M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vois dans le hasard qui me fait intervenir après M. Adrien Giraud et avant M. Soibahadine Ibrahim Ramadani, les deux sénateurs mahorais, un clin d’œil sympathique du destin.

Madame la ministre, l’étape législative d’aujourd’hui vient clore un long processus et tracer des perspectives d’avenir pour Mayotte et sa population.

Sur le plan politique et institutionnel, il nous est proposé d’achever le processus de départementalisation de Mayotte. La population mahoraise a démontré de manière constante son profond attachement à la République française, et ce dans un contexte géopolitique complexe dû aux liens l’unissant à l’archipel des Comores.

Dans cette longue marche, il a fallu beaucoup de volonté politique pour aboutir.

Permettez-moi de vous rappeler, sans malice, que le changement majeur de ces dix dernières années s’est opéré sous le gouvernement de Lionel Jospin. Le 27 janvier 2000, un accord sur l’avenir de Mayotte est signé, au nom de l’État, par Jean-Jack Queyranne, alors secrétaire d’État à l’outre-mer, par le président du conseil général et par les représentants des principaux partis politiques. Cet accord, tout en conservant le principe de spécialité législative, organise la marche progressive vers le droit commun et prévoit le passage de Mayotte au statut de collectivité départementale.

Comme l’ont rappelé les orateurs qui m’ont précédé, cet accord a recueilli un avis favorable de la population à près de 73 % lors de la consultation de l’année 2000. Restait alors à en organiser la transposition législative concrète : ce sera la loi du 11 juillet 2001.

Cette loi constitue la pierre angulaire du processus de décentralisation, car elle organise le transfert du pouvoir exécutif du préfet au président du conseil général et fixe un véritable cap politique ainsi qu’un calendrier concret.

L’évolution que nous connaissons depuis vient conforter le processus ainsi lancé. Elle dépasse les clivages politiques, contrairement à ce que l’on peut rencontrer dans d’autres territoires ultramarins. Il y a là, comme pour la Nouvelle-Calédonie, une continuité, qui va au-delà des alternances politiques que la France a connues. Je m’en réjouis. Je pourrais vous dire, à cette heure avancée, que quand le gouvernement auquel vous appartenez a la chance de retrouver des lignes intelligentes comme celles qui avaient été tracées par le gouvernement de Lionel Jospin, nous pouvons le suivre. Malheureusement, c’est de plus en plus rare. Je préfère en effet qu’il conforte ce qui est intelligent plutôt qu’il le détruise, comme cela s’est passé au cours des trois dernières semaines.

La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 inscrit pour la première fois Mayotte dans notre Constitution, puis la loi organique de 2007 inverse la logique du régime législatif applicable pour mettre en place le principe d’assimilation législative.

Conformément à la loi organique, le conseil général, obligatoirement saisi, a délibéré et approuvé à l’unanimité de ses dix-neuf membres, le 18 avril 2008, une résolution portant sur la transformation de Mayotte en département et région d’outre-mer. La consultation des électeurs mahorais, en 2009, a conforté ce choix, celui-ci ayant été approuvé à plus de 95 %.

Il faut comprendre – Mayotte est loin pour nos compatriotes de l’Hexagone – l’attachement de Mayotte au lien qui la relie à la République française. Cela s’exprime très fortement par la sémantique et l’emploi du mot « département », qui en l’occurrence est ambigu car Mayotte ne sera pas un département ordinaire : le vocable « département » désignera tout à la fois un département, une région et une région d’outre-mer.

Les deux projets dont nous discutons ce soir visent à aller au bout de la démarche institutionnelle, volontairement progressive au niveau de l’adaptation législative. Ainsi, à compter du mois d’avril 2011, le régime législatif applicable sera celui de l’identité législative, de manière immédiate et intégrale, moyennant les adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte.

Le conseil général de Mayotte, saisi de ces deux projets de loi, avait d’abord émis un avis défavorable, au motif que les élus refusaient le renouvellement intégral du conseil général en 2011.

Le Gouvernement a suivi l’avis du Conseil d’État – quelle excellente initiative ! Pourquoi ne le fait-il pas plus souvent ? –, qui soulignait les risques juridiques liés au raccourcissement des mandats électoraux. Il a fait droit à la demande des élus mahorais et la version nouvelle du projet de loi ne reprend plus le principe du renouvellement intégral.

Nous savons bien que les problèmes à régler ne proviennent pas uniquement des évolutions statutaires. La réussite du processus dépend très fortement – nous en avons déjà discuté en commission, madame la ministre – du développement économique, social, culturel de Mayotte, sujet sur lequel de grandes incertitudes perdurent.

Sur le plan statutaire, les adaptations nécessaires touchent un nombre important de codes législatifs et de droits privés, tant pour le toilettage des textes que pour leur mise à niveau. Elles doivent suivre un calendrier précis que je ne remets nullement en cause. Permettez-moi toutefois de m’interroger sur la méthode suivie, avec un recours massif aux ordonnances.

L’article 27 du projet de loi comporte des dispositions pour prévoir l’extension ou l’adaptation de la législation d’après les caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte. Cette formule permet de faire, sinon n’importe quoi, tout au moins tout ce que l’on souhaite.

Je conçois parfaitement que des assemblées ne doivent pas passer leur temps à travailler sur l’adaptation du code forestier, du code rural et de la pêche maritime ou du code de l’urbanisme. Étant donné le nombre de codes touchés explicitement ou implicitement, il n’est pas possible d’exclure le recours aux ordonnances. La qualité du temps législatif passe aussi par une rationalisation des textes gouvernementaux qui nous sont soumis, je vous en donne acte.

Mais l’étendue de l’habilitation n’en demeure pas moins à mes yeux problématique. Notre excellent rapporteur, Christian Cointat, s’interroge lui-même dans son rapport et souligne l’importance de cette habilitation, y compris dans le temps puisqu’elle court sur un délai de dix-huit mois suivant l’application de la loi. La commission a ramené ce délai à six mois et le Gouvernement, par amendement, propose douze mois. Cela me rappelle certaines discussions sur l’achat que j’ai pu avoir dans d’autres contrées, mais je pense que nous pourrons nous accorder sur un délai de douze mois.

Je m’en tiendrai à un seul exemple, celui de l’extension du droit du travail au nouveau département. La matière est très complexe et l’incidence sur la vie quotidienne des mahorais est forte. L’étude d’impact y consacre d’ailleurs un long développement dans son annexe. Ces questions appellent une très grande vigilance et auraient pu justifier un débat parlementaire.

Autre procédé sujet à la critique – M. Christian Cointat ne me démentira pas –, c’est l’usage qui consiste, à l’occasion de chaque texte consacré à l’outre-mer, à accrocher quelques wagons supplémentaires. C’est ainsi que le cas de Mayotte avait été ajouté au débat sur la Nouvelle-Calédonie, alors qu’il aurait mérité à lui seul de faire l’objet d’un texte, constitué d’un article unique. Nous aurions pu le faire dans le même temps tout aussi rapidement.

Aujourd'hui, on nous demande de ratifier un train de treize ordonnances, dont trois concernent Mayotte, je vous le concède.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est déjà pas mal ! (Sourires.)

M. Bernard Frimat. Elles sont tout de même dix à être en quelque sorte clandestines, sans mauvais jeu de mots.

Il n’est pas bon de donner à ces deux projets d’importance une impression d’impalpabilité en raison du nombre considérable d’ordonnances, et donc le sentiment qu’il s’agit finalement de textes fourre-tout. Certes, l’encombrement du calendrier législatif rend le recours aux ordonnances bien utile, mais reconnaissons au moins ensemble que si l’on pouvait éviter l’épisode du « panier garni » dans les textes de l’outre-mer, nul ne s’en plaindrait.

Je voudrais à présent m’attarder un instant, madame la ministre, sur l’autre facteur de réussite du processus de départementalisation, c’est-à-dire les conditions du développement économique, social et culturel de Mayotte, car, finalement, là est le problème. Nous souhaitons tous que les Mahorais et Mayotte connaissent un important développement économique, social et culturel.

Comment la collectivité pourra-t-elle demain réussir à faire pleinement face à ses nouvelles compétences ? Les moyens suivront-ils ? Car ils sont la clé de l’envol économique de Mayotte et de l’amélioration du niveau de vie de ses habitants.

Le conseil général, dans son avis de juillet dernier, a demandé que le fonds mahorais de développement économique, social et culturel entre en vigueur non en 2013, comme le prévoyait initialement le projet du Gouvernement, mais en 2011. La commission des lois, à l’unanimité, a modifié l’article 10 afin que celui-ci soit mis en place au plus tard au 31 décembre 2011. Ce point ne devrait pas poser de problème.

Vous évoquez l’enveloppe de 30 millions d’euros prévue pour doter ce fonds sur la période 2011-2013. J’espère d'ailleurs que celle-ci n’en restera pas à l’état prospectif et sympathique d’autorisations d’engagement et qu’elle se transformera bien en crédits de paiement. Quoi qu’il en soit, que se passera-t-il si les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux ? Je crains, madame la ministre, sans vous en tenir personnellement pour responsable, que compte tenu des moyens budgétaires alloués vous ne soyez pas en mesure d’être au rendez-vous des défis énormes qui sont à relever.

Or l’attente est très forte, notamment en termes d’infrastructures publiques. La pression démographique importante à Mayotte, due non seulement à la pyramide des âges, mais aussi au flux des Comoriens qui arrivent clandestinement sur le territoire mahorais, génère des besoins importants au niveau de la santé – hôpitaux, dispensaires –, mais également au niveau scolaire.

Vous nous avez indiqué, madame la ministre, lors de votre audition devant la commission des lois, que le ministère de l’éducation nationale voulait organiser un transfert le plus vite possible. En d’autres termes, cela signifie que le ministère de l’éducation nationale souhaite se débarrasser le plus rapidement possible des contraintes financières et des charges de la construction.

Va-t-on assister au même phénomène que celui que Christian Cointat et moi-même avons constaté lors d’une mission en Nouvelle-Calédonie, où les travaux du lycée professionnel Escoffier de Nouméa sont interrompus, bien que les autorisations d’engagement aient été votées, les entreprises n’ayant pas été payées ? Je n’ai pas besoin de rappeler l’enjeu primordial de la construction d’établissements scolaires, notamment pour que les jeunes enfants, qui sont nombreux à entrer à l’école sans parler le français, apprennent à maîtriser notre langue dans des conditions acceptables.

Je voudrais ouvrir une brève parenthèse sur le phénomène de l’immigration, abordé par ma collègue et amie Éliane Assassi. Il est bien évident que celui-ci fait partie du décor et que la manière dont il est traité aujourd’hui n’est pas satisfaisante. Je ne reprendrai pas son analyse, afin de ne pas prolonger nos débats, mais je la partage pleinement et je salue son engagement permanent sur ce sujet.

Que dire des infrastructures sanitaires, du soutien au réseau de distribution de l’eau et à l’assainissement ? Que dire des conditions de logement, notamment à Mamoudzou ?

Je ne terminerai pas sans dire un mot de la nécessité d’achever la réforme de l’état civil. Je sais que la commission de révision de l’état civil a vu ses moyens renforcés et sa mission prolongée jusqu’en avril 2011.

Je relierai cette question à celle de la création d’un registre du cadastre. Garantir, en matière foncière, le droit individuel de propriété est un véritable défi à relever à Mayotte, terre de tradition orale, où les règles de droit local, régies sous l’autorité des cadis, prévalaient encore jusqu’à une époque très récente.

Ces questions sont primordiales pour la mise en place de la réforme de la fiscalité locale.

La possibilité pour les dix-sept communes de Mayotte de lever l’impôt doit entraîner une dynamique fructueuse pour ces collectivités et leurs habitants. Elle participe de la réussite pleine et entière du processus de départementalisation.

Sur le plan financier, vous l’avez évoqué, la manne européenne – si toutefois le libéralisme effréné qui règne à Bruxelles ne la réduit pas à la portion congrue – espérée par l’accession de Mayotte au statut de région ultrapériphérique, ou RUP, pour la prochaine session des fonds structurels est bien sûr porteuse d’espoir.

Mais nous savons que l’acquisition du statut de RUP suppose au préalable une décision à l’unanimité des Vingt-Sept États membres de l’Union européenne. Dans cette perspective, Mayotte sera comptable de ses capacités à endosser les acquis communautaires et à faire face aux obligations communautaires dans des domaines aussi variés et importants que la santé, les transports, l’environnement.

Pour conclure, madame la ministre, le groupe socialiste votera en faveur de ces deux textes. Mayotte a remporté son combat politique et institutionnel. Nous savons que les moyens du développement économique, social et culturel auront du mal à être assurés compte tenu des contraintes budgétaires actuelles et de la politique menée. Veillons à ne pas faire de cette réforme institutionnelle un marché de dupes faute de transferts publics suffisants permettant à Mayotte, à son tour, de développer son économie avec ses propres atouts en dépendant à terme le moins possible des flux financiers publics. (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)

M. le président. La parole est à M. Soibahadine Ibrahim Ramadani.

M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les deux textes relatifs au département de Mayotte que nous examinons aujourd’hui marquent l’aboutissement du combat politique de deux générations, engagé depuis plus de cinquante ans.

À cet instant solennel, je voudrais rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui ont initié et mené ce combat.

Je pense à Georges Nahouda et ses quatre compagnons qui ont initié ce combat le 5 mai 1958, en déposant à l'assemblée territoriale des Comores une motion tendant à transformer Mayotte en département d'outre-mer, à l'instar des quatre vieilles colonies.

Je pense aussi à Zakia Madi, le martyr de ce combat, tombé le 13 octobre 1969 à la jetée de Mamoudzou.

Je pense encore à Zaïna Mdere, notre icône, Bwéni Mtiti, Fatima Ali, Younoussa Bamana, notre leader emblématique, Abdallah Houmadi, Hamissi Madi et à tant d'autres qui ont mené ce combat avec celles et ceux qui, aujourd'hui, sont fragilisés par l'âge, la maladie ou le handicap, au premier rang desquels il faut citer notre sénateur honoraire Marcel Henry, notre guide éclairé, Zaïna Meresse et Koko Djoumoi, proches compagnes de lutte de Zaïna Mdere, Younoussa Ben Ali, Zoubert Adinani et mon collègue Adrien Giraud, compagnons de lutte de Marcel Henry.

Je pense, enfin, à la jeune génération et en particulier à deux amis : Mansour Kamardine, ancien député de Mayotte, qui a conduit avec courage les réformes législatives indispensables à l'accélération du processus départemental, à travers la loi Girardin de 2003 et la loi Sarkozy de 2006, et Ahamed Attoumani Douchina, président du conseil général de Mayotte, qui a pris avec ses collègues la résolution du 18 avril 2008 prévue par la loi, demandant au Premier ministre l'organisation d'une consultation populaire sur la transformation de Mayotte en département d'outre-mer, régi par l'article 73 de la Constitution.

Je voudrais également exprimer la reconnaissance des Mahorais envers les gouvernements successifs de la France pour leur contribution à l'évolution institutionnelle récente de l'île.

Parmi ces gouvernements, je citerai, tout d’abord, celui de Jacques Chirac, qui a assuré le maintien de Mayotte dans la République avec l'accord du Président Valéry Giscard d’Estaing et l'appui du président du Sénat, Alain Poher, à la suite de la consultation des populations des Comores du 22 décembre 1974, et de la déclaration du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1975. En outre, comme pour faire écho à la motion de 1958, la loi de 1976 relative à Mayotte a posé le cap de la départementalisation de l'île.

Je citerai, ensuite, le gouvernement de Lionel Jospin, qui a négocié et signé l'accord du 27 janvier 2000 sur l'avenir de Mayotte comportant une clause de rendez-vous pour un basculement éventuel vers le droit commun départemental en 2010, inscrite dans la loi du 11 juillet 2001.

Je citerai, en outre, le gouvernement de Dominique de Villepin, qui a accéléré le processus départemental en ramenant la clause de rendez-vous de 2010 à 2008 par la loi du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, dite « DSIOM », et qui a envisagé l’extension à Mayotte du plan national de revalorisation des minima sociaux 2007-2010 au bénéfice des personnes âgées et des adultes handicapés.

Je citerai, enfin, le gouvernement de François Fillon, qui a organisé sans délai la consultation de la population du 29 mars 2009 voulue et décidée par Nicolas Sarkozy, Président de la République, et qui a tiré les conséquences du vote positif des Mahorais traduites par la loi du 3 août 2009 et les deux projets de loi que nous examinons ce soir, que dis-je ? ce matin.

Mais ces deux textes ne constituent pas seulement l’aboutissement d’une longue lutte politique, ils ouvrent aussi la voie à d’autres défis pour l’avenir.

En premier lieu, celui de l’intégration régionale. Il s’agira, d’une part, d’obtenir la transformation du statut européen de Mayotte, de pays et territoires d’outre-mer – PTOM – en région ultrapériphérique – RUP – de l’Union européenne. Sur ce sujet, vous avez indiqué, madame la ministre, que la demande française sera transmise aux autorités de l’Union européenne au cours du second semestre 2011. Il s’agira, d’autre part, d’obtenir l’insertion de Mayotte dans son ensemble régional, par l’adhésion de l’île à la charte des jeux des îles de l’océan Indien, à la commission de l’océan Indien ainsi qu’aux autres organismes régionaux.

Dans ces deux cas, il faudra faire des efforts de part et d’autre pour que le dialogue reprenne dans le cadre du groupe de travail de haut niveau – GTHN – et que, parallèlement, des actions de coopération s’engagent, par exemple, à l’initiative du commissaire au développement endogène pour la zone océan Indien.

En second lieu, il faudra amplifier le développement économique par la mise en œuvre du contrat de projet 2008-2013, des mesures du conseil interministériel de l’outre-mer – CIOM – du 6 novembre 2009, de la loi pour le développement économique de l’outre-mer – LODEOM –, accompagner le progrès social en respectant, comme vous l’avez indiqué, madame la ministre, le calendrier du pacte pour la départementalisation, promouvoir la culture et l’identité mahoraises à travers, notamment, l’enseignement de l’histoire de Mayotte et la mise en œuvre des dispositions relatives à la charte européenne des langues et cultures régionales.

Enfin, les deux projets de loi comportent de nombreuses avancées.

Ainsi, le conseil général de Mayotte sera la première collectivité unique de l’outre-mer, régie par l’article 73 de la Constitution, exerçant à la fois les compétences dévolues aux départements et aux régions, avant celles de la Martinique et de la Guyane.

Cet article définit le régime législatif applicable : les lois nouvelles s’appliquent de plein droit, intégralement ou avec des adaptations. De même, les lois et règlements en vigueur en métropole et dans les départements d’outre-mer seront étendus dans les mêmes conditions par les deux projets de loi, ainsi que par une série d’ordonnances qui interviendront dans les 18 mois – le délai reste à déterminer, puisque la commission propose 6 mois et le Gouvernement 12 – suivant la publication des lois de départementalisation.

Le projet de loi organique abroge l’ancien statut de Mayotte, relevant de l’article 74, et le remplace par le nouveau statut de département de Mayotte régi par l’article 73. En outre, il modifie le code électoral en précisant que le mandat des conseillers généraux renouvelables en mars 2011 s’achèvera en 2014. À cette date, le nombre de conseillers territoriaux pourrait passer de 19 à 23, et le mode de scrutin pourrait sans doute comporter une dose de proportionnelle, sous réserve de l’adoption définitive du projet de loi portant réforme des collectivités territoriales ou de l’inscription de cet accroissement du nombre de conseillers territoriaux par exemple dans le cadre du projet de loi ordinaire.

Avant les transferts de compétences de l’État au conseil général et aux communes, il sera procédé à l’évaluation des charges correspondantes, ce qui n’a pas été le cas en 2002 et en 2004 dans le cadre de la loi du 11 juillet 2001. La date d’entrée en vigueur du département définie par le projet de loi simple et l’extension à Mayotte du régime communal et intercommunal de droit commun par ordonnance se feront avec un décalage raisonnable : il était de 18 mois précédemment, entre la loi du 11 juillet 2001 et l’ordonnance du 12 décembre 2002.

Pour accompagner les premiers pas du département, l’île bénéficiera, dès 2011, de deux ressources nouvelles en complément du contrat de projet, des mesures du CIOM et de la LODEOM, à savoir le fonds de développement économique, social et culturel doté de 30 millions d’euros, et le fonds d’aide à l’équipement communal créé par le CIOM en 2009 et inscrit dans la loi de finances pour 2010, qui sera doté de 5 millions d’euros en 2011, en complément de la dotation scolaire et du fonds intercommunal de péréquation, ou FIP.

Par ailleurs, les projets de loi prorogent les dotations spécifiques des communes jusqu’au 31 décembre 2013, hormis la dotation exceptionnelle relative à la prise en charge des frais d’état civil, la commission de révision de l’état civil, ou CREC, devant terminer ses travaux en mars 2011.

Le droit de l’octroi de mer et la taxe spéciale de consommation seront applicables à Mayotte en 2014, en même temps que l’extension du code général des impôts, du code des douanes et la « rupéisation ».

Afin d’assurer la transition entre la fin des dotations spécifiques des communes et la mise en place de la nouvelle fiscalité dont on ne sait pas combien elle rapportera aux finances de nos communes, il est urgent d’accélérer les travaux d’adressage et d’évaluation de la valeur locative du foncier,…

M. Bernard Frimat. Bien sûr !

M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. … de procéder au calcul du montant de compensation des pertes de recettes fiscales et douanières du département, d’envisager le maintien du fonds intercommunal de péréquation et la pérennisation du fonds d’aide à l’équipement communal, dont le montant est défini chaque année par la loi de finances.

Enfin, le projet de loi ordinaire s’inscrit dans le plan national 2007-2012 de revalorisation des prestations sociales au bénéfice de nos compatriotes les plus fragiles : ainsi, un décret en cours de signature prévoit la revalorisation de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, et de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, avec effet rétroactif applicable pour la période 2010-2012. Les autres prestations, dont le revenu de solidarité active, le RSA, seront étendues à partir de 2012 à hauteur de 25% de leur montant national conformément au pacte pour la départementalisation de Mayotte.

Madame la ministre, pour clore mon propos, je voudrais évoquer trois points relatifs à l’éducation, à la retraite agricole et à la protection sociale.

En ce qui concerne l’éducation, la généralisation de l’enseignement préélémentaire en 2011, l’obligation scolaire en élémentaire et la nécessité de mettre aux normes d’hygiène et de sécurité les classes existantes en vue de les rétrocéder aux communes en 2014 demandent des moyens importants,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. … d’autant qu’à cette date le projet de loi ordinaire prévoit en plus l’accueil des enfants de deux ans : sans doute faudra-t-il abonder davantage les crédits du fonds d’aide à l’équipement communal, en complément de la dotation scolaire d’ici à 2013.

En même temps, je me réjouis de la création de l’Université de Mayotte, qui sera dotée dès 2011 de 20 millions d’euros en autorisation d’engagement et de 2 millions d’euros en crédits de paiement. L’une des missions de l’Université sera de former les élèves instituteurs au lendemain de l’abrogation des dispositions ayant créé l’institut de formation des maîtres de Dembeni, en 2012.

Concernant la retraite agricole, les estimations professionnelles font état de 1 500 agriculteurs, tirant un revenu de leur activité réalisée sur au moins deux hectares. Les textes sont en cours de rédaction par la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. Madame la ministre, est-il possible d’obtenir, d’une part, la garantie que le texte final paraisse dans le courant du premier semestre 2011 pour une mise en place effective de la retraite agricole en 2012, et, d’autre part, une prise en compte des spécificités propres à l’exercice de l’activité agricole à Mayotte ?

S’agissant de la protection sociale, anciennement réservée à la spécialité législative par la loi du 21 février 2007, ou DSIOM, le présent projet de loi ordinaire prévoit son extension à Mayotte par voie d’ordonnance dans les 18 mois suivant la publication des lois de départementalisation.

À ce propos, je note avec satisfaction que la carte vitale sera mise en place avant la fin de l’année 2010, sans doute le mois prochain, et sera généralisée sur deux ans. Il est souhaitable que les premiers bénéficiaires soient les personnes les plus fragiles. Il en va de même pour l’arrivée du code de la mutualité dans le cadre du train législatif ayant trait à la départementalisation. Celui-ci permettra en effet de fixer les règles de coopération. En outre, il apportera une aide supplémentaire aux assurés et soutiendra l’activité des libéraux à Mayotte.

Ce qui bloque aujourd’hui, c’est l’absence d’une couverture maladie universelle et d’une couverture maladie universelle complémentaire. Sur ce point, madame la ministre, pourriez-vous indiquer aux Mahorais les intentions du Gouvernement ?

En conclusion, il convient d’observer que le processus de départementalisation de Mayotte se fera en une génération pour parvenir à l’alignement et à l’égalité sociale, ce qui, malgré tout, sera deux fois plus rapide que pour les quatre départements d’outre-mer actuels.

En revanche, le calendrier connu de départementalisation s’arrête en 2014. C’est pourquoi il me semble urgent que l’État et les élus de Mayotte réfléchissent à ce que sera Mayotte après 2014 avec la « rupéisation », la fiscalité locale, le Plan Mayotte 2015. Je propose la mise en place d’un plan de développement durable et solidaire étalé sur une quinzaine d’années, au terme de l’actuel contrat de projet.

Sous le bénéfice de ces observations, je voterai évidemment les deux textes relatifs au département de Mayotte. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – MM. Robert Tropeano et Bernard Frimat applaudissent également.)