M. Guy Fischer. Les deux à la fois !

M. Jean-Pierre Godefroy. Allez donc demander à tous les ouvriers de la voirie qui travaillent quel que soit le temps – pluie, vent, neige ou canicule –, dans le bruit des marteaux-piqueurs et les effluves de goudron !

Allez donc demander aux ouvriers postés à la chaîne qui répètent inlassablement les mêmes gestes, portent des charges lourdes et dont le rythme biologique est perturbé parce qu’ils font les 3x8 !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Pierre Godefroy. Allez donc demander aux ouvriers du BTP ou de la construction navale, aux caissières de supermarché, qui soulèvent chaque jour des centaines de kilos de marchandises…

M. Roland Courteau. Effectivement !

M. Jean-Pierre Godefroy. … dans des conditions ergonomiques complètement déplorables, aux marins-pêcheurs, ou encore aux ouvriers agricoles !

M. Charles Gautier. Ils ne connaissent pas !

M. Jean-Pierre Godefroy. Et je pourrais multiplier les exemples.

Que vous le vouliez ou non, il existe des métiers pénibles ! Et si ces salariés doivent partir plus tôt en retraite, c’est non pas parce qu’ils sont inaptes au travail ou malades, mais parce que leur espérance de vie s’en trouve réduite !

M. Jean-Pierre Godefroy. Si l’espérance de vie de la population en général s’est considérablement allongée, comme vous nous le répétez inlassablement, il existe des écarts importants entre catégories sociales, particulièrement élevés si l’on considère l’espérance de vie sans incapacité.

Et ce n’est pas parce que l’on arrive en bonne santé apparente à l’âge de la retraite que l’on va en profiter aussi longtemps et avec la même qualité de vie quelle que soit l’appartenance sociale. Chez les hommes, l’écart à 35 ans d’espérance de vie entre les catégories sociales supérieures et les ouvriers est de 7 ans.

À cet écart de mortalité s’ajoutent des écarts de qualité de vie, mesurée par l’espérance de vie sans aucune incapacité : le cadre supérieur de 35 ans vivra 34 ans sans incapacité tandis que l’ouvrier ne dépassera pas 24 ans.

M. Jean-Pierre Godefroy. Les connaissances scientifiques actuelles l’attestent : le travail peut avoir des conséquences sur la longévité et la qualité de vie au grand âge.

Les travaux du professeur Gérard Lasfargues ont notamment montré que l’espérance de vie et l’état de santé des travailleurs en fin de vie active dépendent des conditions de travail et, plus globalement, de la pénibilité de leur travail. Prendre en compte la pénibilité du travail est donc une question de justice individuelle et de justice sociale tant l’exposition aux différents facteurs de pénibilité est socialement stratifiée.

Mais une fois de plus, monsieur le ministre, vous restez dans une logique purement individuelle, au lieu de privilégier une approche collective et solidaire. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Ainsi, le texte demeure fondé sur la réparation d’un dommage constaté, et non sur la compensation d’un vécu pénible, qui justifierait un départ en retraite avant l’âge d’ouverture des droits de droit commun.

M. Jean-Pierre Godefroy. Ce faisant, il réglera – éventuellement – des cas d’invalidité avérée, mais ne prend pas en considération les pathologies graves mais à effet différé dont les conséquences peuvent être mortelles. Elles sont même souvent mortelles lorsqu’il s’agit des maladies causées par l’inhalation de l’amiante.

M. Jean-Pierre Godefroy. Comme le montre une étude que vient de publier la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, ou DARES, sur « l’exposition des salariés aux maladies professionnelles », qui fait le point sur les 44 000 cas reconnus en 2007, nous pourrions même nous retrouver dans une situation surprenante : cette étude confirme en effet que l’approche par l’incapacité, qui a été choisie, couvre paradoxalement beaucoup de pathologies qui sont invalidantes alors qu’elles ne touchent pas l’espérance de vie, et une part limitée de pathologies qui, elles, diminuent la durée de vie à la retraite.

Voilà qui démontre que, sur cette question, vous faites erreur.

M. Roland Courteau. Effectivement !

M. Jean-Pierre Godefroy. En fait, on peut même se demander si derrière ce brouillard de mots et plusieurs articles consacrés au sujet, au lieu d’une reconnaissance de la pénibilité, l’on n’est pas plutôt en présence d’un début de contournement de la législation relative aux accidents du travail et maladies professionnelles, ou AT-MP.

En effet, le système proposé, qu’il s’agisse de la prévention ou de la réparation conditionnée par une incapacité permanente de 10 %, est un « copié-collé » de celui qui concerne les AT-MP, et notamment les maladies professionnelles. Le texte du projet de loi emploie d’ailleurs plusieurs fois l’expression « exposition aux risques professionnels », utilisée habituellement dans la législation relative aux AT-MP, et non les mots « exposition à des travaux ou situations pénibles ». Il ne saurait s’agir d’un hasard.

Au lieu d’être assorti de la désagréable obligation de réintégration et de reclassement après que la maladie a été reconnue, le dispositif proposé prévoit, pour des salariés usés, des sorties progressives par temps partiel ou tutorat, et des compensations en temps et en numéraire.

De plus, rien n’est prévu pour les maladies à effet différé, dont l’explosion a commencé et va se poursuivre, ce qui engendrera à terme des coûts importants. Le projet de loi ne comporte donc pas vraiment une reconnaissance de la pénibilité, mais une anticipation des désagréments qui pourraient en résulter pour l’employeur, particulièrement si sa faute inexcusable était reconnue pour manquement à son obligation de résultat pour la santé et la sécurité des salariés.

Cet aspect de l’évolution du droit en la matière appelle au moins la vigilance, et ce d’autant plus que la France se distingue assez largement en Europe par son retard dans la prévention de l’usure au travail.

M. Jean-Pierre Godefroy. J’ajoute, monsieur le ministre, que ce n’est pas la réforme de la médecine du travail prévue ici qui va arranger les choses. Personne n’est dupe, et chacun a compris que la combinaison de ces deux réformes – pénibilité et médecine du travail – n’a qu’un seul objectif : permettre au patronat de tout contrôler et limiter au maximum les départs anticipés.

Un sénateur du groupe socialiste. Absolument !

M. Jean-Pierre Godefroy. Je souhaite d’abord dire un mot sur la méthode concernant la réforme de la médecine du travail. Introduire une réforme de la médecine du travail par amendements dans le projet de loi sur les retraites, alors que la réforme est en gestation depuis plus de deux ans et qu’elle mérite un texte à elle toute seule, revient à couper l’herbe sous le pied des partenaires sociaux et réduire considérablement la portée de cette réforme, au moment où les risques psychosociaux et les maladies professionnelles s’accentuent considérablement.

Je sais gré à notre rapporteur, M. Dominique Leclerc, d’avoir essayé de clarifier et amender dans le bon sens le texte adopté par l’Assemblée nationale. Mais, malheureusement, cela ne change pas l’équilibre d’une réforme qui ne fait que reprendre l’ensemble des dispositions du « protocole d’accord sur la modernisation de la médecine du travail » que le MEDEF a tenté, sans succès, d’imposer aux organisations syndicales il y a un an.

C’est ainsi qu’en quelques lignes on revient sur tous les fondements de la médecine du travail, à savoir une médecine du travail indépendante centrée sur les risques professionnels. En quelques lignes, on prévoit l’appropriation par les employeurs des moyens de contrôle de la santé au travail des salariés, et on organise sciemment la gestion de la pénurie des médecins du travail. (M. le ministre marque son exaspération.) Vous pouvez bien souffler, monsieur le ministre, et vous aurez de nouveau l’occasion de le faire lorsque nous discuterons plus en détail de cette question.

C’est pour cela que cette réforme fait l’unanimité contre elle. Vous avez tous reçu, comme moi, des courriers de protestation de médecins du travail. Le Conseil national de l’ordre des médecins a même publié un communiqué où il souligne que le texte « ne répond pas aux attentes des salariés…

Un sénateur du groupe socialiste. Absolument !

M. Jean-Pierre Godefroy. … qui doivent bénéficier d’une prise en charge globale de leur santé, ni aux nécessités de l’exercice des médecins du travail dans le respect de leur indépendance technique ». Les termes sont choisis mais le message est limpide.

Si vous souhaitez nous convaincre, monsieur le ministre, de votre bonne foi, nous y sommes prêts !

M. Jean-Louis Carrère. Il ne pourra pas nous en convaincre !

M. Jean-Pierre Godefroy. Il vous suffira pour cela de supprimer l’article 25 undecies, qui prévoit que c’est le directeur du service de santé au travail interentreprises qui est garant de l’indépendance du médecin du travail. Autrement dit, c’est un salarié de l’entreprise qui sera garant de l’indépendance du médecin du travail,…

M. Robert Hue. C’est Mme Parisot !

M. Jean-Pierre Godefroy. … ce qui est inacceptable.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Jean-Pierre Godefroy. J’arrêterai ici mon propos, puisque j’ai dépassé le temps de parole qui m’était imparti. Mais vous comprendrez que lors de l’examen des articles nous proposerons des amendements visant à modifier ce texte dans un sens favorable aux salariés. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre système de retraite par répartition est à l’évidence à la croisée des chemins.

Fruit d’une longue construction historique, ce système est aujourd’hui fragilisé. Il accuse en effet, depuis maintenant quelques années, un déficit important et croissant, comme cela a été bien précisé par le rapporteur général de la commission des affaires sociales, M. Alain Vasselle. Certes, la crise de ces deux dernières années a eu un impact non négligeable. Cependant, chacun le sait, même si notre pays retrouve le chemin de la croissance, les recettes ne seront pas suffisantes pour financer les dépenses à venir. L’arrivée à la retraite des baby-boomers et l’allongement de l’espérance de vie dégradent structurellement l’équilibre démographique sur lequel est fondé tout notre système par répartition. Les prévisions indiquent un ratio d’un actif pour un retraité à l’horizon 2030. Cela a également été souligné par le Conseil d’orientation des retraites, organisme paritaire que l’on ne peut pas soupçonner de tricherie.

Devant cette situation financière périlleuse, nous ne pouvons rester sans agir, sauf à se résigner à emprunter sans limites, laissant aux générations qui vont nous suivre le soin de régler notre dette, sinon à accepter une baisse des pensions, ce que personne ne souhaite, quand on sait les difficultés matérielles rencontrées par beaucoup de personnes âgées.

Normalement, la réforme Fillon de 2003 aurait dû régler le problème jusqu’en 2012, mais la survenue d’une crise économique majeure nous oblige. (M. Roland Courteau s’exclame.) Le Gouvernement propose une réforme dès cette année, et nous ne pouvons qu’approuver cette démarche. C’est une question de responsabilité, une question de morale à l’endroit des générations futures, une question d’équité pour les retraites les plus basses et, enfin, une question d’efficacité, ne serait-ce que pour résoudre partiellement les déficits de ces deux dernières années.

Nous pouvons évidemment discuter du choix des leviers. Cependant, en réalité, les marges de manœuvre sont étroites. Une augmentation généralisée des cotisations pourrait être un scénario efficace mais c’est une décision délicate, dans un pays où les prélèvements obligatoires sont déjà anormalement élevés et alors que la crise rogne le pouvoir d’achat des salariés.

Certains préconisent de mettre à contribution les plus riches. J’ai entendu, sur ce point, les propos de M. Fischer.

M. Roland Courteau. Il a raison !

M. Gilbert Barbier. Il est vrai que cette réforme doit les solliciter. Mais des mesures sont déjà prévues, notamment le relèvement de la tranche la plus élevée du barème de l’impôt sur le revenu. Peut-être devons-nous aller plus loin, en augmentant plus fortement la fiscalité sur un certain nombre de revenus du capital, sur les stock-options et les retraites chapeaux. (M. Charles Gautier s’exclame.)

Il va de soi aussi que toute imposition supplémentaire devra sortir du bouclier fiscal, la question du maintien coûte que coûte de celui-ci pouvant être aujourd’hui posée au regard de son efficacité sur l’évasion fiscale, à un moment où un effort est demandé à toute la nation.

M. Jean Desessard. Nous l’avions dit !

M. Gilbert Barbier. Cela dit, je ne suis pas convaincu que ces nouvelles recettes soient suffisantes pour rééquilibrer les comptes.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Gilbert Barbier. Reste la solution qui consiste à reporter l’âge légal de la retraite. C’est le choix du Gouvernement, qui touche ainsi à un symbole fort.

Certains de nos voisins ont fixé à 65 ans voire à 67 ans l’âge de départ à la retraite, sans que les syndicats ou les populations y voient une remise en cause du droit de chacun à profiter de quelques années paisibles. Ils ont bien compris qu’il s’agit d’être réaliste et cohérent devant l’écart croissant entre la durée de vie et la durée de l’activité professionnelle.

Le but de tout un chacun dans la vie est-il de se mettre à la retraite le plus rapidement possible ? Le président About a largement évoqué cette question. Le progrès social ne devrait pas consister à ce que ce soit le cas, il devrait plutôt rendre la période de travail moins pesante, voire gratifiante, en fin de carrière. C’est pourquoi nous devons améliorer les conditions de travail, l’accompagnement des carrières et la formation tout au long de la vie. Cela est un autre débat, qui ne peut être traité dans ce texte.

Certains proposent un droit collectif de départ anticipé à la retraite sur des critères de pénibilité. Cela peut se justifier à titre individuel pour ceux dont on sait qu’ils sont prématurément usés. Mais dans de nombreux autres cas, il faut privilégier d’autres pistes comme le temps partiel en fin de carrière ou encore le reclassement professionnel, notamment dans le domaine du transfert intergénérationnel de compétences.

Au-delà d’équilibrer financièrement le système par répartition, cette réforme doit être l’occasion de corriger un certain nombre d’inégalités. Il faut d’abord poursuivre l’effort entamé avec la réforme de 2003 et la réforme des régimes spéciaux portant sur la convergence entre les différents régimes de retraite.

Les Français doivent avoir le sentiment que les mêmes règles s’appliquent à tous. Sinon, la confiance dans le système est minée. Nous savons aussi que les femmes, comme cela vient d’être évoqué par Catherine Morin-Desailly, ont des pensions souvent bien inférieures à celles des hommes dans les mêmes conditions. L’inégalité de rémunération entre hommes et femmes, à l’intérieur de l’entreprise, en est le plus souvent la cause.

Les femmes ont du mal à avoir une carrière complète car les conditions de travail ne leur permettent pas de concilier vie professionnelle et vie familiale. Celles qui ont des enfants ont une retraite inférieure de 25 % à celles qui n’ont pas d’enfant. Le report de 65 ans à 67 ans de l’âge auquel elles pourront bénéficier de la retraite à taux plein les affectera particulièrement.

C’est pourquoi j’ai déposé un amendement visant à maintenir la retraite à taux plein à l’âge de 65 ans pour les femmes ayant élevé trois enfants ou plus. En commission, vous avez souhaité, monsieur le ministre, que le débat puisse se prolonger en séance publique. (M. le ministre opine.) Nous y voilà !

Je comprends bien que la question des retraites ne réglera pas celle de l’inégalité entre hommes et femmes, mais elle ne doit en tout cas pas l’aggraver. Accepter cet amendement serait un signal fort.

Pour conclure, monsieur le ministre, je voudrais dire que la réforme que vous nous proposez est nécessaire et courageuse. Pour autant, je crois que nous ne pourrons faire l’économie dans l’avenir d’un débat sur d’autres sources de financement, et plus encore d’une réflexion sur les fondements de notre système de retraites « à la française ».

Le lien exclusif entre le travail, les cotisations et les prestations est-il toujours pertinent ? Veut-on une retraite servie à tous et financée par la nation ? Si tel est le cas, on peut imaginer un système à plusieurs étages avec une retraite minimale, une retraite par répartition et une retraite par capitalisation. (M. Jacques Mahéas s’exclame.) Il faudra bien un jour, comme le prévoient les amendements qui ont été déposés, ouvrir ce large débat. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUMP. – M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour paraphraser le slogan utilisé le 26 août 1970 par le mouvement libérateur des femmes devant la tombe du Soldat inconnu, il y a encore plus précaire que le salarié, la salariée.

Selon l’Observatoire des inégalités, qui relaie la dernière étude statistique en la matière publiée par la DARES en octobre 2008, les femmes perçoivent « tout temps de travail confondu un salaire inférieur de 27 % à celui des hommes ».

Cette inégalité augmente naturellement pour les femmes qui travaillent à temps partiel ou plutôt, devrais-je dire, subissent des contrats à temps partiel. Ainsi, 82 % des personnes qui déclarent être contraintes de conserver de tels contrats sont des femmes.

Quoi de plus logique quand on sait que les femmes sont cinq fois plus souvent à temps partiel que les hommes et que les activités professionnelles auxquelles nous cantonnons les femmes peu qualifiées sont précisément les contrats aux horaires les plus atypiques, et font partie des contrats les plus précaires.

À cet état de fait s’ajoutent d’autres inégalités encore moins acceptables puisqu’elles sont tout simplement illégales. Toujours selon l’Observatoire des inégalités, « Si l’on tient compte des différences de poste (cadre, employé, ouvrier), d’expérience, de qualification (niveau de diplôme) et de secteur d’activité (éducation ou finance) environ 10 % de l’écart demeure inexpliqué. Et l’Observatoire de préciser : « Cette différence de traitement se rapproche d’une mesure de discrimination pure pratiquée par les employeurs à l’encontre des femmes. »

Le moins que l’on puisse dire, monsieur le ministre, c’est que, en la matière, le Gouvernement n’est pas des plus combatifs ! L’article 31 du présent projet de loi ne fait pas illusion. Dans ce texte, vous vous limitez à créer une taxe de 1 % de la masse salariale en cas de non-respect de l’obligation d’ouvrir des négociations annuelles relatives à l’égalité professionnelle. Vous qui ne cessez d’affirmer que la sanction doit servir d’exemple, qu’elle doit être un élément fondamental dans la lutte contre la violation du droit, vous auriez pu, vous auriez dû créer une sanction financière dont les fonds seraient affectés au FSV, mesure que nous proposerons.

Il y aurait pourtant tout lieu d’agir et vite, car les inégalités salariales subies au cours de la carrière professionnelle s’accroissent au moment de la retraite. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : aujourd’hui, 76 % des bénéficiaires du minimum vieillesse sont des femmes et leur pension moyenne ne représente que 48 % de celle des hommes. Et, bien souvent, ce sont les pensions de réversion qui permettent aux femmes de vivre dignement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous ne cessons de proposer l’extension de ce type de pensions aux couples pacsés, étendue que vous refusez toujours.

Monsieur le ministre, ces inégalités, inacceptables pour celles qui les subissent et intolérables pour celles et ceux qui sont attachés à un certain modèle républicain, ne diminueront pas avec la crise et s’amplifieront demain.

Aujourd’hui, sans même que la réforme que vous nous soumettez leur soit applicable, plus de 50 % des femmes salariées du secteur privé nées en 1938 ont dû attendre 65 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein, contre seulement 16 % des hommes du même âge qui ont pu valider leurs trimestres plus tôt. De ce fait, les femmes touchent une pension moitié moindre que celle des hommes : en 2004 et en moyenne 745 euros, contre 1 550 euros.

Et que répondez-vous à toutes ces femmes ? La retraite n’est pas le moment opportun pour compenser les inégalités ! Autrement dit, vous ne leur apportez aucune réponse, les laissant vivre avec des pensions notoirement inférieures au seuil de pauvreté.

Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire que nous ne partageons pas votre analyse selon laquelle ces inégalités se résorberaient par elles-mêmes, du simple fait du mouvement démographique. La situation actuelle du marché du travail, marquée par la banalisation des contrats de courte durée ou à temps très partiel, pèsera d’autant plus dans la balance que vous rallongez la durée de cotisation. Le passage à 67 ans de l’âge auquel les salariés peuvent bénéficier d’une retraite sans décote obligera les femmes qui le peuvent à travailler plus, tandis que les autres verront le montant de leur pension amputé par les décotes.

Le présent projet de loi est tellement injuste, va tant accroître les inégalités que même la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité le qualifie de discriminatoire.

M. Roland Courteau. C’est tout dire !

Mme Isabelle Pasquet. Notre république ne peut accepter de rester passive face aux discriminations. Elle ne peut pas renoncer à les supprimer. Elle ne peut pas les amplifier. C’est la raison pour laquelle vous devez retirer votre projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, qu’on le veuille ou non – pour ma part, je m’en réjouis –, la construction européenne est désormais au cœur de la vie nationale. C’est pourquoi il est indispensable de replacer notre débat sur la réforme des retraites dans son contexte européen.

Plus précisément, je crois que nous devons absolument prêter attention à deux aspects de ce contexte européen : tout d’abord, la participation de notre pays à un marché unique dans lequel la concurrence est libre ; ensuite, les engagements de la France à l’égard de ses partenaires de la zone euro concernant le déficit et la dette.

Ces deux aspects figurent parmi les éléments de base de la construction européenne. Les oublier, les mettre entre parenthèses dans notre débat serait non seulement irréaliste, mais encore inconséquent, car ils ont été approuvés par le Sénat à plusieurs reprises et à d’écrasantes majorités.

Aujourd’hui, la France se définit avant tout comme un État membre de l’Union européenne, avec une économie immergée dans un marché unique, et avec une monnaie qu’elle partage avec seize – bientôt dix-sept – autres pays membres.

Bien sûr, la construction européenne, c’est bien plus qu’un marché et une monnaie ; mais ces deux caractéristiques en sont des éléments de base.

Jacques Delors définissait l’Europe par un triptyque : compétition, coopération, solidarité. J’adhère pleinement à cette conception, comme nombre d’entre vous, mes chers collègues, mais il faut admettre que tous les volets du triptyque ont la même importance, et, notamment, que l’on ne peut pas faire comme si le premier d’entre eux, à savoir la compétition, n’existait pas. Sur le marché unique, les entreprises sont en compétition les unes avec les autres, les consommateurs font leur choix comme ils l’entendent, et les décisions d’implantation des entreprises sont en partie fondées sur des considérations de coût.

Naturellement, cette compétition n’est pas sauvage. Elle est encadrée par des règles communes, que nombre d’entre nous dans cette enceinte souhaitent voir aller plus loin, notamment en matière sociale.

Cependant, il ne faut pas s’attendre à un miracle : l’harmonisation sera progressive, car les États membres sont loin d’être tous au même niveau de développement, et la convergence sociale ne peut pas précéder la convergence économique. Qui pourrait sérieusement dire qu’il faut appliquer intégralement, dès aujourd’hui, les mêmes standards sociaux en Lituanie et au Luxembourg ?

À partir de là, un constat s’impose : dès lors que nos entreprises évoluent sur un marché unique, que les dévaluations sont impossibles et que l’harmonisation sociale est une affaire de longue haleine, globalement, notre politique sociale ne peut pas beaucoup s’écarter des mesures retenues généralement par nos principaux partenaires.

Nous l’avons vécu, à nos dépens, depuis dix ans : j’ose rappeler que notre pays a fait cavalier seul avec les 35 heures. Le coût du travail a augmenté plus vite en France qu’en Allemagne, et cette situation a eu pour résultat une perte de parts de marché au profit de notre voisin.

M. Roland Courteau. Ce n’est pas la bonne explication !

M. Jean-Marc Todeschini. C’est zéro pointé !

M. Jean Bizet. Soyons clairs : malgré notre goût pour l’« exception française », admettons que, globalement, il n’est pas raisonnable pour un pays européen d’imposer à ses entreprises des prélèvements sociaux plus élevés que ceux que font supporter ses principaux partenaires à leurs propres entreprises. Il s’agit non pas de faire moins que les autres – ce serait un dumping détestable entre Européens –, mais d’abandonner l’illusion que l’on peut faire beaucoup plus.

Or, quand on considère ce que font nos partenaires en matière de retraite, on constate que tous sont confrontés au même problème que nous : faire face aux dépenses résultant de l’accroissement de l’espérance de vie. De surcroît, dans la plupart des cas, ils n’ont pas jugé possible de le faire en maintenant à 60 ans la référence pour le départ à la retraite.

Je rappelle, comme tout à l’heure M. le ministre, que, en Allemagne, l’âge légal de départ à la retraite, actuellement de 65 ans, va passer progressivement à 66 ans puis à 67 ans.

M. Jean-Pierre Bel. Et la durée de cotisation ?

M. Jean Bizet. Il existe, certes, une possibilité de départ anticipé, mais avec une décote, à 63 ans avec 35 années de cotisation, ou sans condition d’âge avec 45 années de cotisation.

Au Royaume-Uni, l’âge légal pour bénéficier de la pension de base, qui était fixé à 65 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes, va être progressivement unifié à 65 ans d’ici à 2020, avant d’être progressivement porté à 68 ans dans les vingt-cinq années suivantes.

En Espagne, l’âge légal est de 65 ans et va être progressivement relevé dans les quinze années qui viennent.

Seule l’Italie a un régime plus favorable que le nôtre, avec un âge légal fixé à 65 ans, un départ possible à 61 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes après 36 années de cotisation, et, enfin, un départ sans condition d’âge avec 40 années de cotisation. En contrepartie, – il faut le savoir – ce pays consacre près de 15 % de son produit intérieur brut aux dépenses de pensions.

Nous sommes donc placés devant un choix simple : ou bien nous rapprocher de la moyenne de nos grands partenaires en nous efforçant de maîtriser les dépenses grâce à un relèvement de l’âge de départ à la retraite, ou bien laisser filer les dépenses liées aux pensions et, par voie de conséquence, laisser se détériorer un peu plus notre compétitivité par rapport à nos partenaires de l’Union européenne.

Je crois que, d’un point de vue européen, le projet de loi fait le choix qui convient, car il ne serait pas bon pour l’Europe que le différentiel de compétitivité entre la France et l’Allemagne s’aggrave davantage ; il faut au contraire essayer de le réduire. L’Europe a besoin du couple franco-allemand, et ce dernier est déséquilibré si l’un des deux partenaires accomplit les réformes nécessaires pour être compétitif, tandis que l’autre s’y refuserait. Cette préoccupation devrait nous conduire à dépasser nos clivages.

J’aborderai en quelques mots, tant l’équation est simple, le second aspect de mon propos.

Pour faire face à la crise, nous avons mutualisé nos dettes publiques. À cette mutualisation des risques correspond nécessairement une surveillance mutuelle, qui s’est traduite, pour la France, par des engagements précis. Si nous ne respectons pas ceux-ci, non seulement nous perdrons notre crédibilité,…