M. Jean-Pierre Chevènement. Je ne sais pas si je donne raison à Mme Viviane Reding – je ne le pense pas – (M. le secrétaire d’État s’exclame.), mais le qualificatif n’est pas mal choisi.

Tout cela est très dangereux, monsieur le secrétaire d’État. M. Jean-Claude Trichet dénonce l’insuffisante rigueur du dispositif annoncé : il est dans son rôle de pape de l’orthodoxie néolibérale.

Le Conseil européen traitera d’autres points, notamment les hedge funds et les passeports européens. Pourra-t-on contrôler l’origine des fonds dès lors que ces passeports seront délivrés par des autorités nationales, britanniques, par exemple ?

M. Jean-Pierre Chevènement. On sait pourtant que la majorité des transactions sont le fait des hedge funds.

Que signifiera le pouvoir d’injonction de l’autorité européenne des marchés auquel Mme Christine Lagarde a fait allusion ? Il faut, selon elle, concilier la protection des investisseurs et la mobilité des capitaux. Ne serait-il pas plus opportun de freiner celle-ci, par l’imposition d’une taxe sur les transactions financières, que nous avons proposée ? (M. Yvon Collin hoche la tête.) Je vois le président Collin opiner.

Mes dernières observations portent sur les questions monétaires.

Je ne crois pas du tout Mme Christine Lagarde quand elle affirme que la guerre des changes n’aura pas lieu. C’est comme la guerre de Troie selon Giraudoux en 1939 !

Mme Nicole Bricq. Mme Lagarde n’est pas Hélène ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Chevènement. J’ai beaucoup de respect pour Mme Lagarde mais son optimisme est un optimisme de commande. Le Président de la République a insisté sur les réformes qu’il fallait faire pour mettre un terme au « non-système monétaire international » : mobilité des capitaux, domination d’une seule monnaie et une meilleure coordination des politiques économiques et monétaires. Je ne vois rien de tout cela.

Après la réunion qui s’est tenue en Corée du Sud, je constate que les Américains ont demandé une bande de fluctuation de plus 4 % et moins 4% du PIB des pays concernés pour leurs excédents ou leurs déficits commerciaux. Cela vise d’abord la Chine et l’Allemagne.

L’Allemagne a riposté. M. Rainer Brüderle, ministre de l’économie, a déclaré qu’une manipulation excessive des liquidités constituait une manipulation indirecte du taux de change. C’est d’ailleurs évident, il a raison !

Vous avez accepté, monsieur le secrétaire d’État, une réforme de la gouvernance du FMI en donnant 6 % des quotes-parts et des droits de vote aux pays émergeants, aux dépens de l’Europe.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Non, pas aux dépens de l’Europe, mais de l’ensemble des pays !

M. Jean-Pierre Chevènement. Il aurait été préférable de le faire dans le cadre d’un accord global.

On ne peut qu’être inquiet de l’affaiblissement du dollar, qui se poursuit et qui sapera inévitablement la compétitivité des produits européens, je pense particulièrement à Airbus, à nos industries de défense, aux fabricants d’hélicoptères et à notre industrie automobile.

Ce sera un puissant encouragement à la poursuite des délocalisations industrielles et au redéploiement de nos grands groupes vers les pays émergents ou à monnaie faible.

La revalorisation du yuan, parlons-en ! Elle a été de 2,7 % depuis qu’en juin les autorités chinoises ont affirmé le principe de la réévaluation de cette monnaie. (M. le secrétaire d’État opine.)

La guerre des monnaies peut susciter un retour du protectionnisme, c’est l’évidence. Je vous demande de ne pas accepter – et à travers vous, monsieur le secrétaire d’État, ma demande s’adresse au Président de la République –, à Bruxelles, l’automaticité des sanctions à l’égard des pays qui ne peuvent réduire rapidement leurs déficits, de préserver la place et le rôle du politique dans les institutions européennes, de refuser la dérive technocratique et disciplinaire qui se pare du masque d’un pseudo-fédéralisme, en réalité anti-démocratique.

Je vous demande d’essayer de convaincre l’Allemagne qu’elle a tout à gagner à défendre, au-delà de ses intérêts propres, les intérêts de l’Europe tout entière ! Encouragez la Banque centrale européenne à pratiquer une politique de détente monétaire plus forte pour éviter la déflation.

Ne donnez pas carte blanche à M. Axel Weber ! Introduisez quelques grains de sable dans le fonctionnement des marchés financiers. Défendez les intérêts de l’Europe face au G2, cette alliance conflictuelle des États-Unis et de la Chine.

Et surtout, défendez les intérêts de la France dont personne ne se souciera, monsieur le secrétaire d’État, si vous les oubliez.

Votre tâche est difficile. Guillaume d’Orange disait : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre ». Il ajoutait : « ni de réussir pour persévérer »…

Il y a cependant des limites à l’échec d’une politique. Quand une politique échoue depuis trop longtemps, comme c’est le cas du choix de la monnaie unique fait à Maastricht, le courage, l’audace, le souci de la France et des générations futures peuvent commander d’en changer !

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement. Soit vous changez les règles du jeu, en accord avec nos partenaires, mais dans le sens de la relance, bien évidemment ; soit vous changez de jeu, en jouant, rudement s’il le faut, le seul jeu de la France ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Bravo ! Nous sommes d’accord sur de nombreux points !

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez présenté les grandes lignes des positions que la France défendra par la voix du Président de la République lors du prochain Conseil européen, et vous souhaitez recueillir, ce soir, l’avis des groupes de notre assemblée.

Je regrette, encore une fois, monsieur le président Bizet, que nous ne soyons pas plus nombreux.

M. Jacques Blanc. Ce n’est pas la faute du président Bizet !

M. Pierre Fauchon. Les meilleurs sont là !

Mme Annie David. Nous avons pourtant changé l’heure du débat… (Sourires.)

Cet exercice tout à fait formel, puisque vous ne tenez, en général, aucun compte de nos remarques, nous donne malgré tout l’occasion de nous exprimer. C’est non pas une critique, mais un simple constat, monsieur le secrétaire d’État.

Une nouvelle fois, l’ordre du jour du Conseil européen sera composé de sujets d’importance variable. En effet, il doit en priorité examiner les conclusions du rapport sur le renforcement de la gouvernance économique pour préserver la stabilité de la zone euro. Ce rapport a été commandé au président permanent de l’Europe, M. Herman Van Rompuy, à la suite de la crise financière et économique qui, comme chacun le sait, après avoir touché la Grèce, a affecté l’ensemble de la zone euro.

Cette réunion devrait également permettre de déterminer une position européenne en vue du prochain sommet du G20, que présidera la France. Elle devra également élaborer des propositions à présenter au sommet de Cancún sur le changement climatique, ou bien encore réfléchir à la relation transatlantique.

Mais, comme à l’accoutumée, une seule grande question retiendra vraisemblablement l’attention des médias, et peut-être des opinions publiques – l’ensemble des intervenants se sont d’ailleurs principalement exprimés sur ce sujet, tout comme vous, monsieur le secrétaire d’État –, il s’agit de ce qu’il est convenu d’appeler « la gouvernance économique », dans le langage politiquement correct européen.

Les débats entre les représentants des pays européens qui auront lieu à la fin de la semaine seront dominés par la proposition, issue d’un compromis entre notre pays et l’Allemagne, de réformer le pacte de stabilité et de croissance et de réviser le traité de Lisbonne d’ici à 2013, en instaurant un régime de sanctions politiques à l’égard des États membres dont les finances publiques s’écarteraient de l’orthodoxie budgétaire communautaire européenne.

À nos yeux, l’idée même de cette révision du traité est bien le signe que celui-ci fonctionne mal, sur ce point comme sur d’autres.

Vous avez dit tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, que cette révision se fera dans l’intérêt de l’Europe. J’ajouterai qu’elle se fera dans l’intérêt de l’Europe libérale que vous souhaitez. Or, nous, nous voulons une Europe solidaire, une Europe des peuples.

C’est pourquoi notre groupe est en totale opposition avec le Président de la République sur son analyse des raisons de ce dysfonctionnement et sur les solutions qu’il proposera à Bruxelles.

Cette surveillance économique renforcée, avec la mise sous tutelle des budgets nationaux par la Commission, et la coordination des politiques économiques, nous est présentée comme la seule réponse aux effets dévastateurs de la crise financière.

De la même manière, votre collègue M. Éric Woerth nous a présenté sa réforme comme la seule possible. Mais là n’est pas le sujet…

Certes, la France a évité que les sanctions ne soient automatiques. Mais en préconisant de créer un mécanisme permanent de gestion des crises et d’adopter le principe de sanctions politiques, qui iraient jusqu’à la suspension des droits de vote des pays ne contrôlant pas leurs déficits et à l’introduction de nouvelles règles, en l’occurrence la majorité inversée, les propositions du Président de la République et de la Chancelière allemande franchissent, selon nous, une nouvelle et dangereuse étape.

En prévoyant de remplacer en 2013 le fonds européen de stabilité financière par un tel régime de sanctions, vous faites un pas supplémentaire dans l’abandon de compétences nationales au profit de la Commission.

La mise en œuvre de sanctions à l’égard d’un pays qui serait en déficit excessif pendant six mois est donc devenue un véritable dogme qui ne souffrirait pas de contestation.

Ainsi, la France et l’Allemagne, à quelques nuances près sur les modalités d’application, persistent sur la dangereuse voie de la réduction à tout prix des déficits publics.

Vous avez d’ailleurs insisté, monsieur le secrétaire d’État, sur cette réduction des déficits publics en France mais sans la mettre en rapport avec les suppressions d’emplois qu’elle a impliqué dans la fonction publique. On peut le regretter.

Pourtant, la douloureuse expérience du plan de sauvetage de la Grèce, les risques de débâcle économique qui menacent toujours l’Espagne, le Portugal et l’Irlande, malgré les mesures drastiques prises par ces pays, auraient dû vous servir de leçon !

D’autant que ces mesures – nous ne le répéterons jamais assez – ne s’attaquent pas à la racine du mal. Elles sont inadaptées à la gravité de la situation et sont contre-productives. Elles ne sont que l’émanation de votre idéologie libérale, conforme à l’orthodoxie budgétaire économique incarnée par le pacte de stabilité que vous souhaitez voir appliqué tant en France qu’en Europe !

Cette politique est appliquée de manière uniforme pour séduire les marchés financiers et conserver coûte que coûte les « 3 A » des agences de notation.

Partout en Europe, ce sont les mêmes recettes néfastes pour les salariés qui sont appliquées afin de faire des économies et de réduire les déficits publics.

Mais ce sont toujours les budgets sociaux, les aides aux plus démunis, aux chômeurs, les aides au logement, mais aussi les investissements publics, l’éducation, la santé, la recherche, qui sont les premiers sacrifiés, jamais le capital ou les revenus financiers !

Le dernier exemple en date, peut-être le plus brutal et le plus caricatural, est celui du Royaume-Uni.

On trouve là tous les ingrédients des vieilles recettes, pourtant éculées, de l’ultra-libéralisme.

Tous les budgets sociaux y passent : les allocations chômage, les allocations logement ou les aides aux personnes handicapées seront sérieusement réduites. Les allocations familiales seront gelées pendant trois ans et soumises à conditions de ressources. Quant aux impôts locaux, ils seront fortement augmentés et la TVA passera de 17,5 % à 20 %.

Bien évidemment, la fonction publique est sévèrement touchée, avec la suppression de près de 500 000 emplois ! (M. Gérard Bailly s’exclame.)

Enfin, l’âge de la retraite, déjà tardif, puisqu’il est fixé à 65 ans, sera différé d’un an.

S’il est vrai, monsieur le secrétaire d’État, que le tableau que vous nous avez présenté tout à l’heure est tout à fait exact, il n’en est pas moins vrai que pour présenter toute la vérité, il faut parler également du nombre d’années de cotisation, du taux de remplacement, de la décote et, surtout, de la possibilité, pour les salariés, de partir malgré tout avant 65 ans, avec l’ensemble de ces autres mesures, et de conserver une pension de retraite digne.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Avec une énorme décote mensuelle !

Mme Annie David. Cet exemple britannique montre d’ailleurs indirectement le manque de crédibilité de votre argumentation sur la nécessité de relever, en France, l’âge légal de la retraite pour être dans la norme européenne.

À ce compte-là, nous serons perpétuellement en course pour rattraper nos voisins !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Oui !

Mme Annie David. Décidemment, tous ces plans d’austérité budgétaire, loin de ramener l’endettement public à un niveau estimé acceptable par les marchés, risquent, au contraire, d’asphyxier les économies, en appauvrissant le plus grand nombre de nos concitoyennes et concitoyens.

De fait, le risque d’entrer dans une période de grave récession et de chômage massif se fait de plus en plus pesant, avec, en prime, moins de recettes fiscales et plus d’endettement public.

C’est à cette situation que mènera inéluctablement l’obstination du Président de la République et de la Chancelière allemande, mais aussi de l’ensemble des dirigeants européens, à vouloir coûte que coûte lutter contre les déficits en renforçant la discipline budgétaire des États membres.

Je vous rappellerai, à ce sujet, les propos tenus par l’économiste Michel Aglietta, qu’on soupçonnerait difficilement de gauchisme : dans la zone euro, « la nécessaire solidarité » est remplacée par « une règle uniforme de restriction budgétaire, le fameux pacte de stabilité, qui est arbitraire et insensible au contexte économique », a-t-il déclaré dans un entretien paru dans le journal Le Monde du 18 mai 2010.

En outre, la position tenue en matière de gouvernance économique nous confirme que les objectifs de la stratégie de l’Union européenne pour 2020 resteront lettre morte. Le Parlement européen ne s’y est pas trompé puisque, face à une proposition de budget sous-financée et médiocre au regard des enjeux à venir, il a menacé de ne pas voter le budget 2011 !

Enfin, l’autre grand point de l’ordre du jour consistera à arrêter la position de l’Union européenne à la veille du sommet du G20 que présidera notre pays. Ne serait-ce pas là l’occasion pour le Président de la République de faire valoir d’autres orientations ?

Pour notre part, nous ne nous satisfaisons pas de l’accord conclu en cette fin de semaine par les ministres des finances du G20 sur une réforme de la gouvernance du Fonds monétaire international, ou FMI, qui augmente le capital de l’institution et le nombre de sièges de grands pays émergents dans son conseil d’administration.

C’est une étape qu’il ne faut pas sous-estimer. Cependant, ces mesures s’accompagnent, là aussi, d’un dangereux élargissement des attributions du FMI en matière de surveillance des politiques économiques des États.

Comme il sait si bien le faire dans les instances internationales, le Président de la République serait bien inspiré – et je vous invite à lui communiquer cette inspiration, monsieur le secrétaire d’État – de saisir, jeudi et vendredi prochains à Bruxelles, l’occasion offerte par sa future présidence du G20 pour inciter dès maintenant l’Union européenne à poser la question de la nécessité d’un nouvel ordre économique et monétaire international.

Appuyons-nous, par exemple, sur la proposition de la Chine visant à créer une monnaie commune internationale pour les échanges afin d’apaiser la guerre des monnaies. Par ailleurs, pourquoi n’instaurerions-nous pas en Europe, à l’instar du Brésil, une taxation limitée des devises afin de commencer à réduire les tensions monétaires ?

Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les remarques et les suggestions dont nous souhaitions vous faire part à la veille de la réunion de cet important Conseil européen.

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de me réjouir que ce débat ait lieu à une heure correcte…

M. Richard Yung. Ça, c’est vrai !

M. Jacques Blanc. … dans une organisation quelque peu nouvelle, et nous donne l’occasion à la fois de réfléchir ensemble au programme du Conseil et de poser des questions sur les problèmes européens qui nous préoccupent.

Il n’y a peut-être pas foule dans cet hémicycle, mais la qualité est au rendez-vous, comme l’ont montré les différentes interventions, quelle que soit leur tonalité. D’ailleurs, c’est justement dans ces différentes tonalités que l’on peut trouver des éléments susceptibles d’apporter une contribution au débat.

Je voudrais commencer par vous remercier, monsieur le secrétaire d’État. Vous nous avez permis – et c’est l’intérêt de ce débat – de mieux sentir les choses, notamment en nous ouvrant les yeux sur le problème qui s’est posé au sujet des Roms – problème qui a pris, du fait de l’attitude de certains commissaires, une ampleur qui me paraît difficilement acceptable.

Il ne s’agit pas d’un problème entre la France et le Luxembourg, mais entre le comportement d’un commissaire et une vie politique européenne qui ne doit pas donner lieu à des prises de position aussi extrêmes. Aussi, il me paraît important que, tous ensemble, nous nous accordions à ne pas laisser dire n’importe quoi, même si les analyses peuvent diverger sur telle ou telle proposition. En tous les cas, apparaît peut-être ce nouvel équilibre que beaucoup réclamaient, dans lequel le Conseil réaffirme son pouvoir face à la Commission.

Pour ma part, je le vois aux avancées que vous avez indiquées au sujet de la gouvernance économique, qui a été demandée par tout le monde. Même après l’intervention brillante de notre collègue M. Chevènement, je souhaiterais que nous réfléchissions un instant à ce qu’aurait été la situation du franc si nous n’avions pas adopté la monnaie unique. Selon moi, compte tenu du poids du déficit et de la crise financière mondiale, nous avons eu la chance d’avoir cette monnaie unique, bien que tout ne soit pas parfait et qu’il faille aujourd’hui améliorer notre capacité de maîtriser les choses par le biais d’une nouvelle gouvernance économique.

Nous assistons actuellement, avec la démarche franco-allemande, à un renforcement de cette capacité dont on ne peut que se féliciter. D’ailleurs, ce n’est pas une insulte pour d’autres pays que de voir deux moteurs de l’Europe agir de concert : j’étais, quant à moi, de ceux qui s’inquiétaient parfois de sentir certaines divergences !

D’aucuns ont souri lorsque le nom du président européen, M. Van Rompuy, a été évoqué. Pourtant, il a sans doute contribué à ce que l’Europe, en cette période de crise, sache trouver des réponses efficaces, notamment grâce à la contribution incontestable du Président de la République, qui a même entraîné Mme Merkel, au départ moins encline à s’engager dans cette voie.

L’Europe a tout de même permis à la Grèce d’éviter la catastrophe ! Or, quand un pays est dans une situation catastrophique, cela a des répercussions sur l’ensemble des autres pays européens. Il n’y a pas que des solidarités théoriques ; il y a aussi des solidarités de fait. Il était donc indispensable, dans cette terrible crise, que l’Europe soit capable d’abord de mobiliser des crédits, puis de créer ce fonds européen de stabilité financière qui n’était pas prévu par le traité.

Nous nous demandons d’ailleurs comment ce fonds sera pérennisé, puisque chacun sent bien qu’il constitue un outil efficace dont la pérennité est souhaitable pour parer à de futures crises. Il est vrai que les révisions constitutionnelles sont complexes, même si on adopte des solutions simplifiées ; cependant, il y a quand même des biais pour maintenir ce fonds jusqu’au jour où interviendra une reconnaissance officielle. En tout cas, je me permets de vous demander si ce ne serait pas une voie à emprunter pour assurer le maintien de cette capacité d’intervention en cas de crise.

Ce dispositif est important, parce qu’il a aussi un rôle préventif. Si les spéculateurs financiers, ceux qui manipulent les marchés, ceux qui espèrent gagner du fric – passez-moi l’expression – savent que cette possibilité d’intervention existe, ils seront moins tentés par des paris qui pourraient se révéler extrêmement difficiles. Les cotations ont aussi une incidence, notamment sur la charge de la dette dans les différents pays. Alors, n’y a-t-il pas de moyen pour pérenniser ce fonds avant même une modification constitutionnelle ?

Par ailleurs, chacun sent bien que – même si cela ne met pas en cause, comme le précisent les textes, les responsabilités budgétaires des États, qui restent souverains – le fait qu’il y ait une analyse des propositions budgétaires au mois de mars ou avril, en fonction des évolutions pouvant être prévues ensemble, peut aussi prévenir les risques que certains dérapages que nous avons connus ne se répètent. Il s’agit là d’une approche positive.

En ce qui concerne les sanctions, je craignais qu’un problème très difficile ne se pose entre la France et l’Allemagne, qui ne tablait pas au départ sur la même hypothèse d’automaticité. La Commission, de son côté, voulait revenir dans le jeu et réduire un peu les prérogatives du Conseil.

Or, en rappelant que c’est le Conseil qui peut proposer les sanctions et accorder un délai de six mois, c’est aux politiques, pas aux technocrates, que nous donnons toute leur place. Ce n’est pas la Commission qui décide ! Cette évolution politique est heureuse, en tout cas au sens où nous l’entendons, en vue de renforcer le poids politique de la gouvernance européenne.

J’ajouterai juste un mot pour souligner la cohérence qui caractérise l’action développée par la France tant au niveau européen qu’au niveau mondial. Bien sûr, on ne peut que soutenir les efforts du Président de la République pour tenter de déboucher sur un nouvel ordre monétaire mondial ; mais on ne peut pas penser que tout sera réglé du jour au lendemain ! Un pas a été franchi par les ministres à Séoul, comme vous l’avez dit ; il faut sans doute aller plus loin, et ce sera le jeu du Président de la République.

Enfin, selon moi, le fait que l’Europe parle d’une même voix à Cancún est aussi une avancée. C’est, en quelque sorte, ce qui avait manqué à Copenhague.

Cela dit, permettez-moi tout de même de vous interroger sur deux points que vous n’avez pas abordés. Premièrement, quid de la réunion euro-méditerranéenne ? Je suis personnellement un ardent défenseur de cette démarche lancée par le Président de la République, qui me paraît apporter une véritable contribution à l’organisation de la vie du monde.

Malgré les difficultés, malgré Gaza, et bien qu’elle ne puisse avancer aussi vite que prévu, cette politique euro-méditerranéenne doit se poursuivre, car elle permet tout de même d’avancer sur un certain nombre de dossiers. Il ne faut pas abandonner cette ambition. Aussi, j’aimerais connaître votre opinion sur ce point. Pour ma part, je souhaite que la France reste très mobilisée pour que se crée enfin une nouvelle démarche euro-méditerranéenne. Si un processus de paix entre Israël et la Palestine reprenait, cela donnerait peut-être un élan nouveau à cette politique.

Deuxièmement, pour rejoindre ce que j’ai dit sur l’accord entre la France et l’Allemagne, je souhaiterais rappeler que Berlin et Paris ont fait une importante déclaration conjointe sur la politique agricole commune ; il y a eu des prises de position très fortes à ce sujet.

Quels que soient les besoins en matière de politiques publiques – notre collègue Pozzo di Borgo a évoqué la recherche et l’exploration de l’espace –, nous ne devons pas abandonner ce qui est un élément important d’une vraie politique européenne, ce qui a sauvé l’agriculture française et européenne, ce qui permet de répondre aux préoccupations liées à l’alimentation dans tous les pays du monde ainsi qu’à la qualité et à la sécurité dans les pays européens, ce qui permet aussi un aménagement harmonieux et équilibré de notre territoire !

Le traité de Lisbonne a introduit la cohésion territoriale parmi les objectifs des politiques européennes ; là encore, je souhaiterais attirer votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur la nécessité de maintenir une politique régionale capable d’assurer cet aménagement équilibré et harmonieux du territoire. C’est cela, le développement durable ! Car il n’y aura pas de développement durable s’il n’y a pas d’agriculteurs et s’il n’y a pas de vie sur l’ensemble de notre territoire.

Tout cela, c’est une chance pour la France et pour l’Europe ! Voilà pourquoi nous restons très préoccupés par ces évolutions. Je vous remercie néanmoins de ce que vous faites. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai écouté chacun d’entre vous ; j’essaierai donc de ne pas commettre d’injustice dans ma réponse, sans pour autant être trop long, car je sais que votre programme est chargé et que vous voudrez sans doute poser d’autres questions.

Je commencerai par faire respectueusement observer à M. Bizet et à ceux d’entre vous qui ont évoqué ce point, parfois en des termes quelque peu excessifs – l’un d’entre vous a parlé de « rêve », et j’ai même entendu M. Chevènement créer un inquiétant axe Chevènement-Reding en qualifiant d’ « irréaliste » la décision sur les sanctions politiques ! –, que les sanctions politiques sont déjà prévues dans le traité, à l’article 7.

Lorsqu’un État manque aux obligations fondamentales définies à l’article 2, c'est-à-dire qu’il se trouve en situation de manquement vis-à-vis des droits, alors des sanctions politiques s’appliquent, et il est privé de droit de vote. Ce qui existe pour le cap politique, et qui engage les droits, doit pouvoir exister lorsqu’il s’agit d’une caution.

Car il s’agit bien, ici, de se porter caution des autres ! La discipline commune doit être partagée par tous ; faute de quoi, le système ne fonctionne pas. Dans ce cas-là, une autre logique, que je respecte aussi, entrerait en action : celle des « nonistes » et de M. Chevènement, qui refusent toute monnaie unique.

Cependant, dès lors que nous sommes dans une zone monétaire et que nous en acceptons l’idée, comme l’a fait M. Yung tout à l’heure – ce qui illustre bien le consensus bipartisan qui existe à ce sujet dans votre assemblée –, la rupture de la discipline commune doit entraîner des conséquences.

On ne peut pas dire, comme je l’ai entendu, que les sanctions financières sont inappropriées parce qu’elles viendraient aggraver la situation d’un État en difficulté, et soutenir en même temps que les sanctions politiques sont inopérantes. Si vous écartez les unes et les autres, que vous reste-t-il pour faire en sorte que la discipline soit observée ?

Je souhaite redire très clairement que ce que nous avons fait, en phase avec le groupe Van Rompuy, revient à nous assurer que le politique, qui est dans le traité à l’article 126, soit bien au cœur de la décision. Quand un pays prendra une trajectoire dangereuse pour la pérennité de l’ensemble, il sera prévenu, disposera d’un délai et se verra infliger des sanctions qui, il est vrai, seront automatiques.

Le délai de six mois et la décision politique me paraissent sages, tout comme me paraît sage et, franchement, extrêmement utile – je veux insister sur ce point – le second volet, à savoir le volet franco-allemand de Deauville, l’objectif étant de pérenniser la garantie financière qui, au printemps dernier, a été mise sur pied pour trois ans. Il s’agit vraiment d’une formidable avancée franco-allemande. Je le dirai aussi demain devant le Bundestag !

Souvenez-vous d’où viennent les Allemands ! À Maastricht – qu’on ait été favorable ou non au traité, c’est une autre histoire ! –, les Allemands ne voulaient pas de la moindre garantie accordée à quelqu’un d’autre. Dans le traité figure même explicitement une obligation de non-renflouement. « Si tu es endetté, ta dette est ta dette. Je ne donne pas ma carte de crédit, et encore moins mon code secret ! ». C’est cette logique qui a été changée de façon temporaire au printemps dernier.

Aujourd’hui, les Allemands sont face à un problème juridique : celui de pérenniser ce système contraire au traité ; ils ont une Cour constitutionnelle. Mais ils sont prêts à faire ce geste européen. C’est là qu’est l’évolution et, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à le dire – car c’est aussi mon rôle de secrétaire d'État chargé des affaires européennes – à tous ceux qui, en France où ailleurs, glosent sur le fait que l’Allemagne serait de nouveau en proie à ses démons nationalistes, qu’il y aurait de moins en moins d’Européens en Allemagne car les Allemands croiraient de moins en moins en l’Europe, etc. Que n’ai-je effectivement lu et entendu ces derniers temps sur ce sujet !

Mais vous avez là une preuve tangible de l’axe franco-allemand et du travail du Président de la République et de la Chancelière : l’Allemagne, pour qui ce système a été très difficile à accepter et à mettre en place en pleine crise, est maintenant prête à le pérenniser. Naturellement, cela implique une évolution des règles, car c’est l’inverse qui figure dans le traité.

Ce mécanisme sera l’embryon d’un futur fonds monétaire européen, d’un fonds de garantie européen, et il est extrêmement important que la France et l’Allemagne en soient le cœur !

Quelle a été l’évolution du côté français ? Elle a été considérable aussi. Pardon, monsieur Yung, cela ne s’adresse pas qu’à vous. Nous en étions à dire que le principe était très bien, mais que nous ne voulions pas des sanctions, que cela coûte trop cher, que c’est trop difficile à appliquer et que cela ne fonctionne pas sur le plan politique...

Aujourd’hui, nous sommes prêts à jouer la discipline, car nous avons pris conscience, nous Français, qu’il fallait mettre de l’ordre dans nos finances. Nous nous engageons donc à respecter un certain nombre de règles. Dans un pays qui n’a pas présenté un budget en équilibre depuis trois décennies, c’est une vraie révolution politique !

Pourquoi nous livrons-nous à cet exercice de réduction des emplois publics ? Pourquoi demandons-nous aux Français de travailler davantage ? Croyez-vous qu’à un an et demi des élections les « sarkozystes », le Gouvernement, le Président de la République et les parlementaires de la majorité agiraient brutalement par masochisme politique ? Non ! Nous le faisons parce que c’est notre devoir. Si nous voulons que l’économie redémarre, que notre pays joue sa place en Europe et ne décroche pas par rapport à notre principal partenaire, nous devons « coller » aux recettes qui ont permis à l’Allemagne d’avoir 3,5 % de croissance cette année.

Je reviens à l’histoire du joueur de flûte et des rats. La comparaison est très jolie. Mais la question est de savoir qui tient la flûte.

Avec la mondialisation, les forces économiques des pays émergents, tels que la Chine, l’Inde, le Brésil et d’autres, pèsent de façon considérable. Ils ont plus faim que nous et travaillent plus que nous. Les équilibres anciens ont effectivement été rompus. La multipolarité sur laquelle nous, Français, glosions tant est là.

Une chose est sûre : nous devons faire des efforts. Mais qui tient la flûte ? La Commission ? Selon nous c’est le Conseil. Monsieur Chevènement, nous essayons de bâtir une politique économique européenne et ce n’est pas simple !

Conseil après Conseil, nous tentons d’introduire les mots « réciprocité », « politique industrielle », « politique énergétique ». Cette dernière notion ne figurait même pas dans l’Agenda. C’est quand même la France qui fait tout ce travail !

Certes, cela ne va pas assez vite et ce n’est jamais assez ! Je comprends toutes ces frustrations. Mais, que voulez-vous, les 500 millions d’Européens ne sont pas tous des Français ! Même des Luxembourgeois ne sont pas d’accord avec nous et nous critiquent ! C’est embêtant... Ne parlons pas des Suédois et de quelques autres qui ne partagent pas du tout ces vues sur la politique industrielle. Mais, petit à petit, elles font leur chemin !

Alors un joueur de flûte qui attire les rats pour faire quoi ? Ignorer la réalité du monde et finir affamés ou faire des efforts pour sauver leur économie ?

Pourquoi croyez-vous que l’Allemagne a une croissance de 3,5 % tirée par les marchés émergents ? (M. Aymeri de Montesquiou s’exclame.) Parce que ce pays a su faire, voilà dix ans, des réformes de fond – industrie, coût du travail, temps de travail –, avec un gouvernement socialiste d’ailleurs !

Ce sont ces réformes, qui manquent à la France aujourd’hui, que nous entreprenons et qui se traduisent dans notre pays, certes par une croissance plus lente de 1,6 %, mais par la création de soixante mille emplois au premier semestre et, je l’espère, cinquante mille autres au second. Voilà ce que je souhaiterais voir relayé par tout le monde !

Aux orateurs de gauche, notamment, qui se sont exprimés, je veux dire que le gouvernement français ne fait preuve d’aucune soumission brutale à un modèle que nous avons critiqué. Vous avez eu, monsieur Chevènement, la bonté de rappeler le discours de Davos. Nous ne sommes nullement agenouillés devant le veau d’or néolibéral et si nous faisons des coupes dans les dépenses publiques, c’est non pas par plaisir, mais parce qu’il n’est pas sain pour notre compétitivité, et donc pour nos enfants, de trimballer une dette de 1 600 milliards d’euros ! (Mme Annie David s’exclame.)

Par conséquent, il faut trouver un juste équilibre entre une remise en ordre de nos finances publiques et une relance des outils nécessaires à notre démarrage, la recherche et le développement notamment.

Tels sont les deux points sur lesquels je voulais insister, car ils me paraissent absolument importants.

Monsieur Pozzo di Borgo, j’ai beaucoup apprécié vos remarques, particulièrement sur la politique spatiale européenne. Ce soir, je manque de temps pour vous répondre, mais j’espère que nous aurons un débat. Il s’agit, là encore, d’une politique entièrement franco-allemande. Sans la France et l’Allemagne, il n’y aurait pas du tout de politique spatiale européenne !

J’ai essayé de vous répondre, monsieur Yung. Je ne dirai pas que les propositions de la Commission vont subir un classement vertical...