M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, sur le plan politique, je n’ai rien à souhaiter à M. le ministre d’État ! (Sourires.)

En revanche, sur le plan personnel, c’est un peu différent ! Votre retour parmi nous, monsieur le ministre d’État, évoque pour moi, vous pouvez l’imaginer, certains paysages parmi lesquels nous avons évolué il y a de nombreuses années. Et je dis cela sans nostalgie, car il s’agit de moments agréables de notre vie !

Après la situation des personnels que vient d’exposer notre collègue André Dulait, je vais vous présenter les crédits de fonctionnement du titre 3 du programme 178, titre récapitulant les dépenses de fonctionnement courant des armées, c’est-à-dire celles qui sont affectées principalement au maintien en condition opérationnelle des matériels et à l’entraînement des personnels.

Le projet de loi de finances pour 2011 attribue 5,8 milliards d’euros de crédits de paiement à ce titre 3, soit une hausse de 5,7 % par rapport à 2010.

Parmi les quatre actions regroupées dans le titre 3, seule l’action n° 1, Emploi des forces, augmente de 22 %, permettant l’amélioration de l’insertion de la France dans des dispositifs militaires multinationaux, comme la force de réaction rapide de l’Union européenne et la capacité de réaction rapide de l’OTAN.

Les crédits des trois autres actions consacrées à chacune des trois armées décroissent, ce qui correspond au transfert de la majorité des crédits de soutien vers les bases de défense, qui constituent « le principal levier de la mutualisation de l’administration générale et du soutien commun », selon les termes du ministère.

Leur déploiement suppose une harmonisation des procédures, aujourd’hui différentes selon les armées, en matière de systèmes d’information, et de gestion du personnel et des soldes, qui devrait être achevée vers 2012 ou 2013.

Je crains que ce processus de mise en place des bases de défense n’ait été trop hâtif et trop bousculé. Je comprends, cependant, qu’il convenait de réduire le plus possible la période de transition entre l’ancien et le nouveau système. Nous jugerons sur les résultats et observerons si cette mutualisation des procédures, qui suppose celle des soutiens, aboutira bien à l’objectif visé, c’est-à-dire la réduction des effectifs des personnels qui leur sont dévolus – cela me fait toujours mal d’en parler, même si j’en comprends la nécessité ! – et in fine des économies budgétaires.

J’en viens aux difficultés financières et d’organisation suscitées par le maintien en condition opérationnelle de matériels de plus en plus vecteurs de technologies.

La maintenance et son coût ne sont devenus des sujets de préoccupation qu’à partir des années quatre-vingt-dix, du fait de la complexité croissante des matériels utilisés. Les armées se sont progressivement organisées, à partir de l’année 2000, pour mieux structurer leurs services de maintenance.

Ainsi furent successivement créés le service de soutien de la flotte, le SSF, en 2000, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense, le SIMMAD, en 2002, le service industriel de l’aéronautique, le SIAé, en 2007, alors que la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres, le SIMMT, le sera en 2011.

Mais, malgré ces réorganisations, les coûts ne cessent de croître. L’actuelle loi de programmation militaire prévoit que les coûts des matières premières et des prestations industrielles continueront à augmenter mais que l’effectif des personnels civils ou militaires relevant du ministère de la défense et affectés à la maintenance décroîtra, ce qui pourrait conduire à une stabilité des coûts globaux.

Il est en effet prévu qu’une part importante des activités de maintenance sera transférée à des structures de type industriel, qu’elles soient privées ou étatiques, auxquelles sera assuré un calendrier prévisionnel de travaux, leur permettant de mieux organiser ces derniers et d’en réduire, de ce fait, les coûts.

Je terminerai mon propos en évoquant le sujet de l’entraînement des forces, lequel, comme vous le savez, monsieur le ministre d’État, est essentiel pour maintenir la capacité opérationnelle de notre armée.

Les temps d’entraînement réalisés, armée par armée, ont été, nous dit-on, stables en 2009 par rapport à 2008. Il est tout de même prévu que, pour l’armée de terre, l’objectif de 120 jours d’entraînement par homme et par an soit ramené à 105 jours d’ici à 2013. Cette évolution est significative.

Le chef d’état-major de l’armée de terre estime que cette réduction n’affecterait pas la capacité opérationnelle de son armée, notamment du fait de sa participation accrue à des opérations extérieures. Or je crois pour ma part que les militaires prenant part à celles-ci devraient pouvoir bénéficier, auparavant, d’un entraînement particulièrement intensif. Nous ne parlons pas ici d’une partie de rugby ou d’un match de basket-ball !

Les quotas d’heures d’entraînement de la marine, comme ceux de l’armée de l’air, resteront inchangés, sauf pour l’aviation de transport, du fait du vieillissement du parc.

Bien que nous ne disposions pas de critères de comparaison satisfaisants, ces éléments permettent d’estimer que nos forces bénéficient d’un entraînement qualitativement comparable à celui des autres principales armées occidentales.

En résumé, monsieur le ministre d’État, je récapitulerai ainsi les grands enjeux du titre 3 : le regroupement des soutiens au sein des bases de défense produira-t-il les économies espérées en termes de personnels ? Le ministère de la défense parviendra-t-il à mieux impliquer les industriels français dans la « bataille » des coûts de maintien en condition opérationnelle ? Les réductions budgétaires permettront-elles le maintien d’un niveau d’entraînement suffisant de nos troupes ?

Sous le bénéfice de ces observations, la majorité de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dont je ne fais pas partie, a donné un avis favorable à l’adoption de ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Le projet de budget que vous nous présentez ce matin, monsieur le ministre d’État, en relais de votre prédécesseur, s’inscrit dans un contexte stratégique en plein mouvement. Son examen intervient juste après le sommet de Lisbonne, dont nous aurons l’occasion de reparler le 9 décembre prochain.

La crise financière mondiale est loin d’être terminée. Elle connaît même, depuis quelques semaines, des soubresauts inquiétants, d’aucuns prédisant le pire pour les temps à venir.

La défense européenne est paralysée, comme le révèlent à l’évidence, de notre point de vue, les récents accords franco-britanniques.

L’Union européenne ne va pas très bien. L’un de vos prédécesseurs à Matignon, avec lequel vous avez cosigné une tribune sur le désarmement nucléaire, a même récemment déclaré que « l’Europe politique est morte ».

Enfin, le centre de gravité du monde s’est déplacé vers l’Asie et le Pacifique, et ce pour très longtemps.

Mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui devant une situation anachronique : le ministre qui défend le projet de budget de la défense pour 2011 devant la Haute Assemblée n’est pas celui qui l’a présenté, voilà quelques jours, devant l’Assemblée nationale. En outre, il ne l’a pas préparé et il ne saurait être tenu pour responsable de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014, qui, comme toutes ses devancières, est déjà très largement à la dérive. Mieux, il n’était pas aux responsabilités au moment de la rédaction du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale qui sous-tendait cette loi de programmation militaire et aurait dû sous-tendre la suivante, puisqu’il était alors chargé d’élaborer, et nous nous en étions d’ailleurs réjouis, le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France. Je serais tenté de dire : tant mieux pour vous, monsieur le ministre d’État ! En effet, chacun s’accorde aujourd’hui à estimer que, hormis quelques rares éléments, ce fameux Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale aurait déjà dû être remis sur le métier.

Je ne doute pas que vos conseillers vous aient informé de cette situation et que, par conséquent, ce soit en toute connaissance de cause que vous vous présentez aujourd’hui devant nous, car il va vous falloir, comme le veut la tradition républicaine, « assumer l’héritage ». Et quel héritage ! Vos souvenirs de ministre du budget vous seront d’un précieux secours…

Pourtant, tout n’avait pas si mal commencé ! Dès son arrivée, le nouveau Président de la République, partageant –pour une fois ! – notre diagnostic, cent fois répété dans cette enceinte, sur la très mauvaise situation financière de la défense, liée au calamiteux héritage laissé par le tandem formé de M. Chirac et de Mme Alliot-Marie, avait décidé une remise à plat totale des dépenses militaires.

M. François Trucy, rapporteur spécial. Il ne faut pas oublier la responsabilité de M. Alain Richard !

M. Didier Boulaud. C’était, ni plus ni moins, à une impasse financière de l’ordre de 50 milliards d’euros qu’il fallait faire face, sans compter – et personne ne s’en faisait l’oracle – que la crise économique allait passer par là.

Mes chers collègues, mon propos ne saurait se concentrer sur le seul projet de budget pour 2011, tant celui-ci est étroitement lié à ce qui en découlera jusqu’en 2013, et même au-delà. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement pour une annuité budgétaire qui n’est, somme toute, que de transition, d’aucuns qualifiant son contenu de tour d’écrou et d’escamotage ?

Mes collègues reviendront plus en détail sur différentes mesures de ce projet de budget. Par ailleurs, les différents rapporteurs, parfois en termes élégants, ont déjà exprimé de réelles inquiétudes.

Surtout, ne nous trompons pas sur le vote émis par la commission, qui ne reflète que les dispositions de la majorité à se montrer une fois de plus – j’allais dire une fois de trop – particulièrement bienveillante, soit dit en ces termes pour ne pas être désagréable. Car c’est la même majorité qui s’esbaudit toujours, cinq ans après son adoption, devant la funeste loi de programmation militaire précédente, persuadée qu’elle est que celle-ci a été la seule de l’histoire à avoir été irréprochable. Et pourtant… Mais plus c’est gros, plus ça passe, selon un vieil adage !

En effet, j’y insiste, la loi de programmation militaire en cours d’exécution est, elle aussi, à jeter aux oubliettes. Le Livre blanc, quant à lui, est obsolète, car il manquerait d’ores et déjà quelque 25 milliards d’euros à l’échéance de 2020 pour qu’il puisse être appliqué.

Pour autant, il ne faudrait pas que la seule logique financière prenne le pas sur les choix stratégiques, au risque de voir des programmes non encore engagés, peut-être les plus utiles, être abandonnés, et tous les programmes de production annihiler, pour longtemps et de manière sans doute rédhibitoire, tous les programmes de recherche.

Monsieur le ministre d’État, le budget de 2011 sera le dernier en année pleine du quinquennat ; il est à l’image d’une politique qui n’aura tenu ni les engagements ni les promesses qui la sous-tendaient.

Tout d’abord, la loi relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense, votée tardivement à l’été 2009 alors qu’une de ses annuités était déjà largement engagée, reposait sur des perspectives de financement irréalistes. Elle tablait sur l’obtention de recettes exceptionnelles – 1,8 milliard d’euros – et un montant total d’économies de 3,5 milliards d’euros sur les seuls exercices 2009 à 2011, que l’on savait hors d’atteinte. La vente d’actifs industriels et immobiliers, ainsi que les marges d’action dégagées par la baisse des effectifs et l’externalisation de certaines tâches confiées au secteur civil, n’ont pour l’heure pas même produit 20 % du montant d’économies officiellement escompté.

Enfin, de nombreux coûts ont été délibérément ignorés ou sous-estimés.

Ainsi, premièrement, le coût du retour au sein des structures militaires intégrées de l’OTAN, de l’ordre de 600 millions à 800 millions d’euros, a été passé sous silence, de même que les frais d’installation de la base d’Abu Dhabi.

Deuxièmement, la charge des opérations extérieures –environ 850 millions d’euros par an, dont 470 millions d’euros pour l’Afghanistan –, certes mieux prise en compte désormais, reste cependant notablement sous-budgétée.

Troisièmement, le bilan coûts/avantages du resserrement du dispositif territorial des armées a été mal pondéré. Non seulement la constitution du réseau des bases de défense, qui est passé, on ignore par quel miracle, de plus de quatre-vingt-dix bases au départ à une cinquantaine, est plus lente que prévu, mais elle est surtout dispendieuse. Et ne parlons pas du projet de Pentagone à la française, le fameux « Balardgone », qui ne s’imposait pas vraiment en période de restrictions budgétaires !

Certes, le plan de relance a eu un effet apparemment positif pour le ministère de la défense, qui a ainsi pu bénéficier d’une manne inattendue de quelques centaines de millions d’euros. Mais cet argent, destiné à une consommation rapide, a été affecté moins au financement de programmes prioritaires qu’à des achats ou à des contrats immédiatement négociables.

Quant aux mesures budgétaires de restriction pour 2010, puis de réduction pour la période allant de 2011 à 2013, elles ont achevé de désorganiser les finances de la défense, les coupes dans les crédits militaires ne s’étant pas accompagnées d’une révision de la programmation.

C’est pourtant une telle révision qu’ont entreprise, avec plus d’ampleur, de transparence et de lucidité, Allemands et Britanniques, confrontés eux aussi à de graves difficultés. Mais voilà, le Président de la République, avant l’échéance de 2012, se refuse à un exercice de vérité qui manifesterait, pour solde de tout compte, le naufrage de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014.

L’amputation du budget de la défense à hauteur de 3,6 milliards d’euros entre 2011 et 2013 nous est curieusement présentée comme étant pratiquement indolore, bien que le décryptage des propos des chefs d’état-major, toujours soucieux de ne fâcher personne, fasse apparaître que nul ne sait où la hache va tomber, ni d’ailleurs à quel rythme. L’affichage dans le projet de loi de finances initiale de cette réduction des crédits sur trois ans ne restitue pas, en outre, la véritable donne budgétaire en exécution. En effet, si l’on s’amuse – que l’on me pardonne d’employer cette expression, étant donné la gravité du sujet – à additionner les annulations, les gels et les reports probables, l’effort budgétaire demandé à la défense sera en réalité plus proche de 6 milliards d’euros que des 3,6 milliards d’euros annoncés.

Parallèlement, s’agissant des investissements, le déficit de financement, entre crédits de paiement et engagements, s’élèvera à plusieurs milliards d’euros ; ce seront autant de traites tirées sur l’avenir.

Celui ou celle qui vous succédera en 2012 peut d’ores et déjà se préparer à affronter une situation particulièrement détériorée, monsieur le ministre d’État ! En réalité, l’opacité du projet de budget pour 2011 que vous nous présentez ne vise qu’à masquer le désordre. C’est la raison pour laquelle mon groupe ne le votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, la loi relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense est évidemment remise en cause par la crise des finances publiques et les engagements, pris à Bruxelles par le Gouvernement, de ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2013.

La mission « Défense » voit ses crédits réduits de 3,6 milliards d’euros, réduction partiellement compensée par la croissance aléatoire de recettes exceptionnelles. Les trois rapporteurs spéciaux de la commission des finances évaluent la perte de ressources potentielle à ce titre à 5 milliards d’euros pour la période 2009-2014. Ils évoquent également un risque de « cannibalisation » des dépenses d’équipement par les dépenses de fonctionnement, un tel dérapage, à hauteur de 1,2 milliard d’euros, ayant été observé en 2009. Ce n’est pas une petite encoche !

À cela s’ajoute le surcoût lié aux opérations extérieures, qui n’est pris en compte que partiellement par la réserve de précaution interministérielle. Au total, selon les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, il pourrait manquer entre 10 milliards et 35 milliards d’euros sur l’ensemble de l’enveloppe prévue par la loi de programmation militaire.

Enfin, le risque n’est pas mince de voir les crédits du ministère de la défense servir de gisement d’économies, si les prévisions de croissance du Gouvernement – 2 % du PIB pour l’an prochain – devaient s’avérer trop optimistes, comme l’annonce l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, qui table sur une progression du PIB de 1,6 % seulement. Vous devrez donc vous battre, monsieur le ministre d’État, défendre bec et ongles vos crédits ! Dans une enveloppe de plus en plus contrainte, vous êtes en effet affronté à des choix de plus en plus difficiles.

Vous recevez un héritage et vous allez exercer, du moins je l’espère, votre droit d’inventaire. Cependant, j’observe que l’argument industriel est passé avant l’argument militaire dans un certain nombre d’arbitrages. C’est ainsi que le « bourrage » de votre budget par l’acquisition de treize Rafale supplémentaires se fait au détriment des soixante-dix-sept Mirage 2000-D que le chef d’état-major de l’armée de l’air qualifiait, le 7 octobre 2009, d’« élément central de notre stratégie de modernisation de l’aviation de combat ».

La dégradation de notre capacité en matière d’aviation de transport militaire, consécutive au retard de l’Airbus A400M et à l’obsolescence des Transall, va se traduire par une baisse de notre capacité de projection. Alors qu’il est prévu que celle-ci soit forte de 30 000 hommes, cet objectif ne serait plus atteint qu’à hauteur de 95 % en 2011 et de 90 % en 2013.

J’observe que les effectifs, en exécution budgétaire, sont inférieurs de 4 000 équivalents temps plein travaillé aux prévisions. La modification brutale et injuste du régime de retraite des personnels non officiers est très mal ressentie. S’il est un arbitrage que vous auriez pu corriger, c’est bien celui-là ! Il est nécessaire de trouver une solution pour maintenir le minimum garanti, d’environ 600 euros par mois, après quinze ans de services. Un contrat de confiance a été passé avec nos soldats !

Il y a ainsi dans l’héritage que vous avez reçu, monsieur le ministre d’État, quelques mesures que votre autorité pourrait permettre de revoir. Elle en sortirait, croyez-le, renforcée.

Le diable se niche, dit-on, dans les détails. Le lance-roquettes unitaire, le LRU, devait remplacer le lance-roquettes multiples, le LRM, depuis l’interdiction des armes à sous-munitions, respectée par la France mais non par la Russie, les États-Unis, la Chine, le Pakistan, Israël ou l’Inde. Notons que, sur deux régiments LRM, l’un, celui d’Haguenau, a été supprimé, tandis que l’autre, celui de Belfort, devait être converti en régiment LRU, afin de permettre à l’armée de terre de conserver une capacité de frappe tout temps vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce que ne peut faire l’arme aérienne, beaucoup plus coûteuse.

Le chef d’état-major de l’armée de terre soulignait, en octobre 2009, la valeur dissuasive de ce système d’armes, dont sont dotés Américains et Britanniques, qui permet d’emporter une charge de soixante-dix kilogrammes à soixante-dix kilomètres, avec un écart décamétrique. Or la mise en place du LRU est décalée. Jusqu’à quand ? Peut-être nous le direz-vous, monsieur le ministre d’État. Les crédits de paiement, qui étaient de 25 millions d’euros en 2010, sont ramenés à 7,8 millions d’euros pour 2011. Cela signifie que nous n’avons quasiment plus d’artillerie.

En effet, la loi de programmation militaire prévoyait par ailleurs la livraison, pendant la période 2009-2014, de soixante-neuf automoteurs à roues Caesar dotés d’un système d’artillerie de 155 millimètres. Quatre seulement seront livrés en 2011, contre vingt-cinq en 2010, tandis que les autorisations d’engagement tombent de 30 millions d’euros en 2010 à 1,97 million d’euros en 2011. Est-ce bien sérieux ?

Les arbitrages financiers peuvent-ils se substituer à l’appréciation politico-militaire que nous vous demandons de porter, monsieur le ministre d’État ? Je souhaite que vous puissiez vous pencher sur ce dossier du LRU. Là aussi, votre autorité serait bien nécessaire.

Bien entendu, une loi de programmation militaire vaut aussi par la perspective politico-stratégique dans laquelle elle s’inscrit. En 2009, nous avons réintégré la structure militaire de l’OTAN, au prétexte de faire avancer la défense européenne. Il n’en est évidemment rien résulté de tel, bien au contraire ; jamais l’effort de défense des pays européens, en dehors de la Grande-Bretagne et de la France, n’a été aussi faible, puisqu’il a à peine atteint 1 % de leur PIB.

Vous ferez valoir, en sens inverse, les accords franco-britanniques. Mais chacun sait qu’ils s’inscrivent dans une logique strictement bilatérale et répondent à des considérations essentiellement budgétaires.

La France a accepté, par le traité de Lisbonne de 2008, que l’OTAN soit, pour les pays qui en sont membres, l’instance d’élaboration et de mise en œuvre de leur politique de défense. La réintégration du commandement militaire de l’OTAN par la France qui s’est ensuivie a un coût, en personnels et en crédits. Nous aimerions que vous l’évaluiez. Rappelons que l’OTAN accuse cette année un déficit de 650 millions de dollars, qui pourrait atteindre 1,4 milliard de dollars en 2011.

Mais l’OTAN, ce n’est pas seulement une organisation, c’est aussi une politique. D’abord, c’est notre participation à la force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, en Afghanistan. Celle-ci représente plus de 50 % du surcoût des opérations extérieures. Le sommet de l’OTAN de Lisbonne a semblé fixer le cap vers un retrait, sans préciser de calendrier, alors qu’il eût fallu réviser à la baisse les objectifs trop ambitieux arrêtés au sommet de Bucarest : nous n’exporterons pas la démocratie à l’occidentale en Afghanistan.

En refusant de nous fixer le seul objectif réaliste, à savoir dissocier les Pachtounes du terrorisme international d’Al-Qaïda, nous nous mettons dans un engrenage dont nous ne pourrons pas sortir honorablement.

À cet égard, la déclaration finale du sommet de Lisbonne ne signifie rien d’autre qu’un alignement sur les positions américaines à venir, quelles qu’elles soient. Nous n’avons d’autre moyen de peser sur les décisions, qui seront prises le moment venu par le président américain, que l’influence que peut-être vous pourrez exercer sur les responsables militaires et politiques américains. La politique de contre-insurrection, on le sait bien, ne peut réussir que si elle est menée par une force autochtone. Aucune autre n’a jamais réussi.

La décision la plus grave prise au sommet de Lisbonne est évidemment le ralliement de la France, sans tambours ni trompettes, à une défense antimissile à l’égard de laquelle nous avions toujours marqué les plus extrêmes réserves. La déclaration finale précise que cette défense antimissile sera partie intégrante de notre posture générale de défense. Nous n’avons pas obtenu qu’il soit précisé que cette défense antimissile ne saurait être qu’un complément à la dissuasion, et non un substitut. Bien au contraire, l’OTAN endosse la posture de défense américaine, qui repose sur une triade : nouvelles armes conventionnelles, défense antimissile et armes nucléaires, dont le rôle est appelé à se réduire. La déclaration de Lisbonne est claire à cet égard : elle vise « à réduire notre dépendance dans la stratégie de l’OTAN à l’égard des armes nucléaires ».

Cette orientation est néfaste, monsieur le ministre d’État. Elle contribuera à saper la crédibilité et la légitimité de notre dissuasion. Or celle-ci reste nécessaire. La France n’est pas menacée que par le terrorisme. L’évolution rapide de la géographie des puissances en Asie et au Moyen-Orient comporte des risques bien supérieurs, comme en témoignent les récents événements de Corée. Que seront demain les relations entre la Russie et les États-Unis ? Ne soyons pas naïfs, un monde sans armes nucléaires n’est pas pour demain. Les États-Unis et la Russie détiennent respectivement 9 000 et 13 000 têtes nucléaires, soit plus de 90 % du total mondial.

Pour les stratèges du Pentagone, les arsenaux russe et chinois sont « dimensionnants ». Si nous avons calibré notre dissuasion en fonction du principe de stricte suffisance, nous voyons qu’en Asie les arsenaux nucléaires se développent, que ce soit en Chine, en Inde, au Pakistan ou en Corée du Nord. Le Pakistan refuse l’ouverture d’une négociation sur un traité d’interdiction de production de matières fissiles à usage militaire. La Chine refuse un moratoire. Aux États-Unis, le président Obama ne trouve pas les soixante-sept sénateurs qui lui seraient nécessaires pour ratifier le traité d’interdiction des essais nucléaires signé en 1992.

De toute façon, pour des raisons industrielles, le démantèlement des arsenaux existants, à supposer qu’il soit décidé, prendrait trente ans. Nous n’avons pas, comme les États-Unis, les moyens de mener des guerres conventionnelles à longue distance, qu’un monde sans armes nucléaires rendrait aussi possibles.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Chevènement. Je termine, monsieur le président.

Il n’y a que très peu de temps que la France a fait évoluer sa position sur la défense antimissile. Dans son discours de Cherbourg, en janvier 2008, le Président de la République a admis que la défense antimissile pouvait être un « complément » de la dissuasion nucléaire. L’argument est connu : la possession d’un glaive ne dispense pas de se donner la protection d’un bouclier. Cependant, il n’y a pas d’exemple, monsieur le ministre d’État, que, dans la lutte entre le glaive et le bouclier, le glaive ne l’ait, en définitive, emporté. Je pourrais évoquer à cet instant le limes romain, la grande muraille de Chine, la ligne Maginot, le mur de l’Atlantique : tous ont été percés ou contournés, et nous savons, par des renseignements puisés à la meilleure source, que le bouclier antimissile n’est efficace qu’à 80 %.

Le coût de 200 millions d’euros avancé à Lisbonne par le secrétaire général de l’OTAN pour l’accès à un système de commandement et de contrôle, dit C2, est manifestement sous-évalué. Celui de la seule défense de théâtre atteindrait 833 millions d’euros, selon le directeur des affaires stratégiques du ministère de la défense.

Loin d’être complémentaire de la dissuasion, la défense antimissile se révélera contradictoire, pour des raisons de coût, par le sentiment de fausse sécurité qu’elle ne manquera pas d’engendrer dans l’opinion, en créant un syndrome « ligne Maginot », profondément démobilisateur pour l’esprit de défense, en France et en Europe. Il n’est que de regarder autour de nous pour constater que ceux qui s’en déclarent partisans sont ceux qui font le moins pour leur défense. Nous aurons sans doute l’occasion de reparler de cette question.

Cet acquiescement à la défense antimissile est une conséquence fâcheuse de la décision de réintégrer l’organisation militaire de l’OTAN. On ne peut pas ne pas approuver ce que tous nos alliés approuvent, me direz-vous peut-être, monsieur le ministre d’État. Mais « on ne peut pas ne pas », c’est le leitmotiv des suivistes, or je ne vous range pas dans cette catégorie. Alors, éclairez-nous donc sur la portée que vous donnez à la déclaration à laquelle la France a souscrit à Lisbonne ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, l’examen des crédits de la défense n’autorise pas à exploser les temps de parole ! (Sourires.)

La parole est à Mme Michelle Demessine.