Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement découle de tout le débat que nous avons eu sur la garde à vue. Tout le monde était d’accord, me semble-t-il, sur la nécessité de réviser notre législation en la matière, et ce avant même qu’intervienne la décision du Conseil constitutionnel.

Cette décision était d’ailleurs prévisible depuis longtemps puisque la France avait été alertée – pour ne pas dire blâmée ! – par des instances européennes quant à ses conceptions et pratiques concernant la garde à vue.

Chacun reconnaissait donc la nécessité de réviser le système de garde à vue, y compris la garde des sceaux, qui, à l’occasion du débat sur des propositions de lois déposées au Sénat, avait fourni quelques explications et esquissé quelques pistes.

Cet amendement reprend grosso modo les éléments de notre propre proposition de loi portant réforme de la garde à vue et concerne d’abord les mineurs, puis les garanties de la défense des gardés à vue et, enfin, les conditions mêmes de la garde à vue.

On peut prévoir la réponse qui va nous être opposée puisque le Gouvernement, fort opportunément, vient de déposer un projet de loi sur ce sujet. Mais ce projet de loi ne sera pas adopté demain matin ! Or la LOPPSI 2 pourrait être le cadre d’une évolution de la garde à vue et serait même très appropriée puisqu’il faut agir aussi rapidement que possible dans la mesure où, comme l’a observé ma collègue Alima Boumediene-Thiery, il va y avoir de très nombreuses gardes à vue qui ne respecteront pas les exigences mentionnées dans la décision du Conseil constitutionnel.

Le projet du Gouvernement, on l’a vu, tend à réserver l’application de la garde à vue aux personnes suspectées de délits passibles d’emprisonnement. Le débat sur ce sujet avait déjà eu lieu dans notre assemblée : c’est déjà exactement ce qui se passe aujourd’hui ! Et la LOPPSI 2 ne va rien arranger ! Mais, même sans prendre celle-ci en compte, aux termes du code pénal, le vol simple est passible de trois ans de prison ; les chauffards, eux-aussi, encourent des peines de prison… Bref, des peines d’emprisonnement, il y en a autant comme autant ! C’est pourquoi nous souhaitons limiter les mesures de garde à vue aux cas où une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans est susceptible d’être encourue.

Par ailleurs, nous avons également déjà eu ici même un débat avec la garde des sceaux au sujet de l’audition dite « libre ». De quoi s’agit-il en réalité ? C’est une sorte de garde à vue « allégée ». Mais, pour l’intéressé, s’il ne peut pas sortir, c’est la même chose ! C’est pourtant présenté comme une alternative au placement en garde à vue. On est là en pleine hypocrisie puisque la personne qui ne veut pas participer à l’audition libre est mise en garde à vue. Il est clair que cette audition libre permet en fait à la police d’obtenir des aveux avant que l’avocat ne soit présent. Dès lors, l’exigence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Conseil constitutionnel selon laquelle le gardé à vue doit bénéficier immédiatement de la présence de sa défense n’est pas respectée.

Tout cela mérite donc réflexion. Nous aurons probablement l’occasion d’en débattre lorsque le projet de loi sera en discussion, mais je crois que la LOPPSI 2, qui va précisément aggraver les peines, pourrait être l’occasion de faire œuvre de parlementaires, c’est-à-dire d’essayer de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel et, plus largement, de discuter de la condition et des droits des personnes gardées à vue.

M. le président. L'amendement n° 306 rectifié, présenté par M. Collin, Mme Escoffier, MM. Mézard, Baylet, Detcheverry et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :

Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 63-4 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° La première phrase du premier alinéa est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :

« Toute personne placée en garde à vue fait immédiatement l'objet d'une audition, assistée d'un avocat si elle en fait la demande. Son audition est alors différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat. » ;

2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« À l'issue de cette audition, la personne ne peut être entendue, interrogée ou assister à tout acte d'enquête hors la présence de son avocat, sauf si elle renonce expressément à ce droit. Le procès-verbal d'audition visé à l'article 64 mentionne la présence de l'avocat aux auditions, interrogatoires et actes d'enquête, ainsi que les motifs de son absence le cas échéant. » ;

3° Le quatrième alinéa est supprimé ;

4° Le cinquième alinéa est ainsi rédigé :

« L'avocat ne peut faire état auprès de quiconque du ou des entretiens avec la personne placée en garde à vue pendant la durée de cette dernière. » ;

5° Le sixième alinéa est ainsi rédigé :

« Lorsque la garde à vue a fait l'objet d'une prolongation, la personne peut également demander à faire immédiatement l'objet d'une audition, assistée d'un avocat si elle en fait la demande dans les conditions prévues aux premier et troisième alinéas. » ;

6° Le dernier alinéa est ainsi modifié :

a) La première phrase est supprimée ;

b) À la deuxième phrase, les mots : « Si elle » sont remplacés par les mots : « Si la personne » et les références : « aux 3° et 11° du même article » sont remplacées par la référence : « au 11° de l'article 706-73 ».

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Nous avions beaucoup insisté, il y a quelques mois, sur la nécessité de réformer la garde à vue. L’actualité et la décision du Conseil constitutionnel ont démontré qu’il y avait véritablement urgence.

Cette urgence s’intensifie, car nous sommes entrés, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel et d’un certain nombre de décisions de nos tribunaux, dans une période d’insécurité juridique.

Le 7 septembre, Mme le garde des sceaux a indiqué qu’un nouveau projet allait être présenté. Il a été transmis au Conseil d’État.

Pourtant, je crois que cet amendement constitue une piqûre de rappel, faisant d’ailleurs suite à celle qu’avait administrée le président de la commission des lois juste avant l’été, insistant sur la nécessité d’aller vite. C’est une nécessité eu égard à la sécurité, à la justice et au travail de nos policiers. J’ai retiré tout à l’heure un amendement qui pouvait, à cet égard, prêter à confusion : nous ne suspectons aucunement la police de mal faire son travail. Au contraire, la réforme de la garde à vue permettra de lui faciliter les choses.

Nous débattons aujourd’hui d’un projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et nous sommes dans un exercice d’équilibre.

J’ai sous les yeux le communiqué d’un syndicat de police rédigé à la suite de la déclaration du garde des sceaux sur la garde à vue. Ce communiqué, monsieur le ministre, est révélateur de ce climat de rupture et de division que j’ai évoqué, et qui résulte de nombreuses déclarations faites cet été.

Ce syndicat de police voit dans le projet de Mme le ministre de la justice « une conformation hâtive et inutilement servile à une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et déplore que l’activisme du lobby des avocats s’exerce au mépris du droit à la sécurité des plus faibles ». Et de poursuivre : « Si le voyou bénéficie désormais de l’assistance gratuite d’un avocat, la victime, même smicarde, devra en être de sa poche ! »

Ce syndicat de police, monsieur le ministre, est effaré par l’absence de réflexion de fond pour ébaucher une véritable politique pénale française, et cela au moment même où nous discutons de cette loi de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

Cela est très révélateur du climat qui, malheureusement, règne à la fois dans la police et dans l’opinion au regard des enjeux de sécurité. Le ministre de l’intérieur y a malheureusement largement contribué par des propos tout à fait excessifs, utilisant non pas la sécurité, mais la psychose sécuritaire pour diviser nos compatriotes, alors que, j’en suis sûr, nous sommes très nombreux dans cette assemblée à nous trouver d’accord sur l’essentiel.

Si vous le permettez, monsieur le président, afin de gagner du temps, je défendrai également l’amendement suivant.

M. le président. C’est une excellente idée et nous allons donc joindre cet amendement à la discussion commune en cours.

L'amendement n° 307 rectifié, présenté par M. Collin, Mme Escoffier, MM. Mézard, Baylet et Detcheverry, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :

Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 323 du code des douanes est complété par douze alinéas ainsi rédigés :

4. Toute personne placée en retenue peut, à sa demande et sauf circonstance insurmontable, faire prévenir par téléphone, dans un délai de trois heures, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l'un de ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et sœurs ou son employeur de la mesure dont elle est l'objet.

Si l'agent estime, en raison des nécessités de l'enquête, ne pas devoir faire droit à cette demande, il en réfère sans délai au procureur de la République qui décide, s'il y a lieu, d'y faire droit.

5. Toute personne placée retenue peut, à sa demande, être examinée par un médecin désigné par le procureur de la République ou un agent des douanes. En cas de prolongation, elle peut demander à être examinée une seconde fois.

À tout moment, le procureur de la République ou un agent des douanes peut d'office désigner un médecin pour examiner la personne placée en retenue.

En l'absence de demande de la personne placée en retenue, du procureur de la République ou d'un agent des douanes, un examen médical est de droit si un membre de sa famille le demande ; le médecin est désigné par le procureur de la République ou l'agent des douanes.

Le médecin examine sans délai la personne gardée à vue. Le certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l'aptitude au maintien en retenue est versé au dossier.

Le présent article n'est pas applicable lorsqu'il est procédé à un examen médical en application de règles particulières.

6. Toute personne placée en retenue fait immédiatement l'objet d'une audition, assistée d'un avocat si elle en fait la demande. Son audition est alors différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat. Si elle n'est pas en mesure d'en désigner un ou si l'avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier.

Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.

À l'issue de cette audition, la personne ne peut être entendue, interrogée ou assister à tout acte d'enquête hors la présence de son avocat, sauf si elle renonce expressément à ce droit. Le procès-verbal visé aux articles 324 à 327 mentionne la présence de l'avocat aux auditions, interrogatoires et actes d'enquête, ainsi que les motifs de son absence le cas échéant. 

L'avocat désigné peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien. Il est informé par un agent de la nature et de la date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête.

Lorsque la retenue a fait l'objet d'une prolongation, la personne peut également demander à faire immédiatement l'objet d'une audition, assistée d'un avocat si elle en fait la demande dans les conditions prévues aux premier et troisième alinéas du présent 6.

Veuillez poursuivre, monsieur Mézard.

M. Jacques Mézard. Cet amendement vise, quant à lui, les personnes retenues par les services des douanes.

Je ne pense pas qu’il puisse recevoir aujourd’hui un assentiment majoritaire, mais il me semble que nous devrons parvenir à un accord de cette nature dans les semaines ou les mois qui viennent.

Je vous invite d’ailleurs, mes chers collègues, à lire l’avis du contrôleur général des lieux de privation de liberté sur ce qui se passe dans les services des douanes et dans certains centres de rétention. Nous avons là une œuvre utile à accomplir pour la justice et l’image de notre République.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces quatre amendements ?

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ces amendements traitent de la garde à vue et, sur toutes les travées, nous pensons qu’une réforme est nécessaire en la matière.

Néanmoins, après en avoir longuement débattu ce matin, les membres de la commission considèrent qu’on ne peut pas la mener dans le cadre de la LOPPSI, d’autant que Mme le garde des sceaux vient de présenter les grandes orientations d’une réforme plus globale intégrant la garde à vue.

En conséquence, la commission sollicite le retrait de ces amendements. À défaut, elle émettra un avis défavorable, en précisant bien qu’il porte non sur le fond de ces amendements, mais sur le moment où ils nous sont soumis.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Henri de Raincourt, ministre. Le Gouvernement prend évidemment acte de la décision du Conseil constitutionnel relative à la garde à vue. Mais celle-ci est assortie d’un calendrier qui nous permet d’élaborer un texte global et complet sur cette question très importante et très sensible avant le 30 juillet 2011.

Au nom du Gouvernement, et sans entrer dans le fond du texte sur la garde à vue, je veux vous dire, monsieur Mézard, qu’après un travail très approfondi et de nombreuses concertations, un avant-projet de loi est aujourd’hui soumis au Conseil d’État.

La révision constitutionnelle de juillet 2008 ayant introduit des délais dans le calendrier d’organisation des travaux parlementaires, et l’ordre du jour de l’automne étant traditionnellement chargé avec, entre autres, l’examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le projet de réforme de la garde à vue sera présenté dès 2011 au Parlement.

Toutefois, ce sont quatre livres du code de procédure pénale qui doivent être revisités, soit plus de 1 400 articles – Mme le garde des sceaux s’est exprimée à plusieurs reprises sur le sujet –, et chacun sait bien ce que cela représente en termes de travail parlementaire. C’est pourquoi je suis assez étonné que l’on veuille ainsi isoler un texte. Il nous semblerait logique que le Parlement examine simultanément le livre Ier, qui pose les grands principes, avec la partie du livre III relative à la garde à vue. C’est ce vers quoi nous essayons de tendre, afin de pouvoir réaliser un travail sérieux. Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation et, puisqu’il convient de revoir notre système de garde à vue, autant resituer cette réforme dans le cadre plus général de celle du code de procédure pénale.

Je comprends bien les réactions qui peuvent d’ores et déjà émaner de telle ou telle organisation représentative. Mais à partir de quelle version des textes leurs communiqués sont-ils rédigés ?

J’ai le sentiment, après les concertations qui ont été organisées et les arbitrages qui ont été rendus aux plus hauts échelons de l’État, mais aussi après tout le travail qui sera mené, en interne, auprès des différents services qui auront à mettre en œuvre la nouvelle politique en matière de garde à vue, que l’on répondra aux éventuelles inquiétudes ou critiques qui peuvent surgir ici ou là et dont vous vous êtes fait l’écho, monsieur Mézard.

C’est parce que je suis optimiste sur l’évolution de cette importante question qu’il me semble possible, aujourd’hui, de demander aux sénateurs qui ont déposé ces amendements de faire preuve de sagesse en les retirant. S’il devait en aller autrement, je serais naturellement obligé d’émettre, à regret, un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.

M. François Zocchetto. À plusieurs reprises, le Sénat a réaffirmé très clairement son souhait de réformer le régime de la garde à vue, et nous avions dit que nous prendrions l’initiative de déposer un texte à l’automne si rien ne venait.

C’est dire que les éléments communiqués hier par Mme le garde des sceaux sont de nature à nous rassurer et que l’avant-projet de loi transmis hier au Conseil d’État est propre à satisfaire les auteurs de ces amendements.

En effet, ce texte permettra de limiter les gardes à vue en ce sens que seuls les délits et les crimes passibles d’emprisonnement pourront faire l’objet d’une garde à vue, et seuls ceux punissables de plus d’un an d’emprisonnement pourront donner lieu à sa prolongation. En outre, les fouilles à corps intégrales seront proscrites et le droit de garder le silence sera rappelé à chaque personne placée en garde à vue.

Il est également affirmé – c’est la grande nouveauté – que l’avocat pourra assister son client tout au long de la garde à vue, en étant présent pendant les interrogatoires et en consultant les procès-verbaux d’auditions.

Au surplus, cette réforme devrait intervenir rapidement, Mme le garde des sceaux ayant affirmé qu’elle entendait déposer les textes dès l’automne.

En laissant au législateur un délai d’un an, la décision du Conseil constitutionnel a écarté un risque d’insécurité juridique. J’ai tendance à penser que, dans moins d’un an, nous aurons un texte qui donnera satisfaction aux auteurs des trois amendements. En conséquence, je pense, moi aussi, que la sagesse consisterait à les retirer, dès lors que nous avons obtenu des assurances très précises de la part du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.

M. Alain Anziani. Mon point de vue est différent de celui qui vient d’être exprimé. Nous savons tous, depuis des années, que la garde à vue est un scandale ordinaire. Ordinaire en ce que la garde à vue touche beaucoup de monde et peut tous, un jour, nous concerner. On compte 900 000 gardes à vue dans ce pays : c’est sans doute beaucoup plus que le nombre de personnes qui mériteraient de se voir privées de liberté pendant ce laps de temps.

Ce scandale ordinaire a fait l’objet d’une dénonciation sur certaines des travées de cet hémicycle, y compris de la part de M. Zocchetto.

Nous avons toujours considéré que la garde à vue posait un problème constitutionnel. Mais, pendant des années, on nous a répété qu’elle était conforme à la Constitution et aux différentes règles européennes. La vérité vient de tomber : le 30 juillet, le Conseil constitutionnel a annulé quatre articles du code de procédure pénale relatifs à la garde à vue. Que fait-on maintenant ?

J’entends ce que vous dites, monsieur le ministre, mais je remarque que le même régime ne s’applique pas à tous. Lorsque le Président de la République estime que des faits divers commis pendant l’été justifient de modifier la loi, on utilise le premier véhicule législatif venu, en l’occurrence la LOPPSI, pour le faire. On évoque l’urgence et on agit immédiatement.

Or, pour la garde à vue, l’urgence est bien réelle, car, aujourd’hui, et au plus tard jusqu’en juillet prochain, la garde à vue, tout en étant inconstitutionnelle, demeurera légale. C’est quand même rare, dans un pays républicain, que le Conseil constitutionnel déclare une loi non conforme aux grands principes qui sont les nôtres tout en la laissant s’appliquer.

On comprend certes qu’il faille un délai pour modifier la loi, mais il devrait être le plus bref possible, et intervenir avant le début même de l’année 2011.

Certains de nos collègues ont choisi de procéder par voie d’amendements. Nous soutiendrons leur démarche.

Pour sa part, le groupe socialiste, comme il l’avait annoncé dès le 31 juillet, a choisi de déposer une proposition de loi, et le groupe socialiste de l'Assemblée nationale va déposer un texte qui sera sans doute identique.

Au regard des principes que nous y défendons, l’avant-projet transmis par Mme le garde des sceaux au Conseil d’État ne nous satisfait pas complètement. Je souhaiterais d’ailleurs obtenir une précision de votre part, monsieur le ministre. Vous avez affirmé tout à l’heure qu’un nombre considérable d’articles du code de procédure pénale étaient visés par la réforme, ce qui donne à penser que toute la réforme du code de procédure pénale vient d’être transmise au Conseil d'État, et non pas seulement la partie relative la garde à vue, qui doit faire l’objet d’un texte distinct…

M. Henri de Raincourt, ministre. Nous souhaitons toutefois coupler ce texte à la réforme du livre Ier.

M. Alain Anziani. Quoi qu'il en soit, les principes que nous défendons sont les suivants.

D’abord, qui doit décider de la garde à vue ? Si j’ai bien compris Mme le garde des sceaux – mes informations proviennent d’une émission de télévision et sont donc parcellaires –, j’ai l’impression que, dans l’avant-projet, c’est toujours l’officier de police judiciaire qui décidera de la garde à vue. Si tel est bien le cas, nous ne sommes pas d’accord, et nous nous en tenons à cette idée qu’une restriction de liberté doit relever d’une autorité judiciaire, qu’il s’agisse d’un juge ou d’un procureur, à condition que ce dernier soit indépendant.

Ensuite, qui doit subir la garde à vue ? Le fait que seules les personnes passibles d’une peine de prison soient concernées me semble constituer une avancée importante dans les propositions de Mme le garde des sceaux, même si ce n’est peut-être pas l’avancée que nous souhaitions tous. Il faudra expertiser cette proposition et voir si cette peine d’emprisonnement suffit à justifier la garde à vue. C’est un vaste débat.

Enfin, quels doivent être les droits des personnes gardées à vue ? Sur ce point, nous restons encore dans le flou, l’information n’ayant pas encore eu le temps de circuler. Le droit à l’avocat lors des auditions me semble aller de soi. Mais je pense qu’il faudra également affirmer le droit à l’avocat en dehors des auditions. Pour reprendre une expression employée par le bâtonnier du barreau de Paris, la visite de l’avocat ne devra pas être une simple « visite de courtoisie », mais une visite permettant à la personne de préparer sa défense. Cela suppose que l’avocat ait accès au dossier. Nous attendons évidemment des précisions sur les pièces du dossier qui pourront être transmises à l’avocat. Si, notamment, une tierce personne pouvait empêcher l’avocat d’avoir accès au dossier, cela constituerait un point de divergence avec nos propositions.

Nous saluons, dans les annonces qui ont été faites, l’interdiction de la fouille à corps, une pratique que nous n’avons eu de cesse de combattre, ainsi que le rappel du droit au silence.

Enfin, lorsque nous allons réformer la garde à vue, gardons-nous de réinventer pas la même chose sous une autre forme ! On prévoit la possibilité d’une audition « libre ». Mais libre de quoi ? Libre de conseil ? Libre d’avocat ? Libre de connaissance du dossier ? Nous avons déjà eu le traquenard de la garde à vue ; ne tombons pas demain dans un autre piège, en instituant une « garde à vue bis », avec une liberté qui sera sans doute relativement contrainte.

M. le président. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.

M. François Pillet. Mes chers collègues, je pense que nous pouvons parvenir à un consensus sur ce point, en reprenant notamment les termes du raisonnement de François Zocchetto.

À propos de la garde à vue, tout le monde a été choqué par certains événements qui ont amené nos collègues députés et nous-mêmes à intervenir.

Mais, depuis plus d’un an, sur l’initiative de Mme le garde de sceaux, des professeurs, des magistrats et des avocats appartenant à différents syndicats, ainsi que des parlementaires de diverses sensibilités, ont réfléchi.

Mme Alliot-Marie a déposé hier devant le Conseil d'État, non pas un texte qui aurait été rédigé dans la nuit, mais le premier livre de la réforme du nouveau code de procédure pénale.

Je comprends parfaitement que l’on veuille aller vite. Le Conseil constitutionnel, dans sa grande sagesse, a néanmoins pensé qu’il nous fallait tout de même un peu de temps : ce temps, nous devons l’utiliser pour réfléchir à un système cohérent.

Dans cette réflexion, plusieurs questions doivent être posées. D’abord, dans quelles hypothèses la garde à vue peut-elle être envisagée ? Ensuite, qui la décide ? Comment se déroule-t-elle et qui peut intervenir ?

Par ailleurs, un point a été complètement oublié aujourd’hui : qui tranche les incidents de la garde à vue ?

Tout cela n’est pas prévu dans les amendements qui nous sont présentés. Ils vont peut-être dans le bon sens, peut-être même dans le sens du texte qui nous sera soumis, mais il faut que nous adoptions une construction juridiquement cohérente. Or ces amendements ne créent pas une telle construction.

La raison voudrait, me semble-t-il, qu’ils soient retirés puisque, de toute façon, grâce au Conseil constitutionnel, nous disposons d’un délai pour mener une réflexion globale sur ce point.

J’ajoute, pour être tout à fait complet, que l’on ne peut pas réfléchir à la garde à vue sans réfléchir à tout le système d’enquête et les recours devant le juge des libertés et de la détention, le JLD, qui sera peut-être un jour le juge de l’enquête et des libertés.

Telle est la raison pour laquelle je partage le point de vue de François Zocchetto.

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.

M. Alain Fouché. Je suis sensible à un certain nombre d’arguments qui ont été avancés, concernant notamment les excès de la garde à vue. Nous autres avocats sommes probablement les mieux placés pour savoir ce qui se passe dans ce domaine.

Depuis plusieurs mois, nous sommes intervenus les uns et les autres, tous horizons politiques confondus, pour demander une réforme de la garde à vue et nous ne sommes pas étrangers, me semble-t-il, à l’initiative qu’a prise Mme la garde des sceaux.

La sagesse, me semble-t-il, est d’attendre que le texte nous soit soumis, que nous puissions y travailler, déposer des amendements, plutôt que de se précipiter aujourd’hui. C’est pourquoi je soutiendrai la position du Gouvernement dans ce domaine.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne retirerai pas mon amendement. J’ai bien entendu les arguments qui ont été avancés par le Gouvernement et par quelques sénateurs. Le Gouvernement aurait pu, et à mon sens aurait dû, à partir des propositions des parlementaires d’opinions différentes qu’il a eu le loisir d’examiner, décider de réformer la garde à vue indépendamment de l’ensemble de la procédure pénale puisque, de toute façon, il sera obligé de le faire séparément. Or ce n’est pas le cas.

Franchement, on ne peut pas dire aujourd’hui, parce que le Gouvernement vient de déposer un projet de loi dont nous serons amenés à débattre, que nous avons satisfaction et qu’il n’y a plus qu’à nous mettre tous d’accord dans la perspective de l’examen de ce texte, qui interviendra quand le Gouvernement le décidera, en tout cas avant la date limite fixée par le Conseil constitutionnel.

Pourquoi ne pouvons-nous pas être satisfaits ? Parce que, entre-temps, il y aura d’innombrables gardes à vue et que la guerre entre la police et la justice ne pourra qu’augmenter le nombre des annulations de gardes à vue.

De plus, nous ne sommes pas non plus béats de satisfaction devant le projet présenté par le Gouvernement, car il ne nous paraît pas répondre à toutes les critiques qui ont été formulées lors des différents débats que nous avons eus ici.