Gouvernement, à quelques jours de l’examen du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits, un prétexte de plus pour supprimer cette fonction, mais chacun d’entre nous a en mémoire les propos de Mme Versini sur « l’accélération de la procédure et la suppression du consentement du mineur et en quoi ces options marquent un renoncement aux principes fondamentaux de la protection de l’enfance, en contradiction avec notre propre loi et avec la Convention internationale des droits de l’enfant ».

En revenant ainsi sur un principe fondamental régissant le retour des mineurs isolés roumains, cet accord fragilise sensiblement la frontière entre accompagnement et éloignement ; il contredit de ce fait nos engagements internationaux et notre droit interne. Par cet accord, la France célèbre de bien curieuse manière le vingtième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant…

Surtout, sans consentement, il n’y a pas de projet véritable de retour et, de fait, pas de projet construit avec le mineur. On ne voit pas comment ni en quoi ce traitement expéditif contribuerait à la lutte contre la délinquance itinérante et les réseaux d’exploitation des mineurs. Un retour non préparé est la porte ouverte à une nouvelle errance.

L’accord de 2007 n’améliore en aucune façon le texte de 2002. Déjà, celui-ci a montré ses lacunes : la plupart des mineurs rapatriés n’ont bénéficié d’aucun suivi après leur retour et aucune évaluation d’ensemble n’a été réalisée. Le texte de 2007 opère des reculs importants en contournant les garanties offertes pour sa protection au mineur isolé roumain, afin de faciliter, voire d’automatiser, son éloignement, objectif véritable de cet accord, explicité à l’alinéa 2 de l’article 2, fût-ce sous l’enrobage de la mention des bonnes conditions du retour. De ce point de vue, l’intitulé même du texte que nous examinons s’apparente à une imposture, car comment parler, dans ces conditions, de « protection des mineurs » ?

Rien ne saurait justifier ces régressions, notamment pas le recul, constaté depuis 2003, du nombre de mineurs roumains isolés présents sur le territoire français. Ces derniers mois sont certes marqués par une nouvelle tendance à la hausse, mais nous sommes loin de retrouver les niveaux observés au début des années 2000.

Le phénomène des mineurs isolés doit surtout être évalué dans sa globalité et sa diversité. Ainsi, il est loin de concerner uniquement les mineurs roumains, comme l’a signalé Mme le rapporteur ; il touche, plus globalement, les communautés roms et tziganes, mais aussi l’Albanie, les pays issus de l’ex-Yougoslavie, et désormais la Chine, l’Afghanistan.

Dès lors, l’approche bilatérale apparaît invalidée, et l’accord déjà dépassé. La résolution d’une telle question impose à l’évidence une approche européenne, et l’entrée de la Roumanie au sein de l’Union européenne en 2007 plaide en ce sens. Manifestement, seule une intervention de l’Union européenne peut répondre efficacement au défi des mineurs isolés.

N’est-il pas paradoxal que, en dépit d’une telle analyse, largement partagée, sur la nécessité d’une intervention de l’Union européenne, rien n’ait été entrepris en ce sens, notamment pendant la présidence française ?

Surtout, comment accepter que vous puissiez aujourd’hui prendre prétexte de la carence d’une politique européenne commune en matière de mineurs isolés pour imposer un texte bilatéral inadapté qui dégrade à ce point leurs droits et leur protection ?

Je tiens à saluer le travail de Mme Garriaud-Maylam, dont le rapport a le mérite de ne pas faire l’impasse sur l’ensemble de ces préoccupations, mais je ne peux souscrire à son argument selon lequel la France, en n’approuvant pas un tel accord, prendrait du retard au regard de ses partenaires européens, telles l’Espagne ou l’Italie, déjà signataires d’accords de même type avec la Roumanie. La France est en retard quand elle ignore, contourne ou contredit les garanties fondamentales du droit des migrants et de la protection de l’enfant.

C’est la raison pour laquelle notre groupe invite le Gouvernement à prendre dans les meilleurs délais toutes les initiatives nécessaires pour instaurer une politique commune européenne conforme à nos engagements internationaux, au bénéfice des mineurs européens. Pour l’heure, le groupe socialiste n’approuvera pas cet accord.

En conclusion, j’invite l’ensemble de nos collègues à bien mesurer le recul que représente cet accord en matière de protection de l’enfance. Si isolés soient-ils, les mineurs étrangers présents sur notre territoire ont droit à une protection absolue ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)