M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah ça !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si l’on en croit le Président de la République, l’Assemblée nationale devrait « régler les problèmes ». Voilà une piètre conclusion d’un débat essentiel pour les collectivités territoriales, auxquelles, il faut le dire, nous sommes les uns et les autres en quelque sorte redevables, quelle que soit notre orientation !

Je vous demande donc, à mon tour, de retirer ce texte, de prendre conscience du fait que vous êtes en train de produire une espèce de monstre qui sera difficilement applicable et certainement remis en cause.

Il serait peut-être sage de se pencher sur un autre projet de réforme des collectivités locales, dont nous pourrions saisir nos concitoyens et qui pourrait déboucher sur une nouvelle phase de décentralisation démocratique qu’ils appellent de leurs vœux tant ils sont attachés à leurs collectivités.

À l’évidence, nous voterons contre ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin.

M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le travail n’est pas achevé.

Il est clair que ce débat est, en grande partie, décevant. Nous attendions une nouvelle étape majeure de la décentralisation ; certains ont même parlé d’acte III. C’est un aspect très important.

Ne croyons pas que notre pays sortira mieux de la crise par la concentration et la recentralisation à laquelle nous assistons actuellement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Je suis convaincu que la décentralisation, parce qu’elle rapproche la décision du citoyen, qu’elle fait vivre les territoires, qu’elle humanise les décisions, est une ligne d’avenir pour notre pays.

Naturellement, sa réalisation est une tâche difficile et complexe. C’est pourtant un cap qu’il faut garder, mais on a le sentiment que, dans ce texte, comme dans d’autres, il n’est plus prioritaire.

Aussi, et je le dis avec la conviction de ceux qui, dans ce pays, sont de la race des girondins, je trouve que, très souvent aujourd’hui, on entend fortement les jacobins.

Néanmoins, ce texte comporte une orientation qui, me semble-t-il, peut être positive. Le problème, c’est qu’elle n’est pas achevée. Elle repose, dirai-je, sur un pari et un projet.

Le pari, c’est le conseiller territorial. Très sincèrement, le projet du conseiller territorial peut faire avancer la décentralisation. En effet, le conseiller territorial sera un élu qui aura plus de pouvoirs, qui sera, sur le terrain, plus responsable, davantage acteur, plus proche des citoyens et plus à même de les représenter et d’agir pour eux.

Le conseiller territorial sera l’agent unificateur qui permettra de donner plus de puissance à la décentralisation et, au fond, de revenir sur certaines formes de dispersion. L’essentiel de ce texte est de faire en sorte que le conseiller territorial peut être celui qui donne au territoire, à son enracinement, un avenir avec une capacité d’action renforcée.

Je suis heureux que l’article 35 ait pu être fondamentalement modifié, car cela n’aurait pas de sens de donner à un conseiller territorial de la puissance si la question des compétences ne donnait pas lieu à un débat. Je l’ai dit, tels que les textes étaient présentés à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale, le débat sur les compétences était escamoté dans cet article 35. Le Sénat a bien fait de reprendre ce sujet et de le renvoyer à une loi sur les compétences.

Permettez-moi, monsieur le président, de citer, de mémoire, un article que vous avez publié dans un grand quotidien du matin, lorsque l’on accusait la décentralisation de coûter trop cher en termes d’élus. Vous aviez alors indiqué – les chiffres que je rapporte ne sont peut-être pas tout à fait exacts – à peu près 26 millions d’euros pour le total des indemnités et 22 milliards d’euros pour le total des compétences. Si l’on veut redresser un pays qui a trop de dettes et de déficits et qui a besoin de faire des efforts, auxquels la décentralisation doit participer, il est clair que l’on fera plus d’économies sur les 22 milliards d’euros que sur les 26 millions d’euros !

On ne peut donc faire ces économies que si l’on harmonise les compétences en les structurant, si l’on garde des compétences partagées et, bien entendu, des capacités d’initiative, et si l’on utilise ce que nous avons déjà créé, c'est-à-dire le chef de file dans le cas où les compétences sont partagées.

C’est pour cela que le texte de loi que le Gouvernement doit préparer devrait être un grand projet pour le Sénat, monsieur le président, un texte complexe de clarification des compétences pour l’avenir. Nous avons là une ligne directrice importante.

Par conséquent, grâce au pari, le conseiller territorial, et à l’enjeu, le grand texte sur les compétences, nous avons fait progresser la démarche. Ces deux acquis, en dépit de la longueur et de la difficulté de la tâche, valent la peine de poursuivre dans cette voie.

Je le répète, le travail n’est pas achevé ; il ne le sera pas sans le Sénat. À cet égard, je veux rassurer M. Bel. Ne soyons pas inquiets : bien sûr, l’Assemblée nationale peut avoir le dernier mot, mais personne dans ce pays ne pourra toucher à la décentralisation sans l’accord du Sénat ! D’une manière ou d’une autre, il faudra venir le chercher.

L’accord du Sénat est indispensable à la vie de nos territoires. Soyons apaisés, défendons nos convictions ! Nous n’avons pas atteint tous les objectifs, mais nous pouvons néanmoins considérer que nous avons franchi des étapes importantes. Nous devons continuer le travail. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’issue de nos longs débats, le projet de loi de réforme des collectivités territoriales tel que nous sommes maintenant appelés à le voter n’a pas dissipé la profonde inquiétude des membres du groupe RDSE ; loin s’en faut !

Je ne reviendrai que brièvement sur le déroulement de cette navette, qui a vu l’Assemblée nationale se saisir, avec l’accord enjoué du Gouvernement, des prérogatives constitutionnelles du Sénat.

Nous nous souvenons que, lors de la première lecture, ce même Gouvernement exprima son opposition aux amendements afférents au mode de scrutin, à la carte cantonale ou à la répartition des compétences. Ces amendements, nous disait-on alors, étaient hors sujet car ils étaient l’objet de futurs projets de loi déjà déposés.

Ce qui était impossible hier est subitement devenu possible, les arguments hier défavorables sombrant, par enchantement, dans l’oubli le jour suivant. C’est, à notre sens, un véritable affront fait à notre Haute Assemblée, qui illustre une méthode que nous réprouvons et dont nous avons pu constater l’utilisation avant même la rédaction de ce projet de loi par le Gouvernement.

En effet, faut-il rappeler comment le Sénat a été traité dès la publication des conclusions des travaux d’excellente facture de la mission sénatoriale présidée par M. Belot, qui reste notre repère ? Ce rapport contenait – et contient toujours, du reste – les propositions nécessaires à une révolution douce et consensuelle de notre organisation décentralisée. Il y avait là matière à faire du bon travail et à élaborer un bel ouvrage législatif pour engager une véritable réforme, une réforme qui aurait eu du sens.

Or, c’est ce qui manque cruellement au texte, ou du moins à ce qu’il en reste à l’heure actuelle. Car, au terme de cette deuxième lecture, que reste-t-il de ce projet de loi, si ce n’est un texte détricoté au fil de la discussion : un conseiller territorial sans mode d’élection et sans circonscription après des débats confinant presque à l’absurde, une répartition des compétences renvoyée aux calendes grecques. Bref, ce texte n’a plus aucun sens !

Loin du « big-bang » territorial voulu par le comité Balladur, ce projet de loi constitue selon nous une régression majeure de la décentralisation, qui nous ramènerait presque à la caporalisation des collectivités en vigueur avant 1982.

Messieurs les ministres, à l’évidence votre texte manifeste toute la défiance que vous nourrissez à l’égard de l’autonomie locale, de l’intelligence des territoires et de la démocratie de proximité. Il s’inscrit de fait dans le mouvement général d’appauvrissement des collectivités, illustré par la suppression de la taxe professionnelle mais aussi par la fermeture des services publics de proximité, notamment dans les cantons les plus ruraux.

Symbole de cette régression : le conseiller territorial, véritable hydre à deux têtes appelée à siéger dans deux assemblées délibérantes au risque avéré d’enfreindre le principe constitutionnel de non-tutelle d’une collectivité sur une autre, et pour lequel nous peinons toujours à appréhender les futures circonscriptions d’élection. Étrange dédoublement que celui de ce conseiller à double casquette qui devra à la fois arpenter son canton, au nom de la proximité, et développer une vision stratégique à l’échelle de la région ! Étrange cohabitation également que celle de présidents d’exécutif d’étiquettes opposées siégeant au sein d’une même assemblée ; la clarté et la simplification n’y gagneront certainement pas !

Même si vous ne l’avouez pas, votre projet de loi annonce les prémices de la mort des départements. Nous en voulons pour preuve la création de la métropole : celle-ci regroupera dans une même entité les bassins démographiques et les unités économiques les plus dynamiques, et concentrera de la sorte la part la plus significative des ressources fiscales destinées à financer les transferts de droit des compétences en provenance de la région et du département. De la sorte, la métropole viendra cannibaliser les départements réduits à gérer ce qu’ils peuvent avec des ressources manifestement amoindries. Voici donc la mort programmée et non assumée du département !

Sous prétexte de rationalisation et de simplification, ce projet de loi ne fait en réalité qu’aggraver la lourdeur de notre organisation administrative et remet l’État, par l’entremise du préfet, au cœur de la vie locale.

Je regrette ainsi que nos amendements qui tendaient à rééquilibrer le poids des communes au sein des intercommunalités aient été rejetés. C’est bien le signe d’une défiance manifeste à l’égard d’une gouvernance fondée sur le consensus et qui a pourtant fait ses preuves depuis de nombreuses années. Vous introduisez des clivages partisans là où ils n’ont pas lieu d’être !

Pour conclure, je voudrais rappeler que la majorité des associations d’élus locaux s’est prononcée en défaveur de ce texte ; c’est bien la marque du mécontentement grandissant qui bouillonne dans nos territoires, mécontentement que nous partageons et que nous constatons sur le terrain.

Pour autant, une minorité d’entre nous a décidé d’approuver ce texte, signe du pluralisme de notre groupe. Mais l’immense majorité des membres du groupe RDSE, parmi lesquels ceux qui se réclament de l’opposition, votera contre ce texte avec résolution et détermination, d’abord et avant tout pour combattre l’atteinte intolérable que porte ce projet de loi à la libre autonomie des collectivités territoriales, mais également pour manifester son profond désaccord quant à la forme et à la procédure employées, ainsi qu’aux très mauvaises manières faites à notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, on pourrait penser que le vote auquel nous allons procéder dans quelques instants n’a aucune importance, puisque, d’une certaine manière, on nous a prévenus à l’avance : « Faites ce que vous voulez, de toute façon, c’est à l’Assemblée nationale que l’on décidera de faire ce que l’on voudra ».

M. Philippe Adnot. C’était dans la presse cet après-midi, me semble-t-il.

On pourrait penser qu’un tel vote n’a aucune importance puisque le texte est complètement déshabillé ; c’est un squelette qui n’a plus rien de consistant.

Il me semble au contraire qu’il a de l’importance, car, lorsque vous vous serez prononcés sur ce texte, mes chers collègues, vous aurez chacun votre nom associé au vote que vous aurez émis.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !

M. Philippe Adnot. Or, ce texte étant un assassinat en règle des collectivités locales, et en particulier du département, dans deux ans, dans trois ans, chacun d’entre vous aura à assumer la responsabilité de son vote de ce soir.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chacun devra sortir son carton pour s’expliquer !

M. Philippe Adnot. Au départ, ce texte de loi avait pour objectif annoncé la maîtrise du mille-feuille. En fait, des « couches » supplémentaires ont été ajoutées.

On devait diminuer la dépense. On assistera au contraire à une augmentation, une multiplication des dépenses de fonctionnement. Des assemblées régionales pléthoriques ne peuvent pas faire autre chose qu’entraîner de nouvelles dépenses, et tous nos concitoyens le comprendront aisément.

Aucun des attendus de cette réforme ne sera atteint. Il y a de la part de ceux qui nous ont proposé ce texte un autisme certain, un refus d’écouter, d’entendre ou de tenir compte de quelque observation, de quelque avis que ce soit. En réalité, nous avons en face de nous les non-réformateurs (M. Brice Hortefeux s’indigne.), ceux qui sont arcboutés sur leurs positions et rétifs à tout changement.

Nous, nous sommes les réformateurs ! Nous avons émis des propositions réalistes pouvant faire évoluer les choses. Mais nous sommes face à un système complètement bloqué dont les initiateurs pensent détenir la divine raison et pouvoir imposer leur vision à tous, contre la totalité des élus locaux, la totalité des assemblées, alors que leur raisonnement se trouve en contradiction totale avec toutes les analyses économiques et financières. Voilà où nous mène ce projet de loi !

Mes chers collègues, je voterai contre ce texte, parce que j’ai la conviction qu’il est mauvais pour les collectivités locales et pour notre pays.

Vous voterez comme vous l’entendez, en votre âme et conscience, mais souvenez-vous d’une chose : dans deux ans ou dans trois ans, les citoyens sauront vous juger selon ce que vous aurez voté ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Je n’aurai pas à cette heure la cruauté de vous imposer une très longue intervention sur ce débat ; elle serait d’ailleurs limitée de toute façon par le temps de parole accordé pour les explications de vote et Jean-Pierre Raffarin a exprimé avec force et conviction les raisons qui me portent aussi à voter ce texte.

Je voudrais revenir sur cette seconde délibération, et m’adresser plus particulièrement aux collègues de la majorité dans leur diversité. Nous avons fait du bon travail, un travail lent, difficile, parfois même laborieux, un travail négocié,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous savez qu’il va être remis en cause ?

M. Gérard Longuet. … ce qui n’est pas déshonorant en démocratie, d’autant moins qu’il s’agissait de constituer une majorité et d’apporter ainsi la démonstration que, au Sénat, se bâtissent des textes, des projets de loi, et que nous n’avons pas besoin d’attendre la sagesse ou la compétence d’une autre assemblée dans un domaine pour lequel nous avons une expérience et, pourquoi ne pas le dire, une passion.

Je tiens à l’affirmer, parce que l’intervention du Président du République, que je soutiens et pour lequel j’ai de la sympathie et de l’affection, est dans la droite ligne de son franc-parler, par ce travail collectif, nous apportons la preuve que ce texte est pour l’essentiel la création du Sénat.

Il y a eu des flottements, des hésitations. Quelle a été notre faiblesse ? Que n’avons-nous pas su construire ? Tout simplement le mode de scrutin ! Mais nous le savions depuis le départ : notre assemblée n’est pas en mesure aujourd’hui de dégager une majorité, quelle qu’elle soit, pour construire un mode de scrutin.

Je comprends parfaitement que nos collègues centristes soient attachés à l’introduction d’une part de proportionnelle. Je reste cependant profondément convaincu que celle-ci dénaturerait le rôle même du conseiller territorial, lequel devrait être attaché à un territoire sans dépendre strictement du nombre d’habitants de celui-ci, mais bien du couple formé par la population et la superficie dudit territoire.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tous ceux qui ont été désignés à la proportionnelle sont priés de remettre leur mandat !

M. Gérard Longuet. Nous n’avons pas trouvé de terrain d’entente, mais nous avons consacré les ressorts mêmes d’une réforme qui sera, comme vous l’affirmiez à l’instant, cher Jean-Pierre Raffarin, évolutive.

Nous avons affirmé que la compétence générale est l’affaire des communes, lesquelles sont l’expression d’une démocratie directe fondée sur l’équivalence un homme, une voix, mais qui ont en effet le devoir, dans l’immense majorité des cas, de s’organiser entre elles pour pouvoir exercer leurs compétences.

À la demande du groupe de l’Union centriste et d’une fraction importante du groupe UMP, nous avons revu le point de vue de l’Assemblée nationale. Celle-ci avait estimé qu’il était possible d’évacuer la question de la répartition des compétences ; nous avons estimé au contraire que c’était sans doute prématuré et qu’un rendez-vous législatif dans un délai de douze mois pouvait nous permettre de construire une architecture plus précise, plus complète et, au fond, plus claire. D’ailleurs, le vote même de cette loi prouve et établit que la clause de compétence générale…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il paraît que ça n’existe pas !

M. Gérard Longuet. … des communes a pour contrepartie – et vous avez voté une disposition allant dans ce sens – l’élaboration d’un projet de loi précisant les compétences des départements et des régions.

C’est la raison pour laquelle je suis profondément convaincu que le texte que nous allons transmettre à l’Assemblée nationale est de bonne qualité, même s’il reste incomplet au sujet du mode de scrutin.

En effet, à moins que l’Assemblée nationale ne fasse des propositions qui, en retour, fédèrent le Sénat, c’est aux députés qu’il appartiendra de choisir le mode de scrutin. J’aurais préféré que ce dernier soit issu des travaux de la Haute Assemblée, mais cela n’a pas été possible. Est-il pour autant déshonorant d’avoir parcouru ensemble 90 % du chemin ?

C’est pourquoi vous n’avez pas à être déçus, chers collègues. Jean-Pierre Sueur évoquait tout à l’heure l’idée d’un bateau qui se démembrait à chaque vague,…

M. Jean-Pierre Sueur. C’était une allégorie !

M. Gérard Longuet. … une sorte d’ex-voto, un vœu, non pas pieux mais pervers, de naufrage. Pour filer cette métaphore, je dirais au contraire que ce texte arrive à bon port, avec l’essentiel de l’organisation qu’il prévoit et malgré le constat – mais c’est la nature même de la démocratie –, d’un non possumus sur la question du mode de scrutin.

Nous devons réfléchir ensemble à l’intérêt que nous aurions à mieux travailler cette question en amont pour ne pas la laisser à la seule compétence de l’Assemblée nationale. Après tout, cette incapacité est de notre responsabilité : c’est à nous de constituer des majorités, et nous ne pouvons reprocher à d’autres d’assumer les responsabilités que nous ne sommes pas capables d’endosser nous-mêmes. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Je vais d’abord m’adresser à vous, monsieur le président du Sénat.

Vous avez marqué, dans la période récente, votre intérêt pour la rénovation du Sénat. Le Sénat représente, chacun le sait, les collectivités locales de la République.

M. Raffarin a tenu des propos un peu différents de ceux de M. Longuet à l’instant : comment penser, a-t-il dit, que ce texte puisse arriver au port sans que soit prise en compte la position du Sénat ?

Eh bien, nous verrons, monsieur le président du Sénat, mais, pour notre part, nous estimons qu’il n’y aura pas de rénovation du Sénat si l’Assemblée nationale nous impose, purement et simplement, une position en la matière, conformément à ce qu’a déclaré le Président de la République.

Cependant, le débat n’est pas fini : nous avons encore quelques semaines et même quelques mois devant, et l’avenir est donc ouvert. Ce sont les actes qui parleront…

Je voudrais maintenant m’adresser à nos quatre ministres…

M. Bernard Frimat. Ils ne sont plus que trois…

M. Jean-Pierre Sueur. Ils sont comme les mousquetaires ! (Sourires.)

Comme plusieurs de mes collègues, en particulier Jean-Pierre Bel et Nicole Borvo Cohen-Seat, vous l’ont encore demandé plusieurs fois ce soir, vous devriez tout de même, messieurs les ministres, remettre tout à plat : il vous faut retirer ce texte et écouter ce que disent les élus de ce pays, élus que nous rencontrons chaque semaine dans nos départements.

En définitive, nous avons perçu deux choses : d’abord une obstination à récupérer, à sauver du naufrage ce qui peut l’être, comme vous venez encore de tenter de le faire, mais aussi, dans le même temps, un manque d’enthousiasme assez remarquable. En effet, je ne vous ai pas sentis animés par une vision de la troisième étape de décentralisation.

Je pourrais revenir sur le fait qu’il n’y ait ni seuil, ni mode de scrutin, ni compétence, mais je préférerais pour finir reprendre quelques mots ou expressions que l’on n’a peut-être pas suffisamment employés.

Je commencerai par l’expression « démocratie de proximité ». Nous avons été blessés que, pour justifier ce texte, il ait été tellement dit qu’il y avait trop d’élus et que ces élus coûtaient trop cher.

Nous savons le désintéressement et le dévouement de l’immense majorité des 550 000 élus locaux de ce pays. Non, ils ne sont pas trop chers ! Ils apportent beaucoup à la République et, si on les mettait en cause, ce ne serait pas bien.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Personne ne les met en cause !

M. Jean-Pierre Sueur. Dans le même temps, voilà que vous voulez créer des conseils régionaux pléthoriques, avec 200, voire 300 membres. Comment expliquer, alors que vous prétendez vouloir faire des économies, que vous multipliiez par trois le nombre de conseillers régionaux ?

Je voudrais dire ensuite le mot « association » : les 1 250 000 associations de ce pays s’inquiètent, à bon droit, des conséquences de la réforme.

Je voudrais dire les mots « chômage » et « emploi ». J’ai le sentiment d’un décalage terrible, et même d’être sur une autre planète, car en quoi les dispositions de ce texte vont-elles permettre à nos collectivités d’être plus fortes pour accompagner la création d’emplois et lutter contre le chômage, pour accueillir les entreprises, pour favoriser le développement et la relance ? Voilà un sujet qu’il serait intéressant d’aborder !

Je voudrais dire le mot « justice », car il n’y a rien dans le texte de ce qui devrait être un des aspects essentiels du troisième acte de la décentralisation, à savoir la péréquation.

Il y a trop d’injustices dans nos collectivités, injustices dont souffrent des communes défavorisées du monde rural comme des communes de banlieue. Le projet de loi contient-il une seule mesure qui changera la vie dans les zones défavorisées de nos concitoyens qui voudraient davantage croire en la politique ?

Le dernier mot que j’emploierai est le mot « confiance ». La question est grave, car je ne suis pas sûr que la manière dont le débat se déroule depuis dix jours, et en particulier aujourd'hui, soit de nature à réconcilier nos concitoyens avec la politique.

Il faudra un autre souffle, un autre idéal, quelque chose qui donne du sens à la nouvelle étape dans la voie de la décentralisation et de la liberté locale. Il reste encore beaucoup à faire, et ce texte, hélas ! n’est pas à la hauteur de l’enjeu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Bernard Vera applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas About.

M. Nicolas About. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dès le début de la discussion générale, notre groupe a indiqué que le texte transmis par l’Assemblée nationale ne nous convenait absolument pas. Unanimement, nous avons décidé de défendre six propositions importantes pour une réforme plus juste et plus ambitieuse.

Premièrement, nous avons proposé un mode de scrutin mixte, alliant un scrutin uninominal majoritaire à deux tours et une dose de proportionnelle corrective. Nous continuons à penser que c’était la meilleure manière d’assurer la représentation des territoires et des populations tout en respectant le pluralisme des opinions et la parité.

Au terme de nos débats, aucun mode de scrutin n’est prévu dans ce texte, comme c’était d’ailleurs le cas en première lecture.

M. Nicolas About. Nous faisons aussi le constat qu’il n’y a pas au Sénat de majorité pour adopter un scrutin mixte. Aussi allons-nous explorer d’autres pistes.

Mes chers collègues, cela doit nous pousser à continuer à dialoguer et à rechercher ensemble un mode de scrutin qui garantisse le mieux possible le respect des principes que nous avons tous soutenus en première lecture.

Deuxièmement, nous tenions à ce que la répartition des conseillers territoriaux respecte l’équité régionale. Autrement dit, nous tenions à ce qu’au sein d’une région chaque conseiller territorial représente, certes, un nombre d’habitants, mais aussi un territoire sensiblement identique.

Là encore, nous pensons que le vote qui est intervenu ce soir ne signifie pas que le débat soit clos. Nous souhaitons que le dialogue se poursuive et qu’ensemble nous recherchions une répartition qui concilie véritablement représentation démographique et représentation territoriale.

Troisièmement, nous tenions fermement à ce que l’élection des conseillers territoriaux favorise, conformément à la Constitution, la parité.

Quel que soit le mode de scrutin qui sera finalement retenu, le dispositif d’incitation financière gradué et exigeant que nous avons proposé favorisera l’égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller territorial.

Quatrièmement, nous souhaitions donner un sens aux métropoles en réservant ce nouveau statut à quelques grandes agglomérations au rayonnement international.

Le Sénat a finalement retenu le seuil de 500 000 habitants, en prévoyant que certaines communautés urbaines pourront également devenir des métropoles. Cette évolution ne nous semble pas assez ambitieuse.

On aurait parfaitement pu envisager de conserver un seuil suffisamment élevé tout en retenant peut-être comme exception Strasbourg, compte tenu de sa situation exceptionnelle au cœur de l’Europe.

L’élection des conseillers communautaires par « fléchage » et l’achèvement de la carte intercommunale constituent deux vraies avancées de ce projet de loi.

Cette évolution doit aller de pair avec une modernisation des règles qui encadrent le cumul des mandats.

Notre groupe a donc proposé d’intégrer à la liste des mandats dont le cumul est encadré les fonctions exécutives au sein d’un EPCI et d’en exclure le mandat de conseiller municipal. C’est une disposition pragmatique et moderne dont nous saluons l’adoption.

Enfin, nous avons proposé que, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de ce projet de loi, une loi précise la répartition des compétences des régions et des départements, ainsi que les règles d’encadrement des cofinancements entre les collectivités territoriales.

Nous nous félicitons que cet enjeu essentiel pour les élus locaux et les citoyens fasse l’objet d’un meilleur traitement dans un projet de loi distinct, comme le Gouvernement le prévoyait initialement.

Sur l’ensemble de ce projet de loi, notre groupe a formulé des propositions pour une réforme plus juste et plus ambitieuse. Sur plusieurs points, nous avons exprimé des positions différentes de celles de nos collègues et partenaires de la majorité.

Les débats qui ont eu lieu entre nous sont normaux. Ils sont sains. Ils sont la manifestation d’un Parlement actif, exigeant, animé par la recherche de l’intérêt général et par la défense d’idées et de valeurs.

Je tiens à remercier nos partenaires de l’UMP qui ont permis l’adoption de dispositions que nous estimions tout à fait fondamentales. Nous savons que, sans leur soutien, beaucoup de ces dispositions n’auraient pas été adoptées. Ensemble, nous avons profondément modifié le texte transmis par l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, notre groupe estime que nos travaux ont permis de réelles avancées, même si la réflexion et le dialogue doivent se poursuivre sur des questions importantes.

Parce qu’elle estime que ces avancées, même si elle les reconnaît, ne sont pas suffisantes, une partie de notre groupe s’abstiendra.

Parce qu’elle a le sentiment d’avoir été entendue et d’avoir contribué à améliorer cette réforme, la majorité du groupe de l’Union centriste votera en faveur de l’adoption de ce texte.