Sommaire

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

Secrétaires :

Mme Sylvie Desmarescaux, M. Jean-Pierre Godefroy.

1. Procès-verbal

2. Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité

3. Communication du Conseil constitutionnel

4. Décision du Conseil constitutionnel

5. Renvoi pour avis

6. Mise au point au sujet d’un vote

MM. Michel Doublet, le président.

7. Questions orales

déduction fiscale des cotisations à des associations d'anciens combattants

Question de M. Jacques Berthou. – Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; M. Jacques Berthou.

réforme du classement des meublés de tourisme

Question de M. Jean-Paul Amoudry. – Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; M. Jean-Paul Amoudry.

application du nouveau dispositif sur les droits de mutation

Question de M. Rachel Mazuir. – Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur ; M. Jacques Berthou, en remplacement de M. Rachel Mazuir.

place accordée aux sciences humaines, économiques et sociales et à leurs enseignants dans le projet de réforme du lycée

Question de Mme Brigitte Gonthier-Maurin. – M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie ; Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

fermeture de classe en gironde

Question de Mme Françoise Cartron. – M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie ; Mme Françoise Cartron.

nombre insuffisant des unités de visite familiales

Question de Mme Marie-Thérèse Hermange. – M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie ; Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, en remplacement de Mme Marie-Thérèse Hermange.

refus des infirmiers salariés de l'assujettissement obligatoire au tableau de l'ordre infirmier

Question de M. Thierry Repentin. – MM. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie ; Thierry Repentin.

Suspension et reprise de la séance

Mortalité maternelle en couches

Question de Mme Anne-Marie Payet. – M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie ; Mme Anne-Marie Payet.

Désertification médicale

Question de M. Robert Tropeano. – MM. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie ; Robert Tropeano.

PÉNURIE DE GYNÉCOLOGUES MÉDICAUX

Question de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie ; Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

situation statutaire du personnel contractuel du conservatoire du littoral

Question de M. Simon Sutour. – Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie ; M. Simon Sutour.

démantèlement des centrales nucléaires

Question de Mme Maryvonne Blondin. – Mmes Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie ; Maryvonne Blondin.

Non-application de certaines dispositions réglementaires du code de l'environnement à la Réunion

Question de Mme Gélita Hoarau. – Mmes Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie ; Gélita Hoarau.

Contournement de l'agglomération vichyssoise

Question de Mme Mireille Schurch. – Mmes Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie ; Mireille Schurch.

conséquences de l'arrêt du conseil d'état « commune de châteauneuf-sur-rhône » sur les plans locaux d'urbanisme en cours de révision

Question de M. Michel Doublet. – Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie ; M. Michel Doublet.

lutte contre le fléau des campagnols terrestres

Question de M. Gérard Bailly. – MM. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire ; Gérard Bailly.

mise en place d'un fonds assurantiel pour la forêt et aide aux sylviculteurs sinistrés du sud-ouest

Question de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. – M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire ; Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

avenir des zones de revitalisation rurale

Question de M. Jacques Blanc. – MM. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire ; Jacques Blanc.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

8. Débat sur « la loi hôpital, patients, santé et territoires, un an après » (Salle Médicis)

Rappels au règlement

MM. Guy Fischer, le président.

MM. Jean-Pierre Sueur, le président.

Débat

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales ; MM. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la loi HPST ; Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales.

MM. François Autain, Jacky Le Menn, Gilbert Barbier, Jean Louis Masson, le président, Jean-Marie Vanlerenberghe.

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

MM. Gérard Dériot, Jean-Jacques Jégou, Yves Daudigny, Jean-Louis Lorrain, Mme Renée Nicoux, MM. Bruno Gilles, Jacques Blanc.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

9. Politique de contraception et d’interruption volontaire de grossesse. – Discussion d’une question orale avec débat (Salle Médicis)

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, auteur de la question.

Mme Patricia Schillinger, M. Jacques Mézard, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Odette Terrade, Gisèle Printz, Maryvonne Blondin.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

10. Communication du Conseil constitutionnel

11. Débat préalable au Conseil européen des 17 et 18 juin 2010

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.

MM. François Marc, Jean-Pierre Chevènement, Michel Billout, Pierre Fauchon, Pierre Bernard-Reymond.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.

Débat interactif et spontané

MM. Jacques Blanc, le secrétaire d'État.

MM. Richard Yung, le secrétaire d'État.

MM. Yves Pozzo di Borgo, le secrétaire d'État.

Mme Annie David, M. le secrétaire d'État.

MM. Jean-Pierre Chevènement, le secrétaire d'État.

M. le président de la commission.

12. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

Secrétaires :

Mme Sylvie Desmarescaux,

M. Jean-Pierre Godefroy.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 11 juin 2010, deux décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité (nos 2010-2 QPC et 2010-6/7 QPC).

Acte est donné de ces communications.

3

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat le 11 juin 2010 que le Conseil d’État lui a adressé deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-20 QPC et 2010-21 QPC) et, le 14 juin 2010, que la Cour de cassation lui a adressé une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-23 QPC), en application de l’article 61-1 de la Constitution.

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

4

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 11 juin 2010, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.

Acte est donné de cette communication.

5

Renvoi pour avis

M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi n° 527 (2009-2010), modifié par l’Assemblée nationale, de réforme des collectivités territoriales, dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond et la commission des finances est saisie pour avis, est également renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

6

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Michel Doublet.

M. Michel Doublet. Monsieur le président, la semaine dernière, lors du scrutin public n° 228 du jeudi 10 juin sur l’ensemble du projet de loi relatif aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, M. Louis Nègre a été déclaré comme votant contre alors qu’il souhaitait voter pour.

Mon collègue souhaiterait que cette rectification soit consignée dans le compte rendu.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, monsieur Doublet. Elle sera publiée au Journal officiel.

7

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

déduction fiscale des cotisations à des associations d'anciens combattants

M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou, auteur de la question n° 828, adressée à M. le secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants.

M. Jacques Berthou. Je souhaite appeler l’attention sur les possibilités de déduction fiscale des cotisations et dons attribués à des associations d’anciens combattants.

Actuellement, les cotisations des adhérents ou les dons individuels non attribués à une action particulière versés à des associations d’anciens combattants ne sont pas éligibles au régime de réduction d’impôt visé à l’article 200 du code général des impôts. Une telle situation est justifiée par le fait que ces associations, profitant à un cercle restreint de personnes, ne sont pas considérées comme étant d’intérêt général.

Or, aujourd’hui, le rôle des anciens combattants s’est beaucoup développé et ne doit pas être sous-estimé. Leurs associations ont pour objet, entre autres, d’assurer le devoir de mémoire, la défense de la paix, la solidarité entre les peuples, ainsi que la promotion des valeurs patriotiques, démocratiques et républicaines.

Elles contribuent également à entretenir un lien intergénérationnel et à transmettre des valeurs civiques aux plus jeunes via différentes activités pédagogiques. Ces actions civiques sont, sans aucun doute, de l’intérêt de tous. À l’heure actuelle, seuls les dons distincts de la cotisation annuelle, clairement identifiés dans la comptabilité de l’association et destinés à une action particulière, comme la réalisation d’un monument aux morts, peuvent être éligibles à la réduction d’impôt. Considérant l’action globale de ces associations, financée par les cotisations annuelles et les dons individuels, il serait juste de permettre aux adhérents et aux donateurs de déduire, au moins en partie, le montant de leur versement.

En conséquence, je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de bien vouloir me faire connaître la position du Gouvernement sur ce sujet.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur le sénateur, la question soulevée relève de la compétence du ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, qui m’a chargée de vous communiquer les éléments de réponse suivants.

Aux termes de l’article 200 du code général des impôts, ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu les sommes qui correspondent à des dons et versements – cotisations ou abandon de revenus – effectués au profit « d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique […], à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises ».

La condition d’intérêt général suppose, notamment, que l’association ne fonctionne pas au profit d’un cercle restreint de personnes.

En ce qui concerne les associations d’anciens combattants, certaines de leurs activités relèvent de l’intérêt général, par exemple l’érection ou l’entretien d’un monument aux morts, mais d’autres, alimentées par les cotisations, sont destinées à un cercle restreint.

Pour ces dernières, les associations d’anciens combattants ne présentent pas les caractères visés à l’article 200 du code général des impôts.

En dépit de la valeur éminente de leurs activités, ces associations ne jouent pas non plus le rôle d’organismes d’intérêt général puisque leur objet social consiste généralement, pour la partie alimentée par les cotisations, en la défense des intérêts matériels et moraux de leurs membres, c’est-à-dire d’une catégorie bien précise de personnes. C'est la raison pour laquelle les sommes versées à ces associations par les particuliers ne sont pas éligibles à la réduction d’impôt.

Dans le cadre de sa politique générale en matière fiscale, le Gouvernement n’entend pas modifier cet état du droit.

M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou.

M. Jacques Berthou. Madame la secrétaire d’État, le rôle des associations d’anciens combattants dépasse aujourd’hui largement le cadre de leurs activités traditionnelles.

Il me semble que lorsque leurs membres se déplacent dans les écoles pour promouvoir la citoyenneté et le devoir de mémoire, leur action peut être considérée comme étant d’intérêt général.

réforme du classement des meublés de tourisme

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry, auteur de la question n° 902, adressée à M. le secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.

M. Jean-Paul Amoudry. Je souhaite attirer l’attention sur la réforme du classement des meublés de tourisme.

La loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques a introduit de profondes modifications dans la procédure de classement des hébergements touristiques.

Cette réforme fixe un certain nombre de principes qui s’appliquent à tous types d’hébergements touristiques et généralise, lors de la demande de classement, le contrôle par un organisme évaluateur de type A ou C accrédité par le Comité français d’accréditation, le COFRAC, ou tout autre organisme européen équivalent.

En ce qui concerne les meublés de tourisme, l’article 12 de la loi précitée prévoit un dispositif particulier puisqu’elle précise que « sont réputés détenir l’accréditation […] les organismes qui, à la date de la promulgation de la présente loi, étaient titulaires de l’agrément requis pour la délivrance des certificats de visite des meublés de tourisme ».

Ainsi, cette disposition donne la possibilité aux organismes jusqu’alors agréés de poursuivre leur mission.

Cependant la rédaction de l’article 10 du décret n° 2009-1652 du 23 décembre 2009 portant application de cette loi interpelle les élus locaux et les professionnels. En effet, cet article prévoit que les organismes qui étaient titulaires, à la date de la promulgation de la loi, de l’agrément délivré par le représentant de l’État dans le département garderont cette qualité dès lors qu’ils pourront justifier de leur adhésion, à cette même date, à un réseau national de promotion et de contrôle des meublés signataire d’une convention passée avec le ministre chargé du tourisme.

En d’autres termes, les organismes que la loi avait déclarés réputés détenir l’accréditation perdront leur agrément s’ils n’adhéraient pas, à la date du 22 juillet 2009, à un tel réseau.

Cette mesure a pour effet d’exclure les organismes associatifs et les collectivités publiques locales qui, depuis 1993, en Haute-Savoie par exemple, soutiennent la procédure de classement des meublés de tourisme, avec compétence, indépendance et impartialité.

Aujourd’hui, plus de 20 000 meublés classés et quelque 300 agents formés aux démarches d’amélioration de l’offre touristique contribuent à faire de la Haute-Savoie l’un des départements français de tout premier rang en matière touristique.

Ne me résignant pas à voir remis en question cet inestimable acquis, je demande à M. le secrétaire d’État chargé du tourisme de bien vouloir réexaminer cette condition d’adhésion et de la remplacer dans la mesure du possible par un système de critères permettant aux organismes publics agréés de poursuivre leur politique de classement et d’amélioration de l’offre touristique, dès lors que leur action est garante d’un hébergement touristique de qualité.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. Monsieur Amoudry, je tiens tout d’abord à saluer votre engagement pour le développement touristique de la Haute-Savoie et à vous dire d’emblée, au nom de M. Novelli, que vos préoccupations ont été entendues.

La réforme du classement des meublés de tourisme s’inscrit dans la réforme globale du classement des hébergements touristiques marchands. Elle vise à améliorer la qualité de l’offre touristique française, très appréciée, mais dont l’état général, parfois critiqué, souffre d’un manque d’investissements.

La qualité et la lisibilité de l’offre touristique française constituent des éléments très importants pour continuer à attirer les touristes et faire en sorte que la première destination mondiale en nombre de visiteurs – la France a accueilli en 2009, malgré la crise, 77 millions de touristes – soit également la première en termes de recettes, ce qui n’est pas le cas actuellement puisque nous n’occupons que la troisième place à ce titre, derrière l’Espagne et les États-Unis. Nous devons donc améliorer la qualité de notre offre touristique.

Le système de classement qui a été conçu pour concourir à atteindre cet objectif doit apporter toutes garanties de professionnalisme et d’indépendance.

C’est ainsi que la réforme du classement des hébergements touristiques marchands, qui n’avait pas été révisée, pour l’hôtellerie notamment, depuis 1986, repose sur un certain nombre de principes : un référentiel entièrement revu et enrichi grâce à l’intégration de critères liés au confort, aux services, à l’accessibilité et au développement durable ; le caractère volontaire de la démarche ; une durée de validité limitée à cinq ans, alors qu’elle était illimitée auparavant, ce qui contraint les hébergeurs à maintenir leurs efforts ; un contrôle à la charge de l’exploitant effectué par des cabinets privés retenus pour leur compétence, leur indépendance et leur impartialité, et accrédités par le Comité français d’accréditation, le COFRAC.

Le classement des meublés, qui représentent près de 14 % de l’offre de lits de tous les hébergements marchands, doit respecter les mêmes principes.

La loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques prévoit, néanmoins, un dispositif dérogatoire en matière de contrôle des meublés. En effet, les organismes qui, à la date de la promulgation de cette loi, étaient titulaires de l’agrément requis pour la délivrance des certificats de visite des meublés de tourisme sont réputés détenir l’accréditation nécessaire pour effectuer le contrôle des meublés.

Le décret d’application du 23 décembre 2009 précise que ces dispositions s’appliquent aux organismes départementaux disposant d’un agrément préfectoral et adhérant à un réseau national de promotion et de contrôle des meublés, signataire d’une convention passée avec le ministre chargé du tourisme.

Votre crainte, monsieur le sénateur, de voir disparaître ces organismes associatifs locaux œuvrant pour l’animation du secteur et des territoires, mais aussi pour la structuration de l’offre touristique, a été entendue par le Gouvernement. Ainsi, M. Novelli a souhaité assouplir l’application de ces dispositions. À cette fin, un décret portant diverses dispositions relatives au tourisme est en cours de rédaction. Ce décret rapportera l’obligation, pour les organismes agrées départementaux, d’être adhérents à un réseau national de promotion et de contrôle des meublés.

En conséquence, tous les organismes agréés par les préfets de département à la date du 22 juillet 2009 seront réputés accrédités et pourront effectuer les visites de contrôle des meublés dans le cadre de la nouvelle procédure de classement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.

M. Jean-Paul Amoudry. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de cette réponse.

Je forme le vœu que le décret à venir réponde aux attentes que j’ai exprimées dès qu’il s’agit de mettre en place d’authentiques politiques de qualité.

application du nouveau dispositif sur les droits de mutation

M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou, en remplacement de M. Rachel Mazuir, auteur de la question n° 890, adressée à M. le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État.

M. Jacques Berthou. Mon collègue Rachel Mazuir, bloqué dans un TGV, m’a demandé de le suppléer pour attirer l’attention du Gouvernement sur la date de mise en œuvre du dispositif créé par l’article 78 de la loi de finances pour 2010.

À ce jour, aucune précision n’a été apportée, alors même que le Gouvernement s’était engagé à transmettre d’ici au 1er juin à l’Assemblée nationale et au Sénat un rapport qui devait présenter, par catégorie de collectivités et pour chaque collectivité, des simulations détaillées de recettes ainsi qu’une estimation de leur variation à court, moyen et long termes.

Aux termes du 4.5 de l’article 78 de la loi de finances pour 2010, est institué un fonds départemental de péréquation sur les droits de mutation. Ce dernier est abondé par des prélèvements dus par les départements lorsque, au titre d’une année, l’évolution du produit des droits d’enregistrement est supérieure au double de l’inflation prévisionnelle.

Ce prélèvement n’est opéré que si le montant par habitant des droits d’enregistrement pour le département est supérieur à 75 % de la moyenne nationale du montant par habitant de ces droits pour l’ensemble des départements.

Les ressources de ce fonds, ainsi constituées, sont réparties ensuite chaque année entre les départements dont le potentiel financier par habitant est inférieur à la moyenne de l’ensemble des départements.

Cet écart, ne pouvant être constaté qu’à la fin d’un exercice, c'est-à-dire l’année « n+1 », est prélevé sur les versements mensuels de fiscalité. Afin de pallier l’imprécision de l’article 78 de la loi de finances pour 2010, mon collègue Rachel Mazuir souhaite connaître la date d’entrée en application du nouveau dispositif. Une telle précision permettrait aux collectivités territoriales concernées de réfléchir d’ores et déjà à l’élaboration de leur futur budget.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. M. Mazuir appelle l’attention du Gouvernement sur la date de mise en œuvre du fonds départemental de péréquation des droits d’enregistrement créé par l’article 78 de la loi de finances pour 2010, qui est un des éléments de la réforme de la taxe professionnelle.

Ce fonds départemental de péréquation des droits d’enregistrement sera alimenté par un prélèvement opéré sur l’augmentation des droits de mutation à titre onéreux perçus par les départements.

Les principes de fonctionnement du fonds nécessitent de connaître les droits perçus au titre d’une année « n » pour en calculer l’augmentation par rapport à l’année « n-1 », et donc le prélèvement à opérer l’année « n+1 ».

Les ressources du fonds seront réparties chaque année entre les départements dont le potentiel financier est inférieur à la moyenne des potentiels des départements, et ce au prorata de l’écart avec ladite moyenne.

S’agissant de la mise en œuvre de ce nouveau dispositif, comme vous l’avez signalé, monsieur le sénateur, la loi ne prévoit aucune date.

Par conséquent, le dispositif aurait vocation à s’appliquer dès 2010, c'est-à-dire à la date d’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2010, en fonction de la croissance des droits de mutation constatée entre 2009 et 2010, ce qui induit des prélèvements et des reversements en 2011.

Or la crise a entraîné un très net ralentissement des transactions immobilières en 2009, avec une forte chute des droits de mutation, tandis qu’une reprise a été constatée dans de nombreux départements au début de l’année 2010.

Une entrée en vigueur immédiate du dispositif de péréquation engendrerait des prélèvements très élevés pour certains départements au profit du fonds, et ce sans réelle justification.

Surtout, ce dispositif est étroitement lié à la suppression de la taxe professionnelle et à la mise en place des nouvelles ressources fiscales dont les collectivités bénéficieront à compter de 2011. Or, s’agissant des droits de mutation, l’article 77 de la loi de finances pour 2010 prévoit, à compter de 2011, le transfert aux départements du droit budgétaire perçu par l’État sur les mutations immobilières.

C’est pourquoi le Gouvernement se propose d’apporter certains correctifs au dispositif départemental de péréquation des droits de mutation à l’occasion du prochain projet de loi de finances.

Afin de lever toute ambiguïté sur la question que vous soulevez, Mme Lagarde m’a chargée de vous indiquer qu’il sera proposé d’ajuster l’entrée en vigueur de ce dispositif en fixant à 2012 la première année des prélèvements et des reversements.

M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou.

M. Jacques Berthou. Madame la secrétaire d'État, j’ai écouté attentivement votre réponse et noté que le dispositif en question entrerait en vigueur non pas en 2011, mais en 2012.

Le directeur général des collectivités locales du ministère de l’intérieur avait précisé qu’il devait s’appliquer dès le 1er janvier 2010. Il y a donc un décalage !

place accordée aux sciences humaines, économiques et sociales et à leurs enseignants dans le projet de réforme du lycée

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la question n° 896, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Lors de la consultation sur l’organisation et les programmes de la classe de seconde, les propositions de M. Chatel ont soulevé de vives protestations chez les enseignants en sciences économiques et sociales, et suscité des inquiétudes parmi les enseignants d’économie et de gestion.

Leurs associations ont dénoncé l’ingérence du ministère dans l’instance consultative, prétendument indépendante. Elles craignent la mise en concurrence des disciplines en question par la création de deux enseignements d’exploration aux contenus pourtant très proches, l’évacuation des questions de société, au mépris de la dimension citoyenne des enseignements généraux du lycée, et la fin des dédoublements de classe, ce qui exclurait le travail en petits groupes.

Le programme de seconde retenu au final, malgré quelques ajustements, ne donne pas entière satisfaction, ne serait-ce qu’en raison de l’indigence des horaires arrêtés – une heure trente par semaine seulement ! – et d’un cloisonnement disciplinaire inadapté à la curiosité d’élèves âgés de quinze à seize ans.

Vous ouvrez maintenant un nouveau chantier pour le programme de première. Outre le fait que certains membres du groupe d’experts sont totalement déconnectés du lycée et que les enseignants siégeant en son sein ont été choisis dans la plus totale opacité et ne sont aucunement représentatifs de la majorité de leurs collègues, on voit bien que le contenu de la réforme était réglé d’avance.

Les filières vont devenir hyperspécialisées, sur le modèle des cursus universitaires. Il est même question de supprimer l’histoire-géographie en terminale S, ce qui serait inédit !

En tenant les élèves à l’écart des réalités du monde contemporain, ces enseignements vont être complètement dénaturés.

De plus, les contenus sont beaucoup trop lourds : par exemple, près de 170 notions et 38 chapitres sont proposés en sciences économiques et sociales par les experts pour l’année de première.

Par ailleurs, aucune évaluation des programmes en vigueur cette année n’a été menée. On comprend pourquoi beaucoup d’enseignants vivent ces nouvelles modifications comme un signe de mépris des pouvoirs publics pour leur métier !

La réduction drastique des horaires de seconde, de première et de terminale prouve que la seule logique retenue est celle de la diminution du nombre de postes, au détriment d’une amélioration pédagogique.

Le succès de la consultation lancée par l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales, l’APSES, sur ses programmes alternatifs de première ne devrait-il pas amener M. le ministre de l’éducation nationale à engager une véritable concertation ?

Alors que les arbitrages sur ces nouveaux programmes doivent être rendus demain, le Gouvernement entendra-t-il les enseignants, les parents, les élèves, qui tous aspirent à faire valoir leurs propositions dans le cadre d’un débat qu’ils souhaitent démocratique ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser M. Chatel, qui m’a chargé de vous répondre.

Vous attirez son attention sur la réforme des programmes du lycée en sciences économiques et sociales. Dans le cadre de la réforme du lycée, M. Chatel a voulu que, en classe de seconde, tous les élèves bénéficient d’une initiation aux questions économiques. Jusqu’alors, un lycéen pouvait quitter le lycée sans avoir jamais reçu aucune notion de base en économie. Est-ce acceptable, alors même que l’économie constitue une clé incontournable pour comprendre le monde d’aujourd’hui, comme l’a révélé la récente crise ?

Tous les sondages témoignent d’une attente forte des Français, qui ne veulent plus que l’économie reste l’affaire de quelques initiés. Parce qu’elle concerne leur vie quotidienne, ils souhaitent mieux la comprendre. Bref, l’économie doit enfin être mise à la portée de tous.

Cette réforme des programmes a été menée à bien : dès la rentrée prochaine, les nouveaux lycéens entrant en seconde se verront proposer deux enseignements d’exploration ; ils devront en choisir au moins un dans le domaine de l’économie.

C’est là une des innovations majeures de la réforme du lycée : initier tous les lycéens à l’économie afin qu’ils disposent d’un bagage commun leur permettant de comprendre et de construire leur avenir, qui est aussi le nôtre.

Quant à l’élaboration des programmes, elle a été confiée à des groupes d’experts composés d’inspecteurs, d’universitaires de renom – Christian de Boissieu pour la seconde, Jacques Le Cacheux pour la première – et de professeurs de lycée. Grâce à cette diversité, les groupes ont conjugué expertise académique et expertise pédagogique.

Concernant plus spécifiquement le programme de première ES, son élaboration s’appuie sur les recommandations du rapport rédigé en 2008 par M. Guesnerie, l’un des plus éminents économistes français, professeur au Collège de France. Ce rapport fait l’objet d’un large consensus au sein de la communauté des économistes et des sociologues.

Enfin, je rappelle que la démarche mise en œuvre pour la rédaction des programmes de première est la même que celle qui a prévalu pour la rédaction des programmes de seconde. Cela avait alors donné toute satisfaction.

Jusqu’à demain 16 juin, les projets sont soumis à la consultation des professeurs, qui ont ainsi la possibilité de transmettre leurs remarques et suggestions. Ces propositions seront prises en compte par la commission en vue d’améliorer le texte des programmes, lesquels seront soumis pour avis, le 1er juillet, au Conseil supérieur de l’éducation.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. La réforme des programmes du lycée, notamment de la classe de seconde pour la rentrée de 2010, vient s’ajouter à une avalanche de réformes ayant pour dénominateur commun des coupes budgétaires drastiques. La rentrée risque donc d’être pour le moins difficile !

Il faudra gérer les problèmes de remplacement liés à la suppression de 3 000 postes de remplaçant titulaire, pallier la perte de 2 millions d’heures de cours dans le secondaire en 2009, assumer les conséquences de la réforme de la formation des enseignants et de la suppression de 16 000 postes, et faire face à la mise en œuvre dès 2011 du plan pluriannuel de suppression de postes, laquelle aboutira à la disparition de 17 000 emplois.

De fait, c’est tout le corps enseignant qui est maltraité. Ce sont bien entendu les familles et les élèves qui pâtiront de ce dérèglement organisé de l’enseignement.

Les résultats de la consultation de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales, l’APSES, sur les programmes des classes de première sont sans appel : la proposition du groupe d’experts est considérée comme illégitime, car elle est éloignée des demandes des enseignants.

Or une réforme réussie du lycée ne pourra être qu’une réforme concertée. Mais le Gouvernement fait peu de cas de la concertation, et même de la représentation parlementaire. En effet, il est inadmissible qu’aucun parlementaire de ma sensibilité politique ne soit associé au comité de pilotage de la conférence nationale sur les rythmes scolaires.

fermeture de classe en gironde

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, auteur de la question n° 914, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.

Mme Françoise Cartron. Ma question porte sur la situation du syndicat intercommunal de regroupement pédagogique, le SIRP, des communes de Cazalis, de Lucmau et de Préchac, en Gironde, syndicat exemplaire pour le monde rural.

À ce jour, ce SIRP, classé en zone de revitalisation rurale, ou ZRR, comprend deux classes de maternelle et trois classes élémentaires. Le 24 mars dernier, l’administration de l’éducation nationale a proposé le blocage, avant fermeture, d’un poste de l’école maternelle de Lucmau dès la rentrée de 2010, en raison d’un effectif global jugé trop faible.

J’ai été saisie de ce problème par les élus des communes concernées, inquiets de cette décision, d’autant que les projections réalisées par les services communaux et les enseignants font état, pour la rentrée de 2010, d’un nombre d’inscriptions supérieur aux années précédentes.

La décision de l’éducation nationale se fonde, notamment, sur la comptabilisation d’un seul élève pour sept enfants âgés de deux à trois ans au jour de la rentrée scolaire. Or cette pratique administrative a été condamnée par une décision de la cour administrative d’appel de Bordeaux en date du 12 février dernier. Cette juridiction a considéré que le refus par l’inspecteur d’académie de comptabiliser les enfants de moins de trois ans dans les effectifs prévisionnels d’une commune située dans une zone de revitalisation rurale était entaché d’excès de pouvoir et méconnaissait les dispositifs de l’article L. 113-1 du code de l’éducation.

Par ailleurs, la communauté de communes à laquelle appartiennent les trois communes du SIRP ne dispose, pour l’accueil des tout-petits, que de vingt-deux places de crèche. Cette situation rend indispensable la scolarisation des enfants de deux ans dès lors qu’ils remplissent les conditions requises.

La décision de l’éducation nationale est d’autant plus incompréhensible que les communes concernées ont, à la demande expresse de l’inspecteur de l’éducation nationale, réalisé un investissement de 450 000 euros sur l’exercice 2007-2008 afin d’aménager une salle de motricité pour les élèves de maternelle. Il serait absurde que cet investissement, pour lequel les communes se sont endettées, ait été réalisé en pure perte.

Je souhaite connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre pour remédier à la situation délicate de ces communes. D’une manière plus générale, comment sera mis en œuvre le principe de scolarisation des enfants de deux à trois ans en zone de revitalisation rurale, réaffirmé par la cour administrative d’appel de Bordeaux ?

Une plus grande attention doit être portée à la cohérence entre la gestion des personnels de l’éducation nationale, d’un côté, et les efforts financiers et humains exigés des collectivités territoriales, de l’autre.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser M. Luc Chatel, qui m’a chargé de vous transmettre la réponse suivante :

« L’école maternelle est pour moi une vraie école, à laquelle nos compatriotes sont légitimement attachés. D’ailleurs, j’ai la conviction que la lutte contre l’échec scolaire et la prévention de l’illettrisme supposent d’agir de manière précoce, dès l’école maternelle, au moment où les enfants s’approprient le langage et se préparent aux apprentissages fondamentaux. » Je pense, madame la sénatrice, que vous serez d’accord avec M. Chatel sur ce point !

Mme Françoise Cartron. C’est parfait !

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État. « Au début du mois de mai, je suis allé, en compagnie d’Alexandre Jardin, président de l’association Lire et faire lire, dans une école maternelle du Val-de-Marne et j’ai pu y observer une pédagogie fructueuse pour transmettre le goût de la lecture dès le plus jeune âge.

« Dans le même sens, j’ai réuni à la fin du mois de mai l’ensemble des cent inspecteurs de l’éducation nationale chargés spécifiquement de l’école maternelle dans chaque département. Je leur ai dit ma confiance pour le travail qu’ils accomplissent depuis le mois de septembre et je leur ai demandé de concentrer leur action sur l’apprentissage de la maîtrise de la langue, sans laquelle aucune réussite n’est durablement possible, mais aussi de s’assurer que tous les apprentissages se déroulent en conformité avec les programmes qui ont été récrits en 2008.

« Vous le comprenez : la prévention de l’échec scolaire est ma première priorité et ce combat passe par une attention accrue à l’école maternelle.

« Mais je dois également vous rappeler, madame la sénatrice, que notre politique de la petite enfance est très claire. Le rapport publié en 2005 avec la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école n’a rien perdu de son actualité ni de son sens. J’attire votre attention, entre autres, sur le passage suivant : “L’école maternelle précède la scolarité obligatoire. L’accueil des enfants de deux ans reste assuré en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé.”

« Par environnement social défavorisé, il faut d’abord entendre, bien sûr, les écoles qui font partie des réseaux de réussite scolaire et des réseaux ambition réussite.

« Là, il faut assurer la scolarisation d’enfants souvent non francophones, ou de ceux qui sont issus de milieux maîtrisant mal les usages de la langue et les codes sociaux qui permettent une véritable intégration.

« Il est alors nécessaire de donner toute leur place à des apprentissages que les familles, souvent, ne peuvent pas transmettre.

« Certes, vous pouvez penser que l’expression “environnement social défavorisé” devrait également s’appliquer aux zones de revitalisation rurale. Pourtant il faut reconnaître que les conditions des apprentissages et de la transmission y sont très différentes.

« En outre, je constate que le jugement de la cour administrative de Bordeaux en date du 12 janvier 2010 auquel vous faites référence porte sur un cas particulier. Il ne doit en rien masquer le travail quotidien de consultation et de dialogue mené par les inspecteurs d’académie, selon les caractéristiques de chaque commune, dans le but d’adapter le réseau des écoles à l’évolution de la démographie scolaire et aux besoins spécifiques de chaque territoire.

« Ainsi, en Gironde, le syndicat intercommunal de regroupement pédagogique des communes de Cazalis, de Lucmau et de Préchac se caractérise par une démographie prévisionnelle en baisse.

« À la rentrée 2009, le RPI était constitué de cinq classes, dont deux maternelles à Lucmau. Le taux général d’encadrement était inférieur à dix-neuf élèves par division.

« La mesure conservatoire que vous contestez a été prise, après consultation réglementaire des comités techniques et du conseil départemental de l’éducation nationale en mars, en tenant compte d’une prévision pour la rentrée 2010 qui culmine à quatre-vingt-treize élèves. Il en résulte un taux général d’encadrement de vingt-trois élèves par division. Il s’agit d’un chiffre encore pleinement favorable aux apprentissages dans de bonnes conditions.

« Une nouvelle prévision est à l’étude, qui porte sur quatre-vingt-dix-neuf élèves, dont huit enfants de moins de trois ans. L’inspecteur d’académie va l’affiner d’ici à l’été.

« En effet, comme vous ne l’ignorez pas, le “blocage” du poste au sein du SIRP est une mesure d’ordre technique. Il montre clairement la volonté de l’inspecteur d’académie de ne pas d’ores et déjà fermer la classe, en dépit des chiffres qui pouvaient y conduire.

« Cette décision permettra d’affecter tout de même un professeur des écoles, pour la rentrée de septembre, si les opérations finales de décompte des élèves en juin prochain conduisaient clairement à ce besoin, à la suite d’une évolution des prévisions démographiques.

« Car vous savez bien, comme tous les élus – et je suis un élu local moi aussi –, que les chiffres présentés dans les écoles diffèrent parfois de façon très sensible des chiffres réellement observés à la rentrée.

« En conséquence, je demande à l’inspecteur d’académie de porter une attention vigilante à l’évolution des données démographiques au sein du syndicat intercommunal de regroupement pédagogique. En tout premier lieu, il sera attentif aux dates de naissance des enfants de moins de trois ans, dont la scolarisation ne s’envisage pas de la même façon qu’après trois ans.

« Je vous rappelle d’ailleurs que le secrétariat d’État chargé de la famille continue ses travaux destinés à prendre en charge les tout-petits lorsque les propositions de places en crèche sont insuffisantes, et que ces enfants ne sont pas encore en situation de tirer parti d’une scolarisation en maternelle. C’est bien ce cas, madame la sénatrice, que vous signalez vous-même. »

Voilà la réponse, certes un peu longue, mais très précise, que M. Chatel m’a chargé de vous communiquer.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. La réponse de M. le ministre de l’éducation nationale laisse la porte entrouverte. J’en prends acte.

Je partage l’analyse de M. Chatel sur l’importance de l’école maternelle pour les enfants de moins de trois ans en zones rurales. Celles-ci ne souffrent peut-être pas d’un déficit social aussi criant que certains quartiers, mais elles manquent de structures. En milieu rural, l’école maternelle, comme l’école en général, occupe une place toute particulière.

nombre insuffisant des unités de visite familiales

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, en remplacement de Mme Marie-Thérèse Hermange, auteur de la question n° 886, adressée à Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Madame Marie-Thérèse Hermange appelle l’attention sur le nombre insuffisant des unités de visite familiales, les UVF.

Privilégier le maintien des liens familiaux des personnes incarcérées est l’une des meilleures garanties de leur réinsertion. De surcroît, la loi pénitentiaire du 25 novembre 2009 consacre le droit fondamental des personnes détenues au maintien des liens familiaux.

Depuis de nombreuses années, diverses opérations ont été menées pour favoriser le maintien de ce lien. L’administration pénitentiaire a notamment ouvert, depuis 2003, des unités de visite familiales destinées aux condamnés à de longues peines, ne bénéficiant pas de permissions de sortie. Les visiteurs peuvent être soit des membres de la famille justifiant de leur lien de parenté, soit des personnes avec lesquelles le détenu a un lien affectif durable, la réalité de ce lien faisant l’objet d’une enquête.

Les visites en UVF sont autorisées par le responsable de l’établissement pénitentiaire après consultation du personnel et à la suite d’entretiens avec les futurs visiteurs et le détenu. Les décisions de refus ne peuvent être justifiées que par des motifs tenant à la sécurité.

La durée de la visite – entre six et quarante-huit heures – est déterminée par le chef de l’établissement en fonction du dossier, de la demande de l’intéressé et des possibilités d’accueil. La circulaire recommande un allongement progressif des visites. Une fois par an, une visite de soixante-douze heures peut être accordée.

Les visites en UVF sont limitées à une par trimestre. Pendant la visite, les personnels pénitentiaires ont la possibilité de pénétrer dans les UVF. Les contrôles ont lieu à des heures précisément fixées, selon des modalités définies par le règlement intérieur et préalablement communiquées au détenu ainsi qu’à ses visiteurs.

Enfin, l’UVF participe également d’une dynamique intéressante pour le personnel. Un surveillant soulignait « l’approche plus sociale de la personne détenue » et les « liens plus forts avec les personnels d’insertion et de probation ».

Actuellement, on compte trente et une UVF réparties dans onze établissements pour peines, ce qui est nettement insuffisant. Cependant, pour la période 2009-2013, l’administration pénitentiaire prévoit d’ouvrir quarante et une unités supplémentaires, situées dans quatorze établissements.

Au regard de l’importance que revêt ce dispositif, Mme Hermange souhaiterait connaître l’état d’avancement, à ce jour, du programme d’extension des UVF et disposer d’un calendrier prévisionnel de l’ouverture des prochaines unités.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser Mme Michèle Alliot-Marie, qui m’a chargé de vous transmettre la réponse suivante.

Le développement des unités de visite familiales vise à améliorer les conditions du maintien des liens familiaux des personnes détenues.

Les articles 35 et 36 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 rappellent expressément le droit au respect des liens familiaux. Ils généralisent l’accès aux UVF et aux parloirs familiaux pour toutes les personnes détenues. Ils prévoient, pour chaque détenu, l’accès à au moins un parloir de ce type par trimestre.

Ces dispositifs sont prévus dans les nouveaux établissements et ils seront étendus aux sites existants. Un décret d’application a été soumis au Conseil d’État la semaine dernière.

Au total, douze établissements sont déjà dotés d’unités de vie familiales. À l’issue du programme actuel de construction d’établissements pénitentiaires, soixante-dix UVF auront été réalisées à la fin de l’année 2013. L’objectif fixé est de mettre en œuvre la loi pénitentiaire dans les délais les plus brefs.

Le nouveau programme immobilier pénitentiaire augmentera le nombre d’UVF et de parloirs familiaux pour favoriser les rencontres longues entre les personnes détenues et leurs proches, conformément aux dispositions de la loi pénitentiaire.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je remercie Mme le secrétaire d'État de cette réponse. Mme Hermange, accorde une attention toute particulière aux dispositifs des unités de visite familiales.

refus des infirmiers salariés de l'assujettissement obligatoire au tableau de l'ordre infirmier

M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin, auteur de la question n° 871, adressée à Mme la ministre de la santé et des sports.

M. Thierry Repentin. L’article 63 de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires prévoit l’inscription automatique des infirmiers salariés au tableau de l’Ordre infirmier et impose le paiement d’une cotisation.

Je rappelle que les syndicats FO, CGT et CFDT, très largement majoritaires aux élections professionnelles, se sont toujours prononcés contre l’obligation d’assujettissement à un ordre pour les infirmiers salariés, tant du secteur privé que du secteur public.

Comme eux, je considère que les conditions d’exercice des salariés et fonctionnaires sont d’ores et déjà encadrées par des règles professionnelles, d’une part, et par des conventions collectives, d’autre part. L’Ordre infirmier n’a donc pas à intervenir dans ces dispositifs. Les infirmiers salariés et fonctionnaires ne peuvent admettre les pressions disciplinaires et déontologiques supplémentaires que cet ordre entend exercer.

Les principes dont l’Ordre infirmier est le garant – équité, moralité, probité et compétence –, les devoirs professionnels ainsi que les règles édictées par le code de déontologie de la profession d’infirmier sont intrinsèquement liés à l’exercice de la profession pour un infirmier salarié. L’autorité hiérarchique s’assure en outre du respect de ces règles.

En s’abstenant massivement aux élections professionnelles de 2008, les intéressés ont signifié qu’ils ne considéraient pas l’Ordre infirmier comme représentatif.

Par ailleurs, ils notent avec intérêt que les infirmiers du ministère de la défense sont, eux, exonérés de toute inscription ou cotisation.

Enfin, le régime fiscal des salariés et fonctionnaires ne leur permet pas, le plus souvent, de déduire la cotisation ordinale de leurs revenus, contrairement aux membres de professions libérales.

Dans une période où le pouvoir d’achat subit des tensions, ce nouveau prélèvement est difficilement accepté, en raison tant de son fondement que de la dépense supplémentaire et inutile qu’il représente. Il pénalise plus lourdement encore les agents travaillant à temps partiel.

Devant l’incompréhension totale que suscite l’assujettissement obligatoire des infirmiers salariés au tableau de l’Ordre infirmier, le Gouvernement envisage-t-il de mettre fin à la mesure ou de restreindre substantiellement son champ, comme le suggèrent, à l'Assemblée nationale, les auteurs d’une proposition de loi allant dans ce sens ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie. Monsieur Repentin, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Mme  Bachelot-Narquin, qui m’a chargé de vous répondre.

L’Ordre infirmier a été créé par la loi du 21 décembre 2006. Dès sa mise en place, le niveau de cotisation de 75 euros annuels, défini par l’Ordre lui-même, a posé problème. Avant même que ce taux ne soit arrêté, la ministre de la santé et des sports a conseillé à l’Ordre de fixer une cotisation d’un montant symbolique, de l’ordre d’une vingtaine d’euros par an. Elle a, depuis, continué de recommander à l’Ordre infirmier de réviser à la baisse cette cotisation de 75 euros.

Roselyne Bachelot-Narquin avait également introduit dans la loi du 21 juillet 2009, dite « Hôpital, patients, santé et territoires », une disposition permettant à l’Ordre infirmier de moduler le montant des cotisations. Malheureusement, l’Ordre n’a pas suivi ce conseil de bon sens.

Depuis, les difficultés se sont accumulées. La majorité des infirmiers refusent de payer la cotisation de 75 euros annuels, qui semble disproportionnée par rapport à leurs revenus.

Il faut rendre hommage aux efforts que les parlementaires ont consentis, de concert avec le Gouvernement, pour permettre à l’Ordre infirmier de trouver ses marques. Je citerai, par exemple, la mission de médiation lancée par Pierre Méhaignerie et conduite par Bérangère Poletti et Richard Mallié.

Malgré ces efforts, malgré les demandes insistantes de la profession, malgré les appels à la raison des organisations syndicales, l’Ordre infirmier n’a fait aucun geste pour modérer le montant de la cotisation due par les infirmiers salariés. Le montant de la cotisation est resté, comme en 2009, fixé à 75 euros, les jeunes diplômés et les infirmiers exerçant à titre bénévole bénéficiant, quant à eux, d’une réduction de moitié de ce montant.

Une très forte majorité des infirmiers n’ayant pas réglé leur cotisation en 2009, ils devraient être nombreux à recevoir un appel de cotisation de 150 euros à l’occasion de la campagne qui a débuté courant mai 2010. Même si l’Ordre infirmier est indépendant pour fixer le montant de la cotisation, une telle perspective n’est ni raisonnable ni acceptable.

Il ne faut pas que les infirmiers soient inquiétés dans leur exercice quotidien. Nous ne devons pas non plus accepter que les employeurs soient menacés de « complicité d’exercice illégal de la profession ». Nous ne pouvons imaginer que le système de santé s’interrompe au motif que des acteurs de premier plan, à savoir les infirmières et les infirmiers, n’auraient pas tous réglé leur cotisation.

C’est la raison pour laquelle la ministre de la santé et des sports s’est exprimée en faveur de la proposition de loi déposée par M. Bur, député du Bas-Rhin, tendant à limiter le champ de l’inscription obligatoire aux seuls infirmiers libéraux, pour lesquels l’Ordre est très utile.

D’ici au débat sur cette proposition de loi, il est possible et souhaitable que le conseil national de l’Ordre infirmier fasse un pas vers la raison, en proposant notamment une cotisation réduite pour les personnels salariés.

L’Ordre peut accéder à une telle demande en construisant son budget de façon pragmatique, à partir de ses recettes certaines et non des dépenses qu’il souhaite engager.

M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin.

M. Thierry Repentin. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le secrétaire d’État.

Il est étonnant qu’un ordre infirmier créé par la loi ne soit pas plus attentif aux demandes insistantes de son ministre de tutelle et des parlementaires.

Je déplore qu’il nous faille légiférer deux fois sur cette question, à quelques mois d’intervalle, pour corriger la situation.

Plus largement, peut-être doit-on s’interroger sur l’utilité d’un ordre des infirmiers.

M. le président. Mes chers collègues, avant d’aborder la question orale suivante, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures vingt, est reprise à dix heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

mortalité maternelle en couches

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, auteur de la question n° 888, adressée à Mme la ministre de la santé et des sports.

Mme Anne-Marie Payet. Ma question s’adresse effectivement à Mme Bachelot-Narquin, mais je sais que M. Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie, sera un excellent interprète.

Au début des années quatre-vingt, les enquêtes sur les risques lors de l’accouchement montraient que la France était l’un des pays européens où la mortalité maternelle était la plus importante. La situation a heureusement changé depuis, mais l’accouchement représente toujours un risque pour la mère, puisqu’on dénombre aujourd’hui encore entre neuf et treize décès pour 100 000 naissances vivantes : de soixante-quinze à quatre-vingts femmes décèdent chaque année de leur grossesse ou de ses suites.

D’après l’Organisation mondiale de la santé, si en matière de mortalité maternelle la France se situe dans la moyenne des pays européens – elle se place au seizième rang selon ce critère –, elle reste en deçà des meilleurs et très loin de la Suède, dont les taux sont deux fois plus faibles.

Le Comité national d’experts sur la mortalité maternelle a publié en avril 2009 un rapport issu d’un travail mené avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et l’Institut de veille sanitaire. L’étude porte sur les années 2001-2006 : le premier constat est que 463 décès maternels ont été identifiés sur l’ensemble du territoire, dont la moitié étaient évitables car ils étaient le plus souvent liés à des mesures thérapeutiques inappropriées.

Durant cette période d’étude, l’âge moyen des femmes décédées de mort maternelle était de 33,3 ans. Le risque de mort maternelle était trois fois plus élevé entre 35 et 39 ans qu’entre 20 et 24 ans, huit fois plus fort entre 40 et 44 ans et trente fois plus élevé au-delà de 45 ans. Ne faudrait-il pas encourager les femmes à avoir leurs enfants plus jeunes ?

Cette même étude montre une disparité régionale surprenante. En effet, le taux de mortalité maternelle en couches en Île-de-France est de 30 % supérieur à la moyenne nationale. Quant aux départements d’outre-mer, la mortalité maternelle y est trois fois plus fréquente qu’en métropole.

Ce taux demeure supérieur chez les femmes de nationalité étrangère, notamment originaires d’Afrique subsaharienne, qui peuvent avoir des complications obstétricales plus sévères. En Île-de-France, le taux de mortalité maternelle chez les Africaines est de 28,9 pour 100 000 naissances, contre 10,2 chez les Françaises. Un quart des morts maternelles surviennent pendant la grossesse, un tiers dans les premières vingt-quatre heures après la naissance et un autre tiers au-delà de ces vingt-quatre heures, mais moins de quarante-deux jours post-partum.

Les hémorragies restent la principale cause de décès, étant à l’origine de 25 % d’entre eux. On devrait pouvoir améliorer la situation en appliquant les recommandations du Comité national d’experts émises en 2004, en particulier en mesurant la quantité de sang perdu après l’accouchement. La très grande majorité de ces décès par hémorragie – 90 % – seraient évitables. Parmi les autres causes obstétricales de décès figurent, à parts égales, l’hypertension artérielle et les thrombo-embolies veineuses ainsi que les embolies amniotiques.

« L’existence de lacunes dans le système national de recueil d’informations laisse supposer un nombre encore plus important de ces décès évitables », admettent même les experts. Dès lors, il me semble fondamental d’éclaircir plusieurs points : la qualité des soins et la formation des praticiens ; le fait que le nombre de praticiens soit en constant recul, alors que la France est en tête des pays européens pour la natalité, avec plus de 800 000 naissances par an ; la prévention et l’information des futures mères avant l’accouchement ; enfin les erreurs médicales et l’abus de césariennes.

Le rapport met en exergue le fait que la césarienne n’est pas un système de prévention à part entière. Le risque zéro n’existe pas. La généralisation de cette pratique ne diminue pas les risques, au contraire : le risque de décès maternel est ainsi multiplié par 3,5 par rapport à la voie basse. Les causes en sont les complications de l’anesthésie, les infections et les thrombo-embolies. S’ajoutent à cela la surmédicalisation et les protocoles de prise en charge de gestion de l’accouchement.

Conduire des études plus ciblées sur les populations à risques au regard des complications maternelles sévères serait nécessaire afin de préciser les facteurs intervenant non seulement à l’échelon d’une zone géographique, mais également à l’échelon individuel. Cela permettrait ultérieurement le développement de politiques de santé publique mieux adaptées régionalement aux besoins des populations.

Il semble donc urgent que la France, qui se targue d’avoir l’un des meilleurs systèmes de soins, agisse pour préserver la santé des futures mères et, bien sûr, des enfants. C’est pourquoi je voudrais connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre afin de remédier à cette situation.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, qui m’a chargé de vous répondre.

La tendance à la baisse de la mortalité maternelle se poursuit en France, avec une diminution du nombre des décès de 16 % entre les périodes 2001-2003 et 2004-2006, d’après le récent rapport du Comité national d’experts publié par l’Institut de veille sanitaire.

La France se situe, selon ce critère, dans la moyenne européenne. Néanmoins, comme vous l’avez souligné, de soixante-dix à soixante-quinze femmes meurent chaque année au cours de leur grossesse, lors de l’accouchement ou dans les jours qui suivent.

Cette situation est intolérable, d’autant que, d’après les experts, près d’un décès sur deux, soit de trente à trente-cinq par an, serait potentiellement évitable par une prise en charge appropriée. D’autres pays européens, comme la Suède, ont de biens meilleurs résultats.

Par ailleurs, il existe des disparités régionales et sociales : les taux sont particulièrement élevés pour les femmes originaires d’Afrique subsaharienne, en Île-de-France et dans les DOM.

Comme le souligne le professeur Gérard Levy, président du Comité national d’experts sur la mortalité maternelle, les hémorragies sont la première cause de mortalité maternelle, avec environ 25 % des cas. Pour éviter qu’elles ne provoquent le décès, il faut s’assurer que, pour chaque accouchement, il y ait en permanence la possibilité de réunir rapidement toute une équipe compétente.

L’autre facteur qui permettra d’améliorer la situation est l’organisation des maternités en réseaux. Si ces événements sont rares, le personnel doit être particulièrement entraîné pour y répondre efficacement, ce qui n’est pas toujours possible dans les établissements réalisant un faible nombre d’accouchements chaque année.

La politique du Gouvernement pour diminuer la mortalité maternelle s’appuie donc sur ces constats. C’est pourquoi Mme Bachelot-Narquin a tenu à rééquilibrer qualitativement l’offre de soins au regard des besoins de la population et des exigences des parturientes et des familles en termes de prise en charge. Elle a également souhaité une amélioration de la qualité des soins, dans une logique de gradation.

L’égalité d’accès aux soins doit être aussi une égalité devant la qualité des soins. Toutes les femmes doivent avoir accès à un ensemble d’établissements de santé, du plus proche au plus technique. C’est l’organisation des filières de soins qui compte : il faut tisser de véritables relations entre les établissements, les médecins de ville et le secteur médico-social pour mettre en place une véritable gradation des niveaux de recours, du plus courant au plus spécialisé.

En particulier, la fixation de seuils d’activité – inférieurs à 300 accouchements par an actuellement – vise à garantir la sécurité et la qualité des soins.

En effet, comme nous le montre notamment l’exemple suédois, le plus probant en la matière, c’est bien le volume d’actes réalisés et la fréquence de ceux-ci qui garantissent à chaque parturiente la prise en charge la plus sûre. Ainsi, plus le personnel est entraîné à prendre en charge des situations parfois compliquées, plus la réponse est efficace, pour la mère et pour l’enfant.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.

Dans ma question, j’ai insisté sur la nécessité de réaliser des études plus ciblées sur les populations à risques en vue de développer des politiques de santé publique mieux adaptées aux besoins des populations, puisque les experts eux-mêmes évoquent l’existence de lacunes dans le système national de recueil d’informations.

Monsieur le secrétaire d’État, je déplore que l’étude portant sur la période 2001-2006, si elle a concerné les départements d’outre-mer, n’ait pas pris en compte la situation de Mayotte, où se trouve la plus grande maternité de France. Si une autre étude venait à être programmée, j’aimerais que Mayotte ne soit pas à nouveau oubliée.

désertification médicale

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano, auteur de la question n° 897, adressée à Mme la ministre de la santé et des sports.

M. Robert Tropeano. La France est classée au premier rang mondial par l’Organisation mondiale de la santé pour la qualité des soins. Mais des inquiétudes émergent, liées à des inégalités sociales devant la santé, à l’engorgement des hôpitaux, à l’apparition de déserts médicaux engendrant de trop nombreuses inégalités territoriales. C’est sur ce dernier problème que portera ma question aujourd’hui.

Voilà quinze jours, mon collègue Roland Courteau évoquait déjà ce sujet. Le constat qu’il faisait pour le département de l’Aude vaut pour l’Hérault et de nombreux autres départements ruraux. La désertification médicale sévit en milieu rural, comme dans les zones urbaines fragilisées.

L’une des principales faiblesses de notre système de santé tient aux inégalités territoriales et sociales en matière d’accès aux soins. Nous ne pouvons plus nous contenter de mesures isolées, ni de promesses.

La pénurie de médecins s’aggrave d’année en année, accompagnée d’un vieillissement de la population médicale. Actuellement, dans le département de l’Hérault, 60 % des médecins ont plus de 60 ans.

Les quelques mesures incitatives contenues dans la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires sont insuffisantes, puisqu’elles ne donneront leur plein effet que dans plusieurs années.

Le regroupement de médecins et autres professionnels médicaux ou paramédicaux en un même lieu, par exemple dans les maisons de santé, nécessaires en milieu rural, peut permettre un progrès, mais à la condition incontournable que les territoires concernés présentent des attraits, c’est-à-dire qu’ils offrent des services publics de qualité. Or, à cet égard, l’accélération du désengagement de l’État de ces territoires constitue le maillon faible du dispositif.

La création des agences régionales de santé et la mise en place d’incitations financières ne répondent que très partiellement aux inégalités territoriales en matière d’offre de soins. La question de l’évolution démographique, qui est l’un des grands défis auxquels notre système de santé est confronté, n’a été traitée qu’en partie, et elle ne peut l’être complètement qu’en liaison avec les professionnels de santé et les associations d’usagers. Quelle est votre vision prospective des besoins de la population ?

Toute politique de soutien financier et de restructuration des établissements publics de santé ne doit pas être abandonnée au prétexte que les missions de service public peuvent être assurées également par des établissements privés.

Comment éviter que les patients éloignés des zones urbaines bénéficiant d’une démographie médicale satisfaisante ne soient victimes, tant au sens propre qu’au sens figuré du terme, des inégalités territoriales ? En cas d’urgence, le délai nécessaire aux pompiers pour amener le patient au service des urgences le plus proche, situé parfois à plusieurs dizaines de kilomètres, risque d’être fatal.

Comment le Gouvernement envisage-t-il l’avenir de ces territoires, notamment dans le monde rural, où les difficultés n’iront qu’en s’accentuant pour les raisons évoquées précédemment ? Enfin, quelles mesures compte-t-il prendre pour répondre aux besoins urgents et immédiats des territoires désertés par les professionnels de santé ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie. Monsieur le sénateur, Mme Roselyne Bachelot-Narquin m’a chargé de vous communiquer la réponse suivante.

Les analyses démographiques de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé prévoient une diminution du nombre de médecins exerçant dans les zones rurales et périurbaines. Cette situation est, à l’’évidence, préoccupante.

Avec l’ensemble des acteurs concernés, et ce depuis la réunion des états généraux de l’organisation de la santé, en 2008, le Gouvernement a agi sur les leviers permettant d’inverser cette tendance.

Tout d’abord, l’augmentation du numerus clausus est fondamentale. Il est fixé en 2010 à 7 400 étudiants, soit à un niveau bien plus élevé qu’il y a quelques années.

Ensuite, le développement de la reconnaissance de la médecine générale comme une spécialité est capital. Ainsi, la création de cette filière universitaire a permis que, en 2009, le choix de près de la moitié des futurs internes – 49 % d’entre eux, contre 37 % seulement en 2004 – se soit porté sur la médecine générale.

Pour compléter ces mesures, le nombre d’internes formés dans chaque région et chaque discipline sera désormais fixé en fonction des besoins de la population. Ainsi, une corrélation entre ceux-ci et le nombre de médecins formés est introduite pour la première fois. Nous savons qu’un praticien a tendance à s’installer dans la région où il a été formé.

Comme vous le soulignez, monsieur le sénateur, la ministre de la santé et des sports a proposé des mesures incitatives, qui favoriseront l’installation des médecins dans les zones identifiées comme « sous denses ».

En outre, les modes d’exercice sont modernisés pour mieux répondre aux aspirations des jeunes médecins et permettre une meilleure prise en charge des patients.

Le Gouvernement a enfin favorisé le développement des maisons de santé pluridisciplinaires.

Les schémas régionaux d’offre de soins ambulatoires, consensuels et non opposables, permettront de faire converger les aides et les politiques incitatives et de soutenir ainsi les projets répondant à de vrais besoins de santé.

En ce qui concerne l’offre de soins des établissements publics de santé, il est question non pas de la remettre en cause, mais au contraire de la garantir. C’est une mission prioritaire pour les agences régionales de santé.

La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi hôpital, patients, santé et territoires », ou HPST,  leur donne les outils nécessaires à un aménagement de l’offre existante. Pour la première fois, les missions de service public sont définies explicitement.

Lorsqu’une mission de service public n’est pas assurée sur un territoire de santé, les directeurs généraux des ARS, les agences régionales de santé, la confieront à l’établissement le mieux à même de la remplir.

Des outils sont mis à la disposition des directeurs généraux des ARS pour leur permettre d’accompagner, de structurer, de sécuriser les coopérations. Celles-ci pourront associer autour de véritables projets médicaux de territoire les établissements de santé, publics ou privés, aux établissements médico-sociaux et aux professionnels de santé libéraux.

Les communautés hospitalières de territoire, par exemple, permettront aux établissements publics de s’organiser de façon complémentaire. Les groupements de coopération sanitaire de moyens et les groupements de coopération sanitaire dits « établissements de santé » permettront, quant à eux, des partenariats durables entre acteurs de statut privé et de statut public.

Ainsi, les ARS pourront développer une politique nationale d’accès à des soins sûrs et de qualité, au plus près des besoins de chaque territoire.

Comme vous le constatez, monsieur le sénateur, le Gouvernement s’est saisi de ce sujet dès 2007 et continue de travailler chaque jour à améliorer la situation de la démographie médicale en France, afin de toujours mieux répondre aux besoins de santé des Français.

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.

Toutefois, mon pessimisme reste entier. Dans nos communes rurales et dans nos bourgs-centres, la population vieillit et s’inquiète de ne pouvoir accéder aux soins très rapidement, l’hôpital le plus proche se trouvant à plusieurs dizaines de kilomètres. Cette préoccupation est à mon sens tout à fait légitime.

Par ailleurs, des mesures encore plus incitatives pourraient être prises pour encourager les généralistes à venir s’installer dans les territoires, tant ruraux qu’urbains, où se manifeste une pénurie de médecins.

pénurie de gynécologues médicaux

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la question n° 899, adressée à Mme la ministre de la santé et des sports.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je regrette l’absence de Mme Bachelot-Narquin, car, en un temps maintenant lointain, nous militions ensemble pour défendre la gynécologie médicale…

Le 15 juin 1999, voilà donc onze ans jour pour jour, j’interrogeais le ministre chargé de la santé de l’époque, M. Kouchner, sur le manque de volonté politique pour prendre à bras-le-corps le problème de la pénurie de gynécologues médicaux.

Aujourd’hui, la situation perdure. La suppression, des années durant, de la formation spécifique de gynécologie médicale a conduit à une diminution des effectifs particulièrement inquiétante. Le vieillissement des gynécologues médicaux actuellement en activité a déjà entraîné l’apparition de quasi-déserts régionaux dans cette spécialité.

Le Gouvernement a trouvé une parade, si l’on peut dire, avec le concept de « transfert de tâches ». Selon cette notion, le suivi aujourd’hui assuré par un seul spécialiste, le gynécologue médical, est morcelé entre plusieurs professionnels de santé, parfois non-spécialistes, voire non-médecins, chargés chacun d’une « tranche » – le dépistage, la contraception… –, avec tous les risques que cela comporte pour la santé des femmes.

Les dispositions de la loi HPST qui instaurent une nouvelle organisation des soins autour des « soins de premier recours » ne peuvent que soulever de nouvelles inquiétudes à cet égard. Transférer les tâches au lieu de former des médecins en nombre suffisant n’est pas sans dangers, particulièrement en matière de gynécologie médicale.

En effet, si un bon dépistage des cancers féminins est assuré dans notre pays, c’est grâce au suivi à long terme pratiqué par les gynécologues médicaux. Ces spécialistes tiennent une place importante dans notre système de santé, qu’il s’agisse d’information, de prévention, de contraception ou encore de dépistage des cancers, lesquels sont souvent guéris s’ils ont été détectés précocement. La régression de leur nombre pose donc beaucoup de problèmes. C’est pourquoi, onze ans plus tard, je réitère ma question : que compte faire le Gouvernement pour répondre aux besoins et aux demandes légitimes des femmes et assurer l’existence d’une gynécologie médicale de qualité ? Cela passe par le recrutement d’un nombre suffisant d’internes dans cette spécialité pour assurer la relève des médecins qui partent à la retraite et par la nomination de cadres hospitaliers et hospitalo-universitaires chargés d’enseigner la gynécologie médicale.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie. Madame la sénatrice, je suis désolé de ne pas avoir pu militer avec vous en 1999 au côté de Mme Bachelot-Narquin (Sourires), qui vous prie de bien vouloir excuser son absence et m’a prié de vous transmettre la réponse suivante.

Toutes les femmes doivent bénéficier d’un suivi gynécologique de qualité. La ministre de la santé et des sports et, plus largement, le Gouvernement y sont très attachés.

Aujourd’hui, plusieurs professions médicales assurent le suivi gynécologique des femmes : les gynécologues médicaux, bien sûr, mais aussi les gynécologues obstétriciens, les médecins généralistes dans les zones dépourvues de gynécologues et les sages-femmes. En effet, ces dernières, depuis l’entrée en vigueur de la loi hôpital, patients, santé et territoires du 21 juillet 2009, sont autorisées à prescrire les médicaments contraceptifs et à effectuer le suivi gynécologique des femmes.

La France compte ainsi douze « gynécologues et obstétriciens » pour 100 000 habitants, ce qui la place dans une position médiane par rapport aux autres pays de l’OCDE.

Par ailleurs, le nombre d’internes formés doit tenir compte tant des besoins de la population que des évolutions de l’offre de soins. Or, les internes en gynécologie médicale estiment que leur futur rôle sera de recevoir des patientes qui leur auront été adressées par un autre médecin pour régler un problème complexe. Ils se positionnent donc clairement comme spécialistes de second recours et ne souhaitent plus assurer les soins de premier recours.

Inversement, nombre de jeunes médecins généralistes, souvent des femmes, souhaitent développer une activité importante de gynécologie médicale de premier recours. Des formations complémentaires dans cette discipline leur sont dédiées dans toutes les facultés de médecine.

Il apparaît donc nécessaire de prendre en compte ces évolutions pour anticiper quel sera le rôle de chacun dans le suivi gynécologique des femmes et ainsi déterminer le nombre d’internes à former dans chacune des disciplines. L’enjeu est bien d’utiliser au mieux les compétences, par une organisation graduée des soins.

C’est pour cette raison que la ministre de la santé et des sports a avant tout consolidé la filière de gynécologie obstétrique et celle de médecine générale.

En ce qui concerne la gynécologie obstétrique, le nombre d’internes formés chaque année est supérieur de plus de 20 % aux besoins estimés.

Pour ce qui est de la médecine générale, les efforts entrepris avec la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche pour consolider la filière universitaire ont permis d’augmenter le nombre d’internes dans cette discipline : 49 % des internes l’ont choisie en 2009, contre 37 % en 2004. Par ailleurs, vingt-sept internes en gynécologie médicale sont formés tous les ans pour répondre aux besoins en soins spécialisés des femmes.

De plus, la loi HPST permet désormais d’adapter plus précisément le nombre d’internes formés dans chaque région et dans chaque discipline aux besoins réels de la population. Ainsi, grâce notamment aux études conduites par l’Observatoire national de la démographie des professions de santé, nous serons à l’avenir en mesure d’ajuster plus finement aux besoins des Françaises le nombre d’internes en gynécologie médicale formés.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.

Les divisions et les querelles entre spécialistes ne sont pas nouvelles. Ainsi, les dissensions entre les obstétriciens et les gynécologues médicaux existaient avant 1999, et je constate qu’elles perdurent !

Pour autant, plutôt que de diviser pour mieux réorganiser, il faut instaurer la complémentarité, ce qui suppose la formation en nombre suffisant des différents professionnels. Pour l’heure, tel n’est pas le cas, tout particulièrement pour ce qui concerne les gynécologues médicaux.

J’exprime ici la position du comité de défense de la gynécologie médicale, auquel je continue d’adhérer, à l’inverse de Mme Bachelot-Narquin, qui pour l’heure n’a pas donné suite à la demande d’audience adressée par celui-ci le 16 avril dernier… Il me semble essentiel d’assurer le maintien de cette spécialité en formant suffisamment d’internes. Il est crucial, pour les femmes, de pouvoir bénéficier d’un suivi de longue durée en matière de contraception ou de dépistage des cancers notamment : des études ont montré que si de bons résultats sont obtenus en France en termes de dépistage précoce des cancers féminins, c’est grâce à l’existence de la spécialité de gynécologue médical.

situation statutaire du personnel contractuel du conservatoire du littoral

M. le président. La parole est à M. Simon Sutour, auteur de la question n° 872, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.

M. Simon Sutour. Le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, établissement public administratif de l’État chargé de mener une politique foncière de sauvegarde de l’espace littoral et de maintien des équilibres écologiques, emploie près de 150 agents, dont 57 agents contractuels, ce qui représente la moitié de ses équivalents temps plein.

À ce jour, il ne dispose pas de mesures statutaires propres pour la gestion de ce personnel. Son règlement intérieur datant de 1976, c’est le décret 86-83 relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l’État qui, par défaut, lui est appliqué.

Cette fragilité statutaire, dénoncée par la Cour des comptes, conduit à des difficultés de gestion, comme le souligne le contrat d’objectifs 2009-2011 de l’établissement, avec notamment un régime indemnitaire inadapté, une inadéquation des missions et une mobilité professionnelle réduite.

La perspective d’évolution, évoquée dès 2005 par le ministre de l’environnement de l’époque et récemment confirmée par le ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, vise à élargir le champ d’application du statut des personnels des agences de l’eau aux agents du Conservatoire du littoral.

Le 24 juin 2009, le conseil d’administration du Conservatoire du littoral s’est, pour sa part, prononcé à l’unanimité « pour une extension du statut des agences de l’eau à l’ensemble des catégories de personnel de l’établissement aussi rapidement qu’il sera possible ». Depuis lors, à chaque séance du conseil d’administration, la tutelle, c'est-à-dire les représentants du ministère chargé de l’environnement, repousse les échéances annoncées sur ce dossier et ne donne aucune garantie que des suites seront données au vœu exprimé.

Dans un contexte aujourd’hui fragilisé et anxiogène de rapprochement ou de fusion avec d’autres établissements, tels que l’Agence des aires marines protégées ou Parcs nationaux de France, les difficultés de gestion des carrières se posent avec acuité : le processus de fusion ne serait que mieux accepté si le statut des agents était stabilisé.

Pour ce qui concerne les agents de catégorie A, aucune difficulté technique n’apparaît à ce jour avec l’inscription sur liste dérogatoire à la fonction publique pour le recrutement de ces personnels sous contrats à durée indéterminée. Pour les agents des catégories B et C, une solution doit être examinée sans délai : intégration en extinction sous le statut des personnels des agences de l’eau ou élargissement du périmètre de recrutement sur liste dérogatoire.

Dans ces conditions, je souhaiterais savoir pourquoi les réflexions en cours à l’échelon ministériel sur l’extension du statut des personnels des agences de l’eau à ceux de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’ONEMA, et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, concernant plusieurs milliers d’agents, n’incluent pas les 57 agents contractuels du Conservatoire du littoral.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Le Conservatoire du littoral accomplit un travail remarquable et présente un intérêt majeur au regard de la politique du ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer. Nous attachons une importance toute particulière à la situation de ses personnels.

Concernant les mesures statutaires propres à la gestion des personnels contractuels, le décret n° 2007-832 fixant les dispositions particulières applicables aux agents non titulaires des agences de l’eau sera étendu à ceux de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques et à ceux de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage.

En effet, les agences de l’eau, l’ONEMA et l’ONCFS se trouvent dans la même situation juridique : le décret n° 84-38 du 18 janvier 1984 octroie à ces établissements le droit de recruter directement l’ensemble de leurs personnels contractuels sous contrats à durée indéterminée. Ces personnels sont gérés selon des « quasi-statuts », c'est-à-dire des règles particulières appliquées à certains contractuels.

En revanche, cette dérogation reste partielle pour le Conservatoire du littoral, car elle concerne uniquement les personnels contractuels occupant des emplois du niveau de la catégorie A.

L’extension du champ du décret de 1984 à l’ONEMA, en particulier, s’explique également par la proximité technique de cet organisme et des agences de l’eau, ainsi que par leurs finalités voisines et leur collaboration effective sur le terrain.

En outre, le Conseil de modernisation des politiques publiques a décidé de renforcer l’efficacité et la cohérence de la police environnementale en rapprochant les services départementaux de l’ONEMA et de l’ONCFS et en les plaçant, pour l’exercice de leur mission de police, sous l’autorité du préfet.

Dans ce contexte, un statut commun aux agences de l’eau, à l’ONEMA et à l’ONCFS a pour objet de favoriser la mobilité des agents contractuels entre ces établissements, ainsi que les échanges de savoir-faire. J’indique que les travaux d’extension du champ du décret à l’ONEMA et à l’ONCFS feront prochainement l’objet d’une réunion inter-services.

Par ailleurs, le ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer s’est engagé à ouvrir, au second semestre 2010, un autre chantier visant à établir des règles rénovées et attractives non seulement pour les personnels contractuels du Conservatoire du littoral, mais également pour ceux de Parcs nationaux de France et de l’Agence des aires marines protégées.

Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, les services de mon département ministériel ont engagé une réflexion concernant les personnels contractuels du Conservatoire du littoral, à laquelle nous attachons une importance particulière dans la mesure où nous comptons beaucoup sur cet établissement.

M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.

M. Simon Sutour. Madame la secrétaire d'État, je suis quelque peu désespéré par votre réponse, qui reprend les arguments que nous opposent les représentants de votre ministère à chaque réunion du conseil d’administration du Conservatoire du littoral…

Vous avez salué le travail remarquable accompli par le Conservatoire du littoral, mais pour l’heure la question du statut de ses 57 agents contractuels reste pendante !

Vous avez consacré la moitié de votre réponse, rédigée par vos services, à m’expliquer le bien-fondé de l’extension du champ du décret de 1984 aux agents de l’ONEMA et de l’ONCFS, mais ce n’est pas le sujet ! En tant que membre désigné par le Sénat du conseil d’administration du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, je puis témoigner que la position de ce dernier est unanime sur cette question. Bien qu’il soit de votre bord politique, son président ne rencontre pas plus de succès que moi dans ses démarches : l’échéance est maintenant repoussée au second semestre 2010, après bien d’autres reports. Il est plus que temps de régler la question de la situation statutaire des 57 agents contractuels.

démantèlement des centrales nucléaires

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, auteur de la question n° 882, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.

Mme Maryvonne Blondin. Ma question porte sur le cas très particulier du démantèlement de la centrale nucléaire de Brennilis, située dans le Finistère. Cette opération pionnière risque en effet de créer un précédent, puisqu’à ce jour aucun réacteur n’a été démantelé sur le territoire national.

Le démantèlement de l’ensemble du site de Brennilis a été engagé dès 1985, celui du bâtiment abritant le réacteur étant prévu à l’horizon de 2015.

Or, dès 2007, plusieurs sources ont fait état de taux de contamination anormalement élevés dans l’environnement de la centrale, cette contamination remontant à près de vingt ans.

Toujours en 2007, le Conseil d’État a annulé, pour manque de transparence et défaut d’information du public, un décret autorisant le démantèlement complet du site.

Le 1er décembre 2009, la Commission locale d’information, la CLI, rendait un avis favorable, mais assorti d’une quinzaine de recommandations prenant en compte les inquiétudes légitimes subsistant encore.

Le 15 mars 2010 enfin, la commission d’enquête publique rendait pour sa part un avis défavorable à la réalisation de ce projet, au motif que l’urgence du démantèlement n’est pas démontrée et que l’inventaire de l’état radiologique et chimique du site n’est pas achevé.

En mai dernier, un décret a déjà autorisé la création d’un centre d’entreposage provisoire dans le pays du Bugey, dans l’Ain. Situé à 1 006 kilomètres exactement de Brennilis, ce centre ne sera toutefois opérationnel qu’en 2013. On imagine le bilan carbone du transport des matériels entre les deux sites…

À ce jour, EDF demeure encore dans l’attente d’un décret autorisant soit la phase II du démantèlement, soit le démantèlement complet. Cette situation est d’autant plus inquiétante que ce site va indéniablement servir de test de validation des procédures techniques devant être appliquées aux autres centrales nucléaires mises à l’arrêt depuis 1973.

Or le démantèlement des centrales appelle de nombreux questionnements, notamment en termes de coût.

Ainsi, à la fin de l’année 2003, la Cour des comptes a estimé le coût du démantèlement des centrales nucléaires – la France compte cinquante-huit réacteurs – entre 20 milliards et 40 milliards d’euros. Pour le site de Brennilis, ce coût s’élève à 500 millions d’euros !

Or le système de financement prévu par la loi dite « TSN » du 28 juin 2006 est insuffisant. Aucune garantie quant à la mise en œuvre effective de ce texte par l’industrie nucléaire n’est apportée, encore moins aujourd’hui en période de crise !

En outre, le manque d’information du public reste patent. Eu égard à l’importance de l’enjeu se dessinant derrière le cas particulier de Brennilis, le président de la CLI a demandé l’organisation d’un débat public national sur le démantèlement de ces installations nucléaires. À ce jour, aucune réponse du Gouvernement n’a été apportée à cette requête.

Le financement des CLI, qui constituent une des rares sources d’information du public et des élus locaux, n’est pas même assuré, puisque l’abondement de leurs budgets par le biais d’un prélèvement sur le produit de la taxe sur les installations nucléaires de base n’a toujours pas été mis en place.

Le caractère expérimental de ce chantier doit pourtant nous inciter à la plus grande exigence, à la vigilance et à l’exemplarité. Madame la secrétaire d'État, quelles sont les intentions du Gouvernement concernant la centrale de Brennilis ? J’aimerais avoir des précisions, d’une part, sur le cadre réglementaire et les conditions techniques qui seront, au final, exigées pour pouvoir procéder à ce démantèlement, et, d’autre part, sur le coût de ces mesures, ainsi que sur les modalités et les garanties de financement. Enfin, je souhaiterais savoir si un débat public national sera organisé sur ce dossier, eu égard à l’intérêt primordial qu’il revêt.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Madame le sénateur, comme vous l’avez souligné, plus d’une trentaine d’installations nucléaires sont aujourd’hui en phase de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement. Parmi elles figurent les huit réacteurs constitutifs du premier parc électronucléaire d’EDF, dont le démantèlement est parvenu à un stade plus ou moins avancé.

La centrale nucléaire de Brennilis, située dans le Finistère, devait initialement être maintenue dans un état intermédiaire de démantèlement sous surveillance pendant plusieurs dizaines d’années. Toutefois, considérant que cette stratégie présente davantage d’inconvénients et de risques qu’un démantèlement complet et immédiat, l’exploitant a déposé une demande visant à procéder à un tel démantèlement de l’installation. Ainsi, le site de Brennilis devait être rendu à d’autres usages en 2015, conformément aux engagements pris par EDF dans son contrat de service public passé avec l’État.

À l’issue de l’enquête publique organisée sur le projet de démantèlement complet de l’installation, la commission d’enquête a émis, le 15 mars 2010, un avis défavorable. Toutefois, elle recommande que certaines opérations de remise en état du site soient tout de même réalisées dans les plus brefs délais.

Pour répondre à ces demandes, relayées par le préfet du département du Finistère, le ministre d’État a chargé ses services de préparer un décret imposant à EDF de réaliser ces travaux de remise en état.

Parallèlement, EDF a été invité à répondre aux observations émises par la commission d’enquête en complétant son dossier afin, notamment, d’exposer et de justifier plus précisément les avantages présentés par un démantèlement complet immédiat de son installation. Une nouvelle procédure prévoyant l’organisation d’une nouvelle enquête publique sera donc prochainement lancée.

Il convient de rappeler que même si la stratégie de démantèlement immédiat fait consensus à l’échelon international, l’Autorité de sûreté nucléaire a bâti une note de doctrine qui a été soumise à la consultation du public. Elle a également été présentée au Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire. Sans préjuger d’actions complémentaires, chacun peut constater qu’une concertation élargie a eu lieu sur ce sujet spécifique.

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de cette réponse. J’insiste néanmoins à nouveau sur l’intérêt que le Gouvernement doit porter au démantèlement de cette centrale et sur la préoccupation des habitants de la région de Brennilis devant les contaminations constatées. Malheureusement, toutes les garanties sur la qualité de l’air et de l’eau n’ont pas été apportées.

De plus, il me semble que la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire prévoyait la création d’une commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs.

Aux termes de l’article 20 de ladite loi, cette commission devait rendre au Parlement un premier rapport public présentant l’évaluation de ces financements au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la publication de la loi de juin 2006, puis tous les trois ans. Or, en juin 2008, c’est un décret de nomination des membres de la commission nationale d’évaluation qui a paru… Comment les opérations de démantèlement des centrales seront-elles financées et quel sera leur impact sur l’environnement ? Les inquiétudes subsistent.

non-application de certaines dispositions réglementaires du code de l'environnement à la réunion

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau, auteur de la question n° 891, adressée à Mme la secrétaire d'État chargée de l'écologie.

Mme Gélita Hoarau. La Fédération départementale de pêche et de protection des milieux aquatiques de la Réunion est confrontée à des problèmes récurrents qui la handicapent dans l’exercice de ses missions.

Un apport réglementaire au code de l’environnement pourrait résoudre ces difficultés et contribuer à la sauvegarde de notre biodiversité. En effet, l’article R. 436-44 du code de l’environnement fixe la liste des poissons migrateurs. Or aucune espèce de poissons de la Réunion n’y figure. Cet oubli nous prive de l’application légale d’un plan de gestion prévu aux articles R. 463-45 et R. 436-45 dudit code et de la mise en place de l’outil de référence, le comité de gestion des poissons migrateurs, dit COGEPOMI, qui s’occupe spécifiquement des problèmes de gestion des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau de mer. Il revient à ce comité d’assurer l’élaboration, le suivi et la révision du plan quinquennal de gestion de ces poissons migrateurs.

Je vous rappelle, madame la secrétaire d'État, que la totalité des poissons de la Réunion, soit une vingtaine d’espèces, sont migrateurs. C’est dire l’importance de la gestion de nos embouchures pour la sauvegarde de la faune aquatique de notre réseau hydrographique insulaire, exceptionnel sous nos latitudes.

Or, le seul texte légal concernant cette faune est l’arrêté ministériel du 9 septembre 1999, qui énumère la liste des poissons et crustacés présents dans les cours d’eau de la Réunion.

De plus, madame la secrétaire d'État, la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, portant création de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’ONEMA, et l’article R. 213-12-14 du code de l’environnement précisent que « l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques met en place, en tant que de besoin, des délégations régionales ou interrégionales et des services départementaux et interdépartementaux ainsi que des pôles d’études et de recherche ».

Force est de constater que les DOM, et plus particulièrement la Réunion, ne semblent pas avoir « besoin » de ces structures territoriales… Or, compte tenu de l’éloignement, des spécificités réunionnaises, des enjeux environnementaux et de la nécessité de préserver les ressources en eau et piscicoles, le département réunionnais mérite amplement la présence sur son territoire de ces structures. Qui plus est, leur absence prive la Réunion de moyens scientifiques, techniques et financiers supplémentaires.

L’Union internationale pour la conservation de la nature, l’UICN, a démontré la nécessité de prendre d’urgence ces mesures réglementaires en inscrivant pas moins de cinq espèces de poissons et crustacés de la Réunion dans sa « liste rouge » des espèces vulnérables ou en danger critique d’extinction.

Au moment où la Réunion a de fortes chances de voir accepter sa candidature à l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO sur le thème « Pitons et Remparts », alors que nous sommes dans l’année de la biodiversité, il serait tout à fait regrettable que nous laissions tout un pan de notre patrimoine naturel partir à la dérive !

Madame la secrétaire d'État, ne pourriez-vous pas envisager, dans les plus brefs délais, l’apport réglementaire approprié pour remédier à ces manquements fortement préjudiciables à la Réunion ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Madame le sénateur, vous souhaitez que les dispositions relatives à la gestion des poissons migrateurs prévues par le code de l’environnement prennent en compte le caractère spécifique de la Réunion. Vous demandez en outre que ce département puisse bénéficier de l’implantation de structures locales de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques.

En effet, les articles R. 463-45 et R. 436-46 du code de l’environnement, qui visent à appliquer des règles uniformes de gestion des poissons migrateurs, ne portent pas sur les espèces vivant à la Réunion.

Or, des espèces migratrices spécifiques sont présentes à la Réunion et participent à la richesse de la biodiversité ultramarine. De ce fait, il convient de mettre en œuvre des outils de gestion compatibles avec la préservation de cette biodiversité remarquable. La stratégie nationale de gestion des poissons migrateurs prendra en compte les spécificités de l’outre-mer, notamment celles de la Réunion. Cela devrait vraisemblablement conduire à une évolution des textes en question.

S’agissant de l’ONEMA, cet établissement public dispose depuis longtemps d’une implantation locale à la Réunion, actuellement constituée de deux agents, essentiellement dévolus à des opérations de police de l’environnement. Ces agents de l’ONEMA participent, aux côtés de ceux de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, et du parc national de la Réunion, en liaison avec l’Office national des forêts, à la brigade nature de l’océan Indien, la BNOI.

Cette organisation garantit la meilleure synergie possible entre les différents établissements publics de l’État sous tutelle du ministère chargé de l’écologie, en mutualisant leurs moyens. La direction générale de l’ONEMA assure également un appui particulier aux services locaux implantés en outre-mer, s’agissant des enjeux liés à la préservation des ressources en eau et à la protection du patrimoine piscicole.

Par ailleurs, l’ONEMA intervient pour faire réaliser des recherches et des actions de recueil de connaissances sur les enjeux particuliers de l’outre-mer, notamment de la Réunion. Il y consacre environ 2 millions d’euros chaque année, en partenariat avec les organismes de recherche nationaux.

Enfin, l’ONEMA participe au financement des infrastructures d’assainissement des eaux usées. Au cours des trois dernières années, plus de 10 millions d’euros ont été consacrés à la réalisation d’équipements à la Réunion.

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de ces informations, que je vais transmettre au comité départemental des pêches. Ses membres, qui militent sur le terrain pour la défense du patrimoine faunistique, ne disposent pas des données dont vous venez de faire état.

contournement de l'agglomération vichyssoise

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch, auteur de la question n° 894, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.

Mme Mireille Schurch. Le contournement de l’agglomération de Vichy a été inscrit dans le contrat de plan État-région 2000-2006, dans le schéma de services collectifs de transport en 2002 et confirmé par le contrat de reconversion signé par M. Sarkozy, alors ministre de l’économie et des finances, le 21 juillet 2004, après la fermeture de l’entreprise GIAT-Manurhin.

Aujourd’hui, le conseil général de l’Allier engage les travaux du tronçon sud-ouest, pour lequel il a, avec le conseil régional d’Auvergne, voté une première tranche de 76 millions d’euros. La communauté d’agglomération de Vichy Val d’Allier met en chantier le boulevard est pour un montant de 13 millions d’euros. Enfin, le groupe Autoroutes Paris-Rhin-Rhône doit bientôt débuter les travaux de la bretelle autoroutière A 719 – la section Gannat-Vichy –, la commission chargée de conduire l’enquête publique venant de rendre un avis favorable.

Restent donc à réaliser la desserte nord et le tronçon nord-ouest, d’environ sept kilomètres chacun, qui relèvent de la responsabilité de l’État. Pour ces deux projets, aucun crédit n’est prévu dans le programme de modernisation des itinéraires qui vient d’être signé. Il n’est pas pensable que nous devions attendre 2014 pour voir l’État respecter enfin ses engagements !

M. le ministre d’État a déjà été interpellé sur cette question en 2008 et en 2009 par mes collègues députés Gérard Charasse et Jean Mallot. En chacune de ces occasions, il a fait part de l’avancement des différentes concertations, enquêtes ou études nécessaires.

Après ces nombreux travaux, nous pouvons affirmer qu’aujourd’hui aucun problème environnemental de nature à différer le calendrier n’a été soulevé par qui que ce soit. Les deux maillons nord et nord-ouest sont indispensables à la cohérence du contournement de l’agglomération vichyssoise. Ne pas engager maintenant les travaux remet en cause la totalité du désenclavement, invalide l’effort des collectivités, crée des nœuds d’engorgement générateurs d’insécurité routière et de nuisances. L’économie du bassin vichyssois, notamment l’industrie agroalimentaire ou cosmétique, mais aussi les activités thermales et touristiques, est très intimement liée à la qualité de la desserte.

Tous les élus, le maire de Vichy, le président de la communauté d’agglomération, le président du conseil général, le président du conseil régional, les maires, l’ensemble de la population, les entreprises sont d’accord : nous ne pouvons attendre plus longtemps un hypothétique reliquat de crédits du programme de modernisation des itinéraires routiers, le PDMI. Nous attendons de l’État des moyens financiers et une mise en œuvre rapide.

Ces moyens, le volet relatif au développement des transports, de l’industrie et des PME du grand emprunt national peut les fournir. Je rappelle qu’un investissement de 15 millions d’euros est nécessaire pour démarrer les travaux. Est-il envisagé de mettre à contribution le grand emprunt pour répondre, selon un calendrier qu’il convient de nous communiquer, à l’attente déjà longue de la population, des entreprises, des élus, et respecter ainsi la parole donnée de l’État ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Madame le sénateur, le projet de contournement nord-ouest de Vichy a pour vocation d’assurer la continuité du réseau routier national entre la prolongation de l’antenne autoroutière de Gannat, l’A 719, dont l’enquête publique a été menée en février de cette année et qui n’est donc pas encore réalisée, et la RN 209, située au nord de l’agglomération.

La création de ce contournement de sept kilomètres de long repose, pour partie, sur la réalisation d’une section routière en tracé neuf à deux fois une voie, et, pour partie, sur une requalification d’une section actuelle de la RD 67, qui devra être reclassée dans le domaine routier national.

Le projet est au stade des études préalables à la déclaration d’utilité publique. Il doit encore être approfondi et précisé sur plusieurs points, dont son impact sur l’environnement, en particulier du fait de sa proximité avec la zone Natura 2000 du Val d’Allier.

La jurisprudence actuelle montre l’importance de disposer d’études de qualité pour garantir aujourd’hui la faisabilité technique, financière et juridique des projets.

Dans tous les cas, l’état d’avancement des études du contournement nord-ouest de Vichy ne permettait pas d’envisager un engagement des travaux de cette opération dans le cadre des programmes de modernisation des itinéraires routiers 2009-2014 pour la région Auvergne. Il convient donc de poursuivre les études engagées afin que ce projet puisse être réalisé dans le cadre des prochaines générations de PDMI.

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d'État.

Malheureusement, je dois constater qu’elle est identique à celle que le Gouvernement avait faite à mes collègues en 2008 et en 2009 alors que, comme je viens de vous l’expliquer, toutes les études ont été réalisées depuis et qu’il n’y a plus aucun problème environnemental.

La secrétaire d’État à l’écologie que vous êtes ne manquera pas d’être sensible au fait que 12 000 véhicules par jour sont actuellement enregistrés sur la RN 209 et aux préoccupations que suscite la sécurité routière dans l’agglomération vichyssoise, cette situation entraînant une augmentation de la violence des accidents.

Par ailleurs, l’absence d’aménagements au nord hypothèque la zone économique de 120 hectares autour de la communauté d’agglomération.

Enfin, madame la secrétaire d'État, je rappelle qu’une politique de développement durable impose que les trafics de transit soient écartés du centre de l’agglomération.

Je regrette qu’une fois encore le Gouvernement apporte une réponse qui n’en est plus une, puisque, je le répète, toutes les études ont bien été conduites et qu’aucun prétexte d’ordre environnemental ne peut être avancé.

Je réitère donc ma question, madame la secrétaire d'État, et je vous demande de la transmettre à M. le ministre d'État.

Aujourd'hui, il faut aux élus une autre réponse, c'est-à-dire une réponse plus réactive et surtout actualisée, pour que puissent être conduits ces travaux qui vont dans le sens du développement durable de l’agglomération vichyssoise et qui permettraient cette continuité du réseau routier que vous avez vous-même évoquée.

conséquences de l'arrêt du conseil d'état « commune de châteauneuf-sur-rhône » sur les plans locaux d'urbanisme en cours de révision

M. le président. La parole est à M. Michel Doublet, auteur de la question n° 908, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.

M. Michel Doublet. Madame la secrétaire d'État, ma question porte sur les conséquences de l’arrêt du Conseil d’État Commune de Châteauneuf-sur-Rhône, en date du 31 mars 2010, sur les plans locaux d’urbanisme en cours de révision et à venir.

Le Conseil d’État a jugé que l’institution de micro-zones N dans la zone A du plan local d’urbanisme de la commune de Châteauneuf-sur-Rhône était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

Le juge administratif écrit ainsi que, « considérant qu'il résulte [des] dispositions [précitées] que la possibilité ouverte par le troisième alinéa de l'article R. 123-8 du code de l'urbanisme de créer, à l'intérieur des zones N naturelles et forestières, des secteurs où des constructions peuvent être autorisées sous condition, ne peut permettre de créer à l'intérieur d'une zone A des micro-zones N constructibles, dès lors qu'elles ne répondent pas à l'objectif de protection soit des milieux naturels et des paysages, soit d'une exploitation forestière, soit des espaces naturels auquel est subordonnée, en vertu du premier alinéa du même article, l'institution de zones N ».

Le Conseil d’État précise par ailleurs que la création de micro-zones N délimitées en englobant au plus près les constructions existantes, micro-zones correspondant à un secteur Nh dont le règlement permet l’aménagement pour l’habitation des constructions existantes, à l’intérieur de la zone agricole A couvrant le secteur et où sont seules autorisées les constructions liées à une exploitation agricole, est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

Dès lors, comment appréhender les habitations isolées implantées au cœur d’espaces agricoles, mais qui ne sont pas liées à l’activité agricole et ne correspondent pas parfaitement aux critères de la zone N ?

L’objectif des communes consiste en effet à entretenir ces constructions, à permettre leur valorisation et à éviter leur abandon. Il s’agit donc non pas de créer de nouveaux logements ou de densifier ces secteurs, ni de compromettre l’activité agricole, mais bien de prendre acte d’un existant.

Dans un souci de sécurité juridique, je vous demande donc, madame la secrétaire d'État, quelles mesures vous comptez mettre en œuvre pour permettre aux communes rurales la création de micro-zonages en zone agricole. De nombreuses communes rurales procèdent actuellement à la révision de leur PLU et attendent des réponses à cette question.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Monsieur Doublet, vous appelez l’attention du ministre d’État sur les conséquences de l’arrêt du Conseil d’État Commune de Châteauneuf-sur-Rhône, en date du 31 mars 2010, sur les PLU en cours de révision ou à venir. Plus précisément, vous souhaitez savoir comment permettre l’entretien et la valorisation d’habitations isolées implantées au cœur d’espaces agricoles, mais non liées à l’activité agricole.

Le Conseil d’État a en effet jugé que l’institution de micro-zones N au sein de telles zones agricoles, qui auraient permis d’éviter l’abandon de ces habitations, n’était pas autorisée par le code de l’urbanisme puisque celui-ci prévoyait explicitement cette possibilité uniquement pour les zones naturelles et non pour les zones agricoles.

Le Gouvernement partage totalement votre avis, monsieur le sénateur : ce jugement conduit à de réelles difficultés.

Il est vrai qu’il faut éviter tout mitage des terres agricoles, et c’est l’esprit aussi bien du Grenelle de l’environnement que du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche en matière de protection des terres agricoles. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il faille interdire de façon absolue et systématique tous les travaux ou constructions.

Je vous précise qu’un amendement sur ce sujet a été voté par l’Assemblée nationale dans le cadre de la discussion du projet de loi portant engagement national pour l’environnement. Ces dispositions feront l’objet d’un examen par la commission mixte paritaire, qui doit se réunir demain.

La clarification qui devrait ainsi être apportée par le nouvel article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme a pour objet de permettre expressément au règlement du PLU de délimiter de telles micro-zones indistinctement au sein des zones naturelles, agricoles ou forestières.

Toutefois, la délimitation de ces micro-zones devra être strictement encadrée. En effet, d’une part, ces micro-zones ne pourront accueillir des constructions qu’à la condition qu’elles ne portent atteinte ni à la préservation des sols agricoles et forestiers ni à la sauvegarde des sites, milieux naturels et paysages. D’autre part, le règlement du PLU devra préciser les conditions de hauteur, d’implantation et de densité des constructions afin de permettre leur insertion dans l’environnement et leur compatibilité avec le maintien du caractère naturel, agricole ou forestier de la zone.

M. le président. La parole est à M. Michel Doublet.

M. Michel Doublet. Je vous remercie de ces précisions, madame la secrétaire d'État, et j’espère que la commission mixte paritaire retiendra l’amendement qui a été voté par l’Assemblée nationale.

lutte contre le fléau des campagnols terrestres

M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, auteur de la question n° 883, adressée à M. le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.

M. Gérard Bailly. Monsieur le ministre, je souhaite attirer une nouvelle fois l’attention du Gouvernement sur les dégâts importants causés par les campagnols terrestres dans les prairies herbagères et les massifs, notamment dans le Jura, le Massif central, le Limousin, l’Auvergne, le Cantal, la Savoie. Peut-être pourriez-vous d’ailleurs m’indiquer, monsieur le ministre, s’il y en a aussi dans ces monts du Lyonnais que vous connaissez bien…

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Il y a des rats partout ! (Sourires.)

M. Gérard Bailly. À titre d’exemple, les dégâts sont évalués à 8 millions d’euros, pour une seule année, dans le Jura et le Doubs.

La situation n’a malheureusement pas évolué depuis que, voilà deux ans, je posais la même question à M. Barnier, alors ministre de l’agriculture.

Des sommes considérables ont été dépensées depuis plus d’une trentaine d’années par les collectivités territoriales et l’État, qui financent un nombre important de programmes de recherche et de lutte ; malgré cela, rien ne change.

On observe au contraire une augmentation de la fréquence et de la sévérité des pullulements de ces animaux dans les prairies, ce qui oblige les éleveurs à acheter du fourrage, lequel a battu cette année des records de coût.

Les agriculteurs, qui traversent une crise très grave, ont besoin d’informations détaillées sur les programmes de recherche, d’expérimentation et d’application, car beaucoup d’entre eux ne comprennent pas l’inefficacité de ces derniers depuis de si nombreuses années.

Sachant que les traitements chimiques sont prohibés, j’aimerais avoir plus de détails sur les dernières méthodes en matière de lutte raisonnée, notamment sur l’empêchement de la reproduction.

On m’avait répondu, voilà deux ans, que la solution passait par une coordination européenne du problème pour une mutualisation des programmes d’action. Où en est-on à l’échelle européenne à ce stade ?

Par ailleurs, ne pourrait-on pas envisager que les dégâts causés par les campagnols soient pris en compte dans les assurances récoltes, étant donné la survenue fréquente des infestations ?

Ne pourrait-on pas avoir aussi l’assurance que les parcelles qui ont été dévastées et « resemées » en avoine pour obtenir des fourrages de substitution soient considérées comme prairies pour les aides de la PAC ?

Une autre inquiétude se profile du fait de la recrudescence de la fièvre hémorragique à antivirus, dont le campagnol est le réservoir, dans les secteurs où sévissent ces animaux, notamment – je l’ai dit – dans le massif du Jura et l’est de la France : six cas dont le campagnol a été le vecteur viennent d’être signalés en six semaines par le centre hospitalier universitaire de Besançon.

Je me permets d’insister sur la lassitude et le grand découragement des éleveurs de montagne et des plateaux face à ce fléau qui se reproduit tous les trois ans environ et au manque cruel de résultats.

Je souhaiterais donc savoir, monsieur le ministre, quels progrès a pu accomplir depuis deux ans la recherche.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Monsieur Bailly, je vous prie d’abord de bien vouloir excuser Bruno Le Maire, qui est retenu par la préparation de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche à l’Assemblée nationale.

Vous avez interrogé mon collègue sur les dégâts importants causés par les campagnols terrestres dans les prairies herbagères et les massifs, sur les méthodes de lutte raisonnée contre ce nuisible et sur la prise en compte de cette problématique dans le cadre du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, projet de loi que le Sénat vient de voter

Vous avez raison de dire qu’il s’agit d’un vrai problème, qui se pose d’ailleurs également dans ma région.

Le campagnol terrestre est considéré comme pouvant être nuisible et figure, à ce titre, dans l’annexe B de l’arrêté du 31 juillet 2000 établissant la liste des organismes nuisibles aux végétaux, produits végétaux et autres objets.

En conséquence, si la lutte contre son développement n’est pas obligatoire, sa propagation peut néanmoins justifier des mesures spécifiques de lutte obligatoire.

Le programme interrégional de recherche intitulé « campagnols terrestres et méthodes de lutte raisonnée », qui vient de s’achever, a conforté le bien-fondé d’une stratégie de lutte raisonnée contre ce rat-taupier.

Un dispositif d’épidémiosurveillance, impliquant de nombreux observateurs, a été mis en place sur tout le territoire national pour détecter le plus précocement possible les bioagresseurs des végétaux.

Dans les régions concernées par la prolifération des campagnols, un suivi spécifique sera organisé sur ce modèle et les observations en résultant figureront sur les bulletins de santé du végétal régulièrement diffusés.

Concernant la lutte elle-même, une stratégie de contrôle doit être mise en place dès l’apparition des premières populations, stratégie reposant sur des mesures de lutte directe, comme le piégeage ou l’emploi d’appâts.

Pour être efficaces, ces mesures doivent être doublées de mesures complémentaires, telles que la protection des prédateurs naturels des campagnols – rapaces, renards – et de leurs habitats, ou l’aménagement du territoire – des plantations de haies, par exemple.

L’action collective dès les premiers foyers est la seule solution pour maîtriser les populations de campagnols terrestres à un niveau acceptable économiquement.

Le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche prévoit par ailleurs la création de fonds de mutualisation dédiés à l’indemnisation des pertes économiques découlant de l’apparition d’un foyer de maladie animale ou végétale ou d’un incident environnemental. Les pertes causées par ce rat-taupier, classé comme nuisible, pourraient potentiellement y être éligibles.

La priorité reste, pour l’heure, la poursuite des programmes de recherche.

À cet égard, un projet d’étude sur la problématique « rongeurs-environnement-santé-territoires » vient d’être proposé au ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche. Il se traduira par la création d’un observatoire national des rongeurs prairiaux et de la taupe.

Il est également envisagé de renforcer les collaborations avec d’autres pays concernés par cette problématique.

Telle est, monsieur le sénateur, la réponse que je suis en mesure de vous apporter au nom du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.

M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.

M. Gérard Bailly. Je remercie M. le ministre de sa réponse. Elle contient un élément positif : la perte importante de fourrage due à l’infestation de campagnols pourrait être prise en compte dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. J’espère que cette promesse se concrétisera...

Les compagnies d’assurance, en revanche, se font un peu prier pour indemniser les risques naturels prévisibles et répétitifs ; j’attends, là encore, de voir ce qu’il adviendra.

J’aimerais en tout cas ne pas être obligé, dans deux ans, d’intervenir à ce même micro pour attirer l’attention de Mme la ministre de la santé sur ce problème. Le CHU de Besançon m’a transmis un rapport établissant que le nombre de personnes contaminées est en augmentation. Un jeune agriculteur âgé de 37 ans expliquait ainsi, au cours d’une réunion à laquelle je participais, dans la région de Nozeroy, qu’il ne pouvait plus exercer son métier, car il venait d’être contaminé par ce virus qui s’attaque aux poumons.

On compte sur certaines exploitations 1 200 campagnols à l’hectare, et vous imaginez quels dégâts ces animaux peuvent causer !

Certains évoquent le piégeage, mais il est impossible de résoudre le problème de cette façon ! Quel que soit le nombre de RMIstes et de chômeurs embauchés à cette fin, ils ne pourraient jamais parvenir à piéger tous les campagnols qui infestent une exploitation ! La situation est donc très grave.

Il n’est pas question non plus d’utiliser n’importe quels produits chimiques, qui peuvent avoir des répercussions négatives sur la faune et sur l’eau.

Les agriculteurs n’ont guère de solutions pour s’en sortir. S’ils essaient de semer de l’avoine pour disposer d’un fourrage de substitution, ils risquent de perdre les aides de la PAC : l’Union européenne ne considérera-t-elle pas que ces parcelles ne sont plus de la prairie compte tenu du fait que des céréales ont été semées ? Le ministre de l’agriculture pourrait-il nous confirmer que les aides de la PAC ne seront pas remises en cause dans ce cas ?

Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la poursuite des programmes de recherche. Cela fait trente ans que, au sein du conseil général comme du conseil régional, nous votons des crédits pour lutter contre les campagnols, sans obtenir de résultat tangible. C’est même devenu un sujet de plaisanterie !

Voilà pourquoi je souhaitais attirer l’attention du Gouvernement sur ce fléau. Je vous fais confiance, monsieur le ministre, pour alerter sur ce point vos collègues en charge de l’agriculture et de l’environnement.

Alors même que notre agriculture est très vulnérable, il convient d’engager un véritable travail pour résoudre ce problème.

mise en place d'un fonds assurantiel pour la forêt et aide aux sylviculteurs sinistrés du sud-ouest

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, auteur de la question n° 892, adressée à M. le ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le ministre, vous me permettrez une nouvelle fois d’appeler l’attention du Gouvernement sur la situation des sylviculteurs du Sud-Ouest, sinistrés par la tempête Klaus de janvier 2009. Ils considèrent, à ce jour, qu’ils n’ont pas été indemnisés à la hauteur des graves dommages qu’ils ont subis, et ce pour la seconde fois en dix ans.

En effet, le plan Barnier a échoué en partie, semble-t-il, et les sylviculteurs sinistrés n’ont pu bénéficier de la valorisation par l’exploitation des chablis. Et je ne parle pas de la chute considérable des prix, qui sont descendus jusqu’à 50 centimes la tonne !

Les sylviculteurs estiment que les critères d’octroi des aides n’ont pas été respectés, pas plus que l’avis de l’Union européenne. Ils toucheront, in fine, 2 750 euros par hectare pour payer le nettoyage et le reboisement, et devront surtout attendre trente-cinq ans pour dégager un revenu des parcelles sinistrées.

Pourtant, obligation est faite aux sylviculteurs de reboiser. C’est la raison pour laquelle ils ont sollicité une aide complémentaire compensatrice, qu’ils estiment à 1 000 euros par hectare, soit 19 millions d’euros par an pendant huit ans.

Monsieur le ministre, puisque le fonds de solidarité de l’Union européenne, le FSUE, doit rembourser 58 millions d’euros, cette somme ne pourrait-elle être réaffectée aux sylviculteurs sinistrés, sans contrarier les règles comptables de l’Union européenne ?

Par ailleurs, le montant de la bonification des prêts sur 600 millions d’euros aurait dû être de 7 millions par an, et ne sera finalement que d’environ 1,5 million par an. Sur une durée moyenne de trois ans, près de 16,5 millions d’euros pourraient donc être ainsi récupérés et réaffectés.

Je souhaiterais connaître la position du Gouvernement sur la proposition de financement compensateur des sylviculteurs du Sud-Ouest.

Enfin, monsieur le ministre, vous me permettrez d’évoquer les débats que nous avons eus le 29 mai dernier, dans le cadre du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, sur le compte épargne d’assurance. Le ministre de l’agriculture a voulu recentrer ce dispositif uniquement sur l’épargne précaution, et non plus sur l’investissement, comme l’avait proposé la commission de l’économie du Sénat par voie d’amendement. Si les plantations ou replantations d’arbres ne sont pas des investissements, de quoi s’agit-il, alors ?

M. Le Maire s’est toutefois engagé devant la Haute Assemblée à engager une réflexion sur les moyens de renforcer les investissements dans ce secteur, car il a reconnu qu’il s’agissait à l’évidence d’un facteur indispensable pour la valorisation de nos forêts.

Pouvez-vous me préciser, monsieur le ministre, quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet, et donner aux sylviculteurs l’assurance qu’ils s’engagent dans une politique forestière durable ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire. Madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser Bruno Le Maire, retenu par la préparation de l’examen de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche en commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.

La tempête Klaus a frappé très durement le massif forestier des Landes de Gascogne, ce qui a justifié la mise en œuvre d’un plan de solidarité nationale. Échelonné sur huit années, celui-ci s’est traduit, dès la première année, par un important soutien financier de l’État : une enveloppe de 220 millions d’euros de subventions a été attribuée, et l’État en a déjà décaissé la moitié ; en outre, 236 millions d’euros de prêts bonifiés ont été accordés, les banques en ayant décaissé 140 millions. Le dispositif est désormais fluide et des décaissements se poursuivent au rythme de l’avancement des projets.

Un peu plus d’un an après, malgré un contexte difficile, les résultats sont tangibles. Tout d’abord, le rythme d’exploitation, exceptionnel, devrait permettre de traiter, d’ici à la fin de 2010, la quasi-totalité des volumes. Ensuite, le recours à grande échelle au stockage sous aspersion permettra de sécuriser l’approvisionnement des industries du massif. Réalisé à la demande de Bruno Le Maire, le bilan de ces mesures établi par le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des territoires ruraux, le CGAAER, a confirmé ces résultats.

Depuis que les bois « tempêtes » ont été évacués, la priorité est désormais d’aider les sylviculteurs à reconstituer leurs forêts. Pour cela, plusieurs mesures ont été prises.

Une enveloppe totale de 415 millions d’euros sur huit ans est réservée aux aides directes en faveur des propriétaires forestiers.

Des opérations de nettoyage des parcelles sinistrées, qui ont débuté en 2009, s’intensifient cette année. Déjà, un peu plus de 75 millions d’euros ont été engagés pour le nettoyage de plus de 50 000 hectares de forêts sinistrées. D’ici à l’été, l’objectif est que ces opérations soient achevées pour 40 000 hectares et que les propriétaires soient payés.

Enfin, pour répondre à la demande forte et légitime des propriétaires forestiers privés, un dispositif assurantiel a été introduit dans le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Il repose sur une épargne de précaution et sur une incitation fiscale au recours à l’assurance privée.

Parallèlement, la ministre chargée de l’économie doit prochainement étudier avec les professionnels de l’assurance les moyens de développer le marché de l’assurance en forêt, qui ne concerne aujourd’hui que 5 % des surfaces forestières.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je n’ai pas tout à fait les mêmes chiffres que M. Mercier sur la fluidité du dispositif après-tempête !

M. Michel Mercier, ministre. Ce sont les chiffres transmis par M. Le Maire !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le ministre, vous devez prendre conscience du fait que le dispositif du compte épargne d’assurance, adopté par le Sénat au travers d’un amendement gouvernemental dans le cadre de l’examen de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, ne satisfait pas les sylviculteurs : ils souhaitent même son retrait. Ils considèrent que ce dispositif n’est qu’une prétendue assurance et un moyen pour l’État de se désengager.

Ce système ne fonctionnera pas, car il ne répond pas aux besoins existants. Je tiens à le réaffirmer clairement : ce qu’il faut aux forestiers, c’est un compte épargne d’investissement ; ils le réclament d’ailleurs depuis 1999... Je partage leur analyse. Il en va de l’avenir de la politique forestière de l’État !

avenir des zones de revitalisation rurale

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, auteur de la question n° 951, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Jacques Blanc. Monsieur le ministre, votre nomination, s’ajoutant aux déclarations du Président de la République, aux engagements du Gouvernement et du comité interministériel pour l’aménagement et le développement du territoire, le CIADT, ont suscité une grande espérance chez tous ceux qui, comme moi, se préoccupent de l’avenir des espaces ruraux.

Or une inquiétude se fait jour, car des bruits courent quant à une éventuelle remise en cause du dispositif des zones de revitalisation rurale, les ZRR, créé par la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, puis complété par diverses dispositions.

Au prétexte qu’il est difficile d’évaluer les effets directs de ce dispositif sur l’emploi – et même si tous les rapports indiquent que les résultats obtenus sont incontestablement très positifs en termes de maintien d’emplois, sinon de création d’emplois nouveaux ! –, il serait question de supprimer plusieurs mesures dont bénéficient les ZRR.

C’est le cas, ainsi, de l’exonération de cotisations sociales qui s’applique à toutes les entreprises implantées dans ces zones, pour une durée de douze mois, ainsi qu’aux entreprises de moins de cinquante salariés. Une autre mesure concernée serait l’exonération de cotisations sociales applicable aux organismes d’intérêt général implantés dans les ZRR.

La preuve a pourtant été apportée de l’efficacité de ces dispositions ! Je vous invite à revenir en Lozère, où vous êtes toujours le bienvenu, monsieur le ministre. Vous verrez que ces mesures ont permis de maintenir l’activité dans les établissements sanitaires et sociaux, et médico-sociaux, et de créer de nouveaux emplois. Je précise que toutes ces activités sont autorisées, contrairement à ce qu’on laisse entendre dans un certain rapport. Dans le secteur médico-social, vous le savez comme moi, il faut obtenir des autorisations !

Ma question, monsieur le ministre, est très précise. Les engagements pris par l’État, modifiés en 2008 – une extinction en sifflet des mesures d’exonération en faveur des organismes d’intérêt général a alors été prévue –, seront-ils tenus ? Et si ces dispositions, qui ont incontestablement permis de maintenir des activités pour lesquelles les financements de l’État et de l’assurance maladie n’étaient pas suffisants, sont remises en cause, quelles mesures financières prendrez-vous alors pour compenser leur suppression ? L’inquiétude est grande. Après les déclarations fortes du Gouvernement en faveur du développement rural, ce geste serait très mal perçu.

Quelles sont les intentions du Gouvernement, monsieur le ministre ? S’il devait y avoir refonte de ces dispositifs, le Parlement devrait en être saisi, car c’est sur son initiative que ces derniers ont été mis en place.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, les zones de revitalisation rurale ont permis le développement de nombre de territoires ruraux. Leur création constitue donc une réussite, confirmée par l’évaluation conjointe de l’Inspection générale des affaires sociales, de l’Inspection générale des finances, du conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux, ainsi que du conseil général de l’environnement et du développement durable, évaluation qui a donné lieu à un rapport rendu public dès le début de cette année.

Le dispositif des ZRR concerne environ un tiers des communes françaises représentant 8 % de la population. Les entreprises installées dans ces zones et, depuis 2005, les organismes d’intérêt général bénéficient d’exonérations des cotisations sociales patronales et d’exonérations fiscales. Ces allégements s’élevaient à 511 millions d’euros en 2008 – somme extrêmement importante –, dont 409 millions d’euros d’exonérations sociales. Ainsi, cette même année, la Lozère a profité de près de 18 millions d’euros d’exonérations au titre des seules exonérations accordées aux organismes d’intérêt général.

Le Gouvernement estime que ce dispositif est particulièrement utile dans les territoires les moins peuplés – c’est le cas des zones de montagne –, souvent isolés et fragiles économiquement. C’est pourquoi, lors du CIADT du 11 mai dernier, présidé par le Premier ministre, plusieurs décisions importantes relatives aux ZRR ont été entérinées.

Tout d’abord, le dispositif en faveur de la création d’entreprises sera poursuivi : la durée du bénéfice de l’exonération fiscale sera fixée à huit ans et concernera les entreprises de moins de dix salariés. Cette modification sera présentée au Parlement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011.

Ce dispositif sera également élargi aux transmissions-reprises d’entreprises en zones de revitalisation rurale. En effet, une part importante du développement des territoires ruraux est endogène : la reprise et le développement d’activités, portés ou non par des entreprises nouvelles, y jouent un rôle déterminant. Cette mesure répond à l’une des demandes récurrentes formulées lors des assises des territoires ruraux. Elle sera également incluse dans le projet de loi de finances pour 2011

Enfin, conformément à une décision prise lors du CIADT, je suis chargé de proposer, d’ici à la fin de l’année, les évolutions relatives aux critères de zonage des ZRR, évolutions faisant suite aux derniers recensements. Ce travail devra être associé à la plus large concertation possible ; il devra être conduit en étroite collaboration avec le Parlement, qui décidera in fine, et les associations d’élus directement concernées par cette problématique, telle l’association nationale des élus de la montagne, l’ANEM, qui connaît bien le sujet. Je commencerai ce travail dès la rentrée.

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Je souscris à vos propos, monsieur le ministre : le dispositif des ZRR est une réussite. Or lorsqu’un dispositif fonctionne, point n’est besoin de le remettre en cause ; mieux vaut le conserver tel quel.

Cependant, monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu à ma question précise relative aux exonérations en faveur des organismes d’intérêt général. Ce système constitue en Lozère un atout exceptionnel au service des personnes handicapées, des personnes rejetées par la société : il leur permet d’avoir des conditions de vie et d’épanouissement qu’elles ne trouveraient pas ailleurs. Je vous demande donc d’intégrer à la réflexion préalable à vos propositions la nécessité de ne pas « casser » un dispositif qui fonctionne.

Et si, contrairement à ce que je souhaite – je me bats à cet égard –, étaient remis en cause les engagements pris à l’occasion de la loi de finances de 2008, à savoir le maintien des exonérations acquises, maintien qui a été pris en compte pour la préparation des budgets, il faudrait alors prévoir des compensations financières en parallèle.

Comme vous l’avez indiqué, la Lozère a bénéficié d’exonérations à hauteur d’environ 18 millions d’euros au titre des dispositions octroyées aux établissements médico-sociaux. La suppression, demain, de ces exonérations constituerait une catastrophe ! On ne pourrait alors plus répondre aux besoins et apporter ce supplément de vie dont l’espace rural a besoin.

De grâce, monsieur le ministre, plutôt que les technocrates qui vous expliqueront que le dispositif ne sert à rien alors que celui-ci a permis le maintien d’activités, écoutez les parlementaires qui soutiennent l’action médico-sociale et le maintien de la vie dans les espaces ruraux !

L’ANEM est extrêmement mobilisée à cet égard. Je tiens d’ailleurs en cet instant à remercier votre cabinet d’avoir reçu des représentants de cette association, lesquels ont pu exprimer à cette occasion la très grande inquiétude de tous les élus de la montagne.

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente, dans la salle Médicis.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

8

Débat sur « la loi hôpital, patients, santé et territoires, un an après »

(Salle Médicis)

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur « la loi hôpital, patients, santé et territoires, un an après », organisé à la demande de la commission des affaires sociales.

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour un rappel au règlement.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 36 du règlement du Sénat.

La conférence des présidents a décidé, à la majorité, que le débat sur « la loi hôpital, patients, santé et territoires, un an après » aurait lieu non dans l’hémicycle, mais dans la salle Médicis.

Nous nous étions opposés à cette décision et nous entendons le faire savoir une nouvelle fois aujourd’hui, même si cela ne sert à rien.

Rien ne justifie qu’une partie de nos débats ait lieu ailleurs que dans l’hémicycle, d’autant que ce dernier n’est pas occupé, à moins de considérer que certaines discussions ne méritent pas d’être menées dans les mêmes conditions que d’autres. C’est à croire que, pour vous, il y aurait des sujets qui mériteraient toute l’importance et la solennité de l’hémicycle, alors que d’autres pourraient se contenter de cette salle, dont nous savons que certains projettent de la transformer durablement en un « petit hémicycle ».

L’avenir de nos hôpitaux et les difficultés que rencontrent les femmes à accéder à l’interruption volontaire de grossesse ne sont pas, visiblement, des sujets d’importance.

Une telle pratique constitue – personne ne peut dire le contraire – un véritable affaiblissement de la démocratie parlementaire. C’est ainsi que le vivent, et douloureusement, les membres de notre groupe.

D’une certaine manière, la décision de la conférence des présidents est parfaitement cohérente avec l’un des objectifs de la loi HPST dont nous devons tirer le bilan, à savoir la diminution de l’ensemble des contre-pouvoirs.

M. le président. Monsieur Fischer, tout d’abord, nous siégeons ici non pas dans le « petit hémicycle », mais dans la « salle Médicis ».

Ensuite, je vous renvoie au compte rendu in extenso de la conférence des présidents du 27 avril et du 19 mai. J’y vois trace non pas d’un vote, mais d’un accord consensuel pour tenir une séance plénière dans la salle Médicis à l’occasion d’un débat demandé par Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Cette séance, organisée à titre expérimental, ainsi que cela a été indiqué au cours d’une réunion du Bureau, se déroule comme les autres séances publiques, avec les mêmes attributs et selon le même protocole.

Je comprends très bien que vous souhaitiez rappeler votre opposition à cette expérimentation. Reste que le lieu idéal pour faire ce genre de déclaration eût été la conférence des présidents.

Quoi qu’il en soit, je vous donne bien volontiers acte de votre rappel au règlement, et je renvoie chacun au compte rendu de la conférence des présidents, dont vous êtes membre.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, permettez à un parlementaire qui n’est pas membre de la conférence des présidents, et qui n’en saisit donc pas toutes les subtilités, de vous poser quelques questions à la faveur de ce rappel au règlement.

Pourquoi organiser ici un débat qui a été inscrit à l’ordre du jour officiel du Sénat et qui aurait pu tout à fait avoir lieu dans l’hémicycle ? Quelle en est la justification ? Y a-t-il désormais deux statuts pour les séances publiques du Sénat ?

M. le président. Monsieur Sueur, si vous n’appartenez pas à la conférence des présidents, vous avez fait partie du groupe de travail « révision constitutionnelle et réforme du règlement ». Comme j’ai une excellente mémoire, je me rappelle que, lorsque ce sujet y avait été abordé, vous n’aviez pas émis ce type d’interrogation. L’idée, je le rappelle, est de rendre plus interactifs nos débats. (MM. Jean-Pierre Godefroy et Jean-Pierre Sueur protestent.)

Je peux vous garantir que ma mémoire est exacte. Pour preuve, je vous renvoie au compte rendu du groupe de travail.

Nous ferons le bilan de cette expérimentation le moment venu.

Débat

M. le président. Nous abordons maintenant le débat sur « la loi hôpital, patients, santé et territoires, un an après ».

La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite introduire en quelques mots ce débat et expliquer pourquoi la commission des affaires sociales en a demandé l’organisation.

Voilà tout juste un an, le Sénat achevait l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

Ce texte reste pour nous un souvenir très particulier, non seulement en raison de son ampleur et de l’importance du sujet traité – la politique hospitalière se trouve au confluent des préoccupations légitimes de nos concitoyens et de l’implication des collectivités territoriales –, non seulement parce que les travaux de notre assemblée ont profondément marqué le texte définitif adopté, mais aussi parce que ce fut la première occurrence, pour notre commission, de mise en œuvre des nouvelles procédures d’examen des projets de loi en commission résultant de la révision constitutionnelle de 2008.

Je ne doute pas que Mme la ministre se souvienne également de l’énergie considérable que nous avons mobilisée, les uns et les autres, pour venir à bout de l’examen de ce projet de loi : 1 420 amendements déposés en commission, 1 373 en séance publique, quatre semaines de débats éprouvants ont marqué nos mémoires.

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales a jugé indispensable de demander en séance publique l’inscription d’un débat de contrôle afin que nous puissions établir, ensemble, un premier bilan de ce texte emblématique.

Nous avons suivi la mise en route des agences régionales de santé, nous avons pris acte de la publication progressive des mesures d’application – pas moins de 196 décisions étaient expressément attendues à ce titre – et, si nous devions constater la nécessité d’ajustements législatifs pour parvenir aux objectifs assignés à la loi, ce débat nous fournirait, j’en suis sûre, l’occasion de les identifier et d’y pourvoir.

Les discussions seront engagées par nos deux spécialistes reconnus des questions hospitalières : Alain Milon, qui fut le rapporteur émérite du texte, et Alain Vasselle, notre rapporteur général des projets de loi de financement de la sécurité sociale, expert en matière budgétaire hospitalière.

M. le président. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la loi HPST. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vient de le rappeler Mme la présidente de la commission, c’est le 24 juin 2009, soit voilà près d’un an, que nous avons adopté définitivement le projet de loi dit « HPST », publié le 21 juillet 2009.

Un an après, un an déjà, ce premier anniversaire méritait de ne pas passer inaperçu. Nous remercions donc Mme la présidente de la commission des affaires sociales d’avoir demandé l’organisation de ce débat, d’autant que nous sommes encore, pour l’instant, plus près du temps des interrogations que de celui des bilans. Un texte aussi important mérite d’ailleurs que l’on porte attention à la façon dont il se traduit peu à peu dans les faits.

Le projet de loi HPST avait fait l’objet de larges débats au sein du Parlement. Il avait aussi mobilisé tous les acteurs de la santé et, au-delà, il n’avait pas, je crois, laissé indifférent un seul de nos concitoyens.

Ces débats se poursuivent dans le cadre de la concertation sur les décrets d’application, si j’en crois les échos qui nous en parviennent. À ce propos, madame la ministre, je regrette que les projets de décret ne nous soient pas communiqués et que nous soyons réduits à suivre leur parution au jour le jour au Journal officiel.

Nous nous réjouissons de la mise en place du comité de suivi demandé par le Sénat. La commission des affaires sociales a entendu l’autre jour son président, notre collègue Jean-Pierre Fourcade, dont nous regrettons, autant que lui sans doute, qu’il ne puisse être parmi nous aujourd’hui, ainsi que son rapporteur général et ses rapporteurs.

Nous avons constaté, sans nous en étonner, que le comité partageait nos interrogations et nos préoccupations. Je ne prétends pas, madame la ministre, vous les exposer toutes. Je me limiterai simplement à des observations sur quelques points qui avaient plus particulièrement retenu l’attention de la commission des affaires sociales.

Tout d’abord, j’aborderai l’hôpital, et sa nouvelle gouvernance, dont la mise en place commence à s’organiser dans le cadre, notamment, des premiers décrets parus entre décembre 2009 et avril 2010.

Comme l’avait fort bien observé le rapport Larcher, avec l’expérience du conseil exécutif, l’ordonnance de 2005 avait offert un cadre propice à une alliance médico-administrative pour la gestion de l’hôpital et ouvert la voie à une coopération associant le pouvoir médical au pouvoir administratif.

Cette coopération nécessaire s’était plutôt bien engagée et, sur le terrain, directeur et président de la commission médicale d’établissement, la CME, avaient appris à travailler ensemble.

La loi HPST déplace les lignes en donnant au directeur d’importants pouvoirs propres et en lui permettant de décider seul, en dernier ressort, de questions essentielles à la vie de l’établissement, même si ses décisions doivent être précédées de concertations ou de consultations.

Entendu par la commission des affaires sociales, Jean-Pierre Fourcade a fort bien analysé cette situation en posant, comme nous l’avions fait lors des débats, la question essentielle du changement de positionnement des acteurs de l’hôpital. En particulier, l’organisation de l’établissement en pôles, la nomination des chefs de pôle, le contenu des contrats de pôle et les délégations de moyens qu’ils prévoiront exigeront la définition rapide – cela ne sera pas facile – de nouveaux rapports entre le directeur, les membres de la communauté médicale et le président de la CME.

Le fait que, dans une conjoncture difficile, l’Agence régionale de santé, l’ARS, sera omniprésente dans la détermination et la mise en œuvre de la politique de l’établissement pèsera aussi sur la recherche de ces nouveaux positionnements.

Dans ce contexte, le conseil de surveillance pourrait jouer un rôle important. L’implication des élus et le choix des personnalités qualifiées seront à cet égard déterminants, en particulier, mais pas uniquement, dans les anciens hôpitaux locaux. L’Assemblée nationale et le Sénat avaient souhaité renforcer les pouvoirs de ce conseil, et nous regrettons que le Gouvernement ne les ait pas toujours suivis sur ce point. Nous espérons cependant que, en usant pleinement, notamment, de sa capacité à se prononcer sur la stratégie de l’établissement et à exercer le contrôle permanent de sa gestion, le conseil de surveillance saura prendre toute sa place dans la nouvelle gouvernance de l’hôpital.

J’évoquerai maintenant – ce sera le deuxième point de mon intervention – les coopérations entre établissements.

En ce qui concerne, d’abord, la coopération entre établissements publics, pourriez-vous, madame la ministre, nous donner quelques éclaircissements sur les conditions de la mise en place des communautés hospitalières de territoire ?

Je ne vous cacherai pas que, actuellement, notre inquiétude porte plutôt sur le devenir de la coopération entre établissements publics et établissements privés, plus spécialement sur celui des groupements de coopération sanitaire, les GCS. Le Sénat, vous vous en souvenez, avait émis de nombreuses réserves à l’égard des GCS-établissements de santé tels qu’ils étaient définis dans le projet de loi initial. Les aménagements que le Gouvernement avait introduits dans son texte ne nous avaient pas entièrement convaincus : ils laissaient en effet subsister des problèmes de fond quant au statut de ces nouveaux établissements et à leurs moyens.

Surtout, nous ne comprenions pas la logique – c’est d’ailleurs toujours le cas – ayant conduit à transformer un outil de coopération en un nouvel établissement par nature très spécialisé et dont la création priverait ceux qui ont voulu coopérer des fruits de cette coopération. Cela nous paraissait pour le moins paradoxal, en termes tant d’organisation de l’offre de soins que d’incitation à la coopération.

Nos interrogations sont aujourd’hui partagées, semble-t-il, et il paraît difficile que les décrets d’application comblent les lacunes de la loi.

Ne serait-il donc pas opportun, madame la ministre, de remettre l’ouvrage sur le métier ? Nous regrettons un peu que l’ordonnance de coordination prévoie l’extension du nouveau dispositif aux GCS médico-sociaux, d’autant que ladite extension nous semble être plus qu’une simple mesure de coordination.

Le troisième sujet que j’aborderai peut paraître plus ponctuel, mais il est en fait essentiel car, avec le décloisonnement du secteur médico-social, l’adéquation, dans ce secteur, de l’offre aux besoins à la fois quantitatifs et qualitatifs était un enjeu essentiel de la loi HPST. À cet égard, la nouvelle procédure d’appel à projets nous tient à cœur : nous attendons beaucoup des garanties qu’elle offre aux promoteurs de ces projets et du soutien qu’elle devrait permettre d’apporter dans des domaines expérimentaux ou innovants.

Or, vous le savez, madame la ministre, en l’état actuel, les projets de textes réglementaires organisant cette procédure suscitent des inquiétudes. Ces dernières portent d’abord sur les délais prévus. Les établissements publics craignent en effet d’être désavantagés, car ils devront procéder à des appels d’offres pour bâtir leurs projets, ce qui risque de les empêcher d’être prêts à temps. Les petits établissements, qu’ils soient privés ou publics, redoutent également d’avoir du mal à respecter les délais, mais surtout de n’avoir pas les ressources nécessaires pour monter des dossiers de qualité.

Par ailleurs, tous les acteurs de terrain, qui sont au plus près des besoins et qui sont donc souvent les mieux placés pour faire des propositions innovantes, redoutent que les cahiers des charges ne restent trop administratifs. Certains souhaitent qu’un dialogue qualitatif puisse s’engager avec tous les promoteurs de projets avant la rédaction de ce cahier des charges. Cela ne nous paraît a priori pas une mauvaise idée, car cela permettra de stimuler la créativité administrative et de favoriser le mûrissement des projets. Qu’en pensez-vous, madame la ministre ?

Avant tout, nous souhaitons être assurés que les procédures seront organisées afin de garantir l’égalité des chances entre tous les porteurs de projets et de favoriser la qualité et la diversité de l’offre sur l’ensemble du territoire.

Permettez-moi enfin d’aborder une question qui est au cœur de la problématique « patients, santé et territoires », à savoir le devenir de la médecine générale. Nous savons tous que les médecins généralistes exerçant en ville sont une espèce en voie de disparition, alors même qu’ils sont la clé de l’accès aux soins et de la coordination des parcours de soins.

La loi HPST n’a pas méconnu cette réalité. À cet égard, elle contient des dispositions intéressantes pour encourager les pratiques innovantes, améliorer l’organisation des professions de santé, inciter à l’installation dans les zones désertées et repenser la formation médicale continue.

Ces signaux étaient d’autant plus nécessaires qu’il est en vérité plus tard encore que nous le pensions. La publication récente par le Conseil national de l’Ordre des médecins des vingt-trois atlas régionaux de la démographie médicale nous en fait prendre conscience. En 2008, dix-neuf régions sur vingt-deux ont enregistré une baisse des effectifs inscrits au tableau de l’Ordre. Les disparités territoriales s’accroissent, même au sein des régions les mieux dotées.

M. Jacques Blanc. Bien sûr !

M. Alain Milon, rapporteur pour la loi HPST. Seuls 10 % des nouveaux inscrits au tableau de l’Ordre en 2008 ont choisi l’exercice libéral. Entre 1995 et 2009, le nombre des médecins généralistes a augmenté de 8,20 %, mais celui des généralistes libéraux de 0,6 % seulement, contre près de 40 % pour les salariés hospitaliers et plus de 15 % pour les autres formes de salariat. Plus grave encore, certaines mesures incitatives manquent leur but : en Picardie, 50 % des étudiants en médecine venus d’autres régions pour bénéficier de la forte augmentation des places à l’examen national classant sont retournés chez eux une fois diplômés.

Madame la ministre, la seule application de la loi HPST ne permettra pas de résoudre ce problème. Nous regrettons que le décret sur le développement professionnel continu paraisse enlisé et que la montée en charge prévue des créations de postes d’enseignants universitaires de médecine générale s’amorce bien lentement.

Permettez-moi de faire une suggestion : au-delà des lois, des incitations, des rapports, ne faudrait-il pas tout simplement que le Gouvernement lui-même prenne conscience de tout ce que la médecine générale peut apporter à la politique de santé et qu’il fasse davantage appel à sa réelle expertise ?

Je me garderai d’anticiper sur les conclusions de la commission d’enquête sur la grippe H1N1. Permettez-moi cependant, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en guise de conclusion, de vous citer un propos entendu dans le cadre de cette commission, lequel ne me paraît pas totalement idiot : « en un mois, entre la publication de la loi HPST et celle des circulaires sur la grippe, la médecine de premier recours est devenue la médecine de dernier recours ».

M. François Autain. Très bien !

M. Alain Milon, rapporteur pour la loi HPST. Voilà qui en dit plus, je crois, que la plus longue des lois ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà un an, le Sénat était tout entier mobilisé par le vote de la loi HPST. Il est sans doute encore un peu tôt pour tirer les enseignements de cette loi et pour faire un bilan complet de sa mise en œuvre mais, comme vient de le dire Alain Milon, les agences régionales de santé sont désormais en état de marche et les décrets d’application de la loi sont, pour les plus importants, déjà publiés.

Il serait d’ailleurs souhaitable que, dans la mesure du possible, le Gouvernement, chaque fois qu’il dépose un projet de loi, communique également au Parlement les décrets d’application les plus importants d’un texte. Certes, une telle mesure n’est pas facile à mettre en œuvre, car, en cas de modification du texte par le Parlement, un décret d’application peut ne plus avoir aucun sens et nécessiter une réécriture complète.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Eh oui !

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Néanmoins, un échange sur les décrets les plus importants permettrait peut-être d’éviter certaines initiatives des parlementaires et de faciliter l’application pratique des lois.

Notre collègue Jean-Pierre Fourcade, chargé de piloter le comité de suivi de la loi pour son volet sur l’hôpital, a procédé de son côté à un grand nombre d’investigations. Je tiens à saluer ici à la fois son engagement et la très grande qualité du travail qu’il a déjà accompli avec son équipe. Il a engagé une véritable évaluation de la loi, démarche encore trop rare sur les lois que nous votons, et naturellement extrêmement utile pour nous, parlementaires. Il est en effet essentiel qu’un texte aussi capital que la loi HPST soit rapidement et intégralement mis en œuvre, dans l’esprit souhaité par la majorité des deux chambres du Parlement. Et si des éléments empêchent son application, il convient que nous puissions procéder sans tarder aux ajustements nécessaires.

J’ai bien noté, monsieur le président, que, dans le cadre des réunions de la conférence des présidents, vous procéderiez à une évaluation de la première année d’application de la réforme constitutionnelle, notamment du volet « Évaluation des lois et contrôle du Parlement ». Pour ma part, je pense que nous pourrions faire beaucoup mieux et beaucoup plus que ce que nous faisons aujourd'hui. S’il est intéressant de discuter avec le Gouvernement des textes qui sont en cours d’application, rien ne vaut un contrôle sur pièces et sur place pour évaluer l’application d’une loi. À l’issue d’un tel contrôle, nous pourrions présenter un rapport et engager un dialogue avec le Gouvernement pour lui faire connaître les difficultés d’application rencontrées sur le terrain.

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. En effet, aussi intéressant soit-il, le débat que nous avons aujourd'hui ne saurait avoir la même valeur que si nous étions allés au préalable à la rencontre des acteurs chargés d’appliquer la loi sur le terrain.

L’essentiel de mon propos aujourd’hui portera sur l’hôpital et sur les enjeux financiers de la réforme, et vous n’en serez pas étonnée, madame la ministre.

La semaine dernière, la commission des comptes de la sécurité sociale a arrêté les comptes pour 2009. Elle a mis en évidence un dépassement de 620 millions d’euros sur la part de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, consacrée aux établissements de santé.

Pour 2010, le comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie a également constaté un risque de dépassement de l’ONDAM de 600 millions d’euros, dont 400 millions d’euros pour les établissements de santé, sous l’effet conjugué d’un accroissement des volumes et de la nouvelle tarification des séjours mise en place au mois de mars 2009.

Réagissant assez rapidement, madame la ministre, vous avez d’ores et déjà pris des mesures correctrices – nous ne pouvons que nous en féliciter –, notamment à travers des ajustements dans la campagne tarifaire de 2010 afin de réduire de 250 millions d’euros le dépassement potentiel des crédits destinés aux établissements de santé. Ces mesures sont bien entendu nécessaires pour contenir les dépenses d’assurance maladie. La situation actuelle impose en effet une très grande vigilance, car il est impératif d’éviter un accroissement des déficits, qui atteignent des montants encore inégalés.

Dans le cadre des auditions auxquelles je procède à l’occasion de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale, toutes les fédérations, que ce soient la Fédération hospitalière de France ou les fédérations privées, dénoncent l’insuffisante visibilité de la pratique des tarifs dans le temps. Certes, la situation du Gouvernement n’est pas très confortable, car il faut bien ajuster les comptes de la sécurité sociale, notamment lorsqu’un dérapage des dépenses est constaté. Cependant, pour conduire une politique la plus efficiente possible, les établissements doivent avoir de la visibilité. Les tarifs ne doivent pas changer au gré du vent, en fonction des évolutions. L’exercice n’est certes pas facile, mais – ne le prenez pas comme une critique, madame la ministre – une attention maximale devrait être portée à cette question. À cet égard, le travail effectué par M. Briet devrait aider le Gouvernement à mieux maîtriser l’évolution de l’ONDAM et à lui conserver un caractère réaliste.

Cela étant, sait-on d’où viennent précisément les dépassements ? On invoque un nombre de séjours hospitaliers supérieur aux prévisions, mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Constate-t-on réellement une augmentation de l’activité de l’hôpital ou bien assiste-t-on tout simplement à une optimisation de l’utilisation de la T2A et de la tarification des groupes homogènes de séjour, les GHS ? Nous savons que les hôpitaux se sont structurés pour que la codification soit la meilleure possible. La mise en œuvre de la V11 n’a certainement pas facilité votre tâche, madame la ministre, en raison d’un meilleur calage entre les actes réalisés et la tarification qui doivent les accompagner.

La quasi-absence de comptabilité analytique sérieuse à l’hôpital est un problème récurrent. Que dire de nouveau sur ce sujet que nous n’ayons déjà maintes fois dit et écrit, et alors qu’on ne compte plus le nombre de circulaires ministérielles sur cette question ? Il est impératif de mettre en place une comptabilité analytique fiable dans les établissements de santé. C’est le seul moyen de progresser en matière de gestion des coûts et de pouvoir procéder à des comparaisons entre établissements, sans parler même de la gestion des pôles au sein de l’hôpital. S’agissant de ce dernier point, il serait normal que chaque pôle au sein des hôpitaux puisse connaître ses coûts, mesurer son efficacité et se comparer à d’autres pôles. Or, c’est presque impossible dans le contexte actuel.

C’est la raison pour laquelle la Cour des comptes a fait de cette question une priorité dans son rapport de septembre dernier.

Selon elle, il est plus que temps d’intégrer « un calendrier de déploiement d’une comptabilité analytique pertinente et des tableaux de bord associés », de faire « une analyse des secteurs d’activité présentant des surcoûts, afin de corriger les dysfonctionnements et de réduire les écarts de productivité » et de « donner aux responsables de pôle les outils de connaissance sur leur activité et les compétences appropriées ».

Sans de tels outils, comment expliquer les constats de la Cour des comptes, qui, toujours dans le même rapport, mentionne des écarts de coûts allant de un à dix selon les hôpitaux pour des actes identiques ?

Dans son analyse, la Cour identifie clairement un problème d’autorité. La question est donc de savoir comment obliger les établissements à mettre en place sur le terrain le fonctionnement le plus efficient possible ? Qui doit exercer cette autorité ? À ce jour, ni la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, la DHOS, ni les agences régionales de l’hospitalisation, les ARH, n’y sont parvenues ! Ce sont désormais les agences régionales de santé, les ARS, qui devront assumer cette responsabilité et s’attacher à rendre accessibles les éléments de comparaison entre établissements.

Le préfet Ritter, le président de la nouvelle Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, l’ANAP, créée à bon escient par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, constate de son côté un problème de compétence au sein des établissements hospitaliers. Surtout, il déplore un manque de volonté au niveau central en faveur de la performance.

C’est sans doute la raison pour laquelle on observe une si grande lenteur dans les évolutions, notamment lorsqu’il s’agit de généraliser des bonnes pratiques. Or cette diffusion est primordiale aujourd’hui. Elle permettrait d’enregistrer des progrès dans tous les établissements, notamment dans ceux qui sont en retard, et il y en a.

Depuis sa création, dans le cadre du plan « hôpital 2007 », la fameuse mission nationale d’expertise et d’audit hospitaliers, la MEAH, s’est attachée à définir et à mettre en exergue les bonnes pratiques. Pourquoi les établissements ne s’appuient-ils pas davantage sur ses travaux et ne sont-ils pas plus encouragés à le faire, hier par les ARH, aujourd'hui et demain par les ARS ?

Or, comme le souligne la Cour des comptes – c’est même le message principal de son enquête –, il y a des efforts à faire partout, y compris à l’intérieur d’un même établissement.

L’insuffisance actuelle des statistiques ne doit donc pas servir de prétexte à une absence de préoccupation sur les coûts. Il est temps de favoriser une approche médico-économique au sein de l’hôpital.

Une telle démarche est directement liée à celle de l’amélioration de l’organisation. Une bonne organisation contribue pratiquement toujours à améliorer la qualité des soins ; les deux sujets sont étroitement corrélés.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Absolument !

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. De très nombreux champs d’expérimentation existent. Je pense par exemple à la gestion des urgences ou des plateaux techniques chirurgicaux.

Dans un autre ordre d’idées, une meilleure gestion de la facturation peut être source de recettes supplémentaires appréciables. Ainsi, l’ANAP a évalué que l’absence de facturation d’un certain nombre d’éléments dans les CHU représentait une perte d’au moins 5 % des recettes ; certains parlent même de 10 % des recettes. La même absence de rigueur touche les services chargés des recouvrements.

Certains établissements ont pris conscience de telles défaillances. C’est le cas du centre hospitalier universitaire de Lille, où j’ai eu la chance d’effectuer récemment un stage de deux jours pleins. J’ai pu y mesurer la très grande qualité de la gestion de cet établissement, qui apparaît exemplaire à bien des égards – il y a un directeur hors pair ! – pour les relations nouées entre les professionnels de santé et les responsables administratifs, la coordination entre les soins de ville et l’hôpital ou encore les relations avec les établissements privés voisins. En outre, cet établissement présente un budget pratiquement à l’équilibre.

Madame la ministre, comme je l’ai indiqué lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale que vous présidiez, il faudrait que la gestion d’un tel établissement puisse servir de modèle à d’autres hôpitaux et fournir des référentiels et des éléments de comparaison que l’ANAP serait chargée de promouvoir.

Il ne faut plus retomber dans les errements des dernières années, quand l’utilisation des aides à la contractualisation permettait d’éponger les déficits, sans aucune incitation à faire des progrès compte tenu des faibles contreparties exigées de la part des établissements.

C’est pourquoi nous aimerions que vous nous fassiez connaître votre « feuille de route » pour l’hôpital, madame la ministre.

Comment comptez-vous parvenir au rétablissement de l’équilibre des hôpitaux, qui connaissent en 2009 un déficit global – je l’ai mentionné tout à l’heure – de l’ordre de 600 millions d’euros ?

Ne faut-il pas faire une pause dans l’évolution incessante des modalités de tarification qui sont transmises chaque année, au mois d’avril ou de mai – à mon sens, c’est trop tardif –, aux établissements hospitaliers ? Ne faut-il pas faire preuve d’un plus grand volontarisme à l’égard de réformes susceptibles de produire de réelles économies ?

Je pense d’abord au développement de la chirurgie ambulatoire. À cet égard, des progrès extrêmement importants ont été réalisés dans notre pays. Vous y avez largement contribué, madame la ministre, et le Parlement également. Je me souviens notamment d’amendements que nous avions déposés en ce sens. Nous avions eu des échanges un peu vifs avec le ministre de l’époque, qui n’était pas particulièrement favorable à un développement aussi rapide de l’ambulatoire.

Certains pays, comme la Belgique et l’Italie, ont un taux de pénétration de 90 %, contre 50 % en France. Or, dans les pays comparables au nôtre, on estime aujourd’hui que 85 % des malades peuvent être pris en charge chirurgicalement par l’ambulatoire. Des incitations tarifaires ont certes été mises en place ces dernières années, mais il existe encore un potentiel de développement important, comme le montre le rapport de la commission des comptes de la semaine dernière.

La chirurgie ambulatoire présente en effet de nombreux avantages par rapport à la chirurgie traditionnelle, notamment des bénéfices en termes de satisfaction des patients et de qualité des soins, ainsi que des économies de temps et de ressources.

Une autre source d’économies doit également faire l’objet d’une action plus volontariste : la coordination des soins à la sortie de l’hôpital. Trop de séjours hospitaliers se prolongent du fait de l’absence de solutions de prise en charge adaptée. Des expérimentations sont actuellement menées pour les sorties de maternité. À mon sens, il est impératif de continuer à explorer ce type de réponses.

Vous connaissez, madame la ministre, mon attachement au triptyque « convergence, transparence, concurrence ». Vous avez décidé, au moment du vote de la loi HPST au Sénat, voilà un an, de reporter l’échéance de la convergence intersectorielle à 2018. Je l’ai regretté – vous le savez –, car je crois que, en éloignant cet objectif, on se prive du seul moyen de parvenir à proposer, quel que soit l’établissement, une offre de soins au meilleur coût. Je sais que nous ne sommes pas tous d'accord sur ce point, mais cette idée est tout de même partagée par une majorité d’entre nous.

À l’occasion du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous avez envisagé de mettre en place une convergence ciblée sur quelques groupes homogènes de séjour, ou GHS. Pouvez-vous nous indiquer ce qui a été fait à ce jour et quelles leçons vous en tirez ?

Enfin, vous vous souvenez des craintes que j’avais exprimées l’année dernière sur la question de la gestion du risque. C’est en effet un élément indispensable pour la maîtrise des dépenses d’assurance maladie. La mise en place des ARS nécessitait une clarification des responsabilités, ce que nous avons tenté de faire lors des débats au Sénat voilà un an, en compagnie d’Alain Milon et de Nicolas About, alors président de la commission des affaires sociales. Cela a été laborieux, mais nous sommes parvenus à une rédaction qui, je l’espère, a satisfait tous les acteurs concernés – à moins qu’elle ne les ait tous mécontentés (Sourires.)…

Madame la ministre, où en est donc la négociation de la convention nationale entre l’État et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, l’UNCAM ? Comment s’effectuera le partage entre l’assurance maladie et les ARS ? Quelle sera son articulation entre les niveaux national et régional ?

Nous attendons tous beaucoup des ARS, à commencer, me semble-t-il, par le Gouvernement. Ces agences se mettent aujourd'hui en place, en faisant d’abord face à des difficultés d’ordre logistique. Il faut bien en passer par là… Quand pourront-elles être pleinement efficaces et jouer le rôle que nous avons voulu leur confier, c'est-à-dire favoriser une meilleure organisation et une régulation plus performante de l’offre sanitaire et médico-sociale sur un territoire ?

Rendre plus cohérent et plus efficace notre système reste, un an plus tard, une priorité renouvelée et renforcée. Je souhaite que les résultats soient au rendez-vous et que nous n’ayons pas à souffrir de déficits aussi importants de l’assurance maladie, parce que nous aurons réussi la réforme des ARS. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe de l’Union pour un mouvement populaire : 33 minutes ;

Groupe socialiste : 26 minutes ;

Groupe de l’Union centriste : 10 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche : 10 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 8 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe : 3 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. François Autain.

M. François Autain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je commencerai par faire part de la satisfaction de notre groupe et par féliciter Mme la ministre d’avoir promulgué, le 20 mai dernier, un décret relatif aux établissements de santé privés collectifs, qu’on appelait « participant au service public hospitalier », ou PSPH, avant la promulgation de la loi HPST.

Cette suppression était d’ailleurs cohérente avec celle du chapitre relatif au service public hospitalier dans le code de la santé publique, que vous avez malheureusement refusé de rétablir.

Néanmoins, nous nous réjouissons que le Gouvernement, en publiant ce décret, reconnaisse le rôle irremplaçable joué dans notre système de santé par de tels établissements. Nous pensons même que ces derniers devraient constituer un modèle vers lesquels pourraient converger tous les établissements privés.

Pour le reste, la mise en œuvre de ce texte confirme les craintes que nous avions formulées lors de son examen et qui nous avaient conduits à voter contre ce texte.

La logique comptable qui inspirait votre réforme est aujourd’hui à l’œuvre. L’Assistance publique-hôpitaux de Paris, l’AP-HP, qui négocie actuellement avec sa tutelle pour ses budgets à venir, prévoit pour l’année 2010 la suppression de 685 emplois non médicaux, de 50 emplois de personnels médicaux, et la disparition de 25 hôpitaux de l’AP-HP, puisqu’il ne devrait plus rester que 12 sites au terme de cette opération. (Mme la ministre s’exclame.)

Parmi les fermetures les plus importantes, je souhaite mentionner les hôpitaux Jean Rostand, Paul Brousse et Saint-Vincent de Paul. À cela, il convient d’ajouter les fermetures programmées telles que celles de l’hôpital Fernand Widal, de l’hôpital Beaujon à Clichy, menacé par son regroupement avec l’hôpital Bichat. Ce sont aussi 400 lits qui manqueront avec la reconstruction de l’hôpital Charles Foix à Paris. Je passe volontairement sous silence les fermetures de services, trop nombreuses pour les évoquer toutes, comme par exemple à l’hôpital Ambroise Paré à Boulogne-Billancourt, qui voit disparaître son service de réanimation chirurgicale et à qui l’on refuse, contrairement aux engagements, la création de 66 postes infirmiers, ou encore la probable fermeture du service de médecine nucléaire de l’hôpital Louis Mourier de Colombes. Je pourrais évidemment allonger la liste, mais je m’en tiendrai là…

De telles fermetures sont d’autant plus faciles à réaliser que le Gouvernement dispose aujourd’hui, avec les directeurs généraux des ARH, véritables « superpréfets » sanitaires et sociaux, d’une autorité régionale renforcée, ce qui affaiblit la démocratie sanitaire, déjà réduite à la portion congrue.

Quant aux établissements privés à but lucratif, ils peuvent désormais se voir attribuer des missions de services publics qu’ils ont la possibilité de choisir eux-mêmes. En clair, cette décision échappera aux pouvoirs publics, qui sont pourtant les seuls capables de garantir la satisfaction des besoins spécifiques en santé des territoires et des populations. Dans les faits, la direction de la clinique fera acte de candidature en fonction de ses intérêts commerciaux et pour une mission qu’elle aura elle-même sélectionnée, parce que celle-ci correspondra à une activité rentable ou permettra de drainer une nouvelle clientèle. Je pense particulièrement aux urgences.

Le Conseil Constitutionnel ne nous a malheureusement pas suivis lors de notre saisine, et je le regrette. Néanmoins, en déclarant, dans son sixième considérant, qu’il appartiendra à l’autorité de tutelle « en définissant les modalités de cette participation et en la coordonnant avec l’activité des établissements publics de santé, de veiller à ce que soit assuré l’exercice continu des missions du service public hospitalier pris dans son ensemble », le Conseil constitutionnel a relevé quelques faiblesses dans votre organisation, madame la ministre.

Je crois que vous devriez particulièrement veiller à garantir l’accès continu aux tarifs opposables pour des soins débutés dans un établissement commercial. Nous vous avions proposé des amendements en ce sens, et vous les avez systématiquement refusés. Croyez bien que je le déplore.

De la même manière, nous regrettons le choix que vous avez fait d’autoriser les cliniques privées commerciales à constituer des centres de santé.

On voit bien qu’il s’agit, là encore, de créer la confusion entre les établissements sans but lucratif et ceux qui poursuivent un intérêt commercial. Les entreprises de santé, que nous connaissons tous, ne sont pas de parfaits philanthropes. Si elles décident demain d’ouvrir des centres de santé, c’est non pas pour prendre en charge, comme le font très bien les centres municipaux, associatifs ou mutualistes, les besoins de santé d’une population souvent démunie, mais pour avoir accès à une clientèle qui leur échappe actuellement.

Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à le penser. Le jeudi 6 mai 2010, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l’UNIOPSS, a rendu publique la lettre qu’elle a adressée le 23 avril dernier au Premier ministre, François Fillon, pour lui demander d’abroger trois des dispositions de l’ordonnance du 23 février 2010 de coordination avec la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires. Deux des mesures concernées ont trait aux centres de santé.

Nous partageons pleinement l’analyse du président de l’UNIOPSS, qui, dans un recours gracieux sur les décrets du 23 février 2010, précisait ceci : « À ce titre, nous nous permettons d’insister sur l’importance qu’il y a de pouvoir garantir aux patients qui entrent dans le circuit de soins d’un établissement de santé par l’intermédiaire d’un centre de santé le bénéfice du tarif opposable tout au long de leur prise en charge par cet établissement de santé, qu’il s’agisse d’actes à visée diagnostique ou thérapeutique. »

De la même manière, nous sommes inquiets quant à la procédure relative à la création de ces centres, que vous entendez mettre en place par décret.

Nous sommes aujourd’hui sous un régime dit de l’autorisation. En d’autres termes, pour pouvoir s’installer, un centre de santé doit avoir reçu une autorisation de la part des autorités compétentes, attestant notamment – c’est très important – que son implantation est conforme au schéma régional d'organisation sanitaire, le SROS. Or il semblerait que, sous prétexte de favoriser la création des centres de santé, gérés en réalité par des cliniques commerciales, vous fassiez évoluer le système selon une logique déclarative. Dès lors, il n’y aurait plus de visite de conformité ni, surtout, d’opposabilité du volet ambulatoire du SROS. Cette décision serait lourde de conséquences, dans la mesure où l’objectif assigné au SROS est d’assurer à l’ensemble de la population l’accessibilité financière et géographique à des soins de qualité.

De plus, comme si concéder des pans entiers de service public au secteur privé ne vous suffisait pas, vous avez fait le choix d’instiller dans le public des pratiques spécifiques au secteur privé, que nous réprouvons.

Disant cela, je pense, en particulier, à la nomination aux postes de directeurs d’établissements publics de santé de personnels non fonctionnaires, c’est-à-dire de personnels non issus de l’École nationale de santé publique, l’ENSP. Nous avions contesté cette mesure à l’occasion de l’examen de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, que j’avais personnellement défendue devant vous. Le Conseil constitutionnel, s’il a validé cette disposition, a toutefois émis d’importantes réserves. À titre d’exemple, il vous a contraint à limiter à 10 % le nombre de directeurs non issus de l’ENSP et à préciser par décret les compétences indispensables de ces directeurs recrutés de manière dérogatoire, ainsi que la manière de les évaluer. Vous n’aviez rien prévu de tout cela. Vous ne vouliez pas entendre nos avertissements, puisque, pour vous, il s’agissait de traduire dans les faits le dogme qui a conduit à l’élaboration de ce projet de loi : la transformation de l’hôpital en une entreprise de soins.

Dans le même temps, vous appuyant sur la même logique d’ « hôpital-entreprise », vous avez instauré le recours massif aux contractuels et la rémunération au mérite. Ainsi, dans un seul et même service, différentes relations contractuelles peuvent désormais coexister, ce qui ne manquera pas de créer des conflits, peu propices, nous le savons tous, à un travail en équipe. D’ailleurs, interrogés par le syndicat des médecins anesthésistes, 85 % des salariés ont déclaré leur opposition à cette mesure.

En outre, pour imposer votre nouveau modèle de gestion, vous avez fait le choix d’apporter des restrictions considérables à ce qui faisait sans doute la spécificité de notre système de santé : son caractère démocratique. Les représentants des territoires que nous sommes savent tous combien la participation des élus locaux aux conseils d’administration des établissements publics de santé a été bénéfique. Alors que, hier encore, les conseils d’administrations étaient de véritables lieux de décisions, associant l’ensemble des personnels, ils sont devenus, sous la forme de conseils de surveillance, de simples organes consultatifs. En somme, les pouvoirs décisionnels ont été transférés aux directoires.

Madame la ministre, la mise en œuvre de cette réforme apporte quotidiennement la preuve que notre opposition était fondée. Tout cela ne fait que la renforcer.

Cette réforme va rendre plus précaires les conditions d’accueil et de prise en charge des plus pauvres de nos concitoyens, dont l’état de santé est le plus atteint. (Mme la ministre manifeste son désaccord.) La détérioration des conditions de travail des professionnels de santé risque de les décourager, et de faire fuir les plus compétents vers le secteur privé. Il est à craindre que votre réforme de l’hôpital ne compromette la qualité et la sécurité des soins qui y sont dispensés, sans pour autant garantir un retour à l’équilibre financier.

Enfin, et nous pouvons tous le regretter car il y a urgence, cette loi n’apporte aucune réponse à la disparition programmée de la spécialité de médecine générale – quelques années seulement après sa création – ni aux inégalités territoriales de santé. Vous en aviez l’opportunité. Vous n’avez pas pu, ou pas voulu, la saisir. C’est profondément regrettable, car tout retard dans ce domaine rend plus difficile encore la mise en œuvre des mesures indispensables pour stopper la dégradation de notre système de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.

M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la loi du 21 juillet 2009 portant, notamment, réforme de l’hôpital a déjà un an d’existence. Tous les textes réglementaires qui devaient l’accompagner ne sont pas encore parus. Je me limiterai donc à poser quelques interrogations, qui interpellent nombre d’acteurs du monde hospitalier, directement concernés, mais aussi nos concitoyens s’intéressant au secteur de la santé.

Première interrogation. Le Président de la République a fixé l’objectif d’équilibre financier pour tous les établissements publics de santé à l’année 2012. Or, un tel objectif place beaucoup d’établissements sous une forte contrainte, qui les conduit à rechercher une amélioration de leur efficience, à revoir leur organisation et à réduire leurs effectifs, puisque les charges de personnel constituent le principal poste de dépenses d’un établissement hospitalier.

Cette nouvelle gouvernance, madame la ministre, comporte plusieurs volets : renforcement du pouvoir des chefs d’établissement, mise en place de pôles d’activités médicales sous contrôle des directoires avec des chefs de pôle dépendant étroitement des directeurs, affaiblissement du rôle dévolu aux commissions médicales notamment. Pourriez-vous nous dire, si, récemment mise en œuvre dans les hôpitaux, elle permet d’ores et déjà de maîtriser avec plus d’efficience la gestion économique des hôpitaux, sans pour autant dégrader la qualité de la prise en charge des malades ni augmenter le stress et la pénibilité des tâches effectuées par le personnel ?

En effet, s’agissant des incidences sociales de cette nouvelle gouvernance, notre inquiétude est avivée par le nombre de mouvements sociaux constatés dans les établissements de nos circonscriptions ou rapportés par les médias : je pense notamment à ceux, évoqués par mon collègue, ayant eu lieu dans les établissements de l’Assistance publique- hôpitaux de Paris, ou à d’autres intervenus en province, comme celui, en avril dernier, à l’hôpital du Creusot en Saône-et-Loire. Permettez-moi aussi de souligner les démissions en bloc de commissions médicales d’établissement, comme, en décembre 2009, celle du centre hospitalier intercommunal du val d’Ariège.

Chaque fois est dénoncée une gestion des ressources humaines et budgétaires d’une rigueur extrême, la plupart du temps perçue comme méprisante des communautés médicales et des organisations représentatives du personnel. Celle-ci est à l’origine de violents incidents dont sont également victimes, par effet boomerang, les cadres de directions eux-mêmes.

M. Guy Fischer. C’est très vrai !

M. Jacky Le Menn. Nos concitoyens s’interrogent : la gestion économique et financière est-elle pour autant plus performante qu’avant la réforme ?

M. Jacky Le Menn. Ne risque-t-on pas d’assister à des « dérives gestionnaires », certains établissements anticipant les objectifs supposés des ARS, d’autres répondant à des objectifs effectivement irréalistes fixés par les tutelles ? Qu’en sera-t-il de la sécurité et de la qualité des soins dans ces conditions ?

M. Jacky Le Menn. Quel sera l’avenir du dialogue social dans nos établissements hospitaliers qui, apaisé, est le gage d’un bon climat dont bénéficient avant tout les malades ?

M. Guy Fischer. Très bonne question !

M. Jacky Le Menn. Deuxième interrogation. Dans le décret n° 2009-1765 du 30 décembre 2009 portant sur l’organisation et le fonctionnement des directoires des hôpitaux publics, il est prévu que le directeur, président du directoire, peut déléguer sa signature. Mais il ne s’agit toujours pas d’une délégation de pouvoir, ce qui pourrait être perçu par les autres membres du directoire comme une méfiance à leur égard. Cette situation risque de constituer un frein au dynamisme recherché par la mise en place de ce nouveau mode de gouvernance dans les hôpitaux.

Par ailleurs, en cas de changement de directeur de l’hôpital, le mandat des membres du directoire prend fin. Qu’en est-il de l’intérim des fonctions de président du directoire ? Le décret est silencieux sur ce point. Ne risque-t-on pas d’aller vers une paralysie temporaire de la gouvernance de l’établissement ?

S’agissant des membres médicaux du directoire, leur nomination appartient au directeur sur proposition, pour les médecins, du président de la commission médicale d’établissement qui établit une liste de trois noms. Si la liste est incomplète, non livrée ou si elle fait l’objet d’un désaccord, le directeur peut demander l’élaboration d’une nouvelle liste sous quinze jours. En cas de nouveau désaccord, le directeur nomme les membres de son choix. Cette procédure, prévue par le décret en cause, n’apporte aucune indication en cas d’absence, possible, de « candidatures » de praticiens aptes et désireux de s’investir dans la vie institutionnelle. Que se passe-t-il dans ce cas ? Cette situation risque de se produire un jour, et ne peut être considérée comme une hypothèse d’école.

En ce qui concerne la concertation, sujette à bien des débats, le décret prévoit seulement qu’elle doit se dérouler « à l’initiative et selon les modalités définies par le Président du Directoire ». Cette formulation ne me paraît pas vraiment de nature à apaiser les critiques issues du monde médical à l’égard de la nouvelle gouvernance. Le décret impose néanmoins que des « modalités » soient définies. L’exercice paraît difficile. En effet, la « concertation » dont il s’agit ne doit pas déboucher sur une procédure formellement consultative, la loi HPST ayant exclu la formulation d’avis – ce n’était pas notre position, je tiens à le rappeler. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser comment ce processus de concertation se déroulera dans la pratique ?

Troisième interrogation. Le déploiement du savoir-faire, que l’on nous promet novateur, des directeurs des agences régionales de santé, installés depuis le 1er avril dernier sur nos territoires, permettra-t-il de réguler, sans dégâts excessifs au niveau de nos régions, les ONDAM annoncés le 20 mai dernier, à l’occasion de la conférence sur les déficits ? La question est d’autant plus pertinente que les chiffres annoncés sont de 2,9 % en 2011 et de 2,8 % en 2012, alors que les 3 % accordés en 2009 et en 2010 étaient déjà fortement insuffisants, voire irréalistes !

Quatrième interrogation. La loi HPST est souvent perçue par nos concitoyens comme un outil dans l’arsenal des moyens mis en œuvre par l’État pour maîtriser d’une manière volontariste les dépenses de santé. Ce n’est pas faux. Mais pouvez-vous nous préciser, madame la ministre, où se situent exactement les limites que le Gouvernement entend donner à cette maîtrise qui, on en conviendra, suscite l’inquiétude des associations d’usagers du système de santé, des malades – notamment les plus démunis – et, d’une manière plus générale, de la population française ?

De même, au sujet des recommandations des comités d’experts prévus dans la loi HPST, nous souhaiterions savoir quelle suite le Gouvernement entend donner aux propositions de la mission Briet, dont nous parlions tout à l’heure. Il s’agit, monsieur le rapporteur général, du « gel des crédits accordés aux missions d’intérêt général effectuées par les hôpitaux publics ». Je tiens à le souligner, si ces recommandations sont retenues par le Gouvernement, ce qui semble être en bonne voie, certaines enveloppes de l’ONDAM seront mises en réserve en début d’exercice budgétaire chaque année et « dégelées » éventuellement en cours d’exercice, si j’ai bien compris, sur avis d’un comité d’experts. Les crédits finançant les missions d’intérêt général assumées par les seuls hôpitaux publics – SAMU, gardes médicales entre autres – constituent, si l’on en croit la fédération hospitalière de France, l’essentiel des sommes concernées. Ce faisant, seuls les hôpitaux publics supporteraient les conséquences des dérapages des autres acteurs du système de santé – médicaments, cliniques commerciales – alors qu’aucun système de régulation n’existe, à ma connaissance, ou n’est prévu en ce qui les concerne. N’est-on pas là en contradiction avec l’esprit de la loi HPST qui – doit-on le rappeler ? – a souhaité, contre notre avis du reste, placer sur le même plan, s’agissant des missions de service public, l’hospitalisation publique et l’hospitalisation privée commerciale ?

Je vous demande donc également, madame la ministre, si les craintes exprimées par la fédération hospitalière de France sont fondées et, dans le cas où elles le seraient, ce que j’ai tout lieu de croire, de nous préciser si l’exercice des missions de service public devra en conséquence être « gelé » au début de chaque année dans l’attente du dégel hypothétique des crédits en cause. Nous aimerions également savoir si la loi HPST a pour vocation de faire des hôpitaux publics les variables d’ajustement du budget de la santé.

M. Guy Fischer. Très bien !

M. Jacky Le Menn. Cinquième interrogation. Nous n’avons pas perçu d’écho particulièrement positif des opérations de fusion et de création de communautés hospitalières de territoire, ou de groupements de coopération sanitaire. Ces deux derniers ont été prévus par la loi HPST.

Ainsi, les fusions plus ou moins forcées entre établissements hospitaliers entraînent souvent des craintes dans la population des villes concernées, qui déplore la disparition de services de proximité sans bien mesurer le « plus » en résultant. Les créations de communautés hospitalières de territoire sont pour l’instant encore peu nombreuses et elles semblent – c’était à craindre – se réaliser au bénéfice des établissements les plus importants des secteurs sanitaires concernés, s’agissant de la répartition des activités médicales. Cela suscite la défiance du corps médical, la grogne du personnel hospitalier et des résistances affirmées des élus auxquels la population demande des comptes, alors qu’ils n’y peuvent rien !

Je déplore du reste à nouveau que l’effacement des élus locaux, dont le rôle relève plus de la démocratie contemplative que de la démocratie participative (Sourires.),…

Mme Raymonde Le Texier. C’est une assez jolie formule !

M. Jacky Le Menn. … effacement voulu par la loi HPST, ne leur permette pas de jouer leur rôle naturel de médiateur entre les parties en présence.

S’agissant des groupements de coopération sanitaire, leur mise en place est également laborieuse tant les cultures entre hôpitaux publics et cliniques commerciales sont éloignées.

Notons par exemple que les regroupements de cliniques à but lucratif financées par des fonds d’investissement ou des fonds de pension ont plus volontiers l’œil fixé sur un « retour sur investissement » à deux chiffres que sur l’aménagement du territoire ou la recherche de réponses adaptées à la satisfaction de l’intérêt général en matière sanitaire.

J’ajouterai, pour conclure, que ce ne sont pas les vifs échanges médiatiques entre les représentants de l’hospitalisation publique – la fédération hospitalière de France – et ceux de l’hospitalisation privée – la fédération des hôpitaux privés, laquelle vient du reste d’adhérer au MEDEF, ce qui en soit est déjà toute une philosophie... – qui vont améliorer le climat et le rendre propice à un développement confiant des groupements de coopération sanitaire entre hôpitaux publics et cliniques privées à but lucratif. Ce n’est pas, pour nous, une surprise ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France est le pays au monde où le nombre d’établissements de santé rapporté à la population est le plus élevé. Tout le monde s’en félicite, plus particulièrement les élus, comme nous venons de l’entendre. Ce maillage hospitalier particulièrement dense représente un coût certain : est-il toujours compatible avec les exigences de qualité et de sécurité des soins ? Je n’en suis pas tout à fait convaincu personnellement et je l’ai souvent dit.

À l’occasion de discussions informelles, je suis d’ailleurs frappé de constater que, lorsqu’une intervention chirurgicale est programmée, les personnes les mieux informées préfèrent le plus souvent être opérées ailleurs que dans l’hôpital le plus proche de leur domicile quand celui-ci est un établissement de petite taille. Bien avant la distance et le temps de transport, la qualité du plateau technique et les capacités du chirurgien constituent pour elles les critères fondamentaux du choix du lieu de leur opération.

Au total, les hôpitaux de proximité n’attirent aujourd’hui le plus souvent que les personnes qui y sont conduites dans un état grave – et donc dans l’incapacité d’exprimer leur volonté –, les personnes âgées isolées et la frange la plus défavorisée de la population du territoire concerné. Ce constat est valable pour de nombreuses spécialités, et plus particulièrement la chirurgie.

Cette situation est d’autant plus regrettable que les chirurgiens refusent souvent d’exercer dans ces établissements, obligeant les directeurs, pour maintenir l’activité, à recruter des praticiens étrangers, dont la qualité de la formation peut être d’un niveau moindre et n’a pas toujours été évaluée correctement.

Le maintien de ces structures conduit donc à l’émergence d’une médecine et d’une chirurgie à deux vitesses, ce qui n’est pas acceptable. Un mouvement de restructuration a été réalisé dans le cadre des schémas régionaux d’organisation sanitaire, les SROS, qui ont notamment fixé un seuil d’actes par an et imposé la présence d’une équipe opératoire minimale. On le sait, les résultats opératoires s’améliorent en fonction de l’expérience des chirurgiens et lorsque ceux-ci ne doivent plus exercer isolément toutes les prestations, comme cela se passe le plus souvent dans un petit hôpital. La chirurgie a considérablement évolué et exige aujourd’hui de ses praticiens une technicité et une spécialisation extrêmes, qui supposent l’accompagnement d’une équipe pluridisciplinaire.

J’approuve donc largement la politique en cours et souhaite qu’elle soit effectivement menée à bien. La loi HPST comporte un volet important sur les coopérations, avec la création des communautés hospitalières de territoire et le renforcement des groupements de coopération sanitaire : elle tend à faciliter la création de structures viables au regard de leur fonctionnement médical. Pouvez-vous nous faire un point sur ce volet, madame la ministre ? Les décrets d’application sont-ils tous publiés ? Pensez-vous que les rivalités entre villes voisines ou la peur des petits établissements de se trouver défavorisés peuvent être surmontées, pour créer de véritables pôles hospitaliers dotés d’équipes médicales réellement communes ?

Le rapprochement des établissements publics et privés est positif. Mais, en l’absence de convergence des tarifs, les difficultés sur le terrain resteront grandes. Nous avons été nombreux à regretter que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 ait repoussé l’échéance à 2018. On peut comprendre que le chemin soit long, mais non qu’aucune méthode n’ait été arrêtée depuis 2005.

Par ailleurs, au moins autant que la convergence entre public et privé, il convient d’opérer une convergence intrasectorielle, à l’intérieur même du secteur public. Dans son rapport de 2009 sur la sécurité sociale, la Cour des comptes a relevé des disparités de productivité variant, par exemple, de un à cinq en maternité, de un à huit pour la chirurgie orthopédique et de un à dix en pneumologie. Ces différences sont-elles justifiées ? Quel est leur impact sur la qualité du service médical rendu ?

Un autre facteur risque de fragiliser le tissu hospitalier : la démographie médicale, en particulier dans le secteur public. Depuis dix ans, les effectifs des praticiens hospitaliers ont sensiblement augmenté mais, dans certaines spécialités, les taux de vacance sont importants, en raison d’une d’attractivité insuffisante. En effet, les chirurgiens, mais aussi les radiologues et les anesthésistes, sont de plus en plus nombreux à rejoindre le secteur privé où leur rémunération est sans commune mesure avec les traitements du secteur public.

Il y a de quoi être inquiet, surtout dans la perspective de la cessation d’activité d’une génération de praticiens très polyvalents – à dominante masculine, il faut bien le dire –, pratiquant au sein d’équipes parfois très réduites et acceptant des contraintes importantes de permanence des soins.

Même si l’augmentation du numerus clausus est maintenue, ces nombreux en retraite vont entraîner un infléchissement des effectifs jusqu’en 2025. Il faudrait donc anticiper ces évolutions et soutenir l’attractivité de la carrière de praticien hospitalier, d’autant que les nouvelles générations peuvent avoir une approche du travail à l’hôpital différente de celle de leurs prédécesseurs. Plus jeunes et plus féminisées, elles souhaitent intégrer des équipes importantes leur permettant des échanges, le développement de techniques de pointe, avec une charge de permanence des soins moins lourde.

Si l’on veut attirer les praticiens à l’hôpital, il faut qu’ils se sentent acteurs de leur activité et que leur place soit valorisée, d’autres collègues l’ont déjà souligné. En effet, le départ d’un praticien vers le secteur privé correspond souvent à une accumulation d’incidents et de vexations.

Les réformes successives de l’hôpital ont provoqué chez certains praticiens un grand désenchantement, pouvant confiner à l’amertume. Nous l’avons constaté au moment de l’examen de la loi HPST : ils ont eu l’impression de ne plus être reconnus et ont éprouvé, à juste titre, des difficultés à se repérer dans la nouvelle gouvernance. Nous devons prendre garde à ce que celle-ci ne fonctionne pas contre eux. Toute démarche de modernisation d’un établissement suppose, pour produire les améliorations attendues, une adhésion forte de tous les personnels au projet médical et au projet d’établissement.

Au-delà d’une revalorisation financière nécessaire, il conviendrait aussi d’assurer une gestion plus active et personnalisée de la carrière des praticiens. L’avancement doit être lié non pas uniquement à la démographie ou au départ du chef de service, mais à une formation continue de qualité et à un projet médical mené à bien. Cette lisibilité serait à mon avis de nature à attirer les praticiens à l’hôpital et à les fidéliser.

Quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il pour réduire les vacances de postes ? Quelles seront les conditions d’application du contrat de clinicien prévu par la loi HPST ? Ces questions revêtent une acuité nouvelle, alors que certaines cliniques développent le salariat des médecins qu’elles emploient et proposent des primes pour embaucher de nouveaux médecins. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord exprimer mon étonnement de me trouver dans cette salle. J’ignore qui a pu avoir l’idée saugrenue de nous y faire siéger, car le Sénat dispose d’un hémicycle…

M. Jean Louis Masson. Je ne vois donc pas pourquoi nous nous comportons comme si nous étions une sous-commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Nous sommes en formation plénière, nous devons donc siéger en séance publique dans l’hémicycle et il n’est pas correct de nous faire réunir dans cette salle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Monsieur Masson, puis-je vous interrompre quelques instants ?

M. Jean Louis Masson. Je vous en prie, monsieur le président.

M. le président. Je vais vous apporter une précision, en vous citant un document qui me manquait tout à l’heure, lorsque M. Fischer puis M. Sueur m’ont interpellé.

Lors de la réunion du groupe de travail « révision constitutionnelle et réforme du règlement » qui s’est tenue le 7 janvier 2009, M. Sueur s’est ainsi exprimé (Exclamations sur les travées du groupe socialiste) : « Pour sortir de ce débat entre “ petit hémicycle ” et “ grand hémicycle ”, je propose que nous parlions simplement de “ séance publique ”. Les séances publiques du Sénat peuvent éventuellement avoir lieu dans un autre endroit que l’actuel hémicycle. […] La séance publique est […] ouverte au public. […] Elle fait l’objet d’un compte rendu intégral. » Vous voyez que nous n’avons pas travaillé pour rien, que nos échanges ont été très riches et que M. Sueur y a largement contribué ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Alain Gournac. Il avait oublié !

M. le président. Je vous laisse poursuivre, mon cher collègue.

M. Jean Louis Masson. Permettez-moi d’observer, monsieur le président, que je ne me considère pas engagé par des propos de M. Sueur.

M. le président. Bien évidemment !

M. Jean Louis Masson. Nous sommes très bien assis dans cette salle,…

M. le président. Vous disposez de trois minutes pour intervenir, monsieur Masson ! Nous avons pris connaissance de votre sentiment.

M. Jean Louis Masson. Je tiens malgré tout à réaffirmer qu’il serait plus convenable que nous siégions dans le véritable hémicycle...

M. le président. Poursuivez, monsieur Masson !

M. Jean Louis Masson. … car je ne vois pas quelles économies pourraient être réalisées en siégeant dans cette salle !

Mme Raymonde Le Texier. Très bien ! Pour une fois, je suis d’accord avec vous !

M. Jean Louis Masson. Madame le ministre, je souhaite évoquer le problème de la démographie médicale.

Nous éprouvons actuellement un manque crucial de médecins dans de nombreux domaines, car les gouvernements successifs, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont fait semblant d’ignorer qu’ils allaient « dans le mur ».

Actuellement, si l’on veut consulter un oculiste…

M. Jacques Blanc. Un ophtalmologiste ! Les oculistes ne sont pas des médecins !

M. Jean Louis Masson. Excusez-moi ! Pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologiste, il faut parfois attendre cinq ou six mois. Nous devons donc absolument réexaminer la situation et engager un véritable débat sur la formation d’un nombre plus important de médecins. Actuellement, le Gouvernement essaie de réduire les dépenses de sécurité sociale en réduisant le nombre de médecins. Mais ce n’est pas parce qu’il y aura moins de médecins que les gens seront moins malades et qu’ils auront moins besoin d’être soignés !

Ma question est très simple : des centres hospitaliers universitaires existent en France, ainsi que des centres hospitaliers régionaux, qui constituent une catégorie intermédiaire, représentée seulement par trois établissements. Ces centres hospitaliers régionaux ont été créés, il y a trente ou quarante ans, avec la perspective de les ériger en centres hospitaliers universitaires, pour y implanter un enseignement médical et former plus de médecins. Entre-temps, le numerus clausus a été instauré et des restrictions budgétaires sont intervenues, ce qui explique que nous conservions cette catégorie croupion de CHR, embryons de CHU qui ne se sont jamais développés.

Madame le ministre, pourquoi conserver cette catégorie des CHR ? Pourquoi ne pas transformer plutôt ces établissements en CHU, conformément à leur vocation initiale ? Je ne dispose pas, à l’inverse de M. le président du Sénat, de moyens de documentation très développés, mais je pourrais vous produire des documents de l’époque, annonçant très clairement que les CHR deviendraient CHU. Après trente ans, la situation pourrait enfin évoluer, ce qui contribuerait à régler l’énorme problème de démographie médicale que nous connaissons. Nous allons léguer à la génération suivante une véritable bombe atomique, parce que le nombre de médecins va considérablement diminuer, avec des conséquences désastreuses.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, un peu moins d’un an après la promulgation de la loi HPST, nous remercions le Sénat et la commission des affaires sociales d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat. Déjà, beaucoup de nos interrogations ont reçu une réponse lors de la séance de « questions cribles » du 9 février dernier. Depuis, les ARS se mettent en place, ainsi que la nouvelle gouvernance hospitalière.

Le comité de suivi de la réforme de la gouvernance des établissements publics de santé, présidé par notre collègue Jean-Pierre Fourcade, fonctionne lui aussi et ses travaux nous ont aidés à préparer le présent débat. Il insiste sur le fait qu’il est encore trop tôt pour se prononcer sur des sujets aussi fondamentaux que les rapports entre les hôpitaux et les directeurs généraux des ARS, l’évolution du rapport entre secteur public et secteur privé, ou le mouvement de regroupement et de coopération qui est engagé.

Si l’heure n’est donc pas vraiment au bilan, en revanche, une tendance inquiétante pourrait se faire jour sur le terrain : il ne faudrait pas que nous assistions à une recentralisation excessive du système.

L’exemple du centre hospitalier de la ville dont je suis maire, Arras, m’incite à souligner le danger, avant qu’il ne soit effectif. Très concrètement, le conseil d’administration n’a pas été suivi par l’ARS et le ministre pour la nomination du directeur. Bien sûr, ce cas isolé ne fera pas jurisprudence, mais il serait fort regrettable qu’il préfigure, dans la réalité, une certaine marginalisation du conseil de surveillance, appelé à remplacer le conseil d’administration.

M. Guy Fischer. C’est vrai !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Cette évolution serait regrettable parce que contraire, non seulement aux valeurs que nous défendons ici, mais aussi à l’esprit du texte.

Comme M. le rapporteur l’a rappelé, nous nous sommes battus au Sénat pour aboutir à une rédaction garante d’un meilleur équilibre entre pouvoir administratif et pouvoir médical, d’une part, et entre pouvoir administratif et pouvoir démocratique, d’autre part. Veillons à ce que cet équilibre soit respecté !

En filigrane, c’est toute la question de la place de l’élu dans le système qui se trouve posée. Certains maires me l’ont dit, ils ont déjà renoncé à jouer un rôle à l’hôpital. C’est bien cela qu’il faut éviter.

La réalité sera bien sûr à géométrie variable. Elle dépendra du pouvoir d’influence du maire ou du président de la communauté de communes, de ses relations avec le directeur général de l’Agence régionale de santé – le DGARS – et avec le préfet, ce dernier pouvant d’ailleurs jouer un rôle d’arbitre.

Prenons un autre exemple, celui des communautés hospitalières de territoire.

Il s’agit d’optimiser, dans un secteur géographique donné, l’offre de soins et sa qualité, fondée sur l’excellence médicale et la valeur des plateaux techniques. Cette problématique concerne aussi l’aménagement du territoire et les relations entre collectivités.

Ce choix stratégique ne peut donc s’opérer sur les seules bonnes relations médicales et administratives, encore moins sur des rapports de pouvoir entre directeurs ou chefs de services hospitaliers.

En conséquence, les ARS devront veiller à saisir l’ensemble des conseils de surveillance concernés pour construire des partenariats solides et éviter des foires d’empoigne contre-productives qui pénaliseraient patients et finances publiques.

Pour encadrer cela et, plus globalement, pour que le texte s’adapte au mieux au terrain, la notion de bonne pratique sera à mon avis déterminante.

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Ainsi, les bonnes pratiques devraient être rapidement recensées et portées à la connaissance de tous.

La loi HPST ne concernant pas uniquement l’hôpital, je souhaiterais dire quelques mots sur son volet relatif aux soins ambulatoires, volet que nous avions – hélas ! – identifié comme étant le parent pauvre de cette réforme au moment du vote du texte.

Deux constats s’imposent à ce sujet.

Premièrement, si rien ne change, il y aura dans dix ans deux fois moins de médecins généralistes qu’actuellement. Selon l’Ordre des médecins, leur nombre devrait passer, dans mon département, de 1 400 à moins de 600 médecins.

Deuxièmement, comme cela a déjà été signalé, la profession se féminise, 70 % à 80 % de jeunes femmes s’orientent vers cette spécialité. Cette évolution est très positive, mais les femmes médecins ont des contraintes familiales très différentes de celles de leurs collègues masculins et, donc, une moindre disponibilité.

Comment faire face à cette situation ?

Madame la ministre, selon vos chiffres, le taux d’étudiants ayant choisi la médecine générale est passé, en trois ans, de 37 % à 49 %, ce qui est très encourageant si ceux-ci s’installent dans le secteur libéral.

Le travail actuellement mené par notre ancien collègue Michel Mercier pour favoriser l’accès aux soins en tout point du territoire est tout aussi encourageant.

Depuis quinze jours, un programme national est lancé qui financera 250 maisons de santé pluridisciplinaires sur la période allant de 2010 à 2013.

De plus, un faisceau d’actions sera mis en œuvre pour inciter les jeunes praticiens à exercer dans les territoires ruraux. Tout d’abord, l’accueil de stagiaires sera obligatoire dans les maisons de santé. En outre, 400 contrats d’engagement de service public seront prévus, pour la période couvrant les années 2010 à 2012, en milieu rural. C’est d’ailleurs ce que notre groupe demandait lors de l’examen de la loi HPST.

Une politique active de lutte contre les déserts médicaux semble donc enfin se mettre en place. C’est très bien ! Mais je crois profondément qu’il faudra inventer, à l’avenir, d’autres conditions d’exercice de la médecine générale.

Pour conclure, je reviendrai à l’intitulé de la loi. Le texte a sérieusement traité de la question de l’hôpital et de la réorganisation territoriale du système de santé, mais le patient n’est-il pas le grand absent de la réforme ?

Au niveau local, au sein du Pays d’Artois que je préside, j’ai organisé une consultation sur la manière dont la population ressent sa prise en charge médicale. C’est aussi, et peut-être surtout, à l’aune de ce ressenti qu’il nous appartiendra in fine de juger la loi HPST. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Dériot.

M. Gérard Dériot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quand on prend la parole à ce stade du débat, on peut craindre de répéter un certain nombre de choses. Mais tous les membres de cette assemblée, ou presque, partagent des interrogations similaires et il est normal que chacun puisse s’exprimer.

Nous débattons aujourd’hui de l’application de la loi hôpital, patients, santé et territoires, qui constitue effectivement une vaste réforme de notre système de santé et a fait l’objet de longs débats, avec plus de 1 300 amendements examinés en séance l’année dernière.

Depuis son adoption par notre Haute Assemblée, le 24 juin 2009, qu’en est-il de cette loi et de sa mise en œuvre ?

Sans répéter l’ensemble des débats, il me paraît utile de rappeler quelques-unes des principales dispositions du texte, dispositions qui manifestent la volonté, partagée par notre groupe, de moderniser notre système de santé.

Cette volonté de modernisation répond à un souci de justice et d’efficacité dans l’accès aux soins pour nos concitoyens.

Outre le plan Hôpital 2012, qui consacre un investissement de 10 milliards d’euros à la rénovation des bâtiments et à la modernisation des systèmes d’information – cette somme n’est pas insignifiante et permettra d’effectuer d’importants travaux –, la loi HPST porte sur l’organisation de notre système de soins. Pour ce faire, elle prévoit notamment le développement du principe de coopération, une gouvernance plus efficace et un pilotage territorial unifié.

S’agissant du principe de coopération, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, la loi vise deux types de coopérations.

D’une part, pour remédier aux blocages existant entre les secteurs privé et public, elle permet de décloisonner notre système de soins. Ainsi, il est prévu que des accords puissent être passés entre les deux secteurs pour les associer et leur permettre de réaliser en commun des missions de service public.

D’autre part, afin d’améliorer la répartition de l’offre de soins, la loi favorise la coopération entre les établissements publics au moyen de la communauté hospitalière de territoire, la CHT, et du groupement de coopération sanitaire, le GCS. Ces deux dispositifs permettent d’adapter nos structures de santé aux besoins territoriaux et d’équilibrer l’offre de soins. Ils correspondent parfaitement à l’esprit de rationalisation et de mutualisation que nous avons souhaité promouvoir.

Néanmoins, il s’est avéré que les conditions de fonctionnement des GCS manquaient de précision et de clarté. Je vous serai donc reconnaissant, madame la ministre, de nous éclairer sur ce point, d’autant que ce dispositif, visant à lutter contre la fracture territoriale dans l’offre de soins, constitue un élément essentiel de la réforme. J’appuie ces propos sur mon expérience de président d’un conseil d’administration d’hôpital : nous voyons bien à quelles difficultés ce manque de précision nous expose.

S’agissant de la gouvernance du système de soins, notre Haute Assemblée a permis de rendre plus efficiente la gestion de l’hôpital public en équilibrant les pouvoirs des instances dirigeantes entre l’administration et les médecins. Tout le monde, me semble-t-il, le reconnaît aujourd’hui et je voudrais rendre hommage à Alain Milon, qui a fourni un travail important pour accroître les pouvoirs du corps médical.

La bonne mise en place de ces dispositifs de gouvernance suppose évidemment le concours des directeurs d’hôpitaux et de tous les professionnels médicaux. Il va de soi que nous approuvons l’implication de l’ensemble des intervenants médicaux dans le processus décisionnel.

Toutefois, madame la ministre, nous nous interrogeons sur leur niveau d’information quant à la mise en œuvre concrète de la loi, qui entraînera un véritable bouleversement de leur quotidien. Une information supplémentaire et pratique doit être adressée à tous ces intervenants médicaux, ce qui bénéficiera, par la suite, à l’efficience de la gouvernance.

S’agissant du pilotage de ces mesures – j’en viens donc à mon troisième point –, la loi a créé les agences régionales de santé. Cette disposition phare de la loi est intimement liée à la volonté de parvenir à une réforme efficace et pérenne.

En effet, il n’aurait pas été cohérent d’envisager cette profonde refonte de notre système de santé sans en confier les rênes à une structure unifiée, capable d’avoir une vue d’ensemble sur la chaîne des soins d’un territoire.

Ces agences, au nombre de vingt-six, ont pour mission de réguler, orienter et organiser l’offre de services de santé pour satisfaire aux besoins de la population, en décloisonnant notre système par une approche transversale des secteurs sanitaire et médico-sanitaire.

En procédant à leur mise en place dès le 1er avril dernier, madame la ministre, vous avez démontré l’ambition du Gouvernement de mettre en œuvre le plus rapidement possible cette réforme.

Quels enseignements tirez-vous, aujourd’hui, de la période de préfiguration des ARS ? Où en sommes-nous exactement de leur mise en place ?

Enfin, la loi met en place une véritable politique de transparence à l’égard des patients, à travers la publication d’indicateurs de qualité et de sécurité des soins. Nous nous interrogeons toutefois, madame la ministre, sur la nature des indicateurs de performance qui peuvent être mis en place pour un système de santé global. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

À la lumière des quelques éléments que je viens de rappeler, cette loi représente une avancée considérable dans l’accès aux soins, la modernisation de la profession libérale et la lisibilité de l’organisation des hôpitaux. Bien sûr, il s’agit maintenant de la rendre effective.

Les esprits chagrins se lamenteront en avançant que l’application de la loi est actuellement loin d’être satisfaisante. C’est évident !

M. Guy Fischer. C’est vrai !

M. Gérard Dériot. Je n’ai même pas besoin de préciser qui sont ces esprits chagrins… Notre collègue s’est instantanément désigné ! (Sourires.)

Certes, le chemin est long, mais nous y sommes bien engagés. Chaque étape franchie dans l’application de la loi HPST est une avancée vers l’efficacité de notre système de santé.

À cet égard, je tiens à mon tour à souligner l’installation, le 9 février dernier, d’un comité d’évaluation dont la présidence a été confiée à notre collègue Jean-Pierre Fourcade. Il est évidement trop tôt pour que des conclusions soient rendues, mais nous ne pouvons qu’approuver cette démarche, qui garantit un contrôle de l’entrée en vigueur effective de cette loi extrêmement importante et permet sans doute, avec le débat d’aujourd’hui, de suivre un peu mieux sa mise en place.

La création de ce comité répond à nos préoccupations communes. En effet, madame la ministre, comme vous l’avez judicieusement remarqué, « si le vote de cette loi a marqué une étape importante, l’essentiel reste à faire, puisque l’essentiel est de réussir la mise en œuvre de la loi ». (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, juste avant l’examen du projet de loi HPST, le Sénat avait organisé avec vous, madame la ministre, un débat thématique intitulé « L’hôpital en question ». Beaucoup nous était alors promis avec le projet de loi HPST. Les résultats attendus de ce texte étaient d’ailleurs au cœur du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012.

Nous voilà donc aujourd’hui réunis pour dresser un bilan, un an après la promulgation de la loi HPST. C’est peut-être un peu tôt… Tous les décrets d’application ne sont pas encore parus, comme l’a indiqué M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales, et les agences régionales de santé se mettent en place progressivement.

Mais ce débat est utile, car il permet de prendre la mesure des efforts qui restent à mener dans le secteur hospitalier. Par ailleurs, ainsi que l’ont dit certains de nos collègues, la mission confiée à Jean-Pierre Fourcade permettra de nous éclairer sur l’application de la loi.

La loi HPST constitue une nouvelle étape dans la réforme de l’hôpital, après la tarification à l’activité, les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 ou encore la réforme du régime budgétaire et comptable des hôpitaux.

Je retiens principalement deux mesures : la modernisation de la gouvernance hospitalière et la mise en place des ARS, qui devraient permettre un décloisonnement de l’offre des soins ambulatoires, hospitaliers et médico-sociaux, ainsi qu’un meilleur suivi de l’hôpital, le pilotage par la performance étant inscrit dans les missions de ces structures.

Toutefois, comme je viens de le dire, des chantiers importants nous attendent encore, en particulier dans le contexte dégradé de nos finances publiques. Selon les dernières données de la commission des comptes de la sécurité sociale, le déficit de l’assurance maladie devrait s’élever à plus de 10,6 milliards d’euros en 2009 – pour le seul régime général – et atteindre 13,1 milliards d’euros en 2010. Il n’était « que » de 4,4 milliards d’euros en 2008.

Dans ce contexte, l’hôpital constitue un levier de réforme important, les dépenses hospitalières représentant environ la moitié des dépenses de santé relevant du champ de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM.

Un des premiers chantiers est sans doute le mode de financement de nos hôpitaux.

La T2A a, sans conteste, eu des effets bénéfiques. Mais elle présente également des biais auxquels il convient d’être attentif : plus d’activités engendrant plus de ressources, elle peut en effet inciter à « faire de l’activité ».

Plus de transparence et de pilotage dans l’attribution des dotations au titre des missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation, les fameuses MIGAC, est également indispensable. Ces enveloppes, en forte augmentation, représentent près de 8 milliards d’euros, et la mission de contrôle que je mène actuellement sur ce sujet, en ma qualité de rapporteur pour avis du projet de loi de financement de la sécurité sociale, me montre les marges de progrès qui existent en la matière.

Je voudrais surtout m’assurer, madame la ministre, que le montant des dotations MIGAC, notamment pour l’aide à la contractualisation, soit en adéquation avec les services réellement rendus et que ces enveloppes ne servent pas de variable d’ajustement pour aider certains établissements de santé à passer le cap de la tarification à l’activité...

Deuxième chantier : la convergence tarifaire.

Nous en avons longuement, et vigoureusement, débattu lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale. Vous avez proposé, madame la ministre, de reporter de 2012 à 2018 l’achèvement de la convergence tarifaire entre les établissements de santé du secteur public et ceux du secteur privé. Je m’étais opposé à ce report de six ans. J’espère qu’il ne portera pas un coup d’arrêt au processus de convergence, essentiel pour l’efficience de notre système de soins.

Troisième chantier : le retour à l’équilibre des établissements de santé.

Le Président de la République a fixé l’objectif d’équilibre financier de tous les établissements publics en 2012. Malgré une amélioration depuis 2008, près de 40 % des hôpitaux, selon les travaux récents de nos collègues députés, demeurent en déficit, ce qui permet de prendre la mesure des efforts qui restent à accomplir.

Cela m’amène à m’interroger sur deux points : l’investissement hospitalier et le périmètre des missions de l’hôpital.

Sur le premier point, le plan Hôpital 2007 a sans conteste relancé l’effort d’investissement des hôpitaux, contribuant ainsi à améliorer la qualité des infrastructures hospitalières et à les adapter à l’évolution des techniques médicales. Cependant, ces mesures ont surtout été financées par l’endettement, et, comme le notait la Cour des comptes, la viabilité économique des projets n’a pas toujours été assurée. Au moment où le plan Hôpital 2012 est en marche, il me semble essentiel de tirer toutes les leçons du premier plan et de veiller à la soutenabilité de cette politique.

Sur le second point, l’alternative à l’hospitalisation est également, selon moi, un enjeu essentiel. Elle doit passer par la poursuite du développement de la chirurgie ambulatoire et des structures intermédiaires entre l’hôpital et les soins de ville.

Le quatrième chantier, qui me tient particulièrement à cœur, est l’informatisation de notre système de santé.

La commission des finances a formulé de nombreuses propositions en ce domaine et avait, en particulier, appelé à une refonte du pilotage des systèmes d’information de santé. Mes travaux datent toutefois de 2006.

Des mesures ont été prises. Je pense notamment à la création de l’Agence pour les systèmes d’information de santé partagés. Mais où en est-on du dossier médical personnel, le DMP ? J’avais pris acte en 2009, madame la ministre, de votre souhait de relancer ce projet. Le déploiement d’une première version est-il toujours prévu pour la fin de l’année ?

Je le répète : la réforme de l’hôpital ne peut se concevoir sans une action résolue de développement des systèmes d’information, dans un cadre interopérable.

Voilà les quatre principaux points que je souhaitais aborder sur l’hôpital. Les enjeux vont au-delà de la seule loi HPST. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je formulerai tout d’abord une interrogation partagée : où tiendrons-nous bientôt nos séances publiques ? Sommes-nous réunis aujourd’hui dans cette salle, certes magnifique, au premier sous-sol, parce que ce débat est en réalité prématuré ou peu digne d’intérêt ?

Mes chers collègues, vous êtes tous attentifs, dans vos circonscriptions, comme je le suis dans l’Aisne, aux nominations et à la mise en place des dispositifs « HPST ». Vous avez certainement rencontré, comme j’ai eu l’occasion de le faire, le directeur de l’agence régionale de santé dont relève désormais votre territoire.

Or, depuis l’entrée en vigueur de la loi adoptée le 21 juillet 2009, qu’y a-t-il de nouveau ? Quelle amélioration, pour nos concitoyens, en termes d’accès aux soins hospitaliers, de ville, d’urgence ? De prévention ? De prise en charge et d’accompagnement social et médico-social ? Un an après, l’acronyme ARS se décline encore dans le désordre : RAS !

Il y a douze mois de cela, vous plaidiez pourtant, madame la ministre, l’urgence absolue ; vous imposiez au Parlement de légiférer au pas de course alors même que votre projet comportait force lacunes et défaut de moyens. Votre propre majorité, à l’origine d’un grand nombre des 4 000 amendements déposés, ne s’y était pas trompée.

Deux semaines de réunions de commission, quinze jours ininterrompus de débats en séance, matin, midi et soir... Au moins cette loi restera-t-elle, à ce titre, dans les annales des débats parlementaires. Il est vrai aussi qu’elle a permis que soit expérimentée à ses dépens – et aux nôtres – la nouvelle procédure d’examen législatif exigeant de la commission un travail de séance.

Sur ce point, je pense exprimer un sentiment largement partagé dans notre assemblée en vous reprochant, madame la ministre, de n’avoir pas toujours joué le jeu ; vous avez en effet déposé nombre d’amendements de dernière minute en séance publique pour ajouter au texte des dispositions d’importance, qui méritaient mieux qu’un passage en force – c’est le cas des dispositions relatives aux CHU – ou pour « casser » les accords trouvés en commission entre majorité et opposition. C’est un évident manque de considération à l’égard du Parlement. Que votre majorité, par ses retournements, vous ait au final pratiquement toujours suivie est une autre histoire...

C’est en effet – j’en reviens à mon propos – le texte de tous les records. Le projet, qui comportait à l’origine 33 articles et près de 150 à l’issue de son examen, nécessitera, sauf erreur de ma part, 216 textes réglementaires d’application, 9 rapports et 8 ordonnances. À titre d’exemple pris au hasard, l’ordonnance publiée le 23 février dernier ne fait pas moins de trente pages...

À la date du 11 juin dernier, 59 mesures réglementaires, 8 ordonnances – en attente de ratification toutefois – et un rapport étaient publiés. Mais 157 textes – et non des moindres – sont toujours en attente.

Dans ce nouveau marathon de la technicité, la lisibilité, la clarté et l’efficacité n’y trouvent pas pour l’instant leur compte, pas plus, je le crains, que les administrés, en particulier les malades.

Ce bref débat vous permettra à tout le moins, madame la ministre, d’éclairer la représentation nationale sur la réalité de votre calendrier, un an après. Un an avant – c’était le 1er juin 2008 –, vous déclariez que l’ensemble des dispositions contenues dans le projet de loi HPST devraient être en place début 2010. Il est vrai que vous affirmiez en même temps vouloir « sauver l’hôpital public ».

L’audition, le 26 mai dernier, par notre commission des affaires sociales du comité d’évaluation de la mise en œuvre des dispositions relatives à la modernisation des établissements de santé, en la personne notamment de son président, notre éminent collègue et ancien ministre Jean-Pierre Fourcade, ne nous a pas rassurés. Un an après règnent surtout l’inquiétude et les incertitudes.

Ainsi, qu’en est-il de la participation des établissements commerciaux de santé à l’accomplissement des missions de service public, qui remplacent désormais le défunt service public hospitalier, formellement supprimé du code de la santé publique ? Il est en effet apparu au comité d’évaluation que le projet de décret définissant une procédure d’attribution des missions de service public n’était pas conforme à la loi.

Le comité a aussi envisagé que certains décrets, dont celui-ci, ne soient jamais pris dans la mesure où la loi serait en définitive suffisamment explicite. Or c’est pourtant sur cette même et seule disposition que le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation. Je vous renvoie au sixième considérant de cette décision du 16 juillet 2009.

À cet égard, la nouvelle rédaction de l’article L.6112-3 du code de la santé publique prévoit que les établissements de santé privés devront garantir la permanence de l’accueil et la prise en charge ou l’orientation du « client », pardon, du patient, vers un autre établissement ou une autre institution. L’ancienne rédaction ne comportait pas le terme « orientation » mais celui d’ « admission ». Garantir l’admission était clair : la clinique qui ne pouvait ou ne souhaitait pas prendre en charge un patient avait l’obligation de s’assurer qu’il était effectivement pris en charge par un autre établissement. Que signifie « garantir l’orientation » ? Suffira-t-il de tendre le bras et d’indiquer : « c’est là-bas » ? Merci, madame la ministre, de nous garantir que tel ne pourra pas être le cas.

La seule certitude que l’on ait aujourd’hui est que les choix politiques de ce gouvernement de sous-financer les hôpitaux publics – vous l’avez vous-même reconnu, madame la ministre –, de supprimer des personnels et de fermer les services préfigurent la privatisation en marche de notre système de santé !

Nul ne peut en effet ignorer l’énorme campagne publicitaire de la Fédération de l’hospitalisation privée opportunément menée à l’heure où s’écrivent les décrets. Le comité d’évaluation constate lui-même le mouvement actuel de regroupement des cliniques privées. Votre loi a été reçue cinq sur cinq par les fonds de pension !

S’agissant des soins ambulatoires, l’incertitude règne également, aux dires du même comité, qui estime que l’organisation du maillage complet de l’offre de soins, intégrant les médecins de ville, est encore un objectif à moyen terme. Cela a déjà été évoqué.

Vous n’avez effectivement pas souhaité intervenir plus avant sur les conditions d’installation en zone désertifiée, sur les dépassements d’honoraires, sur les refus de soins, dont l’existence n’est pas contestée. Vous avez pourtant approuvé le testing, souhaité sa légalisation et, dans le même temps, absolument refusé de l’inscrire dans la loi. Comprenne qui pourra !

Déremboursements de médicaments, hausse du forfait hospitalier, franchises… suscitent visiblement moins d’hésitations. Si l’acte médical doit se voir reconnaître toute sa valeur, ce « deux poids, deux mesures » n’en est pas moins financièrement injuste, sanitairement dangereux et au surplus sans effet réel sur l’équilibre des comptes.

J’en viens aux structurations transversales de prévention, de soins et d’accompagnement médico-social que les nouvelles agences régionales de santé ont à charge de réaliser.

Inquiétudes et incertitudes, là encore : un an après, le nouveau paysage que vous annonciez est tout juste esquissé et des interrogations majeures subsistent.

De quelles manières s’articuleront les compétences respectives des ARS et des départements ?

Le nouveau schéma régional d’organisation médico-sociale, élaboré sous l’égide du directeur général de l’agence, doit être établi et actualisé « au regard » – je me souviens encore des discussions qu’a nécessitées l’introduction de cette préposition ! – des schémas départementaux d’organisation sociale et médico-sociale relatifs aux personnes handicapées ou en perte d’autonomie arrêtés par les conseils généraux de la région.

Or le schéma régional est, lui, centré sur les équipements en établissements et services, tandis que les schémas départementaux se doivent d’être multidimensionnels et traiter également des questions relatives à la prévention, à l’accessibilité des lieux publics, à l’accès à la culture, aux loisirs...

Si vous avez réellement l’intention de concilier ces deux niveaux d’organisation sociale et médico-sociale, la place des conseils généraux doit être pleinement reconnue : ils sont acteurs à part entière au sein des conférences régionales de la santé et de l’autonomie et des deux commissions de coordination des politiques publiques de santé, celle qui a trait à la prévention comme celle qui concerne le domaine médico-social.

Il est tout à fait urgent, un an après – c’est une autre inquiétude –, que les textes réglementaires relatifs au fonctionnement même du secteur médico-social soient enfin publiés. Vous les disiez déjà prêts en juin 2009. Or nous les attendons toujours, notamment ceux qui sont relatifs au calendrier des évaluations des établissements et services médico-sociaux et celui qui est relatif aux procédures d’appel à projet. Nous attendons également l’arrêté interministériel fixant les seuils des contrats d’objectifs et de moyens, ainsi que le décret sur le financement des lieux de vie et d’accueil. Tous ces textes sont indispensables à la mise en place des nouvelles règles et procédures qui permettront de ne pas rompre la continuité des services.

Il a été relevé que l’insertion du médico-social dans le dispositif était source de quelques difficultés qui devront être prises en compte. Je pourrais, à cet égard, citer le directeur d’une grande agence régionale de santé s’exprimant récemment dans un colloque.

Madame la ministre, comptez sur notre vigilance pour défendre les services publics construits et mis en œuvre au quotidien et au plus près des besoins de nos concitoyens, dans nos assemblées départementales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.

M. Jean-Louis Lorrain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que la loi HPST confirme le rôle de l’État comme pilote de la politique sanitaire dans la région, l’ARS, établissement public d’État, devient une administration de gestion qui dispose de pouvoirs de financement, d’organisation et de planification.

On peut évoquer la nécessaire harmonie avec les autres services de l’État ayant autorité sur le plan régional, mais aussi sur le plan départemental.

L’autorité s’étend du secteur sanitaire au secteur médico-social, à l’hospitalisation publique et privée. Si celle-ci s’exprime dans le cadre d’une démocratie sanitaire et sociale, les rapports entre les partenaires ne peuvent qu’être féconds.

L’approche autoritariste – convocations impératives, correspondances abruptes, délais de réponse courts, forte hiérarchisation – peut conduire à une distanciation des liens, en particulier avec les collectivités locales et le citoyen.

Les représentations dans les comités de surveillance des établissements devront sentir la volonté d’une information partagée. Nous n’irons pas au-delà.

Pour garder la cohérence et l’harmonie des schémas régionaux de prévention, d’organisation des soins et d’organisation médico-sociale, les groupements de coopération de santé pourraient, à l’avenir, être élargis à la psychiatrie et à la santé mentale.

Nous pouvons nous interroger sur le rôle amplifié du directeur d’établissement. Le directeur et le président de la commission médicale d’établissement, qui forment un binôme, doivent s’entendre. Le respect de leurs missions et responsabilités respectives doit permettre d’éviter la dérive autocratique.

Je ne vais pas revenir sur le débat portant sur les moyens alloués à l’hôpital. Le rapport de la MECCS n’a pas analysé le secteur psychiatrique. Selon moi, ce débat ne doit pas porter sur le « toujours moins », mais sur le « plus juste ».

Il peut paraître difficile d’introduire une vision financière éthique dans une approche budgétaire allouée. Toutefois, il devrait être tenu compte des efforts fournis.

Ces efforts portent tout d’abord sur la qualité. Les processus de certification successifs ont permis le développement d’une méthodologie de haut niveau, qui reste cependant proche des réalités. Avec la nouvelle gouvernance, nous devons nous interroger sur l’avenir ou l’évolution des certifications.

Les efforts de coopération et de mutualisation doivent être encouragés. La spécificité de la psychiatrie n’a pas été prise en compte, mais le sera certainement dans une future loi.

Les efforts de restructuration devraient être récompensés lorsqu’ils existent.

Les efforts de partenariat, de promotion, de prévention des centres hospitaliers en lien avec les collectivités locales à l’interface du secteur sanitaire et du secteur médico-social doivent être favorisés.

Enfin, les efforts d’analyse des coûts des établissements doivent être mis en valeur. On constate des inégalités dans les efforts réalisés par certains établissements, parfois à leur détriment.

Dans une vision de partenariat entre l’État et les collectivités locales, la santé et le médico-social, il nous a semblé nécessaire de prendre en compte la personne avant l’aide ou le soin, d’où la nécessité de la transversalité et de l’interface.

J’évoquerai l’importance de l’ASIP Santé, l’Agence des systèmes d’information partagés de santé, qui doit permettre de favoriser le développement de ces systèmes dans le domaine de la santé et du secteur médico-social. Il est à noter que nous soutenons le développement de liens entre la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et l’ASIP Santé, dans l’objectif de contribuer à la coordination et à la qualité des soins dans le respect des droits du patient.

Le périmètre médico-social concernant l’interopérabilité et la sécurité des systèmes d’information intéresse les collectivités départementales.

L’articulation entre le dossier médical d’urgence et le dossier médical personnel n’est pas finalisée. Nous le savons, cette articulation est un « monstre » et elle est excessivement difficile à réaliser.

La sécurité des échanges, mais aussi la cohérence des éléments de prise en charge médico-sociale – l’évaluation de l’autonomie, l’attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie et le développement du retour et du maintien à domicile –, sont incontournables pour une meilleure utilisation des moyens et pour la prise en compte des besoins du malade.

Concernant les missions de l’ARS et le développement de la loi HPST, j’aimerais attirer de nouveau l’attention sur le rôle d’autres agences telles que l’ANESM, l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, et l’ANAP, l’Agence nationale d’appui à la performance.

Ces organismes inspirant l’ARS devront garder des liens avec les acteurs tels les professionnels de terrain, les représentants des collectivités et les usagers. Ceux-ci ne peuvent se sentir éloignés de l’approfondissement de la connaissance, de l’innovation dans le champ des politiques d’accompagnement de la perte de l’autonomie, pour ce qui concerne l’ANESM.

Quant à l’ANAP, nous avons pu le constater, le concept de performance peut inquiéter, car cette agence a un rôle d’appui dans les missions de pilotage opérationnel et d’amélioration de la performance des établissements.

L’appui dans la mission de pilotage stratégique de l’offre de soins et médico-sociale devra être confronté aux besoins exprimés par les acteurs locaux et tenir compte de leur dynamisme.

Nous serons, nous élus locaux, très attentifs à ce qui relève de la recommandation et des bonnes pratiques, face à la tentation des dérives technocratiques.

Si nous voulons réussir dans la durée, il faudra poser, comme cela est proposé, les fondements d’une politique à long terme qui ne pourra être balayée par des impératifs à court terme : faire autrement tout en faisant mieux, tel est le souhait que je formule pour cette loi en devenir. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Renée Nicoux.

Mme Renée Nicoux. Madame la ministre, il y a bientôt un an, la loi HPST était votée. À l’époque, le groupe socialiste s’y était fermement opposé et avait dénoncé le choix d’une logique de rentabilité, au détriment de la santé publique et des patients.

Avec cette loi, vous avez mis à mal l’avenir de l’hôpital public et, par là même, l’ensemble de notre système de santé. Vous participez, de plus, à la désertification des territoires ruraux en incitant à la « centralisation » des soins dans de grands centres hospitaliers gérés comme des entreprises.

Je profite de ce débat pour aborder une manifestation concrète des effets désastreux de la loi sur notre offre de soins : celle de la fermeture programmée du service de radiothérapie de Guéret dans la Creuse.

Le 27 mai dernier, le directeur de l’ARH, l’Agence régionale d’hospitalisation, devenue l’Agence régionale de santé, a annoncé la fermeture du service départemental de radiothérapie du centre hospitalier de Guéret.

Cette décision, prise sans concertation préalable, se fonde sur les recommandations de l’Institut national du cancer, qui préconise la fermeture de tout service ne possédant qu’un seul appareil de traitement et ayant moins de 600 patients par an.

Je m’oppose, et avec moi les élus creusois, à cette décision qui ne prend pas du tout en compte les spécificités et les besoins d’un territoire comme la Creuse. Comme vous pouvez l’imaginer, madame la ministre, mon département, comme de nombreux départements ruraux, doit déjà faire face à un phénomène de désertification médicale. Les disparités de densité et de typologie des praticiens n’ont jamais été aussi marquées, et ce au détriment des territoires ruraux.

De plus, département le plus « âgé » de France, la Creuse connaît une demande croissante en matière de soins qui, dans le même temps, nécessitent d’être adaptés aux besoins de la population. Et le besoin primordial de mon département, c’est la proximité des soins !

Il y a trois ans, quand le service a été rénové et doté de matériel performant, à la plus grande satisfaction des quelque 300 patients qui en bénéficient, je ne me rappelle pas avoir entendu de protestations. Aujourd’hui, c’est bel et bien la mise en œuvre de votre politique qui débouche sur la fermeture de ce service !

Peu importe la qualité des soins prodigués et l’importance de ce service pour la population, pour le Gouvernement, seules comptent les économies d’échelle et la recentralisation du système.

Notre service de radiothérapie a reçu de très bonnes évaluations et répondait à un besoin réel de la population locale. Certains ont évoqué des normes de sécurité non respectées pour justifier la fermeture de ce site. Or, l’équipement du service de radiothérapie de Guéret a entièrement été refait à neuf en 2007 et répond à l’ensemble des critères de sécurité actuellement en vigueur.

Ce service a toujours donné entière satisfaction aux responsables du centre de coordination en cancérologie de la Creuse, comme ils l’ont d’ailleurs souligné dans un courrier adressé au directeur de l’ARH. Dans cette lettre, ils indiquaient que les délais de prise en charge étaient très bons et en adéquation avec les recommandations scientifiques, que l’accueil des patients était de qualité, tout comme les traitements reçus, et que les relations et la coordination pluridisciplinaire avec les autres services de l’hôpital étaient optimales.

Tous ces éléments démontrent bien qu’il n’existe aucune justification plausible à la fermeture de ce site, excepté le fait de vouloir créer de grands centres hospitaliers centralisateurs ! La fermeture de ce service va être dramatique pour les 300 patients annuellement pris en charge. Pensez-vous, madame la ministre, qu’il soit raisonnable d’ajouter à la souffrance de patients déjà fragilisés une fatigue et un stress supplémentaires du fait de trajets plus longs et plus pénibles ?

De plus, aucun service de radiothérapie supplémentaire ne sera ouvert à Limoges, alors même que cet hôpital va devoir faire face à l’arrivée d’une nouvelle « patientèle ». Les délais de prise en charge vont donc mécaniquement s’allonger de façon inacceptable, au détriment des patients de l’ensemble de la région du Limousin.

Aucun élu ne peut accepter de voir son territoire ainsi mis à mal. Plusieurs dizaines de patients pris en charge au centre de Guéret ont d’ores et déjà annoncé qu’ils renonceront à leur traitement pour les raisons que je viens de présenter.

Madame la ministre, vous devez revenir sur votre décision ! Vous avez présenté votre réforme comme une « rationalisation des dépenses de santé ». Dans le cas présent, je me demande où sont ces fameuses économies et où se trouve la rationalité.

Je tiens à rappeler que la rénovation du centre de radiothérapie de Guéret a coûté près de 3 millions d’euros. Si nous fermions le centre demain, il s’agirait simplement d’un gaspillage de fonds publics, alors que le Gouvernement fait officiellement de la réduction des dépenses son objectif principal.

De plus, face à nos protestations légitimes quant à la fermeture du service, vous nous avez indiqué que la sécurité sociale prendrait en charge les coûts de déplacement. Il nous a été annoncé que des hôtels seraient mis à disposition des patients près des centres de traitement.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Tout à fait !

Mme Renée Nicoux. Ce sont donc des dépenses supplémentaires pour la sécurité sociale !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Exactement !

Mme Renée Nicoux. Quelle est la légitimité d’une décision qui va engendrer des coûts supplémentaires pour la sécurité sociale tout en réduisant à néant un investissement de près de 3 millions d’euros ?

La loi HPST ne semble pas procéder à une organisation du système de santé mais, bel et bien, à une désorganisation et à une déstructuration de l’offre de soins.

Votre décision a été prise totalement à contre-pied de l’intérêt des malades, lesquels sont, une fois de plus, oubliés au profit d’une logique économique. Pour quels bénéfices ? Aucun ! Que ce soit la sécurité sociale, l’environnement, l’attractivité de nos territoires et le bien-être de nos citoyens, tous semblent perdants !

La disparition du service de radiothérapie va gravement fragiliser l’ensemble de la chaîne des soins apportés aux patients creusois. La prise en charge de l’ensemble des patients atteints d’une pathologie cancéreuse va fortement se dégrader.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Mais non !

Mme Renée Nicoux. Madame la ministre, alors que la loi HPST est censée avoir pour objectif, selon vos propres termes, de « renforcer la territorialisation » en luttant contre « la désertification médicale » et en « s’adaptant aux réalités du terrain », comment pouvez-vous expliquer votre décision ? Je vous pose la question, mais j’ai bien peur d’en connaître la réponse.

La loi HPST a fait un grand pas en avant vers une marchandisation de notre système de santé. Les hôpitaux sont désormais gérés comme des entreprises. Les patients, apparentés à des clients, ne semblent plus être au cœur d’une politique publique de santé. Cette évolution est désolante !

En tant qu’élue de la Creuse, je me devais de soulever ce problème précis aujourd’hui. Mais ce n’est malheureusement pas un cas isolé. Bon nombre de mes collègues, de tous bords politiques, pourraient vous donner des exemples similaires sur leurs territoires !

Cette loi HPST semble faire un pas de plus vers un délaissement de nos espaces ruraux, tout en mettant à mal notre système de soins, qui fait pourtant partie intégrante de notre histoire.

Nous assistons une fois de plus à la casse de nos services publics que vous opérez depuis 2007. Après les tribunaux, La Poste, les collectivités territoriales et les hôpitaux, que reste-t-il aux citoyens français qui n’habitent pas dans les grandes agglomérations ? Rien !

Madame la ministre, vous indiquiez, le 11 janvier dernier, dans un communiqué de presse que vous souhaitiez disposer d’« indicateurs de santé qui tiennent compte des inégalités sociales et territoriales » afin d’engager des actions « justes dans leurs effets ».

Je peux d’ores et déjà vous assurer que les inégalités sont profondes et véritablement choquantes dans de nombreuses régions. Et avec des décisions comme celle qui a été prise pour la Creuse, ce n’est certainement pas vers un système « juste » que nous nous dirigeons, bien au contraire ! Cette décision suscite de l’inquiétude et de l’insatisfaction, laisse un sentiment d’abandon et ne répond pas à l’objectif de lutte contre la désertification médicale et d’adaptation aux réalités du terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Gilles.

M. Bruno Gilles. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cela fait près d’une année qu’a été promulguée la loi HPST. Certains décrets ont été publiés, d’autres, à l’état de projets, sont à l’étude, mais la grande majorité des textes réglementaires ne sont encore ni publiés, ni même soumis à discussion. Rien d’étonnant à cela, puisque, faut-il le rappeler, ce texte de loi est un monument, qui comporte 135 articles.

M. Jean-Jacques Mirassou. Bel éloge funéraire !

M. Bruno Gilles. Pourtant, il semble judicieux, d’ores et déjà, d’analyser la façon dont est ressentie sur le terrain la réforme en cours.

Parmi les mesures d’application publiées, je me contenterai d’en aborder certaines, qui intéressent plus particulièrement l’hôpital et les médecins libéraux. En ce qui concerne la nouvelle gouvernance qui prend forme, je m’inspirerai dans ces quelques commentaires, à une exception près, de la réalité du terrain et des réflexions qui me sont parvenues.

Sur la forme, la publication en rafales des décrets et arrêtés fait craindre dès à présent aux différents acteurs que les dispositions réglementaires n’excluent, dans le cadre de cette nouvelle gouvernance, toute marge de liberté. Il est ainsi regretté que les décrets n’adoucissent pas les termes de la loi, en particulier en ce qui concerne la politique de recrutement des effectifs médicaux et les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, où il est malheureusement plus question de sanctions que de moyens disponibles.

Par exemple, l’incompatibilité prévue, pour un président d’université médecin, de siéger au conseil de surveillance d’un centre hospitalier universitaire, ou CHU, n’apparaît pas fondée. Tout président d’université y aurait droit, mais seul un médecin président d’université, comme c’est le cas à Marseille, en serait exclu, sous prétexte d’un lien de subordination avec l’hôpital universitaire. Il apparaît dès à présent qu’une telle disposition est injuste. Une modification du décret est donc attendue. Tel est l’espoir qui se manifeste sur le terrain.

Considérons maintenant la communauté hospitalière de territoire, la CHT.

À ce sujet, je tiens à préciser que l’assistance publique-hôpitaux de Marseille, l’AP-HM, est impliquée dans deux territoires de santé : l’un comprenant Martigues, l’autre Aubagne-La Ciotat. La topographie fait que ces deux zones ne coopèrent pas entre elles. Aussi la constitution d’une seule CHT n’est-elle pas envisageable. Il conviendrait d’autoriser la possibilité, pour un CHU, de créer deux ou trois CHT quand le besoin s’en fait sentir et que le relief l’impose.

Je voudrais également évoquer, madame la ministre, le décret portant sur les attributions des CME, les commissions médicales d’établissement, et leur composition. Je tiens à souligner l’amertume des médecins, liée à la manière dont ce décret a été élaboré. Vous en avez été informée, puisque tant les syndicats des CME des centres hospitaliers que la conférence des CME des CHU ont dénoncé le contenu du décret, de même que le semblant de concertation avec le corps médical lors de son élaboration.

Comment pourrait-on envisager une gouvernance harmonieuse de notre système hospitalier sans un minimum de confiance à l’égard de ceux qui en sont les acteurs primordiaux ? Une certaine suspicion à leur encontre émanait déjà du projet de loi. Nous avons cherché ici, au Sénat, notamment à la commission des affaires sociales, à gommer cette impression.

Il faut bien admettre que certaines dispositions du décret sont dangereuses. Ce disant, je ne me réfère plus à Marseille, madame la ministre, où la concertation entre corps médical et administration est sereine, voire exemplaire. Je souhaite toutefois souligner, comme je l’avais fait lors de nos débats sur le projet de loi, les risques de dérives. Si l’avis du président de la CME est requis et s’il lui revient de prendre l’attache de ses mandants, cette concertation médicale n’aura pas l’obligation d’être suivie d’effet dans la réalité. Si l’on ajoute à cela, en dépit d’une position consensuelle attendue au sein du directoire sur les principaux thèmes, que c’est bien le directeur général, président du directoire, qui décide, il n’est pas absurde d’évoquer un risque d’absence de dialogue médical, alors que le dialogue social, lui, sera préservé via les CTE, les comités techniques d’établissement.

Enfin, de semblables griefs sont énoncés par les médecins libéraux à propos des décrets qui les concernent. Celui qui traite du développement professionnel continu, le DPC, se caractérise, de leur point de vue, par une mise à l’écart des organisations représentatives des professions. Les décrets sur les modalités d’élection aux unions régionales des professionnels de santé ne garantissent pas une efficacité de fonctionnement ni de sereines relations contractuelles de ces assemblées avec les agences régionales de santé, les ARS.

N’avez-vous pas, madame la ministre, tout au long de nos débats, et encore même au dernier jour de ceux-ci, plaidé pour la collégialité et contre un excès de formalisme ? Je ne doute pas que vous saurez tenir compte des réserves exprimées. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, c’est une grande première, ce qui rend l’atmosphère un peu particulière…. Je pense bien évidemment aux locaux, mais aussi à ce débat, censé faire non pas un bilan, mais une analyse objective de la mise en œuvre, un an après son adoption, d’une loi importante.

Le 12 mai 2009, j’intervenais sur ce texte, en rendant hommage au rapporteur, à la commission et à l’ensemble du travail réalisé par le Sénat.

Nos travaux ont en effet permis de faire évoluer le texte, en vous aidant d’ailleurs, madame la ministre, à vous dégager d’une situation quelque peu compliquée, parce que l’ensemble du corps médical se sentait un peu mis à l’écart. Le Président de la République, vous-mêmes, madame la ministre, monsieur le rapporteur, et nous, parlementaires, avons ensemble réussi à sortir de cette situation pour apporter une réponse équilibrée au problème qui opposait les directeurs et le corps médical.

Depuis lors, un équilibre nouveau se dessine peu à peu, que chacun est en mesure d’apprécier. Les événements récents ont d’ailleurs montré que l’on ne pouvait pas se passer des médecins pour faire de la médecine et même de la prévention. Cela a eu pour effet de rasséréner le corps médical. Une telle ambition étant désormais inscrite dans la loi, il nous faut désormais la mettre en œuvre.

J’avais à l’époque insisté sur le fait que les ARS devaient être des facteurs de cohérence, de cohésion et de partenariat entre les secteurs public et privé, entre la médecine libérale et l’ensemble des acteurs. Ces agences ayant été mises en place au 1er avril dernier, ce dont je me réjouis, il est encore un peu tôt pour dresser un bilan.

Permettez-moi de vous faire part de ma volonté de jouer parfaitement le jeu. Les ARS étant chargées de missions territoriales, j’ai réuni, le 5 juillet dernier, en tant que président de l’Association des maires, adjoints et élus de la Lozère, la directrice de l’ARS du Languedoc-Roussillon et les élus de mon département. J’estime en effet que ces derniers doivent être au fait des évolutions qui touchent leur territoire. Celles-ci seront difficiles, car il nous faudra sortir des schémas territoriaux dans les domaines sanitaire et médico-social. Les ARS devront être à l’écoute des professionnels et des élus, afin de pouvoir mettre en place une couverture territoriale.

Pour ce faire, il nous faut éviter deux écueils : celui de la concentration à outrance dans les grands CHU et celui d’un véritable émiettement, celui du tout partout. En tant que médecin et député de la circonscription de Marvejols, j’avais accepté la fermeture d’une maternité : non seulement la sécurité y était insuffisante, mais, de surcroît, un service de réanimation néonatale était déjà en place à Mende.

Mais, d’un autre côté, la proximité est importante et je me suis battu en ce sens en tant que président d’un syndicat intercommunal. Nous avons fait construire une clinique mutualiste à Marvejols, qui devra nouer, du moins je l’espère, un partenariat avec l’hôpital.

Madame la ministre, vous devez nous aider, pour contrer ceux qui veulent supprimer tout ce qui ne relève pas du secteur public. N’est-il pas insensé, en effet, que le service public hospitalier veuille concurrencer, au prix d’investissements importants, cette structure mutualiste, pour ce qui concerne les hémodialyses ?

Vous devez nous aider à trouver des partenariats ! Si le secteur public doit supporter l’existence du secteur privé, ce qu’il a quelquefois du mal à tolérer, il appartient également à ce dernier de reconnaître le rôle des structures publiques. Dans les CHU, par exemple, de jeunes chirurgiens ou de jeunes médecins se voient refuser la possibilité d’effectuer des mi-temps dans le secteur privé ! L’esprit de la loi n’est donc pas entré dans les mœurs ! Le ministère doit user de tout son pouvoir pour faire disparaître ces combats du passé. Public et privé doivent aller de pair, l’un et l’autre étant indispensables.

Cela étant, je suis très inquiet concernant l’insuffisance du nombre de médecins dans notre pays, insuffisance à laquelle on ne cherche pas à remédier, madame la ministre. Je le redis, même si je sais que cela vous agace un peu. Et que l’on ne vienne pas me dire que leur nombre est supérieur à celui d’autres pays ! À Mende, pour faire tourner un service d’urgence, dix-neuf médecins sont nécessaires, dans le cadre des 35 heures. N’oublions pas les astreintes et la féminisation de ces métiers, qui limitent la disponibilité des personnels !

Notre pays ne forme pas assez de médecins. Madame la ministre, vous avez diminué le nombre d’étudiants en médecine à Montpellier et à Nîmes, alors que nous manquons de médecins en Lozère ! Une telle situation n’est pas acceptable. Et, à l’inverse, vous augmentez leur nombre à Amiens. C’est incompréhensible ! En fait, l’ensemble de vos services est intoxiqué par la technocratie, qui leur fait oublier les réalités !

Il faut développer les contrats – c’est vous qui les avez inventés -, permettant aux jeunes de s’installer dans l’espace rural. Notre département en a déjà signé six. Mais, de grâce, cessons d’éliminer des jeunes qui feraient de très bons médecins !

Et ce n’est pas parce les médecins seront plus nombreux que les dépenses de la sécurité sociale augmenteront ! Vous n’êtes d’ailleurs pas seule responsable ! Sous quelque gouvernement que ce soit, de droite ou de gauche, le poids de la technocratie ministérielle a été tel que notre appel à la formation d’un plus grand nombre d’étudiants en médecine est toujours resté sans réponse. Je vous en prie, madame la ministre, libérez-vous d’une telle influence, écoutez les gens comme nous, qui sommes sur le terrain, qui connaissons la médecine !

De même, si je défends la médecine générale, l’ayant pratiquée, je vous mets en garde : ne supprimons pas, dans les hôpitaux, les postes d’agrégés des spécialités dont nous aurons besoin demain car nous risquons d’en manquer !

Madame la ministre, vous nous avez amenés à voter ce texte. Nous ne regrettons pas de vous avoir soutenue. (Vraiment ? sur plusieurs travées du groupe socialiste.) Mais il faut nous écouter et nous entendre ! Je connais les difficultés que les médecins rencontrent sur le terrain. Même si c’est difficile, j’ose défendre des fermetures de sites lorsque les chiffres sont accablants. Je vous demande donc de nous croire lorsque nous vous disons qu’il faut former plus de médecins ! (Applaudissements sur les travées de lUMP –  Bravos sur les travées socialistes.)

M. Jean-Jacques Mirassou. Vive la Lozère !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je me réjouis d’être dans une salle agréable, lumineuse et dotée de fauteuils nettement plus confortables que ceux de l’hémicycle habituel. (Murmures sur diverses travées.)

M. François Autain. Ce n’est pas sûr…

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Madame la présidente de la commission des affaires sociales, chère Muguette Dini, vous avez évoqué le long examen de ce projet de loi. Je me rappelle les conditions quelque peu précaires dans lesquelles je m’étais trouvée à l’époque ! (Sourires.) J’ai d’ailleurs gardé précieusement la photo de la petite table sur laquelle j’étais assise, mes collaborateurs étant contraints de rester debout, faute de chaises. Je ne peux donc que me féliciter du confort dont nous bénéficions cet après-midi. (Nouveaux sourires.)

À l’approche de la date anniversaire de la promulgation de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, je suis très heureuse de participer à ce débat aujourd’hui. Il faudra plusieurs années, peut-être même une décennie, pour que cette loi prenne pleinement effet, et, s’agissant d’un texte aussi important et aussi structurant, il faudra sans doute organiser régulièrement de tels rendez-vous.

Comme je m’y étais engagée, les dispositions essentielles introduites par la loi HPST sont désormais en vigueur et les Français vont pouvoir apprécier rapidement et concrètement les effets de cette réforme majeure pour notre système de santé.

La tâche qui nous attendait était d’envergure, la loi appelant près de 200 décrets d’application, eux-mêmes nécessitant de nombreux arrêtés. Grâce à une exceptionnelle mobilisation, la réforme est donc en marche.

Après des débats parlementaires dont chacun se remémore l’intensité, jamais un dispositif réglementaire n’aura fait l’objet d’une telle concertation. Au total, depuis les quelque 200 auditions de professionnels menées par la commission de concertation sur les missions de l’hôpital présidée par Gérard Larcher, dans les travaux de laquelle nous avons largement puisé pour élaborer cette réforme, ce sont près de deux années de concertation qui auront présidé à l’élaboration de la loi et de ses décrets d’application.

Ces travaux se poursuivent sous l’égide de Jean-Pierre Fourcade, dans le cadre du comité de suivi dont il assure avec brio la présidence. M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales lui a rendu un hommage mérité, tant il y accomplit un travail remarquable. D’ailleurs, de mon propre chef, j’ai élargi la mission de Jean-Pierre Fourcade à l’ensemble du titre I de la loi, ce qui n’était pas prévu initialement.

D’ores et déjà, près de 140 textes ont été publiés, dont les huit ordonnances. Mieux, tous les textes ont été rédigés, sans qu’ils aient à subir un retard de mon fait ou de celui de mon administration. Ils sont dans leur quasi-totalité soit en cours de publication, soit en cours d’examen par le Conseil d’État, que nous avons beaucoup sollicité et dont je tiens à saluer l’exceptionnelle contribution à nos travaux. Vous connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs, la rigueur et le sérieux de cette institution.

Avec la mise en place, au début du mois d’avril, des agences régionales de santé, puis de celle de la gouvernance des établissements publics de santé – je réponds à Alain Milon –, les éléments les plus structurants de la réforme sont donc déjà en place. Je rappelle que, généreusement, le Parlement m’avait laissé jusqu’au 1er juillet pour installer les agences régionales de santé, beaucoup doutant que ce soit possible avant le 1er avril. Eh bien nous avons largement anticipé sur cette échéance !

En outre, la loi joue pleinement son rôle de « boîte à outils » au service de la transformation de notre système de santé.

Même si ce n’est pas tout à fait le sujet, je voudrais répondre à tous ceux et à toutes celles qui, avec des sensibilités différentes, ont évoqué la question du financement de notre système de santé, spécialement le financement de l’hôpital.

Je le répète, la loi HPST n’est pas une loi de financement de la sécurité sociale – l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale nous réunira dans quelques mois –, c’est une loi d’organisation grâce à laquelle des outils fort utiles ont été créés. Je pense en particulier à l’ANAP, qu’ont évoquée, notamment, M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales et Jean-Jacques Jégou. Cette agence, qui a pour mission de diffuser une culture de la performance au sein des établissements sanitaires et médicosociaux, mène depuis plusieurs mois déjà un travail considérable de formation et d’accompagnement de projets emblématiques, telle l’opération « 100 pôles d’excellence ».

Sachez, monsieur le rapporteur général, que la comptabilité analytique est l’une des priorités que j’ai fixées à cette agence de la performance, rejoignant en cela vos souhaits.

Mesdames, messieurs les sénateurs, grâce aux actions que nous avons engagées avec votre appui, nous avons déjà enregistré des progrès notables en matière financière. Ainsi, le déficit global des hôpitaux est passé de 686 millions d’euros en 2007 à 570 millions d’euros en 2008, puis à 512 millions d’euros en 2009, et j’ai bon espoir que la situation continue de s’améliorer en 2010 si j’en juge par les premiers chiffres encourageants dont je dispose.

Cela étant, je rappelle que les deux tiers des hôpitaux sont en équilibre financier. M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales évoquait le cas du CHU de Lille, dont Didier Delmotte est le remarquable directeur général, établissement qui présente un budget pratiquement équilibré. À mon arrivée au ministère, sur les trente et un CHU que compte la France, seuls deux d’entre eux étaient en équilibre financier ; ils sont maintenant sept.

Monsieur le rapporteur général, vous avez raison de ne pas opposer la gestion et la qualité des soins, et, en l’espèce, je tiens à rassurer Jean-Louis Lorrain. Toutefois, Gilbert Barbier a raison quand il dit, en substance, que la proximité ne peut en aucun cas être synonyme d’assignation à résidence.

Mme Nicoux, quant à elle, a évoqué un sujet très grave, à savoir la situation du service départemental de radiothérapie du centre hospitalier de Guéret. Lorsque j’ai pris mes fonctions de ministre de la santé, la filière de radiothérapie, si elle n’était pas sinistrée, connaissait néanmoins de très sérieux dysfonctionnements. Madame la sénatrice, je vous emmènerai rencontrer les membres de l’Association vosgienne des surirradiés de l’hôpital d’Épinal.

M. Jean-Jacques Mirassou. Et à l’hôpital de Rangueil, à Toulouse !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je vous emmènerai à Rangueil à Toulouse !

Je vous emmènerai dans les établissements où des dysfonctionnements très graves ont été observés ; je vous ferai rencontrer les familles des malades décédés au terme d’atroces souffrances, victimes des dérèglements de la filière de radiothérapie.

Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai demandé que soient inspectées l’ensemble des installations de radiothérapie que compte notre pays. Avec l’appui de l’Institut national du cancer et de l’Autorité de sûreté nucléaire, nous avons fixé des normes de sécurité afin de garantir la qualité des soins sans exposer la vie des malades. Or ces normes de sécurité ne sont absolument pas observées par le service de radiothérapie de Guéret.

L’INCa, qui s’apprête, pour des raisons de sécurité d’ailleurs, à durcir ses normes, a fixé à 600 le nombre de patients que doit traiter annuellement chaque site de radiothérapie pour que la sécurité soit garantie.

De même, la présence de deux appareils est nécessaire, pour que le premier puisse prendre le relais du second si celui-ci vient à tomber en panne. Pareillement, les normes de sécurité imposent la présence de deux radiothérapeutes, ce qui n’est pas le cas à Guéret. Il faut aussi des radiophysiciens pour assurer la maintenance de l’appareil.

Bien sûr, nous sommes passés à travers les gouttes et le site de radiothérapie de Guéret n’a connu ni incident ni accident. Mais, en tant que ministre de la santé, je ne peux pas faire d’économie sur la sécurité. D’ores et déjà, la moitié des malades devant suivre une radiothérapie – les mieux informés et les plus nantis d’entre eux – fuient le centre hospitalier de Guéret et se font soigner ailleurs. Ils votent avec leurs pieds !

Madame Nicoux, comme vous l’avez rappelé, la sécurité sociale prendra en charge le coût des transports sanitaires et des nuitées en hôtel des patients devant suivre une radiothérapie. Je le répète : mon objectif n’est pas de réaliser des économies, mais de développer des soins de qualité.

Afin d’éviter toute désertification – il serait absurde de parler de « compensations » –, dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire, j’ai décidé, à la demande du député Jean Auclair, l’installation d’un pôle de gériatrie à Guéret. Cet investissement, d’un montant de 21 millions d’euros, permettra la création de 54 postes supplémentaires.

Vraiment, madame Nicoux, vous avez pris le plus mauvais exemple. Comment pouvez-vous déclarer que je cherche à réaliser des « économies », alors que je n’aspire à rien d’autre qu’assurer la sécurité des soins ? Votre argumentation ne tient pas.

J’en reviens à mon propos initial.

Tous les textes qui organisent la gouvernance hospitalière ont été publiés. Cette gouvernance se met en place sur le terrain. Je note avec satisfaction que les appréhensions, certes compréhensibles, qui ont été exprimées l’an dernier sur les relations entre présidents de commission médicale d’établissement et directeurs ne se sont pas vérifiées Je n’en suis guère étonnée, moi qui ai toujours rappelé combien les directeurs et les présidents de CME étaient unis autour d’un objectif commun : que leur hôpital soit en mesure de mieux répondre aux besoins et aux attentes des patients. Que Jacky Le Menn, qui m’a interpellée sur ce sujet, soit rassuré !

La CME voit d’ailleurs ses attributions renforcées pour l’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que des conditions d’accueil et de prise en charge des usagers, autre priorité fixée par la loi HPST.

Je veux dire à Bruno Gilles que rarement l’élaboration d’un texte aura fait l’objet d’une telle concertation. Durant les six mois qu’auront duré les discussions avec les organisations intersyndicales, nous aurons tout mis en œuvre pour surmonter les difficultés et gommer les différences d’appréciation entre les parties prenantes. Je ne sais pas s’il y a beaucoup de textes pour lesquels le ministère concerné a organisé six mois de concertation !

La réforme responsabilise et valorise les chefs de pôle chargés de la mise en œuvre du projet médical au plus près des patients. Ils bénéficieront de larges délégations de gestion dans le cadre d’un contrat négocié avec le directoire. Cette responsabilisation leur permettra d’agir plus efficacement et renforcera la motivation des personnels.

D’ailleurs est paru aujourd’hui le décret sur les pôles, assorti de deux arrêtés : le premier fixant les modalités de la formation à l’exercice des fonctions de chef de pôle d’activité clinique ou médico-technique, le second fixant le montant et les modalités de versement de l’indemnité de fonction des chefs de pôles, indemnité qui sera augmentée.

À cet égard, Jacky Le Menn m’a interrogée sur la possibilité de délégation de signature du directeur. Je tiens à lui dire que celle-ci est possible pour toute personne choisie pas le directeur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nombre d’entre vous ont évoqué les conseils de surveillance. La transformation des actuels conseils d’administration en conseils de surveillance est effective depuis la publication des arrêtés, voilà quelques jours, par les directeurs généraux des ARS. Chargé des orientations stratégiques et du contrôle permanent de la gestion, le conseil de surveillance aura désormais un rôle essentiel à jouer.

Son président est élu parmi les collèges des élus et des personnalités qualifiées, ce qui constitue une démarche d’ouverture à la société civile, à la démocratie sanitaire, à laquelle nous sommes tous attachés.

Un certain nombre de maires se retrouveront très certainement à la tête de ce conseil de surveillance. Il s’agit là d’une possibilité, et non d’une fin en soi. Les élus locaux que vous êtes ont toujours démontré leur parfaite connaissance des besoins de nos concitoyens et leur grande implication dans l’administration de nos hôpitaux. Je ne doute pas que, au sein des conseils de surveillance, ils continueront à tenir ce rôle chaque fois qu’ils en feront le choix, avec la rigueur et l’efficacité que nous leur connaissons.

Bruno Gilles m’a interrogée sur l’interdiction qui est faite à un président d’université, quand il est médecin, de siéger au conseil de surveillance d’un centre hospitalier universitaire. Lever cette incompatibilité risquerait de perturber la parité entre les trois collèges, qui doivent être d’égale importance : l’hôpital compterait un salarié de plus au sein du conseil par rapport aux deux autres collèges, ce qui conduirait à une situation déséquilibrée. C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible de revenir sur cette interdiction.

J’ai indiqué toutefois que, la parole d’un médecin président d’université pouvant être capitale, il serait l’invité permanent du conseil de surveillance. Cette disposition me semble de nature à lever la difficulté soulignée par M. Bruno Gilles.

M. Gérard Dériot, que je remercie pour sa contribution, a centré son intervention, à juste titre, sur les coopérations entre établissements de santé, qui représentent, pour reprendre ses propos, des « éléments essentiels de la réforme ». Ces coopérations sont en effet essentielles. Elles améliorent l’accès aux soins et rendent l’offre de soin cohérente et lisible pour nos concitoyens, grâce à la mutualisation.

En premier lieu, les communautés hospitalières de territoire ou CHT, comme on les appelle maintenant, visent principalement à permettre aux établissements publics de taille moyenne de développer une stratégie territoriale commune avec d’autres établissements, autour d’un projet médical partagé.

Monsieur Le Menn, nous n’avons pas les mêmes échos. Une démarche de préfiguration lancée en septembre sur les CHT se traduit aujourd’hui par un appui méthodologique et financier à 37 projets issus de CHT et dix projets portés par des groupements de coopération sanitaire – GCS –, sans qu’aucun CHU participe. Les premiers retours d’expérience confirment que la CHT constitue un outil adapté à la plupart des coopérations entre établissements publics.

Cette politique – et je réponds à M. Gilbert Barbier, dont l’intervention sur ce sujet était excellente – se met actuellement en place. Un premier décret, paru le 30 avril 2010, vise à faciliter et simplifier la gestion des autorisations de soin lorsqu’une convention de CHT est passée entre des établissements. Un autre décret, relatif aux instances communes des CHT, est élaboré en ce moment en concertation avec les professionnels et sera publié le mois prochain. Ces textes se sont nourris de l’enseignement de l’expérimentation de terrain que j’ai lancée dès la promulgation de la loi.

En second lieu, les GCS constituent le mode de coopération privilégié entre établissements de santé publics et privés. Le décret pris en application de la loi HPST tend précisément à clarifier et simplifier le droit des GCS.

M. Jean-Louis Lorrain a évoqué l’élargissement des GCS au domaine psychiatrique. J’ai demandé à mon cabinet et à mes services de réfléchir à une expérimentation en la matière, afin d’améliorer la prévention et de parvenir à une meilleure organisation territoriale.

Les associations de patients, de même que les professionnels et les représentants des familles, sont bien entendu associés à cette réflexion. Mais il est évident que les différentes structures de coopération s’appliquent également aux établissements psychiatriques.

Je sais que les représentants des établissements privés et d’intérêt collectif s’inquiètent de la possibilité de transformation du GCS en établissement public de santé dès lors qu’il est titulaire d’une autorisation d’activités de soin. Ce point a d’ailleurs été soulevé par certains d’entre vous. Je répondrai à cette inquiétude en rappelant deux éléments.

Tout d’abord, le GCS « de moyens », que nous avons modernisé, offre de très nombreux avantages et couvre toutes les hypothèses de mutualisation de ressources ou d’activités dont peuvent avoir besoin les différents acteurs de santé, qu’il s’agisse d’établissements de santé publics ou privés, de structures médico-sociales, de professionnels médicaux libéraux ou encore de centres de santé.

Ensuite, cher Alain Milon, la transformation en établissement de santé ne concernera qu’une minorité de projets. Il s’agira assurément  – je ne me fais aucune illusion sur ce point – de projets très aboutis en termes de prise en charge médicale et soignante. Surtout, la transformation en établissement de santé ne constitue qu’une option laissée à la main des responsables concernés, qui ne pourra être mise en œuvre sans leur aval. Il ne s’agit pas, dans ce domaine, d’imposer quoi que ce soit, étant donné le niveau d’intégration supposé.

À une question qui m’a été posée à propos du clinicien hospitalier, je répondrai que le décret devrait paraître dans les prochains jours et que la circulaire est en ce moment élaborée en concertation avec les organisations représentatives des praticiens hospitaliers.

Vous m’avez interrogée, monsieur François Autain et monsieur Yves Daudigny, sur les missions de service public. Leur inscription dans la loi a permis de souligner leur importance, d’affirmer le principe selon lequel elles doivent être assurées en fonction des besoins de la population et d’élargir la liste des structures ou des personnes susceptibles de les assurer.

Que les choses soient claires ! Mon intention n’a jamais été de remettre à plat l’organisation actuelle. Je souhaite seulement ouvrir la possibilité d’exercer ces missions à tous les établissements, dans l’intérêt de la population, dès lors qu’une situation de carence apparaît, et seulement dans ce cas. Pour atteindre cet objectif, il m’est apparu, après mûre réflexion, qu’il n’était pas nécessaire de prendre un décret d’application, la loi étant suffisamment claire. Cela m’a d’ailleurs été confirmé par M. Fourcade.

Je souhaite maintenant répondre à quelques questions particulières, notamment des questions d’ordre financier, qui n’entraient pas vraiment dans le sujet de ce débat. J’y répondrai par un inventaire à la Prévert, dont vous excuserez le caractère désordonné.

M. Le Menn m’a interrogée sur la mise en réserve de certains crédits, mécanisme participant d’une meilleure gestion financière. La mise en réserve ne portera en aucun cas sur les missions d’intérêt général, qui sont préservées. En outre, il ne s’agit pas d’un gel, mais d’une simple mise en réserve des crédits qui seront évidemment débloqués dès que les choses seront rentrées dans le droit chemin.

M. Masson m’a questionnée sur l’opportunité de transformer les CHR en CHU. Il ressort de l’ensemble des analyses transpartisanes qu’il y a plutôt trop de CHU, que pas assez. Mon rôle est d’assurer la sauvegarde des CHU et c’est pourquoi je résisterai mordicus à tous ceux et celles qui souhaitent en diminuer le nombre, et ils sont nombreux sur les bancs d’un certain nombre d’organisations, le débat dépassant largement le clivage gauche-droite. Je souhaite donc ardemment sauvegarder les CHU, mais, de grâce, ne m’en faites pas ajouter ! Il ne faut pas exagérer.

Pour répondre à M. Vanlerenberghe quant au choix du directeur, je veux rappeler que la procédure votée est extrêmement claire. Même si le conseil de surveillance est consulté sur la question, il n’est pas de sa responsabilité de nommer le directeur.

Un appel à candidature est lancé et six candidatures au moins sont présentées au directeur général de l’ARS par un comité de sélection. Si la candidature n’est pas statutaire, l’ARS exerce son choix directement. Dans le cas contraire, c’est le centre national de gestion, à qui sont proposées au moins trois candidatures, qui choisit par délégation du ministre.

M. Dériot a très utilement indiqué qu’il était nécessaire de connaître la réforme et qu’il existait sans doute un déficit dans ce domaine. Comment pourrait-il en être autrement ? C’est une restructuration complète de notre système de santé que nous entreprenons. Étant donné le nombre d’informations erronées qui sont diffusées – je ne saurais dire si cela est involontaire ou délibéré –, nous avons encore du chemin à faire !

C’est la raison pour laquelle un vade-mecum d’information sur la réforme sera distribué à l’ensemble des personnels hospitaliers dès juillet. Bien sûr, nous ferons de même pour les médecins généralistes et le secteur médico-social.

Je souhaiterais maintenant aborder les agences régionales de santé, véritable socle de la réforme. Clé de voûte de la loi HPST, elles ont été créées le 1er avril dernier. Ainsi, le coup d’envoi de la réforme n’a pas été donné dès la promulgation de la loi, cher M. Milon. La réforme a véritablement été lancée, étant donné qu’elle repose tout entière sur les ARS, le 1er avril dernier.

Facteurs d’une réforme historique de notre système de santé, les ARS instituent un pilotage régional fort, lisible et cohérent, ayant compétence sur l’ensemble du champ de la santé : le préventif et le curatif, l’hôpital et la ville, le sanitaire et le médico-social. Il est ressorti des réunions préparatoires à la réforme que le système existant, en tuyaux d’orgue, était trop cloisonné et insuffisamment territorialisé. La loi sert évidemment à remédier à cet état de fait.

Tous les textes nécessaires au fonctionnement des ARS, plus d’une vingtaine, ont été publiés. Les vingt-six directeurs généraux ont été nommés en conseil des ministres le 1er avril dernier. Les conseils de surveillance des ARS comme les conférences régionales de la santé et de l’autonomie – CRSA – vont se réunir avant la mi-juillet. Les conférences de territoire suivront dès l’automne, une fois les territoires de santé redéfinis.

Au-delà des textes, ce sont les améliorations concrètes et tangibles qui, au quotidien, se feront sentir. En effet, mieux répondre aux besoins de santé des Français en menant des politiques plus adaptées et plus efficientes constituent le cœur de la mission des ARS.

Élaborer le projet régional de santé, développer la prévention et la promotion de la santé, accompagner la réorganisation de la médecine de ville, mieux piloter la performance des hôpitaux, garantir la veille et la sécurité sanitaires, adapter le secteur médico-social à de nouveaux besoins, telles sont les priorités que j’ai données aux ARS et sur lesquelles elles seront amenées à rendre des comptes.

J’attends en particulier des résultats concrets et rapides en matière de permanence des soins et de mise en place de structures pluridisciplinaires pour les médecins libéraux, car cela répond à des attentes très fortes de nos concitoyens.

Puisque j’évoque les structures pluridisciplinaires, je souhaite répondre à M. Autain à propos des centres de santé. La procédure de déclaration simplifiée que j’ai mise en place devrait permettre leur développement. Mais ces centres de santé fonctionneront à tarif opposable, strictement opposable.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. L’ARS conserve la possibilité de supprimer à tout moment leur autorisation en cas de non-respect du cahier de charges. Une chose au moins nous réunit, comme j’ai pu le constater à travers nos débats, c’est notre attachement aux centres de santé et je suis formelle sur ces deux conditions.

Les ARS devront relever un défi majeur : garantir l’accès aux soins à tous nos concitoyens. Cette exigence constitue, vous le savez, le fil rouge de mon action depuis trois ans.

Beaucoup d’entre vous se sont exprimés sur ces sujets de démographie, le dernier, notre cher Jacques Blanc avec la passion et l’enthousiasme qu’on lui connaît ! Je n’ignore pas ses difficultés en Lozère. Qu’il me soit permis de lui dire que ce n’est pas parce que j’augmenterai le numerus clausus de l’université de Montpellier que les médecins iront jusqu’en Lozère !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je crains hélas qu’ils ne restent sur la côte ! L’héliotropisme est un phénomène connu ! Je tiens à redire que je n’ai pas réduit le nombre des étudiants en médecine. Au contraire, je l’ai constamment augmenté et je continuerai bien entendu à le faire.

Garantir l’accès aux soins pour tous nos concitoyens est un des piliers du pacte solidaire de santé sur lequel je m’engage auprès des Français et qui constitue le socle de ma politique pour les deux années à venir. Les décrets sur la permanence des soins, que je viens de signer, donneront aux ARS la possibilité d’adapter précisément leur organisation aux besoins de la population et de moduler les astreintes versées aux médecins en fonction de la spécificité de chaque territoire.

Pour la première fois, tous les leviers de la permanence des soins se trouvent rassemblés en une seule main et, dès les prochains mois, un nouveau dispositif de permanence des soins sera effectif dans chaque région. Il s’appuiera sur un important travail de concertation avec l’ensemble des acteurs, notamment au sein de la CRSA, qui comprend un collège d’élus, de même qu’avec les unions régionales de professionnels de santé.

Cette permanence des soins sera d’ailleurs un critère sur lequel les directeurs généraux d’agences régionales de santé seront évalués, et ce dès cette année, comme je les en ai avertis très clairement.

Les unions régionales seront les partenaires professionnels légitimes des ARS en région. Elles seront constituées de représentants professionnels libéraux élus par leurs pairs au sein de listes syndicales.

Monsieur Gilles, la mise en place des unions régionales traduit la volonté très forte d’associer les professionnels de santé libéraux à la modernisation de l’offre de soins. Jamais les professionnels de santé libéraux n’auront été autant associés à l’élaboration des politiques de santé, notamment au travers du projet régional de santé. C’est, j’en suis convaincue, une des conditions sine qua non de la réussite de la réforme.

Le décret relatif aux unions régionales de professionnels de santé libéraux a été publié. Les élections professionnelles seront organisées le 29 septembre prochain pour les médecins libéraux et avant la fin de l’année pour les autres professionnels libéraux.

Afin de réduire les inégalités territoriales de l’offre de soins, les ARS disposeront de plusieurs leviers d’action au niveau de la formation initiale des médecins. Le nombre d’internes formés dans chaque région et dans chaque discipline sera, dès la rentrée prochaine, fixé en fonction des besoins de la population.

Monsieur Jacques Blanc, les ARS pourront, chaque année, proposer à 400 étudiants et internes des contrats d’engagement de service public. Je vous assure qu’il y en aura pour la Lozère, qui connaît des problèmes de démographie médicale. En contrepartie du versement d’une allocation mensuelle, ces étudiants s’engageront à exercer dans des zones identifiées comme sous-dotées.

Toujours afin de relever le défi de la démographie médicale, je veux faciliter de nouveaux modes d’exercice qui répondent mieux aux aspirations des médecins.

Plusieurs outils créés par la loi HPST sont d’ores et déjà à la disposition des professionnels de santé. C’est le cas des protocoles de coopération, qui permettent aux médecins de répartir autrement leurs tâches avec les autres professionnels de santé, et donc d’assurer aux patients une meilleure prise en charge, tout en optimisant leur temps de travail et en valorisant mieux leurs compétences.

De ce point de vue, la féminisation de la profession est fréquemment évoquée. Je le ressens parfois comme une culpabilisation.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Les jeunes hommes aspirent, eux aussi, à d’autres modes d’exercice.

Les ARS ont également commencé à accompagner les professionnels de santé libéraux dans leurs projets de terrain, comme l’organisation de maisons de santé pluridisciplinaires.

Il s’agit pour ces derniers d’une évidente simplification puisqu’ils auront affaire, pour la première fois, à un interlocuteur unique pour accompagner et financer leur projet. J’ai rencontré des internes et de jeunes médecins et j’ai constaté que le cheminement technocratique auquel ils étaient contraints pour trouver des financements et des aides en décourageait plus d’un. Établir le dialogue avec les professionnels de santé libéraux est d’ailleurs une des priorités des ARS et elles s’y sont attachées dès leur mise en place.

Les ARS sont ainsi prêtes pour répondre à l’engagement pris par le Président de la République de financer deux cent cinquante maisons de santé pluridisciplinaires avant la fin de son mandat.

En se fondant sur les expérimentations qui sont actuellement en cours, sur mon initiative, les ARS pourront consolider ces projets en proposant aux professionnels de santé libéraux des contrats collectifs d’objectifs et de moyens ou de nouveaux modes de rémunération.

De plus, les volets ambulatoires des schémas régionaux d’organisation sanitaire, les SROS, seront préparés à partir de la rentrée. Ils feront l’objet d’une intense concertation sur le terrain avec les professionnels de santé libéraux, mais aussi avec les élus locaux. Ils apporteront un cadre explicite pour faire converger les aides et les politiques incitatives et soutenir les projets qui correspondent à de vrais besoins de santé.

Les dispositifs de télémédecine compléteront ces mesures en facilitant l’accès aux soins dans des zones sous-dotées ainsi que les consultations dans certaines spécialités.

De ce point de vue, je tiens à préciser que, aux côtés de l’Agence nationale d’appui à la performance, l’ANAP, l’Agence des systèmes d’information partagés de santé, l’ASIP Santé, sur laquelle vous m’avez interrogée, constitue un remarquable outil pour le développement de ces techniques qui vont bien entendu révolutionner tout à la fois la médecine de pointe et la médecine de proximité. J’ajoute que, dans quelques semaines, pour ne pas dire dans quelques jours, j’irai apprécier sur le terrain les développements de l’expérimentation du dossier médical personnel, le DMP. Vous pouvez donc constater, monsieur Milon, que l’engagement que j’avais pris devant vous de faire de l’année 2010 l’année du lancement du DMP sera tenu.

Un décret définit l’activité de télémédecine et permet sa mise en œuvre ainsi que son financement. Il est en cours d’examen au Conseil d’État et sera publié au début du mois de juillet. Dès à présent, mes services se mobilisent pour développer les outils nécessaires au développement de cette activité sur le terrain, sous la responsabilité des ARS.

Tout est donc mis en œuvre dès à présent pour répondre à notre impératif commun : une plus juste répartition de l’offre de soins sur l’ensemble du territoire.

Monsieur Milon, je tiens à protéger la ressource d’offre de soins de proximité. C’est d’ailleurs ce souci qui a guidé mon choix lorsqu’il s’est agi de déterminer le mode de vaccination contre la grippe A/H1N1. Je n’avais bien évidemment aucune défiance quant à la capacité des professionnels de santé de procéder à ces vaccinations, mais je savais que la demande maximale surviendrait au moment où ils seraient eux-mêmes surchargés de travail dans leur cabinet. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé. Nous avons atteint un rythme de 300 000 vaccinations par jour alors que l’on recensait par ailleurs un million de consultations supplémentaires par semaine dans les cabinets libéraux. Je voulais protéger la ressource humaine que constituent les professionnels de santé, car elle est trop précieuse pour être dilapidée.

La loi HPST vise aussi à garantir à la population l’accès aux soins en sanctionnant les refus de soins exercés par les professionnels de santé. Je viens de signer le décret d’application de cette mesure.

D’autres dispositions sont d’ores et déjà applicables, je pense notamment à la remise d’un devis aux patients.

Certaines mesures concernent les pharmaciens et la biologie médicale. La loi définit précisément les missions qui incombent aux pharmaciens. Les décrets d’application sont en cours d’examen par le Conseil d’État.

La réforme ouvre la voie à une meilleure prise en charge par les pharmaciens, en renforçant leur rôle dans la prévention, l’éducation thérapeutique, le suivi, la coordination avec les autres acteurs de santé.

La réforme de la biologie médicale a pour objectif de permettre à chacun d’avoir accès à une biologie de qualité prouvée, payée à son juste prix, dans un cadre européen. L’ordonnance est parue le 13 janvier dernier, les premiers textes d’application sont publiés ces jours-ci.

Cette réforme commence à porter ses fruits, avec la création de plateaux techniques regroupant plusieurs laboratoires, ce qui permet de rationnaliser et de moderniser notre réseau de laboratoires.

Améliorer l’état de santé de nos concitoyens, les aider à préserver le plus longtemps possible leur autonomie : la loi HPST, qui est aussi une loi de prévention, entend répondre à cet impératif.

L’essentiel des mesures portant sur la santé publique, qui sont des mesures de protection, sont en vigueur.

Il en est ainsi de la protection des jeunes, avec la lutte contre l’expérience précoce du tabac et les pratiques d’alcoolisation. Personne n’a évoqué cette question au cours de ce débat, et je le regrette, car cette loi a permis – et c’est important – de simplifier et d’harmoniser la réglementation en instaurant l’interdiction de vente d’alcool et de cigarettes aux mineurs.

Il en est également ainsi de la protection des populations, avec l’adaptation du règlement sanitaire international. Le projet de décret sera publié dès le mois de juillet. Ce titre vise également à replacer le patient au cœur de sa propre prise en charge, grâce aux mesures relatives à l’éducation thérapeutique et à l’éducation à la santé.

Mesdames, messieurs les sénateurs, un an après, je suis fière de tout le chemin que nous avons parcouru ensemble. Cette réforme était nécessaire, indispensable, si nous voulions préserver notre système de santé et les valeurs solidaires qui le fondent. Malgré l’ampleur de la tâche, grâce à vous, grâce à mes services et à tous ceux qui travaillent sur le terrain, j’ai tenu les engagements pris devant vous et devant les Français.

Un an après la publication de la loi, je suis au rendez-vous de sa mise en œuvre et je suis fière du travail accompli, parce que nos concitoyens et nos concitoyennes pourront désormais, dans leur quotidien, apprécier de façon concrète tous les apports de cette réforme. Cette loi, je ne l’ai faite que pour eux et pour elles. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur « la loi hôpital, patients santé et territoires, un an après ».

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures trente, sous la présidence de M. Roland du Luart.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

9

Politique de contraception et d’interruption volontaire de grossesse

Discussion d’une question orale avec débat

(Salle Médicis)

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, la discussion de la question orale avec débat n° 59 de Mme Michèle André à Mme la ministre de la santé et des sports relative à la politique de contraception et d’interruption volontaire de grossesse.

Cette question est ainsi libellée :

« Mme Michèle André demande à Mme la ministre de la santé et des sports de lui exposer les conclusions qu’elle tire de l’évaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de la prise en charge des interruptions volontaires de grossesse, à laquelle vient de procéder l’Inspection générale des affaires sociales. Elle lui demande notamment les mesures que le Gouvernement envisage de prendre pour lutter contre le taux d’échec important des moyens de contraception ainsi que pour garantir un égal accès à l’interruption volontaire de grossesse sur l’ensemble du territoire, et un meilleur choix pour les femmes des techniques utilisées. »

La parole est à Mme Michèle André, auteur de la question.

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, auteur de la question. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur les conclusions tirées par votre ministère de l’évaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de la prise en charge des interruptions volontaires de grossesse à la suite du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS.

Nous partageons, madame la ministre, la conviction que le droit à disposer de son corps, tout comme celui de choisir ses maternités et d’avoir accès aux soins en matière de santé reproductive, sont constitutifs d’une société démocratique égalitaire.

Le rapport très détaillé de l’IGAS est venu confirmer les progrès réalisés trente-cinq ans après la promulgation de la loi Veil, qui autorisait et médicalisait l’avortement en France.

D’une part, les Françaises bénéficient aujourd’hui d’une couverture contraceptive remarquable, puisque 95 % des femmes qui le nécessitent utilisent un moyen de contraception, médical dans 80 % des cas.

D’autre part, la prise en charge de l’IVG a marqué des progrès réels et les délais sont globalement mieux maîtrisés.

Même s’il reste encore beaucoup à faire, je me réjouis de ces avancées, notamment parce qu’elles vont dans le sens d’une société plus égalitaire entre les femmes et les hommes.

Permettez-moi d’avoir une pensée particulière pour ceux, femmes et hommes politiques, mais aussi médecins et responsables associatifs, qui ont consacré une partie de leur vie au service des femmes, pour que leur soit reconnu le droit fondamental de choisir leur maternité et d’interrompre leur grossesse dans de bonnes conditions psychologiques, sanitaires et économiques. Cette conquête a été le fruit de batailles menées contre les préjugés et contre les conservatismes. Nos sociétés, même les plus avancées, n’en sont pas à l’abri.

Les associations et les praticiens qui accompagnent les femmes sur le terrain nous alertent en effet régulièrement. Tout d’abord, des groupuscules « pro-vie » et des lobbies anti-IVG continuent d’organiser des « marches », à Paris en janvier dernier, à Toulouse et à Avignon récemment encore. Ensuite, les pressions psychologiques exercées par les familles, mais aussi par certains éléments du corps médical, rendent plus difficile pour les femmes l’exercice de leurs droits. Enfin, certains médecins sont encore réticents à accomplir des actes d’IVG.

Je tiens ici à rendre un hommage particulier aux hommes et aux femmes du réseau des soixante-dix associations du Mouvement français pour le planning familial : investis sur le terrain quotidiennement, ils sensibilisent, accompagnent, écoutent et orientent les femmes, sans distinction d’âge ni de catégorie sociale.

Ils constituent les véritables relais de nos politiques et, sans le travail renouvelé et permanent de leurs équipes, les droits que nous nous efforçons de garantir aux femmes resteraient souvent au stade des principes.

Ils nous rappellent que notre rôle, en une matière si délicate qui touche à l’intime et aux convictions personnelles de chacun, consiste, loin des postures et des déclarations d’intention, à permettre, à informer, mais surtout à garantir les moyens nécessaires pour répondre aux besoins des femmes.

Or, vous le savez, les crédits budgétaires alloués à ces associations sont encore aléatoires : fractionnés entre différentes missions et programmes, leur obtention relève souvent du parcours d’obstacles.

Au début de l’année 2009 déjà, la baisse des crédits budgétaires permettant de subventionner les établissements d’information, de consultation et de conseil familial nous avait fortement alarmés. Nos interventions et la mobilisation des réseaux associatifs avaient finalement conduit le ministre du travail de l’époque, Brice Hortefeux, à signer avec la présidente du Mouvement français pour le planning familial un protocole garantissant le maintien à niveau des crédits budgétaires pour les années 2009, 2010 et 2011.

Mais, alors que de nouvelles associations soutenant les droits des femmes sont aujourd’hui menacées, le réseau associatif s’interroge : faudra-t-il se mobiliser chaque année pour que soient garantis les budgets qui leur permettent simplement de fonctionner ?

Fournir des données chiffrées stables et garantir des procédures simples me paraît aujourd’hui être une priorité : les responsables associatifs sont prêts à ouvrir un dialogue constructif et j’espère, madame la ministre, que vous y répondrez favorablement.

C’est avec le même souci d’efficacité que j’aborderai les deux questions qui nous préoccupent aujourd’hui : la prévention des grossesses non désirées et la prise en charge des interruptions volontaires de grossesse.

En ce qui concerne la prévention des grossesses non désirées, les campagnes d’information et l’amélioration de la prise en charge des méthodes contraceptives ont, semble-t-il, porté leurs fruits, puisque, comme l’a confirmé le rapport de l’IGAS, les Françaises bénéficient d’une couverture contraceptive remarquable.

Pourtant, 72 % des 200 000 IVG pratiquées en France concernent des femmes qui utilisent un moyen de contraception, selon l’IGAS. Force est donc de constater que la diffusion massive de la contraception n’a pas eu encore l’efficacité escomptée.

Ce relatif échec s’explique, selon les praticiens et les travailleurs associatifs, par le fait que les méthodes contraceptives ne sont pas toujours adaptées aux conditions de vie et aux attentes des femmes.

Il faut donc aller plus loin que la seule diffusion, en permettant aux femmes de faire un réel choix en matière de contraception, qui soit adapté à leurs besoins et à leurs modes de vie.

Permettre le remboursement de l’ensemble des moyens de contraception prescrits est une étape nécessaire.

Vous avez annoncé que vous alliez examiner avec les laboratoires pharmaceutiques les moyens de parvenir à un remboursement par l’assurance-maladie de certaines méthodes de contraception non prises en charge, comme les patchs et les anneaux. J’espère que ces négociations aboutiront.

Mais cette prise en charge ne sera efficace que si l’accès aux méthodes de contraception est garanti.

La possibilité pour les infirmières de renouveler les ordonnances de pilules contraceptives datant de moins d’un an va dans ce sens, de même que celle qui est donnée aux pharmaciens de les délivrer lorsque la prescription est « périmée » de quelques jours. Je me félicite de ces mesures.

En tout état de cause, il me semble que nous avons aujourd’hui intérêt à ce que les acteurs de terrain travaillent au maillage du territoire, en s’appuyant sur les ressources existantes, et en développant les lieux d’accueil.

Certains départements soutiennent cette démarche de réseau, et je m’en réjouis. Ainsi, dans l’Hérault, un dispositif tripartite, liant le conseil général au planning familial et aux médecins, a permis un partage des rôles efficace : une conseillère du planning, installée dans une structure « banalisée », oriente les femmes vers les professionnels de santé conventionnés, les soins étant pris en charge financièrement par le conseil général via le planning familial. Des démarches similaires ont vu le jour dans le département du Bas-Rhin, ainsi que dans les régions Pays de la Loire et Poitou-Charentes. Comment pourrions-nous les soutenir et les encourager ?

En matière de contraception, les jeunes majeures restent vulnérables et il me semble qu’il nous revient de leur porter une attention particulière.

Si 10 000 IVG par an sont pratiquées sur des mineures, beaucoup concernent des jeunes majeures de dix-huit à vingt-cinq ans.

Le rapport de l’IGAS a mis en lumière la persistance de carences importantes dans l’information : l’éducation à la sexualité à l’école, obligation légale depuis la loi du 4 juillet 2001, n’est que très inégalement et partiellement appliquée. La situation des jeunes femmes non scolarisées est la plus délicate. Le fait que la sexualité des jeunes soit encore un tabou pour les parents, les éducateurs, et parfois même les médecins, conduit à « dramatiser » des situations qui pourraient être simplement expliquées et prises en charge.

L’accès à l’information et à la contraception reste par ailleurs encore trop inégal en fonction du territoire où l’on vit, des moyens financiers dont on dispose, de la couverture sociale et de la façon dont peuvent être garantis anonymat et confidentialité.

Je pense qu’il n’est pas inutile de rappeler ici que, si les jeunes peuvent recourir de façon gratuite et anonyme à la contraception d’urgence et à l’IVG, ils n’ont pas accès gratuitement à la contraception régulière, sauf dans les centres d’éducation et de planification familiale, dont l’accessibilité demeure limitée.

Il me semble essentiel d’intensifier le travail de sensibilisation des enseignants, des éducateurs et des animateurs sur ces questions.

Vous avez annoncé, madame la ministre, lors de la Journée internationale de la femme, vouloir améliorer l’éducation sexuelle et l’accès à la contraception des jeunes. Pouvez-vous nous expliquer comment et avec quels moyens ?

J’en viens maintenant à la question de la prise en charge des interruptions volontaires de grossesse.

En cette matière, on a beaucoup commenté le paradoxe du contexte français, la diffusion massive de la contraception n’ayant pas fait diminuer le nombre des IVG, qui se maintient aux environs de 200 000 par an.

Je ne m’attarderai pas sur ces commentaires et je m’en tiendrai aux faits.

En premier lieu, il ressort des données produites par le rapport de l’IGAS que les deux dispositions qui avaient suscité le plus de contestations lors de l’adoption de la loi du 4 juillet 2001 ont, en réalité, permis d’améliorer le dispositif : l’assouplissement du régime d’autorisation parentale pour les mineures, d’une part, l’allongement du délai légal de douze à quatorze semaines, d’autre part, n’ont pas produit les dérives que certains annonçaient. À cet égard, les demandes d’IVG tardives ne concernent, aujourd’hui, pas plus de 10 % de l’ensemble des demandes. Elles restent préoccupantes, bien évidemment. Je suis persuadée que vous partagez mon souci.

En second lieu, l’évaluation remise en février a confirmé les progrès réels de prise en charge de l’IVG.

Les délais d’accès à l’IVG dans les établissements se sont dans l’ensemble améliorés pour se rapprocher, dans la plupart des cas, de la norme de cinq jours définie par la Haute Autorité de santé.

Mais ces progrès demeurent fragiles et, vous le savez, mes chers collègues, tant les experts de l’IGAS que les acteurs de terrain s’inquiètent légitimement de la persistance de goulots d’étranglement dans certaines zones de fortes demandes à certaines périodes de l’année, notamment lors des congés, problème que la fermeture d’un certain nombre de centres d’IVG ne fait qu’aggraver.

Les causes de cette situation sont maintenant bien connues. D’une part, en dépit de plusieurs revalorisations successives, la tarification de l’IVG instrumentale ne prend en charge qu’une partie de son coût réel. D’autre part, la pratique de l’IVG reste une activité peu gratifiante pour les personnels de santé : le recours à la clause de conscience de la part des professionnels semble avoir été renforcé par l’allongement du délai légal de recours à l’IVG.

Vous avez annoncé, madame la ministre, l’augmentation des forfaits IVG et l’amélioration des conditions de prise en charge des IVG médicamenteuses. Permettez-moi cependant de rappeler que, malgré les revalorisations tarifaires de 20 % en 2008 et 34 % en 2009, les fermetures des centres d’IVG ont continué : le 5 juin dernier, un collectif d’associations de femmes appelait à manifester à Paris pour la réouverture du centre d’IVG de l’hôpital Tenon, le maintien de tous les services de pédiatrie de l’hôpital Trousseau, ainsi que le maintien de la maternité, du service de pédiatrie, du centre d’IVG et de l’école de sages-femmes de l’hôpital Saint-Antoine.

Le résultat de ces fermetures, nous le connaissons : trop de femmes sont confrontées à des refus par manque de place et sont réorientées sans entretien préalable et sans information pratique. Les délais de rendez-vous continuent de dépasser ceux que recommande la Haute Autorité de santé ; quant aux délais de prise en charge, ils restent supérieurs à quinze jours dans un établissement sur vingt, plus particulièrement dans ceux qui ont le plus de centres d’IVG en activité.

D’après les informations fournies par le réseau du planning familial, le délai d’accès pour un avortement en Île-de-France peut aller jusqu’à trois semaines.

Ces obstacles, et les conséquences psychologiques et physiques qui s’ensuivent, touchent en priorité les femmes les plus fragiles, nous le savons bien.

Enfin, la réticence de certains praticiens vient s’ajouter aux difficultés pratiques : non seulement les IVG tardives ne sont pas prises en charge partout, mais, surtout, certains modes de prise en charge sont systématiquement privilégiés.

Alors que le choix des femmes en ce domaine devrait être d’autant plus respecté que cet acte a des conséquences importantes sur leur intégrité, le recours quasi exclusif à la technique médicale dans certains établissements reflète plus le choix de l’équipe que celui des femmes.

Madame la ministre, je ne sous-estime pas les efforts déjà accomplis par votre ministère. Je me préoccupe toutefois de savoir ce que vous allez faire pour éviter la fermeture de nouveaux centres d’IVG et de maternités dans les hôpitaux. C’est un enjeu capital pour de nombreuses femmes, et je vous remercie par avance de vos réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai tout d’abord par remercier notre collègue Michèle André d’avoir posé cette question orale avec débat sur un sujet aussi important.

Le 21 septembre 1974, après des débats très animés, le Parlement adoptait la loi Veil, qui autorisait l’interruption volontaire de grossesse. À l’époque, les législateurs pensaient que la généralisation des méthodes contraceptives allait conduire à une réduction progressive du nombre d’IVG. Trente-cinq ans plus tard, ce chiffre reste quasiment identique.

Durant cette période, la contraception s’est très largement généralisée. Alors que 95 % des Françaises utilisent une contraception, le nombre d’IVG reste toujours aussi élevé, à l’inverse de ce qui est observé à l’étranger. Depuis 1975, on compte environ 200 000 avortements par an. Cette situation est très préoccupante, car l’IVG est une épreuve lourde à supporter pour les femmes qui y ont recours.

D’ailleurs, selon le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur la prise en charge de l’IVG, la Haute Autorité de santé constate qu’il « existe peu de données concernant le retentissement psychologique de l’IVG » et déclare que celle-ci demeure un événement souvent difficile à vivre sur le plan psychologique. Madame la ministre, pouvez-vous nous dire si une étude sur les conséquences psychologiques de l’IVG a été lancée ? Un éclairage objectif et scientifique sur ce sujet paraît fondamental.

Selon certaines études, un manque d’explications, de conseils et d’informations sur le bon usage de la contraception motiverait en partie le nombre élevé d’IVG.

En effet, il apparaît essentiel de faire connaître les différents modes de contraception. Très peu de femmes, jeunes et moins jeunes, utilisent l’implant, l’anneau vaginal ou encore le patch contraceptif, qui sont pourtant des moyens de contraception moins astreignants au quotidien que la pilule. De même, peu savent que le stérilet est utilisable chez les jeunes femmes, même si elles n’ont pas encore eu d’enfants. Nous devons tenir compte des nouveaux moyens de contraception, plus faciles à utiliser.

Il semblerait que les médecins privilégient certaines contraceptions qui ne seraient pas adaptées aux attentes et au mode de vie des femmes et des couples, d’où l’importance de renforcer la formation initiale et continue des médecins et des sages-femmes.

Selon une étude, 72 % des femmes qui recourent à l’IVG sont sous contraception. Parmi ces femmes, 23 % prenaient la pilule et 19 % utilisaient un préservatif. Pourtant, ces deux modes de contraception sont efficaces s’ils sont utilisés correctement. Il y a donc une mauvaise utilisation des moyens de contraception.

Les femmes de trente à trente-cinq ans oublient plus fréquemment leur pilule. Chez ces femmes, l’oubli peut avoir plusieurs significations : désir d’enfant par rapport au couple, désir de pouvoir encore être mère par rapport à la société, désir de créer un lien avec un nouveau partenaire. Pour ces femmes, les médecins doivent prendre le temps de communiquer.

À l’heure où la sexualité est plus irrégulière, impliquant plus de partenaires, pour certaines femmes la prise journalière d’une pilule est difficile. Il serait donc souhaitable de diversifier et d’adapter la couverture contraceptive en fonction des besoins et des modes de vie des utilisateurs.

Les avortements sont plus nombreux chez les mineures. Il ne faut pas oublier que la contraception a un coût et, chez les mineures, il est loin d’être négligeable, en particulier les pilules de dernière génération non prises en charge par l’assurance maladie. Les anneaux, les patchs et les préservatifs ne sont pas remboursés. Le remboursement n’est pas neutre et oriente la demande et la prescription. Cette prescription peut ne pas correspondre à la personne. Le remboursement de tous les contraceptifs et l’accès aux préservatifs à bas prix doivent être envisagés. Les médicaments pour la prostate, eux, sont tous remboursés ! (Rires.) Ce sujet ne devrait pas rester qu’une affaire de femme.

Le recours à « la pilule du lendemain » est également loin d’être systématique en cas de rapport à risque, bien qu’elle soit gratuite pour les mineures. Malheureusement, tous les établissements scolaires n’en disposent pas et certains pharmaciens ne la mettent pas à disposition gratuitement pour les mineures. On constate ici combien il est important de faire appliquer la loi 2001 sur l’IVG dans l’ensemble des établissements et de prendre des mesures pour favoriser l’accès aux moyens de contraception d’urgence pour les femmes et les mineures.

Informer doit être une priorité pour combattre les idées reçues sur la contraception et donner les moyens d’éviter une grossesse non désirée. Inscrite dans la loi depuis 2001, l’éducation sexuelle à l’école, dans les collèges et les lycées se résume le plus souvent à une information et non une éducation. Deux tiers des filles de troisième pensent, par exemple, qu’on ne peut pas tomber enceinte lors du premier rapport sexuel. Madame la ministre, des actions d’information, d’éducation et de prévention ciblées sur les mineures doivent être entreprises et devenir une urgence nationale.

Je souhaite évoquer l’exemple de l’Alsace, qui a un taux d’IVG inférieur au taux national concernant les mineures. La mise en place d’un plan de prévention entre plusieurs institutions a permis de faire baisser ce taux. Grâce à un partenariat entre l’administration hospitalière, la caisse de sécurité sociale, le planning familial et les établissements scolaires, les jeunes ont pu bénéficier d’une prise en charge anonyme et gratuite. De plus, une unité spécifique d’information et d’accueil des adolescents concernant la sexualité, appelée Info-Ado, a été mise en place. Il s’agit de donner des informations précises aux jeunes en matière de contraception et de sexualité. Cela permet de garder une confidentialité de la sexualité vis-à-vis des parents.

Il y a donc des interventions en milieu scolaire et un accueil gratuit, anonyme et sans examen gynécologique, aux heures ouvrables dans les hôpitaux publics pour les jeunes qui souhaitent poser des questions ou qui désirent une contraception. Les pilules et les préservatifs sont offerts gratuitement et sans limite de nombre à chaque adolescent qui le demande. Un examen clinique ou des tests de dépistage sont possibles et demeurent gratuits pour ne pas impliquer la sécurité sociale des parents.

Madame la ministre, l’exemple de l’Alsace devrait pouvoir être soutenu et développé sur tout le territoire. Des réseaux de prévention et de soins impliquant les médecins généralistes devraient être mis en place.

De plus, il devient urgent de réduire les inégalités régionales. Dans le cadre de la mise en place de la tarification à l’activité dans le secteur hospitalier, de plus en plus d’établissements renoncent à pratiquer les IVG faute d’une tarification suffisante. On constate que les restructurations hospitalières ont conduit à la fermeture de services pratiquant l’IVG, souvent déficitaires. On observe de fortes inégalités régionales et des difficultés d’accès aux consultations d’IVG. Des mesures doivent être envisagées à ce niveau.

L’information, l’éducation scolaire, de nouveaux remboursements, le renforcement de la formation médicale, un meilleur maillage du territoire, l’utilisation conjuguée de tous ces moyens devraient permettre de mettre fin au nombre élevé d’IVG en France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il m’a paru opportun qu’au moins un homme intervienne dans ce débat, et je remercie mon groupe d’avoir accepté que je prenne la parole, d’autant que j’éprouve une certaine émotion à le faire, ayant été présent dans les tribunes de la Haute Assemblée voilà trente-cinq ans, lors du débat sur l’IVG, au moment où le sénateur Jean Mézard présentait le rapport de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de Mme Veil. J’avais pu mesurer à l’époque la dureté d’un combat à front renversé, la force des tabous, l’utilisation de l’éthique et de la morale pour s’opposer à toute avancée sociétale. Le combat était et est toujours celui de la liberté et de la dignité, en l’espèce encore plus celui de la souffrance, du désespoir des femmes les plus faibles, les plus démunies. Que de drames humains, de vies brisées…

Constatons, mes chers collègues, que la contraception et l’IVG n’ont pas entraîné la baisse de natalité annoncée et que, bien au contraire, d’immenses progrès ont été réalisés.

Depuis la loi Neuwirth, qui a autorisé la contraception, la France est devenue l’un des pays où le taux de contraception est le plus élevé, notamment en ce qui concerne les méthodes nécessitant une prescription médicale.

On assiste néanmoins à un paradoxe : une contraception très utilisée et un nombre d’interruptions volontaires de grossesse stable.

Le rapport de l’IGAS sur la prise en charge de l’IVG en France souligne un fait assez inquiétant : 72 % des femmes qui ont eu recours à l’IVG déclaraient utiliser un moyen contraceptif ; d’où la nécessité de parvenir à une meilleure adéquation des méthodes contraceptives aux conditions de vie et aux attentes des femmes, et de renforcer l’approche préventive et l’information en matière de sexualité.

Concernant la contraception, il est selon nous indispensable de mener une politique volontaire, avec des campagnes d’information efficaces et un soutien renouvelé aux établissements d’information, de consultation et de conseil familial. Il est en effet primordial d’assurer et de promouvoir les deux objectifs suivants : l’information relative à la contraception et l’accès aux moyens de contraception.

À cet égard, nous partageons pleinement l’appréciation formulée par le rapport de l’IGAS quant à l’intérêt des centres de planification qui assurent, dans les faits, un accès aux conseils gratuits et confidentiels ainsi que la prescription et la délivrance de produits contraceptifs.

Madame la ministre, mes chers collègues, comment oser encore parler de confort alors qu’il s’agit de santé publique, de l’avenir, de l’équilibre de tant d’adolescentes, de jeunes femmes ?

Les progrès qui ont été réalisés avec les lois successives sont l’illustration de l’évolution des mentalités.

Nous nous réjouissons que la forte mobilisation en 2009 en faveur du maintien des crédits consacrés aux établissements d’information, de consultation et de conseil familial, ait abouti à la conclusion d’un protocole d’engagement garantissant le maintien, sur la période 2009-2011, des crédits consacrés à ces structures.

Les associations du planning familial accomplissent selon nous une mission d’utilité publique à laquelle il serait inconcevable de devoir renoncer. Un désengagement de l’État en ce domaine aurait des conséquences graves, notamment pour l’information des mineures et des jeunes adultes et l’assistance des personnes les plus fragilisées. Comment relayer, sans les associations, les campagnes nationales ? « La contraception, parlons-en ! » : où va-t-on en parler si les structures qui assurent la prévention, l’information et l’assistance sont menacées ? Je pense que tel n’est pas le cas, madame la ministre, mais pouvez-vous nous garantir que la politique en matière de contraception reste pour vous une priorité – nous ne sommes pas très inquiets d’ailleurs – et que le soutien au planning familial sera renouvelé dans les années à venir ?

Le rapport de l’IGAS souligne par ailleurs la nécessité d’une meilleure prise en charge globale de l’IVG et montre que, si des progrès indéniables ont été réalisés, la place de l’IVG en tant qu’activité médicale n’est pas encore normalisée et que les avancées, partielles, demeurent fragiles.

Trois points soulignés par I’IGAS m’apparaissent comme particulièrement préoccupants.

Premier point : une diminution du nombre des établissements qui pratiquent l’IVG, et des inégalités territoriales trop importantes dans la prise en charge de l’IVG.

Des « goulots d’étranglement » persistent dans certaines zones, notamment les grandes villes, et le nombre d’établissements pratiquant l’IVG en France est passé de 729 en 2000 à 639 en 2006. Ainsi, un établissement sur vingt a des délais de prise en charge supérieurs à quinze jours. Or moins de centres pratiquant l’IVG et moins de moyens ne peuvent que nuire à une bonne prise en charge de l’IVG et aboutir à des situations de grande détresse.

Deuxième point : le rapport souligne un éventail incomplet des techniques d’IVG dans les structures hospitalières. De ce fait, il existe un risque que le choix des techniques utilisées – médicamenteuse ou chirurgicale – soit principalement déterminé par la pratique des centres hospitaliers, alors qu’il devrait relever de la décision des intéressées après information.

Troisième point – et ce n’est pas le moindres : la faible attractivité de l’activité d’orthogénie pour les futurs médecins doit être prise en compte.

Face à ce constat, il semble primordial de reconnaître cette activité comme partie intégrante de l’offre de soins. Si l’IVG est, pour les établissements hospitaliers, une activité déficitaire et, pour les praticiens, une activité peu porteuse, cela ne peut générer que des difficultés. Le système de santé doit selon nous être en mesure d’appliquer la loi de la République sur tout le territoire et non être soumis à des choix budgétaires locaux ou être à la merci de choix personnels, même respectables.

Madame la ministre, le 8 mars dernier, vous avez annoncé, à l’occasion de la Journée de la femme, que vous souhaitiez augmenter la rémunération des actes d’interruption volontaire de grossesse. Pour pallier la fermeture des lieux de prise en charge, les forfaits versés aux établissements pratiquant des IVG seraient augmentés en moyenne de près de 50°% dès 2010.

Pouvez-vous nous confirmer les mesures qui seront prises pour que, à l’avenir, un nombre suffisant de médecins pratiquant l’IVG soit assuré ?

Trente-cinq ans après la loi Veil, il reste beaucoup de chemin à parcourir dans l’accès à l’information, à la contraception et à l’IVG... Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour que l’action initiée avec tant de courage par votre illustre « prédécesseure » (Sourires) soit poursuivie et renforcée dans l’intérêt des femmes et donc de l’humain. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la ministre, sur la question qui nous préoccupe, nous ne partageons pas le même regard. Aussi, j’ai hésité un temps à m’exprimer, sachant que mon point de vue – celui qui donne à croire que la certitude de l’éternité commence au premier jour de la vie, c'est-à-dire au jour de la conception – n’est pas partagé par la majorité d’entre nous.

Madame André, ce n’est pas faire le choix du conservatisme ou d’un archaïsme social de le croire, de l’affirmer, de le vivre : ce choix a aussi droit à la parole. Mais il ne s’agit pas aujourd’hui de se situer sur ce plan : l’heure est au bilan.

Premièrement, on relève un nombre trop élevé d’avortements dans notre pays, conjointement avec l’un des plus forts taux de contraception d’Europe, paradoxe mis en évidence par l’inspection générale des affaires sociales, l’IGAS. L’Institut national d’études démographiques, l’INED, le confirme : « La propension à recourir à l’avortement en cas de grossesse non prévue s’est accentuée à mesure que la maîtrise de la fécondité s’améliorait. » Ainsi, selon un sondage IFOP, 72 % des femmes qui ont eu recours à l’IVG utilisaient une méthode de contraception au moment où elles se sont trouvées enceintes.

Deuxièmement, le nombre d’IVG est en augmentation chez les mineures : 13 300 mineures ont eu recours à une IVG en 2006, soit une sur cent environ.

Troisièmement, l’avortement n’a rien d’anodin pour les femmes : s’il n’est certes pas remis en question dans l’opinion publique, néanmoins 61 % des Françaises estiment qu’il y a trop d’avortements dans notre pays, et 83 % que l’avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre. C’est dire que, derrière nos statistiques, les enjeux humains de ce débat sont loin d’être négligeables.

Aussi, je veux remercier Michèle André d’avoir suscité ce débat. Elle nous donne ainsi l’occasion de nous arrêter sur un sujet grave pour faire un état des lieux de la situation, pour avoir le courage de reconnaître que notre politique en la matière pourrait être plus cohérente, de manière à la faire évoluer et soutenir les femmes et les hommes de notre pays, puisque cette responsabilité s’accorde au féminin, mais aussi au masculin – ce que nos collègues semblent avoir été nombreux à oublier aujourd’hui.

Je voudrais, madame la ministre, vous poser trois questions.

La première a trait à la contraception.

Aucun rapport de grande ampleur n’a été établi à l’échelon national pour appréhender les conséquences sur l’organisme humain de la prise de contraceptifs par les femmes pendant des dizaines d’années, à l’heure où le corps médical ne cesse de constater une augmentation significative des cancers. Une étude du Centre international de recherche sur le cancer, agence qui dépend de l’OMS, a classé il y a quelques années la pilule contraceptive parmi les produits cancérogènes du « groupe 1 », c’est-à-dire ceux dont l’action est « certaine », indiquant pour autant qu’elle « diminue le risque de cancer de l’endomètre et de l’ovaire », mais « augmente celui du cancer du sein, du col utérin et du foie ». D’autres études récentes évoquent a contrario les effets positifs de la pilule sur la santé tandis que d’autres sont en revanche très alarmistes.

C’est la raison pour laquelle, madame la ministre, je vous demande si vous envisagez de mener une étude approfondie sur ce sujet, de manière à pouvoir éventuellement protéger la santé des Françaises qui ont recours à la contraception médicamenteuse.

Ma deuxième question concerne la pratique de l’avortement liée au risque d’un éventuel handicap, notamment celui de la trisomie 21.

N’y a-t-il pas, madame la ministre, une contradiction à ne pas avoir inscrit dans notre loi de bioéthique de liste des « affections d’une particulière gravité » qui peuvent faire l’objet d’une IMG, une interruption médicale de grossesse, et à vouloir explicitement intégrer la trisomie 21 au nombre des maladies à dépister systématiquement lors d’un diagnostic préimplantatoire ? N’y a-t-il pas un risque d’eugénisme, dans une société où tout ce qui sortirait de la norme devrait faire l’objet d’un équarrissage ? (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) N’est-ce pas cette tendance qui pousse à l’élimination quasi systématique des enfants à naître atteints de trisomie 21 ? Rappelons que 96 % d’entre eux font l’objet d’une IMG ! Fonder le droit de vivre sur le fait que toute vie nouvelle est désirée, n’est-ce pas admettre a contrario la possibilité de supprimer la vie qui n’est pas désirée ? Répondre oui à cette question, n’est-ce pas instituer un principe effrayant, celui de l’élimination des indésirables, en l’occurrence des trisomiques ? Madame la ministre, avez-vous l’intention de remédier à cette tendance ? (Mêmes mouvements.)

Ma troisième question porte sur votre volonté ou non de favoriser un espace de rencontre et d’accueil en amont de la prise de décision d’IVG ou d’IMG.

En effet, d’une part, des enquêtes démontrent que, parmi les femmes qui ont accepté l’avortement, un certain nombre auraient, mieux informées, gardé leur enfant. D’autre part, la loi prévoit un entretien particulier et préalable qui revêt une importance fondamentale si l’on souhaite éviter des décisions d’IVG hâtives, issues d’un désarroi sans aucun doute réel, mais peut-être momentané. Or cet entretien, qui devrait être suivi d’un délai de plusieurs jours, n’est plus pratiqué systématiquement puisque la consultation d’un établissement d'information, de consultation ou de conseil familial, d’un service social ou d’un autre organisme agréé est devenue facultative, sauf pour les mineures. Comptez-vous, madame la ministre, revenir sur cette disposition ?

Par ailleurs, en ce qui concerne les IMG, pouvons-nous espérer faire classer administrativement la décision de garder un enfant comme une « poursuite de grossesse » et non comme « un refus d’IMG », comme c’est actuellement le cas lorsque la situation se présente ? En effet, si nous continuons à qualifier les poursuites de grossesse de refus maternels d’IMG, cela ne signifie-t-il pas que nous les considérons comme un déni de réalité ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) De plus, cela dévalorise et culpabilise les parents, qui parfois dépensent une grande énergie à essayer de faire entendre leur choix. Ils ont pourtant déjà à subir, avec l’annonce de la maladie de leur enfant à venir, un véritable choc et une vraie souffrance. Pour éviter un choix par défaut, il convient de leur ouvrir celui de l’accompagnement.

Cet accompagnement, étrangement, est proposé dans l’après-naissance, avec un suivi psychologique. Il me paraît nécessaire qu’en amont de la décision, une fois le choix fait, un espace d’accueil et d’accompagnement soit ouvert aux couples confrontés à une telle épreuve.

Madame la ministre, une maman qui, ayant fait un autre choix que celui de l’IMG, a porté jusqu’au bout son bébé atteint d’une maladie létale et l’a tenu quelques heures dans ses bras, entre sa naissance et sa mort, disait : « Quand le temps est compté, chaque minute compte. » Ce propos, me semble-t-il, vaut aussi pour chaque décision individuelle prise avant une IVG ou une IMG, car, une fois la décision prise, l’irrémédiable, mes chers collègues, peut être vécu comme une souffrance, une souffrance plus ample, une souffrance plus complexe, une souffrance enracinée dans le corps et l’être même de la femme.

Ce propos vaut aussi pour le corps que constitue notre société ; car multiplier le taux d’IVG, c’est aussi, d’une certaine façon, défavoriser le renouvellement des générations. N’est-ce pas Raymond Aaron qui disait que l’Europe, que nos pays étaient en train de mourir par dénatalité ? Mais c’est là un débat qui se tiendra, dans d’autres lieux, prochainement.

Nous venons d’avoir un débat sur l’hôpital, et vous avez indiqué, madame la ministre, que vous souhaitiez le voir se renouveler chaque année. L’article L. 2214-3 du code de la santé publique indique que, chaque année, le ministère de la santé, en liaison avec l’INED, doit, avant la discussion du projet de loi de finances, présenter un rapport rendant compte des aspects socio-démographiques des conséquences de l’avortement. Pourrions-nous vous suggérer, madame la ministre, que ce rapport, s’il est établi chaque année, permette à notre assemblée, comme l’a fait aujourd’hui la question orale de Michèle André, d’avoir un débat sur le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui ?

Je vous remercie de votre attention, mes chers collègues. Pardon d’avoir peut-être indisposé quelques-uns d’entre vous par mes propos, comme je l’ai senti à travers les mouvements sur certaines travées. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord féliciter notre collègue Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes, d’avoir pris l’initiative de cette question orale avec débat sur un tel sujet, tant les enjeux en la matière sont importants.

Ces enjeux auraient à mon sens mérité d’être discutés dans l’hémicycle ; mais sans doute, s’agissant d’une question qui concerne uniquement les femmes, cette salle Médicis a-t-elle été jugée suffisante ! (Protestations sur certaines travées de lUMP.)

Cependant, mes chers collègues, ne vous y méprenez pas ! Je ne suis pas contre la tenue de cette séance, car, comme le note l’inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, dans son rapport publié en octobre dernier, « l’IVG est loin d’être un élément exceptionnel dans la vie des femmes ».

Exceptionnelles, en revanche, sont les difficultés pour les femmes d’accéder à cette « composante structurelle de la vie sexuelle et reproductive », comme le souligne également ce même rapport de l’IGAS. Et que dire de l’accès à la contraception pour tous et des moyens de la gynécologie médicale, axes pourtant majeurs de la prévention des grossesses non désirées !

Certes, des évolutions législatives et réglementaires, dont nous avons d’ailleurs pu débattre ici, ont permis de réels progrès ces dix dernières années. Malgré tout, alors que 40 % des femmes y ont recours dans leur vie, l’interruption volontaire de grossesse garde une place fragile dans notre système de santé.

Les raisons ? Toujours selon le rapport de l’IGAS déjà cité, l’un des premiers obstacles rencontrés par les femmes est l’accès difficile à des structures réalisant de tels actes. Le maillage territorial en la matière est loin d’être assuré, et les disparités régionales demeurent fortes.

Psychologiquement difficile, la décision d’interrompre sa grossesse peut se révéler pour une femme, selon son lieu de résidence, un parcours véritablement semé d’embûches. L’Île-de-France est particulièrement touchée par ces difficultés. Le nombre d’IVG y reste très élevé, avec un taux de recours de 19 pour 1 000 femmes – contre 14 pour 1 000 femmes en régions –, soit, selon la Statistique annuelle des établissements de santé, 56 255 IVG pratiquées en Île-de-France en 2006. Or cette région connaît une diminution importante des établissements pratiquant cet acte : alors qu’on en comptait 176 en 1999, il n’en reste désormais que 124 pour toute l’Île-de-France, dont six ne réalisent que des interruptions thérapeutiques de grossesse. L’un de nos collègues a cité précédemment les chiffres nationaux.

Je ne m’attarderai pas à énumérer des chiffres ni à faire la distinction entre établissements privés et établissements publics : le désarroi de toutes ces femmes montre, mes chers collègues, combien la situation est catastrophique dans notre région, où la demande est pourtant en constante augmentation.

L’offre se réduit tellement que certaines femmes des départements franciliens sont contraintes de se tourner vers des établissements des départements voisins, pourtant eux-mêmes déjà fortement affectés par le manque de places. Ainsi, 30% des Val-de-Marnaises ayant choisi d’interrompre leur grossesse ont dû se diriger, faute de places disponibles, vers des structures des départements limitrophes.

De plus, alors qu’aucun centre ne pratique l’IVG médicamenteuse, l’hôpital Jean-Rostand d’Ivry-sur-Seine a fermé ses portes, et l’hôpital intercommunal de Créteil est surchargé. Il ne reste donc plus que trois établissements publics pour réaliser des IVG dans un bassin de population dense où la demande va croissant. Pour les Val-de-Marnaises, le repli vers des établissements privés est loin d’être assuré puisque seuls cinq établissements sont répertoriés, mais ont souvent peu de places disponibles.

Madame la ministre, quand allez-vous cesser de fermer les yeux sur les menaces très graves qui pèsent sur l’accès à l’avortement et à la contraception ? Faut-il vous rappeler l’obligation légale d’organiser l’offre de soins en matière d’avortement à l’hôpital public et l’indispensable présence de centres IVG partout sur le territoire ?

Mes chers collègues, je suis certaine que l’état des lieux de l’accès à l’avortement dans mon département n’est pas différent de celui que l’on pourrait dresser dans le vôtre et que les associations œuvrant en la matière, tel le Planning familial, vous ont déjà alertés sur leurs difficultés.

Dans une entrevue récente, Mme Simone Veil, à qui nous, les femmes d’aujourd’hui, devons en partie notre liberté de choix, s’est dite inquiète de la situation actuelle !

Il est inutile de se poser longuement la question du pourquoi de cette inquiétude, tant la réponse est évidente. La réforme de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris à laquelle il est procédé dans la loi hôpital, patients, santé et territoires et, plus largement, la politique actuellement menée sont les principales sources de l’inquiétude des professionnels de santé ou des militants associatifs.

La restructuration de ces services dédiés aux femmes ne peut pas s’effectuer selon des critères de rentabilité financière, dont l’application a des conséquences trop nombreuses : fermeture de centres ou de services spécialisés, refus de pratiquer la méthode chirurgicale faute de blocs opératoires disponibles, difficultés pour recruter des médecins, multiplication du recours aux IVG médicamenteuses sans accompagnement suffisant…

Par exemple, l’Est parisien, notamment le XXe arrondissement, où se situe l’hôpital Tenon, est particulièrement touché par l’application de la loi HPST. Cet arrondissement d’origine sociale et géographique variée n’a plus de centre IVG. Les femmes sont donc dirigées vers l’hôpital Saint-Antoine, situé dans le XIIe arrondissement – mais sa maternité et son centre IVG vont fermer au début de l’année prochaine ! –, et vers l’hôpital Trousseau, qui est en pleine restructuration et dont on ne sait pas s’il aura les moyens de répondre à toutes les demandes.

De ce fait, les délais s’allongent, ce qui fait courir des risques inacceptables aux femmes !

Par ailleurs, ces centres IVG sont trop souvent regroupés dans les services de gynécologie-obstétrique où l’IVG, considérée comme non rentable, est loin d’être une activité prioritaire.

Mes chers collègues, comment ne pas songer à la souffrance et à la détresse de toutes ces femmes qui souhaitent interrompre leur grossesse et sont contraintes de patienter dans des salles d’attente dont les murs sont tapissés de photos de nourrisson ou de conseils aux futures mères !

Pourtant, le rapport de l’IGAS indique « qu’une offre de qualité, respectant le choix éclairé des femmes, exige un lieu dédié, une équipe formée et des temps de blocs opératoires réservés ».

Ces recommandations sont plutôt aujourd’hui à contre-courant de la tendance du Gouvernement de mutualiser les moyens et les personnels pour comprimer les coûts. Le rapport de l’IGAS reconnaît aussi que, « en l’absence d’un responsable impliqué et influent, l’orthogénie tend à se voir reléguée à un moindre niveau de priorité ».

Fragile, soumise aux pressions économiques des établissements et des actions anti-IVG, l’interruption volontaire de grossesse demeure encore et toujours, quarante ans après sa légalisation, un parcours d’obstacles, et l’application de son droit est loin d’être garanti à toutes les femmes qui le souhaiteraient !

Les premières victimes du désengagement du secteur public, notamment de l’AP-HP, et de leur déresponsabilisation en la matière, sont, une fois encore, les femmes les plus précaires. Parmi elles figurent les jeunes majeures, qui représentent 25 % des IVG en Île-de-France. Dépendant de la sécurité sociale de leurs parents, elles sont restreintes à l’offre publique si elles souhaitent la confidentialité, et sont, de ce fait, plus que les autres, confrontées au manque de places.

Les femmes qui ne sont pas affiliées à la sécurité sociale ne peuvent également s’adresser qu’aux hôpitaux publics, déjà surchargés, pour bénéficier d’une aide médicale ponctuelle par les services sociaux.

Une autre zone d’ombre soulignée par l’IGAS concerne les mineures, qui représentent pourtant, dans la région parisienne, 5 % des avortements, et ce pourcentage ne cesse d’augmenter.

Malgré la loi du 4 juillet 2001, qui permet aux jeunes filles ayant un dialogue difficile avec leurs parents de déroger à l’autorisation parentale, certains anesthésistes refusent d’intervenir sur des mineures en l’absence de cette autorisation. Qui plus est, certaines d’entre elles se voient également demander le paiement d’un examen complémentaire de sang ou une autre échographie. Ces jeunes filles se retrouvent, de fait, dans des situations complexes, alors qu’elles traversent déjà des moments délicats et doivent prendre des décisions difficiles et lourdes de conséquences pour leur vie future de femme.

Madame la ministre, quelles solutions comptez-vous apporter à ces jeunes filles ou à ces femmes en souffrance ? Si l’accès à l’avortement est un parcours d’obstacles, quelle épreuve ce doit être pour les plus précaires de nos concitoyennes ! Je ne puis m’empêcher d’imaginer l’angoisse de ces femmes qui se heurtent à la démobilisation de l’État dans ses obligations à mettre en œuvre les moyens adéquats. L’absence de prise en charge de ces patientes, qui découle d’un manque de moyens financiers pour le fonctionnement de ces structures, porte un coup indéniable à « cette liberté existentielle » pour les femmes, une liberté dont le volet de la prévention est loin, très loin, d’être suffisant !

De récentes études ont montré une corrélation entre les actions de sensibilisation et de prévention et la diminution du taux de recours à l’IVG, notamment auprès des plus jeunes. Or le droit à la contraception n’est toujours pas un libre choix possible, car, bien souvent, la méthode la plus adaptée est la plus chère et n’est pas remboursée.

La contraception est un droit fondamental des femmes, mais, aujourd’hui, le choix de cette contraception est souvent effectué en fonction de son coût.

Alors que la loi prévoit le remboursement de la contraception, il reste beaucoup à faire pour que ce remboursement concerne tous les contraceptifs connus, notamment les plus récents. La liberté de chacun de choisir librement sa sexualité et de disposer de son corps ne doit pas servir uniquement au profit des laboratoires pharmaceutiques. Là encore, les associations compétentes déplorent le manque de moyens mis à leur disposition. L’information des femmes est une donnée essentielle pour prévenir les grossesses non désirées.

Dans le Val-de-Marne, par exemple, la permanence téléphonique régionale « Info IVG Contraception » a reçu 770 appels l’année dernière. Mes chers collègues, en matière de contraception, combien de jeunes, filles ou garçons, sont aujourd’hui mal informés ?

Madame la ministre, alors que vous n’avez de cesse de déplorer le coût financier de la santé, quelles mesures comptez-vous prendre pour sensibiliser nos concitoyens sur l’accès à une contraception choisie ? Et, surtout, quelles dispositions comptez-vous mettre en place pour rendre effectif et total le remboursement des moyens de contraception ? Il ne s’agit pas simplement de lancer une campagne à grand coup de communication, à l’instar de celle qui fut lancée pour l’année 2010, déclarée « année de lutte contre les violences faites aux femmes », mais dont les actions concrètes et utiles se font encore attendre !

Aujourd'hui, le manque de moyens financiers accordés à la prévention, comme au respect du droit à l’avortement, est, dans notre pays, un exemple des nombreuses injustices sociales subies par les femmes !

Depuis les lois Neuwirth et Veil, la contraception et le droit à l’IVG sont facteur d’une liberté indiscutable et primordiale pour les femmes, constitutive d’une société égalitaire. Mais, pour être effectifs, ces droits doivent être garantis !

À cet égard, le rapport de l’IGAS démontre que les centres IVG offrent aux femmes mineures comme majeures qui font appel à leurs services un accès libre et gratuit à l’avortement et à la contraception, ainsi qu’un service d’écoute, d’information et de prévention. Ces centres, qui sont un outil nécessaire et fondamental dans l’animation du droit à la contraception, jouent donc un rôle essentiel en matière de santé publique et de droit à une sexualité sans risque.

Cette question est pour moi, au nom du groupe CRC-SPG, l’occasion de déplorer la politique de santé qui est actuellement menée. Aussi aimerais-je savoir, madame la ministre, quelles mesures vous entendez prendre pour veiller au maintien des structures existantes et au développement de nouveaux centres IVG afin de garantir, partout dans notre pays, le droit à l’avortement.

Par ailleurs, que comptez-vous faire des conclusions rendues par l’IGAS et quels moyens financiers allez-vous mettre en place pour répondre aux préconisations formulées dans son rapport et aux attentes légitimes des femmes et des associations ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’accès à la contraception et le droit à l’avortement, obtenus de longue lutte, ont été des avancées fondamentales du XXe siècle, car elles ont permis aux femmes de disposer librement de leur corps, en leur donnant le choix d’enfanter ou non.

Rappelons que les interruptions volontaires de grossesse se faisaient clandestinement avant la loi Veil : des femmes mouraient ou souffraient de séquelles, et celles et ceux qui leur portaient assistance étaient menacés de prison. C’est donc une véritable libération, un vrai progrès que nous avons connu en 1967, avec la loi Neuwirth, et, en 1975, avec la loi Veil.

Depuis l’adoption de ces textes, l’IVG et la contraception ont été marquées par une évolution permanente. De 1982, année où fut décidé le remboursement de l’IVG par la sécurité sociale, à la loi du 9 août 2004, où l’IVG médicamenteuse en ville a été rendue possible, de nombreuses étapes ont jalonné cette histoire.

La loi du 13 décembre 2000 a permis la contraception d’urgence et en a autorisé la délivrance dans les pharmacies aux mineures désirant garder le secret. Enfin, elle a autorisé l’administration de la contraception d’urgence par les infirmières aux élèves mineures et majeures des collèges et lycées.

La loi du 4 juillet 2001 a, quant à elle, modernisé les lois de 1967 et de 1975 en portant les délais légaux de 10 à 12 semaines de grossesse et en inscrivant le droit à l’IVG dans le code de la santé publique. Elle a aussi rendu obligatoire une éducation à la sexualité dans les établissements scolaires. Mais qu’en est-il aujourd’hui ?

Comparé à celui des autres pays européens, le taux de recours à l’IVG reste élevé en France, alors que notre pays a le taux de diffusion de la contraception parmi les plus élevés au monde et qu’il se place, paradoxalement, au premier rang concernant le taux de natalité. La diffusion massive des moyens de contraception n’a donc pas fait diminuer le nombre d’IVG, qui se maintient aux alentours de 200 000 par an.

Toutefois, ne tirons pas de conclusion hâtive : la contraception diminue bien entendu le recours à l’IVG, quoique des progrès restent à accomplir en matière de prévention.

Trop de tabous et de culpabilisations planent encore sur la contraception et l’avortement.

Tout d’abord, il faut améliorer l’information contraceptive en direction des deux sexes, et ce dès le plus jeune âge, dans les établissements scolaires où la loi n’est que partiellement appliquée. Des actions d’accompagnement doivent également être entreprises en direction des populations défavorisées. Cela passe par un effort accru envers les associations qui œuvrent en faveur de la promotion de la contraception et du suivi des dispositions relatives à l’IVG.

À ce sujet, je regrette encore d’avoir eu à intervenir, en janvier 2009, à propos de la restriction des crédits d’État destinés au planning familial ; il aura fallu une forte mobilisation de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pour que le Gouvernement y renonce.

Ensuite, il faut faciliter l’accès à la contraception. Alors que la loi garantit un accès autonome des jeunes à la contraception sans consentement parental, ce droit est contredit dans les faits lorsqu’ils doivent faire appel à la couverture sociale de leurs parents. Une réflexion doit impérativement être menée sur ce point, madame la ministre.

Concernant la contraception d’urgence, le recours à la pilule du lendemain est encore trop faible pour favoriser une diminution du nombre d’avortements.

Enfin, puisque deux grossesses non prévues sur trois surviennent chez des femmes déclarant utiliser un moyen contraceptif, il faut évidemment rechercher une meilleure adéquation des méthodes et pratiques contraceptives en fonction des attentes et des modes de vie. Il semble donc possible d’éviter une partie des IVG en portant un effort accru et mieux ciblé sur la prévention, et il importe de tout mettre en œuvre en ce sens.

Si le droit à l’IVG ne paraît pas menacé en tant que tel, il faut demeurer vigilant. Certes, on ne voit plus de commandos anti-IVG qui s’enchaînent devant l’entrée des centres IVG, mais les oppositions idéologiques subsistent et sont plus insidieuses.

Ces dernières années, au travers de plusieurs propositions de loi et amendements, on a cherché à faire reconnaître l’embryon comme une « personne », ce qui peut être un premier pas vers une remise en cause du droit à l’avortement. Par exemple, a été déposé, en 2003, un amendement tendant à créer un délit d’interruption involontaire de grossesse puni d’un an de prison et d’une amende de 15 000 euros !

Plus récemment, ce fut aussi le cas pour l’inscription sur le livret de famille d’un enfant mort-né ou encore l’introduction d’une phrase sur les droits de l’enfant à naître, à l’occasion de la révision de la loi de bioéthique...

De plus, comment ne pas évoquer le démantèlement du système de santé opéré par le Gouvernement à coups de réformes ? Car ce sont les femmes les premières victimes. Je parle des effets pervers de la loi HPST, qui a instauré une logique de rentabilité à l’hôpital. Cette politique signifie le démantèlement des structures non rentables et dévalorisées, comme celles qui sont chargées des IVG.

Depuis des semaines, les associations déplorent la fermeture ou les menaces de fermeture qui planent sur des structures pratiquant des IVG à l’hôpital public en Île-de-France et ailleurs. Il s’agit d’une atteinte grave à l’obligation d’organiser, à l’hôpital public, l’offre de soin en matière d’avortement et d’une remise en cause de la qualité des soins que nous ne pouvons accepter. Dans certains secteurs géographiques qui enregistrent de fortes demandes, le délai d’accès à une IVG est long. Fermer des centres ne fera que créer de nouveaux goulots d’étranglement que le lent développement de l’IVG médicamenteuse ne pourra pas résorber.

Madame la ministre, nous souhaitons que vous preniez des engagements pour que les centres IVG ne fassent pas les frais des restrictions budgétaires dues à la crise et que cette activité soit considérée comme une obligation de santé publique.

En définitive, des solutions existent pour une meilleure prévention des grossesses non désirées et une meilleure prise en charge des IVG. Encore faut-il une volonté forte et de réels moyens ! Quelles mesures le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour permettre aux femmes d’avoir un vrai choix de vie, le droit à la santé maternelle, voire le droit à la santé tout court ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, plus de quarante ans après l’adoption de la loi Neuwirth et un peu moins de quarante ans après celle de la loi Veil, des inquiétudes se manifestent encore et toujours concernant l’accès des femmes à une contraception efficace et la prise en charge des interruptions volontaires de grossesse.

Plus grave encore, on assiste à une régression dans certains territoires. En effet, les inégalités territoriales persistent en matière d’accès à l’IVG, avec l’existence de « goulots d’étranglement dans des zones de forte demande », notamment les grandes villes. Le rapport de l’IGAS indique que le nombre d’établissements pratiquant l’IVG est passé de 729 en 2000 à 639 en 2006, réduisant de fait le choix quant aux méthodes d’interruption volontaire de grossesse.

Il est vrai que les anciens médecins militants qui ont assisté à des drames tels que la mort tragique de femmes désespérées sont maintenant à la retraite. Leurs collègues plus jeunes n’ont pas évidemment pas connu cette époque.

Mais surtout l’IVG est, malgré l’augmentation du tarif de l’acte que vous avez bien voulu décider, madame la ministre, peu attractive financièrement, comme le note l’IGAS : elle ne constitue donc pas, il s’en faut, une activité hospitalière prioritaire, en particulier dans un contexte de restructuration des établissements et de rationalisation de la dépense.

Or, je le rappelle, l’État a une obligation légale d’organiser l’offre de soins en matière d’avortement à l’hôpital public. Les centres d’IVG constituent non seulement des lieux indispensables de prise en charge de cet acte lourd à supporter, tant physiquement que psychologiquement, mais aussi des lieux de prévention et d’information en matière de contraception.

Michèle André l’a dit, le rapport de l’IGAS relève surtout la situation paradoxale de la France, qui cumule un taux de diffusion de la contraception parmi les plus élevés au monde et un taux d’IVG qui reste à un niveau relativement important. Ainsi, 72 % des IVG sont réalisées sur des femmes qui étaient sous contraception. Pour l’IGAS, cela s’explique en partie par une inadéquation de la couverture contraceptive par rapport aux besoins et aux modes de vie des utilisatrices.

Or ce déficit d’accès est d’abord d’origine financière, le prix du contraceptif étant souvent un obstacle au choix de la méthode la mieux adaptée. En effet, la sécurité sociale rembourse les pilules de deuxième génération, les stérilets et les implants, mais elle ne prend pas en charge d’autres moyens contraceptifs comme le patch ou l’anneau vaginal. Depuis peu, elle ne rembourse que deux pilules de troisième génération. Pourtant, selon l’IGAS, ces micropilules représentent près du tiers des contraceptifs oraux prescrits par les médecins.

L’IGAS souligne que les laboratoires concernés par les pilules de troisième génération se sont abstenus de présenter une demande de remboursement au Gouvernement parce que cela les aurait empêchés de fixer leurs prix à un niveau nettement supérieur. On croit rêver !

Le Mouvement français pour le planning familial a donc lancé en mai dernier une campagne visant à obtenir le remboursement de toutes les méthodes contraceptives. Nous ne pouvons que nous associer à cette demande légitime, qui constitue le seul moyen de garantir à chacun et à chacune la liberté de choix de sa contraception.

Il est également primordial d’assurer un accès gratuit et confidentiel des jeunes au conseil ainsi qu’à la prescription et à la délivrance des produits contraceptifs. À cet égard, et alors qu’on recense chaque année en moyenne 4 500 naissances chez les moins de dix-huit ans, l’école a un rôle essentiel à jouer, notamment en matière d’information auprès des jeunes, filles et garçons, car ce n’est pas seulement une histoire de filles !

Sur ce point, l’IGAS constate que l’éducation nationale ne remplit pas suffisamment sa mission en matière d’éducation sexuelle – trois heures par an, je le rappelle –, qui constitue pourtant une obligation légale depuis 2001.

En matière de prévention des grossesses non désirées, je me félicite de la mise en place du « pass contraception » en Poitou-Charentes – et prochainement en Île-de-France –, qui permet d’avoir accès à une consultation médicale gratuite, à l’achat de contraceptifs, à des analyses médicales et à une visite de contrôle.

Nous devons enfin veiller à garantir la pérennité des structures départementales d’information et de prise en charge, qui constituent un relais indispensable des campagnes de prévention nationale. Les conseils généraux, dont celui de mon département, le Finistère, y consacrent des enveloppes non négligeables, permettant de prendre en charge, par le biais de conventions avec des centres hospitaliers, des analyses et des moyens de contraception pour les mineurs et les jeunes adultes en situation difficile. Mais combien de temps encore vont-ils pouvoir le faire, car la somme à débourser est quand même relativement élevée ?

Retrouver la « parenthèse enchantée » de Françoise Giroud, garantir l’accès à la contraception et à la liberté de disposer de son corps, tout en promouvant l’égalité entre les femmes et les hommes : voilà, madame la ministre, ce que nous vous demandons ; cela passe par une politique ambitieuse et, surtout, assortie de moyens à la hauteur des enjeux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, car il y en a tout de même quelques-uns…

Mme Odette Terrade. Outre le président, ils sont deux !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. … – je salue ces deux militants ! (Sourires) –, très tôt dans mon histoire comme dans mon parcours de femme politique, je me suis investie, comme nombre d’entre vous d’ailleurs, en faveur de la cause des femmes. Je me joins donc bien volontiers aux oratrices et à l’orateur qui ont rappelé et salué l’engagement de plusieurs générations de femmes au service de la liberté et de l’autonomie.

Nous avons mené de nombreux combats, qui ont souvent transcendé nos origines politiques, afin de permettre aux femmes de disposer librement de leur corps, de maîtriser leur sexualité et d’avoir accès à l’interruption volontaire de grossesse – l’avortement – lorsqu’elles le souhaitent. Difficiles et âpres, ces combats ont permis de remporter de belles victoires. Michèle André a eu raison de rendre hommage à ces militantes et à ces militants.

La loi de 1975 a marqué une étape essentielle dans la vie et l’histoire de notre pays et, comme beaucoup d’entre vous, je salue la lumineuse figure de Simone Veil.

Je partage l’émotion de Jacques Mézard évoquant la mémoire de son père. On imagine le courage qu’il a fallu à certains – seuls contre tous ! – lors de ces débats. Quand on relit les comptes rendus, on reste stupéfait devant la violence de certains propos. Heureusement, depuis, les mentalités ont évolué !

L’avortement est aujourd’hui intégré dans une offre de soins globale même si, il faut le reconnaître, il est encore, malheureusement, entaché d’une connotation négative. On le présente souvent comme un « mal nécessaire », et je dois dire que je ne m’associe pas à cette vision dédaigneuse et culpabilisante.

La loi du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception a utilement modernisé la loi Veil en tenant compte des évolutions tant médicales que sociales, sans remettre en cause ses grandes orientations, obtenues de haute lutte.

Toutefois, on le sait bien ici, il ne suffit pas de voter une loi : il faut aussi vérifier qu’elle s’applique sur le terrain et que les principes qu’elle énonce sont respectés partout et pour tous et toutes. C’est la raison pour laquelle l’IGAS a réalisé, à ma demande, une évaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de prise en charge des interruptions volontaires de grossesse.

Ce rapport, remarquable et fort utile, qui m’a été remis en février dernier, constitue une base de travail pour chacun. Il montre d’abord – nous pouvons nous en réjouir – que la France se situe au premier rang mondial en termes de couverture contraceptive. Dans notre pays, 95 % des femmes en ayant besoin utilisent un moyen de contraception, et il s’agit, dans 80 % des cas, d’une contraception médicale.

Le nombre d’IVG pratiquées chaque année reste stable. À cet égard, là encore, je refuse tout discours culpabilisant, celui qui consiste à considérer nécessairement l’avortement comme le symptôme d’un échec. En l’occurrence, notre pays a établi un record : il a l’un des plus forts taux de fécondité en Europe, ce qui donne au passage tort à ceux qui prédisaient que la légalisation de l’avortement allait voir s’effondrer le taux de natalité, et un très fort taux de contraception. En outre, sans doute parce que nous avons une bonne offre d’IVG, les femmes ont accès à ce droit fondamental. Nous avons donc de la chance : très forte fécondité, bonne contraception, bon accès à l’IVG, même si des progrès peuvent encore être réalisés.

Cette apparente stabilité est en fait le signe d’une meilleure maîtrise de la fécondité, ce dont nous pouvons nous féliciter. Elle s’explique par un nombre de grossesses non désirées qui diminue et un recours à l’IVG qui devient de plus en plus fréquent. Autrement dit, lorsqu’on ne désire pas une grossesse, on recourt à l’avortement. Soit dit entre parenthèses, j’utilise volontairement le mot « avortement », car c’est celui qui a fondé notre combat, même si je sais qu’il est de bon ton aujourd’hui de parler d’IVG. Moi, j’ose le mot « avortement ».

En 1975, une grossesse sur deux était non désirée. Aujourd’hui, on est proche de une sur trois.

En 1975, 40 % des grossesses non désirées se terminaient par un avortement. Aujourd’hui, on est plus proche de 60 %.

Pour autant, force est de constater que d’importants progrès peuvent encore être réalisés en matière de contraception et d’accès à l’avortement. Que faisons-nous pour qu’ils le soient ?

Tout d’abord, nous devons lutter contre le taux d’échec important des moyens de contraception. En effet, chaque année, en France, près de la moitié des IVG sont pratiquées chez des femmes qui utilisent une contraception qui devrait pourtant a priori être efficace.

Largement identifiée à la pilule, la contraception offre en réalité un panel beaucoup plus large, susceptible de mieux répondre aux attentes et aux besoins des femmes, qui se sont eux aussi diversifiés. Afin de permettre à chaque femme de choisir un moyen de contraception qui lui soit adapté, il faut renforcer la formation initiale des médecins sur la contraception. Ces derniers doivent être en mesure de proposer à leurs patientes des solutions individuelles adéquates.

Ainsi, tous les moyens de contraception doivent être accessibles à toutes les femmes. Je soutiens toute démarche entreprise en ce sens.

Des discussions sont actuellement en cours pour obtenir le remboursement de nouvelles formes de contraception, telles que le patch et l’anneau, parfois mieux adaptées au mode de vie de certaines femmes. Je précise à l’intention de Maryvonne Blondin et de Patricia Schillinger que cinq pilules de troisième génération sont désormais remboursées. Je suis bien entendu à la disposition de votre délégation pour lui indiquer lesquelles.

À cet égard, Mme Blondin a eu tout à fait raison de souligner que le fait, pour certains laboratoires, de ne pas présenter une demande de remboursement de leurs produits était destiné à leur permettre de fixer librement leurs prix. Soit dit entre nous, l’avantage de ces pilules relève davantage d’une stratégie commerciale que d’un réel apport qualitatif. J’ai d’ailleurs dénoncé cette démarche. Hélas, un certain nombre de gynécologues et de femmes se sont laissé persuader des avantages de ces pilules dites de troisième génération.

Enfin, l’IGAS a proposé la coprescription systématique d’une contraception d’urgence lors de la prescription d’une contraception régulière et, plus globalement, la prescription et la délivrance de la contraception d’urgence « à l’avance ». Cette proposition me paraissant intéressante, j’ai demandé à la Haute Autorité de santé d’émettre des recommandations sur ce sujet, recommandations qu’elle a inscrites à son programme de travail pour 2011.

Nous le savons, et le rapport de l’IGAS l’a d’ailleurs confirmé, les marges d’action ne sauraient se réduire au développement de l’accès à la contraception. Il faut également améliorer l’information et l’éducation sexuelle, ainsi que Michèle André, notamment, l’a souligné.

L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, réalise à cet égard un travail remarquable. Les campagnes de communication qu’il mène depuis 2007 pour sensibiliser les adolescents, garçons et filles, à l’importance de la contraception ont été reconduites en 2010. Cela faisait très longtemps qu’il n’y avait pas eu de campagne en faveur de la contraception. Lorsque j’ai pris mes fonctions dans ce ministère, j’ai souhaité que l’on reprenne le cycle de ces campagnes. Elles sont complétées par un site internet dédié sur le thème : « Bien choisir sa contraception ».

En lien étroit avec Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité, et Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, je travaille activement pour améliorer l’information. Des mesures concrètes pour les mineures scolarisées seront présentées à la prochaine rentrée scolaire. Luc Chatel et moi prévoyons de faire une communication spécifique sur ce sujet.

Les maisons des adolescents seront des lieux où les jeunes pourront trouver des informations relatives à la vie sexuelle. Cette mission figure dans le cahier des charges auquel elles sont soumises.

Par ailleurs, nous avons réfléchi à des solutions spécifiques pour l’outre-mer, où les problématiques peuvent être différentes et où il nous faut proposer des solutions adaptées. Dans cette optique, l’INPES réalise cette année une campagne inédite d’information et d’éducation spécifique à destination des départements français d’Amérique.

Nous devons favoriser l’accès à la contraception pour les jeunes. En effet, les IVG sont nombreuses chez les jeunes filles âgées de moins de vingt ans puisqu’on en dénombre plus de 30 000 par an.

À l’échelon national, l’État consacre chaque année 3,5 millions d’euros aux centres d’information et de conseil familial et au financement d’actions de prévention sur le thème de l’éducation sexuelle. Ces crédits seront reconduits en 2010. Je le redis avec force afin que nos interlocuteurs et nos partenaires soient rassurés sur ce sujet en ces périodes de difficulté : il n’y aura pas de baisse des subventions accordées aux associations dans ce domaine.

Je tiens d’ailleurs à saluer une nouvelle fois le travail remarquable qu’accomplissent quotidiennement les centres d’information et de conseil familial, ainsi que les centres de planification et d’éducation familiale. On y rencontre des personnes dont l’implication va très largement au-delà de ce qu’exige le simple travail salarié. Pour les jeunes mineures et pour les femmes en difficulté, ces structures sont un précieux recours, qui leur permet d’accéder à la contraception dans des conditions de gratuité et de confidentialité.

Je sais que ces centres rencontrent des difficultés pour remplir cette mission essentielle qui leur est confiée. Je demande donc à l’IGAS d’analyser leurs problèmes et de me faire des propositions afin d’y remédier.

Par ailleurs, je veux rappeler que la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a introduit des mesures permettant un meilleur accès à la contraception. Les textes d’application vont être publiés.

Les services de médecine préventive des universités peuvent désormais délivrer la contraception. Les sages-femmes peuvent prescrire les contraceptifs oraux dans toutes les situations. Enfin, les pharmaciens et les infirmières, notamment les infirmières scolaires, peuvent renouveler les prescriptions de contraceptifs oraux poux six mois. J’ai veillé à ce que ces contraceptifs soient alors remboursés, conformément d’ailleurs à la suggestion des auteurs d’un amendement tout à fait bienvenu qui m’avait été soumis ici.

Enfin, nous devons améliorer l’accès à l’IVG. Mes services ont analysé le coût réel des actes d’IVG par rapport au forfait fixé. J’ai décidé d’augmenter les forfaits IVG à hauteur du coût réel, soit une augmentation de près de 50 % en moyenne. Pour certains actes, cette augmentation peut être supérieure. C’est un effort considérable, qui vise à garantir sur tous nos territoires un égal et un réel accès à l’IVG, dans les établissements ou chez les professionnels de santé.

Je tiens à dire à Marie-Thérèse Hermange, avec beaucoup de considération et d’amitié, que je respecte tout à fait le parcours de certains parents décidant de poursuivre une grossesse alors que le handicap de leur enfant est avéré ou que sa mort très précoce est certaine. Ce sont des choix personnels pour lesquels, je le répète, j’ai un profond respect.

Mais je tiens également à dire que, globalement, les grossesses non désirées sont avant tout une source de souffrance psychologique pour les femmes. L’avortement est un outil qui permet à celles qui y recourent de répondre en partie à cette souffrance, même s’il ne résout pas, bien sûr, tous les problèmes. C’est en assurant un accueil et un suivi de qualité aux femmes ayant recours à une IVG que nous diminuerons la souffrance psychologique qu’elle provoque.

C’est la raison pour laquelle je souhaite qu’un cahier des charges de la réalisation des IVG médicamenteuses soit élaboré. Un programme d’inspection pluriannuel des établissements de santé pratiquant des IVG a été mis en place dès la fin de l’année 2006. Il devrait se terminer cette année. Nous veillerons bien sûr à ce que ces actions se poursuivent.

Marie-Thérèse Hermange m’a également interrogée sur le diagnostic préimplantatoire et le dépistage de la trisomie 21.

La loi actuelle prévoit la possibilité d’un diagnostic préimplantatoire. La mission parlementaire sur la révision des lois bioéthiques, dans l’une de ses recommandations, et le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé se sont dits favorables à la recherche de la trisomie 21 au cours du diagnostic préimplantatoire. Il s’agit d’éviter d’avoir à proposer une interruption de grossesse à une femme enceinte d’un enfant trisomique alors qu’elle aurait eu recours à un tel procédé pour ne pas avoir un enfant malade.

Mme Bernadette Dupont. Je ne veux pas en entendre plus ! (Mme Bernadette Dupont quitte la salle.)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Franchement, je n’imagine pas qu’il puisse en être autrement.

Au regard des quelque deux cent cinquante tentatives de diagnostic préimplantatoires par an, des quarante naissances survenant chaque année après un tel diagnostic et de l’incidence de la trisomie, on peut estimer que cette possibilité surviendra un peu plus d’une fois tous les vingt ans.

Je peux d’ores et déjà vous indiquer que mon avant-projet de loi ne proposera pas de modification de la loi actuelle dans ce domaine. Je ne doute pas, évidemment, que le Parlement me suivra. (MM. Jean-Pierre Godefroy et Jacques Mézard acquiescent.)

Les futures agences régionales de santé auront pour mission d’intégrer la prévention et la prise en charge des grossesses non désirées comme une composante à part entière de l’offre de soins et de prévention.

Cette activité sera inscrite dans les projets régionaux de santé, ainsi que dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens entre les agences régionales de santé et les établissements de santé. Les ARS seront aussi évaluées sur leurs résultats dans ce domaine.

Pour améliorer l’accès à l’IVG, j’ai multiplié les structures autorisées à pratiquer les actes médicamenteux : les centres de planification et d’éducation familiale, d’une part, les centres de santé, d’autre part.

Depuis 1990, le nombre d’IVG instrumentales n’a cessé de diminuer. Nous sommes en effet passés de 170 000 à 110 000 IVG instrumentales en dix-sept ans, soit 60 000 de moins ! À n’en pas douter, compte tenu de la généralisation des IVG médicamenteuses et du succès – que nous espérons tous – des politiques favorisant un meilleur accès à la contraception, ce nombre baissera encore.

L’IVG médicamenteuse se développe jusqu’à représenter aujourd’hui 49 % des IVG. Un cahier des charges sur la pratique de ces IVG médicamenteuses sera constitué afin de garantir la diffusion et la qualité de cette pratique, qui peut être aujourd’hui réalisée en ville comme à l’hôpital.

La France compte 625 centres d’orthogénie. Je m’arrêterai un instant sur le cas particulier de l’Île-de-France, à propos duquel j’ai été plus particulièrement interrogée.

Il existe 118 centres d’orthogénie en Île-de-France, dont 23 dans Paris intra-muros. En moyenne, ils réalisent 332 IVG instrumentales et médicamenteuses par an, soit une IVG par jour. La moitié des centres d’orthogénie pratiquent moins de 100 IVG par an. Certains centres ne pratiquent aucune IVG quand les plus gros en réalisent plus de 2 000 par an. Là est la difficulté !

Il faut savoir que, lorsque nous sommes amenés, pour des raisons de sécurité, à fermer une maternité, la décision est quasiment toujours suivie par celle de la création d’un centre périnatal de proximité, qui intègre un centre d’orthogénie.

En Île-de-France, il n’y a pas de projet de fermeture de centres d’IVG ou de difficulté particulière susceptible de mettre en cause l’accès à l’IVG.

Le projet stratégique de l’AP-HP vise à structurer – Odette Terrade et Gisèle Printz m’ont interrogée à ce sujet – et à améliorer l’offre de soins dans l’est parisien et non à fermer des centres comme j’ai pu l’entendre dire. Une réorganisation importante est en cours. Elle concerne les hôpitaux Tenon, Trousseau et Saint-Antoine.

Le centre d’orthogénie de Trousseau va être renforcé. À partir du mois de juin 2010, un centre de planification et d’éducation familiale sera ouvert sous la forme d’un groupement de coopération sanitaire Trousseau-Les Bluets, avec le concours du département de Paris.

L’AP-HP a décidé de renforcer les moyens en temps médical et soignant attribués afin de permettre au centre d’orthogénie de Trousseau d’accroître son offre de soins et de réaliser 500 IVG supplémentaires par an. Jusqu’alors, ces IVG étaient effectuées à l’hôpital Tenon.

Le centre d’accueil et d’orientation de Tenon mis en place l’année dernière est maintenu. Il est composé d’un référent médical et de deux infirmières. Il répond aux demandes de renseignements concernant la contraception, l’interruption volontaire de grossesse, les infections sexuellement transmissibles et les problèmes de violence. Il prend en charge les problèmes contraceptifs et de planning familial urgents. Il oriente les femmes concernées par une interruption volontaire de grossesse, en accord avec elles, vers les centres – ils sont à quelques centaines de mètres – qui les pratiquent : aide à la prise de rendez-vous, programmation des examens préalables.

Le centre de Tenon est désormais rattaché au centre d’orthogénie de Trousseau afin que l’équipe médicale et soignante soit confortée. Il sera intégré dans une équipe de plus grande dimension. Le chef de service est le professeur Jean-Louis Benifla. Des moyens supplémentaires en temps médical et infirmier vont lui être accordés.

Le site de Saint-Antoine poursuivra son activité d’IVG à moyens constants sur la base de 750 à 800 IVG en année pleine.

Par ailleurs, un projet de renforcement de la structure d’orthogénie de la Pitié-Salpêtrière est à l’étude pour une mise en œuvre en septembre 2011. Ce renforcement permettrait de passer de 250 à 1 300 IVG, dont 900 IVG chirurgicales et 400 IVG médicamenteuses. Un tel projet suppose quelques aménagements ; nous nous y employons.

Aujourd’hui plus que jamais, je veux réaffirmer mon profond engagement à œuvrer toujours plus activement au service de la santé des femmes. C’est un défi de santé publique. C’est aussi un combat militant, que je revendique, en faveur de la liberté et de l’émancipation. Cette action est de celles qui, depuis toujours, me tiennent profondément à cœur.

Dans le nouvel édifice de santé durable et solidaire que nous bâtissons ensemble, je veux que les femmes aient toute la part qui leur revient. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mmes Jacqueline Panis et Marie-Thérèse Bruguière applaudissent également.)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons, dans l’hémicycle, à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures trente dans l’hémicycle, sous la présidence de M. Roger Romani.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

10

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 15 juin 2010, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État avait adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-24 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

11

Débat préalable au conseil européen des 17 et 18 juin 2010

M. le président. L’ordre du jour appelle un débat préalable au Conseil européen des 17 et 18 juin 2010.

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la construction européenne traverse en ce moment une passe délicate. Sans céder à la dramatisation, il faut reconnaître que la solidarité entre les États membres et la crédibilité de l’Union européenne sont à l’épreuve.

Dans les moments difficiles, l’axe franco-allemand prend une importance particulière. Ce n’est pas une simple déclaration de principe : c’est un constat ! Et nous sentons bien que les deux pays ont aujourd'hui, une nouvelle fois, une responsabilité particulière.

On entend à ce sujet beaucoup de commentaires inquiétants. Le simple report d’un dîner a suscité d’innombrables analyses : les relations seraient au plus bas, les visions seraient différentes et le couple franco-allemand ne serait plus qu’une façade…

À mon sens, il faudrait voir les choses avec un peu plus de recul. Je faisais partie de la petite délégation qui a accompagné M. le président du Sénat à Berlin le mois dernier, et je peux vous dire que le climat des entretiens était particulièrement constructif. La volonté de travailler ensemble de manière privilégiée est toujours là.

Bien sûr, il y a des difficultés, bien sûr, il y a des différences dans les approches ! Mais il y en a toujours eu, et c’est bien ce qui fait l’importance du couple franco-allemand.

Nous sommes deux pays profondément différents. Nous n’avons pas spontanément les mêmes intérêts et la même vision des choses. Pour parvenir à une position commune, il nous faut tout un travail de rapprochement et de synthèse.

Et c’est bien pourquoi, lorsque nous parvenons à une position commune, elle devient une référence essentielle pour l’Europe. Dès lors que nous pouvons surmonter nos divergences, beaucoup de pays peuvent se retrouver dans le résultat.

Nous l’avons vu, par exemple, lors de la négociation des actuelles perspectives financières, qui s’achèveront en 2013. Quand nous entrerons dans la négociation des nouvelles perspectives financières, qu’on appelle désormais le « cadre financier de l’Union européenne », nous irons vers les pires difficultés s’il n’y a pas au départ une approche commune franco-allemande.

L’axe franco-allemand est donc toujours aussi nécessaire.

Bien entendu, les conditions objectives font que le rapprochement des positions entre France et Allemagne nécessite aujourd'hui encore plus de volonté qu’autrefois. Car, il faut le rappeler à ceux qui ont tendance à idéaliser le passé, nous ne sommes plus – heureusement ! – au temps de la guerre froide, où la situation de l’Europe rendait les deux pays étroitement interdépendants.

Aujourd’hui, l’Allemagne a retrouvé son unité et sa souveraineté, et elle se trouve au centre de l’Union. De plus, elle a fait un effort considérable pour restaurer sa compétitivité, effort qui explique les réticences de l’opinion allemande durant la crise grecque.

Cette situation nous donne des devoirs. Pour que le couple franco-allemand continue de fonctionner dans l’intérêt de l’Europe, il faut éviter qu’il ne se déséquilibre. Nous devons être un partenaire crédible. Cela suppose que nous sachions, nous aussi, restaurer notre compétitivité et mettre de l’ordre dans nos finances publiques. Ce n’est pas seulement notre intérêt ; c’est également celui de l’Europe !

Si nous parvenons à mettre en œuvre une approche commune, équilibrée, pour sortir de la crise tout en réalisant l’indispensable assainissement de nos comptes publics, l’effet d’entraînement sera considérable. Il faut rappeler que l’Allemagne et la France représentent à eux seuls près de la moitié du produit intérieur brut de la zone euro.

C’est pourquoi je me refuse, pour ma part, à désespérer du couple franco-allemand ; ce serait tout simplement désespérer de la construction européenne ! Et nous devons, me semble-t-il, combattre la manie française de ne retenir que les signes inquiétants, alors que d’autres sont, au contraire, très encourageants.

Cet après-midi, les commissions des affaires européennes de l’Assemblée et du Sénat ont tenu une réunion commune pour entendre à la fois vous-même, monsieur le secrétaire d’État, et votre homologue allemand, M. Werner Hoyer. À ma connaissance, c’était une première, et nous avons pu constater que la volonté de s’entendre était bien là, de part et d’autre.

Je voudrais apporter un autre exemple qui me paraît particulièrement significatif. La politique agricole commune a toujours été un point de discorde entre la France et l’Allemagne. Lors du déplacement à Berlin dont j’ai parlé tout à l’heure, nous avons constaté que les positions s’étaient rapprochées sur de nombreux aspects et que le travail franco-allemand, au niveau ministériel, était particulièrement dense et efficace. C’est une évolution prometteuse sur un sujet essentiel, pour la France comme pour l’Europe.

La question de la gouvernance économique de l’Europe sera à l’arrière-plan du Conseil européen, même si d’autres sujets y seront également abordés. Dans ce domaine, le rapprochement des points de vue est difficile, car les conceptions économiques dominantes sont différentes en Allemagne et en France – nous n’avons effectivement pas la même culture économique –, mais également parce que les situations ne sont pas identiques. L’Allemagne est allée au bout de réformes difficiles, par exemple en matière de retraites, pour lesquelles nous, Français, n’avons fait qu’une partie du chemin. Et les Allemands, assez naturellement, n’ont pas envie de payer deux fois en étant obligés de soutenir les pays qui ne se sont pas imposé les mêmes efforts.

Malgré cela, un rapprochement s’est produit. Certes, il reste du chemin à faire, mais je crois qu’il n’y a pas d’obstacle insurmontable à une communauté de vues.

En particulier, nous devons éviter de nous enfermer dans un débat artificiel sur la question de savoir si le bon échelon de la gouvernance économique est l’Union européenne dans son ensemble ou la seule zone euro. Il faut renforcer la gouvernance aux deux échelons et rappeler que tous les États membres participent à l’Union économique et monétaire. En effet, selon les traités, l’adoption de la monnaie unique est une obligation pour tous les États membres qui en remplissent les conditions, à l’exception du Danemark et du Royaume-Uni, qui bénéficient d’une dérogation. Par conséquent, si l’on organise mieux la zone euro, ce sont presque tous les États membres qui en bénéficieront à terme.

Pour ma part, je veux donc garder confiance dans le couple franco-allemand, dans la capacité de la France à se réformer et, finalement, dans la capacité de l’Union européenne à définir une discipline intelligente pour assainir progressivement les finances des États membres, sans compromettre la reprise économique.

Après tout, et ce sera ma conclusion, l’Histoire n’a pas toujours donné raison aux pessimistes. Sinon, nous ne serions pas là en train de débattre de l’Europe ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici invités à débattre des perspectives du Conseil européen qui doit se tenir dans deux jours à Bruxelles. À son ordre du jour figurent notamment la coordination des politiques économiques, les stratégies de sortie, la réglementation et la surveillance financières, ainsi que les activités de la task force du groupe Van Rompuy. Je note que c’est un nouveau Conseil européen de crise...

La question de la régulation financière est loin d’être réglée. La question de la gouvernance économique de l’Europe, que nous avons par le passé soulevée à maintes reprises, se pose aujourd'hui avec une acuité très singulière.

J’évoquerai dans mon propos la régulation financière, les plans d’austérité, la gouvernance, ainsi que la question des moyens dont l’Europe devrait, à l’avenir, se doter en vue d’accroître sa capacité d’action et de contrôle.

S’agissant de la régulation financière, je ne peux pas mentionner l’intégralité des très nombreuses propositions que, depuis 2001-2002, j’ai formulées avec mon groupe. Depuis cette période, nous n’avons eu de cesse de réclamer une accentuation des efforts d’encadrement de la spéculation et de régulation, dans notre pays comme au niveau international, qu’il s’agisse des fonds spéculatifs, des produits dérivés, du credit default swap, le CDS, des ventes à découvert à nu, des paradis fiscaux, de la prévention des risques systémiques, de la taxe bancaire ou de la taxation des transactions financières...

Nos propositions sur ces thèmes n’ont, hélas ! guère recueilli la sympathie gouvernementale, y compris depuis le déclenchement de la crise financière, à l’été 2008.

L’intervention du Président de la République à Toulon, avec l’engagement solennel en faveur de la régulation et de la « moralisation du capitalisme », a certes marqué un changement radical du discours gouvernemental. Mais le déclaratif ne donne pas toujours lieu à une démarche active de régulation. Et, face à la gravité et à l’urgence, la machine communautaire est bien lente ! Si beaucoup d’engagements ont été annoncés, tant au niveau de l’Europe qu’à celui du G20, peu d’actions concrètes ont été menées à ce jour... Moult chantiers piétinent et restent « en souffrance », les textes négociés manquant parfois d’ambition. Par exemple, nous ne sommes pas allés au bout de la démarche sur les fonds alternatifs ou la supervision financière. Que penser de l’efficacité de la réponse européenne à la crise ?

Il est indispensable d’agir sans délai en faveur d’un meilleur contrôle démocratique du système bancaire et financier. Nous avons bien déposé au Sénat une proposition de résolution européenne, mais elle a été rejetée – vous vous en souvenez, mes chers collègues – en séance le 29 octobre dernier ! Pourtant, le contrôle global des produits et agissements financiers est plus qu’urgent. Les produits dérivés constituent l’un des éléments les plus opaques du système financier et il importe de ne pas laisser le secteur financier retourner à ses mauvaises habitudes.

L’initiative d’Angela Merkel, à laquelle s’est ralliée la France, en vue d’interdire les ventes à découvert à nu en Europe, allait dans le bon sens. Je rappelle, pour mémoire, que l’Allemagne avait été très critiquée, notamment à Paris, pour avoir pris en solo une telle initiative… Gare au double langage !

Et que dire de la position définitive arrêtée hier par la Commission européenne : « Pas d’interdiction européenne de ventes à découvert à nu » ? Cet arbitrage européen laisse perplexe. Le processus décisionnel communautaire est encore bien trop décousu...

S’agissant de la question de la taxation des banques, j’observe que les ministres des finances et les banquiers centraux du G20, dernièrement réunis à Busan, en Corée, ont botté en touche au sujet de la mise en place d’une taxe bancaire mondiale en privilégiant plutôt la consolidation budgétaire. À nos yeux, le produit de cette taxe doit nécessairement alimenter un fonds commun et ne pas être dilué dans les budgets nationaux. L’objectif global perdrait tout son sens, sinon celui d’une régulation et d’une supervision européenne intégrée.

En privilégiant la consolidation budgétaire, les ministres des finances du G20 ont, d’une certaine façon, vidé l’ordre du jour du prochain G20 de son contenu. Nous sommes très inquiets de cette dérive, car le prochain G20, à la fin juin, traitera principalement, en effet, de la rigueur budgétaire.

Le G20 va-t-il se transformer en « super-instance de contrôle » permettant aux États membres de l’Union européenne de légitimer leurs politiques de rigueur et d’assainissement budgétaire, et en se recommandant d’un accord tacite des États parties ? La question est aujourd’hui posée.

Où est la réforme du capitalisme mondial ?

On est bien loin de la combinaison croissance-consolidation préconisée lors de la déclaration du G20 à Washington...

Quant à notre pacte européen de stabilité et de croissance – j’insiste notamment sur ce dernier terme –, ne peut-on craindre aujourd’hui qu’il n’oublie le souci de la croissance pour se focaliser sur la seule rigueur budgétaire ? Attention à ne pas tuer la croissance dans l’œuf !

L’Union européenne est aujourd’hui dans une phase de doute, tout le monde s’en rend compte. Les discours vont dans le sens d’une meilleure coordination économique et politique, mais demeure la question fondamentale de la gouvernance institutionnelle européenne en situation de crise financière, économique et sociale. On observe, jour après jour, que l’Europe est à la peine et qu’elle affronte la crise en ordre dispersé.

Dans cette Europe institutionnellement confuse et désarçonnée, il va falloir sortir du conflit actuel entre méthode communautaire, d’un côté, et méthode intergouvernementale, de l’autre.

Une coordination intergouvernementale simple ne suffit plus, ainsi qu’en témoigne la réaction des marchés, en manque de confiance envers les États membres.

Hier, à Bonn, la France s’est finalement alignée sur la vision allemande de la gouvernance économique. Elle a ainsi renoncé à ce qui constituait jusqu’à présent les seules vraies positions qu’elle avait prises en la matière.

Il n’y aura donc pas de gouvernement économique de la zone euro, ni de réunions régulières de l’Eurogroupe au niveau des chefs d’État, ni de secrétariat permanent pour un gouvernement économique de la zone euro. La gouvernance économique se fera à vingt-sept États, conformément aux souhaits de l’Allemagne. L’Allemagne a toutefois concédé l’utilisation du terme « gouvernement », à la place de celui de « gouvernance »...

Sur l’aspect précis de la surveillance des finances publiques, nous considérons, pour notre part, que l’examen de l’état des finances des États membres, dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, doit prendre en compte davantage de critères : le déficit structurel, et pas seulement le déficit courant ; la compétitivité ; l’emploi ; les politiques salariales ; la pauvreté ; les politiques d’éducation ; les investissements dans la recherche et l’innovation.

Nous pensons aussi que ce pacte doit s’appliquer de manière contracyclique, autant que faire se peut. À cet égard, une agence publique du type « Cour des comptes européenne » pourrait se charger d’évaluer l’efficacité de la dépense fiscale.

Une «Agence européenne de la dette » pourrait, quant à elle, renforcer la stabilité financière et soulager le service de la dette de chaque État.

On peut également s’interroger sur les modalités d’organisation de l’évaluation des budgets nationaux lors du « semestre européen », récemment décidée par le Conseil Ecofin.

Quelle que soit la forme du gouvernement économique européen qui sera actée, il faudra – ce point est à nos yeux essentiel – fonder sa légitimité sur l’association impérative des parlements nationaux, et ne le faire parler que d’une seule voix pour asseoir sa crédibilité. C’est un sujet, monsieur le secrétaire d’État, sur lequel nous nous interrogeons aujourd’hui tout particulièrement : cette appréciation a priori qui sera énoncée sur les budgets nationaux par l’Union européenne ou une instance d’évaluation recevra-t-elle une légitimation populaire au travers des parlements nationaux et donc, pour ce qui nous concerne, de l’Assemblée nationale et du Sénat ?

Le sommet européen de jeudi prochain devra faire la lumière sur cette réforme de la gouvernance européenne. Nous ne voudrions pas que la méthode communautaire soit d’emblée écartée. L’Union européenne n’a jamais été aussi forte que lorsqu’elle est investie d’une mission commune et que les États membres lui en délèguent la mise en œuvre.

Point n’est besoin de vous rappeler la légitimité démocratique qui doit concourir à cette réforme. Il va de soi que ce gouvernement économique européen devra être responsable devant les citoyens européens.

Du point de vue des moyens financiers, enfin, l’Europe est restée un « nain budgétaire ». Son budget 2010 équivaut au déficit de la France en 2010, à savoir 140 milliards d’euros. C’est dire à quel point les moyens d’action sont modestes !

Incontestablement, la crise a révélé les insuffisances de ce budget européen, trop limité pour être un instrument de réponse macroéconomique. L’Europe doit se doter de moyens d’action pérennes et d’une stratégie d’investissement cohérente au regard de ses ambitions.

Ce qu’il faut retenir, c’est que l’Union européenne ne s’est toujours pas dotée d’un véritable système de supervision économique et financière, ce qui nuit à la crédibilité de son intervention, voire à celle des pays de la zone euro. Des garde-fous contre les dérives du capitalisme doivent être mis en place dans la zone euro.

L’Union européenne a la chance de disposer d’un niveau d’intégration poussé qui permettrait d’agir vite, efficacement et au niveau approprié. Il est plus que temps qu’elle conçoive de façon globale – et non pas par petites touches, comme actuellement – les instruments économiques européens nécessaires au bon fonctionnement de la véritable union économique que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Le Monde paru ce jour prête à François Mitterrand la maxime suivante : « On ne dit pas non au Chancelier de l’Allemagne. » Pour ma part, je ne l’ai jamais entendu prononcer une telle phrase…

Ce qui doit guider les dirigeants de la France, c’est évidemment l’intérêt de la France, au demeurant inséparable de l’intérêt européen. Et ils doivent aussi, bien sûr, avoir le souci des compromis, en particulier avec notre grand voisin qu’est l’Allemagne.

Hier, à Berlin, le Président de la République a accordé à Mme Merkel deux concessions majeures.

Tout d’abord, il a accepté, en contravention avec le traité existant, que le droit de vote d’un pays au sein du Conseil européen puisse être suspendu pour laxisme.

Ensuite, il a accepté que la coordination économique et budgétaire s’opère au niveau de l’Union européenne à vingt-sept et non pas au niveau des seize pays qui ont adopté la monnaie unique, alors que c’est dans cet espace que se pose le problème. En effet, les onze autres pays, ceux qui ont gardé leur monnaie, peuvent procéder à tous les ajustements monétaires qu’ils souhaitent.

Certes, la France est soumise à la pression des marchés financiers. Il est loin le temps où le général de Gaulle déclarait que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille » !

Invité à une émission de télévision, en février 2009, le Président de la République déclarait : « J’observe tous les jours l’évolution de ce qu’on appelle les spreads, les primes de risque, sur un certain nombre de pays ».

Monnaie unique ou pas, la pression des marchés financiers recrée, non plus entre les monnaies mais entre les États, les tensions que reflétaient autrefois, avant 1999, les parités monétaires affrontées à la spéculation.

Entre nous, monsieur le secrétaire d’État, quel échec !

L’erreur initiale de la monnaie unique, conçue à Maastricht, a été de faire comme si les nations n’existaient pas, avec leurs structures économiques différentes, leurs cultures spécifiques et leurs politiques éventuellement divergentes.

La souveraineté monétaire de chaque pays a été transférée à une instance déconnectée du suffrage universel, la Banque centrale européenne, indépendante, sans qu’ait été mis en place un gouvernement économique de la zone euro dont le rôle eût été de ne pas laisser se creuser les écarts de compétitivité entre les différents pays et d’ouvrir au contraire un sentier de croissance partagé.

L’expression « gouvernement économique » semble acceptée. Mais quel en est le contenu ? Là est la question !

Le Fonds européen de stabilisation financière, mis en place le 9 mai dernier, n’est pas un remède suffisant à la crise de l’euro. J’observe en effet que, contre l’avis initial de la France, l’Allemagne a obtenu que chaque pays ne garantisse les futures levées d’argent qu’à hauteur de sa contribution au Fonds. Le refus de la solidarité financière des États pour la mise en œuvre de plans de sauvetage éventuels est une lourde faute. Un tel dispositif en cas de crise grave favorisera le creusement d’écart de taux entre les différents pays. Comme je l’ai expliqué le 3 juin dernier, lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative, ce mécanisme sera inévitablement déstabilisateur.

À ce défaut de solidarité entre les États, s’ajoute le plan de rigueur mis en œuvre par le gouvernement allemand, le 7 juin dernier : 81 milliards d’euros d’économies sur quatre ans. Soit dit entre nous, s’il y a un pays qui, dans la zone euro, pouvait faire l’économie d’un plan de rigueur, c’était peut-être l’Allemagne… Son déficit budgétaire à 5 % du PIB tient essentiellement à la conjoncture ; il n’a rien de structurel.

Le plan allemand, venant s’ajouter aux plans de rigueur décidés simultanément presque partout dans la zone euro, et même ailleurs, va rendre la sortie de crise plus difficile.

Il va d’abord accroître la pression de la spéculation sur les enchères des dettes lancées par les autres pays, comme le manifeste déjà l’écart des taux entre l’Allemagne et la France. Certes, cet écart n’a rien de catastrophique : 50 points de base.

Il va ensuite peser sur la reprise économique, que les institutions internationales ont révisée à la baisse pour ce qui concerne la zone euro : entre 0,2 % et 2,2 % en 2011. Or seules la croissance et d’importantes plus-values fiscales pourraient gommer les déficits. Les réductions de dépenses n’y suffiront pas.

Enfin et surtout, comment ne pas voir que le différentiel de croissance entre l’Europe, la zone euro et les pays émergents accélérera les délocalisations industrielles ? Les entreprises vont en effet s’installer là où il y a de la croissance.

C’est dans ce contexte que va se tenir le prochain Conseil européen. Plusieurs des mesures envisagées, tels la réforme du pacte de stabilité et de croissance et le renforcement de la discipline budgétaire, vont renforcer la pression pour la mise en œuvre de plans de rigueur massifs et simultanés.

Derrière la prose, passablement amphigourique, des projets de textes soumis au Conseil, on ne discerne aucun moyen concret d’ouvrir, à l’horizon 2020, une perspective pour la croissance et pour l’emploi, en dehors de la lancinante incitation à la réforme structurelle du marché du travail. On sait ce que cela veut dire ! Il s’agit en fait d’introduire toujours plus de précarité dans le statut des travailleurs : contrats à durée déterminée, intérim, temps partiel, etc.

Sous la pression des marchés financiers, le Président de la République a annoncé une révision de la Constitution en vue d’y introduire, suivant l’exemple allemand, une disposition visant à interdire le déficit budgétaire : je doute qu’une majorité des deux tiers des parlementaires approuve l’introduction dans notre loi fondamentale d’une clause aussi rigide, qui interdirait tout ajustement ultérieur. Cette proposition, monsieur le secrétaire d’État, ressemble à un couteau sans lame auquel manquerait le manche ! (Sourires.)

M. Copé déclarait il y a quelques jours, si j’en crois le journal Le Monde, qu’il fallait « donner des gages aux Allemands ». Vous pourrez démentir ce propos, mais j’observe que c’est chose faite depuis hier ! Or retirer aux membres de l’Union européenne qualifiés de « laxistes » leur droit de vote au Conseil des ministres est un acte antidémocratique, blessant pour toutes les nations européennes et, d’ailleurs, contraire au texte des traités. Pour réformer ceux-ci, il faudrait l’unanimité. Encore une fois, le Président de la République agite un sabre de bois ! Certes, on doit changer les règles du jeu dans la zone euro, mais pas en transformant l’Union européenne en chiourme !

Toujours dans la même veine, M. Trichet a proposé un « fédéralisme budgétaire », qui priverait les parlements nationaux de leur prérogative essentielle, le vote du budget de la nation. Ce n’est pas ainsi, monsieur le secrétaire d’État, qu’on remédiera au déficit démocratique des institutions européennes ! Certes, M. Van Rompuy a tempéré ces propos : il ne s’agirait, selon lui, que d’« examiner les hypothèses retenues, les recettes et les dépenses, sans entrer dans les détails ». Mais c’est encore trop !

S’il est évident qu’une coordination des politiques économiques dans leur ensemble, et pas seulement des politiques budgétaires, est nécessaire, se pose déjà la question du cadre : doit-elle être envisagée à vingt-sept, au niveau de l’Union, ou à seize, au niveau de la seule zone euro ? La réponse tombe sous le sens : il s’agit de donner une tête politique à l’euro. C’est donc au niveau de l’Eurogroupe que cette coordination indispensable devrait s’effectuer, et non pas au niveau de l’Europe des Vingt-Sept, comme M. Sarkozy l’a accepté hier à Berlin.

Bien sûr, on ne peut réviser les traités européens qu’à vingt-sept, mais là n’est pas la priorité. On peut inventer en dehors des traités, et ceux-ci peuvent être interprétés intelligemment ; ils prévoient d’ailleurs des coopérations renforcées. Quant à l’Eurogroupe, il n’a pas à être inventé : il existe !

Les questions de mots ont leur importance : gouvernance ou gouvernement économique ? L’essentiel est le contenu. Nous entendons trop parler de sanctions, et même de sanctions préventives. Soyons sérieux : la répression ne doit pas être confondue avec la prévention, tous les ministres de l’intérieur vous le diront ! Quant au pacte de stabilité, il a démontré son inadéquation dans le cas de l’Espagne, qui satisfaisait à tous les critères de Maastricht, ce qui ne l’a pas empêchée de sombrer.

Il serait donc raisonnable d’envisager un processus itératif : le Conseil européen approuverait, sur proposition de la Commission, un cadre général de prévisions macroéconomiques, éventuellement ventilées par pays. Il reviendrait aux parlements nationaux de délibérer et d’établir une programmation, d’ailleurs révisable, des recettes et des dépenses. En cas de désaccord, le Conseil européen chercherait à dégager un compromis, à charge pour le gouvernement concerné de le faire ratifier par son parlement. Il s’agirait ainsi d’un document de programmation concernant l’évolution de l’économie dans son ensemble, aussi bien que celle des finances publiques. Les parlements continueraient, dans ce cadre, à voter le budget.

La vraie question est de savoir si le gouvernement allemand infléchira sa politique en relâchant la pression qu’il exerce, notamment, sur l’évolution des normes salariales. Sans doute me répondra-t-on que c’est là l’affaire du patronat et des syndicats. Mais j’observe que, à partir de l’an 2000, le chancelier Schröder a déployé une grande énergie, à travers le plan Agenda 2010 ou les plans Hartz, du nom de son conseiller économique, pour opérer une certaine déflation salariale et faire en sorte que les travailleurs allemands acceptent de travailler plus longtemps pour le même salaire.

De même, la Banque centrale européenne devrait être encouragée à ouvrir davantage le robinet monétaire, en prenant en pension, en cas de besoin manifeste, les titres d’emprunt d’État de façon à stopper la spéculation : ce serait un véritable mécanisme de solidarité européenne défensive. Sur ce sujet, il est important qu’un accord intervienne entre la France et l’Allemagne avant le remplacement de M. Trichet à la tête de la BCE.

La cohésion franco-allemande est nécessaire, j’en suis tout à fait conscient, autant que vous tous. Elle ne peut cependant se résumer à l’alignement d’un pays sur un autre. L’amitié va avec la franchise, celle-ci devant toujours s’exprimer avec le respect qu’inspire un grand peuple dont les réussites nous réjouissent. L’Europe a besoin de l’Allemagne, mais, comme le suggérait déjà Wilhelm Röpke en 1945, l’Europe doit aussi protéger l’Allemagne contre les tentations qui naissent de la conscience de son mérite, à ses yeux insuffisamment reconnu par les autres.

Un grand patron allemand, M. Gerhard Cromme, a déclaré le 1er juin dernier à Paris : « Les Allemands doivent prendre les Français comme ils sont, et réciproquement. On ne les changera pas. Et ce sont précisément ces différences qui rendent notre coopération unique et notre capacité à faire des compromis si importante. » M. Cromme a vanté, à juste titre, la compétitivité allemande, car elle nous est effectivement nécessaire. Mais il a omis de mentionner le fait que l’excédent commercial allemand se réalise à 60 % avec la zone euro… Ce sont là des vérités qui méritent d’être dites, sans que cela ne nous écorche les lèvres ! (Sourires.)

Nous ne devons pas adresser d’inutiles reproches à l’Allemagne : elle défend légitimement ses intérêts, mais au-dessus des intérêts nationaux – cela est vrai pour la France comme pour l’Allemagne –, on trouve les intérêts européens et ceux de l’humanité tout entière.

La baisse du cours de l’euro, qui ne doit malheureusement rien à l’action de la Banque centrale européenne, contribuera aussi à la compétitivité de l’Allemagne. Un euro à 1,20 dollar est plus compétitif qu’un euro à 1,50 dollar et permet de dégager des marges de croissance. L’Allemagne doit bien considérer que l’euro n’est pas seulement sa monnaie, mais aussi celle de quinze autres pays et potentiellement, à terme, celle de tous les pays de l’Union européenne qui voudront y adhérer. La zone euro n’a pas été une mauvaise affaire pour l’Allemagne. Dois-je rappeler que, vis-à-vis de la France, elle a quadruplé son excédent commercial depuis 1982 ? À l’époque, l’excédent de l’Allemagne s’élevait à 28 milliards de francs ; il atteint aujourd’hui l’équivalent de 170 milliards de francs !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Chevènement. Beaucoup de nos concitoyens se demandent ce que veut réellement l’Allemagne : remodeler la zone euro pour en exclure les pays de l’Europe du Sud ? Ce serait la négation de l’Europe ! Il vaut mieux dire dès maintenant à nos amis allemands que cette fracture serait inacceptable, pour l’Europe et pour la France elle-même, dont l’industrie a souffert d’une monnaie trop forte, probablement parce qu’elle ne dispose pas des mêmes spécialisations que l’Allemagne, présente sur des créneaux très porteurs, comme la machine-outil. Sans doute devons-nous balayer devant notre porte, remuscler notre tissu productif et développer nos petites et moyennes entreprises industrielles, mais il faut trouver le bon équilibre entre la responsabilité de chaque État et la solidarité qui doit s’exercer entre pays membres.

L’Europe doit être une grande ambition partagée et chaque pays européen doit y trouver son compte. J’ai tout à fait confiance en la capacité de dialogue qui peut s’instaurer de peuple à peuple. Mais cela impose de grands devoirs à nos dirigeants, à vous-même, monsieur le secrétaire d’État. Qu’on fasse preuve d’un peu de lucidité sur le passé ! Les règles du jeu de la monnaie unique sont à revoir. Et surtout, il faut afficher une ferme résolution pour l’avenir : celui-ci n’est pas au fédéralisme, mais à une meilleure coordination de nos politiques, déjà assez difficile !

Nous devons ainsi bâtir une Europe de la croissance et du progrès social avec les nations, cadres irremplaçables de la démocratie, et non pas contre elles, ni même simplement sans elles. C’est ce langage de vérité et de réalisme qui servira le mieux la cause de l’amitié franco-allemande, à laquelle je suis attaché, et, par conséquent, celle de l’Europe.

La purge, monsieur le secrétaire d’État, n’est pas une stratégie : la France et l’Europe ont besoin d’un projet mobilisateur ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à cette heure tardive, dans la confidentialité de cet hémicycle quelque peu clairsemé – heureusement, vous êtes bien entouré, monsieur le secrétaire d’État : cela fait un peu de monde ! –, à l’avant-veille d’un important Conseil européen, les groupes que nous représentons sont invités à faire part au Gouvernement de leur appréciation de la situation actuelle de l’Europe.

Même s’il se déroule dans des conditions meilleures que le précédent, je m’interroge encore sur le sens, l’utilité et la signification qu’il convient d’accorder à ce débat. Je regrette d’autant plus vivement cet état de fait que le prochain Conseil européen entérinera de nouvelles décisions, censées une fois encore faire face aux effets d’une crise financière sans précédent.

L’Union européenne traverse en effet une zone de fortes turbulences qui pourrait être caractérisée en quelques mots : confusion, cacophonie, incapacité à prendre rapidement des décisions collectives, manque de solidarité, repli sur les intérêts économiques nationaux, fuite en avant, et surtout capitulation devant le diktat des marchés financiers.

Sur ce dernier point, Michel Barnier décrit ainsi la situation : « On voit, depuis quelques années, l’industrie financière imaginer des produits dits dérivés de plus en plus sophistiqués, tellement sophistiqués que ceux-là mêmes qui les utilisent ne savent plus comment s’y retrouver et quelles en sont les conséquences. […]

« [Ceux-ci] mobilisent 600 000 milliards de dollars, notamment entre les deux rives de l’Atlantique. […] 80 % des échanges dont je parle sur les produits dérivés, 80 % de ces échanges sur 600 000 milliards de dollars échappent à toute forme de transparence, d’enregistrement et de contrôle. »

C’est ce contexte qui explique sans doute la grande difficulté rencontrée par le Président de la République et le Gouvernement pour faire entendre la voix de la France dans une Union européenne si peu solidaire.

Vous avez en effet toutes les peines du monde à masquer les profondes divergences qui nous opposent à l’Allemagne, notre partenaire privilégié, sur ce qu’il est convenu d’appeler la gouvernance économique et les solutions institutionnelles qui seraient nécessaires face à la crise que nous traversons. Et ce n’est pas ce qui est ressorti du rendez-vous d’hier soir entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy qui contredira beaucoup cette analyse… Certes, il était nécessaire de présenter quelques points d’accord avant la réunion du Conseil européen, mais ceux-ci restent très limités et fort controversés.

Nicolas Sarkozy, pour sa part, a dû renoncer à institutionnaliser les réunions des seize chefs d’État et de gouvernement de la zone euro en les dotant d’un secrétariat qui serait devenu de fait un gouvernement, et donner acte à la Chancelière allemande de sa volonté de rigidifier un peu plus le carcan de Maastricht en prévoyant des sanctions financières à l’égard des États considérés comme trop laxistes en matière de finances publiques, voire en les privant de leur droit de vote.

Cela en dit long sur la conception de l’État de droit au sein de l’Union européenne que défendent les plus hauts responsables du couple franco-allemand. Je pense même que certains partisans du traité de Lisbonne doivent aujourd'hui s’étonner d’une telle lecture de ce traité…

Quant à la prétention affichée « d’être plus ambitieux sur la régulation financière », comme l’affirme Nicolas Sarkozy, en demandant au G20 l’instauration d’une taxe sur les transactions financières et d’une taxe bancaire, voire « la mise en place d’une taxe financière », il y a fort à craindre que cette annonce ne rejoigne toutes celles faites depuis deux ans et dont nous attendons toujours la concrétisation. Ce serait pourtant une excellente nouvelle pour tous ceux qui, comme les sénateurs du groupe CRC-SPG, ont toujours milité en faveur de la taxation des actifs financiers et des produits spéculatifs.

En réalité, toutes les solutions envisagées vont dans le même sens : répondre aux exigences des marchés financiers, qui ont une large part de responsabilité dans la crise que nous traversons et qui exigent toujours plus, en demandant une réduction des dettes et des dépenses publiques de chaque pays. Nous nous opposons fermement à ces propositions qui visent à un peu plus de régulation, mais aucunement à se défaire de la logique destructrice qui anime ces marchés.

De plus, la façon dont sont abordées les modalités de coordination des politiques économiques européennes, loin de favoriser la nécessaire concertation et la coopération entre les États membres, privilégie au contraire une approche autoritaire et antidémocratique, tant elle est éloignée du contrôle des institutions élues de chaque pays.

La semaine dernière, en prélude à la réunion de ce Conseil européen, des événements hautement significatifs ont eu lieu : plusieurs réunions, à seize ou à vingt-sept, des ministres européens de l’économie et des finances et, surtout, l’adoption par l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne et les Pays-Bas de projets de budgets qui rivalisent dans la rigueur et l’austérité, la France s’arrogeant la palme, avec l’annonce d’une réduction de 100 milliards d’euros en trois ans de son déficit public et la suppression, entre autres, de 100 000 postes de fonctionnaires, alors que l’Allemagne ne propose d’en supprimer que 15 000, tout en annonçant la réduction de son déficit de 80 milliards d’euros en quatre ans.

Ainsi, malgré une apparence de désordre, des décisions cohérentes et lourdes de conséquences ont été prises.

Lundi dernier, à Luxembourg, pour contrer les risques de contagion de la crise grecque et donner l’impression de vouloir résister à la pression des marchés financiers, les ministres des finances ont finalisé, dans la douleur, les modalités d’application du Fonds européen de stabilité financière. Il est destiné à venir en aide, avec le concours exigeant du Fonds monétaire international, aux pays de la zone euro qui en auraient besoin.

Mais ce mécanisme est pervers, car il consiste à emprunter de l’argent auprès des marchés financiers – toujours eux ! – pour voler au secours d’un pays aux abois. Il concrétise ainsi une nouvelle soumission de l’Union européenne à ces marchés.

Les ministres des finances se sont également entendus sur les grandes lignes d’une réforme du pacte dit « de stabilité et de croissance ».

Il s’agit en réalité de dangereuses mesures de durcissement d’une discipline conforme à l’orthodoxie budgétaire du libéralisme économique. Ces dispositions ne s’attaquent pas à la racine du mal. Elles ne sont pas adaptées à la gravité de la situation et sont souvent contre-productives. Il est ainsi prévu de renforcer le pacte de stabilité et de croissance, alors qu’il n’est qu’un corset bridant les dépenses publiques utiles et les budgets sociaux !

Tous ces plans d’austérité budgétaire, loin de ramener l’endettement public à un niveau acceptable, risquent au contraire d’asphyxier les économies, en appauvrissant le plus grand nombre, de les faire plonger dans la récession et le chômage massif avec, en prime, moins de recettes fiscales et plus d’endettement public.

Nombre d’économistes tirent pourtant la sonnette d’alarme. Je pense notamment à Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, ou encore à Éric Heyer, directeur adjoint à l’Observatoire français des conjonctures économiques, ce dernier estimant qu’«avec les mesures d’austérité, on court à la catastrophe ». Mais rien n’y fait !

Et c’est cette lutte aveugle contre les déficits publics que le Président de la République voudrait maintenant graver dans le marbre de la Constitution, liant ainsi les mains des gouvernements futurs en leur ôtant toute possibilité de marge de manœuvre budgétaire… Encore un nouveau progrès démocratique !

Les mesures proposées par les ministres des finances européens visent en fait, au mépris de toutes les réalités économiques et sociales, à mettre en place de véritables plans d’ajustements structurels, de surcroît sans que les États et les parlementaires nationaux aient à donner leur avis. C’est en effet l’une des principales décisions qui seront soumises au prochain Conseil européen : les projets de budgets nationaux pourraient désormais être présentés à la Commission européenne et aux autres États membres avant même d’être débattus par les parlements nationaux !

Une telle décision porterait gravement atteinte à la souveraineté de notre peuple en matière d’organisation des finances publiques, souveraineté reconnue par l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».

En remettant en cause un article de cette déclaration, qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité depuis la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, c’est toute possibilité de choix démocratique sur les grandes décisions que le Gouvernement remettrait en cause.

Cette proposition, sans doute la plus grave de toutes, vise tout simplement à renforcer la surveillance des politiques économiques et budgétaires des États membres par l’Union européenne.

Enfin, les ministres ont proposé de faire reposer l’amélioration de la compétitivité au sein de l’Union européenne sur ce qu’ils nomment pudiquement la « modération salariale » et que j’appelle plus prosaïquement la pression sur les salaires.

Telles sont les mesures qui seront présentées aux chefs d’État et de gouvernement et que le Président de la République et le gouvernement français se proposent d’avaliser lors du Conseil européen de jeudi et vendredi prochain.

Le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche considère qu’elles constituent un pas décisif vers un gouvernement économique européen qui, dans ces conditions, représenterait un danger pour la souveraineté des peuples d’Europe et pour la défense de leurs intérêts.

Nous voulons au contraire briser ce cercle vicieux en y opposant d’autres logiques, que je ne crois pas nécessaire de vous rappeler toutes tant il est vrai que nous les exposons depuis de nombreuses années. Je dirai simplement que, à l’inverse de la concurrence effrénée inscrite dans des traités qui ont montré leurs limites et se sont révélés caducs, le caractère global de cette crise appelle des coopérations nouvelles entre les États, fondées sur une véritable politique industrielle et sur l’effort de recherche.

La Banque centrale européenne, la BCE, doit notamment changer de rôle. Au lieu d’être au service exclusif des banques, elle devrait être transformée en un outil de financement public capable d’aider directement les États, en particulier pour financer leurs dépenses sociales.

Telles sont donc, monsieur le secrétaire d’État, quelques-unes des réflexions dont nous souhaitions, sans aucune illusion, vous faire part à la veille de ce nouveau Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec le traité de Maastricht, nous avions le sentiment d’avoir franchi un cap : non seulement l’Europe allait avoir sa monnaie, mais elle prenait enfin une dimension politique, avec un deuxième « pilier » – la politique étrangère et la défense – et un troisième « pilier » – la justice et la sécurité intérieure. Avec tant de piliers, on pouvait parler d’un véritable temple ! (Sourires.)

L’euro a été mis en place, mais sans l’étroite coordination économique et budgétaire qui aurait dû l’accompagner. Et nous n’avons pas su non plus trouver la bonne formule pour les relations entre les pays membres de la zone euro et ceux qui restent en dehors. Nous sommes en train de payer ces carences au prix fort.

La question reste ouverte dans la perspective exigée par l’Allemagne d’une gouvernance économique étendue aux vingt-sept États membres, en particulier à la Grande-Bretagne, pourtant si peu coopérative.

Dans les domaines politiques, les progrès n’ont pas été à la hauteur des besoins les plus évidents.

Si nous avons avancé dans la libre circulation des personnes, c’est parce que quelques États membres ont décidé d’aller de l’avant, avec les accords de Schengen, et ont fini par entraîner les autres.

Avec Europol et Eurojust, nous restons extrêmement loin de la police fédérale et du parquet européen dont nous aurions besoin. C’est tant mieux pour les criminels de tous ordres, bien entendu, et tant pis pour leurs victimes !

Il a fallu deux ans de débats pour aboutir à une « coopération renforcée » qui permettra une bien timide avancée en matière de divorce transfrontalier. La mesure principale consiste à prévoir que, lorsque les deux époux sont d’accord sur la compétence d’un tribunal, celui-ci sera effectivement compétent… Il fallait y penser ! (Sourires.)

J’admets volontiers qu’en matière de politique extérieure et de défense, il soit difficile d’avancer très rapidement. Mais que les progrès soient si lents dans des domaines touchant à la sécurité des citoyens, à leurs libertés, aux problèmes humains issus de l’absence d’harmonisation européenne, c’est tout simplement inacceptable !

Dès lors, comment s’étonner de la désaffection qui se manifeste, par exemple lors des élections européennes ?

Sans doute, avons-nous obtenu le traité de Lisbonne… Mais, devant la complexité invraisemblable de ce texte – je mets au défi quiconque d’en lire plus de trois pages de suite sans avoir une crise de nerfs –, j’ai cru pouvoir le comparer à un dédale, un dédale sans Minotaure, où le seul fil d’Ariane possible reste le développement des coopérations particulières entre les États décidés à avancer malgré tout.

Pardonnez-moi, mes chers collègues, de revenir sur cette idée, mais j’ai eu la satisfaction, cet après-midi, d’entendre le ministre allemand des affaires européennes la reprendre très exactement, et même d’une manière encore plus précise puisqu’il a évoqué des noyaux agissants ou rayonnants. Cela m’a évidemment réconforté.

Toutefois, la situation a changé ; on doit, d’une certaine manière, le regretter, mais on peut aussi s’en féliciter. Maintenant, le Minotaure est là : c’est la crise, une crise qui touche, au cœur même de la construction européenne, l’économie et la monnaie.

Voici donc l’épreuve de vérité… Ou bien nous aurons le courage de Thésée, et nous irons plus loin dans l’intégration, ou bien nous verrons l’Europe se dissoudre dans l’impuissance.

Suivre le fil d’Ariane, selon nous, consiste à accepter un certain degré de différenciation entre les États membres. Il est évident qu’on ne peut pas gérer à vingt-sept une zone euro où nous sommes seize ! Il faut donc admettre que la zone euro doit être dotée de tous les mécanismes spécifiques dont elle a besoin pour fonctionner. Je ne fais ici que répéter ce que pratiquement tous les orateurs ont dit avant moi.

Ces mécanismes sont nécessaires et j’espère que, à défaut de pouvoir les instaurer officiellement, nous pourrons les mettre en place officieusement, que nous donnerons dans les faits à l’Eurogroupe un peu plus de consistance, de dynamisme et de possibilités d’action.

Dès lors, nous devons être prêts à un exercice en commun des souverainetés. Bien sûr, il ne s’agit pas de remettre en chantier les traités. Nous n’en avons pas le temps et ce n’est probablement pas indispensable. Une gouvernance économique européenne peut très bien prendre la forme, au moins dans un premier temps, d’un accord politique et, surtout, de pratiques politiques. C’est notamment le cas de la surveillance budgétaire mutuelle, vis-à-vis de laquelle, à mon avis, nous ne devons pas avoir de réserves.

Monsieur le secrétaire d’État, nous avons un léger désaccord sur ce point : je ne crois pas que l’Europe puisse dicter les budgets nationaux. En revanche, elle peut – c’est d’ailleurs, me semble-t-il, ce que seul un organe indépendant et extérieur au Gouvernement peut faire – décrire les réalités, analyser les situations, placer chacun devant ses responsabilités et, ainsi, rendre possibles des mesures, voire des sanctions, qui ne sauraient effectivement émaner que d’une instance politique responsable.

Un organisme technique indépendant des États membres peut donc intervenir au cours d’une phase préparatoire, mais je ne vois pas comment un État donné pourrait faire des observations à un autre sur ses prévisions budgétaires.

Il en va de même pour la surveillance mutuelle, tout aussi nécessaire, en matière de compétitivité et de viabilité des modèles économiques.

Si nous sommes réellement incapables de débattre vraiment de ces questions entre Européens et d’en tirer des conclusions communes, il est inutile de parler de coordination des politiques économiques !

Il est clair que soit nous sortirons ensemble de la crise, soit nous n’en sortirons pas. Il est tout aussi clair, selon moi, que nous ne sortirons ensemble de la crise qu’en franchissant une étape dans la voie – employons le mot – de l’intégration.

Cette étape – je le dis clairement, parce qu’il faut tout de même finir par appeler les choses par leur nom – ne peut être qu’une démarche de type fédéral, plus exactement de type confédéral, au sens où l’entendent les juristes.

En effet, cher Jean-Pierre Chevènement, il ne s’agit nullement d’abolir nos « États-nations » dans leur réalité ancestrale, qu’elle soit politique, sociale, économique ou culturelle. Il s’agit de doter ceux d’entre eux qui le veulent vraiment de mécanismes institutionnels plus simples et plus efficaces que ceux du traité de Lisbonne, et de leur permettre ainsi d’affronter le monde nouveau de la mondialisation, à égalité de chances avec les grandes puissances qui dominent notre temps et font d’ores et déjà la loi.

Pour cela, il ne suffira pas de multiplier les dispositions et les arrangements particuliers qui caractérisent la phase actuelle, marquée sans doute par une prise de conscience de la nécessité d’agir ensemble – je pense tout particulièrement au couple franco-allemand –, mais aussi par de très nombreux malentendus, hésitations et sous-estimations de la gravité des problèmes et de la difficulté à passer de la discussion à l’action.

Le destin des Européens ne peut être suspendu à l’agenda des tête-à-tête gastronomiques de Mme Merkel et de M. Sarkozy ! Il ne suffit pas de créer des bouées de sauvetage au fur et à mesure que les difficultés apparaissent, comme nous le faisons actuellement. Il faut faire de l’Europe un grand bateau moderne, capable de tenir la haute mer de la mondialisation.

Mon sentiment profond est que, tôt ou tard, il faudra en venir à un traité particulier, établi au départ entre les plus résolus, mais restant ouvert à tous les autres, instituant une gouvernance qui allie ce qu’il faut de participation démocratique – donc parlementaire – à ce qu’il faut d’efficacité et d’autorité dans la gouvernance, pour ne pas dire le gouvernement, des affaires européennes.

N’oublions pas qu’il existe à cet égard une pierre d’attente, celle qui a été posée il y a quelques lustres – certains d’entre nous, les plus anciens, dont je suis bien évidemment, s’en souviennent – par le projet de nos amis Karl Lamers et Wolfgang Schäuble, ce dernier étant aujourd’hui l’un des principaux ministres du gouvernement allemand. Nous avons eu grand tort, à cette époque, de ne pas donner suite à cette proposition. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

C’est pourquoi je souhaite que, lors du prochain Conseil européen et au-delà de celui-ci, la France aborde ces questions d’une manière résolument constructive, comme elle le fait d’ailleurs déjà. À cet égard, je rends hommage à l’action qui est menée. Je me rends bien compte des multiples concessions qu’il faut faire quotidiennement, mais il vaut mieux faire des concessions et avancer, plutôt que de ne pas avancer !

Encore une fois, avec la crise, le Minotaure est là et frappe à notre porte. Nous ne le chasserons pas avec des livres verts – la Commission excelle dans l’élaboration de ces répertoires des difficultés – ni avec des compromis vagues et dilatoires. Et je ne parle pas de l’Agenda 2020 – pourquoi pas 2040 ou 2060 ? – dont on ne sait pas très bien si celui-ci et ceux qui le suivront sans doute auront plus de succès que ce que nous avons connu avec l’agenda de Lisbonne.

Il faut au contraire serrer les rangs et nous mettre en ordre de bataille. Si nous le faisons, l’Europe retrouvera peut-être son rôle dans le monde et toute sa crédibilité auprès des citoyens. Si nous ne le faisons pas, elle sortira peu à peu de l’Histoire – je le dis avec une grande tristesse, mais il faut en être conscient – pour n’être plus, comme l’Athènes du monde romain, que le musée d’une civilisation qui aura cessé d’être vivante. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond.

M. Pierre Bernard-Reymond. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen est donc appelé à se saisir des propositions de la Commission pour une « nouvelle stratégie européenne pour la croissance et l’emploi » à l’horizon 2020.

Au regard de la gravité de la conjoncture, des menaces qui pèsent sur une partie de l’économie mondiale et de la situation en Europe, pleine d’incertitudes à très court terme, cet horizon apparaît quelque peu surréaliste.

Il s’agit d’un exercice qui prend la suite du processus de Barcelone. Alors que ce dernier devait bâtir l’économie de la connaissance la plus compétitive, chacun s’accorde à dire qu’il a été un échec.

Y-a-t-il, dans les propositions formulées, des raisons d’espérer que ce nouveau programme à dix ans sera un succès ?

À vrai dire, la réponse est non.

La faute n’est pas imputable à ses auteurs, qui présentent des propositions solides et réalisables, même si quelques améliorations peuvent être suggérées. La réussite viendra non pas de la pertinence d’un programme, sur lequel tout le monde est à peu près d’accord, mais sur la capacité à le mettre en œuvre et à atteindre les objectifs fixés.

En effet, préconiser des programmes de recherche-développement, de formation professionnelle et de développement du numérique, viser une croissance durable, de promouvoir des politiques, notamment industrielles, tournées vers l’emploi et la lutte contre la pauvreté, au travers de cinq objectifs, trois priorités et sept initiatives phares, tout cela ne devrait pas soulever beaucoup d’objections. On peut néanmoins s’étonner qu’une politique représentant aujourd’hui 40 % du budget communautaire, la politique agricole commune, ait été passée sous silence, au moins dans un premier temps.

En réalité, les vraies questions sont ailleurs et doivent être posées aux chefs d’État et de gouvernement.

Tout d’abord, est-on prêt à réformer significativement la gouvernance de l’Europe ?

Les dirigeants européens, épuisés par dix ans d’efforts pour réformer les institutions, tenter de bâtir une Constitution, puis élaborer le traité de Lisbonne, espéraient bien en avoir fini pour longtemps avec les institutions. Or, s’il n’est certes pas nécessaire de songer déjà à un nouveau traité, la pratique des institutions continue à poser problème, d’une part, en raison du choix qui a été fait dans la mise en œuvre du traité de Lisbonne, et, d’autre part, parce que la crise a montré combien l’absence de gouvernement économique était dangereuse, en particulier pour la zone euro.

Ensuite, il convient d’identifier qui gouverne en Europe, parle en son nom et la symbolise. Est-ce le président permanent du Conseil, le président semestriel, le président de la Commission ? S’agit-il des trois à la fois, ou encore des chefs d’État les plus en vue parmi ceux de nos vingt-sept États membres ?

Cette confusion n’est pas uniquement formelle ; elle traduit une hésitation fondamentale, bien connue, entre deux conceptions de l’Europe présentes dès les premiers élargissements, autrement dit entre une Europe intergouvernementale, celle du libre-échange et des politiques simplement coordonnées, et une Europe puissance, à visée fédérale, dotée de politiques communes intégrées.

Depuis plusieurs années, c’est vers la première formule que les chefs d’État se sont laissé entraîner, sous l’effet conjugué d’un regain de nationalisme dans nos États, des élargissements successifs, des divergences croissantes de compétitivité, du choc de la mondialisation.

Or la crise que nous subissons pose de nouveau la question. On entend parler de gouvernement économique, de fédéralisme budgétaire de la part de personnalités qui ne s’étaient pas manifestées, jusqu’ici, par un tel élan européen.

Effectivement, l’exigence à la fois d’une réduction des écarts de compétitivité, d’un rapprochement des structures économiques de nos pays, d’une maîtrise concertée et transparente de nos dettes, d’un rapprochement de nos fiscalités, de l’élaboration de politiques communes significatives dans les domaines de la recherche ou de l’énergie, par exemple, est réaffirmée clairement, au moins au sein de la zone euro. Ces objectifs ne seront jamais atteints avec les pratiques actuelles, qui consistent à faire confiance à la simple coordination des politiques.

Certes, la réponse à la crise a été pour le moment rapide et bien ciblée. Mais c’est l’urgence et la gravité de la situation qui l’ont permis. Cette crise montre qu’en créant une monnaie unique certains pays ont choisi la voie de l’intégration sans toutefois en tirer toutes les conséquences. Si l’on voulait en rester à l’Europe intergouvernementale, il n’était pas nécessaire de créer l’euro.

Mais l’euro est là, et a montré tous ses avantages. Il se situe dans une logique de puissance. Le point de non-retour est atteint : moins d’Europe serait beaucoup plus dangereux que plus d’Europe. Par conséquent, il est devenu plus que jamais impératif de continuer sur la voie de l’intégration.

Tous les pays de l’Union n’y sont pas prêts ; prenons-en acte et avançons avec ceux qui le veulent. L’alignement sur les plus sceptiques n’est plus compatible avec le rythme de la mondialisation.

Il faut faire évoluer l’architecture de l’Europe, sans drame, sans nouveau traité, avec pragmatisme, en accord, explicite ou tacite, avec les Vingt-Sept, en se fondant sur les réalités que nous observons.

Parmi ces réalités figure d’abord, comme cela a déjà été dit à de nombreuses reprises dans cet hémicycle, l’indispensable couple franco-allemand, qui se révèle une fois encore le moteur de la construction européenne.

Ce couple rencontre des difficultés : des économies différentes, des appréciations divergentes, des chefs d’État qui, en raison de leur âge ou de leur origine géographique, n’ont pas connu l’ambiance et l’élan des origines, un contexte mondial profondément modifié sont autant de défis pour l’entente franco-allemande.

Il faut chercher, sans se lasser, les voies du rapprochement pour deux peuples qui sont devenus le moteur de l’histoire européenne.

Les quatre-vingts propositions que vous avez élaborées, monsieur le secrétaire d'État, avec votre homologue allemand, et qui ont été approuvées par la Chancelière et le Président de la République, marquent une réelle volonté et constituent un cadre parfaitement adéquat pour agir.

Je suis heureux de saluer le premier élément de sa mise en œuvre, à savoir la réunion, tout à l’heure, à la veille du Conseil européen, de députés et sénateurs français sous votre présidence, en présence de votre homologue allemand.

Le travail qui reste à faire est important : pour y contribuer, il convient d’afficher un peu plus de concertation préalable et de rigueur budgétaire, d’un côté, et un peu moins d’intransigeance, de l’autre.

Tout cela est d’autant plus vrai que les efforts sont partagés. L’Allemagne peut, à juste titre, revendiquer une politique budgétaire très sérieuse et des réussites à l’exportation. Mais l’Europe tout entière a participé aux efforts de la réunification allemande, et les performances de notre partenaire à l’exportation ne seraient pas ce qu’elles sont sans le niveau d’investissement et de consommation des autres pays européens.

J’en viens maintenant à la situation de la zone euro. Celle-ci ne peut être qu’à visée fédérale : que ceux qui y ont adhéré et ne l’auraient pas compris fassent leur choix.

Dans le contexte actuel, il est indispensable que la zone euro renforce sa cohésion et s’attache à la mise en place progressive d’une gouvernance économique renforcée, qui, au fil des jours, deviendra un vrai gouvernement économique.

Il s’agit non pas de porter atteinte à l’indépendance de la Banque centrale, mais, au contraire, de faire en sorte que celle-ci ne soit pas acculée à sortir de son orthodoxie, comme elle y a été contrainte. En tout cas, il est parfaitement utopique d’imaginer que les objectifs pour 2020 pourront être atteints en conservant les méthodes actuelles.

Deux voies seulement s’offrent à l’Europe : le retour aux nationalismes et aux individualismes, c’est-à-dire, à terme, à sa relégation, voire à sa disparition ; ou la voie de l’intégration et de la puissance.

Qui peut croire, en effet, que la régulation budgétaire, la réforme du pacte de stabilité, la réduction des écarts de compétitivité, l’augmentation régulière du budget de l’Union, accompagnée par des transferts de souveraineté pour développer des politiques communes comme celles de la recherche ou de l’énergie, pourront se faire au rythme qu’impose la mondialisation, avec l’état d’esprit et les méthodes d’aujourd'hui ?

Le Président de la République et la Chancelière n’ont pas trouvé d’accord formel sur ce point lors du dîner qui les a réunis hier soir.

Ce n’est pas grave s’il ne s’agit que d’un désaccord de forme et de nuance, ou de la crainte de créer une fracture entre les Seize de la zone euro et les autres. C’est plus problématique s’il s’agit d’une divergence de fond qui se creuse progressivement sur ce que doit être l’Europe et sur le temps qui nous reste pour la construire et exister au sein de la société internationale.

Le renforcement de la zone euro, ainsi que les réunions régulières des seize chefs d’État n’excluent pas les Européens du troisième cercle, ceux de la zone de libre-échange, de la coordination souple, des politiques à la carte, telles que celle de la défense avec la Grande-Bretagne, et des positions communes au niveau international, en particulier au G20 pour promouvoir la régulation financière internationale.

S’agissant du G20, le programme annoncé montre l’écart des situations dans les différentes parties du monde. Il n’est question que de conforter la relance, de lutter contre le protectionnisme, de faire le point et de poursuivre la régulation financière, d’entendre les préconisations du FMI.

La question des déficits budgétaires, si cruciale en Europe, ne semble pas occuper une grande place, en tous les cas officiellement.

Quant à la taxe sur les transactions financières, qui sera proposée par la France et l’Allemagne, il faudra certainement plusieurs G20 pour convaincre, si l’on en croit les déclarations de plusieurs responsables gouvernementaux, dont la dernière en date est celle du ministre des finances du Canada.

Le prochain Conseil européen portera autant sur la préparation du G20 que sur le règlement d’affaires intérieures européennes. Se tenant à un moment extrêmement délicat pour notre continent, où chaque jour peut être marqué par l’annonce d’une catastrophe, il devrait être l’occasion de prendre appui sur les réalités économiques budgétaires, financières, diplomatiques et politiques pour avancer avec pragmatisme, tout en privilégiant, en arrière-plan, un schéma clair, propre à assurer la meilleure organisation possible de notre continent.

En ayant toujours à l’esprit cette Europe des cercles concentriques à trois niveaux, nous prenons en compte de façon réaliste la situation de l’Europe telle qu’elle est, sans renoncer à l’ambition des origines : bâtir une puissance mondiale au service d’un idéal de paix, de liberté et de démocratie.

Le fait que le monde ait profondément changé n’a pas pour autant rendu obsolètes les objectifs de départ. Au contraire, la mondialisation nous pose un défi majeur et nous place face à une alternative : exister dans le monde en tant qu’acteur ou changer de division et devenir une poussière d’États insignifiants, sans croissance, sans pouvoir et sans avenir ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier les six orateurs qui se sont succédé à la tribune. Tous ont exprimé avec beaucoup de talent leurs convictions personnelles et ont fait montre de justesse dans l’analyse des problèmes, en donnant un reflet très fidèle de toute la gamme des sensibilités qui coexistent dans notre pays, des plus fédéralistes aux plus sceptiques.

J’avoue, monsieur le président, être quelque peu partagé entre le devoir qui m’incombe de présenter la déclaration du Gouvernement, à la veille du Conseil européen, et mon envie de répondre dans le détail aux différentes interventions.

Je me demande donc, si, la prochaine fois, il ne serait pas préférable de commencer par une brève déclaration du Gouvernement ou au moins un exposé des points principaux caractérisant son action à la veille du Conseil. Cela lui laisserait, ensuite, le temps pour répondre pleinement aux différents orateurs, ce qu’un débat « interactif et spontané » n’autorisant que des réponses de deux minutes ne permet pas, à mon sens, de faire de manière satisfaisante.

Je me permets de faire cette observation, car, compte tenu de la qualité des interventions, je ne peux dissimuler une certaine frustration !

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, le président de séance n’a fait qu’appliquer les conclusions de la conférence des présidents. Il s’agit d’un débat préalable au Conseil européen. Je ferai part à la conférence des présidents de vos observations, mais sachez que tous les débats de ce type se sont déroulés de cette manière.

Cela étant, vous vous exprimerez le temps qu’il faudra et selon la forme que vous souhaiterez.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur le président, tous les débats ne se sont pas déroulés ainsi. Au demeurant, ma remarque, que j’ai formulée très respectueusement et à titre amical, n’était en aucun cas une remontrance envers qui que ce soit ; j’ai beaucoup trop de respect pour le Parlement pour qu’il puisse en être autrement.

Simplement, je me permets de faire une suggestion : dans un débat de ce type, le Gouvernement devrait pouvoir exposer sa position avant que nous ayons, ensuite, le temps d’engager un vrai débat. Je vais m’efforcer de faire les deux à la fois, et je prie à l’avance les orateurs de me pardonner si je ne fais pas justice à tous leurs arguments.

Le Conseil européen, qui débutera jeudi prochain, aura, comme vous le savez, un agenda particulièrement chargé. Il sera, si j’ose dire, sous les feux des projecteurs ! À quelques jours du prochain sommet du G20 à Toronto, nos partenaires internationaux, seront en effet très attentifs à ses conclusions. Ce que nous appelons pudiquement les marchés, c’est-à-dire à la fois ceux qui spéculent et ceux qui prêtent aux États, les fonds de pensions en particulier, auront également les yeux braqués sur nous.

Après tous les événements que nous avons vécus depuis six mois et dans le prolongement de l’accord franco-allemand qui est intervenu hier soir, je veux croire que ce Conseil marquera un vrai retour de l’Europe, à la fois en termes de stabilité pour la zone euro, d’adoption de quelques lignes fortes, nécessaires à la croissance et à la sortie de crise et, surtout, en termes de promotion d’un certain nombre d’idées maîtresses en vue de la réorganisation du système financier mondial.

Vous savez qu’un plan d’ampleur historique a été adopté il y a un mois afin de sauver la zone euro. Ce dont il a été question hier, et dont il sera question jeudi et vendredi, c’est de compléter ce plan par une série de règles – vous en avez tous beaucoup parlé –, pour essayer de mieux organiser la zone euro à la lumière de la crise économique et financière actuelle.

Le Conseil abordera également la question du climat. J’évoquerai brièvement ce que nous appelons le mécanisme d’inclusion carbone, autrement dit « la taxe carbone aux frontières ».

Il sera aussi question de l’Islande et des événements en Iran, après l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

Le Conseil traitera également de la perspective d’entrée dans la zone euro de l’Estonie au 1er janvier 2011.

Enfin, il devrait adopter la décision convoquant une conférence intergouvernementale, en vue de permettre la désignation au Parlement européen de dix-huit membres supplémentaires jusqu’au terme de la mandature 2009-2014, dont deux pour la France.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne me sera pas possible, vous le comprenez bien, d’entrer dans le détail de tous ces points.

Je commencerai en évoquant la situation économique et financière européenne.

Permettez-moi, au préalable, comme l’ont fait la plupart des intervenants, notamment M. le président Bizet, mais aussi MM. Chevènement, Marc et Bernard-Reymond, d’insister sur l’importance stratégique du couple franco-allemand au regard à la fois de tout ce que nous avons vécu depuis le début de cette crise et, je l’espère, des solutions que nous sommes en train d’y apporter.

À mon tour, je tiens à souligner l’exceptionnelle qualité de la relation qui lie la France à l’Allemagne, sa densité, mais aussi les difficultés qui la caractérisent. M. Bizet, comme M. Chevènement, a souligné fort justement que ces deux pays très différents parvenaient à transcender leurs différences pour élaborer, au nom de l’intérêt général européen, des politiques communes.

Je prendrai trois exemples concrets pour illustrer l’importance de cette relation.

C’est grâce à l’impulsion conjointe du Président de la République et de la Chancelière qu’ont été définis, dans la nuit du 7 au 8 mai dernier, les lignes du plan de sauvetage historique de la zone euro, composé de deux volets sur le plan européen et finalisé le dimanche 9 mai par le Conseil ECOFIN.

Comme vous le savez, le premier volet de ce mécanisme a été créé conformément à l’article 122-2  du traité européen, lequel prévoit que, « lorsqu’un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l’Union à l’État membre concerné ». Puisque nous étions dans une telle situation 60 milliards d’euros ont été mobilisés dans le cadre de ce premier volet.

Le second volet, lui, est beaucoup plus nouveau. Il s’est agi de créer une facilité de soutien, en réalité des concours, des garanties nationales, qui ont été votés par les parlements – et j’en remercie les sénateurs ici présents –, à hauteur de 440 milliards d’euros.

S’agissant aussi bien du mécanisme de l’article 122-2 que du second volet, ou, précédemment, du soutien à la Grèce, la moitié de l’argent européen prêté est allemand et français. C’est dire à quel point nos deux pays ont travaillé en commun pour réunir ces facilités financières à un moment capital.

Vous le savez, les deux volets ont été complétés par une intervention très importante du FMI, à hauteur de 250 milliards d’euros. Enfin, la Banque centrale européenne a, en accompagnement de ce plan, décidé de procéder, ce qui est, là encore, une décision sans précédent, aux achats d’obligations de dettes souveraines sur le marché secondaire.

Le mécanisme de stabilisation ainsi mis en place est très nouveau sur le plan politique, car, jusqu’à présent, même si nous avions une monnaie unique, le dispositif reposait sur le principe selon lequel chaque État était seul responsable de ses comptes et du financement de ses dettes. Nous avons donc, par des concours bilatéraux, s’agissant de la partie la plus importante du mécanisme, presque mis en œuvre – je vais faire bondir M. Chevènement ! – l’article 5 du traité de l’Atlantique nord, qui a institué le mécanisme de sécurité collective suivant : lorsqu’un État est attaqué, il existe un fonds de garantie pour lui venir en aide.

Il s’agit, certes, de garanties bilatérales votées par les parlements, mais les sommes en jeu sont considérables ; dans le cas de la France, par exemple, elles dépassent l’effort d’assainissement des finances publiques que nous devons faire d’ici à 2013.

Ce plan est la concrétisation, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, d’un principe fondamental que nous, Français, quelle que soit notre appartenance politique, avions voulu, celui de la solidarité avec les autres membres de la zone euro, combiné à un principe de responsabilité dans la gestion des deniers publics.

Un deuxième exemple du caractère très important de la relation franco-allemande nous a été donné hier soir, lorsque nos deux pays se sont mis d’accord sur des mécanismes qui viennent compléter le plan institutionnel. J’y reviendrai.

Je citerai un troisième exemple, plus modeste, mais tout de même très significatif. Aujourd'hui – et je me souviens comme vous tous de ce qui s’est passé il y a soixante-dix ans aux alentours du 15 juin –, un représentant du gouvernement français et un représentant du gouvernement allemand étaient présents, ensemble, à l’Assemblée nationale, pour évoquer devant des sénateurs et des députés l’avenir de l’Europe. Le ministre adjoint des affaires étrangères allemand et moi-même étions en effet entendus par les commissions des affaires européennes des deux assemblées. C’est la première fois qu’une telle audition conjointe est réalisée, ce qui constitue un progrès tout à fait considérable.

Cela faisait partie – et je remercie M. Bizet de l’avoir noté – des quatre-vingts propositions sur lesquelles nous avions travaillé avec mon collègue allemand. Je souligne au passage que, ce matin, nous avons visité ensemble l’Agence spatiale européenne. Il est aussi à noter que la moitié de l’effort spatial de l’Europe est franco-allemand. C’est dire que, à chaque fois, le rôle de nos deux pays est très important.

Sur la situation économique et financière européenne, permettez-moi d’aborder rapidement quatre volets, que vous avez tous, les uns et les autres, également évoqués.

Le premier est la nécessité du retour à l’équilibre des finances publiques. Ce n’est pas une « purge », pour reprendre le terme utilisé par M. Chevènement tout à l’heure ; ce n’est pas non plus une volonté de « casser » la croissance, bien au contraire.

Dans son projet de déclaration, le Conseil européen rappelle « la détermination des États membres à assurer la soutenabilité budgétaire […] pour préserver la crédibilité de la stratégie de sortie de crise ». Selon lui, « il est de la plus haute importance que les cibles en matière budgétaire soient atteintes sans délai ». Autrement dit, les États membres ne peuvent pas afficher des déficits publics qui soient incompatibles avec leur crédibilité sur la scène internationale. Nous sommes des États débiteurs, nous devons faire attention à nos dépenses. C’est aussi simple que cela.

La soutenabilité des dépenses publiques s’impose aussi à la France, et ce à un double titre.

Sur le plan national, d'une part, les mesures prises dans le cadre du plan de mobilisation contre la crise ont été conçues à l’origine comme des mesures d’ajustement à la crise. Nous maintenons les investissements du grand emprunt. Nous préparons la croissance de l’avenir, mais rappelons-nous ce qu’a dit le Président de la République : « Le déficit ne peut en effet pas raisonnablement rester à son niveau de sortie de crise sans constituer une menace pour la croissance future. L’arrêt progressif des mesures de soutien en 2010 et la réduction du déficit à partir de 2011 ne constituent donc ni une nouveauté ni un problème si l’on souhaite garantir une croissance durable et soutenable. »

Nous avons subi, l’an dernier, une dépression très rude, que nous avons amortie par des plans de soutien. Il s’agit maintenant de sortir de la crise, mais nous ne pourrons le faire en conservant des déficits aussi élevés, à hauteur de 8 % du PIB. Il est donc raisonnable de soutenir la croissance en prenant garde à nos dépenses et en recherchant des économies.

Voilà ce qui est décidé ; on est donc loin d’une purge, d’un plan d’austérité ou de je ne sais quelle tentative de casser la croissance et de punir l’économie française !

Sur le plan européen, d'autre part, une discipline commune en matière de dépenses publiques est absolument indispensable pour éviter la résurgence des déséquilibres ayant mené à la crise grecque. Les budgets doivent être mieux gérés, dans la transparence, avec le souci de réduction des dépenses publiques. Il importe de faire prévaloir le principe de responsabilité.

Il a fallu plusieurs mois pour arriver à cette position. Soyons clairs, il n’est pas question de continuer à donner de fausses statistiques, de laisser filer les déficits en pensant que d’autres paieront. Les membres au train de vie le plus dispendieux ne peuvent plus escompter se trouver en mesure, par le biais d’une sorte de carte bancaire magique dont ils auraient le code secret, de tirer autant d’argent que nécessaire sur le budget des États les plus nantis. La zone euro implique un minimum de bonnes pratiques budgétaires ; c’est le corollaire – j’y insiste – des mesures de solidarité qui ont été adoptées au cours du mois écoulé.

La transparence est donc un devoir. De ce point de vue, l’Allemagne, comme vous le savez, a introduit un mécanisme de limitation des déficits dans sa loi fondamentale – 0,35 % du PIB en 2016 –, lequel, je le sais, a suscité un certain nombre de critiques en France. Le Président de la République a évoqué l’idée d’inscrire dans notre Constitution une règle qui obligerait, en début de législature, à fixer un cadre visant à l’équilibre et, donc, à dire les choses devant le peuple.

Monsieur Chevènement, vous avez comparé cela, dans votre style toujours très évocateur, à un couteau sans lame auquel il manquerait le manche : quelle image ! (Sourires.) Mais nous ne faisons rien d’autre que d’essayer de tracer une ligne jaune continue sur une route. Si vous enlevez la ligne jaune au prétexte qu’il y a des dérapages, des accidents, vous vous condamnez à un carambolage permanent : ce n’est plus de la conduite sur route, c’est du stock car !

Je ne sais pas si vous voulez garder la lame ou le manche ; peu importe, enlevons les couteaux, parlons simplement de pédagogie et traitons nos concitoyens comme des adultes ! Quel que soit, en fonction des alternances, le gouvernement en place, celui-ci doit s’engager à présenter des comptes transparents et, si possible, équilibrés, parce qu’il y va aussi des règles communes, de la monnaie commune dont nous nous sommes dotés. En tout état de cause, sachez que je saurai résister à la tentation de refaire avec vous le débat sur Maastricht qui a eu lieu voilà une dizaine d’années !

Au travers des mesures qu’elles ont décidées, la France et l’Allemagne ont montré l’exemple au reste de la zone euro, en envoyant un signal fort aux marchés quant à leur engagement à réduire les déficits. Je le répète, notre pays sera au rendez-vous de ses obligations européennes, qui lui imposent de revenir à un déficit public de 6 % du PIB en 2011, de 4,6 % en 2012 et de 3 % en 2013.

Pour atteindre cet objectif ambitieux, le Gouvernement a été très clair sur la méthode. Nous n’augmenterons pas les impôts, car nous ne voulons pas « casser » la croissance et tuer le malade en essayant de le guérir ! Nous allons nous attacher à maîtriser la dépense publique : notre objectif est de baisser les dépenses de 45 milliards d’euros dans les trois prochaines années, grâce à la réduction des niches fiscales, à la réforme des retraites et à l’effort de gel en valeur de l’ensemble des dépenses de l’État et des collectivités locales.

Ces mesures seront difficiles, mais nous sommes résolus à les mettre en œuvre pour consolider le retour de la croissance, aussi modérée soit-elle. Nous espérons que cette remontée des recettes, couplée à la réduction des dépenses des collectivités locales et des comptes sociaux, nous permettra de remplir l’objectif de 100 milliards d’euros d’économies d’ici à 2013.

La Commission, qui examinait aujourd’hui même le programme de stabilité français, a considéré que les réformes engagées allaient dans le bon sens et méritaient d’être soutenues. Cette stratégie est parfaitement en ligne avec le projet de conclusions du Conseil européen, qui précisera jeudi que « la priorité devrait être donnée aux stratégies de consolidation budgétaire favorables à la croissance, principalement centrées sur la maîtrise des dépenses ».

À ce sujet, j’ai bien entendu les remarques formulées, notamment de la part de M. Marc, tant il est vrai que l’accumulation de plans de rigueur sans coordination risque de poser problème. C’est d’ailleurs l’argument qui justifie la mise en place d’un gouvernement économique de l’Europe ainsi que la nécessité d’assainir les comptes et de veiller à maintenir le feu de la croissance. Nous sommes extrêmement conscients qu’il faudra pour cela effectuer un pilotage très fin.

Le deuxième volet est justement constitué par l’instauration d’un véritable gouvernement économique européen. De nombreux orateurs ont évoqué ce soir les moyens à envisager pour l’organiser. Parmi eux, certains ont été, et cela m’a fait sourire, très « sarkozystes » en estimant que la seule et bonne solution est l’Eurozone à seize.

Je voudrais leur faire remarquer que, voilà encore quelques mois, la notion de « gouvernement économique » n’était absolument pas acceptée par nos partenaires allemands, qui s’en tenaient au pacte de stabilité et refusaient notamment les critères envisagés, les règles de gestion budgétaire, ainsi que la coordination des politiques macroéconomiques et fiscales. L’Allemagne a timidement adopté le principe d’un gouvernement économique le 4 février dernier lors du Conseil des ministres franco-allemand ; elle le reconnaît aujourd’hui pleinement.

Quant à savoir si tout doit être réglé à seize ou à vingt-sept, je voudrais rappeler que l’Eurogroupe ne figure pas dans le traité, mais qu’il est seulement mentionné en annexe. Seul le système à vingt-sept est reconnu par le traité. Créer ex nihilo une autre institution, comme nous y avons pensé, avait certes ses avantages, mais cela impliquait un exercice institutionnel nouveau. En l’état actuel, nous avons un président stable de l’Union, des institutions et un cadre qui n’interdit pas de se réunir, si cela est nécessaire, à seize. Voilà le compromis pragmatique qui a été conclu hier entre le Président de la République et la Chancelière et qui devrait nous permettre d’avancer.

D’aucuns ont avancé l’idée selon laquelle des pays pourront continuer de dévaluer – sous-entendu, de faire n’importe quoi. Mais c’est mal connaître l’état des tensions internationales en la matière ! Je doute fort que certains de nos partenaires extérieurs à la zone euro se plaisent à laisser filer leur monnaie. Bien au contraire, leur intérêt est de rester le plus proche possible de la zone euro. Tel est, en tout cas, le discours que j’entends à Stockholm, à Oslo, où j’étais encore hier, voire à Londres. Chaque pays a intérêt à ce que la zone euro reste solide et à laisser sa monnaie amarrée à l’ensemble européen. Il est donc logique d’agir à vingt-sept.

Sur les compétences et le mode de fonctionnement du gouvernement économique, le groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy a permis d’avancer de façon très substantielle sur la reconnaissance de certains principes.

Le premier concerne le renforcement du volet préventif du pacte de stabilité, avec un dispositif de sanctions. Cette question a également été évoquée par de nombreux orateurs ce soir. Faut-il s’en tenir à des sanctions financières ou prévoir d’autres mesures ? Lorsqu’un pays est en crise ou en faillite, l’ajout d’une pénalité financière sert-il vraiment à quelque chose ?

En cas de violation répétée des règles de bonne gestion budgétaire qui engagent tous les États, puisqu’ils partagent la même monnaie, il y a sur la table la garantie des autres contribuables. Ne devrait-on pas être en droit de dire que ceux qui se comportent ainsi de façon répétée perdront leurs droits de vote ? Je suis conscient des problèmes politiques et constitutionnels que pose cette question. Nous devons ouvrir le débat sur la responsabilisation de chacun.

À l’intérieur d’une même zone monétaire, certains mettent des garanties sur la table : le but est qu’elles ne servent pas. Quand vous vous portez caution pour un tiers, un enfant ou un ami, pour l’achat ou la location d’un bien, vous le faites par solidarité en espérant ne pas être appelé. Pour cela, vous êtes en droit d’exiger que le comportement de la personne soit conforme à l’intérêt du groupe.

Telle est l’idée qui sous-tend la sanction de nature politique. Il ne sert strictement à rien de se faire « manger » sa caution et d’ajouter une pénalité financière. C’est d’ailleurs le système qui existait depuis 2004 et qui, nous le savons tous, n’a jamais été mis en œuvre.

Je ne prétends pas que nous détenions la vérité à ce stade, mais la France et l’Allemagne ont choisi une direction qu’elles entendent soumettre au Conseil pour réflexion. Le débat, je le répète, doit être ouvert, même si la situation est compliquée sur les plans juridique et constitutionnel.

Le deuxième principe porte sur une meilleure surveillance des niveaux d’endettement et de leur dynamique.

Le troisième est relatif au renforcement de la surveillance des budgets nationaux, dans le respect des obligations constitutionnelles. MM. Billout et Bernard-Reymond ont défendu des thèses rigoureusement inverses, l’un proposant d’aller vers davantage de fédéralisme, l’autre considérant qu’une telle évolution constituerait un viol de l’article xiv de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La vérité se situe sans nul doute quelque part entre ces deux extrêmes !

En fidèles lecteurs de Molière, nous cherchons le juste milieu. Le respect des obligations constitutionnelles de chaque État membre doit conduire à ce que les orientations budgétaires soient discutées entre les chefs d’État, et non à la Commission, et votées par les parlements nationaux. Mais il faut bien, pour assurer le respect des garanties fixées sur le plan économique, permettre à chaque enceinte politique légitime d’examiner le budget des autres, faute de quoi l’opinion publique ne nous comprendrait plus. En effet, cela reviendrait à dire que les coffres sont grands ouverts et que chacun peut venir se servir, quels que soient les efforts fournis pour assainir les comptes de la République !

Le quatrième principe a trait à l’amélioration de la qualité des statistiques nationales.

Le cinquième, ô combien important, porte sur la prise en compte des facteurs de compétitivité dans l’examen des politiques économiques. Dans le cas de l’Espagne, les chiffres affichés du déficit dissimulaient une bulle financière.

Le rapport final du groupe de travail est attendu pour le Conseil européen d’octobre, mais, en attendant, celui qui s’ouvre dans deux jours adoptera la nouvelle stratégie Europe 2020 de croissance, sur laquelle il y aurait beaucoup à dire. Le texte vaut ce qu’il vaut, avec ses nombreux objectifs, ses grandes déclarations et son jargon.

Nous, Français et Allemands, ce que nous voulons désormais, c’est faire reconnaître la contribution à la stratégie économique européenne de toutes les politiques communes, y compris, j’insiste sur ce point, la politique agricole commune.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Je vous signale, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette dernière ne figurait pas dans la première mouture de l’Agenda 2020 proposé par la Commission.

M. Jacques Blanc. Pas plus que la politique de cohésion territoriale !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Nous entendons également que l’Agenda 2020 permette de gagner des points de croissance supplémentaires et qu’il ne se contente pas d’être une déclinaison de vœux pieux. Pour cela, il faut promouvoir une politique européenne de l’énergie et une stratégie européenne industrielle dans un certain nombre de domaines clés. Nous avons visité ce matin l’Agence spatiale européenne, car ce secteur, comme ceux du numérique ou du véhicule électrique, est une niche de recherche, de développement et d’emplois pour l’Europe.

Pour être tout à fait honnête, le combat n’est pas encore gagné. Le Conseil européen se tient jeudi et la déclaration dite de l’Agenda 2020 ne mentionne toujours pas la politique industrielle et énergétique. Elle s’en tient à des déclarations générales avec des objectifs portant notamment sur la pauvreté et l’éducation. Motherhood and apple pie, diraient les Américains ! Qui peut-être contre la patrie et la tarte aux pommes ? (Sourires.) Pour notre part, nous voulons des politiques industrielles, énergétiques et de développement. Et c’est cela que l’on va inscrire dans la stratégie !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. En ce qui concerne l’optimisation du potentiel de croissance à partir du marché intérieur, je vous renvoie à l’excellent travail qui a été fait par Mario Monti.

Je voudrais insister sur un autre point, sur lequel nous avons beaucoup travaillé aujourd’hui avec mon collègue allemand : la stratégie 2020 doit absolument s’intéresser au reste du monde et intégrer une politique commerciale cohérente.

Or tel n’est pas le cas actuellement, y compris en matière d’accès aux marchés publics et de stratégie de négociation commerciale à l’OMC. Il incombe à l’Europe de se tourner vers l’extérieur, dans le cadre d’une stratégie réellement globale. Que la Commission arrête de considérer que la concurrence est uniquement un problème interne et de procéder au découpage des groupes européens au nom de la protection des consommateurs !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Nous devons être capables de fabriquer des champions européens, ce qui suppose de bâtir une politique industrielle à l’échelle du continent. La bonne nouvelle, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est que la France et l’Allemagne sont d’accord sur ce point ! (M. Yves Pozzo di Borgo s’en félicite.) Petit à petit, nous sommes en train de gagner du terrain, mais la tâche est très difficile car elle implique un véritable changement de philosophie.

Avec la crise, les délocalisations et le chômage, un certain nombre de pays, même les plus historiquement libéraux, sont tout de même convaincus de la nécessité d’une politique industrielle européenne. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine. Une réunion du Conseil sera spécifiquement consacrée à cette question, mais nous n’en sommes qu’au début du chemin !

En ce qui concerne le renforcement de la régulation financière au niveau international, vous le savez, la France et l’Allemagne vont porter ensemble toute un éventail de nouvelles régulations et de contrôles des marchés financiers. Nos deux dirigeants ont écrit au président de la Commission une série de lettres, la dernière en date du 8 juin, relatives aux fonds spéculatifs, à la réglementation sur les ventes à découvert, aux produits dérivés. Nous sommes donc aux avant-postes de l’effort de régulation européen.

De la même façon, nous avons travaillé aujourd’hui même à une lettre commune en vue du G20 pour que la France et l’Allemagne portent ensemble l’idée d’une taxation sur les services financiers et bancaires, dans le cadre d’une régulation internationale.

Toujours dans un souci d’honnêteté à votre égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois vous dire que, lors de la dernière réunion des ministres des finances du G20, nous ne l’avons pas emporté. De nombreux pays, notamment le Brésil et le Canada, n’ont pas envie de réguler leurs banques ou de taxer les mouvements financiers.

Une vraie bataille politique doit être menée. La France et l’Allemagne ont décidé de la mener ensemble, ce qui mérite d’être salué. Pour certains, c’est insuffisant ; pour d’autres, idéaliste. Quoi qu’il en soit, nous sommes déterminés !

J’évoquerai brièvement les négociations en matière de lutte contre le changement climatique. L’objectif que s’est fixé l’Europe de réduction de 20 % de ses émissions de gaz à effet de serre ne sera pas réévalué à 30 %, les conditions nécessaires n’étant pas réunies.

Par ailleurs, après des mois d’efforts, menés avant et, surtout, après le sommet de Copenhague, la Commission a reconnu – tant mieux, je m’en réjouis ! – que l’instauration d’une taxe carbone aux frontières n’était pas une idée si saugrenue. En la matière, notre intention est claire : cesser d’exporter des emplois et d’importer du carbone ! En cas de dumping écologique, il est donc nécessaire de prévoir un juste équilibre entre une compensation, des permis d’émission et une taxation des secteurs. Toutes les propositions sont désormais sur la table.

Je me suis entretenu encore hier soir avec Pascal Lamy sur ce sujet. En tant que directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, il ne soulève aucune objection de principe, s’interrogeant simplement sur la façon de procéder.

J’ai ainsi demandé aux responsables de l’Agence européenne pour l’environnement, que j’ai rencontrés récemment à Vienne, de mener le travail d’expertise nécessaire pour être en mesure, secteur par secteur, de quantifier les émissions de carbone et les niveaux de pollution. Il s’agit ainsi de poser les bases d’un commerce international, fondé sur un dispositif de compensations dans un sens ou dans l’autre, pour militer en faveur d’une décarbonisation de l’économie mondiale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens à la question de l’Islande, sur laquelle nous travaillons très sérieusement depuis près d’un an avec nos partenaires allemands.

Vous le savez, un double problème se pose. Tout d’abord, il convient de résoudre le contentieux concernant la société financière Icesave, pour lequel le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont parties prenantes. Ensuite, nous voulons être sûrs de ne pas importer un système financier notoirement problématique, voire corrompu.

Un travail d’« assainissement » est en train d’être mené en profondeur en Islande, un certain nombre de garanties ayant été fournies sur le règlement de l’accord financier relatif à Icesave. Les négociations d’adhésion vont donc pouvoir commencer, mais selon les mêmes critères que pour les autres pays. Afin que celles-ci puissent se dérouler normalement, nous veillerons à ce que l’Islande poursuive son effort.

Pour ce qui concerne l’Iran, il avait été convenu en décembre 2009 que le Conseil européen demanderait aux ministres des affaires étrangères de l’Union européenne de préparer des mesures pour accompagner la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

Cette résolution, qui porte le numéro 1929, a été adoptée la semaine dernière. Les mesures qu’elle comprend porte sur de nombreux domaines, parmi lesquels les livraisons d’armes, les secteurs bancaire et financier. Dans ses conclusions, le Conseil Affaires étrangères, qui s’est tenu tout récemment, le 14 juin dernier, a fait part du soutien de l’Union européenne à la résolution 1929.

Dans le prolongement de sa déclaration de décembre, le prochain Conseil européen devrait adopter une nouvelle déclaration pour demander des mesures complémentaires et fixer, à cet effet, une feuille de route aussi précise que possible.

La France, avec ses partenaires, reste fidèle au principe d’une double approche, qui repose à la fois sur le dialogue et la fermeté. Notre position n’a pas varié.

Je tiens également, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous communiquer, car c’est important, le calendrier des prochaines échéances du Conseil européen.

Le président Van Rompuy a choisi d’organiser des conseils thématiques. Le Conseil européen se penchera donc, dès le 16 septembre, sur les relations de l’Union avec ses grands partenaires émergents, notamment la Chine et l’Inde. Ce sera l’occasion de parler de stratégie commerciale et d’accès aux marchés publics, questions particulièrement importantes s’agissant des relations entre la Chine et l’OMC. Une session du Conseil européen sera consacrée, les 28 et 29 octobre prochains, au thème de la recherche et de l’innovation, ce qui permettra de revenir sur la politique spatiale, le projet ITER et la mobilité électrique et numérique. Enfin, une réunion informelle, qui devrait avoir lieu au début de 2011, sera consacrée à la future stratégie énergétique pour la période 2011-2020.

L'Union européenne avance donc dans la direction que nos voisins allemands et nous-mêmes préconisons. Certes, il n’est pas facile d’orienter un navire à vingt-sept, mais, grâce à notre volonté politique, nous sommes en train d’y parvenir.

Je vous invite à réaliser l’importance du travail qui a été réalisé. J’en profite également pour remercier tous ceux qui, dans l’ensemble du système étatique français, et pas seulement au Quai d’Orsay, concourent à la mise en œuvre d’une politique intégrée et utile de la France en Europe. Je pense bien évidemment à nos parlementaires nationaux et européens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, beaucoup de sujets sont sur la table. Nous sommes en train, selon moi, de sortir par le haut de l’épreuve des six derniers mois. Bien que cette évolution ne se fasse pas sans mal, je considère désormais la situation avec beaucoup d’espoir.

Non seulement nous avons fabriqué un socle financier solide et crédible, mais surtout nous bâtissons un ensemble institutionnel à la fois démocratique, car respectueux des droits des parlements nationaux, transparent pour les contribuables et concerté. Bien entendu, tout n’est pas parfait, mais la perfection est difficile à atteindre à vingt-sept ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Débat interactif et spontané

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané prévu par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. Le Gouvernement, s’il est sollicité, pourra répondre.

La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Monsieur le secrétaire d’État, le débat tel qu’il est organisé me satisfait et les interventions de nos collègues qui se sont succédé à la tribune nous ont permis d’aller au fond des choses. Je me limiterai donc à deux questions.

Premièrement, vous l’avez dit, la politique agricole commune figure désormais dans le projet Europe 2020, ce dont je vous félicite. En revanche, malgré le charabia des textes et une absence certaine de simplification, la cohésion territoriale semble quelque peu absente. J’aimerais savoir si la France a l’intention de se mobiliser pour la mettre en avant. N’oublions pas, en effet, qu’il s’agit d’un acquis du traité de Lisbonne.

Deuxièmement, en évoquant les prochaines échéances européennes, vous n’avez pas mentionné l’Union pour la Méditerranée, l’UPM. En raison des événements dramatiques survenus récemment à Gaza, le sommet prévu pour le 7 juin dernier et qui devait se tenir en Espagne n’a pu avoir lieu. Croyez-bien que je le regrette ! Dans ce contexte, quel avenir la France réserve-t-elle à ce grand projet de l’Union pour la Méditerranée ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je vous confirme que la cohésion territoriale figure bien dans les conclusions du Conseil. N’ayant pas à ma disposition l'ensemble des chiffres, je rappellerai simplement que la politique de cohésion bénéficiera, pour la période 2007-2013, d’un montant total de 350 milliards d’euros. Toutefois, je suis dans l’incapacité de vous préciser les sommes restant à dépenser dans le cadre des fonds de cohésion d’ici à cette échéance. Je vous transmettrai donc cette information par écrit.

Concernant l’UPM, vous connaissez la situation aussi bien que moi. Elle a été en quelque sorte l’otage, depuis deux ans, de la situation israélo-palestinienne. Vous l’avez rappelé, le sommet qui devait se tenir au mois de juin a été reporté, notamment en raison des événements liés à la fameuse flottille qui faisait route vers Gaza. Pour répondre plus avant à votre question, il faudrait entrer davantage dans l’analyse, mais nous sortirions alors du cadre de notre débat.

Je connais bien le sujet, puisque j’ai mené, à Barcelone, la négociation sur la question de l’eau, pour laquelle nous avons trouvé des solutions techniques. À l’heure actuelle, les discussions n’avancent pas, car le désaccord politique est majeur entre le groupe arabe et Israël.

Au nom du Gouvernement, mais aussi à titre personnel, je peux vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’UPM, cette maison commune, cette architecture indispensable entre les deux rives de la Méditerranée est irréversible. Elle se fera.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Simplement, depuis deux ans, force est de constater que sa construction a été ralentie par les événements.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite revenir sur l’Agenda 2020, afin d’exprimer toute ma préoccupation au sujet d’un texte confus et redondant, pour tout dire mal ficelé : y figurent, en filigrane, un certain nombre de politiques, dans le domaine notamment de l’énergie, de l’innovation et de la recherche, ainsi que de la mobilité internationale.

Mais c’est l’absence de tout plan de financement qui m’inquiète. J’ai d’ailleurs posé cette même question à votre collègue allemand cet après-midi. La situation est d’autant plus préoccupante que la majorité des États pratique aujourd’hui une politique de déflation et de réduction des budgets. Or je crains que l’on ne transpose cette mauvaise idée au budget communautaire, ce qui me conduit à vous interroger sur les perspectives financières de l’Union. Son prochain exercice financier sera-t-il maintenu à 1 % du PIB européen ? Nous n’en savons rien, ni la Commission ni le Conseil n’ayant évoqué la question.

L’Agenda 2020 risque fort de connaître un sort encore plus fâcheux que le précédent, ce qui aurait un effet politique désastreux, de nature à désespérer tous ceux qui ont placé leur espoir dans l’Europe. La stratégie de Barcelone a été un échec, et il me semble que nous nous préparons au même scénario.

Je souhaite également connaître, monsieur le secrétaire d’État, la position du Gouvernement sur la proposition de M. Lamassoure, lequel plaide en faveur d’un congrès ou d’une convention européenne pour traiter les problèmes de financement et d’articulation entre les budgets nationaux et communautaire.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Yung, vous avez en effet soulevé la question du financement cet après-midi. Au demeurant, vous avez raison de pointer du doigt les difficultés, tant il s’agit d’un vrai sujet stratégique pour la France, à la veille des négociations sur ce que l’on appelle pudiquement les perspectives financières.

Il convient de réfléchir à ce que sera, concrètement, le budget de l’Europe à partir de 2013 : représentera-t-il, comme c’est le cas actuellement, 1 % du PIB européen, c’est-à-dire 135 milliards d’euros environ, ou bien sera-t-il augmenté ?

La France, par exemple, souhaite conserver à l’avenir une politique agricole européenne. Elle considère, d’ailleurs à juste titre, que c’est une arme stratégique pour l’Europe, surtout dans la perspective d’une planète comptant 9 milliards d’êtres humains, qu’il faudra nourrir, et face à des États-Unis qui, eux, subventionnent leur agriculture. Il serait suicidaire d’abandonner la nôtre, d’où la nécessité de prévoir les crédits nécessaires. Parallèlement, une demi-douzaine d’États européens ne veut plus dépenser un sou en la matière, jugeant préférable de mettre l’argent ailleurs, notamment dans les technologies nouvelles, l’environnement, la recherche ou la génétique.

Par conséquent, l'Union européenne doit s’interroger sur les politiques qu’elle entend promouvoir.

En matière de recherche, de diplomatie ou de défense, tout a un coût et les questions ne manquent pas : quel service d’action extérieure européen envisager ? Voulons-nous vraiment des satellites d’observation antimissiles ? Finalement, comment gérer l'ensemble des priorités ?

Aujourd'hui, nous avons beaucoup de mal à financer les programmes de recherche fondamentaux.

Il en est ainsi du projet ITER, qui a pris du retard et suscite de vraies bagarres. J’espère beaucoup que nous aurons le soutien déterminé, sur ce dossier essentiel, de nos partenaires allemands. La question a d’ailleurs été évoquée tout récemment.

Si l’ITER, plutôt que d’être implanté en France, devait l’être au Japon ou en Corée du Sud, ce serait une catastrophe non seulement pour notre pays, mais aussi pour l’Europe. Il s’agit là du plus grand programme de coopération scientifique au monde, et ses retombées industrielles seront considérables. Or, à ce jour, nous ne disposons pas des fonds nécessaires à sa réalisation.

J’ajoute que la Commission a beaucoup de mal à gérer des programmes d’une telle ampleur. Si, a contrario, la politique spatiale est un succès, c’est précisément parce qu’elle relève d’une agence intergouvernementale spécialisée, l’Agence spatiale européenne : celle-ci travaille, certes, aux côtés de la Commission européenne, mais elle n’en dépend pas.

J’attire donc votre attention sur ce point, monsieur le sénateur : si l’on veut vraiment qu’ITER réussisse, il importe qu’il soit confié à des professionnels, et non aux commissaires. Je m’empresse de dire que je n’ai rien contre ces derniers ni, d’ailleurs, contre la Commission, mais la réussite de tels dossiers dépend de la manière dont ils sont « managés ».

Je vous parle avec mon cœur et ma tête : je forme le vœu que ce programme soit couronné de succès, mais, comme vous l’avez souligné, monsieur Yung, se pose alors la question de son financement et des moyens que la France, notamment, est prête à y consacrer.

Lorsque ce programme a été lancé, j’avais rencontré M. Lamassoure, le président de la commission des budgets du Parlement européen, pour étudier avec lui les implications d’un tel projet. À cet égard, j’ai toujours fait en sorte d’associer les parlementaires membres des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat à ces rencontres, car il est temps que les élus et le pouvoir exécutif agissent de concert.

Dans un premier temps, la France doit dire ce qu’elle veut et fixer le montant des moyens financiers qu’elle est prête à engager. Dans un second temps, nous étudierons avec nos partenaires et avec les instances européennes les modalités pratiques de réalisation de ce projet.

Si je ne me trompe pas, M. Lamassoure est favorable à la création d’un impôt européen,…

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. … afin de dégager des marges de financement. Je crois d’ailleurs savoir que certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ne seraient pas défavorables à une telle perspective. Les termes de ce débat, dont les enjeux sont politiques, sont les suivants : devons-nous nous en tenir à un système contributif – pour résumer, les États versent de l’argent à un pot commun – ou bien voulons-nous autoriser l’Union européenne à lever un impôt ? Ce sont là deux perspectives différentes, et je me garderai bien de trancher la question ce soir. Quoi qu’il en soit, nous devons être capables de relever les défis auxquels nous sommes confrontés.

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le secrétaire d'État, il est surprenant que des termes forts tels que « commerce extérieur », « industrialisation » et même « mondialisation » soient absents de l’Agenda 2020. L’impression prévaut ainsi que de grands continents tels que l’Asie – avec la Chine et l’Inde –, l’Amérique latine ou des pays comme les États-Unis sont ignorés, ce qui paraît quelque peu surréaliste. Or la mondialisation tend précisément à faire émerger ces grands continents.

La moitié seulement des États européens sont membres de l’Union européenne. Il est donc pour le moins curieux que l’Islande soit l’unique pays du continent auquel s’intéresse la politique extérieure européenne.

En dépit des réunions régulières qui sont organisées entre l’Union européenne et la Russie, nos relations avec ce pays ne peuvent se limiter à une politique de bon voisinage : il faut aller beaucoup plus loin qu’un simple partenariat stratégique ! Ces remarques valent tout aussi bien pour l’Ukraine, la Biélorussie et les pays d’Asie centrale. Nous devons avoir conscience que ces pays sont en déshérence par rapport au continent européen. Ne nous effaçons pas devant ceux qui tendent à nous supplanter : dix ans, cela passe très vite !

En réalité, j’ai le sentiment que notre réflexion sur la stratégie 2020 nous enferme sur nous-mêmes, alors qu’il serait nécessaire de voir plus loin. L’Islande est peut-être une solution, mais elle n’est pas la seule.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je rappelle que, le 16 septembre prochain, se tiendra un Conseil européen consacré aux relations de l’Union européenne avec ses grands partenaires.

L’Islande n’est pas un cas anecdotique. La France est membre observateur du Conseil Arctique, où, notamment grâce à Michel Rocard, elle porte la voie de l’Europe. Au cours des dix à quinze prochaines années, cette zone deviendra hautement stratégique sur les plans de l’énergie et des transports.

J’accompagnais hier le Premier ministre dans le nord de la Norvège, où, en collaboration avec les Norvégiens et les Russes, nous allons développer le champ de Stockman, qui est essentiel pour l’équilibre énergétique de l’Europe.

L’Islande, au même titre que le Danemark et le Groenland, sont nos partenaires dans la zone arctique. Je n’oublie pas la Norvège, qui n’est pas membre de l’Union européenne. Dans la mesure où, c’est un fait, les riverains de l’Arctique aiment bien rester entre eux, a nous de trouver notre place !

Quant aux relations de l’Union avec l’Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie et les trois pays du Caucase, elles sont régies par ce qu’on appelle le « partenariat oriental », qui fonctionne de manière satisfaisante, même si je reconnais qu’il pourrait être amélioré. Il n’en demeure pas moins que l’Europe a une vraie stratégie. Nous travaillons en étroite coordination avec les Allemands, les Britanniques, notamment sur l’Ukraine, et cela marche plutôt bien.

M. Yves Pozzo di Borgo. Je parlais de l’Europe !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Mais le partenariat oriental, c’est la politique commune européenne déclinée dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité de l’Union, sous la coordination de Mme Ashton, de M. Füle et des États ! En revanche, vous avez raison de regretter la présence insuffisante de l’Europe en Asie centrale, où elle ne dispose que d’un seul représentant spécial, et sans doute conviendrait-il de faire plus.

Quant à la Russie, c’est un pays ami et un partenaire de l’Union européenne.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. L’Europe travaille en concertation avec elle sur des sujets aussi passionnants que le devenir de Kaliningrad, enclave russe située en Europe, la coopération économique ou politique.

Ce matin encore, je recevais un dignitaire russe pour parler de l’accord UE-Russie sur la réciprocité en matière de visas.

Nous sommes prêts à aller très loin. Ainsi, voilà quelques mois, la France a refusé de considérer a priori que la Russie devait être placée sous embargo en matière d’armements. Cette position était assez courageuse tant il était difficile de la justifier auprès des États baltes et de la Pologne. Toujours est-il que l’idée d’une plus grande coopération fait son chemin, à telle enseigne que nous étudions avec nos amis russes la possibilité de remplacer leurs forces qui stationnent en Transnistrie par des forces de paix euro-russes. Je suis très confiant et je pense que nous parviendrons à une solution.

Pour autant, monsieur Pozzo di Borgo, nous ne sommes pas aveugles. La France et l’Allemagne sont pilotes dans la définition de la politique européenne à l’égard de la Russie, ce que les Russes savent parfaitement.

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le secrétaire d'État, j’ai bien conscience que la stratégie 2020 est d’une très grande importance. Néanmoins, j’aurais aimé que vous vous exprimiez sur certains autres points de l’ordre du jour du prochain Conseil européen, notamment celui qui concerne les objectifs du Millénaire pour le développement, lesquels seront ensuite soumis au sommet des Nations unies prévu le 10 septembre 2010.

Comme vous le savez, le Conseil Affaires étrangères du 14 juin dernier n’a pas repris les propositions de la Commission européenne, en ce qui concerne tant la fixation des calendriers que la mise en place des mécanismes de révision des engagements des pays. Cette attitude de retrait nous inquiète beaucoup.

Le Président de la République a promis d’augmenter l’aide publique au développement, l’APD, de la France. Comptez-vous, lors de ce prochain Conseil et lorsqu’il s’agira de définir les objectifs du millénaire pour le développement, respecter la promesse de consacrer 0,7 % de la richesse nationale à l’APD d’ici à 2015 ? D’autres pays européens ont d’ores et déjà atteint cet objectif.

Entendez-vous officialiser cet engagement, par exemple en l’inscrivant dans une loi de programmation qui pourrait être présentée au Parlement d’ici à l’automne ?

Tout à l’heure, vous déclariez que la transparence était un impératif, ce en quoi je suis tout à fait d’accord. À cet égard, allez-vous alors soutenir la proposition d’évaluation de l’APD telle que l’a formulée la Commission européenne ?

Vous avez rapidement abordé tout à l’heure la question de la lutte contre la pauvreté. Vous nous avez expliqué que celle-ci serait intégrée dans la déclaration du Conseil européen, ajoutant que personne ne pouvait s’opposer à une telle mesure. Dans le même temps, vous vous êtes déclaré favorable à la définition de stratégies industrielles et économiques.

Monsieur le secrétaire d'État, j’aimerais que vous nous apportiez quelques précisions. Si ces stratégies industrielles consistent à introduire plus de flexibilité, une concurrence toujours plus libre et non faussée, le libre-échange, à développer les CDD, ce dont a parlé M. Chevènement, à accroître la pression sur les salaires, évoquée par Michel Billout, vous comprendrez que nous n’approuverons ni cette politique ni ces propositions. Nous préférerions que l’Europe se dote d’outils lui permettant, sur le plan social, d’aller vers le haut et non vers le bas.

Je regrette, pour conclure, que vous n’ayez pas eu le temps de nous parler d’un autre point qui sera à l’ordre du jour du Conseil, à savoir l’évaluation de la mise en œuvre du pacte européen sur l’immigration et l’asile. Cette question concerne des femmes et des hommes en grande difficulté.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Madame David, dans ce modeste secrétariat d’État, il faut être omniscient tant les sujets traités sont variés. Moi aussi, j’aurais aimé que nous évoquions les questions d’immigration et d’asile, qui concernent l’Europe et nos concitoyens. Ces questions méritent un vrai débat, entre gens responsables, et ne doivent pas se réduire à l’échange de noms d’oiseaux.

Je ne peux que souscrire à votre volonté de préserver notre modèle social, sur lequel portait la seconde partie de votre question. La spécificité européenne tient à son modèle social, unique au monde. En ce moment, l’Europe est confrontée à une grave dépression à la fois démographique et économique. Notre croissance économique est douze fois inférieure à celle de la Chine et sept fois inférieure à celle de l’Inde. Dans ce domaine, avec 1,5 point de croissance pour la France et l’Allemagne et encore moins pour les autres pays, le moins qu’on puisse dire est que nous ne faisons pas la course en tête.

Surtout, notre faible croissance démographique rend très difficile la préservation de notre modèle social. Si l’on comptait six travailleurs pour un pensionné, nous ne serions pas contraints de réformer notre système de retraite !

Tout à l’heure, M. Chevènement, que j’écoutais avec bonheur, refaisait le débat sur la ratification du traité de Maastricht. Il disait sa préférence pour les monnaies nationales, estimant que la création de la monnaie unique était une erreur. Or les pays de l’Union qui ont conservé leur monnaie nationale ne sont pas bien vaillants. Si les Islandais sont candidats à l’Union européenne, ce n’est pas un hasard ; si les Britanniques ont à cœur, bien qu’ils n’en fassent pas partie, que les pays de la zone euro solutionnent leurs problèmes, c’est qu’ils savent parfaitement qu’ils ne peuvent pas faire cavalier seul.

La Norvège, où je me trouvais hier, a beau être riche de son pétrole et de son gaz – ce pays de 4 millions d’habitants dispose d’un fonds de réserve de 400 milliards d’euros ! –, elle sait fort bien que son sort est lié à celui de la zone euro.

Si, pour vous, la solution pour lutter contre les délocalisations consiste à rétablir les monnaies nationales et à maintenir envers et contre tout un système qui n’est pas finançable, alors permettez-moi de vous dire que vous ne ferez qu’amplifier et accélérer les délocalisations.

Madame David, savez-vous combien la France compte de travailleurs frontaliers ? Ils étaient 100 000 voilà dix ans ; ils sont désormais 320 000 ! Ces travailleurs partent non pour le Vietnam ou la Chine, mais, pour la majorité d’entre eux, pour le Luxembourg et la Suisse – deux pays très riches à monnaie forte –, et également pour l’Allemagne et la Belgique. Savez-vous ce qui les motive ? Ils sont payés 50 % de plus ! Cherchez l’erreur !

Tout se joue dans la différence qui existe entre les niveaux de fiscalité et les contraintes sociales qui pèsent sur les entreprises. Libre à vous, madame, d’accroître ces contraintes et de choisir une voie solitaire vers la croissance, mais ne soyez pas étonnée du résultat ! Après tout, nous sommes en démocratie !

Pour ma part, je tiens compte des réalités. C’est pourquoi j’estime que nous devons nous engager dans une politique concertée de croissance pour aller chercher ce point de croissance qui nous manque. Et nous l’obtiendrons non pas grâce à notre démographie, mais grâce à nos spécialités technologiques, grâce à ce qui fait la force de l’Europe, sa valeur ajoutée. Il nous faut donc investir dans la recherche, dans les technologies de pointe et harmoniser autant que possible les règles fiscales et sociales pour permettre à l’industrie et à la recherche de coopérer pleinement. Tel est l’objectif d’un gouvernement économique, lequel n’est aucunement synonyme de nivellement par le bas.

En ce qui concerne le dispositif d’aide publique au développement, il a donné lieu à quelques divergences avec certains pays, notamment avec les États nordiques et la Grande-Bretagne qui souhaitaient instaurer un système triennal alors que nous manquions de la visibilité nécessaire.

L’Europe, qui produit 30 % du PIB mondial, fournit 56 % de l’APD. La contribution de la France devrait se situer au niveau intermédiaire de 0,51 % du revenu national brut en 2010. Nous n’atteindrons donc pas l’objectif de 0,70 %, j’en conviens, et nous ne nous inscrivons pas dans une vision triennale, mais je n’ai pas pour autant l’impression que nous soyons parmi les plus mauvais, loin de là.

J’ajoute que les fonds de l’aide publique au développement sont désormais communautarisés. Ils portent l’empreinte du drapeau européen. Et bien souvent – je le dis comme je le pense –, lorsque la France veut engager une action à titre national, parce qu’elle traverse une crise ou parce qu’elle pourrait y trouver un intérêt politique, elle ne peut plus le faire, faute d’argent. Il s’agit là d’une vraie question, qui mériterait que nous y réfléchissions ensemble.

En ce qui concerne l’après-2013, je souhaite ardemment que l’Europe puisse intervenir au nom de tous les États et qu’elle dispose ainsi d’une réelle force de frappe en matière d’aide au développement. Elle fournit la moitié de la totalité de l’aide que reçoit la Palestine, et 30 % de cette aide va à Gaza. Je considère toutefois que la France doit conserver ses propres moyens d’action.

Il faut donner un sens politique à l’aide au développement et fédérer son emploi à l’échelon européen : c’est le rôle de Mme Ashton. Sur ce point, il nous reste des progrès considérables à accomplir, madame David.

Il ne s’agit donc pas de comparer deux pourcentages – 0,51 % versus 0,70 % –, il faut savoir qui décide de dépenser les fonds de l’APD, de quelle manière et à quelles fins. Et croyez-moi, ce sujet mérite un vrai débat !

M. le président. Mes chers collègues, je me dois, vous le savez, de suspendre la séance à vingt-trois heures cinquante-cinq. Je vous invite donc à un effort de concision.

La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le secrétaire d’État, je suis surpris de vous entendre dire que je veux revenir aux monnaies nationales. Je n’ai jamais prétendu cela !

Aujourd’hui, la monnaie unique est une réalité. Je pointe simplement son vice de conception. La zone euro, hétérogène, est loin d’être optimale. L’euro lui-même est fragile et nous devons en conséquence nous préparer à faire face à toutes les hypothèses. Je ne dis rien d’autre !

À la vue de votre bilan, vous devriez faire preuve d’une plus grande humilité. J’aimerais que ceux qui sont responsables de la situation difficile que nous connaissons s’abstiennent aujourd’hui de proposer des remèdes, de monter à la tribune et de parler d’autorité, comme s’ils avaient la science infuse, parce que ce n’est pas vrai. Soyez donc un peu plus modeste !

J’ai également été surpris de vous entendre parler de l’augmentation du budget européen alors que tous les États s’efforcent de comprimer leurs budgets nationaux. Et une augmentation, pour quoi faire, et selon quelles modalités ?

Vous avez évoqué le lancement de satellites d’observation antimissiles. Mais est-ce de la compétence de l’Union européenne ? À ma connaissance, nous n’avons pas encore pris la décision de construire un bouclier antimissiles, en dépit des souhaits de M. Rasmussen, le secrétaire général de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. Le prochain sommet de l’OTAN donnera lieu à une discussion sur le concept stratégique, mais nous ne sommes pas là dans le cadre du budget européen. Et la France ne prévoit, pour le moment, que des crédits d’études à l’horizon 2020.

Gardons à l’esprit que l’enveloppe financière est limitée, que l’on ne peut pas tout faire à la fois. Pour l’heure, la dissuasion remplit son office. Non seulement un bouclier antimissiles, placé forcément sous contrôle américain, serait onéreux, mais il serait également très aléatoire, et vous le savez aussi bien que moi. Cela ne marche pas à tous les coups, si je puis m’exprimer ainsi.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Chevènement, si j’ai mal compris ou dénaturé votre propos, je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Vous me dites que vous êtes aujourd’hui en faveur de la monnaie unique. Dans ces conditions, tout va bien !

Par ailleurs, permettez-moi de vous rappeler que c’est Pierre Bérégovoy qui a négocié, pour la France, le traité de Maastricht. Cette œuvre, c’est donc aussi celle de la gauche. Nous l’avons reprise et continuée. Vous me dites d’être humble, mais je ne fais que reprendre cet héritage.

À l’époque, notre pays défendait la ligne d’un gouvernement économique de l’Europe. C’est le pacte de stabilité qui l’a finalement emporté et l’on en a alors moins parlé.

M. Jean-Pierre Chevènement. Ce n’est pas dans le texte du traité !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Non, mais si vous relisez l’histoire de la négociation du traité…

M. Jean-Pierre Chevènement. Je la connais aussi bien que vous !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Beaucoup mieux, même, puisque vous y avez participé !

Vous me demandez de faire preuve d’humilité. Je ne prétends pas que ce que nous avons fait est formidable. Nous avons dû gérer la pire crise économique que nous ayons connue depuis 1929 ; selon moi, nous avons fait au mieux pour l’amortir, pour relancer l’économie. D’ailleurs, la France ne s’en sort pas si mal puisque nous avons connu une année de croissance négative proche de 2 %, contre 5 % en Allemagne et au Royaume-Uni.

Nous atteignons aujourd’hui une croissance positive de 1,5 %, ce qui n’est pas si mauvais, mais avec des déficits importants, je l’admets, d’où les efforts que nous engageons pour les réduire.

Lorsque l’on évoque le décalage de compétitivité entre la France et l’Allemagne, il ne faut pas oublier – vous l’avez d’ailleurs rappelé – que les règles que M. Hartz présentait à M. Schröder, qui les a appliquées, en matière de compression du coût du travail, d’allongement de la durée du temps de travail, d’efforts de flexibilité, ont permis de renforcer la compétitivité de l’Allemagne sur les marchés extérieurs. En dix ans, le coût du travail a augmenté de 5 % en Allemagne contre 25 % en France, parce que nous avons connu durant cette période M. Jospin, Mme Aubry et les 35 heures. Voilà la réalité !

Mme Annie David. Il est injuste de parler ainsi du coût du travail. Il faut aussi tenir compte de la productivité et de tout le reste !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Je ne veux pas faire de politique politicienne, mais force est de constater que cela fait partie de l’héritage !

En ce qui concerne le budget, l’Europe pourrait, après 2013, décider de nourrir la politique de défense commune par des projets communs. L’Agence spatiale européenne conduit, par exemple, des programmes sur la météorologie, sur la navigation ou sur la protection de l’environnement, mais pas sur la défense. Or, l’essentiel du budget spatial américain est, vous le savez, « drivé » par la défense.

Si l’Europe veut, demain, avoir une politique de défense commune, donc d’observation satellitaire commune, d’alerte précoce en matière de frappe de missiles – je ne parle pas d’interception –, elle devra lancer des programmes communs et sans doute étendre leur financement à tous les États au lieu de ne s’appuyer que sur deux ou trois pays. Dans cette hypothèse, les crédits qui permettraient à l’Europe de se doter d’une vraie capacité de défense pourraient s’inscrire dans un budget communautaire.

Monsieur Chevènement, je n’ai pas voulu me prononcer sur l’opportunité de choisir, ou non, une telle option. Il ne s’agissait que d’un exemple. Je considère toutefois que cette question mérite d’être discutée. Je n’ai pas davantage fixé d’objectifs chiffrés. J’ai simplement dit que la représentation nationale et les partis politiques sont en droit de s’emparer de ce dossier et de décider quels crédits l’Europe doit gérer à partir de 2013, et comment.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Faute de temps, je ne poserai pas la question que j’avais préparée.

Je tiens à remercier M. le secrétaire d’État pour la qualité de ses réponses et je me félicite de l’honnêteté intellectuelle qui a présidé à ce débat.

Je me réjouis également de l’architecture de ce débat, laquelle a été décidée en conférence des présidents.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. J’ai eu du mal à m’y faire au début !

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Mais vous vous y êtes adapté très vite ! Cette architecture est très réactive, très participative. J’observe toutefois que, si les débats préalables à un Conseil européen avaient lieu dans l’après-midi, à quinze ou seize heures, un plus grand nombre d’entre nous pourrait y participer. C’est le seul souhait que j’émettrai de nouveau en conférence des présidents.

Quoi qu’il en soit, cette journée du 15 juin est à marquer d’une pierre blanche puisque, voilà quelques heures, au Palais-Bourbon, les commissions des affaires européennes du Sénat et de l’Assemblée nationale ont pu écouter les deux ministres des affaires européennes du couple franco-allemand.

Il s’agit certes d’une politique des petits pas, mais elle nous permet de nous rapprocher, tout doucement, de la gouvernance économique dont la France a réellement besoin, et je tenais à vous en remercier, monsieur le secrétaire d’État.

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable au conseil européen des 17 et 18 juin 2010.

12

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 16 juin 2010 :

À quatorze heures trente :

1. Débat sur les retraites.

À vingt et une heures trente :

2. Débat sur les conséquences de la tempête Xynthia.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)

Le Directeur adjoint

du service du compte rendu intégral,

FRANÇOISE WIART