M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès, pour explication de vote.

Mme Christiane Demontès. Nicolas Sarkozy et la majorité UMP sont en train de remettre en cause, sans le dire, le modèle social français : quelques euros de franchise médicale par ci, un peu de travail le dimanche par là, des réductions d’effectifs et des coupes budgétaires tous azimuts... et désormais, la retraite à taux plein à 67 ans !

Au commencement était donc la réforme des retraites. On devrait d’ailleurs dire « une », et non « la » réforme, car chacun sait que les difficultés du système ne seront pas corrigées par votre réforme ; vous-même le reconnaissez, monsieur le ministre.

Si l’ensemble de votre réforme est particulièrement injuste, l’article 6 atteint, pour le coup, des sommets dans l’injustice. En période difficile, les efforts et les sacrifices sont acceptables quand ils sont perçus comme équitables. Il est clair, de ce point de vue, que votre gouvernement souffre d’un déficit chronique de crédibilité.

Le passage à 67 ans de l’âge de départ à la retraite à taux plein pénalisera les plus faibles, c’est-à-dire les personnes qui ont occupé des emplois précaires et celles dont les carrières sont incomplètes. Ne nous y trompons pas : si les carrières longues existent encore, nos concitoyens qui connaissent des parcours professionnels en dents de scie sont de plus en plus nombreux. Ils alternent périodes de travail et de chômage, et parfois même de fin de droits, pendant lesquelles ils perçoivent le revenu de solidarité active.

Quant aux seniors au chômage, ils sont de plus en plus nombreux et elles sont de plus en plus nombreuses. Malgré toutes les belles déclarations, notamment celles du secrétaire d’État chargé de l’emploi que nous avons rencontré récemment, leur taux de chômage a encore augmenté.

Bien évidemment, ces emplois précaires et ces carrières incomplètes concernent en particulier, et singulièrement, les femmes. Je veux attirer votre attention sur quelques-unes des injustices dont elles sont victimes.

En premier lieu, les assurés qui sont aujourd’hui obligés d’attendre l’âge de 65 ans pour prendre leur retraite, parce qu’ils n’ont pas le nombre de trimestres suffisants, sont majoritairement des femmes. En 2009, près du quart des femmes relevant du régime général, soit 22 %, étaient dans ce cas, contre moins de 13 % des hommes.

En second lieu, les assurés qui prennent aujourd’hui leur retraite à 65 ans sans disposer du nombre suffisant de trimestres, ils touchent une pension moyenne inférieure à 400 euros par mois. Comment peut-on vivre avec une telle somme ? C’est tout simplement impossible !

Enfin, les jeunes générations seront, à l’avenir, plus nombreuses que leurs parents à devoir travailler tard, bien après l’âge de 60 ans, et même de 65 ans. Nous y voyons deux raisons.

La première est liée au chômage des jeunes. On le sait, l’insertion professionnelle des jeunes est difficile, non seulement pour ceux qui sortent du système éducatif sans qualification, mais aussi, comme le relate la presse, pour les jeunes diplômés. Et je ne parle pas du scandale des jeunes diplômés résidant dans certains quartiers que l’on appelle pudiquement « sensibles » et qui sont victimes d’une stigmatisation entravant leur insertion professionnelle.

Le chômage de longue durée des jeunes, c’est-à-dire de plus d’un an, a encore augmenté au cours des derniers mois. Les jeunes, eux aussi, restent de plus en plus longtemps au chômage, avant même d’avoir connu une expérience professionnelle un peu stable.

La seconde raison est liée à l’allongement de la durée des études et aux difficultés d’insertion dans la vie professionnelle en début de carrière. Les générations nées dans les années soixante-dix commencent à cotiser pour leur retraite à 21 ans en moyenne. Cela signifie que certains commencent à cotiser à 25 ans ! Étant donné l’augmentation de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une pension à taux plein, ils seront mécaniquement plus nombreux que leurs aînés à devoir « attendre » cet âge de la deuxième borne, 67 ans.

Mes chers collègues, nous ne pouvons pas cautionner ces injustices. C’est pourquoi je vous demande de voter la suppression de l’article 6. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

(Mme Catherine Tasca remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour explication de vote.

Mme Raymonde Le Texier. Repousser l’âge de la retraite sans décote de 65 à 67 ans, c’est s’attaquer à celles et ceux qui ont subi les horaires contraints, le travail haché, l’emploi au rabais, les tâches usantes et les métiers pénibles.

Avec cet article 6, vous vous attaquez à ceux dont les retraites ne se chiffrent qu’en centaines d’euros, à ceux qui ont besoin de notre solidarité. Vous vous attaquez aux salariés pauvres, pour en faire des retraités encore plus pauvres.

Dans quel monde vivons-nous pour ne pas entendre la parole d’hommes comme Jack Ralite et Pierre Mauroy ? Ils nous ont parlé de ce monde ouvrier où l’on ne ménageait pas sa peine, au point de finir brisé par une vie de travail.

Ces gens qui ne pouvaient plus « arquer », selon l’expression de Pierre Mauroy, pour certains d’entre nous, c’était nos parents et nos grands-parents. Ce sont les mêmes que votre réforme pénalise, alors que, pour eux, la retraite en bonne santé est souvent un luxe.

L’allongement de la durée de la vie ne concerne pas tout le monde. Vous le savez, entre un ouvrier et un cadre, la différence d’espérance de vie est de sept ans. Et l’espérance de vie de ceux qui ont dû lutter, chaque jour, pour ne pas sombrer le lendemain est encore plus courte. Ces chiffres auraient dû inspirer, aussi, une vraie réforme des retraites.

Enfin, les femmes seront les premières victimes de cette mesure. Elles sont aujourd’hui 60 % à prendre leur retraite à l’âge de 65 ans, et la grande majorité sont au chômage depuis vingt ans. C’est une injustice de plus dans la longue litanie des avanies que subit une femme dans l’emploi : salaire moindre, carrière minimale, horaires décalés, temps partiel subi.

Voilà pourquoi, au lieu de garder les yeux fixés sur les chiffres, vous auriez dû poser votre regard sur les hommes et les femmes qui font notre pays.

Ils vivent de leur travail, quand d’autres vivent de leur exploitation. Les hommes dont nous vous parlons n’appartiennent pas au passé. Ils sont les chevilles ouvrières du niveau de vie de notre pays. Ils n’appartiennent pas au monde d’hier : ils formeront le gros des troupes du monde de demain tel que le MEDEF en rêvait, et tel que vous le réalisez. Ils seront même de plus en plus nombreux, à l’avenir, tant vous avez cassé la politique de l’emploi, avant de vous en prendre aux retraites.

Vous parlez beaucoup de la préservation des droits des jeunes générations. Mais que faites-vous, dans les faits, pour les jeunes ?

Aujourd’hui, au sein d’un marché du travail qui rejette les jeunes et les seniors, le nombre d’annuités cumulées par les salariés ne cesse de baisser. Repousser l’âge de la retraite sans décote, c’est entraîner mécaniquement la baisse des pensions. Vous le savez !

Quand l’emploi est là, il est souvent précaire, partiel et discontinu, et cela se ressent au niveau des cotisations. Avec cet article, nous parlons bien de leur future retraite ; je ne suis pas certaine que cela les rassure.

Si l’objectif est de favoriser la précarité et de développer la pauvreté, il faut reconnaître que vous savez vous y prendre. Monsieur le ministre, avec l’article 6, vous érigez l’injustice en méthode de gouvernement ! Voilà pourquoi le groupe socialiste ne le votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour explication de vote.

Mme Isabelle Pasquet. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en mars 2006, au terme d’un marathon législatif ininterrompu de neuf jours, marqué par un recours massif à la procédure parlementaire destiné à bâillonner l’opposition, la majorité du Sénat avait adopté, en s’en félicitant, le contrat première embauche.

Cette mesure emblématique du projet de loi sur l’égalité des chances, on le sait, n’est jamais entrée en application, et ce alors même que la discussion avait été marquée par un recours massif aux techniques permettant de faire avaliser au plus vite le texte, d’autant que le mouvement social, lancé par les jeunes du pays, contre le contrat première embauche commençait de prendre de l’ampleur.

On sait ce qu’il advint de l’urgence puisque, alors même que la loi avait été votée et promulguée, il suffit de quelques démonstrations de force de la jeunesse, des parents de ces jeunes et des organisations syndicales pour que ce qui avait été présenté comme la solution idéale au malaise de l’emploi dans les banlieues ne termine aux oubliettes de l’histoire.

Ne croyez donc pas, mes chers collègues, que l’adoption de ces articles 5 et 6 du projet de loi, que vous présentez comme le cœur de votre réforme des retraites, suffise à vous garantir d’avoir gagné la partie.

D’une part, parce que c’est oublier que le dossier de séance de ce projet de loi comprend encore, plus ou moins, neuf cents amendements et que nous n’allons pas manquer d’examiner avec intérêt l’ensemble des aspects du texte pour que la discussion permette d’aller au fond des choses et de prendre le pays à témoin de ce qui se trame, nuitamment, contre les droits du plus grand nombre.

D’autre part, parce que le mouvement social gagne en ampleur et en force, touchant un nombre croissant de secteurs d’activité, des transports publics à la télévision, en passant par les industries agroalimentaires et la métallurgie, sans oublier les services publics locaux.

Une force et une ampleur qui trouvent leur essence dans une unité syndicale rarement connue, une détermination grandissante des salariés à en découdre, dans les entreprises, sur les chantiers, dans les bureaux, les usines, les commerces, – et pas uniquement pour les retraites – et qui se matérialisent par l’appel à manifester du 12 octobre et celui lancé pour le 16 octobre, c’est-à-dire le samedi suivant. (Mme Isabelle Pasquet prise de toux ne peut terminer son intervention.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous l’avez rendue malade !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Puis-je poursuivre à la place de notre collègue, madame la présidente ?

Mme la présidente. Je vous en prie, ma chère collègue.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous portons depuis le début témoignage de ce qui monte dans ce pays, mes chers collègues, et nous ne varierons pas, je pense que vous l’avez compris, dans notre comportement à cet égard. Aussi, si tant est que vous réussissiez à faire passer les articles 5 et 6, ne doutez pas l’espace d’un instant que la dernière phrase du dernier chapitre de l’histoire soit d’ores et déjà écrite !

Évidemment, en épilogue provisoire, nous voterons sans la moindre hésitation contre cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.

Mme Marie-Christine Blandin. Il faut construire une réforme juste, efficace et durable. La proposition du gouvernement, elle, est provisoire, injuste et oublieuse. Oublieuse des paysans, des paludiers, des petits commerçants, des artisans, des allocataires du handicap travaillant dans le secteur public, des migrants ayant cotisé… et profondément pénalisante pour les femmes, dont je rappelle que la moyenne des pensions s’élève à 1 020 euros alors que celle des hommes est de 1 636 euros !

Le Gouvernement, non content d’avoir favorisé tout ce qui fragilise le maintien dans de vrais emplois – on facilite les licenciements, on exonère les heures supplémentaires, on ferme les postes publics –, non content d’avoir protégé ceux qui s’enrichissent sans travailler, se travestit en défenseur de la répartition pour un montage indécent qui ne va pas chercher les ressources là où elles se trouvent.

Aux autres, le partage des miettes : un salarié non cadre touchait 84% de son dernier salaire en 2000. Il ne percevra plus que 67% à l’horizon de votre réforme.

Alors, on pourrait se dire que ce Gouvernement est de droite, qu’il est inflexible, dur aux pauvres et doux aux riches, mais au moins que c’est un bon gestionnaire. Et bien même pas ! Il pille le Fonds de réserve pour les retraites ; il prend le risque que l’UNEDIC soit gravement affectée par ces années supplémentaires de recherche d’emploi, en attendant une retraite différée ; il n’a aucun comportement responsable vis-à-vis de toutes les instances de solidarité sociale, à commencer par les départements et les villes, dont le flot de demandeurs va grossir : factures d’énergie impayées, menaces d’expulsion, cantines aux factures laissées sans réponse…

En effet, les structures familiales ont déjà évolué avec la précarité et plusieurs générations cohabitent. Mais ce n’est pas votre souci si les collectivités se trouvent face à des équations insolubles. Vous l’avez prouvé avec la suppression de la taxe professionnelle comme avec la réforme des collectivités territoriales.

Votre sens de la chose publique n’a pas dépassé le périmètre de votre ministère.

Dernier point, mais non le moindre, votre réforme est construite sur des hypothèses fausses, comme cette croissance chaque année surévaluée. Monsieur le ministre, vos bases sont celles des Trente Glorieuses et du passé !

Le détricotage des acquis sociaux va de pair avec la floraison des assurances privées, autre facteur de discrimination.

Vous auriez pu, au-delà des alternatives chiffrées que je vous décrivais, qui, elles, tiennent la route, prendre un peu de hauteur.

Vous auriez pu questionner le sens et la place du travail dans une vie.

Vous auriez pu revisiter d’urgence ce qui cause la souffrance au travail et qui fait que des milliers de salariés passent leur vie en apnée.

Vous auriez pu mettre en vis-à-vis les temps travaillés et les temps non travaillés : formation, grossesse, accompagnement des enfants, des aînés en souffrance, chômage, années sabbatiques et, à partir du ratio, trouver les ressources dans les fruits du travail dont sont spoliés les salariés.

Mais non, vous ne pouviez pas. Vos amis sont de ceux qui sont greffés sur le flux juteux des produits du travail sans l’effort du travail. Et parce que vous ne pouviez pas les décevoir, vous devez en faire payer le prix aux autres : deux ans de plus pour accéder à la retraite à taux plein. Nous voterons contre l’article 6 avec toute l’indignation des écologistes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, pour explication de vote.

Mme Claire-Lise Campion. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, par cet article 6 le Gouvernement fait passer la retraite à taux plein sans décote de 65 à 67 ans en s’appuyant sur l’âge légal, qui, par l’article 5, est reculé de 60 à 62 ans. Pourtant, la corrélation entre le report de l’âge légal de deux ans, de 60 à 62 ans, et le report de l’âge du taux plein sans décote, de 65 à 67 ans, ne va pas de soi. Alors, pourquoi ?

La situation de nos concitoyens, dans ces deux cas, n’est pas la même. Surtout, les possibilités d’être effectivement toujours inséré sur le marché du travail ne sont pas les mêmes non plus entre 62, 65 et 67 ans. Nous le savons tous, vous le savez bien, mes chers collègues, regardez, regardons autour de nous !

Vous niez la réalité de tous ces Français qui, aujourd’hui, partent à 65 ans pour éviter la décote. Qui sont-ils ? Majoritairement, nous l’avons dit, des femmes avec une moyenne de quatre-vingt-seize trimestres, parce que la plupart d’entre elles se sont arrêtées pour s’occuper de leurs enfants.

Reprenons les chiffres, rappelons-les encore et encore. Les femmes ont en moyenne une retraite inférieure de 40 % à celle des hommes. Elles ne sont que 44 % à effectuer une carrière complète contre 86 % des hommes.

L’origine de ces inégalités se trouve, nous le savons, dans les disparités de salaire entre les hommes et les femmes, qui sont estimées à 23 %. Elles s’expliquent aussi par le chômage, les carrières interrompues, le temps partiel subi, les emplois non qualifiés. Votre projet va donc affecter particulièrement les femmes qui ont déjà une retraite bien inférieure à celle des hommes.

Il va aussi pénaliser tous ceux, femme ou homme, qui ont dû interrompre leur activité pour s’occuper de leurs parents vieillissants. Nous savons que ces choix sont et seront subis. Comment assurer la garde de ces jeunes enfants et bientôt de ces parents âgés lorsqu’on a un travail à temps partiel et à horaires décalés, lorsqu’il faut attendre des mois, des années, une place en crèche ou en maison de retraite ?

Vous refusez d’entendre ce qu’est la réalité de la vie quotidienne de bien des Français. Votre projet est injuste, cet article 6 au cœur de ce projet est injuste. Ce ne sont pas les amendements de dernière minute proposés par M. le ministre face à la mobilisation de nos concitoyens, en cette veille du 12 octobre, face à la perspective d’un durcissement du conflit sur cette réforme injuste qui ont pu tromper les Français sur vos objectifs néfastes qui vont fortement les pénaliser. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, entendez-nous, ne votez pas cet article 6, et ensemble supprimons-le ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Samia Ghali, pour explication de vote.

Mme Samia Ghali. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi d’être un peu plus terre à terre, de parler tout simplement de Marseille et d’expliquer ce qui s’y passe.

En ce moment, les conflits sociaux concernant le port, la raffinerie, les cantines scolaires ou bien d’autres lieux n’arrêtent pas de grandir de jour en jour. Et pourquoi ? Parce qu’un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté à Marseille. Un tiers de la population !

Dans les quartiers où je suis moi-même élue et maire de secteur, les 15e et 16e arrondissements, je peux vous dire qu’au quotidien on voit des gens souffrir : des jeunes, des moins jeunes et des seniors. Je crois que cela a été très bien dit par tous les orateurs. Nous voyons venir dans nos permanences bien des gens qui nous confient : « On souffre ».

Ce que je veux vous dire, monsieur le ministre, c’est que vous avez fait souffrir la France et que vous faites souffrir les Français. Il faut que ça s’arrête ! Vous avez enlevé tous les espoirs à ces seniors qui comptaient prendre leur retraite dans quelques mois et qui vont être obligés de travailler encore un peu plus.

Ils aspiraient au bonheur et au plaisir, car, on ne l’a pas assez dit, chacun a droit au bonheur, a droit au plaisir, au plaisir, tout simplement, de pouvoir s’occuper de ses petits-enfants et de profiter de sa retraite. Et, quand on s’occupe de ses petits-enfants, il y a bien sûr le plaisir qu’on peut éprouver à être auprès d’enfants, mais il y a aussi celui d’aider ses propres enfants, car il ne faut pas oublier les questions financières. Les salaires étant ce qu’ils sont aujourd’hui, on ne parle pas suffisamment de la souffrance, en particulier de la souffrance psychique qui use au quotidien les personnes et détruit des familles, des foyers. Il est important de le souligner.

Je pense donc à tous ces gens qui vont un peu plus souffrir et à qui vous dites : « Vous allez encore un peu plus souffrir, vous allez être encore un peu plus dans la détresse, ce n’est pas grave ! »

Je pense aussi aux jeunes, aux jeunes de banlieue – je n’aime pas trop ce mot –, à ces jeunes Français tout simplement, à qui vous ne donnez aucun espoir. Non seulement ils n’ont pas de boulot, souvent pas de formation mais en plus vous les empêchez de rêver car s’ils arrivent à avoir une retraite un jour, ce sera bien tard… Vous ne leur donnez donc aucun espoir et, de ce fait, vous les engager à continuer leurs activités dans l’économie souterraine ou parallèle. Je crois que cela représente un danger pour la France.

Le Gouvernement n’a pas besoin d’aller au Vatican… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Il a surtout besoin de parler aux Français, de s’expliquer, de leur expliquer qu’il comprend leur douleur, qu’il comprend leur inquiétude et d’essayer de les rassurer. À aucun moment je n’ai entendu le Président de la République rassurer les Français. Peut-être l’entendrons-nous dans quelque temps dans un nouveau show télévisé…

En fait, ce qu’attendent les Français aujourd’hui, ce qu’ils vont réclamer demain au cours des manifestations, c’est que vous leur donniez des preuves d’amour. Il fut un temps où le Président de la République disait tous les jours aux Français qu’il les aimait. Aujourd’hui, ils ne reçoivent plus de preuve d’amour ni de la part du Président de la République ni de la part du Gouvernement.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre cet article. Et, en cet instant, je pense à tous ces Français qui, demain, seront dans la rue, comme d’ailleurs à ceux qui n’y seront pas parce qu’ils ne peuvent se permettre de perdre quelques euros s’ils veulent tenir jusqu’à la fin du mois et manger à leur faim.

Ils sont des millions et des millions à soutenir l’opposition, notamment dans le combat qu’elle mène ici, au Sénat, depuis quelques jours.

J’aurais aimé que M. Woerth soit présent pour lui dire qu’il y a une France d’en bas, une France d’en bas qui souffre, et qu’il devrait l’écouter de temps en temps. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Angels, pour explication de vote.

M. Bernard Angels. D’une manière générale, ce texte contribue à léser encore davantage les personnes qui n’ont pu cumuler suffisamment d’annuités pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Souvent, pourtant, ce n’est pas faute d’avoir travaillé !

Vous n’êtes pas sans savoir, mes chers collègues, que les catégories les plus fragiles sont, malgré elles, les plus exposées aux aléas de la vie économique et sociale et aux carrières fractionnées qui en découlent. Parmi celles-ci, les femmes sont malheureusement encore surreprésentées.

Par cet article 6, non seulement vous ne réglez pas leur sort, mais vous l’aggravez sciemment, en leur laissant un choix qui n’en est pas un : partir avant 67 ans avec une retraite amputée de la décote ou continuer à travailler encore, au-delà de l’âge correspondant à l’espérance de vie en bonne santé. Paupérisation ou grande fatigue ? C’est le choix que laisse une réforme mue par un seul but : celui de ne surtout pas augmenter les dépenses, au risque de diminuer les pensions, sans tenir compte des situations humaines.

Au contraire, en donnant autant d’importance à la fin qu’aux moyens, le projet que nous défendons vise avant tout à garantir un niveau de pension permettant à chacun de vivre dignement. Dans cette optique, il prévoit le recours à de nouvelles recettes.

Il est indispensable et juste de combiner une augmentation des cotisations et le franc élargissement de l’assiette de financement. Tout d’abord, il convient de rééquilibrer le poids des efforts demandés en faisant notamment contribuer, au-delà des 15 % retenus à l’heure actuelle, les revenus du capital, notamment les stock-options et les bonus. À cela s’ajouterait, pour ne citer que les principales mesures, la suppression des niches sociales en matière d’intéressement et de participation, l’application de la CSG sur les revenus du capital exonérés de cet impôt, sauf pour le livret A et les plus-values réalisées lors de la cession de la résidence principale.

Nous pourrions ainsi mobiliser près de 35 milliards d’euros. C’est le seul moyen d’éviter la régression sociale où nous conduit la réforme que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Bel. Vous avez considéré, monsieur le ministre, que l’article 6 était au cœur de votre projet de loi. Or il était possible d’aborder la réforme des retraites de plusieurs manières. Selon nous, nous l’avons dit, une telle réforme aurait pu avoir des fondements complètement différents de ceux que vous nous proposez et qui reposent uniquement sur des éléments démographiques.

L’article 6 vient après l’article 5, qui relève de 60 ans à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite. Il s’agit maintenant de s’attaquer à l’âge du bénéfice de la retraite à taux plein, qui doit passer de 65 ans à 67 ans.

J’ai écouté les propos de nombreux observateurs, de la majorité sénatoriale, mais aussi de la majorité dans son ensemble. Certaines personnalités considèrent que le relèvement de l’âge de départ à la retraite, avec lequel je suis en désaccord complet, est conforme à une certaine logique et peut se comprendre. Mais elles font observer que cette première mesure est assortie d’une seconde – le passage de 65 à 67 ans du bénéfice à taux plein –, qui est très dure pour l’ensemble de salariés et qui, elle, peut être considérée comme irresponsable.

Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, vous avez décidé d’adopter une attitude jusqu’au-boutiste, en enfonçant le clou. Dans le fond, votre manière de faire est révélatrice de vos contradictions et, sans doute, de vos interrogations. Car de quoi avons-nous le plus parlé au cours de l’examen de l’article 6 ? D’un amendement au projet de loi issu de l’Assemblée nationale qui tend à atténuer, dans une proportion très faible et pour très peu de personnes, les effets de cet article. Cela me paraît très révélateur de la volonté de certains d’aller dans le sens du progrès et de proposer des avancées.

Personne n’aura été dupe de vos manœuvres ! Vous avez essayé de dissimuler vos mesures derrière un rideau de fumée, pour les faire passer plus facilement. Ce qui vous gêne aujourd’hui, c’est que les Françaises et les Français ont très bien compris ce que vous faisiez.

Regardez les sondages d’opinion, dont je ne suis d’ailleurs pas fanatique, qui ont paru encore aujourd’hui. Il est tout de même relativement rare de voir, sur un tel sujet, une telle constance de l’opinion publique. Les Français sont même plus nombreux cette semaine à désapprouver votre projet de loi !

Pour cette réforme, qui est nécessaire, Il aurait fallu adopter un autre point de vue. Ce matin encore, nous avons essayé de montrer qu’il était possible de réformer les retraites en France sans aboutir à des mesures inégalitaires et injustes.

Tout d’abord, il aurait fallu réfléchir à la question des seniors. On peut lire, dans Le Monde d’aujourd’hui, un article intitulé : « Retraites : La Finlande trace la voie d’une réforme réussie. » Dans ce pays, depuis quinze ans, le taux d’emploi des seniors a augmenté de 15 %. Or Mme Christiane Demontès vient de nous dire que, en France, pour cette tranche d’âge, le chômage avait augmenté le mois dernier de 1 %. Nous ne sommes donc pas tout à fait sur la même voie !

La Finlande, pour parvenir à ce résultat, a fait le choix non seulement de l’amélioration des compétences et des conditions de travail des salariés âgés, mais aussi de la formation des managers. L’adoption de telles mesures a permis de changer le regard des employeurs sur le déroulement de la vie professionnelle.

Dans notre projet, nous avons proposé, pour les seniors, d’autres choix.

Premièrement, il est nécessaire d’accompagner vraiment les salariés, d’engager de manière continue l’adaptation des postes proposés et de favoriser la formation des plus de 45 ans.

Deuxièmement, un rendez-vous tous les deux ou trois ans doit être instauré pour tous les salariés, dès 45 ans, spécifiquement destiné à envisager leur évolution dans l’emploi.

Troisièmement, il convient de généraliser le tutorat ou les binômes en entreprise, de favoriser les départs en retraite progressive et d’aménager les conditions de travail des plus de 55 ans, en limitant ou supprimant le travail de nuit et les tâches physiques.

Quatrièmement, nous proposons un mécanisme de bonus-malus, par exemple une modulation de 1 point des cotisations patronales, en fonction de la part des seniors parmi les salariés.